Le Matin Dimanche, Suisse, 28/10/2012

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  • 7/31/2019 Le Matin Dimanche, Suisse, 28/10/2012

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    Contrle qualit

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    Thomas Friedman pense que Obama et Romney passent ct de lessentiel

    Les Etats-Unis ont besoindun traitement de chocclin des Etats-Unis, et les conditionsdun rebond. x

    Vousne semblez pastrs satisfaitdela manire dont se droule lacourse laMaison-Blanche.Dansla versionamricainede votrenouvel essai,vous souhaitiezquily etun troisimecandidatsrieux, indpendant, et vousavezmme avanc, dans descommentaires, le nomdeMichael

    Bloomberg, lemairede NewYorkCest un grand gestionnaire, auxidesclaires,et dotdune grande in-dpendance desprit. Mais il na pasvoulu! En fait, notre ide ntait pasde faire lire un prsident hors desdeux grands partis, ce qui dans notresystme politique est impossible,mais de crer un choc dont le pays abesoin. Un troisim e candida t, ducentre radical comme nous lcri-vons, tait le seul moyen dimposerdans le dbat les thmes qui impor-tentvraimentpourlavenirdesEtats-Unis.

    Et dequoi aurait-il parl,votretroisimehomme?Des vrais dfis qui sont devant nous.Jen vois quatre: ladaptation indis-

    pensable denotresocit laglobali-sation; les ajustements quimpose lconomie la rvolution des techno-logies de linformation; la rsorptiondesdficitsquidcoulentdesdeman-des croissantes au gouvernement tous les niveaux; la gestion dunmonde dans lequel la consommationdnergie crot en mme temps queles risques du changement climati-que. Les rponses ces dfis passentpar une refonte de notre systmedducation, par la revitalisation denosinfrastructures, par unepolitique

    Thomas Friedman,chroniqueurauNewYorkTimeset auteurdu best-seller mondial LaTerre estplate, jugesvrement lacampagneprsidentielleamricaine. Les grandsdfissontvacus, dit-il, dansunpays quiest devenuunpionnierobse.

    Propos recueillispar AlainCam-piotti Washington

    Son bureau, langle de la 17e Rue etde lAvenue I, est moins de cinqcents mtres de lOvale, la Maison-Blanche. Un peu plus petit sansdoute, mais plus cossu, plus chaleu-reux, plein de livres. Au-dessus delordinateur, il y a un chapeau rougevif, ramen dune de ces compagnieshigh tech quil visite quand il necourtpas laplante pour compren-dre quelle vitesse le monde change.Ilnestpasministre, mais ilexerce unmagistre qui fait de lui, Washing-ton, un personnage plus influent quebeaucoup de responsables politiques.

    Doyen des chroniqueurs du New

    York Times, ce qui est dj un bonporte-voix, Thomas Friedman a ga-gn une renomme mondiale avec lapublication, en 2005, de The Worldis Flat (La Terre est plate, auxEditions Saint-Simon), son essai,traduit partout, sur les origines et lesconsquences de la globalisation.Friedman a donn il y a quelquesmois,avec sonamile politologueMi-chaelMandelbaum,une sortede suiteamricaine son best-seller, ThatUsedtoBeUs,quiparatcesjoursenfranais sous un titre on ne peut plusamricain: Back in the USA. Il yexamine lesraisonsdu relatif d- SUITE ENPAGE 18

    Thomas Friedman

    est, Washington,

    plus influent

    que beaucoup

    de responsables

    politiques.

    PAGE PAGE PAGE

    LES ACTEURS

    1953cNaissance

    Thomas Friedman natle 20 juillet, Minneapolis,dans le Minnesota.

    1978cEtudes

    Master de philosophie Oxford. Epouse Ann

    Bucksbaum,qui lui donne deuxfilles, Orly et Natalie.

    1982cThe New York

    Times

    Le quotidien new-yor-kais le chargede diriger son bureau Beyrouth.Depuis 1995, il estlun des chroniqueursdu journal.

    2002cPrim

    Il remporte sontroisime Prix Pulitzer.

    2005cBest-seller

    Premire ditionde The World is Flat,

    disponible en franaissous le titreLa Terre est plate.

    ENDATES

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    18 LES ACTEURS LeMatinDimanche I 28OCTOBRE2012

    Contrle qualit

    dimmigration apaise et sage,par unsoutien larecherche,enfinparlar-gulation des mcanismes du march.Ce sont ces thmes que notre cen-triste radical devait imposer. Orquentend-on dans la campagne? Ilest beaucoup question de la carrirepasse de Mitt Romney dans la fi-nance, de savoir si Obama est ou nonsocialiste,et depetitesphrasesvolesici ou l! Sur ce qui importe, pas unmot ou presque.

    Do vientcette impotence,cemutisme assourdissant?En bonne partie dune polarisationextrme, qui paralyse notre systmepolitique. Ily a souvent eude trs ru-des oppositions entreles deuxgrandspartis dans le pass, mais jamais riendepareil. Maintenant,face face, ilya deux tribus hostiles. Auparavant,chacundesdeux partistaitune vastecoalition. Chez les dmocrates, il yavait les conservateurs du sud et leslibraux (la gauche, dites-vous) dunord. Dautres clivages existaientchez les rpublicains. Et dans chacundespartis,il y avaitdes ngociations,et finalement des compromis. Cettefluidit a disparu. Chaque force estdsormais homognise sur des po-sitions idologiques intransigeantesqui interdisent les compromis. Parailleurs, largent politique pourrittout. Depuis que la Cour suprme adesserr tous les freins au finance-ment priv des campagnes, on peutdire quela corruption estdevenuel-gale. La puissance des lobbies freinele changement. Et la ronde mdiati-que,24 heuressur 24,narrangerien:cestle triomphedu courttermeet dela fragmentation.

    Mais cette ossification du systmesuffit-elle expliquerque la puissanceamricainesoit endclin?Et croyez-vous ce dclin?Pas un dclin irrmdiable. Mais ilest rel en termes relatifs et absolus:par rapport aux autres, aux puissan-ces mergentes, et par rapport ceque nous tions. A la fin de la guerrefroide, leffondrement du systmesovitique tait incontestablementune victoire. Mais ce bouleverse-menthistorique a enmme temps li-br deux milliards dindividus auxaspirations comparables aux ntres,quise sont mis tableet louvrage.Et nous, quavons-nous fait? Nousavons mis les pieds sur le bureau,privilgiant toutes les satisfactions

    du court terme. Nous avons pris delembonpoint, et Dieusait si cest unproblmequi se voit auxEtats-Unis:la maladie de lobsit est une mta-phore de notre laisser-aller. Noussommes des pionniers devenus ob-ses, alors quil aurait fallu, ce mo-ment-l justement, tudier et bou-ger davantage, pargner, recons-truire nos infrastructures. Et pluttque dtre immdiatement attentifs ce qui se passait en profondeur enChine,en Inde etailleurs,nous som-mes partis non sans raison, vraidire lachasse Al-Qaida,auxex-trmistes islamistes, qui sont en faitles perdants de la mondialisation.Ctait une erreur tragique.

    Quirenvoie unautregrand

    tournant: 1979, dites-vous?O u i, o n p e u t a v an c er q u e l eXXIe sicle a commenc cette an-ne-l. Les Sovitiques ont envahilAfghanistan, les Etats-Unis et laChine ont nou des relations diplo-matiques, la rvolution islamique atriomphen Iran, laMecquea tat-taque Cet enchanement dv-nements a eu des consquences ma-jeures, dont nous navons pas pris lamesure, pour la politique trangreamricaine et pour notre approvi-

    sionnement et notre politique ner-gtiques. Nous avons commis lafaute impardonnable de ngliger laprotection de lenvironnement,alors que lcologie aurait d trenotre priorit, avec le dveloppe-ment des nergies venant de sourcesrenouvelables, pour nous dptrer

    denotredpendancelgarddup-trole du Proche-Orient.

    Avec tout legaz et le ptrole quevouscaptezmaintenantparfrackingsous vospieds, vousallezencoreprendre du retard!Est-ceune maldiction? Il me semble

    difficilede nepas utiliser cesnouvel-les sources disponibles. Mais anaura de sens que si cette exploita-tion se fait selon des standards envi-ronnementaux rigoureux, et sil nesagit que dune transition vers desformes dnergie qui nous librentdes sources fossiles. Si nous ne fai-

    sonspas cettetransition maintenant,la nature et le march se chargerontde nous corriger plus tard.

    Mais dans la campagne,onnentendque surenchresur lecaptage dece gaz.Pasun mot survotretransition et surlerenouvelableUne guerre est mene, dans ce pays,contre les mathmatiques et lascience. Mais le combat que pour-suivent ceux qui disent douter de laralit du rchauffement climatiqueest purement politique. Cest la v-rit que le troisime candidat quenous souhaitions aurait pu faireclater. Cela doit faire partie de lathrapie de choc laquelle doit sesoumettre le pays.

    Et les autres secousses?Ellesdoivent intervenirdans touslesdomaines touchs par la globalisa-tionetla rvolutiondes technologiesde linformation, ces dfis que nousavons nous-mmes invents, ou entout cas dont nous avons t les ac-teurs principaux. Dans lducation,le pays ne peut pas continuer con-templer passivement le recul deslves amricains dans les classe-ments internationaux,distancs d-sormaispar leurscamarades chinois,finlandais ou suisses! Dans unmonde hyperconnect, qui devientune seule classe, dans un territoireaplani o laccs au travail bon mar-ch est de plus en plus ais, tre m-diocre ou moyen nest plus possible.Pour les Etats-Unis, cela entraneaussi une politique dimmigrationouverte, et nonpas dicte parles x-nophobes: le pays a besoin des ta-lents qui frappent sa porte. Danstous ces domaines, lAmrique doitretrouver la formule qui a fait son

    succs,et quellea perdue:un parte-nariat public-priv tous les ni-veaux, de lcole la recherche, desinfrastructures lnergie. Cela si-gnifie aussi que la rduction des d-ficits doit se faire comme lavaitsouhait dailleurs Barack Obama par des coupes dans les dpensesmais aussi par des nouveaux reve-nus, pour maintenir notre capacitdinvestir et renouveler le partena-riat dont je parle.

    Lediagnostic quevousposezsurvotre pays,sur sondclinparrapport cequil tait,est extraordinairementsombre.Et pourtant voussemblez pluttoptimiste pour lavenir.Vous vousforcez?

    Je suis un optimiste frustr. Car souscette apparence fige,sousce systmequi nous a fait manquer des grandsrendez-vous, il y a normment degens qui nentendent pas ce discoursdprim sur le dclin. Mais il faut leschercher en bas, comme nous disonsdansnotredernieressai,ilfautsetenirsur la tte. Alors, on dcouvre nor-mment dAmricains qui ont soifdapprendreetdentreprendre,prtscomprendre le traitement de choc quenous appelons de nos vux. Parailleurs, cette socit reste la plusouverte aumonde,et lamasse deceuxqui souhaitent venir, et quil faut ac-cueillir, pour participer cette entre-prisene faiblit pas. Etpuis, cepaysestutile au reste de la plante. Je le disparcequejesuis,mamanire,unna-

    tionaliste amricain, mais aussi parceque je suis convaincu que le mondeseraun endroitplus dangereux et ins-table si les Etats-Unis perdent dura-blement de leur puissance.x

    Le dclin est rel: par rapportaux puissances mergentes et par

    rapport ce que nous tions

    SUITE DE LAPAGE 17

    Malgr son sombre

    diagnostic, Thomas

    Friedman croit dans

    les gens de son pays.Enormment dAmricains

    ont soif dapprendre

    et dentreprendre.

    LA SYRIE AUJOURDHUI, CEST LIRAK DHIER

    EXPERT ThomasFriedmana com-mencsa carrire dejournaliste

    Beyrouth,comme correspondantduneagence depresse, puis pour leNew York Times. Le Proche-Orientfutlongtempsson champdinter-ventionprivilgi, et il continue lelabourer.Dans le conflit isralo-palestinien,il a sesentresdesdeuxcts, parcequil a toujours dve-loppdes thsesnuances surcecancerrgional.En2003, enrevanche, ila choisisoncamp,approuvant linterventionamricainepour renverserSaddam

    Hussein. Son soutien ntait pasmotiv par la suppose possession

    darmesde destructionmassiveparlesIrakiens ilen doutait ,Fried-man,comme dautres fauconsdmocrates,croyait la possibilitdenclencher, auxforceps, un mou-vement antiautoritairedans lemondearabe,en commenant parledictateurde Bagdad. Ila sans douteregrett de stre pareillement en-gag,mais ilsenest tir enattri-buant les horreurs qui ont suivi uneconduiteinepte decetteguerre etdecetteoccupation. Et puis,corrige-

    t-ilaujourdhui, personnene peutdire sil y a ounon unerelation de

    cause effetentrele coup deboutoirenIrak etce quia suividanslemondearabe: le renversementdautres tyrans.Sur laSyrie, oila t en1982letmoindu massacrede Hama,ThomasFriedmanest pessimiste:La Syrieaujourdhui,cest lIrakdhier, sanslinterventiondunearmetrangrecapable dencaisserlechoc duneguerrecivile.Uneintervention extrieureest sansdoute impossible.x

    c A lire

    Back in the USA - QuandlAmrique se rinvente,Thomas Friedman et MichaelMandelbaum, Ed. Saint-Simon.En librairie.

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