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© Masson, Paris, 2005 Ann Pharm Fr 2005, 63 : 125-130 125 Séance thématique biacadémique Le médicament (2 e partie) Comment je prescris aujourd’hui en cardiologie A. Vacheron* Résumé. D’empirique et souvent approximative, la théra- peutique cardiologique est devenue rationnelle à la lumière des résultats des grands essais cliniques. Dans l’hypertension artérielle, une bithérapie voire une trithé- rapie sont souvent nécessaires. Dans la maladie coronaire, le traitement de fond repose sur les bêtabloquants, l’aspirine, les inhibiteurs calciques, les statines, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) de l’angiotensine. En cas d’infarctus myocardique, il faut restaurer le flux myocardique aussi vite que possible par thrombolyse ou angioplastie. L’insuffisance cardiaque exige une polythérapie. Dans la fibrillation auriculaire la restauration du rythme sinu- sal sous couverture anticoagulante peut être obtenue par choc électrique ou médicament antiarythmique. Mots-clés : Cardiologie, Hypertension, Maladie coronaire, Insuffisance cardiaque, Fibrillation auriculaire. Summary. Prescriptions in cardiology have progressed from the often empirical and approximate approach used in the past to more rational approach based on the results of large clinical trials. For high blood pressure, bi- or even tri-therapy is often necessary. For coronary heart disease, betablockers, aspirin, calcium inhibitors, statins and converting enzyme inhibitors constitute the mainstay drugs. For myocardial infarction, the crucial point is to restore muyocardial perfu- sion as quickly as possible by thrombolysis or angioplasty. Polytherapy is required for heart failure. Finally, for atrial fibrillation, after anticoagulation, sinus rhythm can be resto- red with anticoagulant cover can be obtained with electrical shock or antiarrhythmic drugs. Key-words: Cardiology, Hypertension, Coronary disease, Heart failure, Atrial fibrillation. Prescriptions in cardiology. A. Vacheron, Ann Pharm Fr 2005, 63: 125-130. i la cardiologie a bénéficié de traitements de plus en plus efficaces en moins d’un demi-siècle, c’est certainement en raison des progrès de la recherche pharmacologique mais aussi de l’apport des essais cliniques et de l’évolution vers une médecine fondée sur les preuves, aujourd’hui incontournable. Trop souvent empirique il y a 40 ans, la théra- peutique cardiologique est devenue rationnelle, plus rigoureuse et plus précise. Je ne ferai pas un catalogue fastidieux des médicaments du cardiaque : tonicardiaques, diurétiques, bêta-bloquants, vasodilatateurs, anticoagulants et antiagrégants plaquettaires, antiarythmiques, hypolipidémiants, mais je focaliserai mon exposé sur le traitement des grandes pathologies de ma discipline : l’hyper- tension artérielle, la maladie coronaire, l’insuf- fisance cardiaque, la fibrillation auriculaire en développant essentiellement le volet médica- menteux de leur traitement. L’hypertension artérielle L’incidence de l’hypertension artérielle augmente régulièrement avec l’âge et sa prévalence chez l’adulte est de 15 % à 20 %. L’hypertension arté- * Vice-président de l’Académie nationale de médecine. Tirés à part : A. Vacheron, Académie nationale de méde- cine, 16, rue Bonaparte, F75272 Paris Cedex 06. S

Le médicament (2e partie)

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© Masson, Paris, 2005 Ann Pharm Fr 2005, 63 : 125-130

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Séance thématique biacadémiqueLe médicament (2e partie)

Comment je prescris aujourd’huien cardiologieA. Vacheron*

Résumé. D’empirique et souvent approximative, la théra-peutique cardiologique est devenue rationnelle à la lumièredes résultats des grands essais cliniques.Dans l’hypertension artérielle, une bithérapie voire une trithé-rapie sont souvent nécessaires.Dans la maladie coronaire, le traitement de fond repose surles bêtabloquants, l’aspirine, les inhibiteurs calciques, lesstatines, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) del’angiotensine. En cas d’infarctus myocardique, il faut restaurerle flux myocardique aussi vite que possible par thrombolyseou angioplastie.L’insuffisance cardiaque exige une polythérapie.Dans la fibrillation auriculaire la restauration du rythme sinu-sal sous couverture anticoagulante peut être obtenue parchoc électrique ou médicament antiarythmique.

Mots-clés : Cardiologie, Hypertension, Maladie coronaire,Insuffisance cardiaque, Fibrillation auriculaire.

Summary. Prescriptions in cardiology have progressed from

the often empirical and approximate approach used in the

past to more rational approach based on the results of large

clinical trials. For high blood pressure, bi- or even tri-therapy

is often necessary. For coronary heart disease, betablockers,

aspirin, calcium inhibitors, statins and converting enzyme

inhibitors constitute the mainstay drugs. For myocardial

infarction, the crucial point is to restore muyocardial perfu-

sion as quickly as possible by thrombolysis or angioplasty.

Polytherapy is required for heart failure. Finally, for atrial

fibrillation, after anticoagulation, sinus rhythm can be resto-

red with anticoagulant cover can be obtained with electrical

shock or antiarrhythmic drugs.

Key-words: Cardiology, Hypertension, Coronary disease,Heart failure, Atrial fibrillation.

Prescriptions in cardiology. A. Vacheron, Ann Pharm Fr 2005,

63: 125-130.

i la cardiologie a bénéficié de traitementsde plus en plus efficaces en moins d’undemi-siècle, c’est certainement en raison

des progrès de la recherche pharmacologiquemais aussi de l’apport des essais cliniques et del’évolution vers une médecine fondée sur lespreuves, aujourd’hui incontournable.

Trop souvent empirique il y a 40 ans, la théra-peutique cardiologique est devenue rationnelle,plus rigoureuse et plus précise.

Je ne ferai pas un catalogue fastidieux desmédicaments du cardiaque : tonicardiaques,

diurétiques, bêta-bloquants, vasodilatateurs,anticoagulants et antiagrégants plaquettaires,antiarythmiques, hypolipidémiants, mais jefocaliserai mon exposé sur le traitement desgrandes pathologies de ma discipline : l’hyper-tension artérielle, la maladie coronaire, l’insuf-fisance cardiaque, la fibrillation auriculaire endéveloppant essentiellement le volet médica-menteux de leur traitement.

L’hypertension artérielle

L’incidence de l’hypertension artérielle augmenterégulièrement avec l’âge et sa prévalence chezl’adulte est de 15 % à 20 %. L’hypertension arté-

* Vice-président de l’Académie nationale de médecine.

Tirés à part : A. Vacheron, Académie nationale de méde-

cine, 16, rue Bonaparte, F75272 Paris Cedex 06.

S

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rielle est un facteur majeur d’accident vasculairecérébral dont elle multiplie le risque par 4 à 5.C’est aussi un facteur de maladie coronaire,d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance rénale.

Après 50 ans, une pression artérielle systolique> 140 mmHg est un facteur de risque cardiovas-culaire plus important qu’une pression artériellediastolique > à 90 mm Hg.

Je n’envisagerai ici que le traitement de l’hyper-tension artérielle permanente essentielle. Ce trai-tement doit être poursuivi tout au long de la vie.Il comporte des mesures hygiéno-diététiques :réduction pondérale, augmentation de l’activitéphysique, réduction du sodium alimentaire et dela consommation d’alcool, augmentation del’ingestion de fruits, de légumes et de potassium.

Dans des essais contrôlés de morbi-mortalité,cinq familles pharmacologiques ont fait la preuvede leur efficacité en monothérapie dans la pré-vention des complications cardiovasculaires del’hypertension artérielle : les bêta-bloquants, lesdiurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conver-sion de l’angiotensine (IEC), les antagonistescalciques, les antagonistes des récepteurs del’angiotensine II (ARA II). Dans tous les cas, lamonoprise quotidienne est un facteur capitalpour l’observance du traitement. 40 % à 50 %seulement des hypertendus sont contrôlés parune monothérapie. L’association de faibles dosesde deux antihypertenseurs agissant par des méca-nismes différents sur des cibles différentes aug-mente l’efficacité des deux médicaments et permetde réduire l’incidence des effets secondaires dosedépendants.

Chez les hypertendus jeunes de moins de45 ans, hyper sympathicotoniques, avec une acti-vité rénine plasmatique souvent élevée, le traite-ment antihypertenseur peut être initié par unbêta-bloquant à posologie faible ou modérée quientraîne une diminution des résistances périphé-riques. Deux tiers des patients sont répondeurs,plus de 30 % atteignent l’objectif thérapeutiquede 140/85 mm Hg. La fatigue est le principal effetsecondaire (5 % à 10 % des cas). L’impuissancesexuelle a été largement surestimée, elle est moinsfréquente que sous diurétiques et compliquemoins de 5 % des traitements. Lorsque l’objectiftensionnel n’est pas atteint au bout de quelquessemaines, il faut recourir à une bithérapie, voireà une trithérapie en faisant appel à un diurétique

ou à une dihydropyridine. Les bêtabloquants sontcontre-indiqués en cas d’asthme, de syndrome deRaynaud avéré, de bloc auriculo-ventriculaire du2e ou 3e degré, d’artériopathie oblitérante évo-luée.

L’alternative au traitement bêtabloquant estl’inhibiteur de l’IEC qui entraîne une vasodilata-tion à la fois artériolaire et veinulaire par blocagede l’angiotensine II vasoconstrictrice et augmen-tation de bradykinine vasodilatatrice et qui dimi-nue le tonus sympathique. Les IEC sont efficacesdans toutes les formes d’hypertension artériellemais surtout dans celles où la rénine plasmatiqueest élevée. Ils sont contre-indiqués en cas de sté-noses bilatérales des artères rénales ou de sténosesur rein unique. Leurs effets secondaires les plusfréquents sont l’aggravation d’une insuffisancerénale et surtout la toux qui impose l’arrêt du trai-tement chez au moins 5 % des patients. Lorsquela monothérapie s’avère insuffisante, l’effet anti-hypertenseur peut être renforcé par l’associationd’un diurétique : hydrochlorothiazide ou furosé-mide. Dans le préterax, le périndropril est associéà l’indapamide.

La toux sous IEC est une bonne indication auxantagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensineII (ARA II) qui peuvent être administrés seuls :Losartan (Cozaar), Valsartan (Nisis, Tareg), Can-desartan (Kenzen, Atacand), Irbesartan (Apro-vel) qui peuvent être administrés seuls ou enassociation avec un diurétique thiazidique (parexemple Hyzaar, Nisis Co, Co Tareg, Co Kenzen,Co Aprovel).

Chez les hypertendus âgés qui ont une activitérénine plasmatique souvent basse, j’utilise préféren-tiellement les inhibiteurs calciques et en particulierles dihydropyridines d’action prolongée : amlodi-pine (Amlor), lacidipine (Caldine), lercanidipine(Lercan ou Zanidip) pour n’en citer que quelquesuns. En diminuant la concentration de calciumintracellulaire, ils diminuent les résistances périphé-riques. Les méta-analyses ont démontré leur supé-riorité sur les diurétiques, les bêtabloquants et lesIEC pour la prévention des accidents vasculairescérébraux. Leurs effets secondaires : céphalées,bouffées vasomotrices, oedèmes des chevilles sur-viennent surtout au début du traitement et sontmoins fréquents avec les molécules les plus récentes(Caldine ou Lercan).

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Les inhibiteurs calciques peuvent être associésaux bêtabloquants, aux diurétiques et aux IEClorsque la monothérapie s’avère insuffisante pourcontrôler l’hypertension artérielle. En cas demauvaise tolérance des inhibiteurs calciques, lesdiurétiques donnent généralement de bons résul-tats. Les thiazidiques habituellement utilisésseront souvent associés à un épargneur de potas-sium (Triamterene, Amiloride, Spironolactone).Une surveillance régulière (2 à 4 fois par an) dela créatininémie, de la glycémie, de la kaliémie etde l’uricémie est indispensable.

Chez les hypertendus diabétiques, l’obtentionde la pression artérielle cible (130/80 mm Hg)définie par l’American Diabetes Association nécessitegénéralement plus d’un médicament. Les IEC etles antagonistes des récepteurs de l’angiotensineII ont un effet néphroprotecteur équivalent, leurassociation paraît plus efficace que chacune desdeux classes prises isolément.

La maladie coronaire

De plus en plus fréquente, frappant des sujets deplus en plus jeunes, l’athérosclérose coronaire estla principale cause de mort dans les pays indus-trialisés. Elle s’extériorise par l’angine de poitrineet par l’infarctus du myocarde mais peut restercliniquement et électriquement silencieuse. Onsait aujourd’hui que les accidents aigus (angorinstable, infarctus myocardique, mort subite)sont liés à la rupture habituellement inopinéed’une plaque d’athérome plus qu’à la sévéritéd’une sténose tronculaire. Le diagnostic et l’éva-luation de la maladie reposent sur des techniquesdites non invasives : électrocardiogramme derepos, souvent normal en dehors des crises dou-loureuses, électrocardiogramme d’effort, scinti-graphie myocardique couplée à l’épreuve d’effort.Mais l’examen clé est la coronarographie qui per-met un bilan exact des lésions dont la majoritésont aujourd’hui traitables par l’angioplastie auballonnet gonflable complétée par la pose d’uneendoprothèse ou stent. La chirurgie de pontage estréservée aux artères très calcifiées, aux oblitéra-tions chroniques proximales des gros troncs avecreprise du segment distal par des collatéraleshomo ou controlatérales, aux sténoses du tronccommun de la coronaire gauche non protégé par

une reprise artérielle contro-latérale, aux revas-cularisations de seconde intention après angio-plasties itératives.

Quelle est la place des médicaments antiangi-neux ? En l’absence de sténoses coronairessévères dont la localisation, la diffusion ou l’asso-ciation à une mauvaise fonction ventriculairegauche font craindre une évolution défavorable,le traitement doit être initialement médical. Latrinitrine administrée en comprimés à croquer ouen spray par voie sublinguale reste depuis Murrel(Lancet 1879) le médicament de la crise d’angorqu’elle calme en quelques minutes.

Le traitement de fond repose sur les bêtablo-quants habituellement prescrits en premièreintention en l’absence des contre-indications habi-tuelles (asthme, bloc auriculo-ventriculaire dehaut degré) qui se sont avérés les plus efficacespour réduire l’ischémie silencieuse. Parmi lesinhibiteurs calciques à libération prolongée, leverapamil LP, le diltiazem LP, l’amlodipine asso-ciée à un bêtabloquant sont également efficaces.L’aspirine à faible dose (Aspégic 100 mg, Karde-gic 75 mg) doit être systématique : elle s’opposeau processus thrombotique qui accompagnela rupture des plaques d’athérome. L’étudeSAPAT (Lancet 1992), la méta-analyse de l’ATT(Acute Thrombotic Trialist’s Collaboration, BMJ2002) ont démontré son efficacité pour réduire lamorbi-mortalité cardiovasculaire dans l’angorstable.

Autres médicaments quasi indispensables : lesstatines qui stabilisent les plaques d’athérome enréduisant le cœur lipidique (étude REVERSALavec l’atorvastatine, 2003) diminuent les phéno-mènes inflammatoires (baisse du taux de CRP),améliorent la fonction endothéliale. L’effet béné-fique des statines sur la morbimortalité coronaireet la mortalité totale est acquis quels que soientles taux de cholestérol total et de LDL cholestérolcomme l’ont démontré l’étude HPS avec lasimvastatine (Lancet 2002), l’étude LIPID avec lapravastatine (N. Engl. J. Med. 1998), l’étudeCARE avec la pravastatine (N. Engl. J. Med. 1996).L’objectif selon les recommandations des Sociétésaméricaines de Cardiologie ACC et AHA est untaux de cholestérol LDL < 1 g/l.

Les études HOPE avec le ramipril (N. Engl.J. Med. 2000) puis EUROPA avec le perindopril(Lancet 2003) sont en faveur de l’adjonction sys-

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tématique d’IEC au traitement conventionnel dela maladie coronaire, même chez les patients àfaible risque (étude EUROPA).

La maladie coronaire peut se déstabiliser parrupture ou fissuration d’une plaque d’athéromequi conduit à la formation d’un thrombus coro-naire. Les douleurs angineuses se répètent àintervalles de plus en plus courts, se prolongent,surviennent au repos et s’accompagnent demodifications de l’électrocardiogramme, l’éléva-tion du segment ST, l’augmentation des tropo-nines I et T indiquant un infarctus en voie deconstitution. En l’absence d’un traitement préa-lable par l’aspirine, ce médicament doit êtredébuté le plus tôt possible en commençant parune injection intraveineuse de 500 mg, relayéepar une administration orale de 160 mg par jour.Le Clopidogrel (Plavix) est associé à l’Aspirineavec une dose de charge de 300 mg et poursuiviultérieurement à posologie réduite à 75 mg parjour. L’adjonction d’un bêtabloquant par voieintra-veineuse chez les patients à haut risque quicontinuent à souffrir diminue le risque d’évolu-tion vers l’infarctus.

Aujourd’hui, et même chez les sujets âgés, lesétudes randomisées FRISC II (Lancet 1999), TAC-TICS-TIMI 18 (N. Engl. J. Med. 2001), RITA 3(Lancet 2002) ont démontré la supériorité sur letraitement purement médicamenteux de la stra-tégie invasive précoce : coronarographie suivied’une revascularisation (par angioplastie avecstent le plus souvent) dès les premières heures oules premiers jours. Cette stratégie diminue signi-ficativement l’incidence des infarctus, des décèset des récidives angineuses.

La stratégie est voisine dans l’infarctus myocar-dique aigu qui résulte pratiquement toujoursd’une thrombose coronaire occlusive et qui resteune affection grave avec une mortalité élevéeatteignant près de 20 % dans les deux premièresheures. Pour limiter l’étendue de la nécrosemyocardique et préserver la fonction ventri-culaire gauche, il faut restaurer aussi tôt que pos-sible le flux coronaire soit par thrombolyseintraveineuse, le plus souvent par le tPA(actilyse) qui peut être commencé avant l’hospi-talisation dans l’ambulance du SAMU, soit parangioplastie avec stent sous couverture des puis-sants anti-agrégants plaquettaires que sont lesantagonistes des récepteurs plaquettaires GP IIb

IIIa. L’angioplastie primaire apparaît supérieure àla thrombolyse intraveineuse lorsqu’elle est réa-lisable dans les deux à trois heures qui suivent ledébut des symptômes. Mais elle n’est pas acces-sible à tous les patients car elle nécessite des cen-tres de cardiologie interventionnelle disponibles24 heures sur 24. La thrombolyse reste donc tou-jours utilisée dans les régions situées à distancede tels centres. Elle est facilitée par l’apparitionde nouveaux thrombolytiques injectables enbolus intraveineux (retéplase, ténecteplase). Elledoit être associée à une héparinothérapie intra-veineuse modérée qui diminue les réocclusionsprécoces.

L’insuffisance cardiaque

L’insuffisance cardiaque constitue aujourd’huiun problème majeur de santé publique avec uneprévalence de 500 000 malades en France actu-ellement et une incidence qui dépasse10 pour 1 000 après 75 ans. La maladie coronaireet l’hypertension artérielle en sont les causesprincipales. Son pronostic est sombre avec unemortalité qui peut atteindre 50 % à un an dansles formes sévères.

Le traitement classique de l’insuffisance cardi-aque par l’association digitalo-diurétique a ététransformé en moins d’un demi siècle avecl’apparition successive des diurétiques de l’ansede Henlé (furosémide en particulier) au début desannées 1960 qui ont amélioré le confort de viedes patients, puis celle des IEC au début desannées 1980, puis des bêta-bloquants en 1996qui ont amélioré la survie, enfin avec l’additionde faibles doses de spironolactone (étude RALES1999). À côté des médicaments, la resynchroni-sation cardiaque par stimulation biventriculairepeut être bénéfique chez les malades avectroubles conductifs intraventriculaires.

Comment je traite un insuffisant cardiaqueaujourd’hui ?

— Je lui recommande une alimentation pauvreen sel, un apport liquidien d’un litre au maxi-mum par jour, une activité physique modéréerégulière.

— Je reste fidèle au traitement digitalo-diurétique :* digoxine à doses modérées (0,125 mg/j à

0,250 mg/j) qui a à la fois un effet inotrope positif

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et un rôle bénéfique sur la réaction neuro-humo-rale,

* diurétiques aux doses les plus faibles possibles,qui diminuent la post-charge ventriculaire et lapression artérielle pulmonaire : furosemide outhiazidiques associés à la spironolactone (aldac-tone). L’étude RALES (N. Engl. J. Med. 1999) adémontré l’effet bénéfique de l’aldactone sur lamortalité dans l’insuffisance cardiaque sévère(diminution de 35 % du risque relatif de morta-lité totale).

* Les IEC (énalapril, captopril, lisinopril, rami-pril, perindopril, trandolapril…) doivent êtreprescrits dès les premiers stades de l’insuffisancecardiaque. Depuis l’étude CONSENSUS en 1987,toutes les études randomisées ont démontré leuraction bénéfique. En cas d’intolérance ou decontre-indication aux IEC, les antagonistes desrécepteurs de l’angiotensine II sont une alterna-tive efficace qui réduit la morbimortalité cardio-vasculaire : étude Val Heft avec le valsartan (J.Am. Coll. Cardiol. 2002), étude CHARM alterna-tive avec le candesartan (Lancet 2003). L’adjonc-tion d’un ARA II à un IEC a un effet bénéfiquesur la mortalité cardiovasculaire et les hospitali-sations (CHARM, Added avec le Candesartan(Lancet 2003).

* Les bêtabloquants associés aux IEC et auxdiurétiques, avec ou sans digitaliques, améliorentle pronostic de l’insuffisance cardiaque en rédui-sant la stimulation sympathique délétère et lesarythmies ventriculaires (études COPERNICUS,CIBIS II, MERIT HF). Ils doivent être instaurés àdistance d’une poussée d’insuffisance cardiaque,en commençant par de faibles doses augmentéesprogressivement (par exemple Cardensiel1,25 mg par jour augmenté jusqu’à 5 voire 10 mgpar jour en deux prises).

Dans l’insuffisance cardiaque isolée avec dila-tation cardiaque importante, une antivitamine Kest justifiée en raison du risque de thromboseet d’embolie surtout s’il existe une arythmiecomplète par fibrillation auriculaire.

La fibrillation auriculaire

La fibrillation auriculaire est le trouble du rythmele plus fréquent. Sa prévalence augmente avecl’âge : inférieure à 1 % avant 60 ans, elle est de

7 % à 8 % après 80 ans. Elle peut être isolée ouplus souvent associée à une cardiopathie ou à unehypertension artérielle. Elle expose aux accidentsthrombo-emboliques surtout cérébraux et àl’insuffisance cardiaque.

La restauration du rythme sinusal peut êtrespontanée (près d’une fois sur deux) ou obtenuepar choc électrique externe sous brève anesthé-sie générale ou par anti-arythmique (ma préfé-rence va à l’amiodarone à doses de charge de800 mg par jour pendant un à deux jours). Elledoit être encadrée dans les trois semaines précé-dant et suivant la cardioversion par une anticoa-gulation efficace par AVK (antivitamine K) avecINR* entre 2 et 3 sauf si la fibrillation auriculaireest très récente (moins de 48 h) et si l’échogra-phie transoesophagienne a vérifié l’absence dethrombus intraventriculaire gauche, auxquelscas la régularisation peut être précédée d’unehéparinothérapie intraveineuse de courte durée(24 à 36 heures) mais doit être suivie d’une anti-coagulation efficace par antivitamine K duranttrois semaines.

Après réduction d’une fibrillation auriculairepersistante, la récidive est habituelle en l’absencede médicament antiarythmique et nécessitede nouvelles cardioversions. Pour éviter cesrécidives, l’amiodarone s’avère l’antiarythmi-que le plus efficace mais ses effets secondairessurtout thyroïdiens doivent la faire réserveraux échecs et contre-indications des autresantiarythmiques, aux patients très âgés, auxinsuffisants cardiaques. En l’absence de contre-indication (cardiopathie ischémique, bloc debranche) la flécainide (flécaine) peut être utili-sée en première intention. Son effet antiaryth-mique peut être renforcé par un bêtabloquantou par l’amiodarone à faible dose. Néanmoinsen dépit des antiarythmiques, le taux de réci-dive de la fibrillation auriculaire avoisine 50 %à un an.

En pratique, dans la majorité des fibrillationsauriculaires récidivantes, la stratégie de main-tien du rythme sinusal après une première car-dioversion n’apporte pas d’avantages notables

* INR : International Normalized Ratio, rapport normalisé

international (mode d’expression standardisé du temps de

Quick).

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sur le simple contrôle de la fréquence cardiaquepar digitalique, diltiazem ou bêtabloquant pres-crits isolément ou en association sous couvertureanticoagulante par une antivitamine K, en raisonde l’efficacité globalement faible des antiarythmi-ques au long cours. Enfin, le risque de récidiveempêche bien souvent l’interruption du traite-ment anticoagulant après la restauration durythme sinusal.

L’ablation auriculaire par radiofréquence desfoyers de déclenchement de la fibrillation auri-culaire habituellement situés à l’abouchementdes veines pulmonaires dans l’oreillette gaucheest une technique d’avenir réservée actuelle-ment aux fibrillations auriculaires paroxysti-ques symptomatiques et itératives résistant auxantiarythmiques. Ses indications s’élargirontprobablement, l’efficacité de la méthodedevant permettre l’arrêt du traitement anticoa-gulant.

Conclusion

Aujourd’hui le cardiologue dispose de traitementsefficaces qu’il a appris à utiliser et à associer avecpertinence et aussi à évaluer. L’empirisme etl’approximatif ont cédé la place à une médecinefondée sur les preuves. Ces progrès n’ont pasqu’un intérêt pour les malades. Le bien fondé desprescriptions est aujourd’hui indispensable pourl’économie de la santé. Le développement d’uneprévention efficace des facteurs de risque cardio-vasculaire est tout aussi fondamental.

Références

1. Haiat R., Leroy G. Thérapeutique cardiovasculaire. Lec-

ture transversale des grands essais cliniques — 3e édition.

Frison Roche Edit., Paris 2004.

2. Vacheron A., Le Feuvre C., Di Matteo J. Cardiologie.

Expansion Scientifique Publications Edit., Paris 1999.