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Le Meilleur à venir

Parler d'effondrementavec ses enfants

À VENIR

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Véronique Perriot

Le Meilleur à venirParler d'effondrement

avec ses enfants

À VENIR

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ISBN : 978-2-9563289-4-02019, collectif L’OuvrageContact : [email protected]épôt légal : octobre 2019

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À mes filles,en leur souhaitant de tout cœur

le meilleur avenir.

À VENIR

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Si l'on m'apprenait que la fin du monde est pourdemain, je planterais quand même un pommier.

Martin Luther

La décroissance est donc un impératif de survie.Mais elle suppose une autre économie, un autre

style de vie, une autre civilisation, d’autresrapports sociaux. En leur absence,

l’effondrement ne pourrait être évité qu’à forcede restrictions, rationnements, allocations

autoritaires de ressources caractéristiques d’uneéconomie de guerre. La sortie du capitalisme

aura donc lieu d’une façon ou d’une autre :civilisée ou barbare. La question porte seulement

sur la forme que cette sortie prendra et sur lacadence à laquelle elle va s’opérer.

André Gorz

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Elle a 7 ans. Elle nous entend en parlerdepuis des mois avec ses aînées, assises autourde la table de la cuisine : effondrement,collapsologie, fin du monde, catastrophes,cataclysmes, apocalypse.

Elle fait des puzzles, joue avec ses Playmobilsà des histoires de princesses et de princescharmants. Elle est dans son monde, absorbée.Ou du moins nous le croyons.

Et puis un jour elle relève la tête et pose cettequestion :

Maman, l'effondrement, est-ce que çaveut dire qu'on va tous mourir ?

Elle a l'air grave, mais pas inquiet. L'air devouloir comprendre de quoi on parle et ce qui vase passer.

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Nous interrompons notre conversation, noustournons vers elle. Incapables de trouver les motspour lui répondre.

- Mais non, finit par dire l'aînée, on ne va pasmourir. C'est juste que les choses vont changer.

- Considérablement, remarque la cadette, quin'aime pas qu'on raconte des bobards auxenfants.

- Considérablement ? Ça veut dire quoi ?- Beaucoup. - Beaucoup, beaucoup.- Beaucoup comme quoi ? Ça va ressembler à

quoi le monde s'il s'effondre ?

Cet ouvrage est une tentative de réponse. Àelle et à ses sœurs, lesquelles se demandent,chacune à la mesure de son âge, si elle vont avoirun avenir et si celui-ci vaut d'être désiré.

C'est aussi une façon de me répondre à moi, ànous tous, jeunes et moins jeunes, qui portons ennous un petit enfant avide de lendemains quichantent. C'est une tentative de réponse à laquestion que j'ose à peine me poser directement :qu'est-ce qui nous attend ? Comment continuer

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d'avancer si seul le mur est certain ?L'effondrement est une menace, certes, mais sepourrait-il qu'il soit aussi une opportunité ?

Mieux : se pourrait-il qu'il soit une libération ?La rupture fait peur quand rien ne se dessine

au-delà d'elle. Même la destruction de vieilleshabitudes ou vieux schémas que l'on sait néfastesest redoutable quand rien n'éclaire l'horizon.Pourtant, les maçons le savent bien : avant dereconstruire, il faut détruire ce qui est usé, malconçu, mal placé. Il arrive qu'on se retrouve ainsiavec une maison à ciel ouvert. Sans plus rien quitienne. Alors certes, on ne voulait plus desplanchers vermoulus qui sentaient la pisse de rat.Pour autant, ce vide angoisse. La questions'immisce : sera-t-on capables de reconstruire ?Est-ce qu'un mauvais toit ne valait pas mieux queplus de toit du tout ?

Cette question, cette insidieuse question,plane : sera-t-on capables ? Ne vaut-il pas mieuxse contenter du pourri tant qu'il « tient » encoreque faire le saut dans l'inconnu ?

Comment fait le bâtisseur pour trouver laforce de mettre à nu et faire face au vide ?

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Il visualise ce qu'il va construire. Il devine lalumière rentrant par les ouvertures nouvellementcréées. Il perçoit l'odeur du plancher fraîchementhuilé. Il a confiance que le meilleur est à venir.

Voilà au fond ce que j'ai voulu proposer ici :le meilleur avenir.

Ce texte est construit en quatre parties,correspondant aux dialogues reconstruits à partirdes échanges que j'ai eus, au cours des derniersmois, avec mes quatre filles, âgées de 7 à 21 ans.La première partie permet de comprendre, entermes simples, ce qu'est l'effondrement etpourquoi il est imminent. Les trois partiessuivantes sont plus « pratiques ». Elles répondentà des « comment » : comment l'empêcher,comment s'y préparer, comment agir globalement.Il se peut que leur contenu paraisse un peutechnique à certains, en particulier la partierelative à « comment s'y préparer ». Elledéveloppe de façon assez détaillée la mise enplace de « communes libres » autonomes etrésilientes. Que le lecteur non concerné ne sedécourage pas et enjambe allègrement ce qui ne

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lui parle pas dans l'immédiat. À chacun de cueillirce qui l'inspire – sans perdre de vue que d'autresclefs seront disponibles quand l'envie (ou lanécessité) se fera jour.

Je ne me suis pas attardée non plus àdévelopper des problématiques ou donnéesscientifiques largement exposées par ailleurs. Jerenvoie le lecteur aux encarts dans le texte ainsiqu'à la bibliographie, qui documente les sourceset renvoie vers la lecture d'ouvrages de référencesur le sujet.

L'avenir que j'esquisse n'est pas certain, loins'en faut. Le champ des possibles est ouvert,comme jamais peut-être auparavant. On peut ysemer le meilleur comme le pire et l'un et l'autresont pareillement vraisemblables. C'est commel'histoire du loup blanc et du loup noir. « Lequelest le plus fort ? » demande l'enfant. « Celui quetu choisiras de nourrir », répond le conteur. Ànous en effet de choisir quel récit nous allonsconter, quel horizon nous allons dessiner – quelloup nous allons nourrir.

Je choisis pour ma part de planter ce quim'apparaît comme le meilleur avenir possible,

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dans ce contexte extrêmement contraint. Si lepassage est étroit, il n'en est pas moins réaliste.

Je forme le vœu que cette graine d'avenirgerme, essaime, fleurisse et nous nourrisse.

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1. C'est quoi l'effondrement ?

Elle a 7 ans. Elle pose la question :

Maman, c'est quoi l'effondrement ?

C'est un mot qu'on utilise pour dire que la façondont on vit aujourd'hui va bientôt s'arrêter.

Pourquoi ça va s'arrêter ?

Pour vivre comme nous le faisons, nous utilisonsbeaucoup de ressources. Et bientôt il n'y en auraplus.

C'est quoi des ressources ?

C'est ce qui vient de notre planète, comme l'eau,le bois, la terre arable, sur laquelle on peut fairepousser de la nourriture. C'est aussi ce qu'onextrait du sol, comme du sable, des métaux, pourfabriquer des casseroles, des téléphones, desvoitures, toutes sortes de chose. Et puis c'est du

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pétrole, beaucoup de pétrole. Notre mode de vierepose sur le pétrole et bientôt il n'y en aura plus.

On utilise du pétrole nous ?

Bien sûr. L'essence qu'on met dans la voiture. Leplastique.

Le plastique c'est du pétrole ?

Oui, le plastique est fabriqué à partir de pétrole.Et plein d'autres choses aussi comme ta polaire outa couette, les routes sur lesquelles nous roulonset même certains aliments et médicaments.

C'est dégoûtant !

Ça ne fait pas très envie c'est sûr. Mais souventon ne le sait pas.

Utilisation du pétrole59% du pétrole mondial est consommé par lesecteur des transports (fret routier, véhicules,navires, avions). Le restant est utilisé dans lessecteurs suivants :Produits du quotidien : plastiques, textile,détergents, adhésifs, etc.Environ 99% des matières plastiques et unemajorité des textiles (nylons, polyesters, etc.)sont issus de la pétrochimie, qui produit aussi desdétergents, des caoutchoucs, des adhésifs et desmédicaments.

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Cuisson et chauffageLe GPL ou Gaz de Pétrole Liquéfié (butane,propane) ainsi que le fioul sont issus du raffinagedu pétrole et utilisés pour la cuisson ou lechauffage.Production d’électricitéLes centrales thermiques à fioul produisentenviron 5% de l’électricité mondiale.RoutesLa construction routière utilise 90% de laproduction de bitume, produit issu des pétroleslourds.Agriculture et pêcheDe nombreux engrais et pesticides sont issus dela pétrochimie. Les machines agricoles ainsi queles bateaux de pêche fonctionnent généralementau fioul domestique.

Sources : Wikipedia

L'électricité aussi c'est du pétrole ?

Non : l'électricité est produite par des barrages,des panneaux solaires, des éoliennes, maissurtout, en France, grâce aux centrales nucléaires.Elles utilisent un minerai, l'uranium, très difficileà extraire, très très dangereux et qui produit desdéchets toxiques pendant des siècles et dessiècles. Certains pays préfèrent éviter cettetechnologie et utilisent des centrales thermiques :

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en gros, ils brûlent du charbon. C'est très polluantet ça accélère le réchauffement climatique.

C'est quoi le réchauffement climatique ?

C'est l'autre aspect de l'effondrement. Le premier,tu as compris, c'est qu'on a utilisé toutes nosressources et que bientôt il n'y en aura plus.

On n'a qu'à en utiliser moins !

Sauf qu'on est de plus en plus nombreux sur Terreet que tout le monde en veut de plus en plus.Imagine : c'est comme s'il y avait un gâteaud'anniversaire et qu'au lieu d'être 8 invités vousétiez 80.

Ça ferait rien qu'une mini part chacun.

C'est ça. Et il se passerait quoi à ton avis ? Toi parexemple, tu ferais quoi ? Honnêtement ?

Ben... je crois que je mangerais un gros boutdans le frigo quand personne le voit, pouravoir un vrai morceau.

Du coup il y a des invités qui n'en auraient pas ?

Ben oui.

Ça ne te gênerait pas ?

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Un peu si. Mais j'ai pas envie d'avoir que desmiettes ! C'est pas ma faute si on est sinombreux et le gâteau tout petit !

Eh bien c'est exactement ce qui se passe : ceuxqui ont accès au gâteau se précipitent pour enmanger un gros morceau, voire faire des réserves,avant qu'il disparaisse, et ceux qui sont loin dugâteau n'ont rien à manger.

C'est pas juste.

C'est le moins qu'on puisse dire. Et ça ne va pass'améliorer, vu que le gâteau devient de plus enplus petit et le nombre d'invités de plus en plusgrand : les ressources diminuent et le nombred'habitants augmente. Même en le partageant lemieux possible, y a rien à faire : ça ne suffira paspour qu'on ait tous des grosses parts.

C'est ça l'effondrement : ça veut dire qu'il vaplus y avoir de gâteau ?

En tout cas pas le gâteau dont on avait l'habitude.Ça veut dire qu'on va devoir changer noshabitudes. Beaucoup, et très vite.

Pourquoi très vite ?

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À cause du réchauffement. Tu te souviens ? Ledeuxième problème. Un : il n'y a plus assez deressources. Deux : à force de brûler du pétrole etdu charbon, on a modifié le climat qui seréchauffe de plus en plus vite.

Pourquoi c'est un problème s'il fait pluschaud ? Moi j'aime bien avoir chaud.

En fait, c'est un réchauffement global, avec pleinde cas particuliers. Il risque de faire plus chaud àcertains endroits et plus froid ailleurs. Parexemple, chez nous, il risque à la fois de fairebeaucoup plus chaud l'été, comme c'est déjà lecas, avec des canicules terribles, mais aussi plusfroid l'hiver. Plutôt que de parler deréchauffement, certains parlent de dérèglement.Tu sais, comme on dit souvent : y a plus desaisons. La météo n'a ni queue ni tête. Un jourc'est l'été, le lendemain il neige. Le temps estinstable. On n'a plus nos repères. Et ça ne va pass'améliorer.

Pourquoi ?

Parce qu'à force d'utiliser du pétrole, du charbon,des systèmes de refroidissement, on envoie dansl'air des gaz qui font comme un bouchon dans

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l'atmosphère. On les appelle des gaz à effets deserre parce qu'ils fabriquent comme une serre au-dessus de nous. Tu sais comment c'est dans uneserre ?

Beaucoup plus chaud que dehors !

Parce que la température ne peut plus se réguler,du coup la chaleur reste stockée à l'intérieur.Comme quand tu te maquilles pour le carnaval :au bout d'un moment, ta peau chauffe parcequ'elle n'arrive plus à respirer. Sauf que cettecouche de gaz, on ne peut pas l'enlever. Elle restedans l'atmosphère pendant des dizaines d'années.Tout ce qu'on envoie s'accumule et ça fait unbouchon de plus en plus gros. En comme en pluson détruit plein de forêts, ça accélère lephénomène.

Quel rapport avec les forêts ?

Les arbres captent le CO2.

Le CO2 ?

Le dioxyde de carbone, le principal gaz à effet deserre produit par l'homme. Les arbres absorbentce gaz et le transforment en oxygène qu'on peutrespirer.

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Les arbres c'est le démaquillant alors ?

On pourrait dire ça oui !

Pourquoi alors on les coupe si on en a besoin ?

Pour construire des usines, qui font rouler descamions, qui émettent encore plus de gaz ! Oupour construire des lotissements, avec deschaudières au fioul et des voitures partout. Maissurtout, surtout, pour faire paître du bétail etplanter du soja ou du maïs pour le nourrir. Ladisparition des forêts est directement liée àl'industrie de la viande.

C'est pour ça qu'on ne mange pas de viandechez nous ?

Ce n'est pas que pour ça, mais c'est effectivementce qui m'a décidée au départ : le coûtenvironnemental de la production de viande.

Le coût de la viandeLe couple élevage-agriculture industrielle génère37% du méthane (issu de la fermentationgastrique des ruminants, 25 à 30 fois plustoxique que le CO2), 65% du protoxyde d'azote(au pouvoir réchauffant 300 fois plus importantque celui du CO2, avec une durée de séjour dansl'atmosphère de 120 ans) et 9% du CO2. À luiseul, ce secteur est responsable de 25% des

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émissions de gaz à effets de serre, derrièrel'industrie (32%) mais devant le bâtiment(18,5%) et les transports (14%).Ce secteur est également le plus grandconsommateur d'eau au monde (70%) : il fautplus de 10000 litres d'eau pour produire un kilode bœuf : 100 litres par bœuf et jour d'élevage,plus l'irrigation des cultures fourragères.L'élevage est aussi la première cause dedéforestation : 17% de la forêt amazonienne adisparu depuis 50 ans (pour 2018, une superficieéquivalente à celle de la France) au profit del'élevage et de la culture intensive du soja àdestination du bétail (97% du soja français estimporté). Au total, 83% de la surface agricolemondiale est utilisée pour l'élevage : or il faut 7kilos de céréales pour produire 1 seul kilo deviande de bœuf. Les céréales destinées au bétailaméricain pourraient nourrir directement 800millions de personnes...L'élevage est aussi un gros consommateurd'antibiotiques, utilisés à titre préventif, curatif,mais aussi comme facteur de croissance, ce quirenforce l'antibiorésistance. Plus largement, laviande industrielle est un cocktail chimique dece dont ont été gavés les animaux d'élevage :antibiotiques, hormones de croissance, sojaOGM, contraceptifs, pesticides, sans oublier lesfameuses farines animales ! Sans surprise, lasurconsommation de viande à un effet néfastesur la santé : augmentation des maladies cardio-

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vasculaires et des cancers colorectaux. Le Fondsmondial contre le cancer recommande unmaximum de 300g de viande de boucherie parsemaine, alors que nous mangeons en moyenne200g de viande crue désossée par jour. Laconsommation de viande et produits laitierscontribue également au diabète et à l'obésité.Ainsi, les végétariens vivent en moyenne 6 à 10ans de plus que le reste de la population, 6%seulement d'entre eux étant en surpoids contre33% des carnivores.Alors que la ferme traditionnelle était en mesurede recycler les effluents d'élevage, ce n'est plus lecas de l'élevage industriel : la fosse septique del'élevage déborde ! L'élevage cause directementla pollution des nappes phréatiques, ledéveloppement des algues vertes et les crisessanitaires à répétition.Enfin, last but not least, les conditions de « vie »et d'abattage posent de graves questionséthiques, du point de vue du bien-être animalcomme de celui des travailleurs à qui nous« déléguons » l'acte d'élever et de tuer, fermantles yeux sur leurs déplorables conditions detravail.Pourtant, réduire sa consommation de viande estun « geste » pour l'environnement qui ne coûterien, voire rapporte : la viande et le poissonreprésentent 73,7% du coût (hors dessert) d'unrepas. C'est moins cher de manger des légumes,

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légumineuses et céréales, y compris bio, qued'acheter de la viande industrielle à prix cassé.Pourtant, la consommation de viande repart à lahausse en France : 87 kilos par an et parpersonne en 2018 (5 fois plus qu'il y a 60 ans),bien au-dessus de la moyenne mondiale (43kilos) mais loin derrière les Américains (124kilos) et les Danois (150 kilos). Selon lessources, entre 60 et 140 milliards d'animaux sontabattus chaque année.Pour faire face à l'urgence climatique, FredVargas, comme le dernier rapport du GIEC,recommandent la réduction immédiate de 90%de la consommation de viande dans les paysoccidentaux.Sources : Fred Vargas, L'humanité en péril, virons de bord,toute ! Véronique Perriot, Trop de viande !

Et si on replantait des arbres, ils pourraientavaler tous ces gaz ?

En grande partie oui, à condition d'en planterbeaucoup, et partout. Mais ça veut dire qu'ilfaudrait choisir entre des arbres et une usine, unlotissement ou un élevage.

On n'a qu'à choisir les arbres !

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Sauf qu'on ne le fait pas. Ou plutôt : ceux quidécident pour nous, les dirigeants des pays, ne lefont pas.

Mais pourquoi ?

On en arrive à la cause profonde del'effondrement : l'argent.

L'argent ? Comme celui qui sort dudistributeur ?

Oui, celui-là. Le problème tu vois, c'est que lesarbres qu'on laisse pousser, ils ne rapportent pasd'argent. Alors que les usines, les lotissements, lesélevages, eux en rapportent. Du coup, les gens quipossèdent la terre préfèrent la vendre à ceux qui yconstruiront une usine, un lotissement ou unélevage.

Mais comment ils peuvent vendre la terre s'il ya des arbres dessus ? Elle appartient pas auxarbres la terre ?

Hélas non ! Dans notre société, on croit que laterre appartient aux hommes qui ont été lespremiers à dire qu'elle leur appartenait. Comme legâteau de tout à l'heure : le plus gros morceau vaau premier qui se jette dessus.

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Mais c'est pas juste !

Pourtant c'est comme ça. Et depuis trèslongtemps. En plus, toutes les institutions denotre société, l'État, la police, la justice, sontd'accord avec ça : ils protègent celui qui a legâteau dans la main.

Même s'il l'a volé au départ ?

Plus personne ne se souvient du départ. Chacunse raconte l'histoire qu'il veut. Comme ton gâteaudans le frigo : tu peux très bien dire que tu l'asmangé parce que tu pensais que personne n'envoulait.

Ce serait un mensonge.

Mais tu peux te raconter cette histoire. Tu tesentirais moins coupable, tu aurais mêmel'impression d'avoir rendu service : quel gâchis,un gâteau oublié dans le frigo ! C'est ce qui s'estpassé autrefois : beaucoup d'hommes blancs sesont approprié des terres dans le monde entier, làoù vivaient des tribus africaines, amérindiennes,aborigènes... Pour ces peuples, la terren'appartient à personne. Alors les colons, c'estcomme ça qu'on les appelle, ont décidé que si elle

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n'appartenait à personne, elle pouvait tout aussibien leur appartenir à eux. Eux allaient l'exploiterpour en tirer profit. Et pour mieux l'exploiter, ilsont chassé les peuples qui vivaient dessus.

Chassé ? Comme dans tué ?

Oui. Plus de 80 millions d'Amérindiens ont étémassacrés. Plus que tous les morts de la secondeguerre mondiale.

Un peu comme si j'avais tué les 80 invités del'anniversaire pour pouvoir manger mongâteau tranquille ?

C'est ça. Et depuis ils exploitent la terre à leurprofit.

C'est quoi le profit ?

C'est d'utiliser quelque chose pour en tirer unavantage. Dans le cas du gâteau, ça voudrait direqu'au lieu de manger la part correspondant à tafaim, tu découperais le gâteau en plein de petitesparts, que tu vendrais à tes invités, en choisissantceux qui te donneraient le plus d'argent, d'objetsou de services en échange. Tu ferais du profit surle gâteau.

Mais c'est dégueulasse !

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On ne dit pas dégueulasse. Et puis imagine : unseul gâteau et plein de choses en échange, c'esttentant !

Mais si je faisais ça, plus personne nem'inviterait à son anniversaire !

C'est le risque. Mais vu que c'est toi qui aurais legâteau, ils te courtiseraient aussi. Ils essaieraientd'obtenir tes faveurs.

Mais ils ne m'aimeraient plus ! Ils voudraientjuste une part de mon gâteau.

C'est le problème du profit : ça enterre l'amitié.Tout devient affaire de pouvoir et de compétition.On ne partage plus un gâteau : on se bat pour desparts de gâteau. Il n'y a plus d'amis, que desconcurrents.

C'est pas beau ce monde-là.

Ça tombe bien : c'est celui qui s'effondre. À forced'essayer de tirer le maximum de profit d'uneterre qui ne nous appartient pas...

Normal : elle appartient aux arbres !

… on a fini par utiliser toutes les ressourcesdisponibles et changer le climat. C'est la limite duprofit : si tu vends tout le gâteau et que tu n'as

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plus de réserves pour en cuisiner un autre, alors leprofit s'effondre, et le monde que tu as construitavec.

Tant mieux. Il ne me plait pas ce monde-là. Etc'est quand qu'il va s'effondrer ?

On ne sait pas exactement. Mais bientôt.

Avant que je sois grande ?

Sans doute avant oui. On ne sait pas tout à faitquand ni comment ça va se passer. Il y a plein descénarios possibles, comme dans un film. Cequ'on sait c'est que notre façon de vivre, ce qu'onappelle notre système, repose sur des piliersfragiles. Tu te souviens de mon rêve de l'autrenuit ?

Celui du plancher qui s'effondre ?

Celui-là oui. Dans ce rêve, je me rendais compteque le plancher sur lequel je marchais était pleinde trous, les poutres étaient vermoulues, les viscassées. Notre système est comme ce plancher :on ne sait pas si ce sont les vis, les poutres ou lesplanches qui vont lâcher en premier, mais dès quel'un ou l'autre va péter, tout s'effondrera, car toutest lié.

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À cause du réchauffement ?

Non, le réchauffement n'est pas la cause del'effondrement : c'est sa conséquence, comme ladisparition des ressources. Il y a le réchauffementparce que notre façon de vivre, de vouloir tirer lemaximum de profit, détruit le plancher sur lequelnous marchons. Depuis 40 ans, plus de la moitiédes espèces sauvages a disparu. Chaque minute,l'équivalent de 50 terrains de foot de forêts estrasé ! Chaque minute, tu imagines ? À cause de lapêche industrielle, il n'y a presque plus de poissondans les mers, par contre il y a un continent deplastique à la dérive grand comme 3 fois laFrance. En réalité, l'effondrement n'est pas àvenir, il a déjà lieu.

Alors pourquoi on en parle que maintenant ?

On en parlait déjà avant mais personne n'écoutait.On croyait que le réchauffement climatique allaitjuste faire fondre les banquises et disparaître lesours polaires. C'était un peu loin tout ça. Là on serend compte que ça va détruire des pays entiers,déplacer des millions de gens qui n'auront plusd'endroit où vivre. On réalise que le climatchange aussi en Europe. Et que même ceux qui

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ont beaucoup d'argent ne vont pas pouvoiréchapper aux conséquences du réchauffement.

Ça veut dire qu'on va tous mourir ?

Très franchement, si on continue à ce rythme-là,il y a un risque que dans cinquante ans, oui, pluspersonne ne puisse vivre sur Terre et qu'elle soitdevenue un désert. Mais on n'est sûrs de rien. Onne sait pas comment la Terre va réagir, commentl'homme va s'adapter, à quelle vitesse tout cela vaarriver, et si les humains vont enfin agir pouréviter le pire. Ce qu'on sait, c'est que leréchauffement va avoir des effets graves etrapides.

Comme quoi ?

L'augmentation des températures et desphénomènes météorologiques extrêmes :canicules, tempêtes, tornades. Les glaciers et labanquise fondent de plus en plus vite, le niveaude la mer va monter, beaucoup d'îles et de villescôtières risquent d'être englouties. Ça va détruiredes cultures. Certaines plantes, arbres, animauxne pourront pas s'adapter. De nouvelles maladiesrisquent d'apparaître.

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On dirait un film catastrophe.

Un mauvais film oui. Mais comme dans tous lesfilms, on peut changer le scénario. Mais plus onattend, plus ce sera dur.

Et c'est quoi l'autre scénario ?

Arrêter aussi vite que possible tout ce qui cause leréchauffement : les centrales à charbon, lepétrole, les systèmes de refroidissement, ladéforestation, donc l'élevage industriel etl'agriculture intensive.

Mais personne ne veut arrêter tout ça, tu l'asdit tout à l'heure. À cause de l'argent.

Exact. C'est comme notre gâteau d'anniversaire.On ne veut pas s'en passer.

Alors on est foutus !

Non. Car ce système est fragile aussi : il reposesur le profit. Or plus les ressources sont rares,plus elles sont chères, plus le profit baisse. Lepilier de notre système, le système financier quiemmagasine les profits, est sur le point des'effondrer. Pas dans cinquante ou trente ans. Siça se trouve, dès demain.

Le système financier ? C'est quoi ?

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C'est comment l'argent est créé et déplacé d'uneportefeuille à un autre. C'est comme un énormejeu de Monopoly, avec des billets, qui sont toutaussi faux, mais auxquels tout le monde croit. Çarend des gens très riches et d'autres très pauvres.

Comme au Monopoly.

Avec une différence de taille : quand tu joues auMonopoly, tu sais que tu joues à un jeu. Là, lesjoueurs l'ont oublié : ils croient que les pions,c'est vraiment eux. Ils croient que les billets ontune vraie valeur. Et que le but de la vie, c'estvraiment d'amasser le maximum de billets. Enplus, ils ont inventé une règle où la banque créétoujours plus de billets, de maisons à acheter, çan'a pas de fin et on peut devenir riche à l'infini !Aujourd'hui, 8 personnes dans le mondepossèdent autant d'argent que la moitié del'humanité, soit 3,5 milliards de personnes. Tu terends compte ?

Pas du tout. C'est trop gros comme chiffre.

C'est bien le problème : ce sont des chiffrestellement fous qu'on n'arrive plus à se lesreprésenter. Jamais on n'a connu des écarts derichesse aussi énormes.

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Mais je comprends pas : si ça n'a pas de fin,alors ça ne va jamais s'arrêter ?

Si, parce que les milliardaires sont comme desogres : ils ne peuvent pas s'empêcher de toutdévorer, au risque de se bouffer eux-mêmes. Ence moment, ils investissent dans des bullesfinancières...

Des bulles parce qu'elles peuvent éclater d'unseul coup ?

Exactement. Par exemple les gaz de schiste. C'estune technique d'extraction du pétrole très risquéequi ne rapporte presque rien. Pourtant tout lemonde prétend que ce sera bientôt le jackpot. Ettant que tout le monde y croit, ça monte, çamonte...

Comme une bulle ! Sauf qu'à un moment ça vapéter.

C'est ça. Pareil avec les cryptomonnaies, desmonnaies virtuelles qui n'existent même pas enpapier ou à la banque.

Comment c'est possible ?

Tant que les gens croient qu'elles ont de la valeur,elles ont de la valeur. C'est puissant une croyance

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tu sais. Et fragile en même temps : ça marche tantque tout le monde y croit. Mais si une bulle,même une toute petite bulle, explose, alors lacroyance explose aussi : ceux qui ont peur deperdre de l'argent vont retirer leurs billes et toutpeut s'écrouler très vite. Comme mon plancher :on sait qu'il est pourri mais on ne sait pas si c'estun gros coup de pied ou une légère brise qui vatout faire s'effondrer.

Ça me fait penser à l'histoire des habits neufsde l'empereur.

Rappelle-moi cette histoire, je ne m'en souvienspas.

C'est un empereur qui veut avoir le plus beaucostume du monde. Des tailleurs lui disentqu'ils vont lui coudre le plus magnifique descostumes avec un fil très spécial, un filinvisible. L'empereur est tout content. Il enfileson nouveau costume et parade avec. Tout lemonde fait semblant de le voir habillé alorsqu'en fait il est tout nu. Ils disent tous que lecostume est magnifique. Y a qu'un petit garçonpour crier : « L'empereur est nu ! ». Alors le

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charme est rompu : tout le monde se rendcompte que l'empereur est nu.

Et l'a toujours été ! Il se passe quoi ensuite ?

L'histoire ne le dit pas. Elle s'arrête là je crois.

Tu as raison, le système financier, c'estexactement ça : un roi nu. Un mirage auquel toutle monde croit.

Du coup, c'est une bonne chose s'il s'effondre ?

En fait oui. Parce que ce système est toxique etnous pousse à consommer et produire toujoursplus pour générer toujours plus de profits. Lacrise financière va mettre à l'arrêt, d'un coup, lamachine à chauffer la planète. Sans profit à laclef, qui va vouloir extraire du pétrole ou brûler laforêt ? Qui va vouloir produire des objetsinutiles ? Et on a besoin de cette mise à l'arrêt,massive, rapide, pour cesser d'envoyer dans l'airles gaz à effets de serre qui vont y rester pendantdes dizaines d'années. Même si on arrête d'enenvoyer maintenant, on aura toujours à subir lesconséquences de ceux qui y sont déjà.

Sauf si on plante plein d'arbres pour lesavaler.

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C'est ça.

Mais quand même, une grosse bulle quiexplose, c'est dangereux non ?

Oui, bien sûr. Comme un avion qui tombe. Mieuxvaut que ce soit au décollage. Même si on atterriten urgence, même s'il y a des dégâts ou desblessés, on peut s'en tirer avec quelques bosses.Par contre, si on attend d'être à dix mille mètresd'altitude, là on s'écrase tous.

Sauf ceux qui ont un parachute...

À dix mille mètres, même ceux qui ont unparachute doré auront du mal à s'en tirer ! Il y aun risque sérieux pour que tous les passagers dela planète Terre meurent.

Elle est pas drôle ton histoire.

Ce scénario-là n'est pas drôle, c'est sûr. Mais il yen a d'autres. On n'est pas obligés de tous monterdans l'avion et d'attendre qu'il s'écrase.

Tu veux dire qu'on peut faire quelque chosepour empêcher que ça arrive ?

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2. Est-ce qu'on peut l'empêcher ?

Elle a 15 ans et prend le relais de sa petite sœur.Elle a l'âge rebelle, où on se révolte contrel'étroitesse du destin :

Qu'est-ce qu'on peut faire pour empêcher queça arrive ?

Beaucoup de choses ont déjà été tentées. Onconnaît la situation, et sa gravité, depuis desdizaines d'années. Il y a eu des rapportsscientifiques, des marches, des livres, des films,des voix respectées se sont élevées, ont invité lesgens à modifier leurs comportements. Mais ça nemarche pas.

Si ça marche. Il y a plein de gens qui changentleurs comportements. Regarde autour de nous.Il y a de plus en plus de gens qui mangent bio,arrêtent la viande et les produits animaux,prennent leur vélo plutôt que la voiture,

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refusent de prendre l'avion, trient leursdéchets, compostent leurs épluchures, achètenten vrac et d'occasion plutôt que neuf. Il y en ade plus en plus.

C'est vrai. Mais ça ne suffit pas.

Pourquoi on le fait alors si ça ne sert à rien ?

Je n'ai pas dit que ça servait à rien, juste que cen'était pas suffisant pour changer la donne.

Ça sert à quoi alors ?

À se regarder en face dans le miroir. À ne pascollaborer à un système toxique. Ça sert à avoir saconscience claire. Ce n'est pas rien. Et puis ça vadans le bon sens. C'est juste pas suffisant, mêmesi chacun s'y mettait – ce qui est loin d'être le cas.

Même si tout le monde s'y mettait, ça nesuffirait pas ?

Non. J'ai mis un moment à comprendre ça :d'abord qu'on n'avait plus le temps d'attendre quetout le monde s'y mette. Et ensuite, que même sitout le monde, par un coup de baguette magique,se mettait à faire tout ce que tu as listé, ça nesuffirait pas. La société n'est pas la somme desindividus qui la composent. Elle est plus que ça.

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C'est comme une harmonique en musique, tu sais,cette note qui émerge des autres notes, qui est à lafois leur somme et plus que cette somme. Saufque personne ne joue l'harmonique. Pourtant elles'entend. Pareil pour la société. Qui rend comptede l'empreinte écologique des entreprises, desadministrations ? Amuse-toi à calculer tonempreinte écologique sur internet. Tu verras, çane te demandera que tes consommations à titrepersonnel.

Calculer son empreinte écologiqueL'empreinte écologique ou empreinteenvironnementale est un indicateur de l’impactenvironnemental d'un individu ou d'unecollectivité humaine. L’unité de calcul estl’hectare, mesurant la surface de planètenécessaire à produire les biens consommés etabsorber les déchets. La moyenne « soutenable »pour la planète se situe à 1,8 hectare parpersonne. Elle est actuellement évaluée à 5,6hectares en France, 9,6 hectares aux États-Unis,1,1 en Afrique, et 2,2 en moyenne dans lemonde.Être en « dépassement écologique » signifie quel'on puise dans les stocks plutôt que dans lesurplus généré annuellement par la nature et/ouque l'on émet plus de déchets que ce que lanature peut assimiler annuellement. L'ONG

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américaine Global Footprint Network calculechaque année le jour du dépassement. En 2019,cette date est estimée au 29 juillet. En 1986, elleétait au 31 décembre, en 2000 au 1er novembre.Cette moyenne masque de gros écarts entrepays : ainsi, en France, le jour de dépassement aeu lieu en 2018 le 5 mai, dès le 9 février pour leQatar... et le 20 décembre pour le Vietnam.On peut noter aussi les écarts selon les revenus :les 10% les plus riches consomment 7 fois plusde ressources que les 10% les plus pauvres enFrance, 23 fois aux États-Unis, 46 fois au Brésil.De nombreux calculateurs en ligne permettent demesurer son empreinte mais aussi d'évaluerl'impact d'un changement de comportement(régime végétarien, changement de mode dechauffage, impact d'un vol aérien, etc.), tel celuidu WWF (en français, très bien fait, mais avecles références suisses) : www.wwf.ch/fr/vie-durable/calculateur-d-empreinte-ecologique, ouen version anglaise: www.footprintcalcultor.org

Sources : Wikipédia

C'est vrai, seuls mes déplacements personnelssont comptabilisés. Et on ne me demande quele type de maison où j'habite. Du coup, je nesais pas laquelle mettre, puisque j'en ai deux,la tienne et celle de Papa. Et rien sur le type de

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chauffage de mon collège, la provenance de lanourriture de la cantine, tout ça.

Oui. Les déplacements professionnels aux quatrecoins du monde, les bureaux chauffés la nuit, lesvitrines éclairées toute l'année, personne n'en estcomptable – donc responsable de les réduire. Orles plus gros consommateurs de ressources,comme les plus gros pollueurs, ne sont pas lesparticuliers : 100 entreprises sont responsables àelles seules de 71% du réchauffement.

Mais si on regarde pays par pays ? On arrivebien à calculer le jour de dépassement parpays, on doit donc pouvoir calculer la taille dela « part de gâteau » d'un pays, à savoir uneTerre. Après, y a plus qu'à se débrouiller entrenous pour manger cette part et pas une miettede plus.

Bonne idée, sauf que ça soulève deux problèmes.

Juste deux ?

Mais deux gros. D'abord, l'État, qui écrit la loi eta le monopole de la force et de la justice, a intérêtà faire faire régime aux particuliers plutôt qu'auxentreprises.

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Genre : en augmentant les taxes sur l'essenceet le gasoil, qui affectent les particuliers, sanstaxer le kérosène, qui touche l'industrie dutransport ?

Exactement.

Mais pourquoi l'État fait-il ça ? Pourquoi ildéfend l'intérêt des entreprises plutôt que celuides gens ?

Parce que ça fait longtemps que l'État n'est plusau service de la société mais de l'économie. On acessé de penser l'économie comme un moyen dusocial ; elle est devenue une fin en soi. Leprésident de la République est avant tout lereprésentant de commerce de l'entreprise France.Il frappe à la porte des dictateurs pour leur vendredes armes et des centrales nucléaires et est toutcontent quand il revient avec des contrats signés.L'appareil politique (je ne parle pas des hommeset femmes politiques, dont certains sont sincères,mais bien de l'appareil dans son ensemble) est auservice des intérêts économiques et financiers.

Mais pourquoi ?

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D'abord il y a une croyance : diriger un pays, ceserait créer de l'emploi, augmenter le PIB,soutenir la croissance, plutôt que satisfaire lesbesoins de tous ou augmenter leur bien-être, cequi peut très bien se faire en décroissantl'économie. On poursuit des indicateursquantitatifs, plutôt que des bénéfices qualitatifs.Or pour poursuivre ces indicateurs quantitatifs,les États se sont massivement endettés auprès desorganismes financiers.

Les banques les tiennent par la bourse !

C'est exactement ça : les États dépendent desbanques pour se financer, lesquelles sont enposition de force pour dicter les politiques quiservent leurs intérêts. Le politique a été inféodéau financier. D'où le premier problème : si onoblige un pays à respecter son empreinteécologique, il y a de bonnes chances que ce soientles citoyens qui doivent se serrer la ceinture.

Alors que même s'ils étaient tous vertueux àtitre privé ça ne suffirait pas, vu que ce sont lesentreprises qui consomment la plupart desressources.

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Des entreprises dans lesquelles ils travaillent parailleurs, soit dit en passant.

De quoi devenir schizophrène ! Et le secondproblème ?

Les grosses entreprises sont transnationales : ellesont des succursales ici et là, un siège ailleurs.Leur responsabilité sociale est tellement diluéequ'on ne parvient pas à la leur faire assumer. Déjàqu'on n'arrive pas à leur faire payer leurs impôts !

Je vois. Du coup, si on veut agir, on ne peut lefaire qu'au niveau planétaire...

Comme les conférences COP ? D'échec enéchec ? Jusqu'à quel numéro faudra-t-il aller pourse rendre compte qu'il ne sert à rien de décider dediminuer la voilure si personne ne monte sur lepont pour descendre la voile ?

Alors on fait quoi ? C'est bloqué partout !

On essaie d'agir partout en même temps. Tu tesouviens de mon plancher prêt à s'effondrer ? Onne sait pas qui des vis, des planches ou despoutres céderont en premier. Ce qu'on sait, c'estque si on veut empêcher qu'il s'effondre, il vafalloir intervenir à tous ces niveaux : vis, planches

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et poutres. Aucune intervention ne sera suffisanteà elle seule. Et si on ne regarde que cetteintervention, on pourra s'imaginer qu'elle estinutile. C'est pour ça qu'il faut poursuivre lesactes individuels, pas seulement parce qu'ils sontune forme de droiture face à un système tordu. Cen'est pas suffisant, pour autant ce n'est pas inutile.De même, il faut élire des représentants qui sebattront haut et fort pour l'urgence climatique, auniveau communal, au niveau régional, au niveaunational, au niveau européen. Même si on sait queça ne suffira pas.

Quand même, si on votait pour d'autresdirigeants, ça changerait carrément leschoses...

Pas tant que ça malheureusement. Encore unefois, le système ne dépend plus de décisionspolitiques nationales. Il répond à une logiqueinterne, qui ne connaît ni frontière ni guide. Elle adifférents porte-paroles, certes, mais changer deporte-parole ne change pas la parole. Pour ça, ilfaudrait changer tous les porte-paroles en mêmetemps, et surtout les grandes gueules.

Les présidents américains, russes, chinois... ?

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… brésilien ? Tu as noté comme la liste s'allongede jour en jour ? Saut que désormais ils sontmoins élus par les électeurs que par des groupesde pression manipulant l'opinion via les médias etles réseaux sociaux. Fonder des espoirs concretssur un tel changement me paraît illusoire.

Ça ne sert à rien de voter alors ?

Si. Autant que de recycler ou réduire sesdéplacements. Ça ne suffira pas à changer ladonne, mais par contre ne pas le faire, ne paschoisir des représentants qui ont comprisl'urgence climatique et sont prêts à agir en cesens, c'est laisser le champ libre aux acteurs dupire. Ils ne pourront pas tout faire, ce qui ne veutpas dire qu'ils ne pourront rien faire. Regarde àl'échelle d'une commune la différence que fontquelques élus impliqués : certaines communes ontdes composts collectifs, des fermes et vergerscommunaux, d'autres pas. Ça fait une différence.

Justement, c'est un bon exemple. Il y a descommunes à énergie positive. Si on se metmassivement aux énergies renouvelables, si onarrête de brûler du pétrole et du charbon etque toutes les entreprises et villes deviennent

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vertueuses, on peut bien empêcherl'effondement ?

Certains croient en effet que la technologiepermettra de ravaler le système sans avoir à lereconstruire à la racine. Mais ces apôtres de lacroissance verte ou du tout renouvelable occultentun détail : on n'a pas du tout assez de matièrespremières pour remplacer les énergies fossiles pardu solaire, de l'éolien, ou même du nucléaire.Sans parler du problème de l'intermittence, deslimites de capacité ou du danger du nucléaire, onn'a tout simplement pas assez de réserves enmatières premières.

On pourrait chercher de nouveaux gisements.

En Arctique par exemple ? Aller chercher denouveaux gisements, les exploiter, transporter lesmatières premières, demande une quantitéd'énergie fossile dont on ne dispose déjà plus etelle-même génératrice de gaz à effets de serre.Prétendre qu'on pourra remplacer à l'identique lesénergies fossiles par des énergies « vertes », c'estentretenir un leurre. Il ne s'agit pas de verdir le

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système mais bien de changer radicalement notre« être-au-monde » comme dirait Aurélien Barrau.

La technologie ne nous sauvera pas car lesmatières premières ne suffiront pas16 matériaux et hydrocarbures seront épuisésentre 2021 et 2040 :Entre 2021 et 2022 : argent (utilisé dans lenucléaire, le solaire et photovoltaïque, les écranstactiles, la purification de l'eau) et antimoine.Entre 2023 et 2025 : chrome, or, zinc (utilisédans l'électronique), indium (panneauxvoltaïques à couches minces, écrans plats),néodyme (aimants, notamment de batteries) etstrontium.Entre 2028 et 2039 : étain, plomb, diamant,hélium (aimants, écrans, imagerie médicale,circuits de refroidissement du nucléaire), cuivre(industrie électrique)2040 : uranium et cadmium2047 : hydrogène 3, scandium2048 : nickel (batteries des piles et ordinateurs)2050 : pétrole et lithium (batteries)Entre 2052 et 2062 : niobium, béryllium,mercure, graphite2064 : platine, manganèse2072 : gaz naturel2087 : ferSources : Fred Vargas, L'humanité en péril, virons de bord,toute !

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Il y a un truc qui me va pas avec ton histoirede plancher : si je comprends bien, on aurabeau changer une vis ici, une planche là etretaper une poutre, ça sera jamais que dubricolage. Tôt ou tard, il va finir pars'effondrer, et sur nos têtes en plus, parcequ'on sera en train de réparer. C'est comme decolmater les fuites dans un paquebot qui coule.Tu crois pas qu'on ferait mieux de monterdans les canots avec les gilets de sauvetage ?

Je suis d'accord avec toi : je crois aussi qu'on estembarqués sur un paquebot qui coule. Sauf que,comme dans le Titanic, il n'y a pas assez decanots et de gilets de sauvetage pour tout lemonde. Alors soit les premiers qui ont comprisqu'on va couler se précipitent sur les canots et tantpis pour les autres...

Ce que font les survivalistes...

Soit on essaie de colmater les brèches le tempsd'organiser l'évacuation collective et de construirele maximum de canots pour tout le monde. Si onprend la mesure du danger, si tout le monde s'ymet ensemble et maintenant, c'est parfaitementréalisable.

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Mais au final, le paquebot va couler, c'est biença que tu dis : on ne va pas pouvoir empêcherl'effondrement.

Non. On peut en retarder ou en accélérer lavenue. On peut en faire une occasion de guerre detous contre tous ou une opportunité de refonder lasociété sur le vivre ensemble. On peut influer surles formes que prendra l'effondrement. Mais surle fond, non, on n'y échappera pas. Il arrivera. Ilest déjà en train d'arriver. Pour reprendre lamétaphore du Titanic, on a déjà percuté l'iceberg.

OK. Au moins c'est clair.

Ça te fait quoi ?

Pas grand chose. C'est un fait. Comme unaccident ou une maladie, mieux vaut connaîtrel'étendue des dégâts pour agir en conséquence.C'est grave, mais si c'est comme ça, c'estcomme ça. En tout cas, je préfère que tu me ledises plutôt que tu me racontes des histoires.Genre Père Noël. C'est pas crédible et enmême temps on fait semblant d'y croire parceque les adultes ont l'air d'y tenir tellement, onvoudrait pas leur faire de peine. C'est pareilpour l'effondrement. Vous avez l'air tellement

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pas concernés, vous nous racontez des histoiresde bonne fée Technologie qui va nous sauver àla dernière minute, genre happy end à laHollywood, d'un coup tout le monde vacomprendre qu'il faut recycler ses bouteilles enplastique et l'océan sera sauvé et on va touss'applaudir et ils vécurent heureux sans rienchanger et eurent beaucoup d'enfants. C'estfou quand même les histoires crétines que vousvous racontez et que vous voulez nous fairegober. Moi au moins, je sais dans quel mondeje vis. Ou bien dans quel monde je ne vivraipas.

C'est terrible ce que tu dis.

C'est la réalité. Je préfère entendre ça que laradio ce matin prétendant que la question desretraites est la plus grande préoccupation desFrançais. Quand j'entends ça je me dis : maisils ont pas compris que ce sera le dernier deleurs soucis dans 20 ans ? Ils croient encore auPère Noël ou quoi ?

Faut croire que oui.

C'est pour ça que des jeunes comme GretaThunberg dérange. Elle au moins elle ne se

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raconte pas des histoires. Elle regarde laréalité en face. Et ça, les vieux qui voudraientqu'on continue à croire au Père Noël, ilssupportent pas.

Tu es dure.

Réaliste : le paquebot coule et on va paspouvoir l'empêcher de couler. Je m'en doutaisun peu, voilà la question réglée. On va doncpouvoir passer direct à la suivante : on faitquoi maintenant ? On les fabrique commentces canots pour tout le monde ? On s'y met ouon attend d'avoir les fesses dans l'eau ?

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3. Comment on fait pour se préparer ?

Elle a 19 ans, elle veut du concret, comprendrece qu'elle peut faire, à son niveau.

« Construire des canots pour tout lemonde » je veux bien, mais comment on fait ?

D'abord on comprend pourquoi le navire a coulé.

Histoire de ne pas le reconstruire dès qu'on asorti la tête de l'eau ?

C'est ça. J'ai dit plus tôt que ce navire était celuidu profit. Or le culte du profit illimité est devenuune culture à part entière : c'est une culture totale,totalisante et totalitaire.

Dure à combattre donc...

Surtout qu'en la combattant, on tend à larenforcer.

Comme en ce moment, avec la cabale contreGreta Thunberg, les végans et en même temps

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le retour des suprématistes blancs et autresphallocrates ?

C'est un principe d'art martial : tu donnes de laforce à ce que tu repousses.

Alors qu'il faudrait retourner sa propre forcecontre lui. Mais comment faire face à laculture du profit ?

Utiliser son talon d'Achille : elle promet lebonheur, mais génère l'insatisfaction. Larenverser, c'est permettre d'éprouver que lasatisfaction ne réside pas dans le profit ou lapossession. Et ça on peut le faire facilement, endiffusant la culture inverse.

Et c'est quoi, la culture inverse du profit ?

La culture de la gratuité.

De l'instrumentalité à la gratuitéEn 1999, peu avant sa mort, Ivan Illich annonçaitque l'ère de l'instrumentalité était désormaisachevée, et serait prochainement remplacée parcelle de la « gratuité ».Il entend celle-ci dans son sens original (degratus, « à son gré » : désintéressé, tel l'actegratuit) et non galvaudé de free, ou gratis, issu degratia : « ce qui s’obtient sans payer » alors que

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normalement on le devrait. Il invente même unmot en allemand : « Umsonstigkeit, qualité de cequi n’a aucun but. ». La gratuité est le revers de l'instrumentalité, néedu développement des outils depuis le XIIesiècle, qui a généré « une extraordinaireintensification des notions de dessein et de butet, suivant celle-ci comme son ombre, une perted’attention à ce que traditionnellement onappelait la gratuité », jusqu’au point où levivant, homme, animal, nature, sont devenuseux-mêmes des instruments devant servir unefin.En prolongeant sa réflexion, la gratuité, définiecomme qualité de ce qui est accompli sans but etne coûte ni à celui qui confère l’usage, ni à celuiqui en bénéficie, renouvèle le rapport au monde :les individus ne sont plus concurrents mais libresparticipants au commun. Au lieu del’insatisfaction inhérente à l’acte d’acquisition, lagratuité, dénuée d'attente, génère satiété etsentiment d’abondance. Si elle est par définitionnon marchande, elle n'est pas pour autant unretour aux systèmes de dons : la participation estlibre, non conditionnée par une contrainteextérieure, qu'elle soit morale, religieuse oucoutumière. Contrairement au don, la gratuité negénère pas d'obligations réciproques.Ainsi la gratuité renverse un autre paradigme :celui de l'échange. Elle ne se joue pas face àl’Autre mais avec l’Autre. À la compétition, elle

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substitue la coopération. Il n’y a plus un vendeuret un acquéreur, un donateur et un donataire enface à face, dans un rapport duel, mais un espaceentre eux : l’espace du commun, qui libèrel’échange de la nécessité d’une contrepartie etdonc de toute tentation de calcul ou d’obligation.Sources: Ivan Illich, La corruption du meilleur engendre le pire.Véronique Perriot, Gratuité, Essai à transformer.

Et comment on fait pour diffuser une « culturede la gratuité » ?

En se retirant, autant que possible, du marché,que ce soit le marché de l'emploi, le marché desbiens de consommation, le marché politique, lemarché culturel, le marché du mariage même !Tous ces retraits sont une mèche lente contre« l'incivilisation » du profit.

Sauf que les gens sont attachés au marché. Ilsveulent acheter les derniers gadgets, voir ladernière superproduction au cinéma. En toutcas moi je le veux !

Oui, je sais. On en a déjà parlé. Je t'ai dit que jepensais que c'est une forme d'addiction.

Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas unedrogue.

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Une drogue, c'est quelque chose qui procure unplaisir immédiat super fort (un shoot, comme uncoup de feu) contre une dépendance à long terme,avec toute la souffrance qui va avec. Pour ceplaisir, on est prêt à tuer père et mère.

T'exagères.

Collectivement, on est prêts à tuer notre Terremère pour quelques Smartphones. Regardons-leen face : on est des drogués de la consommation.Au fond, tout le monde sait bien que la meilleurefaçon de lutter contre le dérèglement climatiqueest de réduire la production de biens et lesdéplacements, donc notre consommation d'objetset de loisirs. Depuis des années il y a des appels àdes grèves de la consommation, même d'une seulejournée. Ce sont les mouvements les moins suivisqui soient. Qui est prêt à arrêter d'acheter quoique ce soit pendant une seule journée ?

Pourtant, pour le coup, ça ne coûte rien !

Ce qui prouve bien que ce n'est pas une questiond'argent, contrairement à ce qu'on prétend.L'exemple de la viande est le plus frappant : 70%du coût d'un repas provient des produits animaux.Les céréales, les légumineuses, ça ne coûte

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presque rien, ça se trouve facilement en vrac, çase conserve très bien (sans systèmes réfrigérants,gros producteurs de gaz à effets de serre) et ça secuisine tout aussi facilement. Quiconque passe àune alimentation végétale réduit immédiatementson empreinte écologique en même temps qu'ildivise par deux ses dépenses alimentaires, mêmeen achetant des produits bio. Pourquoi sommes-nous si peu à le faire alors ?

Pas tout à fait vrai : les steaks végétariens, çacoûte plus cher !

Le pain sans gluten coûte aussi plus cher, ce quin'empêche pas ces marchés d'être florissants. Lapreuve que ce n'est pas une question d'argent maisbien d'addiction à la consommation. Tant qu'onpeut consommer autre chose à la place, mêmeplus cher, on veut bien modifier soncomportement. Mais s'il s'agit d'arrêter purementet simplement la viande et ses substituts, ou lepain industriel et ses ersatz, là il n'y a plus grandmonde. Les recherches sur la viande de synthèsesont d'ailleurs, de mon point de vue, une absolueaberration. Arrêtons ce qui est toxique,transformé, industriel et vient de loin, point barre.

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Pourquoi est-il si difficile à concevoir qu'onpuisse faire mieux sans acheter quelque chose deplus ? Idem pour les voitures électriques ou lespanneaux solaires. On préfère acheter autre chose,prétendument plus vertueux, que limiter nostrajets et nos consommations. Soyons honnêtes :si on a du mal à changer nos comportements, cen'est pas, comme certains le prétendent, parce queça nous coûterait plus cher mais parce que çanous oblige à faire face à notre addiction : laconsommation.

OK, admettons qu'on soit un peu drogués. Ilfaut faire quoi pour se désintoxiquer ? On neva pas renoncer à tout quand même ?

Pas renoncer, mais choisir. C'est très différentcomme attitude. Il ne s'agit pas de se punir ou dese sacrifier, mais de prendre ses responsabilitésd'adulte conscient que ses choix de vie ont unimpact sur autrui.

Sauf que tu l'as dit : on est des drogués. Lesdrogués ne sont plus en état de choisir. Etencore moins de choisir de se sevrer !

De toute façon, le sevrage n'est pas le meilleurremède à l'addiction.

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Sérieux ?

Des expériences ont montré que le remède le plusefficace contre l'addiction aux drogues dures estla restauration du lien social. La consommationde biens est une compensation à l'absence deliens. La société industrielle a détruit lescommunautés villageoises, les occasions d'œuvrerensemble et de s'entraider : moissons,constructions collectives, dons mutuels de sessurplus... On ne se sent plus appartenir à uncommun. Le seul commun restant, c'est la sociétéde consommation : on mange les mêmes produits,on regarde les mêmes séries. Mais c'est un fauxcommun : il aliène, il détruit notre planète, ilabolit la convivialité.

Il faudrait donc restaurer le vrai commun.

Oui. Créer des occasions de partages et d'entraide.Et ça peut commencer par quelque chose d'aussisimple que des boîtes à livres ou des espaces degratuité.

Espaces de gratuitéUn espace de gratuité (aussi nommé vide-greniergratuit, gratiferia, gratuiterie, zone de grat', etc.)est un lieu où les participants donnent et mettent

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en commun ce qui ne leur sert plus et prennentgratuitement ce qui leur fait envie. Les objetsrestant à l'issue de la séance sont acheminés versdes acteurs du réemploi.On peut prendre sans donner et réciproquement.Ce n'est donc ni du troc, ni de l'échange, ni undon de personne à personne. Son caractère non marchand facilite sonorganisation : pas de déclaration préalable, pasd'inscription, pas de comptabilité, pas de reprise.Participer à un espace de gratuité permetd'éprouver concrètement les « 7 vertus » de lagratuité : elle libère et simplifie l'action, génèrede la convivialité, rééduque à l'usage, crée de larichesse sans coût, fait circuler la vie, actel'appartenance au commun, est féconde. Là où le rapport marchand induit compétition,attentes et frustration, la gratuité instilleconcorde, satiété et gratitude.Sources: Véronique Perriot, Gratuité, Essai à transformer.

C'est bien beau tes espaces de gratuité, mais cen'est pas ça qui va empêcher l'effondrement !

Exact. Ce n'est pas l'objectif d'ailleurs : l'espacede gratuité est un moyen d'éprouver la gratuité.Ça sert à se rappeler que l'autre n'est pas unconcurrent à écraser mais un allié. Ensemble onest plus forts. En donnant aux autres, on ne

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s'appauvrit pas, au contraire : on devient tous plusriches. Ça renverse, concrètement, la croyancequi fonde notre système et selon laquelle on nepeut « profiter » que sur le dos des autres. Ça sertà se rendre compte que la Terre n'est pas ungarde-manger où se servir en ogre indifférent auxconséquences de ses orgies, mais une tablecommune à remplir. Et c'est d'autant plus facile àfaire que nous avons pléthore de biens.

Je ne comprends plus : tu n'as pas dit qu'onallait vers une disparition des ressources ?

On va vers une pénurie rapide de matièrespremières, certes. Par contre on a des stocksd'objets, de matériaux, d'équipements etvéhicules, pour nous tenir des années, peut-êtremême des décennies si on se met à réparer,recoudre, réemployer, plutôt que jeter. Va faire untour dans les déchèteries, les greniers des grands-parents, les caves des voisins : on a de quoi tenirun siège. Alors certes, les espaces de gratuitén'empêcheront pas l'effondrement ; pour autant ilspermettent de s'y préparer, en apprenant à sedétacher des objets pour les remettre en

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circulation dès qu'ils ne servent plus, générantainsi de nouveaux usages sans coût.

Mettons pour les objets. Mais pour lanourriture, tu crois vraiment qu'il y en a assezpour tout le monde ? La nourriture, une foisqu'on l'a mangée, on l'a mangée, il faut bien enrecréer en permanence.

C'est le fond du problème. La réponse est à la foisoui et non. Il y a assez de terres fertiles et deforêts pour nourrir 12 milliards d'habitants – maispas comme nous nous nourrissons aujourd'hui.Pas en consommant des dizaines de kilos deviande par an et par personne. Pas avec desmonocultures industrielles. Il y a assez de terreset de forêts pour une agriculture vivrière à basevégétale.

C'est une bonne nouvelle !

Oui, mais c'est comme la lettre de Missionimpossible : cette bonne nouvelle s'autodétruiradans cinq secondes.

Hein ?

Aujourd'hui, il y a encore assez. Mais dans deuxans, un an, ce n'est pas garanti. Si Bolsonaro

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continue de laisser brûler la forêt amazonienne, sides millions d'hectares supplémentaires sontspoliés en Afrique pour y ériger des fermessolaires, si le plastique achève d'acidifier l'océan,et donc l'eau de pluie, si les pesticides quidevraient être interdits depuis des décenniescontaminent toutes les nappes phréatiques, alors iln'y aura plus assez de terres à cultiver.

Honnêtement, j'ai du mal à voir comment toutça va me concerner. Ici, on a des terres, on ades forêts, on a des champs, on a de l'eau, jecomprends que ça va être dur pour les autres,sur d'autres continents, mais nous, on devraits'en sortir plutôt pas mal non ?

On dépend énormément, pour ne pas direexclusivement, d'une production au loin. Le bétailfrançais est nourri au soja brésilien. Les grandesvilles ont 3 jours d'autonomie alimentaire : si unecatastrophe survenait (l'irruption d'un volcanbloquant l'espace aérien, un séisme empêchant lacirculation des camions espagnols), il y a 3 joursde stocks et puis plus rien.

Il faut faire des stocks alors ?

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Certains survivalistes emmagasinent un an deréserves alimentaires pour se donner le temps devoir venir en cas d'effondrement, en attendant lapremière récolte.

C'est une bonne idée non ?

Je ne crois pas. Tu as lu Dans la forêt de JeanHegland. À un moment, il va falloir générer notrepropre nourriture. En plus, on ne sait pas quandl'effondrement aura lieu. Ils risquent donc destocker et puis jeter des tonnes de nourriture pourrien. Et puis l'effondrement est un processus etnon un événement. Ça n'arrivera probablementpas d'un coup (sauf à imaginer une catastrophenaturelle ou nucléaire) mais graduellement. Etsurtout, on ne s'improvise pas cultivateur. Encorefaut-il que la terre soit fertile, que les semencessoient reproductibles et adaptées, que le climatsoit favorable. Or cela on ne le sait pas à l'avancepuisqu'il va changer.

La seule chose au fond dont on soit sûr, c'estque rien ne sera certain.

Bien dit. Donc plus on aura d'outils dans sa boîteà outils, de cordes à son arc, plus on aura de

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chance d'avoir quelque chose qui marche àdisposition.

Et pas des outils électroniques dépendant deréseaux. Des livres en vrai et des livrespratiques. C'est ce qui manque le plus auxhéroïnes de Dans la forêt : des manuels debotanique, de jardinage, de premier secours.

Sachant qu'aucun livre ne remplacera jamais unsavoir faire.

Il faut se former alors !

Oui, se former à toutes les techniques ettechnologies résilientes, ce que Philippe Bihouixappelle les low tech, E. F. Schumacher lestechnologies intermédiaires et Ivan Illich lesoutils conviviaux.

En français s'il te plaît...

Des outils dont l'usage est intuitif, accessible àtout utilisateur, qu'il peut faire évoluer selon sesbesoins et réparer par ses propres moyens. Genrefour solaire, moulins de table, micro-éolien...

Le vélo plutôt que la voiture électrique...

C'est sûr. Au lieu de stocker de la nourriture, onferait mieux de faire le plein de semences

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paysannes et d'outils à main : faux, faucilles, sciesde long, hachettes, truelles, forges, pressoirs,moulins, charrettes à bras, voilà ce qui aura de lavaleur dans un monde privé du recours auxénergies fossiles – une valeur d'usage et decréation d'usages.

Mais on ne sait pas utiliser tout ça !

C'est pour ça qu'il faut se former. Sur le terrain.Les mains dans la terre et l'enduit.

Et si je n'ai pas envie de faire ça ?

De faire quoi ?

Ben travailler. Pour de vrai. Cultiver,construire. Se remonter les manches quoi. Pasjuste pour donner un coup de main de tempsen temps. Le peu que j'ai fait, ramasser lesfruits, aider sur un chantier, c'est dur.

Très dur. Et on n'a plus l'habitude des effortsphysiques prolongés, en dehors du sport. Pourtanttes arrière-grands-parents pédalaient des dizainesde kilomètres par jour pour aller au boulot, ilsélevaient dix enfants sans machine à laver,lesquels marchaient deux kilomètres pour aller àl'école.

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Et si on n'avait pas envie de vivre comme euxjustement ? Ça a du bon le confort.

Ça a du bon et ça a un coût. Les efforts qu'on nefait pas, c'est que quelqu'un d'autre les fait à notreplace : un moteur alimenté au pétrole, un animalde trait, un herbicide, un enfant qui descend à lamine en Afrique ou coud en Asie. Notre confortest un mirage. Combien d'esclaves invisibles pourque nous nous prélassions ?

Un mirage et en même temps une carotte : aunom de ce sacro-saint « confort », on est prêt àmanger de la bouffe industrielle réchauffée aumicro-ondes, à faire la queue dans desmagasins bondés, à porter des vêtements sansforme et passer des heures dans des bouchons.

Très juste. Ce confort nous coûte directement :perte d'autonomie, emplois abrutissants (pour lefinancer), pollutions subies... et climat déréglé. Lavoiture, la clim, l'avion, l'achat en ligne, tout çac'est pour notre confort. Le risque nucléaire, c'estpour notre confort. C'est sûr que c'est confortablede passer sa journée au chaud, ou au frais, àbosser dans un bureau devant un écran. Mais est-ce que c'est épanouissant ?

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Non, c'est mortel, je suis d'accord. Je ne veuxpas de ça non plus.

Alors quoi ?

En fait, j'aime bien l'effort physique, je voisbien que mon corps en a besoin. Je le vois bienquand je fais du vélo ou que je nage à lapiscine, même quand j'aide à déménager ou àramasser les abricots. Je me sens fatiguée,mais c'est une bonne fatigue. Un peu d'activitéphysique, voir très physique, ne me gêne pas,au contraire. Juste pas tout le temps.

Mais qui a dit que ça devrait être tout le temps ?Tu sais que les peuples premiers s'activent enmoyenne trois heures par jour pour assurer leursbesoins vitaux ?

Trois heures par jour, ça va. Mais c'est pas ceque faisaient nos ancêtres.

Parce que nos ancêtres, ceux dont on parle en toutcas, travaillaient déjà à l'ère industrielle, avec unsouci de production, de rentabilité, avec desimpôts à payer, des traites à régler. Mais lesancêtres de nos ancêtres, quand il s'agissait justed'œuvrer pour se nourrir, s'abriter, se vêtir, se

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soigner, c'était en moyenne trois heures par jour.C'est ce que des anthropologues comme MarshallSahlins ont observé.

Plus de réconfort que d'efforts alors...

Absolument. C'est pour ça qu'il est utile de seformer à ces métiers, pas seulement pour enmaîtriser les outils et techniques, mais pour serendre compte que c'est loin d'être la corvée qu'onprétend. Il y a un vrai plaisir à bâtir, à cultiver, àcueillir, à planter, à enduire, à fendre, surtoutquand on le fait à plusieurs. De plus en plusd'écolieux, dans le monde entier, renouent avecces pratiques et en expérimentent de nouvelles.Beaucoup accueillent des volontaires en helpx ouwwoofing : ils offrent le gîte et le couvert contrequelques heures de main d'œuvre quotidienne.

Pas plus de trois j'espère !

Un peu plus si : en général, cinq ou six, cinq ousix jours par semaine.

Si c'est pour la bonne cause...

En tout cas, c'est un bon moyen de se former, dese questionner, d'apprendre à se débrouiller et àtravailler ensemble.

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T'es donc d'accord que ce n'est pas à la facqu'on apprend quoi que ce soit d'utile ?

Honnêtement, à part comprendre comment on enest arrivés là, ce que les livres ou Internetexpliquent tout aussi bien, je doute en effet quel'université vous prépare à la société de demain –d'autant plus que la boîte à outils sera d'abordmanuelle : apprendre des savoir-faire, apprendre àvivre de façon économe, en temps, en ressources,en énergie. Apprendre non pas à se vendre dansl'économie de marché, mais à faire l'économie dumarché.

Faire l'économie du marché.Économie vient du grec οἰκονομία, qui signifie« l'administration de la maison » (de oikos,maison, et nomos, administrer). L’économie neconsiste donc pas à produire des biens sur unmarché à des fins de maximisation de profit,mais à gérer la maisonnée afin de satisfaire lesbesoins d’usage de tous ses membres.Le marché existe depuis des millénaires, lemarché de village, mais aussi le marché au loin,spécialisé : on a retrouvé dans des sitespréhistoriques des objets fabriqués à partir dematériaux présents à plus de mille kilomètres dulieu de fouille. Pour autant, ce n'est querécemment que le marché au loin a pris le pas sur

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le marché au près et l'économie de marchésupplanté l'économie vernaculaire (productiondes biens et services par la famille élargie, endehors du cadre marchand, voir p. 111).Jusqu'alors, la dépendance au marché était faible,limitée à la transaction des surplus encontrepartie de biens non produits localement.Faire l'économie du marché, c'est réduire lerecours au marché et aux ressources extérieuresau strict minimum, à des fins d'autonomie maisaussi de « gestion de la maisonnée » : pouracheter sur un marché, il faut une monnaied'échange et donc des biens produits à des finsd'échange, avec un risque de surproduction etsurexploitation des ressources. Faire l'économiedu marché, c'est remettre le marché à sa justeplace : au service de la société et non l'inverse.

D'accord : gagner en compétences, enadaptabilité et en autonomie. Et ensuite ?

Rejoindre ou créer des communautés résilientes.J'aime à les appeler des communes libres, parceque c'est ainsi que je les imagine : comme desespaces de vie et d'activité ouverts, enrecomposition permanente, avec des résidentspermanents, semi-permanents ou de passage. Desgens qui ne pensent pas et ne vivent pas touspareil, mais s'accordent sur des règles de vie

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décidées ensemble. C'est plus grand qu'unefamille, mais plus petit qu'un village, moinscommunautaire, mais plus communaliste. À monsens, l'erreur, et souvent l'échec, des expériencescommunautaires passées a été cette volonté demettre tout le monde sous le même toit –littéralement ! Le même toit idéologique et lemême toit physique. Que tous partagent lesmêmes convictions et les mêmes murs, voire lamême intimité, au risque de ne plus pouvoir sesentir. Littéralement.

Mieux vaut donc se tenir à bonne distanceolfactive...

Oui, chacun chez soi, mais un chez soi réduit austrict minimum, grâce à la mise en commun detout ce qui peut l'être. Un peu comme dans nosanciens hameaux : beaucoup d'espaces étaientdévolus aux communs – granges, greniers, lavoir,pressoir, four banal, etc. Les logements étaientmodestes, aisés à chauffer. Pourquoi avoir chacunune grande cuisine équipée quand la plupartn'utilise que le micro-ondes ? Autant avoir unesalle commune pour les grandes tablées et unekitchenette chez soi. Pourquoi avoir chacun sa

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baignoire, son chauffe-eau, quand on peut seconstruire des bains publics, hammam, sauna,bain norvégiens ? Une salle d'eau sommaire suffitpour le courant chez soi. Pourquoi chacun sabuanderie, sa voiture, son atelier, ses outils, sabibliothèque ? Combien de mètres carrés neservent quasi jamais, pour un coût de constructionexorbitant (financier, mais aussi en ressources : lebâtiment est le premier consommateur dematières premières et surtout le premierproducteur de déchets polluants et nondégradables) ? Si on met tout ça en commun, onoccupe moins d'espace au total, et c'est ça demoins qu'il faut bâtir, chauffer, réparer.

OK, imaginons : on s'installe sur quelqueshectares dans la Creuse ou la Corrèze avec desamis.

Pas besoin que ce soient des amis. Juste des gensqui partagent cette vision du commun. Il ne s'agitpas de fonder une communauté, mais unecommune, une commune libre.

Mettons. On a la terre, maintenant on faitquoi ?

Vous décidez ça ensemble !

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Donne des idées... Après, on fera bien commeon veut !

Tout ce que je peux te dire, c'est ce que moi jevoudrais faire.

Ça marche.

D'abord je voudrais planter des arbres, beaucoupd'arbres, toutes sortes d'espèces, et tant qu'à fairepas mal de fruitiers.

Pourquoi commencer par ça ?

Parce que les arbres, c'est ce qui prend le plus detemps à pousser. Une cabane ça se construit endeux semaines, un jardin nourricier c'est l'affairede quelques mois, un verger, une forêt, ça prenddes années. Et ce sont ces années-là qui vont nousmanquer. En plus les arbres stockent le CO2,d'autant plus qu'ils sont vieux et poussentlentement. Ils régulent l'hydrométrie et latempérature (rien de tel que l'abri sous arbre,même en période de canicule). Ils empêchentl'érosion du sol, limitent la force du vent,fournissent du bois de charpente et de chauffage.

Les arbres d'abord donc.

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Oui. Selon le même raisonnement qui m'a faitarrêter la viande il y a dix ans : ce levier, à lui toutseul, en active dix autres. Il était le plus puissantoutil à ma portée pour lutter contre la raréfactiondes ressources et le dérèglement climatique. Idemaujourd'hui pour la plantation d'arbres. S'il nefallait choisir qu'une seule action citoyenne, ceserait celle-là : planter des arbres pour agirdirectement sur la production de CO2.

Mieux vaut planter des arbres que faire desmarches pour le climat ?

L'un n'empêche pas l'autre, mais c'est vrai que jerêve d'une armée de citoyens (et pourquoi pas demilitaires aussi !) plantant à tour de bras desarbres sur toutes les surfaces disponibles, ronds-points, pelouses, parkings, champs. Et tant qu'àfaire, des arbres dont les fruits sont comestibles.

Et une fois les arbres plantés ?

Deuxième priorité, l'eau, pour assurer unapprovisionnement autonome et pérenne. Le filetdu ruisseau aura vite fait d'être épuisé dansquelques années. Assurer la ressource en eau, çapeut vouloir dire réparer le circuit de l'eau, encréant des bassins de rétention pour que l'eau

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s'infiltre lentement quand il y en a beaucoup d'uncoup (attention aux tempêtes à venir) de façon àalimenter les sources et nappes phréatiques. Çapeut demander de gros travaux de terrassement.

C'est pas très respectueux de la nature ça !

Nous avons détruit le cycle de l'eau. Si quelqu'una le bras cassé, il ne s'agit plus de le « respecter »mais de le réparer. Nous avons merdé. À nous deréparer, en mesurant les moyens aux besoins.Inutile de sortir les pelleteuses sans nécessité.Mais là où la sécheresse et l'érosion menacent, ilfaut intervenir et restaurer.

Et ensuite ?

Pas ensuite : en même temps. Installer toilettessèches et compost, pour amender le sol en tantque de besoin. Nos excréments ne sont pas desdéchets mais des engrais naturels : ils sont ce quenous « rendons à la terre ». Laquelle, si nous leslui rendons vraiment, nous en sait gré en fertilité.C'est une aberration de pisser dans de l'eaupotable et de ne pas faire usage de la fumure queconstituent nos excréments.

Mais ça pue les toilettes sèches !

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Ce qui pue, c'est le cabanon au fond du jardin oùon se vidait autrefois sans rien ajouter, nicopeaux, sciure, broyat ou terre, si bien quel'urine non absorbée dégageait de l'ammoniac,dont les immondes remugles ont laissé bien dessouvenirs dégoûtés aux générations passées. Lestoilettes sèches ou toilettes à compost permettentde nourrir la terre, sans utiliser ni polluer d'eau, nigénérer de gêne pour peu que le principed'utilisation soit respecté. Et finis les bruits dechasse d'eau en pleine nuit, ça c'est top !

OK, on apprend à chier dans la sciure, etaprès ?

On pisse dans le jardin !

Hein ?

L'urine, c'est de l'azote en barre. Donc de l'engraisliquide. Dommage de ne pas en faire profiter nosplantations... à petites doses à chaque fois biensûr.

On est en pleine phase pipi-caca...

Rien de mal à ça. C'est la base de la gestion desressources...

Mais quand est-ce qu'on bouffe dans tout ça ?

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C'est sûr que c'est le moment d'y penser ! Il fautdeux à trois ans pour développer un jardinnourricier, de préférence en forêt cultivée etpermaculture, en associant sur peu d'espacebeaucoup de plantes nutritives.

Pourquoi peu d'espace ?

Pour des raisons d'économie de terre, mais ausside moyens : c'est moins de surface à travailler etarroser, donc moins de ressources et d'énergie àutiliser. Ça demande un certain savoir faire :choisir les associations bénéfiques, gérerl'ombrage, privilégier certaines cultures. Ainsi, lepois-chiche résiste à la sécheresse, s'adapte à denombreux climats, se conserve bien, on peut enfaire de la farine et comme toutes leslégumineuses il nourrit le sol en azote. Un vraicouteau suisse végétal !

Du pois-chiche donc. Et puis ?

Il y en a plein des plantes multi-usages : le maïs,le chanvre, l'ortie. On peut s'en nourrir, on peuts'en vêtir, on peut bâtir avec. Privilégions celles-là plutôt que les tomates ou le blé, trop fragiles, etaux usages trop limités.

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Dommage pour le taboulé...

Encore une fois, c'est une question de dosage :fonder son alimentation sur la culture du blé oude la tomate, c'est prendre le risque de la disette.Mais en cultiver un peu, pourquoi pas ! Tu sais,quand ta maison brûle, tu pars avec l'essentiel.Dans l'époque qui vient, il s'agira beaucoup defaire ça : choisir l'essentiel.

Et une fois le potager lancé ?

Ce sera le moment de construire les partiescommunes, abritant les usages partagés par tous :salle de vie, cantine, bibliothèque, salle de jeux,bains publics, buanderie, atelier, la liste est aussilongue que les envies du groupe. Pour ma part, jeles construirais en dur, car ces espaces, même sides habitants viennent à partir, sont appelés àrester.

En dur, c'est-à-dire ?

Selon le lieu, je choisirais du pisé, des briques deterre crue, ou une structure en paille porteuse oubois, selon les matériaux prélevables sur place.Des matériaux à la fois structurants et isolantsthermiquement, demandant une faible technicité

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mais une forte intensité de main d'œuvre. Çatombe bien : nous aurons un collectif fort ! Cesera le moment de mettre en pratique lestechniques constructives réapprises sur le terrain.

Les parties communes avant les appartementsindividuels donc ?

Oui, le commun avant le particulier.

Pourquoi ça ?

Selon toi ?

Parce qu'il faut d'abord « fabriquer ducommun ». Si on commence par son habitatperso, le commun risque de passer à la trappe.

Bien vu. D'abord mettre en commun ce qui peutl'être et générer un vrai confort à cet endroit-là.On verra ensuite les besoins non couverts etdimensionnr nos espaces propres en fonction.

Ah, on y arrive quand même auxappartements ! Sauf que je doute que ce soientdes appartements, te connaissant.

En effet. Tu sais mon manque de goût pour lacage à lapins et l'empilement des vies, sans accèsdirect ni au sol, ni au ciel. Je préfère l'habitat« tribal », avec chacun sa maison nomade, son

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tipi, sa cabane, son chalet, sa yourte, sa tinyhouse, qu'importe, sur un emplacement privatif.

C'est quoi la différence entre privatif et privé ?

L'usage est privatif, c'est à dire réservé à un seulusager, même si la propriété reste commune.

Comme dans un camping : l'emplacementappartient au camping, même si la caravanem'appartient ?

Tout à fait, et l'exemple du terrain de camping estbien trouvé : il permet de comprendre cettecoexistence du commun (la buanderie, le snack,le parking, les emplacements) et du privatif (satente, son mobil-home). D'ailleurs, l'emplacementd'un terrain de camping, autour de 100 m2,identique pour tous, me paraît une bonne basepour fonder nos communes libres : suffisant poury poser un habitat privé de taille réduite etbénéficier d'une parcelle « privative » pourbronzer ou cultiver ce que chacun aime trouver àportée de main : herbes, fleurs...

Quand même, il y a un truc que je necomprends pas : tu mets en avant le commun

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et tu prônes des habitats individuels dispersés.C'est pas contradictoire ça ?

En apparence seulement. Je prône des habitatsindividuels réduits aux stricts besoins d'intimité.Il s'agit d'y dormir, de s'y retrouver en famille, des'y retirer. La dispersion permet de réguler lesproblématiques de promiscuité et de nuisancesonore qui sont la première cause de conflit dansles habitats « groupés ». Chacun son poêle peutparaître une aberration, sauf qu'un petit poêle (debonne facture car il ne s'agit pas non plusd'enfumer nos communes libres avec desparticules fines) est simple d'installation etd'utilisation (un outil convivial dirait Illich), alorsqu'un chauffage collectif est complexe, onéreux,difficile d'entretien, et implique soit un contrôledes consommations, soit la fixation d'unetempérature unique pour tous, source de frictionrécurrente dans les collectifs entre frileux etchauffeux ! En fait, j'anticipe les écueils surlesquels les groupes butent et chutent. L'habitatautonome dispersé acte le fait que nous sommestous différents et que nous ne pouvons normer

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nos manières de vivre, même avec la meilleurevolonté.

Et s'il y en a qui préfèrent vivrent empilés oucollés-serrés ? Qui aiment se tenir chaudmutuellement, comme les personnes âgées.

Tu as raison. On n'a pas les mêmes besoinsd'habitat selon les âges de la vie. Créer des petitscollectifs, un peu à la façon des béguinages duMoyen-âge, avec des « cellules », ou studiosadaptées aux personnes seules ou moinsautonomes, est certainement une bonne idée,complémentaire des habitats légers. Ces derniersont cependant un gros avantage : ils permettentd'anticiper un autre écueil des habitats groupés :les séparations et départs de membres.

En quoi il l'anticipe ?

L'investissement dans le commun se réduit auversement d'un éventuel droit d'entrée, assortid'un droit d'usage, telle la location d'unemplacement de camping à l'année. C'estmodeste. L'investissement dans son habitat propreest à sa charge, de sa responsabilité, et à lamesure de ses moyens. Il peut évoluer avec letemps : une yourte, à laquelle sera adjointe une

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cabane pour loger les enfants, lesquels pourrontl'emporter à leur départ du domicile parental. Jecrois qu'il est temps d'inventer une autre façond'habiter, plus modulable, plus légère, plusadaptable. Il nous reste à trouver les formesadaptées à nos modes de vie contemporains etclimats au risque sinon de générer de nouvellesaberrations, telles ces yourtes humides, enfuméeset irrespirables car intégralement recouvertes deplastique (la yourte mongole est adaptée à unclimat sec) au point de n'avoir d'écologique quel'apparence. Par contre ces habitats légerstraditionnels peuvent nous inspirer pourconcevoir des « maisons nomades » réactualisées,telles celles conçues par Yves Desarzens.L'essentiel est que ces habitats soient à la foiséconomes en ressources et à vivre, et réversibles.

Réversibles ? C'est important ça ?

S'adapter au climat c'est aussi penser des habitatsmobiles, afin de mieux se répartir sur les terrescultivables selon les alea climatiques et lapression humaine. D'où l'intérêt d'éviter lesfondations et réseaux enterrés. L'habitation unefois démontée, le sol peut retourner

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immédiatement à la culture. Si des habitants s'envont, ils repartent avec leur construction ou lacèdent aux suivants. Si une séparation, un départou un décès surviennent, la pérennité du collectifn'est pas affectée. Et puis c'est un habitat vivant,singulier, évolutif. On réapprend à habiter plutôtqu'à être logé, pour reprendre la distinction chèreà Ivan Illich. Chacun recouvre la maîtrise de sonhabitat (sa troisième peau, après l'habit et lapeau...) et gère selon sa sensibilité sa distance visà vis des autres, le choix des matériaux et desformes, l'adjonction ou réduction de modules si lataille du foyer évolue. On est dans la sphèreprivée où s'exerce librement l'initiativeindividuelle. C'est important de disposer d'un telespace d'autonomie, a fortiori dans uneorganisation collective.

Pourquoi ?

Si tu laisses traîner ta vaisselle chez toi, ça neconcerne que toi. Mais dans une salle commune,si chacun le fait, c'est un problème. Chacun doitdonc laver après soi. Dans l'espace commun, onne peut s'autoriser que ce qui est extensible à toutle monde. Est-on prêt à ce que tout le monde

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laisse ses poils dans la douche et ses mégots parterre ? Un acte non généralisable à l'échelle ducollectif est un acte antisocial, donc pas tolérabledans l'espace commun.

C'est vachement contraignant !

Oui, et il ne faut pas se voiler ce fait. C'est unécueil classique des collectifs d'habitants :beaucoup aspirent au collectif pour retrouver une« famille », une sécurité, voire une prise encharge. C'est un paradoxe, car la vie en collectifdemande au contraire plus de maturité, plus dediscipline, un sens aigu des responsabilités. Lecaprice n'a pas sa place.

Si je te suis, l'espace « privatif » est donc celuioù peut s'exercer le caprice ?

D'une certaine façon oui. Sauf que c'est un espacedélimité, qui n'impacte pas le commun.

Pourquoi ne pas l'empêcher carrément ?

Parce qu'on n'y survivrait pas ! Cet espace estaussi celui de la spontanéité, de l'initiative, del'invention, de l'expérimentation, c'est importantde lui donner une place. On a tous besoin d'unespace où être libre d'agir à son gré. Libre de

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laisser traîner sa vaisselle ! Les collectifs onttendance à nier ce besoin, précipitant l'échec debien des projets. Sauf qu'on ne peut pas fairel'impasse sur le processus d'individuation qui a eulieu. Comme tu as dit : nous ne sommes pas nosancêtres.

Tu veux dire que nos ancêtres n'étaient pas...individués ? C'est comme ça qu'on dit ?

Tout à fait. Dans les sociétés traditionnelles,l'humain est d'abord un membre de sacommunauté. Il hérite du métier de son père, semarie selon les besoins d'alliance de sa famille.Son goût et sa volonté propres sont secondairespar rapport aux exigences du groupe.

Mais les sociétés traditionnelles ont disparu...

Au profit de sociétés d'individus isolés, où chacunpoursuit son intérêt personnel en utilisant l'autreselon ses besoins propres, que ce soit négocié parle contrat ou imposé par la force. Ce passage dunous au je me paraît irréversible, même s'ilconvient d'être réajusté. Je ne nous vois pasaccepter aujourd'hui de vivre selon nos seulesconditions de naissance – sexe, caste, etc. Et c'estheureux. Une société régie par la tradition est

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stable, car statique. Un intouchable restera unintouchable. Une femme n'aura d'autre avenir quele mariage et l'enfantement. Je ne nous vois pasrevenir en arrière.

J'espère bien que non !

C'est pourtant une tentation forte. Combienréintègrent des traditions séculières, via lefondamentalisme religieux ? Aucune religion n'yéchappe. Beaucoup renoncent aux acquis del'émancipation individuelle pour retrouver uneplace sécurisante dans une communauté.

Sécurisante pour eux. Mais quelle place pourles femmes par exemple ?

Il est clair que ce sentiment d'appartenance se faitsouvent au détriment des groupes historiquementdominés : les femmes, les enfants, les pauvres, leshomosexuels, des ethnies tenues en esclavage. Cecommunautarisme est régressif : il est un repli sursoi plutôt qu'une expansion. Or un défi majeur del'effondrement consistera à fonder descommunautés d'entraide ne reposant pas sur unetradition sectaire, qui favorise le maintien desprivilèges et des hiérarchies, ni non plus sur unmarchandage d'intérêts particuliers, qui favorise

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le plus fort et donc la violence. Il va nous falloirinventer, et vraiment inventer, car nous n'enavons aucun exemple historique, des sociétésfondées sur la conscience d'un commun partagéqui ne nient pas la singularité individuelle. Dessociétés assez souples pour s'adapter auxchangements collectifs en même temps queparticuliers.

Sacré défi !

Oui. Conjuguer l'individu et le groupe, entrouvant la bonne distance et la bonne articulationentre ces deux périmètres. Sacré défi en effet. Lessociétés traditionnelles niaient l'individu, lasociété marchande nie l'appartenance à unecommunauté de destin. Ce sont deux impasses. Ilva nous falloir inventer une troisième voie.

Et comment on apprend à faire ce qu'on n'ajamais fait avant ?

En expérimentant. En famille, dans desassociations, sur le lieu de travail, dans descollectifs où se diffusent et s'expérimentent lesoutils de gouvernance partagée. De la mêmefaçon que les espaces de gratuité nousréapprennent la juste place de l'objet (un moyen

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d'usage), les outils de gouvernance partagée nousapprennent à prendre en compte la parole dechacun pour construire des accords et décidervraiment ensemble.

De la démocratie à la sociocratieEn grec, dêmos désigne une masse d'individussans relation entre eux : le peuple dans sadimension de foule. La manipulation de l'opinionet la dérive populiste sont donc intrinsèques à lanotion de démocratie, ou « gouvernement de lamasse ». Cette gestion des foules est d'autantplus aisée que les médias et réseaux « sociaux »constituent un monopole de fait de la parolepublique au profit de leurs opérateurs, au pointque le nombre de votes suit directement lacourbe de l'audimat. La démocratie a désormaismoins à voir avec le pouvoir du peuple qu'avec lepouvoir sur le peuple.La sociocratie (terme formé par Auguste Comteau XIXe siècle) repose pour sa part sur lesocios : les personnes liées par des « relationssignificatives », ayant conscience d’habiter une« maison commune », dans laquelle on vit avecl’autre et non contre lui.Apparue dans les années 1970 en tant que « boîteà outils » politique, la sociocratie consiste, selonWikipédia, en « un mode de gouvernance quipermet à une organisation, quelle que soit sataille — d'une famille à un pays —, de

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fonctionner efficacement sans structure depouvoir centralisée selon un mode auto-organiséet de prise de décision distribuée. […] Lasociocratie s'appuie sur la liberté et la co-responsabilisation des acteurs. Dans une logiqued'auto-organisation faisant confiance àl'humain, elle va mettre le pouvoir del’intelligence collective au service du succèsd'objectifs communs. […] La sociocratie utilisecertaines techniques démocratiques qui fondentson originalité, notamment l'élection sanscandidat, et la prise de décision parconsentement ».Le consentement est incluant là où le principemajoritaire organise la domination d’une partiedu groupe sur l’autre. Il n'est pas l'unanimité,mais le point où plus personne ne s’oppose.D'autres outils sont utilisés : techniques defacilitation de la prise de parole, mandats courts,impératifs et révocables, assemblées désignéespar tirage au sort (tout citoyen est considérépareillement capable et légitime pour porter laparole du commun) ou élection sans candidatpour les questions requérant une compétenceparticulière (ainsi, dans la Grèce antique, lesstratèges étaient élus mais les lois votées par uneassemblée tirée au sort).Établir une sociocratie, c'est refonder lespérimètres de gouvernance, de pyramidaux àhorizontaux, avec des collectifs politiquesconstitués selon le besoin et en tant que de

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besoin. La participation du citoyen n'y est pasaccessoire mais capitale : elle signe sonappartenance au commun de la cité. On ne peutrecevoir d’une main sans donner de l’autre.Chacun est tenu de participer à la vie publique, afortiori quand vient son tour, si son nom est tiréau sort ou ses compétences requises par ses pairs.

Il va falloir revoir nos logiciels !

En effet. D'où l'importance de prendre le temps deconstruire des accords et éviter le recours au vote,par facilité ou urgence. Une voix opposée, pourdes raisons de fond, éthique par exemple,continuera de s'opposer, même si elle a été réduiteprovisoirement au silence par un scrutinmajoritaire. Elle s'exprimera par d'autres biais :sabotage, transgression, calomnie. C'est la ruinede la confiance, essentielle à la vie commune.

Mais ce commun dont tu parles, est-ce que çane risque pas de devenir le plus petitdénominateur commun ?

Ou le plus grand ? Le commun, c'est ce que nouspartageons, ce sur quoi nous nous accordons.C'est aussi petit ou aussi grand que la capacité dugroupe à fabriquer des accords. Pour apprendre àdécider ensemble, au service d'un intérêt commun

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(qui est tout sauf l'assemblage de quelquesintérêts particuliers, mais bien ce qui est au-delàdu particulier), il faut accepter que chacun soitdifférent, contribue à sa manière et selon sesmoyens. Il faut, au fond, faire confiance au Tout.

C'est un peu mystique...

C'est une croyance, certes, mais notre vie socialerepose sur des croyances : la main invisible, lamère patrie, verser son sang pour son pays. Lacroyance permet de faire un pari sur l'avenir. Jefais mes gammes parce que grâce à elles je sauraijouer du piano plus tard – c'est une croyance.Croire dans le Tout, c'est avoir confiance quemême si chacun contribue différemment, enquantité et en qualité, tout est nécessaire etsuffisant. Je n'en ai pas la preuve, mais j'ai lacroyance que l'expérience me l'apportera.

Et si elle ne le fait pas ?

Alors il faudra en faire le constat ensemble etdécider collectivement de la marche à suivre.

Mais s'il y en a qui profitent ?

Qui ?

Il y en a toujours.

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Qui sont rarement ceux qu'on croit. On s'imaginetoujours qu'on en fait plus que les autres...

Parce qu'on prête plus d'attention à ce qu'onfait qu'à ce que les autres font !

En effet. En tout cas, on ferait mieux d'arrêter detraquer les « petits » profits présumés pour nousconcentrer sur les gros : ceux qui mettentréellement en péril la survie collective.

Comme les méga-riches qui consomment desdizaines de planètes à eux seuls chaque année ?

Par exemple ! On devrait leur opposer le blâmesocial : ne plus regarder leurs photos de safari auKenya, critiquer la consommation de leur 4X4 oude leur yacht, avec ses 900 litres de fioul... àl'heure. Non taxé. Une Rolex ou un bijou deluxe ? Quel indécence de porter sur soi un objetdont la valeur suffirait à nourrir pendant un an desmilliers d'Africains ! L'augmentation annuelle dupatrimoine de Bernard Arnaud ? L'équivalent duversement d'un RSA à 10 millions de personnes.Qui profite ? Leur comportement est honteux. Onle pense tous. On voudrait que la loi le décrète.Mais la loi, c'est eux qui la font écrire. Par contre,l'opprobre nous appartient. L'accumulation de

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biens répond à un désir narcissique de lien : êtrevu et admiré. Retirons notre admiration et notreenvie, remplaçons-là par notre indifférence, voirenotre dédain, et ils ne seront plus si nombreux àvouloir passer leurs vacances à l'autre bout dumonde. Arrêtons de désirer leur hubris.

Hubris ? Sous-titrage please ?

L'hubris est une consommation débridée, l'opposéde la tempérance. Notre « incivilisation » cultivel'hubris, a une fascination pour l'hubris. Elle porteaux nues celui qui a du « succès », consommeplus de femmes, plus de stupéfiants, plus debiens, en vertu d'une soi-disant « fureur de vivre »qui n'est rien d'autre qu'une apologie de lamétastase.

Tu y vas fort.

Mais parce que cette fascination va tous nous tuersi nous ne revenons pas à des sentiments plussociaux ! Toutes les traditions font de latempérance une vertu et de la gloutonnerie unvice. Ce n'est pas pour rien. Cessons d'êtrefascinés par ces comportements qui sont ceux devoyous et d'ogres, cessons de nous étonner quedes méga voyous et méga ogres soient élus à la

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tête des plus grandes nations, les unes après lesautres. Il continuera d'en être ainsi tant que nousentretiendrons une fascination pour l'orgie.

Tu veux dire qu'il va falloir réapprendre àtrouver l'humilité, la modestie et la simplicitésexy ?

Absolument. Et de toute urgence !

Ça me déplairait pas en fait. C'est usantl'orgie. Ça un arrière-goût de gueule de bois.Et franchement, je me verrais assez bien dansune de tes communes libres, plutôt en versioncabane je crois, avec un peu de jardinage, pasmal de cuisine, un coin bibliothèque au coin dufeu. Par contre, ce que je ne comprends pas,c'est en quoi ces communes libres seraient noscanots de sauvetage.

Revenons-y tu as raison. Dans ces communeslibres, dans la phase de transition, une phase« pré-effondrement », on pourra s'outiller,réduire sa dépendance au marché, s'autonomiseren alimentation, en énergie, en habitat, en santé.On y apprendra à s'autogouverner sans dominer.Mais aussi à se retrousser les manches, sansrecourir à une main d'œuvre asservie, quelle

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qu'elle soit : moteurs, esclaves, femmes,domestiques ou bêtes de somme.

Pas d'esclave, c'est évident, mais pourquoi pasde bête de somme ? La traction animale, c'estquand même mieux qu'un tracteur non ?

C'est la même logique : s'économiser de l'effort àcourt terme au prix d'un endettement de 40 ans.Le bétail requiert du fourrage, donc de la culturecéréalière ou herbeuse à grande échelle. La terrefertile est chère, rare, et le sera de plus en plus : ànous d'en faire le meilleur usage possible. Vaut-ilmieux faire paître un cheval ou des vaches oucultiver de la nourriture ? L'élevage est l'inversed'un couteau suisse. C'est une amarre : il empêchela mobilité (abri, traite, clôtures, etc.), il génère degrosses problématiques d'accès aux ressources(eau, herbe), il est un vecteur de risquessanitaires, en contrepartie d'une assistancemécanique non nécessaire.

Mais non négligeable !

Non négligeable... pour la culture de grandeéchelle. Mais on a vu qu'une alimentationrésiliente repose sur une culture de proximité,diversifiée, à base de fruits, légumes et

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légumineuses. Nous n'aurons pas besoind'assistance animale. Et tant mieux : touteexploitation de l'animal, qui n'a pas le choix des'opposer, nous ramène à la culture du profit, dupouvoir sur autrui, de l'instrumentalisation. Il y aun risque que tôt ou tard, une autre catégoried'êtres vivants (femmes, faibles, migrants...)rentre dans la catégorie des asservis, à savoir deceux qu'on traite « comme des bêtes », pouréconomiser de l'énergie à ceux qui détiennent lemonopole de la force. S'autoriser l'exploitationd'autrui, c'est prendre le risque de reconstruire leTitanic.

Ça veut dire pas du tout d'animaux de ferme ?

À chaque commune d'estimer sa capacité àcohabiter avec des animaux sur un mode de librecontribution. Je peux concevoir qu'on donne desépluchures à des poules dont on prélève quelquesœufs. Mais sitôt qu'il y a une clôture, une attentede retour sur investissement, on rentre dans lechamp d'un profit attendu. On met le pied dansl'engrenage. À chacun de rester vigilant.

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Et on la trouve où l'énergie alors ? Je croyaisque c'était le gros problème aujourd'hui, et tun'en parles pratiquement pas.

Parce que j'ai compris que tout recours à l'énergieavait un coût : un coût environnemental, un coût« d'exploitation », au sens littéral du terme, uncoût politique dès lors qu'on utilise des réseaux,nécessitant une organisation au loin, donc uneperte d'autonomie au près. La Terre ne disposepas d'assez de ressources minières pour fabriquermême une infime portion des panneaux solairesou éoliennes nécessaires à une substitution« verte » aux énergies fossiles. La meilleureénergie est bien celle qu'on n'utilise pas.

Bougies et bouses de vache alors ? Remarque :si plus personne ne les mange, ça ne manquerapas les bouses à ramasser !

Là encore, à chaque commune de faire ses choix,en examinant ses besoins réels (non projectifs),les ressources disponibles localement (un torrent,du soleil, du vent) et la complexité destechnologies. N'oublions pas que nos grands-parents vivaient sans électricité, sans eau couranteet sans voiture.

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Les tiens peut-être mais pas les miens !

Certes, mais ce n'est quand même pas si loin àl'échelle de l'humanité pour que cette perspectiveparaisse aberrante. Il ne s'agit pas de revenir ausilex, mais juste une centaine d'années en arrière.C'est ce qu'anticipent les modélisations surl'effondrement d'un point de vue du confort : unestabilisation autour de celui des années 20. 1920.Tout juste un siècle. Avec la bicyclette, lestramways, l'appareil photo, le gramophone, letéléphone, le cinématographe. Des technologiesintermédiaires, artisanales, mobilisableslocalement. Pas de chaînes de production au loin,mais un peu d'outillage et quelques bonsbricoleurs au près.

J'ai quand même du mal à voir en quoi cescommunes libres seront nos canots desauvetage...

Parce que je ne te l'ai pas dit ! En se multipliant,en entretenant des liens « significatifs » entreelles, elles recomposeront un nouveau tissusocial, en mesure d'amortir la chute et de prendrele relais quand le marché globalisé s'effondrera.De quoi se nourrir, se loger, se soigner, s'équiper.

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Au fond, c'est comme le municipalisme deBookchin, la démocratie générale deFotopoulos ou le mouvement des villes entransition de Rob Hopkins ? Il s'agit dereconstruire par en bas, commune parcommune ?

Avec une légère différence : le municipalismepropose d'investir les conseils municipaux. Or en20 ans (l'époque où Bookchin et Fotopoulosécrivaient) l'échelon municipal a perdu nombre deses prérogatives, gagné en contraintes et perdu enmoyens. La marge de manœuvre y est faible. Ilfaudrait un consensus très fort de la populationpour s'extraire du réglementaire et décider desexpérimentations communales « hors-normes ».

Pas impossible mais pas gagné.

Voilà. Du coup je crains qu'on perde beaucoup detemps et d'énergie à tenter la voie« institutionnelle » pour déboucher sur uneimpasse. C'est important d'investir les conseilsmunicipaux : c'est la bonne échelle pour diffuserdes actes culturels et promouvoir une culture ducommun plutôt que du profit : jardins et vergerspartagés, composts collectifs, plantation d'arbres,

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ateliers de réparation autogérés, espaces degratuité, etc. Tout ça favorise l'entraide et lesoutils conviviaux. Mais au-delà de ça (qui est loind'être rien), je ne crois pas qu'on puisse attendrebeaucoup plus des municipalités en tantqu'instances politiques déjà constituées.Stratégiquement, il me paraît donc plus judicieuxd'investir l'espace le plus libre qui soit, celui oùon peut avancer vite puisqu'il ne dépend que denos moyens propres : le non marchand, adossé àla propriété privée.

Hein ? Mais c'est une contradiction majeure !Tu n'as pas dit plus tôt que l'appropriation acausé l'effondrement qui vient ?

Si, et je le maintiens. Sauf que la propriété estdésormais généralisée à l'échelle de la planète. Ilreste très peu de terres non appropriées, et aucuneen France. Alors, évidemment, on peut rêverd'une révolution qui exproprierait la terre et larendrait au commun. Mais là encore, il faudrait unmouvement planétaire, sans quoi on risqued'assister à un écrasement du même ordre quecelui qu'ont connu les Républicains espagnols en1939. Aucune élite, de quelque bord qu'elle soit,

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n'encouragera jamais l'autonomie du peuple sielle doit conduire à son éviction.

Donc aucune élite n'encouragera jamaisl'autonomie du peuple...

Voilà. Et nul n'est à l'abri de devenir la nouvelleélite. Quand on dit que le pouvoir corrompt, c'estun euphémisme...

Et tu ne crois pas à un mouvementrévolutionnaire massif ?

Honnêtement ? Non. Si certains ont encore lafibre émancipatrice, c'est loin d'être une majoriténi même une minorité significative. De toutefaçon, je ne crois pas non plus que la révolutionsoit le meilleur moyen pour créer du commun :elle divise entre ceux qui perdent du pouvoir etceux qui en gagnent. Ceux à qui appartenait laterre (même si elle a été illégitimement acquisedes centaines d'années plus tôt) se sentironttoujours spoliés et ce sentiment de perte est àl'origine des pires tensions géopolitiques. La terrea été volée aux arbres, comme dirait ta sœur, maisce n'est pas en la reprenant qu'on règle leproblème.

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Comment alors ?

Dans le cadre actuel, un cadre pré-effondrement,c'est en l'acquérant. C'est la règle du jeu. Je nedoute pas que ce cadre disparaîtra sitôt que leprocessus d'effondrement aura abouti à ladisparition des institutions économiques etfinancières, garantes du profit. Mais nous n'ensommes pas là. C'est donc ce cadre qui s'appliquepour l'instant, puisqu'il est notre cadre commun,qu'on le trouve légitime ou non.

Je n'ai pas bien compris : tu veux acheter laterre c'est ça ?

Oui : reprendre la terre au marché spéculatif pourla gérer sous une forme authentiquement« commune ». C'est ce qui se passe en ce momentà Notre Dame des Landes : les terres libérées parl'État, après qu'il a renoncé à son projet d'aéroportsous la pression des zadistes, sont rachetées parun fond de dotation, géré collectivement, etexcluant tout retour à la propriété individuelle.C'est ce que font aussi les coopérativesd'habitants, en sortant du marché spéculatif desbiens qui à terme ne coûteront à leurs habitantsqu'une redevance d'usage. Baptiste Mylondo,

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avec son projet de « coopérative immobilière » àLyon, proposait de généraliser le principe enregroupant dans une même coopérative deslogements individuels distincts, afin de rendreaux usagers la maîtrise de l'habitat.

Du droit de propriété au droit d'usage.Le droit romain de propriété était formé de troisattributs : l'usus, droit d'user d'un bien, le fructus,droit d'en retirer les fruits, qui donnera l'usufruit,et l'abusus, droit de céder le bien ou même de ledétruire. L'usus a tendu au cours du temps à êtreabsorbé, et conditionné, par l'abusus.À l'heure du pillage par une minorité desressources de la planète et des biens communs,assorti d'une captation des droits de propriétésans usage (logements vacants, terres incultes,main basse sur les brevets innovants, etc.),rétablir la place de l'usage juste et responsable,face aux excès de l'abusus, mais aussi du fructus,paraît urgent pour préserver la ressource.Emmanuel Dockès, dans Voyage en misarchie,exprime ce principe de « responsabilité d’usage »avec la formule « qui use, acquiert ». User d'unbien doit conduire à une forme de propriétélégale indissociable d'une responsabilité de « bonusage » – ainsi, quand on a un enfant ou unanimal domestique, il ne s'agit pas de le posséderpour en tirer le maximum de profit mais biend'assumer son entière responsabilité en lui offrant

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la meilleure existence possible. Pas sûr que lapropriété reste aussi désirable présentée sous cejour !Renforcer l'usus permet la propriété provisoire,tournante, collective, ainsi que son transfertgratuit, l'acquisition d'un bien étant dissociée deson usage. Une propriété communalisée (E.F.Schumacher la qualifie de commonwealth :richesse commune) est une propriété où nul nepeut récupérer sa part du bien. Seul le droitd'usage peut se transférer.Sources: Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie.E.F. Schumacher, Small is beautiful.

Mais pourquoi acheter la terre ? Pourquoi nepas l'occuper tout simplement ?

Pour la même raison que toute révolution conduità une contre révolution réactionnaire : c'est tendrele bâton pour se faire battre. Notre société reposesur la maximisation du profit, que garantit lapropriété privée. Toutes les forces économiques,politiques, policières, judiciaires, se conjugueronttoujours pour garantir que ce droit de propriété nesoit pas « violé ». On l'a vu à Notre Dame desLandes avec le déploiement de blindés face àquelques dizaines de cultivateurs paisibles. Pourl'appareil d'État, c'est une question de principe.

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Tu as l'air de l'approuver.

J'en fais le constat : l'appropriation est lefondement de notre « incivilisation », et donc,logiquement, la propriété privée celle de notreConstitution. On peut lutter contre (ce qui risquede nous coûter cher) ou s'appuyer dessus.

Façon kung-fu : utiliser la force de l'adversairecontre lui.

T'as compris. Or de l'argent, il y en a : desmilliards dorment sur les comptes d'épargne desFrançais. Mobilisons ces sommes via desplateformes de financement participatif pouracheter autant de terres que possible,communaliser leur propriété, et en faire un usageresponsable. Une fois propriétaires, une fois« chez nous », l'État sera bien en mal de trouverun argument juridiquement défendable pours'ingérer, a fortiori si nous y développons desactivités non marchandes ou quasi nonmarchandes. Hors profit, dans un cadre familialélargi, ressortant du droit constitutionnel à jouirde son intimité, le contrôle étatique est hors radar.Profitons de cette friche, celle de l'économievernaculaire telle que la définit Ivan Illich.

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L'économie vernaculairePour la pensée économique dominante, larichesse résulte de la production de biens en vuede leur cession sur un marché. Ce n’est pourtantqu’une manière parmi d’autres de générer desusages – et sans doute pas la meilleure. L’usagepeut en effet se générer sans producteur niconsommateur, ni vendeur ou acquéreur, maispar une mise à disposition de temps, decompétences, d’outils, entre libres contributeurs,en dehors du recours ou de la référence à unmarché. C'est là l'économie « domestique » ou« de ménage » qu'Ivan Illich choisit de qualifierde vernaculaire afin de lui rendre sa dimensionintrinsèquement collective. Issu du code théodosien, le terme de vernaculairedésigne « la production sociale par opposition àla production économique, la génération devaleurs d’usage par opposition à la productionde marchandises, l’économie du ménage paropposition à l’économie du marché ». Est« vernaculaire tout ce qui était confectionné,tissé, élevé à la maison et destiné non à la ventemais à l'usage domestique ». Ce sont « lesactivités des gens lorsqu'ils ne sont pas motivéspar des pensées d’échange, un mot qualifiant lesactions autonomes, hors marché, au moyendesquelles les gens satisfont leurs besoinsquotidiens – actions échappant, par leur naturemême, au contrôle bureaucratique, satisfaisant

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des besoins auxquels, par ce processus même,elles donnent leur forme spécifique ».Le vernaculaire qualifie donc les activitéshumaines nécessaires (se nourrir, se loger, sesoigner, etc.) qui trouvent à s'exercer en dehorsdu cadre de l’échange. Cette économie estpremière dans toutes les sociétés traditionnelles.Nos ancêtres cultivaient leur potager, élevaientleur volaille, habitaient une ferme construite parleurs ancêtres, fabriquaient leurs meubles etvêtements, cueillaient leurs fruits, herbes etbaies. Le recours au marché était limité aux seulsbiens non générés par la famille proche ouétendue (voisins et amis). Le fait que cette économie ressorte de la sphèreprivée lui confère une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir étatique. Sources :

Ivan Illich, Le Travail fantôme, Le genre vernaculaire.Véronique Perriot, Gratuité, essai à transformer.

Le vernaculaire, c'est donc l'alternative autentaculaire !

Tout à fait. Comme la gratuité est l'alternative àl'instrumentalité.

Mais pourquoi acheter collectivement ? Ceserait pas plus simple d'acheter seuls, petiteparcelle par petite parcelle ?

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On ne pourrait, bien sûr, ou du moins ceux qui enont les moyens le pourraient. Mais outre que latentation de la rente reste forte (n'oublions pasque nous sommes des drogués), je crois que notreplus grande force, ce qui fondera notre résiliencedans les années à venir, reposera sur notreappartenance à un collectif soudé et diversifié.Mettre en commun son épargne est un acte fort, lepas de côté qui fait franchir le Rubicon entre leprojet personnel et le destin commun.

Sauf qu'il faut s'entendre. C'est déjà passimple une coloc à trois ou quatre, alorsacheter un terrain à trente !

C'est la plus grande difficulté : s'entendre. D'oùl'urgence d'apprendre à s'entendre – littéralement :apprendre à prêter l'oreille à la parole de l'autre eten tenir compte !

Quand même, il y a un truc que je comprendspas. Je vois bien comment on peut se préparerindividuellement, en se formant, en pratiquantla gouvernance partagée, en s'autonomisant,en s'entraidant, en ne dépendant plus d'unmarché au loin. Mais tout ça, ça reste des

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actions individuelles, à notre niveau. Etl'action collective alors ?

Le collectif commence avec des individus. Quandje te parle de communes libres, je te parle decollectifs de quelques dizaines à une centaine depersonnes. Ce sont des actions collectives. Maisqui partent d'en bas plutôt que d'en haut.

Mais tu ne crois pas qu'on devrait aussi agirpar en haut, à l'échelle d'une région, d'unpays, de la planète ? Agir au niveau macro :globalement ?

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4. Peut-on agir globalement ?

Elle a 21 ans, a voyagé, fait des études desciences politiques. Elle pense la société en tantque polis, cité, globalité.

Je veux bien imaginer des petites communesautonomes, maillées entre elles, fonctionnantprincipalement sur un mode non marchand.Sauf que c'est trop petit, trop lent, on n'a plusle temps que ça se mette en place, que ça seramifie. Il faut agir par en haut, et vite, donc àpartir des institutions existantes.

Certes. Mais crois-tu vraiment que la pressioncitoyenne puisse suffire à faire pencher la balanceface à la force de frappe des multinationales ?

Imaginons qu'elle le soit. Imaginons unmouvement populaire d'une ampleursuffisante pour mettre les gouvernements aupied du mur. N'y a-t-il pas des actions que ces

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gouvernements devraient mener en priorité ?Comme limiter l'hubris par exemple, enplafonnant les salaires ?

Bien sûr – sans perdre de vue que le salaire n'estqu'une part infime des hauts revenus... Mais tu asraison : les plus riches consomment dix à centfois plus de planètes que les plus pauvres. Les10% des Américains les plus riches consomment84,5 tonnes de CO2 par personne et par an contre0,1 tonne pour les 10% des Rwandais les pluspauvres.

Attends, je calcule : chacun consomme doncautant de ressources que 845 Rwandais ?

C'est ça.

S'il n'y avait que des pauvres sur Terre, nousn'en serions pas là.

Clairement. Alors oui, l'État devrait poser deslimites à l'hubris : plafonner les revenus, voire lepatrimoine (imagine le tollé!), interdire les jetsprivés, quads, yachts, voitures de course, naviresde croisière et autres « loisirs » qui opèrent uneprédation des ressources absolument obscènequand les réserves manquent. Cela a-t-il du sens

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de dilapider le pétrole restant sur des circuitsautomobiles ? Ou de poursuivre les vols etnavigations de plaisance ?

Ou de nuisance ? Prendre un avion pourpasser une semaine à Djerba ou aux Caraïbesc'est typiquement de l'hubris : cette semaineconsomme à elle seule un an de ressources.

Par contre, un étudiant qui part un an à l'autrebout du monde étudier, pourquoi pas ?

On pourrait instaurer un permis de voler, avecun nombre de miles limités.

Les miles se revendraient au marché noir !

Pour une fois, cette mesure avantagerait lespauvres : les miles dont ils n'auraient que fairevaudraient de l'or !

Les gouvernements pourraient aussi décider lasuppression immédiate des programmes militaireset spatiaux, dont sont issus les industriespétrochimiques et nucléaires. N'oublions pas queleur vocation première est le maintien par tempsde paix de technologies et d'équipements destinésà la guerre. Sans ce souci de « défensenationale », on serait plus prompts à mesurer

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l'exorbitant coût financier, social etenvironnemental de ces industries.

Plutôt que de vouloir en disposer « coûte quecoûte »...

C'est le cas de le dire !

Les fonds publics libérés pourraient alors êtreréorientés vers la transition énergétique, unetransition ciblée en fonction des besoinsprioritaires et des ressources disponibles.

Tout à fait. Mais plus urgent encore : ces fondsdevraient être consacrés au démantèlement descentrales et ogives nucléaires. Ce démantèlementrequiert une expertise, des technologies et deséquipements qui sont tout sauf vernaculaires pourle coup ! Ne pas s'en occuper dès à présent, c'estlaisser une bombe aux générations futures qu'ellesn'auront plus les capacités technologiques dedégoupiller – la plus grande mise en danger dessiècles à venir. Quand il n'y aura plus assez d'eaudans le Rhône pour refroidir les réacteurs, queferons-nous ?

Ça fait froid dans le dos.

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C'est le plus grand péril à mon sens. Et celui pourlequel la réquisition de l'appareil d'État, de tousles États nucléarisés, s'impose. Cette actiondevrait être la priorité de tout gouvernementresponsable.

Je préfère ne pas y penser.

Pourtant il faut y penser. Le peuple, tous lespeuples, devraient forcer leurs dirigeants àprendre leurs responsabilités. On est tous dans lamême galère face à ce péril. Ces programmesnucléaires, cette épée de Damoclès sur la vie surTerre, ont été décidés sans l'accord despopulations. C'est une prise en otage majeure quise joue depuis des décennies.

OK, dégoupiller la bombe nucléaire. Et puis ?Réquisition de l'armée pour reforestermassivement ?

Ah oui, j'en rêve !

Reste que tout ça, c'est encore interdire,limiter, réparer, démanteler. C'est nécessairemais ça fait pas rêver, ça ne donne pas de cap,ça me fane rien que d'y penser. On dirait uneliste de corvées. Y a pas une mesure qu'un

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gouvernement pourrait prendre pour changerla donne, « virer de bord, toute ! » commedirait Fred Vargas et qui nous ferait commeun phare dans la tempête ? Une mesure quinous donnerait envie de pagayer comme desmalades tous ensemble ?

Il y en a sans doute plusieurs, mais il y a une aumoins qui pourrait avoir un tel effet levier qu'ellepourrait à elle seule mobiliser tout le monde etrelocaliser l'économie assez vite pour assurer unfilet de subsistance pour tous quand le systèmeindustriel et marchand s'effondrera.

Raconte !

J'ai parlé tout à l'heure de restaurer une économievernaculaire, localisée, économe et résiliente. Il ya deux façons de générer son émergence : laméthode « autonome », via la mise en commun del'épargne pour racheter des terres et constituer descommunes libres autogouvernées. Cette méthodea le mérite de reposer sur nos seuls moyens etd'être donc immédiatement mobilisable. Parcontre, elle a l'inconvénient d'être longue à mettreen œuvre, précisément parce qu'elle supposel'émergence de collectifs et leur maillage.

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Pas sûr qu'elle puisse fabriquer des canots desauvetage pour tout le monde avant que leTitanic coule...

Pas sûr non.

Et l'autre méthode ?

Celle-là dépend d'une mesure que pourraitprendre un gouvernement : autoriser le versementà tous ses habitants par une collectivité localed'un revenu universel en monnaie locale.

Un revenu universel en monnaie localeUn revenu universel consiste en un identiquerevenu versé à chaque membre d'unecommunauté politique, quels que soient son âge,ses activités, ses revenus, ses compétences, sasituation de famille, préalablement à touteactivité, d’un montant « suffisant » pour couvrirses besoins vitaux et lui permettre de déployerlibrement des activités non dictées par lacontrainte marchande. Un authentique revenu universel, selon le MFRB(Mouvement français pour le revenu de base) etle BIEN (Basic income earth network) remplitconjointement 5 critères : il est universel (tout lemonde le touche), individuel (il est perçu à titrepersonnel), inconditionnel (sans condition deressource ou de contrepartie), cumulable (avec

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un salaire ou une retraite par exemple) et advitam (garanti de la naissance à la mort).Le revenu universel résout un grand nombre deproblématiques contemporaines insolubles sanslui : la rareté structurelle de l’emploi (du fait dela robotisation et de l'augmentation de laproductivité), la pauvreté, qu'il éradiqueimmédiatement, l’accompagnement deschangements de vie (reconversion, créationd'activité, etc.), le soin aux proches (enfants,malades, anciens...). En assurant un « revenu debase », il subventionne des activités socialementutiles mais non rentables car intensives en maind'œuvre : agriculture de qualité et de proximité,éco-construction artisanale, collecte, tri etréemploi des objets. Ce faisant, il accompagne latransition énergétique et écologique tout enanticipant la perte d'emploi de millions desalariés de secteurs appelés à évoluer oudisparaître : automobile, pétrochimie, nucléaire,élevage et agriculture intensifs, etc.L'allocation d'un revenu universel est simple etlisible dans le temps, contrairement à l'aidesociale rendue inefficace par sa complexité, lesdélais administratifs de versement, les effets deseuil et d’aubaine, conduisant à éviter toutereprise d'activité susceptible d'annuler ouréévaluer les droits existants. À l'inverse, laperspective garantie de toucher un revenu quellesque soient ses autres activités permet d'élaborerun projet de vie à long terme (relocalisation en

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zone rurale, formation, etc.) ou développer desactivités de nature à satisfaire directement sesbesoins d'usage.Bien des économistes ont prouvé qu’on pouvaitle financer, en mixant par exemple la fonte desallocations et aides à l'emploi existantes et unetaxe sur les transactions financières. Il présentecependant encore plus d'intérêt s'il est versé,partiellement ou totalement, en monnaie locale,c'est-à-dire par création monétaire pure àl'échelle d'une collectivité locale, où il sert alorsde levier financier à la relocalisation del'économie. Dans ce cas, il ne coûte rien àpersonne et nul ne peut s'estimer « perdant » dufait de sa mise en place. En n'excluant personne,il peut faire consensus, d'autant plus qu'il a undouble effet levier : l’argent injecté ne retournepas dans le marché spéculatif, alimentant unesurproduction mondialisée toxique (risque duversement d'un revenu universel en monnaienationale) mais génère au contraire uneéconomie résiliente de proximité – l'économievernaculaire.

Mais on a le droit de faire ça : créer unemonnaie à partir de rien ?

Pas pour l'instant en tout cas ! Toutemonnaie « locale », « complémentaire », « libre »,« citoyenne » ou « franche » doit être transférable

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en euros et correspondre à un dépôt équivalentdans une institution bancaire. Le code monétaireet financier exige également qu'elle circulestrictement entre les adhérents d'une mêmeassociation et qu'elle ne permette l'acquisition qued'une quantité restreinte de biens, en vertu d'unprincipe de « non concurrence » aux monnaiesnationales. Ce principe a conduit à l'annulationd'expérimentations telle celle de Wörgl au Tyrolen 1932, où la « monnaie miraculeuse » avaitpermis de faire reculer de 25% le chômage alorsque partout alentours il augmentait de 20%.

En gros, on a le droit de créer une monnaiecomplémentaire à condition qu'elle ne circulequ'entre militants et qu'il soit si contraignantde l'utiliser que ça décourage tout le monde ?

C'est un peu ça oui ! Et c'est pourquoi je te parlede créer un nouveau droit, ou plutôt de seréapproprier un droit : celui de battre monnaie viale crédit, droit dont les banques privées ontaujourd'hui le privilège – un comble !

Je ne comprends pas : comment le crédit crée-t-il de la monnaie ?

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Le système financier fonctionne désormais ainsi :95% des créations monétaires ne sortent pas de laplanche à billets des banques centrales mais del'octroi de crédits par les banques privées, quigénère, par la dette, la création d'une ligne decrédit équivalent. Quand tu empruntes, tu crées del'argent, quand tu le rembourses tu le détruis.

C'est dingue !

Mais vrai. Quand la récession menace, commeactuellement, les banques abaissent leur tauxdirecteur, ce qui encourage les particuliers etinstitutions à emprunter, injectant ainsi desliquidités dans le marché financier. Certainesbanques pratiquent même des taux négatifs, c'estdire à quel point on est au bord du gouffrefinancier ! En ce moment, les États, dont laFrance, empruntent massivement sur les marchésfinanciers à long terme, créant ainsi des milliardschaque jour.

Mais c'est de l'argent fictif !

Tout argent est fictif depuis l'abandon de l'étalon-or par les États-Unis en 1971. L'argent est un« fétiche ». Pour Alf Hornborg, il ressort de la« pensée magique ». Il n'a pas de substance

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propre ou de pouvoir d'agir sauf à travers « lesidées que les gens ont de lui ». C'est pour ça, dit-il, que c'est « l'outil idéal pour contrôler lesgens ». Pourquoi laisser aux banques privées lemonopole de la fiction monétaire ? Pourquoi leurlaisser le contrôle de cette « baguette magique » ?Je propose donc qu'à l'échelle d'un bassin de vieon puisse créer de toutes pièces...

C'est le cas de le dire!

...une monnaie locale non convertible en euros outoute autre monnaie nationale.

Juste pour être sûre d'avoir bien compris : tuproposes que l'État octroie aux collectivitéslocales le droit de créer, pour leur usagepropre, une monnaie locale non convertible enmonnaie nationale, et que cette monnaie soitcréée via le versement d'un revenu universel àtous ses résidents, c'est ça ?

C'est exactement ça. On ne demande pas à l'Étatde mettre en place quoi que ce soit, justed'autoriser les collectivités locales à faire usagede cet outil. Point barre. Ça prend un paragraphedans un texte de loi : « Par exception au codemonétaire et financier, les collectivités locales

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sont habilitées à créer en tant que de besoin, surleur territoire et à destination de leurs habitants,une monnaie locale non convertible en monnaienationale ».

L'État s'occupe d'autoriser et nous de lemettre en œuvre ! Génial.

Cette seule mesure pourrait changer la donne.

Mais franchement : tu crois que l'État setirerait une telle balle dans le pied ?

Ce serait l'occasion ou jamais de voir s'il est auservice de la société civile ou des SociétésAnonymes... et le cas échéant, le moment oùjamais pour la société civile de faire entendre sesvoix... Une monnaie au service des citoyens et del'économie locale, comment pourrait-il justifier des'opposer à ça ?

C'est sûr... mais tout de même, créer unemonnaie, c'est pas si simple. Par exemple, s'il yen a qui s'amusent à copier les billets ?

Qu'importe : c'est de la monnaie de singe de toutefaçon. La fonction de la monnaie est d'étendre lechamp de circulation des biens, pas d'êtreaccumulée à des fins de pouvoir et d'hubris. Ce

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qui compte n'est pas la valeur faciale de lamonnaie mais le fait qu'il y ait des biens etservices à échanger. L'argent « dupliqué » neservirait à rien, puisqu'il y a forcément une limiteaux biens et services à acquérir localement. S'il ya trop d'argent en circulation par rapport auxbiens disponibles, l'argent se dévaluera et il nevaudra plus rien en tant que tel – tant mieux ! Ilsferaient donc mieux de se préoccuper de générerdes biens et services à échanger plutôt que demultiplier des billets.

C'est pas un peu contraire à « l'esprit degratuité » tout ça ?

Plus complémentaire que contraire. Le marché ason utilité, à condition de le contenir à sa justeplace. C'est un pharmakon, comme unmédicament : il aide à petites doses, il tue à plusgrosses. La monnaie locale est un bon outil pourle réguler. Qu'importe ce qu'elle vaut tant que desbiens et services sont générés. D'ailleurs, je fais lepari qu'on se rendra vite compte que la monnaieest un outil dont on pourrait tout aussi bien sepasser : est-il besoin d'échanger bien contre bien,service contre service ? Ne peut-on pas juste

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s'entraider ? Partager ? Sans compter ? Et faireconfiance que la circulation entre tous est sourced'abondance pour tous ?

Pas sûre que ce soit pour tout de suite !

D'où l'intérêt d'un revenu universel versé enmonnaie locale : ça permet de « désacraliser » lamonnaie, de se rendre compte qu'elle n'est qu'unechimère à laquelle on croit et qui a le mérite denous mettre en mouvement et en relation. Cecidit, je suis d'accord avec toi : nous avons ététellement imprégnés de cette religion du profitque nous ne sommes pas encore prêts à acter lamort du Dieu Argent. Un monde sans argentparaît à beaucoup impensable.

Alors que les hommes ont vécu des dizaines demilliers d'années sans outil monétaire...

Et sans doute même sans notion d'échange.

N'empêche, j'ai du mal à voir concrètementcomment ça pourrait marcher.

Imagine : on te verse tous les mois jusqu'à ta mort1000 « eureux », déposés directement sur toncompte au crédit municipal ou intercommunal. Tu

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ne peux les dépenser qu'auprès des producteurs,artisans et commerçants locaux qui les acceptent.

Pourquoi les accepteraient-ils ?

Parce qu'eux-mêmes peuvent les écouler auprèsd'autres producteurs, artisans et commerçantslocaux.

Mais on voit bien avec les monnaies localescitoyennes que ça ne prend pas.

Parce qu'il faut échanger des euros et qu'on auraitpu tout aussi bien payer en euros. Là, il s'agitd'« eureux » non convertibles, des millionsd'argent « neuf » injectés chaque mois dans unbassin de vie.

Des millions ?

Fais le calcul : 1000 « eureux » par personne surun bassin de 10000 habitants, ça fait 10 millionspar mois. 100 millions sur un bassin de 100000habitants. Cet argent n'existe pas en euros, justeen « eureux ». Et ces « eureux » ne peuvent teservir que s'il y a des artisans, des commerçants,des producteurs, qui les acceptent, parce qu'euxmêmes savent qu'ils pourront couper leurscheveux, acheter leur pain ou louer un studio

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avec. Tu ne crois pas que les habitants semettraient rapidement à créer des activitésartisanales, commerciales, agricoles, de service,assurés de cette manne des « eureux », nonsoumise à délocalisation, crise financière oueffondrement ?

À t'entendre, c'est magique.

Parce que ça l'est ! La création monétaire est unoutil magique entre de bonnes mains. Comme unebaguette : l'outil est le même, qu'il soit tenu parune bonne fée ou un vilain sorcier. Franchement,face aux heures sombres qui s'annoncent, je nevois que cette garantie de ressources pour touspour relocaliser rapidement l'économie. Commele dit Hornborg : « Que notre priorité soit d'éviterune crise financière globale ou un changement declimat catastrophique, nous allons devoirrepenser fondamentalement l'utilisation de lamonnaie ». En plus, un tel revenu garantisécurisera à long terme les populations les plusfragiles, en leur donnant les moyens de seconstruire une vie digne hors cadre marchand,plutôt que de chercher des boucs émissaires pourévacuer leurs peurs de manquer.

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Tu veux dire qu'il serait un contrefeu auxtentations de repli et de haine ?

Absolument.

C'est une bonne idée, mais encore une fois c'estune idée que tu mets en œuvre au niveau local :une commune, une communauté decommunes. Ça a un côté Astérix et son villagegaulois. Des villages se donnent leurs propreslois, battent leur propre monnaie. Et l'Étatdans tout ça ?

L'État quoi ?

L'État n'a donc aucun rôle à jouer ?

À part autoriser l'économie locale ?

Oui, à part ça.

J'ai envie de te demander : quel est le besoind'État dans un monde effondré ? Si nous sommesautonomes pour assurer nos besoins essentiels,avec un recours minimal au marché, lequel seraessentiellement un marché de proximité, avecd'autres communes alliées, en quoi aurons-nousbesoin d'un État central si tant est qu'il y aitencore un État à l'avenir ?

Tu crois que l'État va s'effondrer ?

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Je crois que l'État, tel que nous le connaissons, àsavoir le bras armé et réglementaire desmultinationales, va disparaître avec elles oui.

Tu ne peux quand même pas réduire l'État àça !

C'est pourtant ce qu'il est devenu. Tu connais monparcours : j'ai observé, de l'intérieur, tous leséchelons de l'État : en tant que fonctionnaire, entant qu'élue locale, en temps que chargée demission pour les collectivités territoriales, en tantqu'attachée parlementaire. L'État a été gangrénépar les multinationales. Une loi qui leurdisconviendrait, quand bien même elle seraitvotée (une gageure avec la force de frappe dulobbying !), ne serait jamais appliquée. Soit que leConseil Constitutionnel invaliderait lesamendements contraires au droit de propriété(droit supérieur à l'impératif de préservation del'environnement, qui ne figure même pas dans laConstitution), soit que les décrets d'application neseraient jamais rédigés par le fonctionnaire censéle faire, placé par les multinationales et désormaisinamovible. Combien de lois votées ne sontjamais appliquées ? Observe le parcours privé,

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préalable à leur nomination, des fonctionnairesdes ministères mais aussi des ministres. Lesintérêts marchands occupent les postes clef dupouvoir. Et même s'ils ne le faisaient pas, la loiest de toute façon trop lente à s'écrire :l'innovation technologique et commerciale ladouble de vitesse. Soyons lucides : la loi estdépassée ou lettre morte. Or un État qui n'est plusen mesure d'édicter des lois et de les fairerespecter n'a de républicain que l'apparence.

Tu veux dire que l'État est une marionnetteaux mains des marchands ?

Ils le financent, donc le tiennent.

Et si la finance s'effondre ?

Alors l'État disparaît avec. L'État, c'est d'abord uncorps d'agents, tenus par leurs salaires. Sansargent, plus d'agents – de police, de justice, decontrôle.

Mais l'État ce sont aussi des écoles, deshôpitaux, des routes.

C'est marrant, les trois exemples que tu cites, etque tout le monde tend à citer, sont précisémentceux sur lesquels Ivan Illich a fondé sa théorie

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des monopoles radicaux. Il a montré, dès lesannées 70, que l'école abrutit plus qu'ellen'éduque, que le système de santé rend malade etque les routes ralentissent – sauf pour la minoritéayant accès aux grandes écoles, aux hôpitauxprivés et aux avions et jets privés.

Tu exagères !

Pas tant que ça hélas. On y vient, y compris de cecôté-ci de l'Atlantique... Et puis les routes, lesécoles, les hôpitaux, tu ne crois pas que noscommunes libres ou groupements de communeslibres pourront s'en occuper directement ?

Tu rêves ?

Non. Je te parle d'un contexte où l'effondrement aconduit à la disparition des institutions étatiques,ce qui semblait t'inquiéter. Les routes, on peut lesfabriquer nous-mêmes, surtout qu'il n'y aura plusde bitume et sans doute plus de véhiculesthermiques. Autant dire qu'on n'aura plus du toutles mêmes besoins et capacités de déplacement.

Ça c'est dommage. J'aime bien voyager.

Depuis la Préhistoire les hommes voyagent. Ilsn'ont pas besoin d'avions pour ça. Ils ont besoin

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de temps. Les chemins, ça a toujours existé. Et lespieds y a pas plus low tech.

Mettons pour les routes. Mais les écoles ?

L'École, comme l'État, est un outil perverti. À uneépoque, l'École a pu contribuer à l'émancipationdes enfants face à la religion et aux traditions.Elle ne le fait plus depuis longtemps : elleparticipe désormais à la reproduction des classeset à la fabrication de travailleurs dociles. Onconfond l'attachement à l'éducation ou le légitimerespect pour le travail des enseignants avec laforme institutionnalisée d'une École qui vise àpréparer les enfants à rentrer sur le marché dutravail. Et puis : a-t-on besoin de l'État pourapprendre ? Où apprends-tu le plus aujourd'hui ?

Sur internet.

Pas à la fac ?

Si on avait le même temps pour lire des livresou regarder des vidéos, on saurait cent foisplus de choses.

Qui ne vous serviraient pas à grand chosed'ailleurs, vu que c'est d'expériences et de savoirfaire de terrain dont vous aurez besoin ! Faisons

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confiance à la vie pour nous enseigner. De mêmepour la santé. Les malades prisent de plus en plusles médecines alternatives, pourtant nonremboursées. C'est bien qu'ils ont constaté que lamédecine conventionnelle, pilotée en sous-mainpar les lobbies pharmaceutiques, s'occupe certesde leurs maladies, mais pas si bien de leur santé.

Mais quand même : ça veut dire qu'on n'aurapas le même programme scolaire ou la mêmequalité de soins selon l'endroit ?

Mais c'est déjà le cas ! Tu n'as pas le mêmeenseignement en banlieue ou dans un quartierhuppé. Ceci dit, tu as raison : ça veut bien direqu'on renonce à standardiser la santé etl'éducation. Chaque commune ou groupement decommune s'organisera en fonction de ses moyens,de ses besoins et de sa sensibilité propre. Il y aurades disparités. Et c'est bien. On connaît lesdangers de la pensée unique !

A t'entendre, c'est tout bénef ! Moi, ça me faitl'impression de revenir au Moyen-âge...

Avec une différence de taille : l'individuation,l'autodétermination. Un Moyen-âge peut-être,mais un Moyen-âge sans serf ni seigneurs, sans

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Inquisition, sans pillage des récoltes par lesnobles et le clergé, provoquant famines etépidémies. Au lieu de faire du passé unrepoussoir pour justifier les errements du présent,allons voir plutôt du côté des sociétés sans Étattelles que les dévoile l'anthropologie : ce sont dessociétés égalitaires, où le mot « travail » estinconnu, où on s'active pour assurer ses besoinsvitaux en moyenne trois heures par jour, et où l'onvit sans argent ni marché mais avec un sentimentd'abondance.

D'abondance ? T'exagères pas un peu ?

Ce n'est pas moi qui le dit, mais Marshall Sahlinsdans Âge de pierre, âge d'abondance. Dans cessociétés premières, souvent nomades ou semi-nomades, la pénurie n'est pas organisée par unefaction pour assurer sa domination sur la masse. Ilparle d'abondance au sens où personne ne manquede rien d'essentiel. Ça ne veut pas dire qu'onripaille à tous les repas. D'autres auteurs,anthropologues ou historiens, comme Scott,Harari ou Graeber, font le même constat. Desvoix s'élèvent pour inviter à la « frugalité », à la« simplicité volontaire », à la « sobriété

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heureuse ». On peut vivre mieux en vivant plussimplement, s'alléger d'énormément d'objets et dedésirs qui nous abrutissent, et retrouver dans lelien social, dans l'œuvre collective, dansl'initiative individuelle, un sens, une vitalité, quinous faisaient défaut.

Et la sécurité alors ? On n'en a pas parlé. Plusde police, plus d'armée, qu'est-ce qu'on faitface à des agresseurs ?

Quels agresseurs ?

Des bandes affamées.

D'abord, arrêtons de fantasmer l'ennemi.L'homme n'est pas un loup pour l'homme.Comme toute espèce, son premier ressort est lasolidarité et l'entraide. Ensuite, notre plus grandeforce, c'est d'appartenir à un groupe soudé, detaille suffisante – à accueillir l'autre, lui offrir untoit, un repas. Le plus vite nous restaurons cetteculture de l'hospitalité, de l'entraide, del'interdépendance (l'in-terre-dépendance commel'écrit Pablo Servigne), le plus vite nous revenonsà nos fondamentaux d'humains, le plus de terrainnous gagnons face à ceux qui activent la peur et lahaine en fabriquant des boucs émissaires.

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On dirait qu'ils progressent partout en cemoment.

Précisément parce qu'on n'active pas la cultureantidote : celle de l'entraide. Quels sont les filmsqui la montrent sur grand écran ? La catastrophedans sa version survivaliste est infiniment plusvendeuse, plus « marchande », car plus conformeau paradigme psychologique de notre société oùl'autre est soit un concurrent, soit une proie. D'oùl'intérêt de l'anthropologie, encore une fois : ellemontre comment ça s'est passé avant la pandémiemarchande ou dans les zones ayant échappé àl'emprise de l'État et du marché mondialisé.

A t'entendre, on croirait que l'effondrementest une panacée !

En tout cas un moyen de revenir à une sociétéplus humaine. Puisque nous sommes incapablesde nous réfréner, les circonstances extérieuresnous y contraignent. Alors oui, d'une certainefaçon, l'effondrement est une perche tendue pourne pas aboutir aux dystopies décrites pas lecinéma ou la littérature : des sociétésd'exploitation généralisée, où l'homme s'esttransformé en machine afin d'accroître ses

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performances et demeurer « compétitif ». Cetavenir-là est encore plus effrayant qu'un avenir« effondré ». Dans ces univers techno-bureaucratiques, l'humain, en tant qu'esprit libreet créateur et corps aimant, n'a plus de place.

Certes. Mais l'effondrement comporte quandmême des risques énormes !

C'est incontestable. Des risques auxquels l'espècehumaine n'a jamais été confrontée. Tout estpossible, le meilleur comme le pire. Noussommes face à une responsabilité colossale,individuellement et collectivement : laisseradvenir le pire, pour nous, et pour toutes lesformes du vivant, ou œuvrer pour faire de ce défiune opportunité de virer de cap et construire unmeilleur avenir. L'effondrement, ce n'est pas unepanacée, c'est un fait. La question, c'est : quefaisons-nous de ce fait ? Comment nous ensaisissons-nous ? Comment transformons-nouscette bombe en détonateur de notre action ?Comment utilisons-nous sa gravité, son urgence,pour nous obliger, enfin, tous ensemble, parceque nous n'avons plus d'autre choix, et surtout pas

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celui d'attendre qu'une autre génération le fasse, àconstruire un monde meilleur ?

Tu crois donc vraiment qu'au milieu de tout çail y a quand même un avenir possible ?

Et désirable même, plus désirable que celui quivous aurait attendu tes sœurs et toi dans unecivilisation du profit, avec un marché de l'emploimondialisé, où vous seriez devenues vous-mêmeune marchandise : un ventre à gestation, unminois à marchander sur Meetic, une intelligencelouée aux multinationales pour concevoir l'ultimemachine à exploiter la vie. Bien sûr, il n'y auraplus de piscine chlorée, plus de week-end à Romeet sans doute plus de réseaux sociaux.

Plus de réseaux sociaux ?

En ligne. Mais il y aura plein de réseaux sociaux,en vrai. A vous de voir lesquels auront votrepréférence.

On n'aura pas le choix de toute façon !

Sans doute pas, c'est vrai. Mais crois-moi, lesréseaux sociaux pour de vrai, ça a du bon. Onpeut danser avec ses amis, faire des câlins à ses

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proches. C'est quand même difficile de faire lafête et des bébés sur Instagram ?

Moque-toi !

J'essaie juste de te montrer que c'est loin d'êtretriste. Même si c'est inquiétant, même s'il y a desrisques énormes, il y a aussi une vraie possibilitéque le meilleur soit à venir...

À t'entendre, on en viendrait presque à penserqu'une seule chose serait pire quel'effondrement : c'est qu'il n'ait pas lieu !

Sauf qu'il aura lieu, il a déjà lieu. Dans tous lescas il faudra faire avec. Mais c'est vrai qu'on peutaussi le voir comme une opportunité de nousinterroger enfin sérieusement sur la finalité denotre civilisation, de nous demander si nousvoulons de cette fuite en avant qui nous précipitevers le mur ou si un changement de cap,nécessaire à notre survie physique, n'est pas aussihautement souhaitable pour notre survie en tantqu'humain digne de ce nom.

En tout cas, clairement il nous oblige à nousposer vraiment la question. On le sait depuisau moins cinquante ans que ce modèle de

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développement va à sa perte. Pourtant rien n'aété fait.

Parce qu'il est très difficile de changer deshabitudes, de « renoncer » à des éléments deconfort, tant qu'on n'y est pas contraints.

D'une certaine façon, l'effondrement, c'est lacontrainte extérieure avec laquelle on ne peutplus négocier, qu'on ne peut plus repousser, etqui nous oblige à agir.

Oui. On vit depuis des siècles avec le mythe d'une« nouvelle frontière ». Là, il n'y a plus denouvelle frontière – même s'il y en a encore pourrêver d'une planète B ! On a atteint la limite. Onn'a pas su s'en donner nous-mêmes, alors notrematrice, la Terre, nous la pose, nous l'impose.L'effondrement, c'est la limite intransgressible.Nos actes ont des conséquences et il nousappartient d'en assumer la responsabilité.Pleinement. Maintenant.

Faire face à l'effondrement c'est donc faire deschoix de vie.

Bien dit. J'irais même plus loin : c'est faire lechoix de la vie.

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Et tout reste possible. À condition de s'ymettre.

Ça, c'est sûr : ça ne se fera pas sans nous.

24 septembre 2019

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Un grand merci...

… à Christophe, Claire, Emma, Jacques, Lise,Mary-Line, Mathilde et Sylvie, pour leur lectureattentive et critique aux différents stades del'élaboration de cet ouvrage.

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Sources citées et choisies

Livres et articles

BARRAU, Aurélien, Le plus grand défi de l'histoire del'humanité, Michel Lafon, 2019.

BIHOUIX Philippe, L'âge des low tech, vers unecivilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014.

BOSQUÉ Frédéric, Les monnaies citoyennes, faites devotre monnaie un bulletin de vote !, Yves Michel, 2014.

DOCKÈS Emmanuel, Voyage en misarchie, Essai pourtout reconstruire, Éditions du Détour, 2017.

DURAND FOLCO Jonathan, À nous la ville ! Traité demunicipalisme, Écosociété Eds, 2017.

FOTOPOULOS Takis, Vers une démocratie générale, unedémocratie directe, économique, écologique et sociale,Seuil, 1997.

GANCILLE Jean-Marc, Ne plus se mentir, Petit défi delucidité par temps d'effondrement écologique, Rue del'échiquier, 2019.

GRAEBER David, Dette, 5000 ans d'histoire, Actes Sud,2016.

HARARI Yuval NoahSapiens, une brève histoire de l'humanité, AlbinMichel, 2015.

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Homo Deus, Une brève histoire de l'avenir, AlbinMichel, 2017.21 leçons pour le XXIe siècle, Albin Michel, 2018.

HEGLAND Jean, Dans la forêt, Gallmeister, 2018.

HOPKINS Rob, Manuel de transition, de la dépendanceau pétrole à la résilience locale, Écosociété Eds, 2010.

HORNBORG Alf, Global magic, Technologies ofappropriation from Ancient Rome to Wall Street,Palgrave Macmillan, 2016.

ILLICH IvanLa convivialité, Seuil, 1973.Le travail fantôme, Seuil, 1981.Le genre vernaculaire, Seuil, 1983.avec David Cayley : La corruption du meilleurengendre le pire, Actes Sud, 2007.

MOULIER BONTANG Yann, L’abeille et l’économiste,Carnets Nord, 2010.

PERRIOT Véronique Gratuité, essai à transformer, L'Ouvrage, 2018.Trop de viande !, Les Zindignés n°2, avril 2012,éditions Golias.

SAHLINS Marshall, Âge de pierre, âge d'abondance,Gallimard, 1976.

SCHUMACHER E.F., Small is beautiful - une société à lamesure de l'homme, Seuil, 1973.

SCOTT James C., Homo domesticus, La Découverte,2019.

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SERVIGNE Pabloavec Gauthier Chapelle, L’entraide, l’autre loi de lajungle, Les Liens qui Libèrent, 2017.avec Raphaël Stevens, Comment tout peuts'effondrer, Seuil 2015.

VARGAS Fred, L'humanité en péril, virons de bord,toute !, Flammarion 2019.

Films documentaires

EGGER Urs, La monnaie miraculeuse, 2018.

STEVENS Fischer, Avant le déluge, 2016.

VIALLET Jean-Robert, L'homme a mangé la Terre, 2019.

WENDERS Wim, Le sel de la Terre, 2014.

Vidéos

« Partager, c'est sympa » (Vincent VERZAT) :Effondrement, 4/9/19 :

https://www.youtube.com/watch?v=tH5EMxQbrQg

LATOUR Bruno, Où atterrir? Comment s'orienter enpolitique, 27/11/2017:

https://www.youtube.com/watch?v=IIltiQWncN4&fbclid=IwAR33taP6bMYQjhcEYgJntxOi9dkib2S_JxkUc-h-xKUp8PDODOLVcTOuJxQ

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Sites

Habitat léger

Hameaux légers :https://www.hameaux-legers.org/

Maisons nomades (Yves Desarzens):https://www.maisonsnomades.net/

Tera (projet expérimental de construction d'un éco-village) : http://www.tera.coop/

Revenu universel

MFRB (Mouvement français pour le revenu de base) :https://www.revenudebase.info/

BIEN (Basic income earth network) :https://basicincome.org/

Échange de travail volontaire

Helpx (tous types d'aide): https://www.helpx.net

WWOOF France (dans des fermes biologiques en France): https://www.wwoof.fr

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Imprimé par Europrim à Grenoblepour le compte du collectif L'Ouvrage

Dépôt légal octobre 2019

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