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4 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
Antoine Cavigneaux
Le monstre du troisième acte dansla ‹Lamentation sur Uruk›*
Abstract: After a fresh reconstruction and translation of the so called “Lament over Uruk”, we focus on the monster evo-
ked in the third kirugu and ask if it is possible to match him with iconographic representations. The answer is negative.
Les ‹lamentations sur les cités› (city laments) sumériennes
sont au sens large des compositions liturgiques mêlant
l’historique et l’imaginaire sur un mode dramatique ou
pathétique. Les Mésopotamiens du IIème millénaire, même
s’ils avaient une idée assez vague des événements réels ou
mythiques évoqués, les comprenaient et les ressentaient
aussi intensément que nous comprenons et ressentons
ceux d’une tragédie classique, disons Antigone, Egmont
ou Guillaume Tell. Notre regard à nous qui essayons de les
lire aujourd’hui est doublement dévié, d’abord à cause du
statut historique de ces œuvres (leur style est si allusif que
nous ne comprenons clairement ni les événements évo-
qués ni les circonstances de la création et de la récitation),
mais surtout à cause de leur statut littéraire: nous y voy-
ons des textes littéraires, alors que pour les Mésopota-
miens c’étaient des textes cérémoniels, vécus et ressentis
d’abord collectivement, peut-être aussi individuellement,
mais secondairement, de manière indirecte, par la trans-
mission scolaire, la mémoire, l’imagination ou même la
lecture.1
* Abréviations: EG = Emegir; ES = Emesal (pour préciser dans quel
dialecte sumérien un passage est composé ou récité); LE = Lamenta-
tion sur Eridu; LN = Lamentation sur Nippur; LSU = Lamentation sur
Sumer et Ur; LU = Lamentation sur Ur; LW = Lamentation sur Uruk
(Warka). Très utiles, les traductions commentées de LN et LSU par
P. Attinger sont accessibles sur le site électronique de l’université de
Berne. Ce travail a pu être accompli grâce à une bourse accordée par
la Deutsche Forschungsgemeinschaft pour un séjour au Lichtenberg-
Kolleg de l’université Georg-August, Göttingen, durant l’hiver et le
printemps 2012.
1 Y. Rosengarten imaginait (dernièrement dans: Aspects de la pen-
sée religieuse sumérienne [Paris 1971] 39–132) une sorte de représen-
tation théâtrale pour LU. Cette voie de recherche n’a pas que je sache
été systématiquement suivie. Le rituel de Mari axé sur le balag
Uru’amma’irabi montre aussi bien l’importance du rituel par rapport
au texte que son imprédictibilité. La critique interne peut parfois
dans une certaine mesure pallier l’absence du rituel. Cette méthode
est applicable aussi aux balag; voir A. Löhnert, «Wie die Sonne tritt
heraus». Eine Klage zum Auszug Enlils mit einer Untersuchung zu
Komposition und Tradition sumerischer Klagelieder in altbabyloni-
scher Zeit. AOAT 365 (Münster 2009) 166–172.
Certaines – sinon toutes – furent composées pour une
occasion précise. Chacune est une composition originale,
avec un caractère littéraire et liturgique propre. La ‹La-
mentation sur Uruk›,2 heureusement conservée par la tra-
dition scolaire, partage certains de ses thèmes avec les au-
tres city laments, mais si j’en saisis bien le sens, elle ne
mérite guère le titre de ‹lamentation› que nous lui don-
nons par habitude; elle se distingue par un recadrage my-
thique original de la situation historique d’alors et par une
mise en scène baroque et presque fantastique, d’événe-
ments grandioses ou monstrueux, même si, par le sujet, le
style et l’ampleur de la vision elle n’atteint pas la grandeur
de LSU.3 Bien que ma reconstitution reste encore incer-
taine, je donne d’abord, sans entrer dans tous les détails
philologiques et en abrégeant un peu, une traduction
peut-être trop libre, mais aussi claire que possible, pour
donner une idée de la structure et du caractère littéraire
de cette œuvre. J’insisterai sur le passage qui a motivé
d’abord mon intérêt: l’évocation, au IIIème kirugu, d’un
monstre en des termes qui m’ont rappelé les images des
animaux fabuleux si bien élucidées par U. Seidl (ZA 88
[1998] 100–113), avec qui j’avais amorcé naguère un dia-
logue à ce sujet et à qui je dédie cet essai.
2 M.W. Green, The Uruk Lament, JAOS 104 (1984) 253–279.
3 H. Vanstiphout donne une généalogie du genre assez convain-
cante (H. Vanstiphout, Some thoughts on genre in Mesopotamian
literature, in: K. Hecker/W. Sommerfeld [ed.], Keilschriftliche Litera-
turen. Ausgewählte Vorträge der 32. RAI. BBVO 6 [Berlin 1986] 7–9).
Voir aussi sur le problème de ce genre littéraire les réflexions de
S. Tinney, The Nippur Lament. Royal rhetoric and divine legitimation
in the reign of Isme-Dagan of Isin (1953–1935 B.C.) (Philadelphia
1996) 11–53.
DOI 10.1515/za-2013-0003 Zeitschrift für Assyriologie 2013; 103(1): 4–15
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 5
Le titre
Parmi les ‹lamentations› qui sont citées en série dans les
catalogues P 32–37 et L 26–28,4 la ‹Lamentation sur Uruk› a
toutes les chances d’être e r i m e - z i - d a , incipit qui com-
plète bien – aussi bien pour le sens que pour la longueur –
la lacune de la première ligne du texte A.5
4 Les sigles des catalogues sont ceux qu’utilise Tinney dans son ou-
vrage récent (Tinney, The Nippur Lament, 22). Quelle que soit la na-
ture de ces catalogues et la motivation immédiate de leur rédaction
(voir P. Delnero, Sumerian literary catalogues and the scribal curricu-
lum, ZA 100 [2010] 32–55), il me semble raisonnable d’admettre qu’en
gros ils reflètent l’intérêt académique et littéraire des cercles de
culture paléo-babyloniens. Ce n’est sans doute pas un hasard si ces
quatre œuvres groupées dans ces deux catalogues sont aussi littérai-
rement les plus beaux exemplaires qui aient subsisté du genre ‹la-
mentation›, pour autant que nous le connaissions. La Lamentation
sur Eridu (dans la version de Nippur) est vraisemblablement soit u 4
3 u s k i - e n - g i - r a , soit u 4 3 u s a n - ú r - r a , comme le suggère
déjà M. W. Green, The Eridu Lament, JCS 30 (1978) 128. La ‹version
d’Ur› UET 6/2, 142 (Green, JCS 30, 158–161) peut bien dépendre de celle
de Nippur pour certains passages, mais c’est clairement une autre
œuvre, dont la thématique est moins la destruction brutale que la
disparition de l’eau à Eridu. Le texte commence en effet ainsi:
«La ville des sublimes normes, qui se reflétait dans l’eau, elle a dis-
paru avec l’eau …,
On marche sur ses (anciens) marais, les épineux de la steppe [y pous-
sent],
La délicieuse barque, le ‹Bouquetin de l’Abzu›, a disparu avec l’eau …
les carpes (la cabine?) …
Sirsir, le dieu de garde et les bateliers …».
‹Elle a disparu avec l’eau› rend librement ‹l’eau l’a emportée› (a - e
b a - d a - a b - r i ). L’ennemi destructeur – qu’il soit concrètement res-
ponsable de cet assèchement catastrophique ou, ce qui est plus vrai-
semblable, qu’il le représente symboliquement – n’apparaît qu’après
cette évocation. Par ailleurs, au premier regard jeté sur la tablette
d’Ur telle qu’elle est copiée par Gadd, on observe des espaces vides
qui séparent les sections. Le texte doit donc être abrégé. Il pourrait
s’agir de notes servant d’aide-mémoire pour une liturgie. On croit du
coup saisir de manière très concrète un aspect du processus créatif de
transition entre les œuvres marquées historiquement et figées par la
tradition (dont les grands modèles sont la Malédiction d’Akkad et
LSU) et les ‹lamentations liturgiques› (b a l a g ). Sur le plan littéraire
et émotionnel on passe aussi d’un mode plutôt narratif et hymnique à
un mode plutôt lyrique (avec des motifs comparables aux at˙lal de la
poésie arabe) et hymnique. Par là je n’entends nullement une anté-
riorité du genre ‹city lament› sur le genre balag, bien au contraire,
mais une influence réciproque de modes de composition différant se-
lon les contextes, l’un plutôt religieux et liturgique, l’autre tout aussi
liturgique, mais en outre plus ou moins lourdement politique.
5 Je restituerais donc la première ligne e r i m e z i - d a g a r - r a - r e
s u - l u 3 - b i …
Établissement du texte
Le texte établi par Green ne peut encore être complété
substantiellement. Quelques passages viennent aujourd’hui
combler certaines lacunes du texte, mais ils sont difficiles
à situer avec précision, faute de recoupement entre les
fragments et faute d’indications précises sur les dimen-
sions présumées des tablettes à plusieurs colonnes.6 Sans
attendre un examen des originaux (que j’espère encore
pouvoir réaliser), on peut déjà énoncer les propositions
suivantes:
1) D+F: les témoins D et F sont certainement jointifs.7
2) UET 6/3, 517 (un extrait à une colonne) donne quel-
ques lignes du deuxième kirugu mais n’apporte rien de
nouveau.
3) Le fragment Nippur 9726 (non 9762!), publié dans
ISET 1, p. 179 et mis en question par Green (JAOS 104, 254
n. 12), me semble appartenir à la composition. Il contient
entre autres la fin d’un kirugu.
4) En revanche je ne vois pas en l’état de raison
contraignante d’attribuer J à la composition; je ne peux re-
connaître aucun point de contact certain avec le seul du-
plicat préservé.8
5) L ’ajout le plus important est UM 29–16–549 publié
par Å. Sjöberg, in: M. Dietrich/O. Loretz (ed.), Festschrift
für Willem H. Ph. Römer […]. AOAT 253 (Münster 1998)
345–348, abrégé ici Å, et qui, comme le suggère l’éditeur, a
toutes les chances d’appartenir à notre texte; c’est peut-
être un fragment d’une tablette à trois colonnes par face,
comprenant à l’origine la deuxième moitié de l’œuvre.
6 Il faut peut-être revoir en partie la typologie des tablettes. Les actes
(kirugu) conservés ayant une trentaine de vers, si on pose cette
moyenne comme minimum pour les autres, certaines tablettes de-
vraient avoir au moins trois colonnes, alors que Green ne leur en
attribue que deux. Mais il est oiseux de spéculer sans autopsie des
originaux.
7 Sur la face les deux textes sont parfaitement jointifs. Si la cassure
était exactement perpendiculaire au plan de la face, les textes du re-
vers devraient être jointifs eux aussi, ce qui n’est pas le cas. Il faudrait
examiner les originaux pour voir en quelle façon les fragments joi-
gnent au revers et évaluer la lacune du texte.
8 Sur la face du témoin K (le fragment d’Ur UET 6/2, 141), omise par
Gadd mais désormais publiée par M.-C. Ludwig (Literarische Texte
aus Ur. Kollationen und Kommentare zu UET 6/1–2. UAVA 9 [Berlin
2009] 143), les traces copiées par Ludwig ne sont compatibles ni avec
la transcription de Green, ni avec J.
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6 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
Le texte 9101112131415
9 Trahissant la recherche d’un effet littéraire, l’élément e - n e re-
vient au moins neuf fois dans la trentaine de vers plus ou moins bien
préservés du Ier kirugu. Comment le comprendre? Si c’est un démons-
tratif on pourrait le rendre vaille que vaille par ‹celui-ci, celui-ci
même, celui-ci seul› (Green: ‹that one›), et voir dans cette insistance
un effet du récitant désignant la ville d’Uruk, déplorant sa situation,
accompagnant peut-être chaque fois ses mots d’un geste théâtral. Ce
premier acte est – me semble-t-il – moins une plainte qu’une sorte de
réquisitoire commençant par un historique remontant aux origines
de la création de la ville. Si et seulement si e - n e = Uruk, la ville pour-
rait être conçue anthropomorphiquement.
On peut cependant comprendre e - n e autrement. On observe que
LN, qui pourrait bien être issu de la même école littéraire que notre
texte, emploie fréquemment e - n e pour l’anaphorique personnel
(renvoyant à Enlil, exceptionnellement à Isme-Dagan): à la l. 29 il sert
peut-être d’annonce anonyme pour Enlil (voir le commentaire d’At-
tinger); l.192 = «lui-même» (Enlil); l. 249–254. 259 = «lui-même (En-
lil)»; 304 = Isme-Dagan; 314–317 e - n e - e r = «à lui (Enlil)»; en 318, où
on pourrait l’attendre, il est absent!
Mais il y a des cas où cette interprétation est impossible, où il faut ad-
mettre soit un démonstratif impersonnel (‹ceci›), soit un emploi ad-
verbial (‹ainsi, de cette façon›, que je rendrais plus élégamment par
‹voici comment, voici/voilà que›): ù - m u - u n - z u - ú r s i s k u r e - n e
d u 1 1- m u - n a - a b ‹à ton seigneur dis-lui en prière ceci/en ces ter-
mes› (l. 142 sq., où e - n e désigne le contenu de la prière ou la ma-
nière de la réciter); même contexte en 223. L’emploi adverbial est in-
contournable (dans la traduction) avec les verbes intransitifs au
pluriel (l. 40 e - n e b a - d ú r - r u - n e - e s «ainsi sont-ils assis, les
voilà assis!», voir le commentaire de Tinney, The Nippur Lament, ad
loc.). Par ailleurs, si on examine derechef les cas où e - n e semble dé-
signer Enlil, on peut hésiter sur l’interprétation, particulièrement de-
vant le verbe d u 1 1: í b - s i … e - n e e - r a - a n - d u 1 1- g a (l. 195) =
«quand lui t’eut dit ‹assez …›» ou «‹assez …›; quand il t’eut dit ceci»?
Pourquoi e - n e manque-t-il devant i n - t a r - r a (l. 196)? On peut pen-
ser à l’akkadien kıam ou au français populaire qui utilise ‹i(l) dit
comme ça› comme introduction au discours direct. Même hésitation
– I (EG) –
Un récitant (?) rappelle l’histoire d’Uruk depuis la création et exprime sa consternation devant la situation actuelle.
La ville établie selon les droites normes (m e ), dont les rites de purification [étaient inégalables (?)],
Le … de l’univers, ses normes (m e ) … ne sont plus nommées (?)
… voici9 qu’on l’a fait frapper (?).
… la fabrique des dieux,10 qu’est-ce qui l’a oppressée.11
(5) [lieu (?) …] d’où ils (les dieux?) avaient fixé la réflexion (?),
Le [lieu (?) …] des dieux … (?)
Comme Enki et Ninki12 avaient créé le ‹concept› (u m u s ?13), …
Dont Enul et Ninul avaient fixé le destin, voici que … s’en est approché!
Ce qu’avaient enfanté An et Enlil, celui-ci (= Uruk?) voici que … est venu à son contact?(10) Celui dont Ninlil avait donné la stature, voici qu’il a été emporté?
Lui dont Aruru, Suin et Enki avaient fait les membres,
Le voilà obscurci! Pourquoi14 une sorte de nuit noire le recouvre-t-elle?
Les dieux suprêmes l’avaient embelli (en fondant le métal) dans les rigoles (de la forge), il (=?) y mit [le souffle?].15
Comme un aurochs il poussait un énorme hurlement, voici que sa voix a été étouffée!
à la l. 201 (215 e - n e - e s est soit une erreur graphique attirée par la fi-
nale du vers, soit e - n e + e s adverbial).
Conclusion: il semble que la langue de LN et LW confonde au moins
dans la graphie, sans doute aussi dans la prononciation, l’anaphori-
que e - n e et un démonstratif employé surtout adverbialement
(= n e - e n ou e - e n «ainsi»?). Un des chemins qui ont pu mener à
cette confusion est l’indistinction entre anaphorique personnel et im-
personnel en akkadien, faisant que le sum. e - n e pût être compris
comme ‹celui-ci› (personne ou chose) et ‹ainsi› (adverbial). Cet élé-
ment e - n e serait identique à celui identifié par Krecher (SKLy, 100
sq.), mais pas nécessairement toujours interrogatif.
Pour Green (JAOS 104, 254) les dieux fabriquent dans ce passage un
monstre pour anéantir l’humanité, mais je vois peu de justification à
cette hypothèse. Il est vrai que e - n e pourrait répondre à a - b a
‹qui?› (l. 4.15 sqq.), qui pourrait être ce monstre responsable de la ca-
tastrophe, créé dès l’origine des temps par les dieux, mais e - n e
semble bien apparaître avant a - b a dans le texte et il me semble que
le monstre n’apparaît pas avant le troisième kirugu.
10 Lire [g e s ] - k í g ! - t i d i g e r - r e - e - [ n e ], littéralement ‹l’artisan
des dieux›, une épithète littéraire d’Uruk (Gilgamesh et Agga 30.107;
Lam. sur Nippur 224 etc.) qui suppose un mythe auquel il est peut-
être fait allusion ici.
11 a - n a b a r ! b í - í b - t a b .
12 Comme Enul et Ninul, Enki et Ninki forment un couple de dieux
primordiaux, appartenant aux ‹ancêtres d’Enlil›.
13 Lire t ú g ? n á m ?
14 [a - n ] a - a s ?
15 m ù s - m e (l. 10) et k ù s - k ù s - t a b a - a n - s i g 7- g e - e s (l. 13)
rappellent Enlil et Sud 153 (M. Civil, JAOS 103, 57), où il faut lire
dans S2 (collation) [* s ] à - * z u t i b i r a m ù s - m e m i - n i - i n - s i g 7
ù ? - d í m - d í m «(Nintur), accoucheuse et orfèvre, a ébauché la
forme; quand elle l’eut travaillée avec grand soin …». On a ici les ver-
bes typiques de la création artisanale d’un objet anthropomorphi-
que, comme par exemple dans Lahar et Ashnan 3 sq. (t u ( - d ), s i g 7,
d í m ); cf. aussi LSU 129 (k ù s - k ù s … d é ).
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 7
16 17 18
16 ‹Un simple homme› pour essayer de rendre l ú z i , cf. français
‹juste›.
(15) Ses longues cornes atteignaient le ciel, qui a pu l’ébranler?
Il pesait sur le pays comme un filet, qui a pu le retourner?
– Qui a répandu dans ses rues pleurs et lamentations? …
Uruk, comme un simple homme16 saisi de crainte, …
Pourquoi … sa vie (subsistance?) dans ses mains …,?(20) Qui y a placé désespoir et lamentations? …
Voici qu’il a été touché, qu’il [s’est assis (?)] dans la poussière, pourquoi a-t-il glissé? (?!)
Qui a bouleversé son intelligence? qui a modifié son entendement?
Qui a bousculé son bon génie? Qui a osé frapper son ange gardien?
Qui a osé atteindre à la splendeur qui ornait sa tête?(25) Qui a … la fierté d’Uruk, qui a … la hiérodule (Inana?)
Avec la ville tous les pays …, dans la maison d’Uruk qui …?
Voici que …
(lacune)
… qui a fait …
… pourquoi a-t-on osé (?)
… qui a commis des transgressions (?)
… qui l’a repoussé?
… a détruit le gouvernail (gisal?), a ramené … en arrière.
… qui lui a fait baisser la tête?
… ainsi il a été effacé?
… ainsi …
(lacune)
– II (EG) –
(lacune dans laquelle Enlil (tous les dieux?) ordonne un premier fléau)
[Des gens qui y demeu]rent (?) les voies [sont perverties?]
… de détruire et de raser l’ordre [il donna/ils donnèrent (?)](5H) [L’ordre (du roi?)] des dieux il observa.
… contre lequel il était fâché.
… le méchant … qu’il avait fait approcher, en face de la ville …
… haletait, râlait, pleurant amèrement.
… faisait … ne cessait de frapper la tête.(10H) Pleurs et lamentations17 tourmentaient les cœurs, la ville entière était secouée.
Elle fut souillée, frappée, la tête aplatie (?), la ville entière fut frappée.
L’éclat terrifiant, comme une colonne de fumée s’approcha.
La capitale qui gérait les canaux de tous les pays se dresse en (simple) campement.18
Les enclos qu’avaient construits les bons pasteurs furent complètement arrachés.(15H) Les étables que les grands bouviers avaient construites furent complètement aplaties.
Montées comme des javelles, elles furent renversées comme des javelles, complètement balayées.
Les tracés des champs sont devenus indistincts (?); la ville a été engloutie par les marais.
Ce qu’elle faisait, né comme des roseaux dans un sol putréfié, elle ne pouvait le stabiliser (???).
(Tout) était frappé; dans la ville les ruines … des bassins à poissons (?).(20H) La crainte et la consternation [étouffaient] les gens comme un drap.
Les bons génies en sont sortis, les anges gardiens s’en sont éloignés.
Les anges gardiens se tiennent à l’écart (?) dans la steppe, ils ont pris un autre chemin.
17 a - [ n i r - r ] e .
18 z a ! - l a m - g a r .
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8 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
19 202122232425
19 Peut-être un personnage réel.
20 ‹Le Déluge qui retourne la terre à la houe›: citation de LSU 107; on
retrouve l’image en IV 4.
21 m è - [ s ] a g - b i ( - s è ) … e g i r - b i ( - s è ).
22 sen.kak graphie archaïsante pour a l a l /m e z e g ; voir M. Civil,
The Early Dynastic Practical Vocabulary A. ARES 4 (Rome 2008) 63
La ville, son dieu s’en est détourné, son berger [a disparu].
Son protecteur, comme s’il était un étranger, [a choisi?] un autre lieu.19
(25H) Ses grands dieux ont coupé …, se tiennent à distance.
Ils se sont esquivés dans la montagne, … dans la steppe hantée.
Dans la ville si bien construite [il (=?) a renversé (?)] sa nourriture et sa boisson comme [un simple vase?].
Il a provoqué un douloureux murmure dans les campagnes; il en a fait sortir ânes et moutons.
Vieillards et jeunes gens, le souci …
Ils voient … ils multiplient …
(lacune)
Deuxième kirugu
…
Répons
– III (EG) –
Enlil renchérit et donne un ordre qui va porter la catastrophe à son paroxysme. Dans la ville les esprits sont divisés.
… a étendu la main sur …, semant la terreur sur le pays.
Enlil s’agita nerveusement et proclama:
Le Déluge qui retourne la terre à la houe va être appelé,20
Son avant-garde21 est une gouttière,22 son arrière-garde est une nasse (?),23
(5) Sa toison est une herse, son dos un feu.
Son front une tempête destructrice, capable de couvrir terre et ciel,
Sa lueur fulgure, il projette au loin ses regards comme l’oiseau Anzu.
Sa gueule est furieuse, projetant des flammes (?) sur le pays,
Sa langue est une flèche enflammée, projetant des étincelles brûlantes, fendant les chairs dans le pays,24
(10) Ses ailes sont immenses comme celles de l’oiseau Anzu; quand elles s’ouvrent rien ne leur échappe,
(Quand il les déploie,) son thorax est une immense porte s’ouvrant comme le jour qui se lève,25
Il porte attachées à la ceinture des pierres de fronde ravageuses de villes,
À la taille un coutelas suintant, couvert de sanie, prêt à verser le sang.
Ses jarrets des scies, prêtes à trancher, ses pattes (les serres) d’un aigle,(15) Il inspire la terreur au Tigre et à l’Euphrate, il hurle dans le pays,
A son hurlement, il déracine les montagnes, projette les hommes comme des gerbes.
Il frappe Sumer et Akkad, aussi dévastateur que la crue inondant les moissons,
Les ignorants se réjouissent, ils radotent à son sujet:
«Qu’il avance au combat, et nous pourrons voir la ville aller à la bataille.(20) Comme il va détruire le …, comme il va raser le rempart, comme il va démolir la ville.
Comme il va bouleverser la bonne race, menteurs et hommes droits!»
Les hommes de sens se frappent la poitrine, hochent la tête.
Au soir, les larmes plein les yeux, ils ne peuvent fermer les paupières.
Au lit dans leurs draps ils ne trouvent pas le doux repos, ils tournent dans la ville.(25) Voyez comme leurs mains sont entravées, (cependant) ils laissent échapper (leur opinion??):
«Puisse notre allié venir à la rescousse pour le salut!
Puisse la parole d’Enlil renverser (cette situation), qu’il prenne le dessus sur eux.
Puisse le venin de la colère d’Enlil s’épuiser,
Les terribles (…) qui l’ont (Enlil?) fait prisonnier dans l’Ekur, puisse leur ‹visage› être emporté!
ad l. 43 avec littérature antérieure. On a a l a l sans kak dans XII 13
avec la forme donnée dans MSL SS 1, 95.
23 Voir A. Cavigneaux, Gilgamesh et la mort. CM 19 (Leiden 2000) 38
ad 16.
24 k a l a m - m a s u d a r - r e - d a m .
25 Quand il déploie les ailes (ou les bras, selon la représentation).
Voir commentaire.
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 9
26272829
26 Ce ‹regard jeté sur Nippur› est sans doute une tentative de prise
d’influence sur le sanctuaire central de Sumer, ambition inadmissi-
ble pour Isme-Dagan. Tout ce passage – comme l’avait bien vu
Green – est une allusion assez limpide à un conflit de partis qui dé-
chirait la ville, dans une situation qu’on peut imaginer analogue à
celle des villes italiennes à la fin du Moyen âge. Comme le suggère
déjà P. Attinger, ZA 91, 138 une semblable allusion concrète apparaît
aussi très clairement dans LN 153 «Ce que l’ennemi t’a infligé, il le lui
revaudra» et 155 (antiphon du kirugu V) «Ceux qui n’ont pas su libé-
rer dans la ville, il (Enlil) les frappera»; comme le kirugu VI com-
mence par «voilà que ton seigneur à bout de patience a frappé l’en-
nemi en ton nom» (g ú s u b - b a k ú r m e - e - s i - i n - r a - à m LN 157),
il nous faut imaginer dans la césure entre les kirugus un épisode où
les ‹ennemis› sont punis réellement (châtiment ou même exécution
publique?) ou symboliquement, et où la réconciliation d’Enlil se
manifeste. Noter la construction chiastique du passage 151–177:
promesse de réconciliation–châtiment × châtiment–réconciliation
accomplis, avec la césure entre les deux kirugus. L’enchaînement
(30) Que ceux qui ont posé leur regard sur Nippur soient balayés!»26
Troisième kirugu
Mon cœur est plein de larmes et se lamente (var. (mais) ne se lamente pas)
Répons
– IV (EG) –
Le récitant évoque la guerre, d’abord dans le pays de Sumer autour d’Uruk, auquel il s’adresse.
O Sumer! Ah ton cœur! Ah ton corps!27 Ah ton peuple!
Est-ce pour appliquer l’ordre d’An qu’on a détruit le …?
Est-ce pour que la parole d’Enlil s’exprime, que …?
Le Déluge qui retourne la terre à la houe …28
(5) … le seigneur Nergal …
… comme Girra, Nergal …
…
La bataille (contre?) le pays rebelle …
Comme la flèche (tirée) du carquois … extermine …(10) Dans Sumer, le méchant …
Les Guti, les chiens, s’étaient révoltés (?) …
Ils avaient mis Sumer en cage …
Ses gens furent plongés dans le chaos, …
Le puissant champion de Sumer …(15) En pleine tornade …
Comme des troupes d’élite ils allèrent …
Ils piétinèrent la route comme du malt … comme An …
La force de leurs vétérans ils la firent tomber, leur tactique fut perturbée.
L’élite de leur troupe, qui se distinguait de la masse (?) …(20) Les Guti, pour frapper tout d’un coup29 … la massue …
Comme ils n’avaient pas surveillé leur flanc (?), en un clin d’œil …
Les Subaréens comme une énorme inondation … s’étaient répandus sur Sumer.
Comme des chevreaux isolés …, les chiens … déchiquetaient leurs cadavres.
Sumer et Akkad, ils les mettaient en morceaux, les broyaient comme un pilon.(25) Ils détruisirent leurs villages et leurs hameaux, ne laissant que des tells ruinés,
Ils entassèrent Sumer comme de la terre, accumulèrent …
Ils massacrèrent son peuple, éliminèrent petits et grands.
logique serait: destructions subies, pitié, (éventuellement vengeance
sur le destructeur), enfin restauration. Cette présentation étrange
suppose évidemment la victoire d’une faction sur une autre, un chan-
gement d’administration, un ennemi chassé… La punition des mé-
chants n’est mentionnée que par allusion dans le contexte positif
d’une restauration, mais elle n’en apparaît pas moins nettement
dans le texte. À l’époque l’allusion était claire pour tous. On pourrait
objecter que pendant la pause entre les kirugus V et VI il s’est passé
quelque chose de purement liturgique, comme la ré-intronisation des
dieux Enlil et Ninlil et la reprise du culte, ce qui est possible, mais ne
suffit pas à expliquer le rôle de pivot que joue la vengeance dans ce
passage de LN.
27 Il est difficile et gauche de rendre par un hendiadys en français
l’hendiadys s à - b a r . Le turc peut calquer le tour avec için … dısın
‹ton intérieur … ton extérieur›.
28 Cf. III 3.
29 t é s r a - r a ? - d è ?
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10 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
30313233
30 La progression de l’ennemi vers le cœur de la ville rappelle LSU
IV et LE II.
31 z i - g a ? Lire peut-être z i - b i : [ils ne peuvent sauver] leurs vies?
32 Cf. LSU 264.
33 Comparer LSU 404. Dans la partie réaliste (action) des city la-
ments, la pression croissante de l’ennemi est un morceau obligé, qui
fait monter la tension et permet au récitant de déployer ses talents. Il
ne manque que dans LN. Dans LSU 403–405, la scène est intensé-
ment dramatique car, désespérés, les habitants ouvrent eux-mêmes
Ils détruisirent toutes les villes des Anuna, les incendièrent,
Ils détruisirent les avant-postes (?) d’Uruk, arrachèrent ses plantons,(30) Dans les chapelles funéraires des Anuna ils firent passer des rondes (?)
Et même à Kulab, la ville éternelle, ils firent un massacre.
Quatrième kirugu
Ah Sumer! Ah son peuple!
répons
– V (EG) –
Le récitant, s’adressant cette fois à la ville elle-même, narre le siège et l’assaut.30
Uruk, ton quai et ton boulevard (?) ont été pris …
Uruk crie de tous côtés, les prisonniers …
Le vacarme est au sud, le sud est détruit …
Au nord règne la violence, le nord est rasé …(5) Ni à droite ni à gauche, nul ne se déplace, les campements ne sont plus établis …
Dans le … il n’y a pas de …, la levée31 n’est pas [proclamée/organisée?]
En haut … le haut (nord?) fut anéanti, leur bras ne peut l’atteindre …
En bas … ils étalèrent le bas (sud?), …
Les villages un par un furent dispersés, Uruk resta seul debout …(10) Le Taureau puissant et redoutable, la massue (l’abattit).
Nuit et jour la bataille fit rage, sans fin …
Béliers et boucliers furent dressés, ils désagrégèrent les murailles.
Ils firent une brèche dans les bastions, les houes sapèrent la ville.32
Ils mirent le feu à ses …(15) Ils rasèrent, détruisirent,
Uruk, le beau lieu, fut … par la poussière.
Comme un grand taureau, on le cribla de flèches …
Comme une bufflesse on la harcela avec un aiguillon …
Le fort se précipita dans la bataille, la mêlée …(20) Les Subaréens, comme une puissante crue qui monte33 …
Rue par rue ils s’avancèrent en courant …
Le sang des habitants coule comme celui des vaches, comme du pain (?) …
Les fils d’Uruk …
… ils entassèrent(25) … anéantirent …
… prirent …
… rasèrent …
détruisirent …
…(30) … anéantirent
…
Ils anéantirent …, ils ne laissèrent rien.
les portes: «Ils firent passer leur vie par-dessus tout et se mirent d’ac-
cord. / La porte (ká!.gal) une fois ouverte, (les battants) étaient blo-
qués; ils ôtèrent les verrous / et se trouvèrent confrontés au déferle-
ment des Élamites (e l a m k i - e a m a 3 è - a - g i n 7 k i s i 4/ k i s i i m -
m a - s i - i b - g a r, littéralement ‹Élam leur opposa le front comme une
énorme crue montante›) …». Le texte d’Ur est encore plus clair: «ils
ouvrirent les verrous des portes; poussant les battants vers l’exté-
rieur …».
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 11
343536 373839 40
34 Peut-être [u 4 d u 1 1- g a ] - z u s á m i - r i - i b - d u 1 1 ‹ton temps dé-
claré t’a atteint›, c’est à dire ‹ton heure est venue›, formule typique
qui revient souvent, en particulier dans Gilgamesh et la mort, et sur-
tout dans LSU 463. À qui s’adresse-t-elle ici? L’analogie de LSU ferait
penser à Inana, mais elle ne semble pas être encore entrée en scène.
Ce doit donc être la ville elle-même.
35 En lisant s i l i m -m à . Le ton et la phraséologie rappellent LSU
463. On pourrait lire aussi di-gá ‹en mon procès›, qui me paraît beau-
coup moins vraisemblable.
Les Subaréens entrèrent …
Cinquième kirugu
«… a été fabriqué», disait-il, … enduisit [sa tête?] de poussière.
répons
– VI –
Ton [jour …] t’a atteint.34 Accueille paisiblement (?)35 ce visiteur hostile … (??)
(des kirugu 6 à 11 seules des bribes subsistent)
Frgt Sjöberg (Å) Col. iiH (ES)
Inana en deuil réagit à la destruction de sa ville.
… a brisé.(5H) … dans son vêtement royal tâché de sang (?).
En disant «…» elle avance courbée;
… elle court (?), elle avance en arrachant ses cheveux (?):
«… il (Enlil?) a commis un affront, il a maudit ma maison.36
(10H) … par affront (ou) par négligence?
… il a maudit ma ville.
… il a laissé mes … s’engloutir dans les marais.
… il a profané mes habits …, il en a coupé le …»
(lacune)
Å col. iiiH (ES)
Inana poursuit ses protestations et demande conseil au chœur (?).
… Celui qui connaît les rites37 …
C’est pourquoi mon cœur, mon âme …
Comme en pleine nuit …
Comme une brebis …(5H) Mes traits [sont noircis] comme de fumée …
Il l’a fait, oui mon père [l’a fait],38 vers qui [me tourner?]
nème kirugu
Gashanana (= Inana) …
répons
(lacune)
Ni 9726 (ISET 1, p. 179)39 col. iii? (ES)
Le kalû (le chœur?) s’adressant à Inana exprime son espoir de restauration et l’encourage à aller trouver Enlil.
Que ton siège te dise «assieds-toi».40
Que ton lit te dise «couche-toi».
Que ta maison te dise «calme-toi».
Que ta ville te dise «calme-toi».
36 Cf. LU 257 sq. «An a maudit ma ville, il m’a détruit ma ville, / Mul-
lil a jeté l’anathème sur ma maison, la houe me l’a frappée …»
37 g a r z a z u ?.
38 Un topos de la littérature liturgique; comparer ASJ 9, 59: 14–19.
39 Fragment avec restes de deux colonnes. Green en fit mention sans
l’inclure dans son édition, mais son appartenance au texte paraît
plausible. L’éditeur de ISET 1 attribue le fragment au revers, mais il
faut peut-être inverser iii et iv (au cas, par exemple, où il s’agirait de la
face du témoin T = ISET 1, p. 133, Ni 4130).
40 Passage comparable (en EG) dans LE VII 16–19.
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12 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
41424344
41 Le temple d’Inana à Uruk.
42 Ce vers, s’il est bien compris, inviterait à placer ce passage avant
la plainte d’Inana.
Que l’Eana41 te dise …
Qui vit …, qui ne vit plus …
Qui est mort …, qui n’est pas mort …
Que ton père dans la steppe … te fasse prononcer une lamentation … (?)42
(lacune)
Ni 9726 col. iv? (ES).
Ici un kalû (le chœur?) invite Inana à s’adresser à An ou à Enlil.43
Dis-lui: [La province d’Uruk (?) a été entièrement détruite, le …] y pousse.
Dis-lui: «La province de Zabala a été entièrement détruite, le roseau de lamentation y pousse»
Qu’il te restaure la ville dévastée.
Ta province d’Uruk dévastée, [qu’il te la restaure (?)]
nème kirugu
(lacune)
T col. i (Green JAOS 104, 275; la situation du fragment est incertaine)
La province de Zabala …
Ur et l’Ek[isnugal …]
Étables et bergeries …
Le pays de Subir …
(lacune)
Å Col. iv H (rev. i) (EG)
Enlil acquiesce à la demande d’Inana, prend une décision favorable.
Ceux qui étaient entravés …
Les prisonniers …(5) Oh Enlil,44 oh [Utu? … (ces cris indignés)]
Ont été mis de côté. Le pays … Sumer …
Je suis Enlil, qui … les troupes innombrables …
Dès maintenant, avec ce jour …
… (lacune = 1 col. moins 9 lignes)
– X? (EG) –
Å Col. v H (revers ii)
Il apparaît qu’Isme-Dagan est digne d’accomplir la mission.
Il a fait prendre le droit chemin à l’humanité.
De Sumer il a écarté le méchant.
La langue qui exprimait la méchanceté il l’a changée.
On fait resplendir la justice comme le cuivre.(5) La crainte du père, le respect de la mère,
L’attention des fils aux paroles du père,
La pitié, la tendresse, la miséricorde,
L’empressement à pourvoir les anciens en nourriture et en boisson,
Voilà tout ce qu’il a instauré dans le pays de Sumer et d’Akkad.(10) Isme-Dagan, le fils d’Enlil,
Elle l’a installé comme En d’Uruk, soucieux de ses devoirs;
Voilà ce qu’a accompli Inana, reine de l’univers,
43 La phraséologie est comparable à celle de LN IV.
44 i d e n -líl i d[…] (d’après la photo).
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 13
45 46474849505152
45 d i d u 1 1- g [ a …]
46 Le dieu lune Nanna-Suin.
47 g u 4 m u 5 u d u m u 5, bien traduit déjà par Römer.
48 Littéralement «comme d’une gouttière (a l a l )».
49 [z à - m í ] - z u .
50 L’homme humble doit être le roi Isme-Dagan. Ce vers et tout le
passage qui suit sont clairement inspirés de LU 419 sqq.
Le grand An donna son accord.
Enlil [renchérit (?) …]
[dixième?] kirugu
– XI? (EG) –
(lacune. Le grand conseil divin entérine la décision de mettre Isme-Dagan à la tête d’ Uruk)
Les dieux suprêmes …
Les Anuna …
La sentence prononcée45 …
(Depuis?) l’espace sacré …
(brève lacune)
– XII (EG) –
Hymne final à l’occasion d’une cérémonie dans le sanctuaire d’Uruk.
Reine, dont la grandeur domine le pays,
Qui marche au même rang qu’An, qui comme Enlil inspire le respect,
Qui, comme son père,46 fait la splendeur des nuits et des jours,
Qui, comme Utu, est magnifique de juvénilité,(5) Aux quatre coins du monde sublime et unique.
Puisse-t-il dans la quiétude te réjouir en ta maison.
Te faire ronronner de plaisir en ta maison.
Il t’a honorée dans ton Éana,
Isme-Dagan, ton pourvoyeur, qu’il vienne se mettre à ton service!(10) Qu’il aligne pour toi des rangées de grands bœufs.
Qu’il t’offre en sacrifice de très grandes offrandes,
Abondance de bœufs et moutons gras.47
Qu’il te fasse couler le miel et le vin à flots.48
Qu’Isme-Dagan, debout à la place royale,(15) Lui qui est fils d’Enlil, t’adresse la prière.
Que les tambourins shem et ala résonnent pour toi.
Que les instruments tigi au doux rythme (?) et les zamzam jouent pour toi.
Que ta [louange]49 soit chantée sur le tigi.
Que les sacrifices et les prières qu’on t’adresse soient incomparables.(20) À cause de tous les [catastrophes?] qui sont advenues,
[À Uruk], dans le gipar, ta résidence
L’homme humble qui a saisi ton pied,50
L’homme respectueux qui a pris conscience de ta sublime majesté,
T’a apporté lamentation et prière.(25) Tout ce qui a été commis contre Sumer et Akkad,
Toutes les horreurs infligées à Uruk, qu’il a vues de ses yeux,
Que ton chef de musique les transmette en un chant.51
Une fois sortis (de leur temple?), en cette lamentation solennelle, puissent les Anuna dire
«Le jour qu’il (An?) a apporté à l’univers, à cause tout ce qui s’est passé,(30) Qu’il ne laisse pas ce jour revenir», puissent-ils dire.52
51 Dans cette ligne et la suivante, comme souvent dans les city la-
ments, par exemple LN IV, on a une sorte de mise en abîme de l’œuvre
ou de la cérémonie elle-même. Ici l’inspiration provient directement
de LU.
52 T: 3 é - m e - e n - n e ‹puissent-ils dire›; V: 3 é - m e - n e - e s ‹ils ont
bien dit›; voir Attinger, ELS.
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14 Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk›
535455
Le monstre du IIIème kirugu.
Notre traduction de III 3 fait comme si Amaru ‹déluge›
était le nom propre du monstre, or rien n’est moins sûr.
Par certains traits notre monstre rappelle le Flut-Unge-
heuer d’Ursula Seidl, il est associé à l’eau (IV.17), aux
vents hurlants (VI.10.15.16),56 mais il possède d’autres at-
tributs, incompatibles avec le déluge, qui évoquent plutôt
une sorte de haut-fourneau ambulant. Il est vrai que la
destruction commence par évoquer un fleuve en crue,
phénomène cosmique impersonnel, mais dans l’ensemble
du texte, les éléments aqueux concernent seulement l’in-
troduction: si notre interprétation est juste, le monstre est
précédé et suivi d’un flot (4), il faut donc l’imaginer au mi-
lieu d’un flot qui emporte tous les humains. On pourrait
alors penser à une sorte de lah˘
mu. Mais à la fin les associa-
tions aquatiques se limitent à la terreur qu’il inspire aux
fleuves (15)57 et la crue inondant les moissons (17) est pu-
rement métaphorique. Le vers 5 semble évoquer un ani-
mal velu, puisqu’il est question du dos, mais dans le reste
du texte, le monstre semble être un humanoïde dressé vu
de face (front, yeux, gueule, thorax), décrit à la manière
scolaire, a capite ad calcem (comme dans Ugu-mu, Nab-
nitu, ou les textes médicaux). Les parties du corps traitées
sont énumérées de façon éclectique, on s’étonne de ne pas
avoir de précision sur la tête ou le visage: était-il humain
ou plutôt léonin comme le suggère la parenté avec Anzu?
C’est un peu comme si son regard (sa ‹lueur›) éblouissant
53 d i g e r l ú - b a ! Voir ci-dessous vers 33 et le commentaire.
54 Il y a une incertitude, ici et au vers 33, sur le caractère collectif ou
individuel de l ú - ù l u - b i qui pourrait vouloir dire aussi ‹ses gens›,
c’est à dire les habitants d’Uruk. À cause des pronoms singuliers aux
lignes suivantes, j’ai choisi le singulier. L’emploi du mot l ú - ù l u est
typique des textes magiques, où il désigne le patient.
55 d i z i d u 1 1- g a - a - b a .
56 Ce qui pourrait tout aussi bien le rattacher à un dieu tempétueux
comme Adad.
57 Où il ne s’agit pas nécessairement des fleuves eux-mêmes, mais
peut-être des régions orientales et occidentales de la plaine.
Quand tu auras jeté un regard favorable sur le dieu de cet homme.53
Dans la ville rebâtie, le lieu où sont fixés les destins,
Cet homme,54 grâce au doux présent de la vie,
Fais-lui (re)lever la tête. Que ses louanges soient à la hauteur du présent.(35) Pour qu’à (sa) droite et à (sa) gauche il soit abondamment pourvu,
Place auprès de lui un génie protecteur qui ne l’abandonne jamais,
Son destin, prononcé en une juste sentence,55
S’agissant de la parole d’An et d’Enlil, ne changera pas pour longtemps.
Douzième kirugu
– (fin du texte) –
[ ]
et le feu qu’il crache empêchaient de le distinguer. Les ai-
les déployées font penser à une représentation d’un vent
… Les vers 12 et 13 décrivent un écorcheur assoiffé de sang.
Plutôt que la description précise d’un monstre classique
du répertoire artistique mésopotamien, on a à faire avec
une création littéraire, un enchaînement d’images fonc-
tionnelles dans le récit, accumulant les traits effrayants et
passant de la tempête diluvienne à un géant ailé plutôt an-
thropomorphique crachant le feu. Les armes qu’il porte
(coutelas au côté, flèches enflammées et balles de fronde)
sont comme une annonce du siège et du massacre. Ce
monstre, un peu comme les bêtes de l’Apocalypse, an-
nonce la fin d’Uruk, et c’est surtout pour cela qu’il s’ap-
pelle Amaru.58 Enfin on note que le vers III 3 (a - m a - r u
k i a l - a k ’le déluge qui retourne la terre à la houe’), qui
met le monstre en scène, est une citation, ce qui confirme
le caractère littéraire du développement.59
Le monde mental du poète
Au delà du seul monstre, qu’il est difficile de rattacher
sans autre à un type iconographique, il nous reste à tenter
de comprendre l’arrière-plan et l’inspiration de l’œuvre,
sans essayer de la rattacher de force à un genre littéraire
58 Noter aussi d u - b i a - m a - r u d e n - l í l - l á «leur avance (des
Guti) est le déluge d’Enlil» LSU 76.
59 Pour ouvrir d’autres pistes, je cite ici en abrégé quelques-unes des
notes que m’a aimablement adressées F. Wiggermann: «The descrip-
tion of the monster is remarkably uninformative (or as you say ‹lite-
rary›). It reminds of Adad’s mount, the u k a d u 3 3 a (a winged lion
with typically lowered head, lion’s tail, also with feathered tail; ta-
lons of an eagle), but leonine traits are not made explicit (unless s í g-
LUM-m a ‹luxuriant hair› in fact denotes ‹mane›). A monster like that
of Collon, First Impressions 844, also fits the description. The wea-
pons (implying human hands) are surprising, but the ‹knife› may be
thunder, the ‹slingstones› may be hail (depicted on some Mittannian
seals), and the ‹saw› may be used for the same (aggressive) activity
for which Utu uses it.»
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Antoine Cavigneaux, Le monstre du troisième acte dans la ‹Lamentation sur Uruk› 15
donné. On voit à quel point le titre de ‹Lamentation sur
Uruk› que nous donnons à ce texte est peu approprié. S’il
fallait lui en donner un autre, littérairement plus neutre,
on pourrait l’intituler, par exemple, ‹L’ordre règne à Uruk›.
L’œuvre se caractérise par un engagement politique
nettement perceptible et par les moyens littéraires que
l’auteur utilise. Elle a un caractère incontestablement li-
turgique de récitation publique et emprunte aux grandes
œuvres antérieures, comme LSU et LU, ses thèmes et sa
phraséologie. Le vers III 3 cité à l’instant en est le meilleur
exemple. Par ailleurs on pourrait rapprocher le texte de
deux genres:
1) La description emphatique des scènes les plus dra-
matiques, mêlant le fantastique et le réel, faisant parler les
dieux sans les faire intervenir directement dans l’action,
mais en les présentant comme moteurs ou décideurs
d’une histoire au service d’une vision politique, évoque,
dans une forme littéraire plus complexe, la rhétorique des
prophètes mésopotamiens et naturellement celle des pro-
phètes bibliques. Ici c’est Isme-Dagan qui est l’élu des
dieux.
2) Plus clairement encore que dans les autres city la-
ments la structure et l’idéologie du texte sont par certains
aspects celles d’un texte exorcistique du type Marduk-Ea:
Präsentisches Thema (passé d’Uruk), präteritales Thema
(les catastrophes qui adviennent),60 intervention divine
(d’abord négative, puisque les dieux envoient les guerres
en châtiment, puis positive), intercession par le rituel et
réconciliation (Schlussthema).61 Le dernier acte, lui aussi,
a une incontestable parenté avec la littérature magique:
au-delà du thème général de la réconciliation divine, la
60 On peut aussi considérer que les kirugu II et III, présentant plutôt
une vision plus lointaine et ‹mythologique›, où sont impliqués les
dieux et le monstre fantastique, appartiennent encore au präsenti-
sches Thema, tandis que la description plus ‹réaliste› des kirugu IV et
V, où on s’adresse à la ville, correspond au präteritales Thema. En ce
qui concerne le ton de la narration, les kirugu II et III traduisent une
attente angoissée, tandis que les deux suivants sont l’accomplisse-
ment de la menace. La transition entre les deux blocs est le passage
du kirugu III décrivant le dernier fléau venu du ciel (le monstre), le
désespoir des sages et la répression à laquelle ils sont soumis. On a
exactement la même situation avec une rédaction plus complexe et
savamment construite au début de LSU, un des textes dont le nôtre
présente des réminiscences évocatrices.
61 Les city laments déploient des techniques narratives plus ou
moins élaborées dans l’imbrication du monde céleste et du monde
terrestre: la composition de LSU reflète le plus grand art et la plus
puissante vision. On peut aussi avoir des développements qu’on peut
considérer comme des parallèles, comme ici LW II–III // IV–V, ou
dans LN l’intervention de Ninurta, puis d’Isme-Dagan. LU, plus dévot
en quelque sorte, a la caractéristique de rester au plus près du monde
des dieux. LN, très peu narratif, se rapproche des balag.
présence du dieu personnel (d i g e r l ú - b a ) est un trait
commun très frappant, de même que la désignation du hé-
ros par l ú - ù l u .62 Naturellement les développements lit-
téraires sont beaucoup plus élaborés que dans la littéra-
ture magique, mais la parenté structurelle saute aux yeux.
On pourrait subsumer ces thèmes communs sous le type
plus général d’histoire de salut (Erlösungsgeschichte).
Pour l’essentiel c’est précisément aussi la structure de
LSU, modèle dont notre auteur s’inspire aussi dans le dé-
tail, très probablement aussi de LE. L’auteur à qui on a
confié la composition de LW était peut-être particulière-
ment familier de la littérature magique, source à laquelle
il a pu puiser son inspiration un peu morbide pour la des-
cription du monstre ravageur. Comme me le suggère en-
core F. Wiggermann, sa ‹description› est un peu du même
type que celle de Samana dans les textes magiques, parti-
culièrement Nougayrol, ArOr. 17/2 (1949) 213–226.63 Si le
témoin M (tablette imgida à une colonne) contient juste le
IIIème kirugu, c’est peut-être qu’il était considéré comme
un morceau littéraire pour soi, digne d’être appris et re-
tenu.
Je noterai encore un détail: il est frappant de voir à
quel point Uruk, sa topographie caractéristique et ses
dieux, apparaissent peu concrètement. Il est vrai que le
texte est mal conservé, mais on ne voit pas Inana dans la
première partie du texte, alors qu’elle aurait pu apparaître
dès le premier acte et réagir plus tôt aux malheurs de sa
ville, comme le fait Ningal dans LU. Les raisons de cet
effacement sont impossibles à connaître aujourd’hui. On
peut seulement subodorer une implication limitée, ou
même une réticence du pouvoir d’Isin vis-à-vis d’une ville
plutôt rétive.
Au bout du compte, l’image du monstre aussi s’efface.
Ursula Seidl, critique lucide, pourra me reprocher de
n’avoir pas su la voir ni la dessiner, j’espère au moins avoir
montré qu’une lecture un peu serrée de ce texte, même en-
core imparfaitement reconstitué, peut révéler encore bien
des choses sur l’imaginaire des Mésopotamiens et leurs
techniques littéraires.
62 En cela notre texte dépend directement de LU XI, où on a exacte-
ment la même configuration: le dieu personnel de l’homme (d i g e r
l ú - b a LU 425) s’adresse au dieu (Nanna). Il faudrait étudier de près
littérairement les deux passages (LU XI et LW XII), où la situation pré-
sente l’homme devant le dieu, sans qu’on précise si cet homme est le
roi ou une personne quelconque. Cette ambiguïté est peut-être vou-
lue, elle pourrait être due au ton pénitentiel du passage (plus fort
dans LU que dans LW), ou simplement au fait que le roi n’était pas
présent en personne, mais représenté par un substitut; en même
temps cet anonymat ouvre la possibilité pour le rituel royal de deve-
nir collectif et même privé.
63 Repris aujourd’hui par I. L. Finkel, Fs. R. Borger, 72–76.
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