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FÉVRIER 2016
LE MORATOIRE SUR LES ZONES À BÂTIR | LA LAT EN PRATIQUE | LES CHEMINS DE RIVE | LE PARC DE BRÜNNENGUT
VLP-ASPAN | Février 20162
ÉDITORIAL
De la couleur dansnos informations
Le monde est coloré, la planification se décline en couleurs, pourquoi ne pas enrichir
en pigments nos publications INFORUM et Territoire & Environnement? Des images
et des plans en couleur ainsi qu’une citation plus claire des sources d’information
devraient faciliter l’accès aux questions complexes de l’aménagement du territoire.
Présentés avec davantage de clarté, nous espérons que les mécanismes du droit et de
l’aménagement qui façonnent le territoire suisse seront plus faciles à saisir.
Du point de vue du contenu, nos deux publications n’ont subi que peu de change-
ments et conservent leur profil. INFORUM commente de façon concise et accessible les
nouveaux arrêts du Tribunal fédéral, des thèmes d’actualité et les tout derniers déve-
loppements de l’aménagement du territoire. Avec «Zoom sur», nous vous
proposons une nouvelle rubrique qui met en lumière un bon exemple
de développement urbain et de densification. Territoire & Environne-
ment continue de se concentrer sur un seul thème.
Dans le présent INFORUM, nous nous référons à la dernière juris-
prudence du Tribunal fédéral concernant la LAT révisée. La question
soulevée est celle de savoir si des plans d’affectation contestés au mo-
ment de l’entrée en vigueur de la loi révisée et qui n’étaient donc pas
encore entrés en force, relèvent du nouveau ou de l’ancien droit. Un
deuxième article s’intéresse à la façon dont plusieurs cantons suisses romands ont mis
en œuvre la LAT révisée et à quelles questions juridiques ils se sont heurtés. L’accès
aux rives des lacs et des rivières fait l’objet d’un troisième article. Le Tribunal fédéral
a décidé à ce sujet que les expropriations ne devaient pas être exclues de manière
absolue. Dans la rubrique «Zoom sur» de cette édition, nous vous présentons un parc.
À l’origine de ce choix, le coup d’envoi de la campagne «Année du jardin 2016 – Espace
de rencontres» donné début 2016.
Le nouveau numéro de Territoire & Environnement traite des constructions hors
zone à bâtir. L’auteur analyse les incitations inopportunes qui président à leur augmen-
tation et esquisse les mesures susceptibles de contrer cette évolution.
Nous espérons que ce nouvel habillage stimulera votre envie de découvrir nos
publications et vous en souhaitons une agréable lecture.
Lukas Bühlmann, directeur VLP-ASPAN
ImpressumINFORUM VLP-ASPAN Magazine pour les membres
de l’Association suisse pour
l’amé nage ment national.
Paraît en français et en
allemand quatre fois par an et
deux fois en italien.
Rédaction Lukas Bühlmann,
Annemarie Straumann
Traduction Magali Züblin, Anne Huber,
Anne-Marie Krauss
Photo de couvertureLe parc de Brünnengut BE
(Jérémie Poux)
Cartoon Jonas Brühwiler
Mise en page Ludwig Zeller
Impression galledia ag, 9442 Berneck
La reproduction des textes et
des illustrations est autorisée
moyennant indication de la
source.
VLP-ASPAN | Février 2016 3
SOMMAIRE
MORATOIRE SUR LES ZONES À BÂTIR ........... 4Selon le Tribunal fédéral, l’intérêt public majeur
qu’il y a à redimensionner les zones à bâtir justifie
une application immédiate du moratoire.
LA LAT EN PRATIQUE .................................... 8Pour mettre en œuvre la LAT, les cantons doivent
adapter leur plan directeur et leur loi. Nous vous
donnons un aperçu de ce qui se fait dans les cantons
du Valais, du Jura et de Vaud.
LES CHEMINS DE RIVE .................................14Les expropriations pour la construction de chemins
de rive ne doivent pas être exclues de manière
catégorique. Le Tribunal fédéral a corrigé un projet
de loi du conseil d’État zurichois.
AGENDA .......................................................19
VOUS DEMANDEZ – NOUS RÉPONDONS ..... 20Bruyants et salissants, les pigeons en zone d’habitation
– Les colombiers y sont-ils autorisés?
ZOOM SUR .................................................. 21À Berne, le parc de Brünnengut fait le lien entre les
différents quartiers et tient lieu de poumon de verdure
parmi des tours d’habitation. Balade.
LA PAROLE À ............................................... 25L’urbaniste Christoph Rossetti raconte comment est
né le parc de Brünnengut. Un concept d’affectation
et un prélèvement de plus-value innovant ont joué
un rôle important.
CARTOON .................................................... 28Mise en œuvre de la LAT, version «laissez-faire».
Dans ces pages
TERRITOIRE & ENVIRONNEMENT, FÉVRIER 2016
Les moteurs de la construction hors zone à bâtir
Comment se fait-il que l’on continue, en
dépit du principe d’aménagement vou-
lant que les parties non constructibles du
territoire restent libres de constructions,
d’ériger autant de bâtiments en dehors des
zones à bâtir? Quels sont
les moteurs d’une telle
évolution? Les causes
du phénomène résident
notamment dans les inci-
tations économiques inop-
portunes que génèrent
les bases légales actuelles, dans la marge
de manœuvre dont disposent les pouvoirs
publics et dans les problèmes d’exécution
qui caractérisent l’aménagement du terri-
toire. L’analyse des mécanismes à l’œuvre
et leur classement systématique ont fait
l’objet d’une étude menée par le géographe
et économiste Markus Gmünder. Territoire
& Environnement résume ses principales
conclusions et esquisse les mesures suscep-
tibles de remédier à cette évolution.
Les moteurs de la construction hors zone à bâtir.Incitations inopportunes et déficits
FÉVRIER 2016
VLP-ASPAN | Février 20164
LE MORATOIRE SUR LES ZONES À BÂTIR
Le Tribunal fédéral prend la LAT révisée au sérieux
Christa Perregaux DuPasquieravocate, VLP-ASPAN
Le moratoire sur les zones à bâtir doit être appliqué de manière stricte. Selon le Tribunal fédéral, l’intérêt public majeur qu’il y a à redimensionner les zones à bâtir justifie une application immédiate du moratoire prévu dans les dispo-sitions transitoires de la LAT révisée. Ce moratoire est applicable aux plans d’affectation adoptés par la commune, mais contre lesquels un recours est pendant. C’est dans ce sens que la Haute Cour a tranché dans deux récents arrêts concernant les communes d’Attalens FR et d’Oberbüren SG. Une nou-velle mise en zone à bâtir ne peut se faire que moyennant compensation par un déclassement d’une surface équivalente dans le canton.
Vue d’Attalens FR. Le terrain de la nouvelle zone litigieuse est situé au nord-est de l’église. Photo: B. Jud, VLP-ASPAN
VLP-ASPAN | Février 2016 5
En 2011, la commune d’Attalens FR avait affecté un ter-
rain à la zone à bâtir dans le cadre de la révision géné-
rale de son plan d’aménagement local. Ce dernier a ainsi
été adopté avant l’entrée en vigueur de la LAT révisée,
soit avant le 1er mai 2014. Suite aux oppositions et aux
recours des voisins, l’affaire n’a été portée devant le Tri-
bunal cantonal puis fédéral qu’après cette date. Ce der-
nier a admis le recours et renvoyé l’affaire à l’instance
cantonale pour nouvelle décision.
Ancien ou nouveau droit?
L’article 38a alinéa 2 LAT introduit un moratoire sur les
zones à bâtir dans le sens où, jusqu’à l’approbation du
plan directeur cantonal par le Conseil fédéral, la surface
totale des zones à bâtir légalisées ne doit pas augmen-
ter dans le canton concerné (pour le libellé de l’article
voir encadré). Cette obligation de compenser s’applique
à toute nouvelle mise en zone à bâtir. Dans l’arrêt en
discussion ici, la question se pose de savoir si elle s’ap-
plique aussi à des mises en zones à bâtir déjà approu-
vées au niveau cantonal sous l’ancien droit, mais contre
lesquelles un recours est pendant. Il s’agissait pour les
juges de déterminer quel est le droit applicable à cette
affaire. Faut-il appliquer l’ancien droit (sans besoin de
compensation) – sous l’égide duquel le plan d’affectation
a été approuvé –, ou le nouveau droit (avec obligation
de compenser), en vigueur au moment du jugement sur
recours?
Une disposition «peu claire»
Le Conseil fédéral, qui est compétent pour édicter les
dispositions d’exécution de la LAT, a tenté de régler les
cas des recours pendants dans l’ordonnance. L’article
52a alinéa 1 de l’ordonnance OAT précise ainsi qu’il n’y
a pas lieu de compenser une nouvelle mise en zone à
bâtir lorsque, à l’entrée en vigueur de la LAT révisée,
la décision d’approbation cantonale (26 LAT) concernant
cette mise en zone fait l’objet d’un recours et que celui-ci
n’induit ni un réexamen ni une correction matérielle
partielle de la décision d’approbation ou s’il a été déposé
de façon téméraire (art. 52a alinéa 1 LAT, encadré).
Le Tribunal fédéral, après avoir relevé que cette dis-
position de l’ordonnance était «peu claire», s’est pronon-
cé sur différentes propositions d’interprétation, notam-
ment celle de l’instance inférieure (Tribunal cantonal
fribourgeois) et de VLP-ASPAN (voir INFORUM 1/2015,
p. 3 s.). Aucune de ces interprétations ne la convaincant,
la Haute Cour s’est rabattue sur les principes généraux
en matière de droit transitoire pour déterminer quel de-
vait être le droit applicable dans cette affaire.
Intérêt public majeur à une application immédiate
En principe, la légalité d’un acte juridique est jugée en
fonction du droit en vigueur au moment de son adop-
tion. Selon les règles générales du droit transitoire, seuls
des intérêts publics particulièrement importants et dont
Extrait de la LAT
Art. 38a Dispositions transitoires de la modification du 15 juin 2012 1 Les cantons adaptent leurs plans directeurs aux art. 8 et 8a, al. 1, dans
les cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la modification du 15 juin
2012.2 Jusqu’à l’approbation de cette adaptation du plan directeur par le Conseil
fédéral, la surface totale des zones à bâtir légalisées ne doit pas augmen-
ter dans le canton concerné.3 A l’échéance du délai prévu à l’al. 1, aucune nouvelle zone à bâtir ne peut
être créée dans un canton tant que l’adaptation de son plan directeur n’a
pas été approuvée par le Conseil fédéral.4 Dans les cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la modification
du 15 juin 2012, les cantons établissent une compensation équitable des
avantages et inconvénients majeurs résultant des exigences de l’art. 5.5 A l’échéance du délai prévu à l’al. 4, aucune nouvelle zone à bâtir ne
peut être créée dans les cantons qui ne disposent pas d’un régime de
compensation équitable répondant aux exigences de l’art. 5. Le Conseil
fédéral désigne ces cantons après les avoir entendus. Les zones à bâtir
sont définies de telle manière qu’elles répondent aux besoins prévisibles
pour les quinze années suivantes.
Extrait de l’OAT
Art. 52a al. 1 OAT Dispositions transitoires relatives à la modifica-
tion du 2 avril 201441 Si, à l’entrée en vigueur de la modification du 2 avril 2014, un recours
contre la décision rendue par l’autorité cantonale sur l’approbation d’un
classement en zone à bâtir conformément à l’art. 26 LAT est en suspens,
l’art. 38a, al. 2, LAT ne s’applique pas à ce classement si le recours n’induit
ni un réexamen ni une correction matérielle partielle de la décision d’ap-
probation ou s’il a été déposé de façon téméraire.
VLP-ASPAN | Février 20166
LE MORATOIRE SUR LES ZONES À BÂTIR
l’application ne souffre aucun délai peuvent plaider en
faveur d’une application immédiate du nouveau droit
aux causes en suspens. Cette règle se base sur l’article
2 du titre final du Code civil suisse, qui dispose que
«les règles établies dans l’intérêt de l’ordre public et des
mœurs sont applicables dès leur entrée en vigueur à tous
les faits pour lesquels la loi n’a pas prévu d’exception».
Un tel intérêt a été reconnu – de façon générale – dans
les domaines de la protection des eaux, de la nature, du
patrimoine et de l’environnement.
Le Tribunal fédéral considère dans l’arrêt en ques-
tion ici que l’application immédiate du moratoire (et donc
de l’obligation de compenser) répond à un intérêt public
majeur. Dans un contexte de surdimensionnement des
zones à bâtir, la récente révision de la LAT est fondée
sur la prémisse selon laquelle les plans directeurs canto-
naux jusqu’alors en vigueur ne sont pas conformes aux
exigences légales définissant les besoins en zones à bâtir
et que les communes devront probablement procéder à
de nombreux et coûteux déclassements. Le canton de
Fribourg est particulièrement concerné, ses réserves de
zone à bâtir excédant déjà les besoins prévisibles de sa
population pour 2030. Dans de telles circonstances, le
Tribunal fédéral juge qu’il n’y a pas lieu de valider des
plans d’affectation qui, en prévoyant une extension des
zones constructibles, aggravent encore leur non-confor-
mité au nouveau droit et l’ampleur des mesures de ré-
tablissement qui devront être prises à brève échéance.
La LAT exige que les cantons compensent les nouvelles mises en zone – jusqu’à
l’approbation du plan directeur par le Conseil fédéral. Photo: M. Ramseyer, VLP-ASPAN
Le Tribunal fédéral confirme ce jugement
Cette appréciation a été confirmée dans un arrêt subsé-
quent, concernant cette fois une commune saint-galloise.
Le Tribunal fédéral a profité de l’occasion pour confirmer
la jurisprudence d’Attalens, tout en précisant que l’ar-
ticle 52a alinéa 1 OAT devait être appliqué de manière
restrictive. Cette exception à l’obligation de compenser
pour les affaires en cours n’interviendrait que lorsque
l’objet du recours porte sur des questions formelles et
non matérielles.
Une application stricte
En réduisant l’importance de l’article 52a alinéa 1 OAT,
les juges de Mon-Repos reconnaissent ainsi que l’article
38a alinéa 2 LAT répond à un intérêt public majeur qui
justifie son application immédiate, y compris aux causes
pendantes devant la dernière instance cantonale de re-
cours. Ils confirment que toute nouvelle affectation de
terrains en zone à bâtir ne peut être admise que moyen-
nant compensation par un déclassement d’une surface
équivalente dans le canton.
Par cet arrêt, le Tribunal fédéral signale qu’il prend
la révision de la LAT au sérieux et que l’objectif premier
de celle-ci – la maîtrise du dimensionnement des zones
à bâtir – revêt une importance majeure.
La question de la légalité des exceptions à l’exigence
de compenser, prévues par l’ordonnance à son article
52a alinéa 2, se pose avec d’autant plus d’acuité (voir
INFORUM 1/2015, p. 3 s). Elles ont été adoptées sans
base légale formelle et on peut s’attendre à ce que le
Tribunal fédéral les appréhendera avec sévérité s’il doit
un jour se prononcer à leur sujet.
Les arrêts dans le texte
Arrêt du TF 1C_449/2014 du 7 octobre 2015, Attalens FR,
in RJ VLP-ASPAN no 4937
Arrêt du TF 1C_365/2015 du 9 décembre 2015, Oberbüren SG,
in RJ VLP-ASPAN no 4956
… conseilleEn tant que membre, vous avez la possibilité
d’obtenir rapidement, gratuitement et sans
formalité des renseignements en matière d’amé-
nagement du territoire et de police des cons-
tructions. Les villes et les communes profitent
de nos compétences par le biais de notre centre
de conseil SITES EN DIALOGUE. Elles y trouvent
un soutien pour toutes les questions liées au
développement vers l’intérieur et à la qualité de
l’urbanisation, avec un accent sur la procédure de
planification. Vous pouvez nous transmettre vos
demandes par téléphone, par écrit ou par le biais
de notre site Internet.
… informe Nos membres se tiennent informés des dernières
tendances liées au développement territorial par
le biais de notre magazine INFORUM, qui traite
de plusieurs sujets, des Dossiers de Territoire &
Environnement, consacrés à un thème spécifique,
et de notre Newsletter pour l’actualité via Internet.
Vous trouverez nos informations actuelles sur
www.vlp-aspan.ch
… commente VLP-ASPAN est l’éditrice du Commentaire de la
loi fédérale sur l’aménagement du territoire. D’une
grande importance pour la pratique, cet ouvrage
de référence vous aide à appliquer les disposi-
tions légales de façon conforme au droit.
… documenteNous résumons les principaux arrêts du tribunal
relevant du droit des constructions, de l’amé-
nagement du territoire et de l’environnement
dans notre recueil de jurisprudence, auquel vous
pouvez vous abonner. Nous gérons en outre une
base de données avec de bons exemples de
développement urbain, ainsi qu’une importante
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VLP-ASPAN | Février 20168
LA LAT EN PRATIQUE
Les cantons sont en route
Sonia Blindjuriste, VLP-ASPAN
Christa Perregaux DuPasquieravocate, VLP-ASPAN
L’exécution de la LAT révisée exige des cantons qu’ils adaptent leur plan directeur et leur lé-gislation cantonale. À l’heure où de nombreux législatifs se penchent sur la révision de leur loi cantonale ou l’adoption de leur plan directeur cantonal, comme dans les cantons du Valais, du Jura et de Vaud, il est utile de présenter quelques-unes des pistes suivies et d’aborder certaines questions cruciales. Le présent ar-ticle se penche sur le dimensionnement des zones à bâtir et les moyens de mobiliser le terrain à bâtir. En revanche, il n’aborde pas la question du prélèvement de la plus-value.
Alors qu’il s’était prononcé à 80% contre la révision de
la LAT, le Valais cherche maintenant activement des
solutions pour répondre aux exigences fédérales – plé-
biscitées par 63% des votants au niveau suisse –, tout
en prenant en compte les particularités du canton. Une
vision renouvelée et prometteuse du développement du
canton n’a pourtant pas attendu la révision de la LAT
pour émerger. En 2010 déjà, le Grand Conseil avait mani-
festé la volonté de réformer le développement territorial
du canton. C’est ainsi qu’un nouveau «Concept cantonal
de développement territorial» est entré vigueur le 1er jan-
vier 2015.
À l’instar du Projet de territoire Suisse, le concept
valaisan définit cinq types d’espaces (l’espace urbain
avec centres; l’espace multifonctionnel dans la plaine
du Rhône; l’espace des coteaux et des vallées latérales;
l’espace touristique alpin avec centres; l’espace nature
et paysage), qui possèdent des caractéristiques, qualités
et potentialités propres et qui sont confrontés à divers
défis, auxquels répondent des stratégies spécifiques. Le
concept cantonal constitue le socle sur lequel se basent
les travaux en cours pour l’adaptation du plan directeur
cantonal, qui n’avait pas été revu globalement depuis
1988. Le canton espère transmettre son plan directeur
cantonal au Conseil fédéral en 2017.
VLP-ASPAN | Février 2016 9
Le canton de Vaud possède un nombre important de zones à bâ-
tir surdimensionnées. Trois communes sur quatre doivent réduire
leurs zones à bâtir. En image: Ecublens. Photo: J. Poux, VLP-ASPAN
Une démarche pragmatique
Le projet de plan directeur cantonal valaisan prévoit
que les communes définissent un périmètre d’urbanisa-
tion pensé pour les 25 à 30 années à venir. Pour cela, la
zone à bâtir non encore construite doit être divisée en
trois catégories:
Les zones homologuées qui correspondent aux exi-
gences de l’art. 15 LAT,
les terrains qui ne seront pas utilisés pour répondre
aux besoins pour les quinze prochaines années et
dont la construction sera donc bloquée à moyen
terme, et enfin
les terrains susceptibles d’être dézonés et qui seront
dès lors situés hors du périmètre d’urbanisation.
C’est la deuxième catégorie qui soulève les questions
les plus délicates. Selon le rapport explicatif de la ré-
vision globale du plan directeur cantonal, le blocage de
ces zones – pour l’instant colloquées en zone à bâtir –
pourrait se faire par le biais d’une zone réservée (art. 27
LAT), d’une zone d’affectation différée (art. 18 al. 2 LAT)
ou par la réalisation par étape de l’urbanisation ou de
l’équipement (art. 19 al. 2 LAT) (voir encadré «Deux types
d’instruments»). À noter que l’équipement par étape ne
peut se faire que dans une zone selon l’article 15 LAT et
que l’urbanisation par étape n’est au fond rien d’autre
qu’une zone d’affectation différée. Plusieurs questions
juridiques se posent concernant ces mesures de blocage,
certaines d’entre elles seront discutées ci-dessous.
La mobilisation des zones à bâtir prévues en Valais
Le Grand Conseil valaisan a adopté fin 2015, sans oppo-
sition, la loi sur l'aménagement du territoire en première
lecture. Il a ainsi, pour l’instant, validé la proposition de
l’exécutif. Le projet de loi veut donner les moyens aux
communes de mieux gérer leur zone à bâtir pour en ga-
rantir la qualité et l’utilisation mesurée. Il introduit no-
tamment la possibilité de conclure des contrats d’urba-
nisme, instaure la possibilité du droit d’emption sur des
terrains non construits dans les délais prévus; prévoit
le déclassement des terrains non construits et situés en
dehors du milieu bâti et donne aux communes la pos-
sibilités de délimiter des périmètre de développement.
À certains endroits de ces périmètres à revaloriser, un
droit d’expropriation sera envisageable.
VLP-ASPAN | Février 201610
LA LAT EN PRATIQUE
La législation jurassienne est prête
À l’instar du canton du Valais, le Jura mène en paral-
lèle la refonte complète de sa conception directrice sur
le développement territorial (en consultation publique
jusqu’à fin février 2016), le renouvellement de son plan
directeur cantonal et l’adoption de mesures contrai-
gnantes pour répondre aux exigences de la révision
LAT. Conscient de la problématique du dimensionne-
ment des zones à bâtir, le canton du Jura n’a pas attendu
la révision de la LAT pour entreprendre les travaux de
réflexion nécessaire à une adaptation de sa législation
cantonale, entrée en vigueur le 1er janvier 2016.
La disponibilité des zones à bâtir, nouvelles et
existantes, est ainsi garantie à l’aide de mesures
contraignantes. Le canton a introduit une obligation de
construire pour les terrains affectés à la zone à bâtir,
un droit d’emption légal à disposition des communes,
un indice minimum d’utilisation du sol dans les plans
d’aménagement communaux, un délai pour débuter les
travaux lorsqu’il y a eu mise en zone en vue d’un projet
particulier, et la possibilité pour le Département et les
communes d’établir une zone réservée sur les zones à bâ-
tir excédentaires en vue de leur déclassement ultérieur.
Le Jura utilise l’instrument de la zone réservée
Pour qu’un redimensionnement de la zone à bâtir reste
possible, le canton a décidé de faire usage de sa com-
pétence de délimiter, à certains endroits, des zones ré-
servées. En effet, le 80% du potentiel de réduction des
zones (centres, mixtes et d’habitation) concerne des ter-
rains libres, non équipés et situés en bordure de zone à
bâtir, il est donc essentiel de préserver cette marge de
manœuvre.
La planification des zones réservées se base sur un
inventaire qui classe les restitutions potentielles à la
zone agricole selon différentes priorités, définies d’après
leur situation et leur statut par rapport à la zone à bâtir.
Le statut définitif de la zone à bâtir sera réglé lors de
la révision du plan d’aménagement local, dans le cadre
d’une pesée des intérêts et en respectant les exigences
du nouvel article 15 LAT. Le traitement des oppositions
et l’adoption des zones réservées par le Département est
prévu pour le printemps 2016.
Des communes vaudoises courageuses
Plusieurs communes vaudoises se sont d’ores et déjà
mises au travail pour se conformer à la nouvelle LAT.
Parmi elles, Valbroye est en train de mener une vaste
opération de déclassement de sa zone à bâtir. La com-
mune broyarde a identifié huit hectares de terrains de-
vant être prioritairement rendus à la zone agricole. C’est
un premier pas important, même si le travail ne fait que
commencer: à terme ce ne sont pas moins de 27 hectares
de terrain qui devront être dézonés dans cette même
commune. Ce remaniement pourrait permettre de dé-
bloquer plusieurs projets de développement en suspens
(voir p. 4 ss). Il n’en reste pas moins que ces nouvelles
mises en zone à bâtir, même compensées, devront ré-
pondre aux exigences de l’article 15 LAT.
Villarzel, une autre commune de la Broye, a pour sa
part choisi de transférer les droits à bâtir de sept hec-
tares à d’autres communes vaudoises dont le besoin en
terrains constructibles est avéré.
Quant à Tévenon, une commune fusionnée du pied
du Jura, elle a opté pour un gel général des constructions
en inscrivant l’ensemble de son territoire en zone réser-
vée (art. 27 LAT). Cette mesure, délicate de par sa radica-
lité, mais qui semble proportionnée dans le cas concret
au regard du but à atteindre, doit permettre à la com-
mune de prendre le temps de modifier son plan général
d’affectation sans subir de pressions de propriétaires
désireux de déposer de nouveaux projets immobiliers.
Zone réservée et zone d’affectation différée
Le recours à la zone réservée (art. 27 LAT), tel qu’il est
prévu notamment dans les cantons de Vaud, du Jura et
Le canton du Valais a introduit un «concept cantonal de développement territorial»
qui distingue cinq régions, dont l’espace alpin touristique et ses centres. En image:
Zermatt. Photo: S. Wild, WSL.
VLP-ASPAN | Février 2016 11
La zone réservée vise à empêcher que des surfaces destinées à être déclassées
ne soient construites juste avant la modification du plan d’affectation. Ici, un bâ-
timent d’habitation dans les environs de Brigue VS. Photo: L. Bühlmann, VLP-ASPAN
du Valais, permet de «mettre sous cloche» certains sec-
teurs afin de donner aux communes le temps d’adapter
leur planification aux exigences de la LAT révisée, sans
que des constructions viennent empêcher leur déclasse-
ment futur. En plus de cette possibilité, certains cantons,
dont le Valais, envisagent le recours, par les communes,
à la zone d’affectation différée (art. 18 al. 2 LAT).
La question de l’indemnisation
La question de l’indemnisation des propriétaires se pose
aussi bien pour la zone d’affectation différée que pour
la zone réservée. En effet, les deux types de zones en-
traînent une restriction des possibilités de construire.
Dans l’un et l’autre cas, il s’agit toutefois d’une restric-
tion à la propriété qui est limitée dans le temps. La diffé-
rence fondamentale réside dans le fait que l’affectation
de base de la zone réservée (art. 27 LAT) reste la même,
alors que celle de la zone d’affectation différée (art. 18 al.
2 LAT) change lorsqu’elle est utilisée pour redimension-
ner la zone à bâtir.
Même si aucune limite temporelle claire ne peut
être déduite de la jurisprudence du Tribunal fédéral,
on peut partir du principe qu’une indemnisation pour
expropriation matérielle n’entre pas en ligne de compte
lorsqu’une zone réservée (art. 27 LAT) est adoptée. La
question est plus délicate lorsqu’on se trouve face à une
zone d’affectation différée (art. 18 al. 2 LAT), qui modi-
fie fondamentalement l’affectation de base, sans qu’une
remise en zone ultérieure soit garantie. Une obligation
d’indemniser n’est donc pas exclue.
Les indemnisations devraient être rares
Ce constat, qui peut paraître décevant si l’on pense aux
efforts à entreprendre par les communes pour redimen-
sionner leurs zones à bâtir, doit toutefois être relativisé
à la lumière de la jurisprudence récente sur l’expropria-
tion matérielle. Dans le cas de Salenstein (voir INFO-
RUM 1/2014 p. 8 ss), le Tribunal fédéral a jugé que le
plan d’affectation de base, bien qu’adopté en 1982 – donc
après l’entrée en vigueur de la LAT –, ne correspondait
matériellement pas aux exigences de celle-ci. La zone à
bâtir d’alors excédait largement l’horizon de planifica-
tion fixé par la loi. Sur la base de cette constatation, les
juges ont considéré qu’il avait un non classement et ont
refusé à la propriétaire le droit d’être indemnisée pour
expropriation matérielle. On peut déduire de cet arrêt
que les communes dont la zone à bâtir est clairement
surdimensionnée et qui, en application de la nouvelle
VLP-ASPAN | Février 201612
LAT, doivent procéder à des déclassements, ne seront en
principe que rarement confrontées au versement d’in-
demnités pour expropriation matérielle. Mais la juris-
prudence est en voie d’établissement et chaque cas doit
faire l’objet d’un examen concret.
Le législatif cantonal doit prendre ses responsabilités
En ce qui concerne les mesures de mobilisation des ter-
rains à bâtir, les législatifs jurassien et valaisan ont pris
leur responsabilité et réalisé que pour pouvoir répondre
à la volonté qui s’est exprimée lors de la votation du
3 mars 2013, il ne suffit pas de prôner des grands prin-
cipes, mais qu’il faut agir en les concrétisant de manière
contraignante.
Dans d’autres cantons, en revanche, les débats par-
lementaires tendent à édulcorer les projets de l’exécutif,
par exemple pour éviter des droits d’emption ou d’autres
mesures permettant de contrer la thésaurisation des
zones à bâtir. Quant aux zones à bâtir existantes, la
LAT révisée exige que des mesures soient prises pour
qu’elles soient utilisées conformément à leur affectation.
Elle demande, en outre, aux cantons d’instaurer un délai
de construction suivi de mesures en cas d’inexécution
(art. 15a LAT). Pour les nouveaux classements, la LAT
révisée est plus sévère: la disponibilité de chaque ter-
rain doit être garantie sur le plan juridique (art. 15 al. 4
lettre d LAT). Les nouvelles mises en zone à bâtir doivent
être liées à des projets de construction aussi concrets
La LAT exige que la disponibilité de terrains constructibles soit garantie. Une fois mis en zone, un
terrain ne doit pas être thésaurisé, mais construit. Photo: J. Poux, VLP-ASPAN
LA LAT EN PRATIQUE
Redimensionnement: un fil rouge pour les communes
Le canton de Vaud est particulièrement touché par la nécessité de redi-
mensionner la zone à bâtir: trois communes vaudoises sur quatre sont
en situation de surdimensionnement (chaque commune dispose d’ores
et déjà d’un bilan de ses réserves en zones d’habitation et mixtes). Pour
cette raison, le canton a publié à leur intention une brochure simple et
illustrée contenant des lignes directrices. Il y propose une procédure en
trois étapes:
il s’agit tout d’abord de se doter d’une vision à 15 ans pour l’aménage-
ment du territoire communal.
Ensuite, il faut effectuer les dézonages les plus évidents, généralement
à l’extérieur du territoire urbanisé et,
dans un troisième temps, on passe au traitement du potentiel d’urbani-
sation à l’intérieur du territoire urbanisé.
Pour éviter de péjorer la situation existante durant cette procédure, le
canton propose aux communes soit d’établir une zone réservée (art. 27
LAT et 46 LATC-VD; voir encadré), soit de faire usage de la possibilité de
refuser l’octroi d’un permis (art. 77 LATC-VD) lorsqu’un projet compromet
une planification envisagée, auquel cas elle doit mettre à l’enquête pu-
blique son projet de planification dans les huit mois.
Brochure du canton de Vaud :
www.vd.ch > «Lignes directrices du redimensionnement des zones à bâtir»
VLP-ASPAN | Février 2016 13
que possible, dont la réalisation puisse intervenir rapi-
dement. Une législation cantonale qui empêcherait les
communes de remplir cette exigence porterait atteinte
au droit fédéral.
Le poids de l’approbation du plan directeur cantonal
Que risque-t-il de se passer si les parlements cantonaux
n’adoptent aucune mesure contraignante en vue de la
mobilisation des terrains à bâtir? L’article transitoire de
la LAT révisée (art. 38a LAT) exige des cantons qu’ils
adaptent leur plan directeur aux nouvelles exigences de
délimitation des zones à bâtir (art. 8 et 8a al. 1 LAT). Le
plan directeur cantonal doit en particulier définir la ma-
nière d’assurer la conformité des zones à bâtir aux condi-
tions de l’article 15 LAT (art. 8a al. 1 lettre d LAT). Une de
ces conditions est celle de la disponibilité des nouvelles
zones à bâtir, qui doit être garantie juridiquement. Si le
plan directeur cantonal se contente de prévoir des me-
sures dépourvues de fondement sur le plan légal, il ne
remplit pas les exigences de la LAT.
Ainsi, un parlement cantonal qui édulcorerait le
projet de loi au point notamment que la disponibilité des
terrains à bâtir ne serait plus garantie, ne remplirait pas
son mandat législatif. Dans ce cas-là, il est à craindre que
le plan directeur cantonal ne puisse pas être approuvé
par le Conseil fédéral, avec la conséquence que toute
nouvelle mise en zone à bâtir deviendrait impossible.
À l’heure des comptes
Les cantons et les communes se trouvent devant une
tâche immense. Hormis le respect du texte légal entré
en vigueur le 1er mai 2014, il s’agit de changer de cap
par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent en aména-
gement du territoire. Répondre aux défis qui nous sont
posés est une responsabilité à prendre notamment par
respect pour les générations à venir. La solution consis-
tant à se voiler la face et à espérer que tout s’arrange-
ra sans mesures incitatives et contraignantes ne nous
mène nulle part. Tous, que ce soit au niveau de la Confé-
dération, des cantons ou des communes, nous devons
trouver des solutions et aller de l’avant. Des pistes en-
courageantes sont en train d’être explorées, il faut espé-
rer que ces démarches se multiplient et inspirent ceux
qui hésitent encore à passer à l’action.
Documentation
Brochure du canton de Vaud
www.vd.ch > «Lignes directrices du redimensionnement des zones à bâtir»
Concept valaisan de développement territorial
www.vs.ch> «Concept cantonal de développement territorial»
Pour la future législation cantonale jurassienne et le projet de loi
cantonale valaisanne sur la mobilisation des zones à bâtir
www.vlp-aspan.ch > Thèmes > Thésaurisation des terrains à bâtir
Deux types d’instruments
Zone réservée selon l’article 27 LAT (Planungszone)
La zone réservée limite temporairement les possibilités de construire
dans un secteur déterminé afin d’éviter la réalisation de projets suscep-
tibles d’entraver les objectifs d’aménagement. Il s’agit d’une certaine ma-
nière d’une mise sous cloche du territoire concerné dans l’attente d’une
adaptation de la planification. La durée de validité de ces zones est limitée
à cinq ans, mais des prolongations sont possibles lorsque le droit cantonal
le prévoit. La zone réservée ne change pas l’affectation de base de la zone,
mais empêche l’octroi de permis de construire qui pourraient entraver une
future modification de l’affectation. La zone réservée entre en vigueur dès
sa publication, même si elle peut être contestée par la suite.
Zone d’affectation différée selon l’article 18 al. 2 LAT (Reservezone)
La zone d’affectation différée est aussi appelée zone intermédiaire, zone
d’utilisation différée ou encore zone de réserve (en raison du terme alle-
mand de Reservezone). Elle comprend les surfaces dont l’affectation n’a
pas encore été déterminée ou sur lesquelles une affectation déterminée
ne sera autorisée qu’ultérieurement (art 18 al. 2 LAT). A l’origine, l’idée
était de délimiter des secteurs dans lesquels il était envisageable de déve-
lopper les constructions à moyen terme. Actuellement, certains cantons
envisagent d’utiliser cette zone pour faciliter le redimensionnement de la
zone à bâtir. Mais fondamentalement, la zone d’affectation différée reste
(ou devient) une zone de non bâtir et il n’y a pas de garantie que celle-ci
soit ensuite attribuée à la zone à bâtir. Cela dépendra des circonstances
et de la pesée des intérêts qui est de mise lors de toute modification du
plan d’affectation. En principe, la zone d’affectation différée est soumise
aux dispositions concernant les constructions hors zone.
VLP-ASPAN | Février 201614
CHEMINS DE RIVE
L’expropriation doit rester possible
Barbara Judlic. iur., VLP-ASPAN
Il y a un peu plus de de cinq ans, en décembre 2010,
l’initiative «Zürisee für alli» (trad. «Le lac de Zurich pour
tous») a été déposée dans le canton de Zurich. Le but de
l’initiative était de faire passer le chemin de rive – prévu
dans le plan directeur – le long du lac de Zurich, le plus
près possible de l’eau ou, exceptionnellement, sur des
passerelles. En août 2011, le parlement cantonal a reje-
té cette initiative, tout en approuvant l’élaboration d’un
contre-projet. Sur ce, l’initiative a été retirée et le Conseil
d’État a établi un projet de crédit pour la construction
des chemins de rive.
Le Grand Conseil rechigne
Une controverse a toutefois éclaté au parlement sur la
question de savoir jusqu’où l’État pouvait empiéter sur
la propriété privée pour construire des chemins de rive.
Le Conseil d’État a proposé d’introduire dans la loi can-
tonale sur les routes (StrG) un montant annuel, corrigé
de l’inflation, de six millions de francs pour la construc-
tion de chemins de rive au bord des lacs et cours d’eau
zurichois. Selon le gouvernement cantonal, non seule-
ment les parcours longeant les rives du lac de Zurich,
mais également tous les projets de cheminement le long
des eaux du canton de Zurich devaient profiter de l’aide
financière.
En novembre 2015, le Tribunal fédéral a annulé une disposition de la loi cantonale zurichoise sur les routes car elle contrevenait à la loi sur l’aménagement du territoire. Le paragraphe litigieux excluait toute possibilité d’exproprier pour la construction de chemins de rive. Selon le Tribunal fédéral, une telle exclusion serait toutefois disproportionnée et empêcherait de procéder à la pesée des intérêts exigée par l’aménagement du territoire. La loi zurichoise sur les routes entre donc en vigueur sans cette protection particulière des propriétaires.
VLP-ASPAN | Février 2016 15
La commission parlementaire préparatoire, à savoir la
commission du Grand Conseil pour l’aménagement et
les constructions, a accepté le projet uniquement en rai-
son d’un compromis, selon lequel la loi sur les routes
devait être complétée par un paragraphe 28c. Cette
disposition avait pour but de protéger les propriétaires
de parcelles au bord du lac, en précisant qu’un chemin
de rive ne pouvait être construit contre la volonté des
propriétaires que si un autre cheminement était impos-
sible ou disproportionné. La majorité de la commission a
également approuvé le fait que les communes devaient
participer à raison de 20% aux frais d’aménagement et
de construction du chemin, y compris aux frais d’acqui-
sition de terrains.
Lors de la discussion suivante au parlement cantonal, un
débat animé a eu lieu autour de ce paragraphe visant à
protéger les propriétaires. En deuxième lecture, il a été
réclamé qu’un caractère absolu soit accordé à la protec-
tion de la propriété. Au vote final du 15 novembre 2013,
le Grand Conseil a adopté la loi ainsi révisée avec 92
voix sur 76. Le paragraphe 28c de la loi sur les routes
était libellé ainsi: «Pour la création de chemins de rive,
les propriétaires de parcelles privées ne peuvent pas
être expropriés et leurs parcelles ne peuvent d’aucune
manière être mises à contribution».
L’initiative «Zürisee für alli» exigeait que le chemin passe le long de la rive ou exceptionnellement – comme ici entre
Wädenswil et Richterswil ZH – sur des passerelles. Photo: B. Jud, VLP-ASPAN
VLP-ASPAN | Février 201616
CHEMINS DE RIVE
Pas de droit au libre accès
L’article 3 alinéa 2 lettre c LAT ne signifie ni que les lacs et leurs rives
doivent rester libres de toute construction en vertu du droit fédéral, ni
qu’un libre accès aux rives lacustres découle directement du droit fédéral.
La formulation de la disposition légale parle uniquement de «faciliter» l’ac-
cès, elle ne l’exige cependant pas de manière explicite et relativise ainsi
le droit d’accès. La préservation de paysages naturels ou la protection de
biotopes peuvent par conséquent imposer une restriction à l’accès aux
rives des lacs et cours d’eau.
Après examen de la situation juridique, l’Office fédéral du développement
territorial ARE a pris position en 2008 en concluant qu’un droit de libre ac-
cès aux rives des lacs et des cours d’eau ne pouvait être déduit ni de la loi
sur l’aménagement du territoire, ni du Code civil, ni des lois fédérales sur
la protection des eaux et sur l’aménagement des cours d’eau, ni du droit
de la mensuration. L’ARE a cependant précisé que les cantons devaient à
l’avenir accorder davantage d’importance à l’accès public aux rives et à
les maintenir libres.
Recours au Tribunal fédéral
Une fois écoulé le délai référendaire pour la modification
de la loi, 15 personnes privées ainsi que l’association «Ja
zum Seeuferweg» (trad. «Oui au chemin de rive») ont fait
recours au Tribunal fédéral, qui est entré en matière sur
les recours, toutes les personnes privées habitant le can-
ton de Zurich et ayant un intérêt à utiliser les chemins
de rive en tant que piétons ou randonneurs. Les juges
ont laissé ouverte la question de la qualité pour agir de
l’association «Ja zum Seeuferweg». Les recourants ont
motivé leur opposition à la modification de la loi entre
autres par le fait que le paragraphe 28c constituait une
entorse au droit fédéral de rang supérieur.
Principes d’aménagement à prendre en compte
La loi fédérale sur l’aménagement du territoire LAT
exige à son article 3 de tenir libres les bords des lacs et
des cours d’eau, et de faciliter l’accès public aux rives et
le passage le long de celles-ci (art. 3 al. 2 let. C LAT). Tout
comme les buts de l’article 1 LAT, les principes d’aména-
gement de l’article 3 LAT sont contraignants pour les ins-
tances législatives et, partant, également pour le Grand
Conseil zurichois. Les différents principes régissant
Des pontons et bancs en bois sur le chemin de rive entre
Wädenswil et Richterswil invitent à la halte.
Photo: A. Straumann, VLP-ASPAN
On a profité de la construction du chemin de rive entre Wädenswil et Richterswil
pour revaloriser les lieux du point de vue écologique. Photo: A. Straumann, VLP-ASPAN
VLP-ASPAN | Février 2016 17
l’aménagement sont en règle générale de même rang. La
méthode de la pesée des intérêts en trois étapes (art. 3
OAT) montre comment les apprécier les uns par rapport
aux autres dans un cas particulier. Les intérêts mention-
nés à l’article 3 LAT ne peuvent pas être considérés de
manière isolée. En outre, lors de la pesée des intérêts,
les intérêts publics et privés qui ne sont pas mentionnés
à l’article 3 LAT doivent également être pris en compte
(voir encadré «Pas de droit au libre accès»)
Pas de protection absolue de la propriété
Selon le Tribunal fédéral, la loi sur l’aménagement du
territoire impose un cheminement le long des rives, par-
tout où c’est raisonnable, possible et approprié. Le pa-
ragraphe en question (28c StrG) excluait d’emblée toute
expropriation pour des chemins de rive. Cette disposi-
tion aurait empêché la pesée des intérêts requise par
le droit de l’aménagement du territoire. Selon la Haute
Cour, une protection absolue des propriétaires contre
les expropriations équivaudrait à rendre pratiquement
impossible la création de chemins de rive d’une certaine
longueur. Un projet de tracé pourrait échouer du fait que,
dans une rangée de parcelles riveraines, un seul pro-
priétaire refuse une cession volontaire des droits néces-
«Un chemin de rive public longeant
directement l’eau offre au public
le meilleur accès possible au lac.
Avec de simples chemins de
pénétration, un tel accès n’est pas
assuré.» (Trad.)
Tribunal fédéral, décision 1C_157/2014, consid. 3.4.
saires, et qu’un cheminement derrière sa parcelle n’est
pas envisageable. Dans la mesure où le Grand Conseil
entendait exclure toute possibilité d’exproprier, la dispo-
sition contrevenait au droit fédéral. Le Tribunal fédéral
a par conséquent abrogé purement et simplement le pa-
ragraphe litigieux.
Suppression du paragraphe contraire au droit fédéral
Les juges de Lausanne ont précisé qu’il n’était pas inter-
dit au législateur cantonal de pré-structurer la pesée des
intérêts en matière de planification de chemins de rive,
Au bord du Hüttnersee ZH, le chemin n’a pas été tracé directement le long de l’eau, mais «à proximité de la rive»
pour des motifs de protection de la nature. Quelques chemins de pénétration conduisent toutefois les piétons
directement au bord du lac. Photo: B. Jud, VLP-ASPAN
VLP-ASPAN | Février 201618
et d’accorder un poids plus élevé à l’intérêt des proprié-
taires. Cela nécessiterait toutefois une disposition libel-
lée de manière suffisamment ouverte.
Selon le Tribunal fédéral, une solution comme celle
proposée initialement par la commission préparatoire
du Grand Conseil aurait été acceptable. Comme men-
tionné, celle-ci n’aurait admis la mise à contribution de
parcelles privées contre la volonté des propriétaires,
que si un cheminement alternatif était impossible ou
disproportionné. Une réglementation comparable existe
notamment dans le canton de Berne (voir encadré «Loi
bernoise sur les rives des lacs et des rivières»)
Le 25 novembre 2015, la Directrice zurichoise de
l’économie a communiqué que le Conseil d’État mettrait
en vigueur la loi sur les routes sans le paragraphe li-
tigieux. Pour les propriétaires de parcelles au bord du
lac, la protection rigoureuse de la propriété inscrite à
l’article 26 de la Constitution fédérale s’applique. On
peut se demander s’il faut s’attendre à un nouveau débat
politique à ce sujet et si la loi sera complétée comme
prévu initialement par une formulation ouverte sur la
protection des propriétaires. Pour l’instant, la question
reste ouverte.
L’arrêt dans le texte
Arrêt du TF 1C_157/2014 du 4 novembre 2015, Zürich,
in RJ VLP-ASPAN no 4948
Loi bernoise sur les rives des lacs et des rivières
Le but de la loi sur les rives des lacs et des rivières LRLR,
adoptée le 6 juin 1982 suite à une initiative, est de pro-
téger la physionomie des rives et d’assurer l’accès public
aux rives des lacs et des rivières. À propos des chemins de
rive, la LRLR formule notamment les exigences suivantes:
un chemin de rive doit être continu et dans toute la me-
sure du possible exempt de circulation, il doit en principe
longer directement la rive. Le chemin peut également être
construit un peu plus loin («à proximité de la rive»), c’est-à-
dire jusqu’à 50 mètres de distance des eaux, lorsque des
conditions particulières le justifient, comme la possibilité
d’une économie substantielle, d’autres intérêts publics im-
portants ou des intérêts privés prépondérants. Lorsque le
chemin est construit «à proximité de la rive», des chemins
de pénétration doivent amener aux secteurs publics situés
au bord de l’eau et des échappées vers l’eau doivent être
assurées.
Il est possible de renoncer à un chemin le long de la rive
uniquement s’il existe un tracé plus attractif «à proximité
de la rive», ou si un chemin «à proximité de la rive» s’impose
pour des raisons topographiques ou des motifs relevant de
la nature et du paysage.
Référence bibliographique:
BLIND SONIA, Accès aux rives des lacs et des cours
d’eau, in VLP-ASPAN, Territoire & Environnement 5/2011
CHEMINS DE RIVE
Les projets de chemins le long des lacs et cours d’eau zurichois – ici les chutes
du Rhin (SH) – doivent pouvoir bénéficier de l’aide financière. C’est ce qu’exige
désormais la loi sur les routes du canton de Zurich (StrG).
Photo: A. Straumann, VLP-ASPAN
VLP-ASPAN | Février 2016 19
Cours
Introduction à l’aménagement du territoire
SPÉCIAL CANTON DE NEUCHÂTEL: 8, 15 et 22 novembre 2016, à Neuchâtel SPÉCIAL CANTON DE VAUD: 10, 17 et 24 novembre 2016, à Lausanne
La nouvelle loi sur l’aménagement du
territoire exhorte la Confédération, les
cantons et les communes à favoriser
l’urbanisation vers l’intérieur et à privi-
légier la qualité. Les conseillères et les
conseillers communaux, de même que
les employé-e-s des services communaux
et cantonaux, ont à prendre des décisions
ayant des conséquences sur la cohabita-
tion, la qualité de vie, l’environnement et
les finances des communes. Notre cours
d’introduction leur donne les moyens
de prendre les bonnes décisions. Il leur
permet de se familiariser avec les instru-
ments et les acteurs de l’aménagement et
d’étoffer leurs connaissances par le biais
de cas concrets. Réservez ces dates dès
aujourd’hui.
Cours
Introduction au cadre légal des constructions hors zone à bâtir
Fribourg, 15 mars 2016
Pourquoi faut-il séparer le territoire
constructible de celui qui ne l’est pas?
Quelles constructions sont considérées
comme conformes à la zone agricole?
Dans quelles mesures peut-on modifier
les constructions existantes ou changer
leur affectation? Quelles sont les règles
applicables à la détention de chevaux en
zone agricole? Notre cours d’introduction
proposera un tour d’horizon général des
tenants et aboutissants et du régime juri-
dique des constructions hors zone.
Congrès
Développement vers l’intérieur et droit
Soleure, 30 juin 2016
VLP-ASPAN et des juristes de renom ont
entrepris de remanier fondamentalement
le Commentaire de la loi fédérale sur
l’aménagement du territoire de 1999. Le
nouveau et premier tome de cet ouvrage
de référence pour le développement ter-
ritorial suisse sortira de presse cet été. Il
a pour thème la planification de l’affecta-
tion, clé de voûte du développement vers
l’intérieur. C’est en fin de compte du plan
d’affectation que dépendra la réussite
de la mise en œuvre de la LAT révisée
et de la limitation de l’extension de l’ur-
banisation. Lors du congrès, les éditeurs
du Commentaire – des professeurs et des
experts en droit – aborderont les ques-
tions juridiques en lien avec la compen-
sation de la plus-value, l’équipement, le
remaniement de terrains à bâtir, pour ne
citer que ces thèmes. Inscrivez-vous dès
maintenant.
AGENDA
Le calendrier de VLP-ASPAN
Inscription sous: www.vlp-aspan.ch > Formation
VLP-ASPAN | Février 201620
VOUS DEMANDEZ – NOUS RÉPONDONS
Conformité d'un colombier en zone d’habitation
Il y a, dans la zone d'habitation de notre commune, un colombier abritant 40 oiseaux. Ces derniers ont la possi-bilité de quitter leur abri; ils sont bruyants et leurs déjections salissent les façades des maisons voisines. Cette installation est-elle conforme à l'affectation de la zone?
Les zones d’habitation sont principalement destinées à la résidence
des personnes (prendre ses repas, dormir, se reposer, s’acquitter des
tâches ménagères, etc.). Les loisirs et d’autres types d’usage sont aussi
autorisés, pour autant que leur lien à l’habitat soit suffisant. Ainsi, la
détention d’animaux peut aussi être conforme à l’affectation de la zone,
pour autant qu’il ne s’agisse pas d’une activité commerciale (en zone
purement résidentielle).
En matière de bruit, c’est la loi fédérale sur la protection de l’envi-
ronnement LPE et l’Ordonnance sur la protection contre le bruit OPB
s’appliquent qui s’appliquent. Les annexes de l’OPB fixent les valeurs
limites d’exposition applicables à certaines sources de bruit (bruit
technique). Pour les autres sources de bruit, les autorités doivent juger
au cas par cas. L’art. 11 al. 2 LPE prévoit qu’indépendamment des nui-
sances existantes, il importe de limiter les émissions à titre préventif. Il
faut donc les contenir à la source dans la mesure que permettent l’état
de la technique et les conditions d’exploitation, et pour autant que ce
soit économiquement supportable. Des émissions minimes, n’occasion-
nant pas une gêne sensible, sont toutefois tolérables.
L’OPB ne traite pas des chants d’oiseaux. Le cas des 40 oiseaux dans
cette zone d’habitation doit donc être évalué de manière individuelle,
pour savoir s’ils représentent une perturbation majeure. La jurispru-
dence donne des pistes à ce sujet: à Saint-Gall, une volière avec 60 cana-
ris et perruches a ainsi été autorisée. Il s’agissait toutefois d’une volière
intérieure, de sorte que le chant des oiseaux n’était que faiblement per-
ceptible depuis l’extérieur. En Argovie, un élevage amateur de volailles
de 30 poules naines et deux coqs a été jugé conforme, dans la mesure
où le poulailler était équipé d’une isolation phonique, conformément au
principe de prévention. À Bâle-Ville, en revanche, le Tribunal fédéral a
jugé non conforme une volière extérieure pour 30 perroquets.
Les colombes étant moins bruyantes que des perroquets ou des
coqs, leur nombre tolérable devrait être plus élevé. Le caractère du
quartier (sensibilité au bruit, nuisances existantes, densité des habita-
tions, etc.) devrait aussi jouer un rôle dans l’évaluation, tout comme la
situation du colombier (au cœur du quartier ou en bordure de celui-ci).
La question du fumier produit par les volatiles intervient aussi
dans l’évaluation de la conformité à l’affection de la zone. Il faut vérifier
sur place si les nuisances sont exagérément ou fortement gênantes.
Pour autoriser ce projet, la commune peut exiger des mesures telles
que le déplacement du colombier dans une zone peu ou pas construite,
ou la limitation des périodes de liberté des oiseaux.
Jessica Liniger, stagiaire, VLP-ASPAN
CONSEIL
VLP-ASPAN | Février 2016 21
SITES EN DIALOGUE
Zoom sur le parc de Brünnengut
Annemarie Straumannjournaliste / communication, VLP-ASPAN
Le parc de Brünnengut, à Berne, est vert, vaste et varié. Il est à la fois un trait d’union entre les différents quartiers, un poumon de verdure parmi les blocs et les tours d’habitation, un carrefour social. Dans le parc, on se rencontre, on prend l’air, on s’entraîne, on joue, on jardine, on se prélasse. Brünnengut est l’illustration parfaite du lieu animé. Son entretien incombe collective-ment à la Ville et aux quartiers.
VLP-ASPAN | Février 201622
BRÜNNENGUT, BERNE
«En été, ici, c’est bondé», s’exclame Nathalie Herren,
directrice jusqu’en février 2016 de la commission de
quartier Bümpliz-Bethlehem. Elle a grandi à Bethle-
hem, un quartier de 33’000 habitants, à l’est de Berne.
Nous n’étions pas les seules à traverser le parc, en cette
matinée d’hiver plutôt froide. Un père de famille jouait
avec ses enfants sur une place de jeux colorée, tandis
qu’un jeune garçon s’élançait du haut du toboggan. Sur
la piste cyclable et piétonne, une joggeuse dépassait une
personne en chaise roulante, avant d’être elle-même rat-
trapée par un cycliste. Ce dernier a actionné sa sonnette,
bien qu’il fût visible de loin. Le chemin est en effet large
et dépourvu d’obstacles.
Même les non-Bernois connaissent le centre com-
mercial de Westside, situé à quelques minutes à pied du
parc. Ou ils sont amateurs d’architecture et ont visité les
grands complexes tout proches de Tscharnergut et de
Gäbelbach, dont les tours d’habitation datant des années
1950 et 1960 attirent, aujourd’hui encore, architectes et
urbanistes. Dès sa construction, la cité de Tscharnergut
a marqué les esprits, c’était «du jamais vu» en Suisse:
une ville-satellite composée de tours, de rangées de bâ-
timents sur plusieurs étages et de maisons mitoyennes.
Bordé par des symboles du logement social
Ces grands ensembles bâtis, pionniers du logement
social de l’après-guerre, jouxtent le parc, qui les relie
au tout jeune quartier de Brünnen situé de l’autre côté,
principalement habité par la classe moyenne. Derrière,
s’étend la campagne avec, au loin, une ferme. On en
trouve également une dans le parc, mais elle n’est plus
exploitée. Elle abrite désormais les locaux du FC Beth-
lehem, des logements ainsi que des toilettes publiques.
Avec l’autoroute A1 qui passe directement en-dessous
de ses terres, la ferme a un petit air anachronique. Le
grondement des moteurs à l’entrée du tunnel s’entend
bien au-delà du parc.
Pour Nathalie Herren, Bern-Bethlehem réunit ville
et campagne, urbanité et tradition. C’est vrai aussi pour
le parc, qui abrite des éléments d’un domaine du 17ème
siècle, qui lui a donné son nom. On y retrouve une mai-
son de maître, une ferme, un pavillon et un jardin ba-
roque. À une époque, la maison de maître était utilisée
Dans le sens des aiguilles
d’une montre: l’allée des
tilleuls, le terrain de football,
la maison de maître de
Brünnengut (vue depuis les
jardins), la vieille grange et,
en arrière-plan, les tours de
Holenacker.
Photos du parc p. 21-28:
J. Poux, VLP-ASPAN.
VLP-ASPAN | Février 2016 23
comme centre de redressement pour garçons pauvres et
orphelins. Aujourd’hui, elle abrite une crèche.
À proximité, l’employé d’un programme d’occupa-
tion ramasse des déchets au moyen d’une pince. Ce
service de nettoyage est mis sur pied en collaboration
avec les quartiers, un principe important du parc: la
Ville implique la population dans l’exploitation du parc.
Ainsi, la Fondation B est responsable des activités socio-
culturelles. Elle coordonne les activités et les groupes
d’intérêts dans le parc et gère un guichet d’information
virtuel, appelé le «Guichet» et placé sous la responsabili-
té d’un habitant du quartier.
Les habitants du quartier sont également très enga-
gés dans le «jardin des travailleurs», comme les appelle
Nathalie Herren. Il ne s’agit pas d’un jardin familial tra-
ditionnel, mais d’un potager dans lequel poussent des
légumes, des baies et des fleurs. Ici, pas de cabanons
de jardin, on travaille en groupe. Les jardiniers urbains
amateurs peuvent aussi mettre la main à la pâte et par-
ticiper à la cueillette des fruits à la ferme et à la vieille
grange. Une centaine d’arbres fruitiers à haute-tige ont
été plantés, dont de vieilles essences, comme la variété
de pommes «Berner Rose». C’est elle qui a par ailleurs
donné son nom au projet lauréat des architectes paysa-
gers David Bosshard (Berne) et Andreas Tremp (Zurich),
qui ont remporté en 2006 le concours d’architecture
pour l’aménagement du parc.
VLP-ASPAN | Février 201624
L’année du jardin 2016
Le coup d’envoi de la campagne nationale «Année du jardin 2016 – Espace
de rencontres» a été donné. Placée sous l’égide d’architectes paysagistes
et de Patrimoine suisse, la campagne a pour objectif de sensibiliser le
public à l’importance des jardins pour une densification de qualité. De
nombreuses activités se dérouleront en Suisse tout au long de l’année
2016, sous le patronage du Conseiller fédéral Alain Berset. Les communes
ainsi que toutes les personnes intéressées sont invitées à proposer leurs
propres projets. Plus de 110 jardinières et jardiniers privés ouvriront les
portes de leurs jardins durant la période de végétation.
Conditions de participation, formulaire d’inscription et calendrier des mani-
festations disponibles sous: www.gartenjahr2016.ch
BRÜNNENGUT, BERNE
Pour les amateurs d’espaces plus cosy, le parc propose
«le jardin des primevères», où la flore s’épanouit plus
librement.
Des places de sport comme affectation de base
L’allée de tilleuls invite à la détente et à l’oisiveté. Elle
borde trois côtés du parc et est jalonnée de nombreux
bancs. Les tilleuls sont encore jeunes, il faudra attendre
quelques années pour qu’ils prennent de l’ampleur et
apportent l’ombrage escompté. Mais aujourd’hui déjà, ils
sont un emplacement de choix pour suivre les matchs
et les entraînements du FC Bethlehem. Les terrains de
sport ne sont pas délimités comme ils le sont générale-
ment par de hauts grillages, mais par des gradins sur
lesquels il est possible de s’asseoir. Même en hiver, des
promeneurs s’y installent pour regarder les jeunes gens
«taper dans le ballon».
Les entraînements du club de football ont lieu le soir.
Des matches sont disputés. «Les terrains de sport consti-
tuent l’affectation de base», explique Nathalie Herren.
Les architectes paysagistes les ont conçus de manière à
être bien accessibles. Le parc est spacieux et recèle de
coins plus isolés où les jeunes aiment se retrouver. Il y a
une pelouse avec des emplacements pour les grillades. À
la demande des habitants du quartier, un secteur a été
dédié au traditionnel grand feu du 1er août.
Aux abords du parc de Brünnen, les travaux de
construction du complexe scolaire de Brünnen battent
leur plein. L’école devrait être inaugurée en 2016. «Je
suis impatiente de voir quel sera l’impact de l’école sur
le parc», s’exclame Nathalie Herren. Les enfants de-
vraient le rendre encore plus animé.
> Au sujet de la planification du parc: voir l’interview
en page 25.
VLP-ASPAN | Février 2016 25
LA PAROLE À …
Christoph Rossetti: «L’esprit du parc a inspiré le concept d’affectation»
Monsieur Rossetti, le parc de Brünnengut est-il un bon exemple d’aménagement de parc?Oui, je suis satisfait du résultat. C’est un bel endroit,
l’aménagement y est réussi. Le parc est bien utilisé et à
différents niveaux. Des activités culturelles y sont par
exemple organisées. Un jour, un artiste a installé une
boîte aux lettres dans laquelle les habitants du quartier
pouvaient déposer leurs idées. L’artiste les a ensuite ré-
alisées dans le parc.
À quoi ressemblait ce lieu avant la création du parc? Le domaine de Brünnengut appartenait à 30 proprié-
taires. Exploité à des fins agricoles, ce terrain était pour-
tant constructible. Il a été traversé par l’autoroute, ce qui
a occasionné d’importantes nuisances sonores. Il y avait
aussi les demeures historiques de Brünnen: une maison
de maître, une ferme, un pavillon et un jardin d’agré-
ment, ainsi que des abris à moutons et d’autres construc-
tions. Le FC Bethlehem s’entraînait sur des chaumes,
sans éclairage.
D’où est née l’idée de faire un parc?Le parc faisait partie du projet de développement urbain
de Brünnen. Il fallait y construire un nouveau quartier
avec des logements. En 1991, les habitants de la Ville de
Berne ont voté en faveur de la mise à disposition d’une
surface pouvant accueillir la construction de 1'000 loge-
ments. de ce nouveau projet était de créer un espace
public pour l’ensemble du quartier de Berne-Bethlehem.
Dans cette optique, l’Office de l’urbanisme de la Ville de
Berne a proposé un centre socioculturel pour tous les
quartiers situés autour de Brünnengut. Le domaine de-
vait être un élément du parc, relier le nouveau quartier
de Brünnen aux anciens quartiers, et être à la disposi-
tion de près de 12'000 habitant-e-s.
Christoph Rossetti, adjoint du
chef de secteur Aménagement
urbain et local, a participé à
l’aménagement du parc de
Brünnengut en tant qu’urba-
niste à l’Office d’urbanisme de
la Ville de Berne.
À quelles affectations pensait-on?Nous avons identifié les besoins des habitant-e-s du
quartier. En collaboration avec les différents groupes
d’intérêts comme la commission de quartier Büm-
pliz-Bethlehem, l’association du domaine de Brünnen, le
FC Bethlehem et la Conférence des présidents des asso-
ciations de quartiers de Bethlehem, la Ville a élaboré en
1994/965 le «concept d’affectation Brünnengut». Celui-ci
indiquait qui pouvait utiliser le parc et comment, qui
devait être responsable des différentes activités et les
gérer. Des besoins ont été intégrés au parc, comme une
place pour les festivités du 1er août, un bâtiment à louer
VLP-ASPAN | Février 201626
LA PAROLE À …
pour des fêtes privées, des installations sportives, des
places de jeux et de détente, des jardins potagers. L’ «es-
prit» du parc a inspiré le concept d’affectation: un parc
pour tous, qui ne serve pas que certains intérêts. Un
parc qui serait géré en collaboration avec les habitants
du quartier. C’est dans cette optique qu’a été mise sur
pied une plate-forme – aujourd’hui le «Guichet» – afin de
coordonner les différentes activités et agir comme relais.
La mobilité a aussi été un sujet de discussion. Ce ne fut
pas facile, mais nous sommes parvenus à nous mettre
d’accord sur le fait de faire un parc exempt de places de
stationnement, tout en ajoutant quelques emplacements
près de l’arrêt du tram, à côté du parc.
Le concours d’architecture n’a pourtant été lancé qu’en 2006…Oui, à cause de la crise immobilière qui, dans les années
90, a fortement ébranlé le canton de Berne et a para-
lysé le financement de la construction des logements à
Brünnen. Le chantier a connu une pause de 10 ans. Ce
n’est qu’en 2006 que nous avons pu lancer un concours
combinant idées et projets. Le concours d’idées portait
sur l’aménagement du parc de Brünnengut, le concours
de projets sur celui de la zone jouxtant l’autoroute
recouverte.
Quels étaient les éléments incontournables du concours?Le concept d’affectation de 1994/95 en constituait la
base. Les principales consignes étaient de parvenir à des
surfaces utilisables par tous. Le résultat devait être un
espace urbain libre, offrant un aménagement de grande
Fiche signalétique du parc Brünnengut
Atouts
5,5 hectares d’espaces verts ouverts au-dessus de
l’autoroute
Part de la zone de développement de Brünnen
(1991/1999: projet de planification accepté par la
population)
Offre de loisirs, de sport et de détente (espace pour
manifestations, terrains de football, allée des tilleuls,
entre autres)
Centre de rencontre socioculturel regroupant plu-
sieurs quartiers (12'000 habitants)
Intégration d’un domaine historique (maison de maître,
ferme, pavillon, jardin baroque)
Verger de 100 arbres, jardins potagers pour groupes,
surfaces écologiques
Entretien commun par la Ville et les habitants du
quartier
Chemins piétons et pistes cyclables (accès autorisé et
limité pour les livraisons)
Bonne desserte par les transports publics (tram, bus,
arrêt RER Brünnen-Westside)
Rétrospective
1994/95: concept d’affectation (participatif)
Juin 2006: résultat du concours
Août 2007: crédit voté pour l'étude du projet
Janvier 2009: permis de construire
Février 2009: premier coup de pioche
Juillet 2010: fête d’inauguration du parc
VLP-ASPAN | Février 2016 27
précisait également que, pour la construction de leurs
logements, les propriétaires devaient procéder à une
mise au concours public conforme au règlement SIA et
mettre des locaux communs à la disposition des habi-
tants. Cette pratique n’allait pas de soi à l’époque. En
contrepartie, les propriétaires avaient la possibilité de
construire jusqu’à 4 voire 5 étages, ainsi qu’en attique,
au lieu des 1,5 étage en usage dans le quartier. La Ville
compensait une partie de la plus-value que les proprié-
taires retiraient de cette augmentation des possibilités
de construire par des prestations en nature visant à
augmenter la qualité de vie du quartier. Pour les pro-
priétaires, la plus-value était également considérable: le
prix du terrain se voyait démultiplié. La Ville de Berne a
réalisé le parc pour un montant de 3,3 millions et, pour 2
millions supplémentaires, les espaces dévolus au sport.
D’autres parcs de cette envergure sont-ils prévus à Berne?Il existe 4 à 5 autres projets. Celui de Viererfeld/Mittel-
feld est le plus abouti. Un parc pourrait voir le jour dans
ce secteur.
Interview : Annemarie Straumann, VLP-ASPAN
Pour de plus amples informations:
www.bruennengut.ch
qualité, destiné à des activités socioculturelles les plus
diverses. Les secteurs du parc devaient pouvoir être
adaptés aux besoins futurs. Les monuments historiques
devaient être intégrés. En outre, il fallait garantir que
le parc soit facile d’accès, donc exempt de tout obstacle.
En quoi le projet lauréat «Rose de Berne» s’est-il distingué?Les lauréats, les architectes paysagers David Bosshard
(Berne) et Andreas Tremp (Zurich), ont fait mouche no-
tamment avec leur idée d’entourer le parc d’une allée
de tilleuls, tout en créant un cadre naturel vaste et ou-
vert. L’ordre des affectations, l’intégration du domaine
historique, l’encadrement des terrains de sports par des
gradins faisant office de sièges, et l’idée de planter un
bosquet constitué d’anciennes variétés de pommiers
(comme la Rose de Berne), sont autant d’éléments qui ont
plu au jury, constitué de représentants des quartiers.
Comment l’ensemble du projet de parc a-t-il été financé?Les 30 propriétaires fonciers s’étaient déjà mis d’accord
en 1966 sur une réunion parcellaire de leurs terrains à
bâtir pour y développer la zone. Finalement, chaque pro-
priétaire ne possédait plus un bout de terrain déterminé
dans le secteur «Brünnen/parc de Brünnengut», mais
une part de l’ensemble du domaine.
La Ville et les propriétaires fonciers ont signé un
contrat, qui stipulait que les propriétaires offraient gra-
tuitement leur terrain au parc. Il en allait de même pour
le fermier. La Ville a financé une partie de l’équipement
général du nouveau quartier de Brünnen, les raccorde-
ments étant à la charge des propriétaires. Le contrat
Association suisse pour
l’aménagement national
Sulgenrain 20
CH-3007 Berne
Tél. +41 31 380 76 76
Fax +41 31 380 76 77
www.vlp-aspan.ch