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    atimata Mou kaila

    MYTHEBeHISTOIR

    D NSl GESTE D

    Z B RK N

    ELHTONiamey 1988

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    u l t u r e s a f r i c a i n e s

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    F TIM T MOUNK L

    Le mythe et l histoiredans l este de Zabarkne

    CELHTO

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    19 89 CE L li: T

    D.P. 878 Niamey Niger

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    I N T R O D U C T I O N

    Da beegunu wangui ma fisi mun nga bOlA wangunga beeray beeri

    Quand une dchargerefuse les balayureselle refusece qui fait sa grandeur

    Garba Bangna Djassar)

    1. P R O B L M T I Q U E D U S U J E T

    Rien n'est plus malais que d essayer de prsenter unpeuple qui a t quelque peu oubli par l'Histoire. OuiAlors que les chroniques du Soudan mdival s'attardentlonguement sur la descr iption de, la cour de Ghana, du Maliet du Songhay, qu elles racontent dans le dtail la vie despeuples qui vivaient dans ces empires, aucun des auteursn'a, semble-t-i1, rencontr des Zarma. II n'en fallait pasplus pour qu'on en fasse un peuple surgi comme parmutation des franges occidentales de l 'Empire Songhay, unjour du x V le sicle, avec (fait singulier) son histoire, sareligion, ses particularismes. Les intresss pourtant affirment travers toutes leurs traditions qu'ils ont habit largion depuis bien plus longtemps que cela, installs dansles espaces qui jouxtent l'est et l'ouest la Boucle duNiger, et toujours comme Zarma La constance aveclaquelle ils soutiennent ces faits mrite l 'attention; mme sileur geste, la Geste e Zabarkne, n'est qu'un mythe.

    D ailleurs, rien n'estplus

    universellementrpandu que

    lemythe, l'emprise duquel n'chappe aucune socit, nicelles qui se targuent de progrs et de modernisme, ni lesautres. Si les unes en effet refusent les mythes en tant que

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    tels, elles n'en acceptent pas moins, quelquefois leur insu,

    les diverses manifestations. Dans son ouvrage Mythes rveset mystres Mircea Eliade montre comment les mythescontinuent se perptuer dans les socits occidentalesmodernes sous forme de ftes, profanes en apparence tellesque les rjouissances de la nouvelle anne ou les ftes quisuivent la naissance d'un enfant, la construction d'unemaison ou mme l'installation dans un nouvel appartement . 1.

    Dans l'univers des Zarma, c'est quasi quotidiennementque les mythes interviennent dans la vie des hommes qui yrecourent pour s'expliquer, pour se justifier, pour seconsoler. L'imagination s'y adonne de faon continue enactualisant les composantes. Ainsi en est-il par exemple decette explication donne de la prsence des bandes clairesqui sillonnent les flancs de l'cureuil du Sahel et qui neseraient, aux dires du conteur, que l'empreinte laisse l parle mtre-ruban qui lui tombait du cou le long du corps caren ce temps-l, l'cureuil tait le tailleur attitr pour leshommes et pour les btes On ne saurait voquer imageplus actuelle que celle du tailleur figure typique de tous lesmarchs africains d'aujourd'hui. C'st cette actualit quifait la force du mythe car, ainsi que l'expose MirceaEliade 2, qu'il explique l'origine d'un animal, celle d'une

    technique ou celle d'un fait de la vie courante, le mythe nes'carte jamais tout fait de la ralit 1 Or la ralit de laGeste e Zabarkne c'est l'histoire 1 Voil pourquoi, dans cercit sur l'origine des Zarma, mythe et histoire se trouventintimement imbriqus; et voil pourquoi le conteur peutpasser de l'un l'autre domaine avec une parfaite aisance.

    Zabarkne est ton anctre . dit au public assis le djassaren entonnant son texte; Zabarkne l'Arabe est l'anctre de

    tous les Zarma ), ajoute-t-il. L'assistance observe le silence.Pourtant le rcit n'est pas neuf

    1. Mireea Eliade, Mythes rves et mystres Gallimard, Paris, 1957, p. 26-27.2 . Mireea Eliade, Aspects du Mythe Gallimard, Paris, 1963.

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    ntToduction

    Zabarkne est un texte que l'on peut entendre dclamer

    longueur de journe dans les rues commerantes de Nia-mey, o les revendeurs de cassettes enregistres l'utilisentcomme spot publicitaire.

    Zabarkne est un texte que la Radio nationale programmepriodiquement sur ses antennes.

    C'est un texte enfin que la collecte mene depuis deux outrois dcennies par l IFAN d'abord, le NRSH ensuite,l 'IRsH aujourd'hui, et le ELHTO 3 a permis de transcrire

    (et dans une certaine mesure) de diffuser. Le texte est doncconnu Mais il a subi le sort de nombreux textes orauxaujourd'hui recueillis, et qui ne sont transcrits et traduitsque pour servir de documents d histoire, d'ethnologie, degographie etc. toutes disciplines qui oublient que lematriau ainsi rassembl peut tre galement littraire etqu'il mriterait d'tre analys en tant que tel.

    Le travail entrepris ici voudrait tre une contribution lacollecte, la transcription, la traduction et l analyse de lalittrature orale zarma. C'est en mme temps une tentativequi rpond des proccupations multiples :

    - celles d'une Zarma qui voudrait comprendre le mondeo elle vit, le monde qui l'entoure, travers la vision que lepeuple retient de son pass;

    - celles d'une Nigrienne qui voudrait en apprendre

    plus sur son histoire, sa culture, ses valeurs souventdconsidres parce que sans tmoignages crits;

    - celles, intellectuelles et esthtiques d'un chercheurqui, dcouvrant de beaux textes, voudrait comprendre lesmcanismes qui en assurent la permanence dans la mmoirecollective;

    3. IFAN : J'Institut franais d Afrique noire - Centre du Niger, est devenuCNRSH (Centre nigrien de recherche en Sciences humaines) puis IRSH (Institutde recherche en Sciences humaines). CELHTO dsigne Je Centre d'tudeslinguistiques et historiques par tradition oraJe, Bureau de J Organisation de J unitafricaine.

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    . - celles enfin d une enseignante soucieuse d amliorer

    son dialogue pdagogique avec des jeunes qui, au Niger, ontparticulirement soif de littrature et de culture africaines;toutes cnoses que ne leur offrent qu insuffisamment lesprogrammes scolaires, ceux de l Universit nationale et lesplaces publiques de plus en plus dsertes par les anima-teurs traditionnels. Les griots en effet se font rares, frappspar la ncessaire reconversion qu imposent les nouvellesstructures sociales. Et quoi qu aient pu dire ou crire desmdia qui ont quelquefois dnonc cor et cri leurprolifration, peu d entre eux aujourd hui envisagent queleur fils devienne griot son tour. Ils sont conscients devivre une mutation irrversible et ne voient pas trs bien laplace que leur rserve, dans l avenir, la socit africaine. Lasituation qu ils vivent n offre rien de trs rassurant eneffet : on les sollicite certes encore beaucoup pour prcisment recueillir ces textes dont ils ont t longtemps lesdpositaires, et qui leur chappent lorsqu ils sont transcritset traduits. L enquteur, ds lors qu il a offert la colad enregistrement t), s estime quitte vis--vis de son griotinformateur qu il oublie tout simplement d associer audestin de l uvre. Les griots, et parmi eux les djassarvivent douloureusement cet acte de dpossession, accompliavec quelquefois la dsinvolture que l on sait. Ils ont eneffet consacr de longues et laborieuses annes d tudes l apprentissage d un mtier, qu impuissants ils voient sedfaire, parce que le seul texte valable est le texte homologu, reconnu par les universits nouvelles.

    Tout ce qui se peut enregistrer, on nous l a demand etnous avons rpondu; prsent, c est pour cueillir nosmensonges que les gens viennent nous t), dira l un d euxen guise d explication au refus de parler qu il nous aoppos. Nous nous trouvons ici bien loin de cette devise dutexte 1 qui disait du djassar :

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    Jasare wo man ti alaasiri

    Sanni kulu salanko ize noKan hay dirakasin ize gaDa i na, a ga salag

    Da i mana mo a ga salag

    Introduction

    Le djassar n'est pas un dtrac-[teur

    Il est fils du Verbeet de l erranceIl parle quand on lui pose des

    [questionsEt l parle quand on ne lui de

    [mande rien 4 .

    La question qui s impose alors l'esprit est celle desavoir comment, homme du verbe ) depuis toujours, le

    djassar en est arriv refuser de parler Il a, l originede cette raction, d'abord l agacement caus par l'intrusionde tous ces nouveaux passionns de la Tradition orale qui,tous les dimanches, envahissent, appareils enregistreurs enbandouillre, village et quartiers populaires, et qui n'ontpas (beaucoup s'en faut) la gnrosit des mcnes d'antan.Il y a, et nos informateurs ont t unanimes sur ce point,que les textes oraux supportent malles maniements rpts.

    Il y a enfin que les nouveaux chasseurs ) de la Traditionorale sont des non initis, trangers, ou devenus tels aumilieu qu'ils entreprennent d'apprhender. Ils sont donctrs souvent .ignorants des nuances de la langue et altrentimmanquablement les contenus et les formes des textes.Nous l avons du reste appris nos dpens, en tentantd'aborder des textes dans une langue dont nous nouscroyions bon locuteur, parce qu elle tait, comme on dit,

    maternelle. Ce n'est donc pas sans raisons que les djassarhistoriographes et gardiens des gnalogies, se montrentcirconspects quand il s'agit de livrer les textes qu'ilsdtiennent. Et nous entrons l, de plain pied, dans lepremier des problmes que pose la collecte des textes oraux,c'est--dire celui des sources.

    4. Texte l , Ti/waati vers 6 - 1 0 .

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    d'change de propos aigres-doux et mme de parties de brasde fer entre marabouts et djassar. Lorsque, dans letexte 1 I I les compagnons du Prophte s outragent de cetteconversion que Zabarkne n'accomplit pas selon les normesrequises (puisqu'il ne descend pas de son cheval), le djassarfait dire Mahomet :

    Annabi nei ma fay nda Zabarkaan

    Ba kal a mana zumbu

    a ga baborey kan zumbu

    Le Prophte leur ditde cesser d importuner Zab ar-

    [kneMme faite de son cheval

    sa conversion en surpasse,qui ont t faites terre

    C est une estocade directe aux marabouts parmi lesquelsil existe certains fanatiques de la forme des choses islamiques qui, prisonniers de leurs principes, finissent par nedtenir que des prceptes vides. La conversion sincre d unZabarkne, rappelle en l'occurrence le djassar est certainement plus utile que la soumission tout fait non dsintresse de certains adeptes. Les privilges attachs auxintellectuels de la socit et les avantages matriels qui lesaccompagnent ne sont certes pas trangers cette querelle.Car si les princes et les grands de la cit avaient la charge desubvenir aux besoins matriels du djassar afin prcismentqu il ft disponible pour remplir ses fonctions, les mara-bouts, au nom de leur rle intellectuel et religieux, prten-

    dent eux aussi aux mmes privilges. Ils forment une sortede clerg qui, ddaigneux de tout travail agricole et manuel(seule manire pourtant d assurer sa subsistance dans unpays conomie totalement rurale), est oblig de vivre deservices rendus et des largesses des dignitaires.

    1 1 3 Les notables. Face ces deux ensembles quiprnent une transmission codifie, existe la source repr-sente par les diffrents notables qui tiennent contrler ceque la tradition doit garder et transmettre. C est pourquoi, l'occasion, eux aussi disent l'histoire. Et, parce qu ils sontdirectement concerns par les affaires publiques, les ver-

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    1 2 Les difficults de la transcription

    Au Niger et Niamey, entre la Facult des lettres etsciences humaines de l Universit, l Institut de rechercheen sciences humaines, le Centre d tude linguistiques ethistoriques par tradition orale, l Institut national de do-cumentation de recherche et d animation pdagogiques(INDRAP), le Centre de formation des cadres de l alphabti-sation (CFFA), le Secrtariat la rforme de l enseignementet quelques organismes trangers galement, un travail djconsidrable de collecte a t accompli. Toutefois, leproblme de l exploitation littraire de ces textes n a t quepeu pos, et celui mme de leur transcription n est pascompltement rsolu, qui constitue un pralable touteentreprise de dcryptage approfondi. Pourtant les structu-

    res du zarma ont t tudies et comprises, et le problmede l orthographe du zarma semble n tre plus qu unequestion de convention d criture sur laquelle les spcialis-tes ne sont pas tous d accord. En attendant que soientmises et entrines officiellement des rgles qui rgissentet codifient cette orthographe, nous transcrivons lesprsents textes l aide des outils dont nous disposons.

    Pour la transcription phontique proprement dite, nousutiliserons l alphabet recommand par le ministre del ducation nationale du Niger.

    1 2 1 L alphabet. Cet alphabet est dj largement em-ploy par le Service de l alphabtisation des adultes, par leSecrtariat la rforme de l enseignement, par la presse etc.Le systme repose pour l essentiel sur les rsultats destravaux de la Confrence organise en 1966 Bamako parl Unesco.

    Pour les problmes d orthographe, nous nous rfrerons quatre tudes :

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    Introduction

    - celle qui reste un ouvragede base :La LangueS01Jayet ses dialectes du R. P. Prost;

    - celle, ralisepar la Sectiond alphabtisation fonctionnellede la Direction rgionalede l ducation de Gao auMali : Guide de transcription et de lecture du S01Jay;

    - celle de Abdou Hamani, linguiste et recteur del Universit de Niamey: De l Oralit l criture, le Zarmas crit aussi;

    - celle ralise (dans le cadred un stage organis l INDR AP) , par me Mary White Kaba, linguiste l Universit de Niamey: bauche d une Grammaire lmentairedu Zarma10

    Et puis il y l e travail dj considrablede transcriptionqui a t accompli par des chercheurscomme DiouldLaya, Jean-Pierre Olivier de Sardan, Boubou Hama, etc.

    Des outils de travail existentpar consquent. Ils nelvent pastoutes les difficults;et nous avonsd quelquefois effectuerdes choix entre les solutions proposes.C estpourquoi nous allons, en quelques lignes, exposer lesprincipesqui ont prsidau prsent travailde transcription.

    1 2 2 La transcriptiondesvoyelles.Dans son ouvrage cidessus cit,Abdou Hamani avait rpertori trois sriesdeproblmes pour la graphie des voyelles.Obissant auxrecommandations qu il fait nous marquerons:

    - la longueur vocaliquepar le redoublement de la voyelle(vv) soit: Maali Beeropour Mli Bro;

    - la nasalisationquand elle est fortepar l emploi de laconsonne vlaire; ce serait peu prs l quivalent dudigraphe ng de l'anglais dans lemot thing . .

    10. R. P. Prost, La Langue S01)ay etses dialectes, Mmoire de ) IFAN, nO 47,Dakar, 1956; - uide de transcriptiondu S01 ay,Gao (Mali); A. Hamani,De l Oralitl criture, le Zarma s critaussi,ude DucumentINDRAP, 1982, p. 30-32 ; Mary WhiteKaba, bauched une Grammairelmentairedu Zarma, texte dactylographi.

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    Nous l indiquerons par l usage du tilde quand elle estfaible. Ainsi, transcrirons-nous:

    hal) boirehi demander

    mais nous avons hsit marquer les tons En l absenced'un dictionnaire de la langue qui marque ces tons (si l'onexcepte le lexique de Jean-Marie Ducroz et Marie-ClaireCharles) nous n avions ni l'aptitude requise pour le faire,

    ni la certitude que les textes ne perdent pas en . isibilit cequ'ils gagnent en prcision graphique.

    1 . 2 . 3 . Le problme e l lision. Tout en sachant quel lision est quasi permanente en zarma, nous avons choiside respecter, dans la mesure o nous la percevrons, lastructure profonde des textes. Plusieurs arguments militenten faveur de cette option.

    Si les Zarma affectionnent l lision lorsqu ils parlent,celle-ci n'est pourtant jamais obligatoire, et la langue, en casd'hiatus gnant, recourt l emploi de consonnes euphoniques.

    Hala a ka ga to-r-a'Kunde garaasa, ay du-w-a no [Texte I I I ]

    Par ailleurs, le fait de transcrire la forme grammaticaledes textes permet d viter des confusions de sens qUpeuvent se produire sur des expressIons comme:

    a ne a sea no a se

    il lui ditdonne-le-lui

    qui toutes deux se ralisent a n a se dans le langageoralquotidien.

    Faut-il enfin avouer que nous aVIons besoin de nous

    Il J.-M. Ducroz et M.-C. Charles, Lexique Sogay-Franais, Paris, l 'Harmattan,1978.

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    Introduction

    imposer cet effort qui nous permet de mieux apprhenderles faits grammaticaux de la langue?

    Sans doute, le corpus restera-t-il, malgr tout, mailld expressions lides parce que certaines d'entre elles,consacres par l usage, ont fini par faire oublier leurstructure premire. Mais fallait-il analyser la langue aupoint de la faire paratre trangre ses propres locuteurs?Nous croyons que non Et c'est cela qui explique notreoption.

    1 2 4 Le problme de l instabilit de la voyelle ale

    Il arrive trs souvent que la voyelle e remplace a dans lesmots. C'est ainsi que les Zarma se font quelquefois appelerZerma; que haw, le vent, devient hew; que lamburay:lambiner devient lamburey. Il ne s agit l, semble-t-il, quede particularits rgionales, et en attendant qu'une harmo- .nisation soit dcide, nous avons respect ces variantes etchoisi de transcrire ce que nous aurons entendu, exceptionfaite toutefois de la diphtongue finale des mots en ay -parce que la desinence ey sert dj de pluralisateur pour lesmots dfinis, tel que cela a t dcid par convention. Nousaurons ainsi :

    bankaaray

    ko-wayMais borey

    bariyey

    un vtement

    une jeune femmeles gensles chevaux.

    1 2 5 La vlarisation de la voyelle nasale. Nous parlionsplus haut de marquer le phnomne par l'adjonction du luiNous prcisons que nous ne le ferons que dans le cas de lavoyelle finale. En position non ultime o la voyelle nasaleest toujours suivie d'une consonne, la prsence de cettedernire semble devoir dispenser de marquer (sinon oralement) le phnomne de vlarisation.

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    boro hanno

    boro hinkaboro taacanteboro kulu

    boro yan

    une personne de biendeux personnes

    une quatrime personnetoute personnedes personnes

    Introduction

    on aura not que dans cette liste (qui aurait pu treprolonge encore , yan est le seul vocable sans contenusmantique propre. Aussi sied-il peut-tre mieux de lerattacher aux mots qu'il dtermine. Ainsi aurons-nous,qu'il serve de pluralisateur ou de suffixe de substantivat ion:

    kaayanZarmayan

    venir, venuedes Zarma.

    Mais les textes une fois transcrits, nous avons d entreprendre de les traduire en franais et nous nous sommes trouveconfronte d'autres problmes tout aussi complexes.

    1 3 Les problmes de traduction

    Nous avons soulign plus haut l'altration que subissentles textes du simple fait de leur reprise dans la langued'origine Or, la traduction aggrave encore davantage cesproblmes, qui recourt une double transposition linguistique et culturelle. Il a t souvent difficile pour nous derpondre aux deux exigences. Peut-tre aurait-il fallu s'entenir cette clause des recommandations de la Confrencede Bamako qui prconisait la prsentation suivante :

    - la transcription du texte dans la langue d'origine- la traduction littrale juxtalinaire- la traduction intelligible.

    C'est du reste ce que nous avons tente de faire dans lapremire phase de ce travail. Nous avons renonc sur leconseil de personnes avises et l 'examen de diffrents

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    travaux rcents qui n y ont pas eu recours; nous y avonsrenonc enfin cause des difficults de lecture qu une telleprsentation impose, et qui, dans le cas prcis de nos textes,s aggravaient du fait qu une bonne partie de nos -rcitstaient dj bilingues la livraison par l informateur,puisque les traditions zarma sont conserves en sonink parles djassar.

    Aussi, faute de pouvoir rpondre cette double exigence,avons-nous adopt une solution intermdiaire qui permet

    d allier, dans la mesure du possible, une traduction juxta-linaire et une traduction intelligible - qui colle au textezarma.

    C est ainsi qu en ce qui concerne les textes dclams,nous avons mis en regard le vers sonink, le vers zarma et satraduction en franais. Malheureusement, c tait moinsfacile raliser pour les textes en prose pour lesquels nousnous sommes trouve quelquefois dans l obligation deconsacrer deux lignes de traduction pour une ligne de textezarma, cause du caractre souvent elliptique de la phrasezarma. Nous osons esprer toutefois que le dcoupage deces textes en petits paragraphes numrots aide le lecteur trouver plus aisment les diffrentes correspondances. Onse doute bien qu une telle procdure n a pu lever lesnombreuses difficults de la traduction; et nous allons, titre d exemple, en citer quelques-unes.

    1 3 1 L expression du passif en zarma.

    beene si koyganda laabo mo si fansi ka furo

    Le ciel est hors d atteinteEt la terre en bas, impossible

    [creuser pour y entrer 12

    dit le djassar du texte I I I aprs que Sombo fut venuannoncer aux Zarma qu il avait fait massacrer les fils deTouaregs et les fils de Peuls.

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    Introduction

    En franais, il n y aurait gure que la construction ditepronominale passive, telle que cite dans les manuels degrammaire: Les bls se moissonnent en automne , quel on pourrait rapprocher de la forme zarma ici prsente -l agent a, en effet, disparu pour laisser la place uncomplment circonstanciel de lieu, but du procs noncpar le verbe, et qui devient le sujet formel.

    1.3.2. L expression e l impersonnel. Parce qu il s agit de

    textes dits devant un public, le narrateur fait souvent appel l auditoire qui est pris tmoin. C est pourquoi onrecourt aux pronoms personnels pour exprimer des faits quigardent, . malgr cela, leur caractre gnral.

    Sanda hunkuna balJ kalJ ne Ce serait aujourd hui quelqu un[qui annoncerait

    ni na gofonnama ize wi que tu as tu le fils du 1 gou-[vernement 1 13

    Nda minisi ize kalJ koy bangu et les enfants de ministres, quirauraient accompagn au ma

    [rigot;ni na a wi que tu as tout tu 14

    Le passage dbute la troisime personne et la formeindfinie; l se termine la deuxime personne par un tu qui intgre, par un procd de narration bien connu,chaque auditeur l action.

    1.3.3. Traduction e concepts spcifiques. Nous avons travers les textes, rencontr un certain nombre de conceptsqui ont quelquefois t longuement dcrits, sans pourtantavoir eu de traduction satisfaisante. C est le cas de djassaret de tru.

    Le djassar zarma qui remplit trs exactement les fonctions du djali des Bambara, du guessr des Soninks, ne

    saurait pourtant tre le griot du Franais, sorte de pot-

    13. La premire personnalit du pays.14. Textell Zabarkaan (vers 479-481).

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    pourri o l'on dverse tout ce qui en Afrique vit par leverbe. C'est pourquoi, nous prfrerons conserver letermezarma,chaque fois qu'il sera questiondu djassar historiographeet gnalogiste.Quant aux tru, que les Zarma ontpeut-tre hrit de .,Ancienne gypte (si on en croitCheikh Anta Diop IS qui signalequ'on les retro.uve peuprs sous lamme appellation chez les anciens gyptiensetchez les Wolof), ils restent Songhay-Zarma,comme lesdieux lares restent romains.

    Voici numres quelques-unes des difficults auxquellesnous nous sommes trouve confronte,au dpart et tout lelong de ce travail. C'est peut-tre le lieu ici, d'exprimernotre gratitude ceux, nombreux qui, nonobstant notremaladresseet notre inexprience,ont soutenu matriellement et moralement notre effort. Ilsnous ont aide etencouragepar leurs conseilset leur bienveillanteindulgence. Ce sont eux qui ont permis la collecte, la transcription,la traductionet analyse des textesqui vont suivre et quitous racontent l'histoiremythique et mouvemente del'origine des Zarma, celle de leur migration, cellede leurinstallationet de leur dispersion dans l'aire gographique,Zarmataray qu'ils occupentaujourd'hui.

    II. L S 0 l T Z A R M A

    Les Zarma partagent avec denombreux peuples sahliensla dsormais classique traditionde migrationqui caractrisel'tablissement des groupes humains dans les savaneset lessteppes du Soudan. Ils sont donc venus d'ailleurs, eux

    aussI:

    15- Cheikh Anta Diop, L Unit Culturelle e l Afrique Noire 0, Paris, PrsenceAfricaine, 1982, p 179-

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    lntroduction

    - de Mall l ouest, disent la quasi totalit de leurstraditions;

    - de Djin d une ville nomme Mall dit Saley Sandide Dosso en dbutant son rcit du texte v I Alors, on esttent de traduire Les Zarma sont venus de Guine . , pourla consonnance proche d abord, et parce que l informateurajoute qu ils ont suivi la mer Hari Biyo pour y parvenir. Lemme informateur prcisera d ailleurs, dans un commentai-re explicatif, que c est leur parent Magan Soundjassa .)16,

    probablement Magnan Soundjata, qui les contraint quit-ter Mall. Or, cette contre Djin qui se trouve associepour la premire fois notre connaissance Mall commepoint de dpart de l exode des Zarma, et sur laquellel informateur dcd au mois de ramadan 1983 ne peuthlas plus nous donner de prcision, peut, tout faitvraisemblablement, n tre que Djenn, la ville malienne surlaquelle on dbouche par voie d eau galement. L expres-

    sion Hari Biyo qui est habituellement utilise pour dsigner l Ocan Atlantique en raison de la ligne sombre qui lecaractrise, peut, dans le prsent contexte, ne dsigner quele fleuve Niger. On sait que celui-ci, certains niveaux deson coUrs, en aval de Djenn prcisment, est appel :

    - Isa Bibi- Maayo Baleewo

    le Fleuve nOir en songhay;le Fleuve noir en peul.

    Il faut ajouter par ailleurs que le pays de Djenn (s ils agit de lui) n est pas trs loign de ce delta intrieur dufleuve Niger, sur le pourtour duquel chercheurs et informa-teurs situent ce fameux pays Mall, d o les Zarmaaffirment tre repartis pour l est, jusque dans le Zarmata-ray, aujourd hui leur habitat.

    Les traditions zarma en font seulement une patried accueil. Nous pensons qu il faut les croire dans la mesureo le Zarmataray semble avoir t depuis fort longtemps

    16. Saley Sandi, dit Al.

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    une aire d'expansion pour diffrentes vagues migratoiresqui marqurent le Zarmaganda comme tape. Les groupesconstitutifs du peuple zarma ont d tre intgrs aucontexte local, au fur et mesure de leur venue. L'assimilation semble avoir t d'autant plus aise que les migrants(qui s'affirment Zarma ds leur point de dpart en Mall)trouvaient sur places, prcisment, ces Dyerma dont le pays l'est du royaume des Za tait voqu dj dans le Tarikhel-Fettach 17. Ces Dyerma taient, n'en point douter, desZarma dont les arrivants attestent avoir adopt la langue :celle qu'ils parlent aujourd'hui

    2 1 Composition territoriale du Zarmataray_

    1) Le Zarmaganda. Il dsigne, comme son nom l'indique, le terroir zarma. Et, prenant pour ainsi dire le contrepied de la thse qui fait des Zarma des migrants, l'appellation atteste que le peuple a pourra-t-on dire, germ etgrandi, avant de se dverser dans l'arrire-pays. L'histoiredes diffrentes ethnies qi composent le peuple zarma estde ce point de vue tout fait significative. Alors que lesZarma-Mallink insistent sur l'exode qui les a conduits l,en compagnie des Zarma-Sabiri (tiennent prciser lesseconds), que les Zarma-Gl rappellent leur origine

    touargue saharienneet

    leur descentedu nord

    depuisl'Adrar des Iforas, un groupe demeure sans itinraired'arrive: les Zarma-Kall Comme les Kagoro du HautNiger, comme les zna de l'Ader au Niger, les ZarmaKall n'ont pas de tradition migratoire, sans doute parceque, comme peuple, ils se sont forms l. C'est vraisemblablement eux qui, par les jeux des alliances, vont intgrer lesnouveaux venus. Ajourd'hui encore, le Zarmaganda demeu

    re le pays par excellence des Zarma-Kall.17. Mahmoud Kati, Tarikh el-Fettach Paris, Adrien-Maisonneuve, 1964,

    P334

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    Introduction

    2) Le Tondikandj. Le Tondikandj, o se situe le village

    de Kbi, semble tre la seconde tape marquante del'tablissement des Zarma. C est, semble-t-il, une tapetellement ancienne qu un informateur n hsite pas en fairenon plus une escale sur la route de Sargane, mais le lieu quivit, le premier, l'installation du groupe de migrants transports par le fond de grenier qui partit de Mall. C est entous cas l que, de l'avis de nombreux traditionnistes, allaitse prciser la spcification des dynasties qui rgissent

    aujourd hui le Zarmataray.3) Le Zarmataray. Il englobera ici l ensemble des

    rgions naturelles du pays zarma, c est--dire les deuxparties du plateau, de part et d autre du Dallol Bosso, leDallollui-mme, la rgion du Fleuve et le Zarmaganda car,nous pensons qu autant que la terre o vivent .les Zarmaaujourd hui, le Zarmataray dsigne le pays du fait zarma.

    Zabarkne est ton anctreZarbarkne l Arabe est l' ancte de tous les Zanna

    avait dit le djassar; nous pourrions ajouter que le Zarmataray est, quant lui, leur pays

    Si nous nous rfrons l tude tymologique qu en faitBoub Gado 18, nous constaterons en effet que le suffixetaray, dsigne en termes de gographie physique C la terrede t , C le pays de t . C est ainsi que Boub Gado souligne le

    sens qu il a, dans le mot Hawsataray, (le pays des Hawsa)trs nettement dmarqu du monde zarma. Le suffixe a parailleurs un second sens: celui C d'espace attenant C estcelui qu il prend dans son acception rurale de petit champsdans le voisinage immdiat de la maison et du village : lelaa taray (champ de gombo), le roogo taray (champ demanioc), le damsi taray (champ d'arachide) sont des terrainsde culture d appoint. Le Zarmataray devait tre, lui aussi, le

    18. Boub Gado, e Zarmataray, Contribution l histoire es populations d entreNiger et Dallol Maouri, Niamey, J RSH-EN, nO 45, 1980, p. 21.

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    territoire voisin, appel complter le Zarmaganda. L'his

    toire nous montrera que ce qui ne devait tre qu'uneexcroissance du Zarmaganda, s'est dvelopp au point quec'est le Zarmaganda qui s'est trouv rduit au rang desimple rgion. Il y a enfin l'acception abstraite et philosophique, que souligne le mme Boub Gado, o le suffixe ale sens de tat de ,), manire de ) : c'est celui qu'il prenddans le mot Fulantaray par exemple o, plutt qu'unterritoire spcifique, il dsignerait cette Pulaahu ou manire

    d'tre du Peul, dont parle Christiane Seydou propos deses hros Ham Boddio, ou Silmaka.Nous ne pensons pas qu'il faille dissocier ces diffrents

    niveaux de signification qui interviennent galement pourdfinir le Zarmataray, et que ses fils eux-mmes ne sparentpas Qu'ils se particularisent comme Zarma-Kall, commeZaqna-Gl, comme Zarma-Sibiri, en effet, ils se reconnaissent tous unanimement, comme relevant de l'entitzarma, tout en continuant se prvaloir de leurs appartenance telle ou telle maison princire. Il est difficile de direaujourd'hui, partir de quels groupes autochtones soumis,repousss, assimils, se sont formes ces maisons Untelbrassage s'est effectu en effet, qui rend difficile, en dpitd'efforts srieux pour dresser une nomenclature ethniquedes Zarma 19, toute tentative de srier les composantes de cepeuple. Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que cesmaisons qui s'organisent autour de la descendance desquatre fils du zarmakoye Tagourou, avec une nette propension valoriser les familles des deux cadets Boukar et HaliKoda les plus nombreuses, consacrent le dernier partageautochtone du pouvoir et les partitions qui marqurent lepays avant la tentative avorte d'un renversement par leswangari ou chefs de guerre du x 1 X sicle, et avant lacolonisation franaise

    19. Boubou Hama, Histoire traditionnelle d un peuple: l s Zarma-Songhay,Paris, Prsence Africaine, 1967, p. 30-32.

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    Introduction

    Ainsi, cette spcification des rgions du Zarmataray est

    historique et politique. Elle marque les tapes de laformation (par occupation territoriale et distribution politique) du Zarmataray. D autres facteurs sont intervenusparmi lesquels un de premire importance : la ncessit ose sont trouvs les Zarma d affirmer continuellement leuridentit dans un environnement difficile. L individuationdes rgions est avant tout le fait du mode d organisation etde la conduite de la lutte pour la survie en tant que

    nationalit. En ce qui concerne le Zarmataray, les bataillesont d tre menes, et en concomitance, sur deux fronts.Situs dans la partie septentrionale du monde zarma, leZarmaganda et le Tondikandj font frontire avec cesrgions subsahariennes et sahariennes qui constituaient ledomaine des Touaregs. Et quand, la faveur de la chute del Empire de Gao (et pour des facteurs climatiques aussi sansdoute), ceux-ci accenturent leur pression sur le sud, ce

    sont le Zarmaganda et le Tondikandj qui supportrentl essentiel des effets de leurs incursions dans le mondezarma. Or, tandis que ces deux rgions continuaient deservir de remparts contre les assauts touaregs venus dunord, c est au Petit Zarmataray ,) qu incombera l effort dersistance sur le front sud. Ainsi c est lui qui supportera lepoids des batailles de rsistance Songhay-Zarma des annes1640 contre les Marocains descendus de Gao; et c est

    galement lui qui, partir du XVI I l e sicle, devra faire faceaux assauts de l hgmonisme peul, stimul par le jihad deOusmane Dan Fodio. Il faut bien sr y adjoindre l effortcontinu qu il a fallu dvelopper pour maintenir un front depaix avec des voisins aussi puissants que le Kebbi au sud etle Gobir l est.

    La monte des wangari enfin, achvera de consacrer cetteindividuation. Leur histoire commence au x xe sicle avec

    l installation des Touaregs et le renforcement de la coloniepeule. partir de ce moment-l, en effet, s ouvre dans leZarmataray une longue re de conflits entre pasteurs et

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    agriculteurs. La faiblesse des zarmakoy va pousser certaines

    individualits au-devant de la scne politique. Et, unglissement trs net du pouvoir se trouvait amorc, qui allaittre stopp par l aventure coloniale 20.

    2 2 L organisation administrative et politique.

    2 2 1 Les donnes politiques. Trois priodes de redistribution du pouvoir se dgagent trs nettement dans cettetape orientale de l histoire des Zarma, telle que la font direles pouvoirs publics traditionnels du Zarmataray d aujourd hui :

    - celle qui s effectue dans le Zarmaganda, aprs l arrive de l importante vague de migration conduite par MliBro, sans doute riche de ses contacts avec les ensemblespolitique occidentaux;

    - celle qui intervient Kobi o Tagourou russit instituer un pouvoir zarma plus centralis que ce qu il duttre dans le Zarmaganda, au point de provoquer l insoumission de ses fils, laquelle allait aboutir la clbre scissionqui est encore vcue aujourd hui;

    - celle de l tablissement des diffrentes maisons avecBoukar dans le Zigui autour de Dosso, Hli Koda dans le

    Fakara, Zmo-Sga dans le Dallol autour de Yni, etSadjam-l an dont la descendance occupe seulement quelques villages du Zarmataray.

    La consquence de cette dernire partition fut que lesmaisons se constiturent en principauts qui lirent chacune leur zarmakoye. On trouve, greffs sur ces organisations anciennes, treize cantons zarma qui ont pour chefs

    lieux aujourd hui: Tonditchiwindi, Ouallam, Simiri, Saga,Libor, Ndounga, Kirtachi, Kour, Harikanassou, Ham-

    20. Boub Gado, op cit., p. 274.

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    Introduction

    dallahi, Koygolo,Dantchandou et Dosso. leur tte se

    trouvent (exception faite de Ouallamet Koygolo), desprinces qui, un degr ou un autre, serattachent tousMli Bro. Ils s affirment Zarma-Mallink, arrivs de Malldans ce pays bord du fameux fond de grenier volant. Leuraventure constitue l histoire officielle desZarma, celle qui estracontes dans les cours et rcites lors des crmoniesd investiture des chefs zarma. Toutefois, cesZarma quiaffirment descendre en droite ligne de Mli Bro reconnais

    sent avoir trouv sur place une socit organise, avec seschefs,et ses tambours de guerre21. Cette socitautochtonetait dirigepar des ethnarques dont les titresne surviventplus gureaujourd hui qu travers les textesde traditionKalakoy pour les Zarma Kall) ou avec un pouvoir

    honorifique Glkoy et andi pour les Zarma Gl et lesZarma-Sabiri).La seule chefferie gl avecun pouvoireffectif se trouve aujourdhui Koygolo; encore est-elled institution rcente, reconquisesur des Zarma non Glsur lesquels elle s exerce comme s erxerce, Ouallam,surune majorit zarma,une chefferie d origine songhayqui serattache aux Askia.

    De nos jours, les Zarma-Kall, lesZarma-Gl, lesZarma-Sabiri restent les seuls groupespolitiquement importants qui subsistent encore, les autres ayant t suffisamment intgrspour qu aucune reprsentation politiqueouadministrative, ft-elle symbolique,ne leur soit plus reconnue dans les cours zarmad aujourd hui. Les groupesZarma-Kall et Zarma-Gl semblentconstituer le principal ensemble trouvsur place, vivant au seind une vieillealliance dont les effets subsistent encore.

    Sur le point de mourir d inanition,rapporte la lgende,l anctre Gls tait laiss secourirpar son compagnonKall qui avait mieux rsist aux privationsqu ils subirenttous deux.Le Kall sauve le Gld une mort certaine,en

    2 1 Le tambour de la cour de Dosso serait untambour Kall d aprs SaleySandi dit Al.

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    lui servant un morceau de chair rtie, taille dans sa propre

    cUIsse.Une seconde version de la lgende, t

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    Introduction

    jouir de privilges plus importants, lis la lgendaire

    fonction guerrire des Gl. Ne racontent-ils pasqu'unguerrier mort au champs de bataille d'une flche dans ledos, ne pouvait tre Gl? Oui parce qu' la guerre, unguerrier Gl ne fuit jamais C'est ce que rptent encoreaujourd'hui, les djassar qui"chantenttrs haut, les prouesses de Yefarma Issaka, brillantguerrier Gl qui sedistinguadans les bataillesde rsistance Songhay-Zarmacontre les envahisseurs marocains,tombeurs de l 'empiredes Askia.

    Qu'on en juge par ce court passage,traduit d'un rcit detradition orale. La scne se situeau moment o YefarmaIssaka, apprenant que son oncle maternel, le clbreHawayze Mli, estparti se battre sans lui (en raison desmauvais augures), finitpar rejoindre lecamps des combattants.

    Yefarma Issaka vint se tenir prs de son oncle, ledominant detoute sa hauteur :- Quel est ce feu qui brle l-bas,sur l'autre rive du fleuve,

    demande-t-il son oncleet ses hommes?- C'est le feu du camp marocain, lui rpondit-on.- Alors vous n'tes pas venus icipour vous battre .. Vous

    demeurez dans les lieuxpour la douce chaleurque diffusent cesflammes Comment se peut-il que deux feux, leleur et le vtre,puissentbrler en mmetemps? L'un des deux sera teint demain.

    Pour le Zarma moyen d'aujourd'hui, le Gl est uncousin reprsentant la branche fminine, qui l doit desgardsen toute circonstance.Quant l'alliance sacre, elledemeure toujours .. aujourd'hui tendue aux Zarma l-link fondusdans les Kall et tenant les rnesdu pouvoir.Le Glkoy restel 'homme de confiancedu zarmakoye :c'est par exemple luiqui recueille leschutes de cheveuxdunouveau chef au moment o le barbier-coiffeurl 'apprtepour l 'enturbannement. N'ayant plus aucune prtention la chefferie zarma, ilest devenu lemdiateur par excellence,pour rgler les diffrendsentre les princes, lorsque celaintervient.

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    Il y a, aurait ditun vieux Gl, trois1 hontes 1 pour un Gl:

    - cder un sentiment de suffisance qui lui interdise desolliciter le bien de Zarma qui lui fait envie;- se drober devant une situationqui requiert desbraves;- ne pas russir concilier deux Zarma qui setrouvent

    brouills24

    Tels sont quelques-uns des vestigesde donnes politiquesque l'on peut dceler dans la socitzarma d'aujourd'hui.lire toutes ces distinctions, l observateurgarde l'impressiond'un monde parcellaire de tribus,de clans, de lignagesetautres divisions ethnopolitiques.S'il en a t ainsi, iln'enreste aujourd'hui que ces traces ritualisesque nous avonstent de suivre ici. ..Tous les groupes ci-dessus citssontZarma, appartenant un monde, une culture, unensemble linguistiqueunique qui s'tend du Dandi depuisParakou au Bninet qui remonte le fleuveNiger et ses rivesjusqu' Karma au Niger et Mopti au Mali o les hommessont Songhay.

    2 2 2 L organisation administrative. Le zarmakoye au-jourd'hui, devenuchef de canton, estune sorte de fonctionnaire plusou moins intgr l appareiladministratif detype occidentalqui rgit l ensemblede la Rpublique duNiger. Une allocation lie la fonction lui est consentiepar

    le Trsor national. Nanmoins, son conseiladministratifsubsiste, calqusur les modles anciennementen fonction.Il semble toutefois, la lumire des diffrentesinforma-

    tions recueillies,que le zarmakoye taitune sorte de cheflu par consensuspar les grandes famillesde la citet desvillages qui en relevaient.

    32

    Oui Les gens lisaient des zarmakoye qui s alignaientsur Dossoou sur d autres comme la chefferie Songhay de Sikiyay.Il faut direqu'il s agissait plusd'un titre qued'un pouvoir effectif puisqu ilnedispensait pas son dtenteur de la ncessit de travailler la terre.

    24. Communication de Maiguizo Naino Glkoy.

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    Pour tout dire, la chefferie zarma qui eut du pouvoir fut celle de laMaison Boukar 25.

    C est la cour des zarmakoye de Dosso, en effet, qu ontrouve le conseil administratif le plus structur, avec denombreux titres emprunts aux royaumes haoussa voisins.En voil l appareil tel qu il fut dcrit par le Capitaine JeanRobin en 1946. Il comportait:

    - Un Marafa : premier dignitaire de la cour:

    la fonction est toujours occupe par un proche parent qui assurel intrim du Zarmakoye en cas d empchement.- Un Mafda : qui transmet les demandes d audiences,

    introduit les visiteurs, se charge du protocole des crmonies.- Un Mizinddi : favori du Zarmakoye.- Un Azia : prpos aux finances, qui administre les biens du

    Zarmakoye.- Un Wonkoye Commandant-en-Chef des armes avec, sous

    ses ordres, un Mayaki Chef de guerre, et un Tongofarma Chef desarchers.

    - Un Sarkin Yra : sorte de ministre de la jeunesse et dessports.- Un Sadagari : charg des jeunes filles; l organise des ftes

    runissant des jeunes filles de diffrents villages. Aucun mariage nese fait sans qu il reoive sa part de cadeaux.

    - Un Sarkin Nma : charg de lever les corves ncessaires aulabour et l entretien du champ du Zarmakoye.

    - Un Kagamuza : Chef des captifs et captif lui-mme.Cet inventaire se complte de l escorte du Zarmakoye : gardeschargs de sa scurit personnelle et qui sont :

    - les Dgari : chargs de l ordre public.- Les Zagui : qui prcdent la monture du Zarmakoye dont ils

    portent les armes 26.

    On peut dj, ce stade, se demander pour quellesraisons ces fonctions qui existaient la cour, pas trslointaine de Gao, se retrouvent, exception faite pour leTongofarma (chef des archers), sous une dnomination

    haoussa? Nous reviendrons.

    25. Communication de Alfa Adamou du quartier Dosso-Bri Dos80.26. Jean Robin, Description de la province de Dosso 0 , Dakar, Bulletin e

    l / FA N , n 14, 1947.

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    2.3. Les activits conomiques.

    Au centre de la viedu Zarma, l n'y a, semble-t-il,qu'uneactivit: l agriculture.Du zarmakoye l artisan-forgerondu village, tout le monde possde un champ reu enhritage ou lou auprs d'un propritaire, car aucuneactivit ne peut compenser les cultures d hivernage.Oragriculteurs, lesZarma semblent l avoirt depuis fortlontemps Leur choix de fuirde Mall bord d'un fond degrenier semble attester leurs appartenance la trs vieille Civilisation des greniers.) dont parle Jacques Maquet 27.La rgionde Djenn,et toute cette rgion inondable,sontde trs vieux centres agricoles,o la culture du rIZ parexemple, s tait dveloppe trstt .. 28

    Le dveloppementmme de grands empires dans largionne peut que nous conforter dans cette hypothse,carceux-cin'ont pu se construireque sur une agriculturedebase bien installe.Au v1 le sicle dj, les a avaient,surl'autre bord de la Boucledu fleuve, profitde cet avantagesans doute,pour vincer du pouvoir lesSorko, organisateursdu royaumede Koukiya.Aujourd'hui chez lesZarma,on peut toujoursmesurer l importanceet la placede la terrepar le traitement particulierqui lui est rserv... travers

    toutes les traditions zarma,en effet, l tablissementen unlieu se faiten fonction (aprs lepoint d'eau) de la terrecultivable. Et, ce sont des propritairesqui se mettentensemble,pour organiser leur dfenseet leur vie politicosociale postriori.La terre constitue lebien essentieldetout patrimoine.Et il est significatif qu elle constitue le seulbien qu'un Zarma ne vende pas, encorede nos jours. Celaexplique lenombre de cas de contestationsde vente de

    27. J. Maquet, Les civilisations Noires, Paris, Horizons de France, 1981.28. Portres R.et Barrau J. Dbuts, Dveloppement et expansion des

    techniques agricoles., Paris, Unesco,Histoire Gnrale e l'Afrique, vol. l 1980,p. 725-44; Cou ier e l'Unesco, mai 1984,p. 12-13.

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    ntroduction

    champs que l on enregistre prsentement, mme dans une

    ville comme Niamey. L acte de cession de la terre que lecitadin parvient faire signer au paysan repose sur un vastequiproquo. Dans l esprit du paysan, quelle que soit lasomme qu il tire de l'opration, il s agit toujours d uneindemnit compensatoire. Pour lui la terre est seulementmise en gage, charge pour le propritaire ou ses hritiersde restituer la somme investie pour recouvrer leur bien. Ilest toujours ulcr d apprendre que sa terre est perdue dufait de la signature d un chiffon de papier ). Et le verdictqui l'entrine, d o qu il vienne, lui apparat comme unepure expropriation. Il ne parvient pas imaginer que leclient ait cru de bonne foi que Zarma, il acceptait de sedfaire dfinitivement de la terre de ses anctres Toutefois,s'il est attest que les Zarma sont des agriculteurs, il semblegalement tabli qu ils sont des agriculteurs pas toujoursheureux, constamment confronts aux alas d une pluviomtrie sahlienne qui, depuis des sicles, marque de sonsceau de scheresses cycliques, la vie des habitants de lazone.

    Skn-Modi Cissoko 29, dans une description historiquede la vie dans la Boucle du Niger, crit:

    Le flau le plus frquent est la famine. La causeessentielle est la scheresse. On constate difficielement au

    x V I le et au x v l l e sicles cinq dix ans sans scheressepartielle ou totale ). De fait, la soudure d une rcolte uneautre est souvent, encore trs dure pour les Zarma quicultivent des terres adosses au bras oriental de la Boucledu fleuve, entre le 1 ZC parallle au nivrau de Koulou et le1 c parallle au nord de Banibangou. Brles par le soleil,lessives par les tornades violentes, dpouilles par les ventsd harmattan, ces terres se situent dans les seules crevassesde la cuirasse du plateau latritique qui porte le Zarmata-

    29. Skn-Mody Cissoko, Famines et pidmies Tombouctou et dans laBoucle du Niger du XVIe au XVII Ie sicle., Dakar, IFAN, 1968.

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    r ye C'est un plateau de faible altitude (250 300 m) taill

    par les valles du Fleuve et celles des Dallol, hors desquel-les le problme de l'eau se pose cruellement, puisqu'il fautl'aller chercher 30, 40, 50 voir 60 et 70 mtres deprofondeur

    A ct des cultures proprement dites, les Zarma prati-quent de nombreuses activits d'appoint dont la premire,et de loin la plus importante, est l'levage. Il est pratiqu,lui aussi, sur le mode extensif, et confi dans une largemesure des Peuls spcialistes. Les Zarma ne gardent auvillage que quelques animaux d'attache, dont s'occupent lesfemmes et les enfants. L'levage des animaux d'embouche,qui a toujours t pratiqu, s'est dvelopp pour les revenusrapidement disponibles qu'il permet, notamment dans lesannes de rcession des rcoltes.

    Il est enfin un animal qui mrite une mention spciale ausein du monde zarma, c'est le cheval, moyen de transportrapide travers tout le Sahel, Il faut se rappeler ici que si lepuissant empire de Gao a fond militairement ses assisessur la pirogue, c'est le cheval qui la relaye ds que leroyaume s'tendit. La cavalerie tait l'arme d'lite del'arme songhay; elle est reste celle des armes zarma,jusqu' .. il n'y a pas trs longtemps.

    i ka } ga deesi nda ata zangu nda waygu

    Si qui vole par ses cent-cinquante ailes

    est encore la louange dite aux descendants des Sonni. Ellecaractrisait la rapidit de leurs interventions militaires,parce que les lointaines campagnes que menrent les Sonnipuis leur suite les Askia, en ont laiss le souvenir. Quantaux Zarma qui ont longtemps vcu dans une conomie deprdation, ils vouent au cheval un vritable culte. Pour desraisons pratiques tout d'abord, le cheval est en pays deSahel, l'animal idal pour couvrir rapidement les petitesdistances et l'occasion, mener quelques raids. On saitqu'au XIX e sicle, ces raids menrent assez loin quelques

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    Introduction

    guerriers qui firent la chasse aux esclaves jusque dans le

    pays Gourounsi, dans le Ghana et le Burkina Faso d'aujourd'hui. Pour des raisons plus esthtiques ensuite, lecheval est tout de mme un animal qui ne manque pasd'allure; et il est arriv que les Zarma cultivent particuli-rement cette beaut. Les chevaux clbres ne se comptentplus en effet travers le pays zarma o des pomes, deschants leur sont ddis au mme titre qu' leurs matres.Un Zarma ne laisse jamais son cheval mourir de faim,disent certains groupes voisins qui ajoutent qu'en priodede disette, il sert son mil, en priorit, son cheval. Ce n'estpeut-tre qu'une boutade; mais l 'on sait que rien n'approheautant de la vrit quelquefois que la boutade. Quant auxautres activits conomiques, les tmoignages attestent queles Zarma taient traditionnellement assez peu commerants par exemple, et que cette activit a t longtempsl apanage de colporteurs haoussa. De son ct, l'artisanatdemeure encore trs fortement cast Il existe enfin uneactivit qui a d occuper une place importante dans la viedes Zarma, c'est la chasse. Elle tait pratique la foiscomme sport pour les jeunes, et comme profession pour deshommes moins jeunes. Les chasseurs en effet jouissenttoujours d'un rel prestige, pour la connaissance profondequ'ils ont des animaux et des plantes. Par ailleurs, bien que

    le pays zarma soit aujourd'hui quasi vide de gibier, lessouvenirs de chasses rcentes et surtout plus lointainesdemeurent dans les mmoires. Les traditions zarma sontpleines d'histoires de chasse, de diffrends, de querelles etmme de batailles autour de gibiers. Qu'on songe 1 histoire de la destruction de Katanga, la cit aux soixante-dix puits o tout part d'une querelle autour d'un gibierQu'on songe aux retrouvailles Dosso entre Zarma Sabiri

    et Zarma Mallink poursuivant une girafe 30; qu'on songe30. Diould Laya, Traditions orales historiques es Gols Niamey, 1976, p. 17 et

    19; id., Traditions historiques es ethnies e la rgion e Dosso deuxime triage,Niamey, 1970, p 2 2

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    aux dcouvertes de ces fameux puits dans le roc dont lecreusement reste attribu des populations antrieures peuconnues, et dont la dcouverte est souvent le fait dechasseurs. Ces derniers se les approprient alors, en donnantleur nom au puits et au futur village qui se construit autour.

    Mais la chasse, comme l agriculture en pays de Sahel,reste une activit trs rude. C est une chasse des grandsespaces o le caractre rudimentaire des armes utilises faitque le gibier, mme bless, peut entraner le chasseur sur delongues distances, le menant quelquefois en territoiretranger, voire hostile. Ansi, qu il s agisse d activits ruralesou de ceuillette, le contexte impose aux hommes d treaguerris aux souffrances, et aux privations quelquefois. Lecadre reste austre et explique peut-tre, en partie, cettefiert un peu farouche qui caractrise les hommes qui ontd s y adapter et y vivre. Les sols exploits sur le mode

    extensif ne parviennent pas toujours satisfaire les besoinspourtant lmentaires de l conomie de subsistance qui estencore largement celle des Zarma; de sorte qu aujourd huiencore, le Zarma apparat comme un homme affampendant un tiers de l anne, et qui, devenu musulman,prouve du mal s acquitter de la zakkat, cette dmereligieuse obligatoire. C est l une ralit douloureuse de lavie pratique des Zarma qu un informateur explique de

    faon admirable d euphmisme.Le Coran tait en cours de rvlation quand Zabarkne-

    l Anctre s en est all. Or, celui qui n a pas reu sur lui larvlation, reste incapable de donner la zakkat Voil pourquoi ilarrive que le Zanna se trouve dans l impossibilit de s acquitter dece devoir 3

    Nous ne nous attraderons pas ici sur la belle transformation qui est opre sur la ralit d une situation concrte;mais il est intressant de noter comment cette ralitdevient la consquence d une sorte de maladresse de

    31. Communication de Yay Seyni Kayan.

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    Introduction

    l'anctre Un anctre qui s'en va ainsi, comme par inadver

    tance, au mauvais moment.

    2.4. Les croyances des Zarma.

    C'est un truisme que de dire des Zarma, aujourd'hui,qu'ils sont musulmans, quand tous leurs djassar, leursmarabouts et leurs notables ne cessent de le proclamer dans

    la vie quotidienne comme travers les textes de traditionorale ici rassembls. Mais, c'est cette insistance elle-mmequi peut paratre suspecte, qui prend les allures d'unleitmotiv destin exorciser quelque dmon malin. Le faitest que l'islam du peuple est d'institution rcente et quel'ancienne religion est encore pratique. Les dignitaireseux-mmes, en contact depuis plus longtemps avec lareligion de Mahomet, n'ont pas totalement abandonncertaines pratiques antislamiques.

    Nous le savons bien, nous autres qui constituons lasuite assidue et dvoue des chefs ), dira le djassar 32. Laforce de rsistance et la dynamique d'adaptation de lareligion traditionnelle des Zarma, dont la manifestation laplus spectaculaire reste le phnomne de la possession, enconstituent d'autres preuves tangibles. Car, non seulement

    l ancien panthon est rest aussi

    peupl) que nagure,mais de nouvelles gnrations de figures sont venues s'yadjoindre : le rgime colonial, par sa premire phase brutaleet sans dguisement, a directement scrt les awka 33; lespriodes ultrieures, par leur injustice sociale tablie endogme et les diverses et insidieuses humiliations imposes,donnent naissance aux Hargu, lesquels constituent une

    32. Communication de Garba Bangna. djassar.33. Jean Rouch. La Religion et la Magie songhay. Paris. PUF. 1960; F.Fulgestad. Les Hauka: Une interprtation historique in Cahiers d tudesafricaines, 58, X V-2. p. 203-216; J P Olivier de Sardan. Les Socits Songhay-Zanna. Paris. Karthala, 1984; G. Maignan. La danse de opossession ZarmaSonghay - Mythe et Quotidien in Etudes scientifiques. sept. 1982.

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    rponse aux mmes types de problmes qui, ailleurs, ont

    scrt le principe du zombie par exemple. Nous allonsouvrir une parenthse sur cette comparaison, parce qu iln est aucunement question, pour nous, de parler des basesscientifiques de ces phnomnes. Toutefois, la similitudedes faits psychologiques qui sous-tendent leurs manifesta-tions, incite cette comparaison. Dans l un et l autre cas, eneffet, le mal semble frapper des morts qui n ont pas eu letemps ou les moyens de raliser des ambitions, socialement.

    En rsum les croyances des Zarma aujourd hui sont lesrsultats de la superposition de l islam sur le fond rsiduelde l ancienne religion que traversrent certaines priodesdes formes de contestations sociales qui n ont pu s exprimerouvertement.

    L islam est aujourd hui trs nettement sur le point dercuprer toutes ces forces. Mais le processus d intgrationest seulement en cours; car trop peu de temps s est couldepuis l acceptation massive de l islam par l ensemble desmasses p ~ y s n n e szarma. Il n y a, en effet, gure plus d unsicle que les Zarma sortaient, non vaincus certes, (grce ausursaut nationaliste orchestr par les w ng ri du x Xsicle), mais meurtris par des conflits incessants contre lesPeuls du Dallol et auxquels les seconds voulurent donnerdes allures d un jihad. Mais les bottes coloniales se trouvaient alors dj aux portes du Zarmataray, et les Franaismettent fin la guerre en renvoyant dos dos, dans lamme condition de sujets, les adversaires et les ennemis.

    Alors l islam se trouva servir d exutoire pour tous. Et lergime colonial, impos aux Zarma, allait consolider laplace de cette religion dans la socit zarma, peut-tremieux que n a russi le faire un millnaire de contacts etd changes avec les musulmans itinrants de toute origine;

    mieux que n a russi le faire l arme d Askia qui tenta deconqurir le Dandi par la lance et le Coran; mieux que n arussi le faire l entreprise peule du sicle prcdent.

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    Introduction

    Les Djennas, qui taient autrefois ftichistes, se sont tousconvertis l'islamisme, ce dont nous ne pouvons que nous fliciter.Cette religion a certainement attnu leurs mauvais instincts, maisle mal qu'elle porte en elle-mme dpasse le bien qu on peut enattendre .. crit un colonial franais cit par Jean-Pierre Olivier deSardan 34. Il cre une appartenance qui transcende la famille, levillage, l'ethnie, la langue tout en excluant le colonisateur 35.

    Quant aux mauvais instincts des Zarma, on peut facilement imaginer qu il s agit ici de leur traditionnel got del indpendance qui fit qu ils ne purent jamais tre de bonssujets pour aucun des grands ensembles politiques qui lesentourrent.

    Quoi qu il en soit, les Zarma sont musulmans, aujourd hui. Mais il y a loin de la profession de foi l abandontotal des pratiques ancestrales Les danses de possession,qui restent la marque la plus visible des anciennes croyances, conservent encore de nombreux sympathisants; et ce,malgr les discours officiels islamisants et le despotisme desmarabouts sur les villages du Zarmataray aujourd hui. Il estdes lieux o ils n hsitent pas mettre l index les insoumiset punir d excommunication pour l'ternit, toute vellitde dsobissance.

    Voil quelques traits du monde zarma tel qu on peutl observer aujourd hui. Cette prsentation ne visait nullement dresser un tableau exhaustif des caractristiques

    actuelles d un peuple zarma dont les contours demeurent,au reste, fort imprcis.

    III. P R S N T A T I 0 N D E S T E X T S

    Nous avons rassembl, l'occasion de la prsente tude,une srie de dix textes que, par commodit et aussi en

    34. In Monographie de la subdivision de Dos80, 191Z-161), cit par JeanPierre Olivier de Sardan, 1984, op cit. p. 279-280.

    35. Olivier de Sardan, op cit. p. 284.

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    fonction de leur forme, nous allons regrouper en trois

    ensembles.Cette

    prsentation sera suivie d unerevue

    destechniques du rcit auxquelles recourent les informateursdont certains sont des professionnels de la parole.

    3.1. Les textes.

    3. I I Les textes potiques. Les textes potiques de cecorpus sont produits par des djassar essentiellement. Ilconvient d y adjoindre un chant populaire, celui prsent en1973, l occasion de la semaine annuelle de la jeunessenigrienne, par les jeunes filles de Ouallam. Nous avonsnumrot ces textes de 1 4, et compt le total des vers quiles composent (soit 1 2 7 vers). Nous avons adopt cesystme pour faciliter les renvois aux vers des textesauxquels on pourrait recourir au cours d une ventuelle

    analyse. Nous procderons de faon similaire en rassemblant les textes en prose en petites units bases essentiellement sur le sens.

    1 Te x t e I Tilwti. Le premier de ces textes potiques,Tilwti est un chant trois voix, dont le texte est dit ensoninke par Badj Bangna, repris en zarma en interprtationsimultane par son frre Garba Bangna, et ponctu par unrefrain chant en chur par Djliba, Famad, Toudjani etDaouda respectivement, fils et petits-neveux de Badj.

    C est le chant solennel, la fois hymne national desZarma, chant funbre pour le prince dfunt et chantd intronisation du zarmakoy nouveau. Il est chant aupalais pour les crmonies d intronisation du nouveau roi.Il reprend pour l auditoire 1 histoire des Zarma depuis lesorigines. Le texte a t recueilli le 2 juillet 1968 par Jean

    Rouch du CNRS, avec le concours technique de MoussaHamidou, sous l impulsion de Boubou Hama qui en a t lecommanditaire. C est par excellence un texte de djassardont l comporte en exergue la prsentation. Ce sont vingt-

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    que les aeux ont dit la louange des aeux.Jusqu en ce jour o les fils disent la louange des filset o l te revient d tre lou ton tour 37.

    Le djassar rappelle les qualits indispendables; cellesqui seules peuvent assurer la permanence de ces liensprivilgis. Alors seulement il entreprend, dans la secondepartie, de dire l'histoire des Zarma. Toutefois, si ce chantqui est le chant du changement, le chant de la continuit etcelui du rappel, puisque les seules autres occasions o lpeut tre chant sont l'installation de la nouvelle anne etles grandes runions (quand il arrive que pour une raisonmajeure, les chefs zarma se retrouvent runis dans le mmeendroit), si ce chant donc a survcu, revenant rgulirementavec la mme charge d'motion, c est avant tout et ensuitepour ses qualits littraires. Celles-ci reposent sur le choixdu vocabulaire et sur le rythme.

    a) e vocabulaire. Par le choix du vocabulaire dj, lecouplet sur le djassar qui dbute le texte donne le ton : leshommes passent Et, demeurent seulement le peuple zarmaet ses valeurs fondamentales C est pourquoi nul de doits'accrocher avec hargne ces choses passagres que sontles biens matriels du monde ici-bas. En l'espace de quatrestrophes, les mots voquant la mort et la vie se sont

    continuellement relays, rappelant que la

    vie n estqu une succession de ces ralits-l, et que seul compte cequi survit: le patrimoine et le renom. Oui, ce renomtellement important pour le Zarma, et que le djassar luirappelle en ces termes: Souviens-toi que

    J asara mana wala ka gaabu

    Ka to ni baaba ize booba

    Ka to koyeyNda koy izey

    37 Texte 1, Tilwti v. 35-39.

    ce n est pas tant le djassar qui[importe

    Que tes nombreux adversaires

    [consanguinsQue tous les roisEt les princes

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    Ka to wayboro hanney

    Nda wayboro zeeneyKal ga jasara h i

    Man ti a ne nga ya koy ize no

    Ho no a te koy ize kambe te-[goy?

    Hala nooyan beeriWala haawi beeri

    A kulu no ga Zarma ize maa[kaa

    Introduction

    Que les femmes de bonne fa[mille

    Et les vieilles femmesQui, croisant le djassar l'in

    [terpellent :C Ce prince qui se vante d tre

    [prince,qu a-t-il accompli de princier?

    Un prsent mmorableou un mmorable fait de honte.

    Les deux rendent clbre, un[fils de Zarma 38.

    Ce que le djassar omet de prciser c est qu il taitcapable, dans la socit traditionnelle zarma, de jouer lemme rle que les mass mdia d aujourd hui, se saisissantd un scandale.

    b) e rythme. Le rythme binaire de la strophe, qui intervalles rguliers devient ternaire, rappelle lui aussi quela vie est un cycle, un passage et un recommencement. Leretour du refrain cre, on le sait, un temps mort qui permetaux deux duettistes de retrouver leur souffle. Mais il ne crepas que la pause. Il se combine au vers sonink chant surun rythme qui apparat d autant plus lent que la traductionen zarma qui lui succde est rcite, et dure donc moinslongtemps. L ensemble aboutit ainsi une de ces composi

    tions syncopes dont l'effet dramatique a t souventexpriment par les musiciens de jazz par exemple.

    - Sur place mme, les exemples ne manquent pas, telscertains de ces chants des laptots du Niger, ces piroguiersque l administration coloniale franaise rquisitionnait nagure pour assurer, par le fleuve, la liaison entre Gao auMali et Gaya l extrme sud du Niger, prs de la frontirebninoise. Il s agit l, comme pour le Tilwti de chantssans fond sonore dont le seul rythme constituait la mlodieet la musicalit.

    38. Texte Tilwti partie non transcrite.

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    2 . Textes 1 et 111. Contemporain du Tilwti quant l enregistrement, le texte est galement un lment de lamoisson faite par Jean Rouch et Moussa Hamidou. Si nousy associons les texte I l l , c est parce qu il devait en tre lareprise exacte, quatorze annes plus tard, par Djliba Badj,fils du prcdent informateur. Toutefois si ces deux textes,ainsi que le prcdent, sont conservs en sonink, ils sont,contrairement celui-l, dclams sur l air musical Manta.

    a) La musique d accompagnement Manta ). Le Manta

    constitue l air, support musical de l histoire des Zarma. LeManta est en effet l air compagnon du Zarma qui ilappartient en propre, comme Saygalaare est la propritexclusive de Ham-Boddio Pt 39. Kubayni Manta Bienvenue toi Manta s taient exclams successivement leTargui, le Sorko, le Peul devant Manta qui pleurait sonmatre mort, mettant immdiatement ses pieds toute leurfortune. Mais c est le Zarma moins riche qui gagne ceconcours, qui sait tre gnreux sans s oublier et oublierl avenir:

    l avait deux sabres aux flancs; l en donne un M anta ;l portait deux grands boubous superposs comme l se doit;

    l en donne un M an ta ;l possdait un turban et un pantalon 1 darbtchi 1) 40; l les

    partage galement avec Manta.

    Il est vrai aussi que la moiti de l un et de l autre peuventencore habiller deux hommes.

    Voil en tous cas, si l on en croit le djassar, comment leZarma fait la conqute de Manta ) qui s crie:

    801)0 kulu no ay di ay koyrai seulement, maintenant, trouv mon matre 41.

    39. Christiane Seydou, La Geste e Ham-Boddio ou Hama le Rouge, Paris, A.Colin, 1976.

    40. De Turki ., immense pantalon-couverture dont l arme d invasionmarocaine a rpandu le port.

    41. Tilwdti, partie non transcrite.

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    Introduction

    Manta n a en effet que faire d un saint matre.) quil adopte comme on entre en religion, qui lui consacre sa vieen lui sacrifiant ce qui en constitue les attraits.

    L art en effet a besoin d tre entretenu, quotidiennementnourri. Seul le matre qui, dans sa gnrosit, ne s oubliepas lui-mme, est en mesure de lui garantir l'avenir. L artest dvoreur comme le feu, et comme lui l a besoin dtrecontinuellement aliment. Il est comme la vie elle-mme,ajoutera le djassar: tenter de rpondre toutes ses

    exigences, c est se condamner soi-mme. Cependant Mantaest galement cet air, que dis-je? cet hymne dont serclament les Songhay, eux aussi, et que le djassar leurreconnat en ces termes :

    Pour qui rsonnes-tu Manta?Manta, rsonne pour les valereux combattantsRsonne pour les mes gnreusesRsonne pour la gnrosit sans regrets, ni remordsManta air de moloManta, o est donc Sonni Ali Ber?Rsonne, Manta, rsonne pour Mamar KasseyRsonne pour Askya Mohamed TourRsonne pour Daouda SiRsonne pour le Songhay glorieuxRsonne pour les anctres, rsonne, Manta, Mantaari 4

    Voil pour le support musical Un Sonink de l ouest,Sngalais donc, l a reconnu aux premires notes comme luirappelant un air authentique de son propre terroir. Lamusique est sans frontire, et les djassar, travers tout leSoudan occidental et central, sont alls la mme cole,ainsi que le suggre cet air de Manta. Mais le Manta faitmieux encore; il met d accord Songhay et Zarma comme lesmet d accord le recours au sonink comme langue deconservation de leurs traditions.

    b) L utilisation du sonink, qu notre sens l faut lier l'aspect littraire du texte, est de bon ton, comme tait de

    42. Boubou Hama, a force u lait, Niamey (rono, sans date).

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    bon ton, par exemple, les phrases en franais qui maillaientla littrature russe du 1 XC sicle. Langue trangre pourl auditoire, le sonink rempli t ainsi une triple fonction:

    - le recours au sonink est une caractristique des textesinitiatiques et secrets en effet. Il contribue donc soulignerle caractre grave du propos;

    - il permet de souligner au passage l rudition dutraditionniste, justifiant, pour les profanes, les sacrificesconsentis pour la prestation;

    - il rtablit le lien avec un c monde d origine ) dont lacivilisation et la culture suscitent encore l admiration. LeWagadou, bien que trs lointain dans l espace et dans letemps, reste un modle prestigieux; cependant que salangue, le sonink, et les djassar qui l utilisent, demeurentici, les derniers vestiges d un pass glorieux que des Zarmaont sinon vcu, du moins approch d assez prs.

    Les textes des djassar sont donc dits en sonink.Toutefois, nous n avons dj plus, pour les deux derniers,la correspondance quasi mathmatique des vers sonink etdes vers zarma du texte I C est que les circonstances nesont pas les mmes; il n y a ici qu un rcitant qui, parcequ il s adresse un public de profanes, oublie durant delongues priodes, le recours au sonink. Les deux rcits quiauraient d tre identiques au nom de la fidlit au texte quiest de rgle sont, on le verra, assez diffrents l un de l autre.Des pisodes entiers sont quelquefois omis, tandis quechaque artiste peut ici plus facilement mettre contributionses connaissances personnelles spcifiques en histoire, engographie, en ethnologie etc. Ces diffrences constituentun enseignement prcieux, qui montre ce qe peut devenirun texte de tradition orale d une gnration une autre, etd un individu un autre. C est ici qu interviennent lesaspects syntaxiques dont nous parlions tantt propos duTilwti Les textes qui nous intressent sont en effet des

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    Introduction

    textes transmis depuis des gnrations et dclams donc pardes personnes diffrentes. Ce fait cre une dynamique dutexte oral qui le rend changeant tout au moins formellement, suivant le chantre et suivant le public.

    Mais faut-il vraiment regretter que Djeliba Badj, quis adresse un public diffrent malgr tout de celui de sonpre, rvise son vocabulaire pour parvenir une langue quile rapproche davantage de son auditoire?

    Zabarkaan bu Icopi : C Zabarkne est mort en thiopie 1), dit-il,

    employant l appellation franaise de l ex-pays du Ngus, qui estcertainement plus familire au public jeune de Niamey qui est lesien.

    c) Le dcoupage du texte Pour le dcoupage, nous noussommes laiss porter par le souffle du rcitant. Ce n est pastoujours le dcoupage le plus grammatical, mais c est sansaucun doute celui qui fait le mieux ressortir les temps fortset les sonorits.

    3 Le texte IV Le quatrime texte potique de ce corpusest un chant prsent pour la Fte nationale de la Jeunessenigrienne, en 1973. Il est la reprise d une vieille chansonpopulaire, sans doute arrange selon les normes fixes par leministre de la Jeunesse du Niger. Nanmoins, il n auraitpas t reni par la vieille femme qui le chantait un soir,dans un village du Zarmaganda, o l animateur de la troupese trouvait en tourne par hasard 43. Il respecte parfaitement la composition traditionnelle des chants de jeunesfilles avec leur soliste et leur chur. Mme si le chant setermine par des remerciements au Gouvernement du paysqui a lev un mur protecteur autour du tombeau de MliBro, mme s il sacrifie un ou deux vers au thme la modedu retour aux sources et de la recherche de l authent icit, lechant reste valablement reprsentatif des produits duterroir; ce qui explique son succs durable.

    43- Communication de Boubacar Ali, Niamey, 1984-

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    3 1 2 Les textes n prose Les textes en prose sont desrcits faits sur le mode de la conversation par un marabout,un notable et un tisserand qui n ont pas, priori, le souci defaire preuve de leur adresse manier les formes de lalangue. Mais dire l histoire nationale des Zarma est un actesuffisamment grave pour que l informateur n ait pas recours toutes les ressources de la langue. Le vocabulaire est icitrs riche, recherch, quelquefois prcieux, contrairementaux textes potiques des djassar o l accent se trouve mis

    sur la recherche des formes et des sonorits. Aussi, le faitqu ils soient en prose n enlve-t-il rien leur qualitlittraire. Il est vrai que l on ne s improvise pas conteur, fortiori historiographe des Zarma sans avoir les connaissances et le talent qu exigent la prestation et la fonction. C esten effet, au niveau de la cit et de la rgion, aux mmesqu on recourt pour faire dire l histoire. Ceux qui s installentdans la fonction sont donc des hommes qui possdent desqualits d imagination, de matrise de la langue et de sonmaniement. Dans un autre contexte, ils en auraient fait unmtier: ils seraient crivains, puisque l criture est l uniquetruchement qui atteste la proprit d un texte.

    Les textes en prose sont au nombre de trois. Ce sont lesrcits que nous avons intituls Textes v, VI, VII de notrecorpus, suivant le simple ordre chronologique dans lequelils ont t recueillis.

    1 Texte v : Zabarkne L auteur se prsente comme unlettr arabisant capable, par la volont de Dieu, d in-terprter et d expliquer le Coran t . Le texte mane doncd un homme qu ici nous appelons marabout t . Et de fait,il en porte la marque, tant sur l ensemble des textesrecueillis, le seul par exemple, qui attribue aux forces de

    l islam, le pouvoir de faire dcoller de Mall, le fameuxfond de grenier des Zarma; c est le texte d un rudit quiallie sa cul ture islamique, la connaissance de plusieurslangues africaines. Il occupe videmment, pour cela, une

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    Introduction

    position gographique privilgie. Install Ouna sur lefleuve, et l extrme sud de la Rpublique du Niger, il setrouve un point de rencontre de diverses influencesculturelles zarma, haoussa, bariba, gourmantch, sanscompter les Sorkawa (qui remontent et descendent lefleuve) et les Peuls. De l ensemble de ces faits vient peut-tre le caractre plus didactique de ce texte. Mais il s agit ld un aspect que nous aborderons dans le volet qui traiterades techniques du rcit.

    2 Texte V I Sombo et Zabarkne On pourra constater icique, plus que d un texte, il s agit de morceaux d histoiressans lien apparent; l informateur n ayant voulu, dans unpremier temps, parler que de Sombo. Nanmoins, onapprend au bout d une laborieuse interrogation, l histoirepropre de Zabarkne, un Arabe de la Pninsule, et nan-moins anctre des Zarma, lui aussi.

    3 Texte V I I Mli Bro L informateur du texte VII neconnat pas Zabarkne. Comme la plupart des Zarmamoyens, c est Mli Bro qu il connat. Oui, un Mli Broqui s en va un jour de Mall en compagnie de ses frres, deleurs pouses et enfants. Abandonnant sur place toute larcolte de l anne et leur cheptel, ils n emportent qu untaurea:u-laireur v u ~au culte de pongo, fameux trou dupanthon zarma. L informateur, ici, n est que tisserand; unde ces anciens esclaves donc, que leur technique artisanale aquelque peu librs. Nanmoins, il se rclame de Mli Broau mme titre que ses matres. N ayant plus d autre attacheethnique que la leur, il leur sert d agent vulgarisateur pourleur histoire officielle, et ces versions circulent plus facilement que les autres.

    Tels sont les sept textes qui constituent le corpus proprement parler. Nous entreprendrons ensuite d exami-ner leur littrarit qui demeure, pour nous, leur qualitprimodiale, celle qui a prsid leur choix et leurinsertion ici. Or, si cette littrarit repose sur un choix du

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    vocabulaire tel que nous venons de l voquer plus haut, ellerepose surtout sur des techniques du rcit.

    3.2. Les techniques du rcit.

    3.2. I Le rcit introductif. Avant de dbuter son rcit,l informateur du texte V prend la prcaution de se justifierde sa prestation devant l auditoire. Je te le dis toi, parceque tu peux, toi, atteindre les grandes instances ). Cetteintervention n a, au premier abord, rien de commun avec lercit sur Zabarkne qui va suivre. En fait, l s agit d un typed entre en matire l africaine, trs ancien et trs rpandu,qui permet entre autres de laisser l auditoire le temps dese prparer pour l coute. Cette introduction du style Cecin est pas un conte) rappelle l auditeur, galement, lagravit du propos. L auditeur est d ailleurs, on le vera,constamment

    sollicit,et

    souventpris

    tmoin.3.2.2. L appel l auditeur. Il y a en premier lieu cette

    association permanente de l auditeur l action que tous lesnarrateurs utilisent. Sombo ayant mis au point la stratgiedu massacre des enfants Touaregs et Peuls, fait unedernire recommandation :

    A ne bay kulu ma te ya din

    Day ni ma ni zaara dake ni yaajo bO J

    Soit littralement :

    Il dit que chacun agisse de la sorte 1Mais tu dposeras to vtement par-dessus ta lance.

    Cette intrusion de la deuxime personne n tait nulle-ment ncessaire, et n a d autre justification que celle de faire

    participer l auditeur l action.L auditeur est souvent mis contribution, qui lenarrateur pose des questions qui ont l air, sans en tre, dedemander son avis sur tel ou tel fait du rcit. On

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    Introduction

    remarquera cependant que les narrateur enchane toujours,sans attendre de rponse; signe certain que la question n enattendait pas. Elle n avait qu une justification: celle desusciter un geste, un mouvement, une rflexion mme, quirassurent le conteur en lui apportant la preuve que l auditoire reste attentif et suit le fil du rcit. Il parvint ...comment s appelle dj votre contre-l? ) dit le narrateurqui enchane aussitt par le nom de la ville en question. Iln avait eu, ce point-l, aucun trou de mmoire, puisqu il

    procde tout fait diffremment, lorsque cela lui arrive.

    3.2.3. Les procds mnmotechniques. Sans doute les questions l auditoire permettent-elles au narrateur de retrouver quelque peu le fil du rcit; mais l dispose de biend autres moyens pour cela. On peut citer parmi eux, lesrptitions de mots, d expressions, de tout un bout dephrases qui souvent ne s imposent pas et auxquelles a

    recours le narrateur. Ainsi lisons-nous dans le texte VII :

    1 na yeejo ceeci ne man ci ne, ne man ci ne :ne man ci ne kala, kala, kala Sandiire.

    Soit littralement :

    On rechercha le taureau, tape aprs tape, tape aprs tape, tapeaprs tape, jusque, jusque, jusqu Sandr.

    On peut galement mentionner les leitmotiv qU Interviennent, eux aussi, comme moyens mnmotechniques.Pour l auteur du texte VI, par exemple, c est l expression abine et puis )) qu il emploie d ailleurs souvent rduite auseul mot bine tandis que l informateur du texte VII usefrquemment de cimo no c est ainsi ). Ces expressions neconstituent pas vraiment des passages traduire. Ilsremplissent un rle quelque peu quivalent du To dutexte V qui, dans la trame d un rcit oral suivi, constitue unsigne de ponctuation.

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    3 2 4 Les images. Image et rythme ), ce sont les deuxtraits fondamentaux du style ngro-africain, crit LopoldSdar Senghor. Et l on sait combien i l a mis l accent surles notions de concret, d analogie, qui caractrisent l actionverbale ngro-africaine.

    Et, comme pour illustrer cette dfinition, le rcit deZabarkne offre un dense rseau d images o chaque ide setrouve pour ainsi dire illustre par diffrentes figures.

    1) La comparaison. Quand les Zarma eurent embarqu

    sans lui, sur leur fond de grenier, le garssa se prcipite etdit:

    Qu il tait dsormais une hyne devenue aveugle.En demeurant en brousse,elle se fait dvorer par les autres hynes;en rentrant au village,elle se fait mettre mort par les leveurs de moutons 4S.

    C est l image mme de la situation sans issue. Mais toutesles images de ces textes ne sont pas aussi simples et aussibien explicites que dans cet exemple o se trouventclairement exprims les diffrents membres de la comparaison, bien que l outil s y trouve lud.

    2 La mtaphore. Ces hommes sont d or ) borey yawurayan no est-il dit au vers 421 ; une. image qui se trouve

    . ..

    .

    reprise au vers 703 : On les appelait l or de Mall ). Il yaurait l toute une tude faire sur la symbolique de l ordans la socit zarma. Nous nous contenterons ici d enexaminer quelques interprtations possibles.

    Le mot connote sans aucun doute l ide que les Zarmataient, videmment, le plus beau peuple de Mall. Onconstatera d ailleurs que, dans la vie quotidienne, la laideurn est jamais zarma. Et on se surprend toujours devant un

    Zarma laid, se poser la question de savoir de qui il tient44. L. S. Senghor, L esthtique ngro-africaine 0 in Libert l, Paris, Le Seuil,

    1964, p. 2 0 945. Texte l v. 264-268.

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    Introduction

    cette tare, et s il n y a pas de l esclave t ou quelquetranger dans son arbre gnalogique? D ailleurs,

    Ce boU dijo ce boU wura1 Miroir du giron, or du giron 1),

    chantent encore les mamans qui font dansotter leur bbsur leurs genoux.

    Ce mot connote l ide de l or, mtal prcieux et magique,qui concide assez, elle aussi, avec l image que la geste deZabarkne veut donner du Zarma.

    En revanche, nous ne retiendrons pas l ide de l orsymbole de richesse, qui nous parat beaucoup moinsvidente en milieu zarma o l on est riche par milentrepros et les ttes de btail que l on peut aligner.

    3 La mtonymie. Si on ne ramenait pas la fille, le prerenierait son serment t> lit-on au vers 389. Dans le verszarma, la proposition principale de ce vers comporte trois

    mots: [ .. ] A ga feeri Il va se dlier t .Il s agit d un verbe qui s applique frquemment des

    animaux soumis la corde. C est le membre de comparai-son ici absent qui permet l interprtation de l image.Puisqu il n est pas question de prendre le mot au senspropre, l auditoire sait bien qu on n attache pas un Zarma,et qu un Zarma qui passe par la corde est moralementdchu de son titre. C est donc ici le type mme de l imagemtonymique o l animal est voqu par le seul conceptd attacher qui est une de ces caractristiques.

    Par consquent, la nature de l image fait appel aussi bien l univers des animaux et des choses qu celui deshommes.

    Lorsqu en guise de message de dclaration des hostilits,Magan Sound as sa 46 envoie son frre t Sombo plume de

    46. Magan Soundjata : C est bien l des lments du message symbolique quele personnage envoie au Faren du pays de Mema qui lui interdit le petit carr deterre dont il a besoin pour enterrer sa mre, dtail cit par Mamby Sidib1 Soundiata Keita, historique et lgendaire empereur du Manding in BIFAN,avril 1959.

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    LA GESTE DE ZABARKNE

    perdrix, tesson de poterie et bout de bois carbonis,l informateur

    fait poser la question: Que m envoie

    cefou . par Sombo. Il peut alors, pour le public jeune, et pourle public non cultiv, donner la signification de chacun deslments du message. Et quand, au texte VII, Mli Broprsente aux siens la palme panouie de palmier doum quisymbolise la dsunion qui allait s installer dans le groupe,nous retrouvons, tout ensemble runies, les notions deconcret, d aspect et d analogie qui constituent, selon Lo

    pold Sdar Senghor, l assise mme du discours africain.

    3 2 5 Les lments piques La geste de Zabarkne et desZarma est-elle une pope? On est tent de rpondre sanshsiter par l affirmative, si l pope se reconnat, commel crit Lilyan Kesteloot:

    - ses lments tirs de l histoire relle = guerre, hros,conqutes;

    - un grossissement des exploits et une prdilection pour lesfaits d armes;

    - l introduction d lments merveilleux (miracles, magies);- l accompagnement musical qui le rythme en vers libres et

    entrecoupe de refrain

    Car tous ces lments sont reprsents dans la geste deZabarkne. Il est en effet attest que Zabarkne fut unpersonnage historique; que Mli Bro fut un authentiqueconducteur de migration zarma; que les mouvements depopulations d est en ouest puis d ouest en est ont thistoriquement tablis; que la c existence zarma-peuled une part, et zarma-touargue d autre part, n a pas toujours t pacifique; et que l expansion des Zarma dans leZarmataray d aujourd hui s est faite au dtriment d autrespeuples qui ont d cder du terrain.

    En fait d exemples de grossissement d exploits, il noussuffira d voquer ici le meurtre des princes Touaregs etPeuls. Cinq des sept textes de notre corpus comportentl pisode en question. Mais, alors qu il n est question, dans

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    Introduction

    le texte V, que du meurtre d'un prince unique ou dequelques princes, les textes 1, I l et I I I , IV, en font unevritable hcatombe, puisque les jeunes Zarma massacrent cette occasion, dans sa totalit, la bande des jeunes Pe