Le Nirvâna et le Problème de Dieu, par Ram Linssen

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    Le Nirvna et le Problme de Dieu

    L tat de N irvn a est-il divin ? Re con na it-il m me lexisten ce de

    Dieu ? A van t de rpondre cette question il est nccess aire de procder

    une mise au point prliminaire. Le mot Dieu se rencontre assez ra

    rement dans les crits vdiques. Quant aux textes bouddhiques, ces der

    niers ne le mentionnent jamais. Est-ce dire que ces tendances de la

    pense se refusent admettre lexistence dun Princcipe ternel de nature

    divine ?Loin de l. C ette r alit centrale, cet absolu de profondeu r reste

    au contraire le but fondamental vers lequel convergent tous les efforts

    des penseurs vdiques et boudhistes. M ais ces derniers ont t tel

    point hants par la nostalgie de l'infini, de l'absolu, qu'ils lont inlassa

    blement dpouill de tous les noms, de toutes les formes, de tous lesattributs que nous serions trop facilement enclins donner. Cette svrit

    exceptionnelle explique la perception dun contraste contenant un carac

    tre dune telle violence, que la plupart des penseurs europens nont

    pas hsit traiter les doctrines orientales, soit dathisme soit de

    nihilisme.

    Pour dfinir lexprience nirvanique dans ses rapports avec un prin

    cipe divin nous devrons dfinir ce quest Dieu dans la pense boud-

    hique et vdique.

    C e que les hommes nomm ent D ieu comprend la totalit des

    aspects visibles et invisibles de l'Univers. Dieu est la somme de lesprit

    et de la matire. Rien nest en dehors de Lui. Tout est fait de Lui. Ilest l nergie-Une dont les mouvements alimentent l innombrable hirar

    chie des sphres, depuis latome jusqu ltoile.

    Dieu est cette indfinisable Totalit-Une ; indivisible dont lune

    des faces est constitue par lunivers matriel apparemment immobile, et

    l'autre face, par les lumineuses splendeurs des mondes spirituels.

    Encore faut-il insister sur tout ce que ces divisions du Tout

    divin en esprit ou en matire ont darbitraire. Il s'agit l, tout au plus

    de divisions ncessaires pour les commodits de lexpos. Dieu est en

    Lui-mme suprmement-Un, infini, ternel. Seul, notre esprit gar, vic

    time des illusions peroit une multiplicit daspects qui semblent irrduc

    tiblement contradictoires. Et lun des plus grand mrites de la scienceactuelle consiste nous dmontrer de faon premptoire tout l'arbitraire

    de nos compartimentations.

    Si Dieu est cette Totalit-Une, quelle est notre situation, notre rela

    tion son gard ? Nou s en sommes les lm ents con stitutifs. N ous ne

    sommes que les parties du Tout. Et par ignorance, nous avons tendance

    nous croire des personnages rigoureusement autonomes, isols, tota

    lement indpendants.

    Nous nous arrogeons illgitimement de ce fait les seuls droits

    lexistence. La nature nous a rigs comme autant de vases clos, et nous

    pourrions dire quen un certain sens, la plupart des occidentaux pensent

    quils se limitent leur peau. Etant donn que nos premires manifestations d'intelligence et de conscience se sont labores au cur mme

    dune citadelle d'gosme faonne au cours de millions de sicles, il

    est normal que nous inclinions, par une sorte de vitesse acquise, ramener

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    tous les faits de lex isten ce nous-m m es. M ais le moi limit n'est

    pas une fin de soi . Il ne marque quune borne sur la route infinie

    d'un devenir volutif en perptuelle gestation. Et la science nous dmontre

    avec loquence quil n'y a pas, proprement parler dexistant indpendant,tant au point de vue biologique, que des points de vue physico-chimiques

    et astronomiques. T ou t est solidaire de tout. E t cette immense interdp en

    dance, cette solidarit prodigieuse tend son rayon d'action depuis la

    plus dense m atire jusqu'au x plus ultimes con fins de l esprit. L homme

    n'est donc quune partie du grand tout matriel, faite de matire, et partie

    du Grand Tout Spirituel .faite d'esprit.Et ce que le destin attend de nous pour nous lever la condition

    d'homme accompli nest rien dautre que notre acceptation de lvidence

    de cette vrit et surtout de la mise en pratique de ses consquences.

    Il va de soi que l'vidence de la totale unit du monde est pleine

    de consquences. Mais notre gosme ne veut pas les admettre.

    Il faut cependant que nous nous inclinions devant l'vidence de

    lUnit. Il faut que nous nous insrions la juste place que le destin

    nous a confre dans la hirarchie des mondes et des rgnes de l'esprit

    et de la matire.

    Le nirvana nest ni plus ni moins que cette rponse intgrale et

    parfaitement natuelle au fait de l'Unit.

    Nous parlions dune rponse intgrale. Rien dans l'go ne doit

    se rserver, aspirer secrtement la perptuation de ses gostes limites.

    Il faut nous dpouiller du vieil homme .

    Le nirvana est donc ltat d'tre dans lequel cesse le vouloir individuel

    au bnfice du vu cosmique. Il consacre l'abdication de lmotion et

    de la pense personnelles en vue de laffirmation de lmotion et de lapense divines. Ceci, loin de constituer lanantissement de l'homme con

    tribue son accomplissement intgral selon les vux les plus profonds

    de la nature. Car ne perdons pas de vue, que si le dynamisme spirituel

    qui alimente un homme affranchi de l'illusion de son go, est absolument

    un, universel, indivisible aux ultimes profondeurs, les consquences ne

    sen manifestent en surface que dans et par l'homme individuel.

    Il est bon de ne pas perdre de vue, pour tre complet, que la carac

    tristique de la Ralit transcendantale que nous nommons Dieu . est

    dtre pure joie. La participation au dlice de cette infinitude divine a pour

    ranon labdication des limites de notre go. Le seul obstacle la percep

    tion de lharmonie divine rside en nous-mmes. Ds linstant o nousnous affranchirons de lillusion d'tre un existant indpendant nous nous

    intgrerons automatiquemen t dans l'harmonie du T ou t dont nous ne

    sommes qu'un ment constitutif. Mais cette intgration ne peut se

    limiter au simple concept intellectuel. La seule adhsion de notre pense

    une vrit dont nous percevons le bien fond est insuffisante. I! faut

    que nous y donnions le meilleur de notre cur. La T ota lit- U n e de l'U n i

    vers pourrait tre compare un corps. Lorsqu'y rgne l'unit et l 'harmo

    nie, aucune souffrance ne sy dcle. Chaque homme est un organe de ce

    grand corps. L illusion de la soi-conscien ce plonge cet organ e d ans un

    tat de souffrance comparable celui quprouve tout organe dsqui

    libr dans un corps quelconque : l'tat normal nous ne sentons pasles organes constitutifs du corps, ils ne se rvlent nous que dans

    l'hypothse d'un dsquilibre. Certains penseurs indous comparent la

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    soi-conscience individuelle exacerbe au dsquilibre d'un organe malade.

    Si nous dsirons participer a joie divine, il est ncessaire que

    nous nous affranchissions de l'illusion de la conscience de soi. Ds lins

    tant o nous nous librerons de lencombrement de nous-mmes, leuphoriecosmique de la Tota lit-U ne s' installera en nous spontanment.

    La joie de lunit nous inondera de son dlice. La perception de

    son charme infini est ce que les occidentaux appellent la grce.

    La grce est rellement un toucher divin. Par elle, la substantialit

    de la ralit divine nous devient accessible. Un nouveau sens sveille

    chez lhomme qui s'achemine vers sa ralisation spirituelle. Une nouvelle

    facult tactile sinstalle en son me.

    Il peut par une sorte de prhension subtile, et cependant infiniment

    prcise, saisir par contact direct la substantialit des mondes spirituels.

    Ainsi s'accomplit lentement mais srement le premier pas : celui

    reliant la vie individuelle de surface aux ultimes profondeurs de lessenceuniverselle.

    La seconde tape franchir est celle de la matrialisation des ner

    gies de profondeur, ici la surface. Il s'agit de leur expression dans la

    matire et par la matire.

    La premire tape est symbolise aux Indes soit par le Savikalpa

    Samadhi (si l y a image), soit par le Nirvikapa Samadhi (si l n'y a

    pas dimage). Ce dernier samadhi est de loin suprieur au premier.

    La seconde tape sappelle frquemment Sahaja Samadhi.

    Au cours de son dveloppement l'homme accompli spanouit com

    pltement selon les vux de la Totalit-Une de lUnivers.

    Il en a peru les lumineuses splendeurs par les mondes spirituels desultimes profondeurs. Ceci nest quune face. Il en matrialise ensuite les

    richesses dans la matire. Ceci est l 'autre face.

    M ais il aura compris, senti et vu dans un merve illem ent sans borne

    quau del du voile apparamment pais de la matire se cachent les

    ineffables batitudes de l'esprit. Au del du temps, o il vit la surface,

    il contemplera la gloire prestigieuse de l'Eternit. Tel est le Nirvana :

    le plus haut sommet de la vie mystique o se fondent en une synthse

    apothotique les plus hautes cimes de lIntelligence et de lAmour.

    R a m L I N S S E N .