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7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
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7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
2/45
e
noir et l surf ce
Ce
texte
intitu/1 Le noir et la surface
lu
par
Foucault
lors
d une
confrence
sur
le peintre Manet
fait partie
d un projet d ouvrage entrepris
partir
de
1966 qui taitpromis aux
ditions de
Minuit
Ces
recherches donnrent
lieu
plusieurs confrences
:
Milan en 1967
o
il fit la rencontr
d Umberto
Eco,
la
Albright-Knox Art
Gallery
de
Buffalo
le
8 avril1970
sur Le Bar
des
Folie
Bergres ainsi qu Florence
en
novembre 1970,
Tokyo
durant l automne
de
la
mme
anne, et
enfi
Tunis
en
1971. Ntait connue jusqu alors
que
la prsentation faite par
Foucault
Tunis le 20 ma
1971
au Club
Haddad
et
intitulle la
Peinture de
Manet
reprise dans les Cahiers d esthtique e
que
nous republions
ici
la suite
des
notes.
Des
notes de la confrence Le noir et la surface n ont t retranscrits que les
passages
non biffs pa
l auteur.
De
mme
les
ajouts
et l ordre souhaits par
Michel Foucault
ont t suivis.
La
transcription
a t
ralise
par jean-Franois Bert.
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Le noir et
la
surface
Traditionnellement, Manet est considr comme
1/
Le
premier peintre au XIX sicle qui ait rompu,
sur le mode de la violence et du scandale, avec
l'Acadmisme. -Avec
la
tradition des Ateliers
(tradition assez imprcise et contraignante).
Et non
pas comme Courbet, par le choix des
sujets, mais par la manire mme de peindre.
Une certaine ducation de la main et de l'il
est remise en jeu par Manet.
2/
Le
premier peintre impressionniste :
- claircissement de la palette
-jeu
des
valews pour signifier l'
espa et a
perspective
-rapport
nouveau de la lumire et de l'espace
- technique nouvelle : couleur pose directement
sur la toile.
2
Or il n'est pas sr que la modernit
de
Manet
soit lie la naissance de
l'impressionnisme.
-les toiles impressionnistes de Manet sont
tardives ( partir du
Port
de Bordeaux, 1871)
-Manet n'a
pas
particip
la naissance
du mouvement impressionniste :
- Atelier Gleyre
- Atelier Suisse
Il n'a pas expos au Salon des Indpendants
-
Et
surtout les grandes toiles des annes
1863 -1870
Olympia 1
Dj
dans
l'Atelier
Fifre euner
ne sont pas des toiles impressionnistes.
Sans doute il y a eu quelque chose de la
peinture de Manet qui rendait l'impressionnisme
possible ; et quelque chose qui lui rsistait.
Mais ce qui rsistait
l'impressionnisme
ce n'tait pas l'Acadmisme ou le classicisme de
la peinture, mais plut6t quelque chose qui devait
apparatre en pleine lumire aprs l'impression
nisme.
La
modernit
non
impressionniste de
Manet
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1
Le rapport
de
Manet la tradition
picturale.
Il n'est
pas
de simple rupture
Manet, lve de Couture
(6
ans)
-
Les
RoTTIItins
tk
14
d i a ~ J m c e
les
querelles
(Le
Buveur
d'absint/Jr)
- mais aprs tout il
est
rest 6 ans.
3
Etmmme
par
chan
Couture
a
laiss deux
petits
ouvragcsZ
thoriques, on peut savoir quel tait son
enseignement (meilleur
sans
doute que sa peinture)
1
Ce n'tait
pas l'Acadmisme
pur et simple
-
il en refuse les sujets (Turqueries)
-il en refuse la froideur (Ingres)
-il fait l'apologie de l'insoumission
(refus
du
oonsaa,
qui donne
findpendan
de
la
pense)
Et contre cet Acadmisme, Couture invitait
un retour au pass : peinture du XVI
0
XVII sicle,
Titien, Poussin, Lorrain, Salvator
Rosa.
Certes,
ce
retour aux maitrcs tait dans la tradition
4
de l'Acadmisme, mais ces maitres n'taient
pas
ceux
de l'Acadmie. Et surtout, cette incitation
tait
le premier signe
de l'apparition d'une peinture de
muse:
- non plus ratelier, avec ses moulaEes
et
ses
modTes
- non plus
la
nature
- mais une peinture ~ u i serait
en
rfrence avec
les tableaux.
Tableaux qui sont
dans
un rapport
latral
avec les autres tableaux.
Manet :
Le
Djeuner
sur l'herbe
a plw de rapport
avec Gimgionequ'avec
un vrai djeuner.
Olympia avec La
Vlnru d'Clrlmr
2
D'une faon plus prcise Couture trouvait
chez
les
peintres du XVII" sicle
-la
chnique de
l'cho
:Poussin. Une srie de
valeurs
identiques se rpercutentdans le tableau
et lui fixent
sa
profondeur et sa petspective.
I.:cho ne
sc
substitue pas
la
perspective
mais
ilia
double.
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sur l'herbe
1
en profondeur
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Or il me semble que c'est la
fois
- l'utilisation
-
le
dplacement
7
-
et
bien
souvent
aussi
le
boulever5CI11ellt
de
s
recettes et conseils qui vont donner lieu
cette peinture de Manet
et la particularit de cette peinture qui
rsiste l'impressionnisme.
Beauroup de
Dlurions
donnes
par
Manet
aux
problmes
- qu'il avait vu naitre dans son travail chez Couture
- ou contre Couture
beaucoup de
ces
solutions vont rester caches par
l'impressionnisme.
Ils resteront en suspens, inaperus jusqu'
ce que
la
peinture post-impressionniste- Czanne
et Gauguin,
Bonnard, les Nabis, les Fauves -
en rveillent pour nous les pouvoirs ensommeills.
8
II
Les premires grandes expriences.
Quelques
toiles
qui
permettent
de reprer
les grandes
ruptures,
-ou plutt les problmes principaux
de Manet et les solutions appones par lui.
1 Musique
aux
Tui/rries (1860)
Sandbladsa monn tout qui lait
encore
propre Couture
-
.B
ton fondamental : vert noir
b composition en flammes de bougie
opposition 1ven-rouge
orang-bleu
g
colonnes,
fermeture
par le haut (ILs Romains de
14
dir:tultnct)
malgr cette fidlit, on peut noter dj
1
parti pris d'horizontalit :
-les
personnages funnent frise au premier rang.
le
long
de la toile (contrairement Debucourt)
-le
moutonnement se poursuit jusqau fond
sans perspective plongeante
- regard hauteur du tableau lui-mme
un extrieur trait en intrieur
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personnages, et par
noir, et semble se volatiliser
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Peut-tre tout l'ensemble de
cet
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se ramasse-t-il dans un des derniers
tableaux : Un
Bar
aux
Folies-Bergres
CD
Composition en escalier, mais fort complex
en
un sens il y a le comptoir
et
aussi
tt aprs
un
creux peine visible, le
grand mur recouvert d'une glace.
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-Mais ce miroir reprsente son
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0 ~ 'rut.l
tour le comptoir ct ce qu'il y a derrire
ct ce qu'il y a derrire, c'est aprs un espace
vide les loges qui se dressent en recul
les unes par rapport aux autres.
La
dccnoation probablement
la
plus hardie
q
ait tente Manet
- en apparence rien
que
d'assez banal
puisque la serveuse est presque au milieu
pas
tout
fait selon les rgles classiques
- Mais son reflet est situ
si droite que l'observatcur(ou
le
peintre) ne
peuvent pas avoir t
en
face, mais trs gauche
si gauche qu'il peut voir le
reflet non seulement de la serveuse
mais de l'homme avec qui parle la serveuse
Cet homme qui est en face d'elle,
la
place de l'observateur (ct du peintre
quand il a peint son tableau).
De telle sorte que
le
mme personnage
(techniquement rellement en face de l'image
de la serveuse) est contraint
de
se ddoubler :
- comme . il est appel
glisser en Ice du tableau, et
filer vers
la
gauche pour regarder
- puis en tant que reflet
regard
il
idisse
dans
l'autre sens, e t va
se
1oger au coin droit
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
18/45
Enfin
i l
faut
indiquer au
centre
de la toile, le corselet
noir
de la femme
autour duquel
tout
l'espace clate, fusant
vers
la
droite par cette incertitude qui fait
qu'on est pas sr que cc ne soit pas un
personnage, vers le fond puisque le miroir
renvoie ce
qui
est
devant,
vers la
gauche puisque c'est l que l'observateur
devrait tre (alors qu'il n'y est pas), vers
l'avant enfin o il y a
la fois quelqu'un
et
personne.
Cc noir, central, ordonne et dfait
ouvre et irralise tout l'espace l'entour.
Au
lieu de mnager
par des
ombres
le
point de fuite
du
tableau au fond de la repr
sentation,
ramne tout le tableau mais pou
restituer en surface le point d'clatement.
C'est toute l'organisation
spatiale de la
peinture occidentale depuis
le
XVI sicle qui
e
ainsi inverse. Le noir et la surface
lient leurs pouvoirs la fois constituants e
destructeurs.
La vibration de la lumire dans la profondeu
d'un espace maintenu
(ce
qu'ont cherch le
impressionnistes} est sans doute moin
prilleuse pour la peinture occidentale qu
cet clatement partir de la tache noire
et en quelque sorte aveugle.
---7 Un
dernier
coup d'il
sur
le Bar:
cette tache noire en forme de buste a les
lignes d'un sablier: c'est la figure du temps
et
de
la mort
; comme la
gondole
du
Grand Canal,
errant dans un espace
incertain et dcompos, avait tous les
pouvoirs de la barque des morts.
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
19/45
NOTES DU
TRANSCRIPTEUR
1.
Foucault fait ici n fCrence l la querelle entre Manet t Couture suite au BuvtUT el absintht. Thomas Couture deva
condamner le tableau. On lui attribue
cer
phrase:
Peint-on quelque chose d'aussi
laid? Mon
pauvre ami, il
ny a
ici
qu u
buveur d absinthe, c est
le
peintre qui a produit cene insanit.
2. Il
s agit
de Mlthotks mtrttims el atelin- (1867)
ct
de PllJSilgts mtrttims
el atelin-
(1869).
3.
Tableau du Titien
(1538).
4. Foucault utilise attr. puisqu ils agit d une
cau forte
qui a & t r& alis& c par Manet
d a p r ~ le
tableau
de
VclUqucz intitu
L RJunion
Je trriu pmonntlgts
(1855).
5. N. Sandblad,
Mlllltt Thm
stuelits in
ZTtistic nctption,
Lund (Swcdcn), C.
W
K Glcerup,
1954.
6.
Aussi intitul
Viaorint t r ~ m ~ t .
7. Nous
avons
respect&
la
note de Foucault ct fait
passer
le point
c p ~
le
point
d.
8.
Portrait peint par Manet en
1868.
39
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
20/45
La
peinture
e
anet
ichel oucau
Je voudrais aussi m excuser
1
de vous parler de Manet, parce que, bien sr, je ne suis pa
spcialiste de Manet; je ne suis pas spcialiste de peinture
2
,
c est donc en profane que je vou
parlerai de Manet. Et ce que je voudrais vous en dire, c est en gros ceci: je n ai pas
du tout
l inten
tion de vous parler en gnral de Manet, je ne vous prsenterai, je crois, qu une dizaine
ou
un
douzaine de toiles de ce peintre, que j essaierai sinon d analyser,
du
moins d expliquer en certain
de leurs points. Je ne vous parlerai pas en gnral de Manet, je ne vous parlerai mme pas des
aspects sans doute les plus importants et les mieux connus de la peinture de Manet.
Manet figure toujours, dans l histoire de l art, dans l histoire de la peinture
du XIX
sicle
comme celui, bien sr, qui a modifi les techniques
et
les modes de reprsentation picturale, d
manire telle qu il a rendu possible ce mouvement de l impressionnisme qui a occup le devan
de la scne de l histoire de l art pendant presque toute la seconde moiti
du XIX
sicle.
Il est vrai que Manet est bien, en effet,
le
prcurseur de l impressionnisme, c est bien lui qu
a rendu possible l impressionnisme; mais ce n est pas cet aspect-l que je voudrais faire allu
sion: il
me semble en effet que Manet a fait autre chose, qu il a fait peut-tre mme bien plus
que de rendre possible l impressionnisme. Il me semble que par-del mme l impressionnisme
ce
que Manet a rendu possible, c est toute la peinture d aprs l impressionnisme, c est toute l
peinture du xx e sicle, c est la peinture l intrieur de laquelle encore, actuellement,
se
dvelopp
l art contemporain. Cette rupture profonde
ou
cette rupture en profondeur que Manet a opre
elle est sans doute
un
peu plus difficile situer que l ensemble des modifications qui
ont
rend
possible l impressionnisme.
Ce
qui a rendu dans la peinture de
Manet
l impressionnisme possible, vous le savez,
c
sont ces choses relativement connues : nouvelles techniques de la couleur, utilisation de couleur
sinon
tout
fait pures,
du
moins relativement pures, utilisation de certaines formes d clairag
et de luminosit qui n taient point connues dans la peinture prcdente, etc.
En
revanche le
modifications qui ont rendu possible, au-del de l impressionnisme,
en
quelque sorte par-dessu
l impressionnisme, la peinture qui allait venir aprs,
ces
modifications-l sont, je crois, plus
diff
ciles reconnatre et situer.
Je crois que
ces
modifications,
on
peut
tout
de mme
les
rsumer
et
les caractriser
d u
mot: Manet en effet est celui qui, pour la premire fois me semble-t-il, dans l art occidental a
moins depuis la Renaissance, au moins depuis
le Quattrocento
s est permis d utiliser et de fair
jouer, en quelque sorte, l intrieur mme de ses tableaux, l intrieur mme de ce qu ils repr
sentaient, les proprits matrielles de l espace sur lequel
il
peignait.
Voici plus clairement ce que je veux dire : depuis le
XV
sicle, depuis le Quattrocento c ta
une tradition dans la peinture occidentale d essayer de faire oublier, d essayer de masquer e
d esquiver le fait que la peinture tait dpose
ou
inscrite sur
un
certain fragment d espace qu
pouvait tre ou
un
mur, dans
le
cas de la fresque,
ou un
panneau de bois, ou encore une toile
o
ventuellement mme
un
morceau de papier ; faire oublier, donc, que la peinture reposait su
cette surface plus ou moins rectangulaire et deux dimensions, et substituer cet espace matrie
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
21/45
sur lequel la peinture reposait,
un
espace reprsent qui niait,
en
quelque sorte, l espace su
lequel on peignait ; et c est ainsi que cette peinture, depuis le
Quattrocento
a essay de repr
senter
les
trois dimensions alors qu elle reposait sur
un
plan deux dimensions.
C est une peinture qui, non seulement, reprsentait les trois dimensions, mais privilgiait
dans toute la mesure
du
possible, les grandes lignes obliques ou
les
spirales, pour masquer et nie
le fait que la peinture tait pourtant inscrite l intrieur d un carr ou
d un
rectangle de ligne
droites se coupant angles droits.
La peinture essayait galement de reprsenter
un
clairage intrieur la toile ou encore
u
clairage extrieur la toile, venant du fond ou de droite ou de gauche, de manire nier e
esquiver le fait que la peinture reposait sur une surface rectangulaire, claire rellement pa
un
certain clairage rel, variant d ailleurs videmment avec la place du tableau
et
variant ave
l clairage du jour.
Il fallait nier aussi que le tableau tait un morceau d espace devant lequel
le
spectateu
pouvait se dplacer, autour duquel le spectateur pouvait tourner, dont il pouvait, par cons
quent, saisir
un angle ou saisir ventuellement
les
deux faces et c est pourquoi, cette peinture
depuis le
Quattrocento
fixait une certaine place idale, partir de laquelle, et partir de laquell
seulement, on pouvait et devait voir le tableau; de sone que si vous voulez, cette matrialit d
tableau, cette surface rectangulaire, plane, claire rellement par une certaine lumire et autou
de laquelle, ou devant laquelle,
on
pouvait se dplacer, tout cela tait masqu et esquiv pa
ce qui tait reprsent dans le tableau lui-mme ;
et
le tableau reprsentait
un
espace profond
clair par un soleil latral et qu on voyait comme un spectacle, partir d une place idale.
Voil, si vous voulez, le jeu d esquive, de cache, d illusion ou d lision que pratiquait l
peinture reprsentative occidentale depuis
le
Quattrocento.
e que Manet a fait {c est
en tout cas un
des aspects, je crois, importants de la modifica
tion apporte par Manet la peinture occidentale), c est de faire ressurgir, en quelque sorte,
l intrieur mme de ce qui tait reprsent dans le tableau, ces proprits, ces qualits ou ce
limitations matrielles de la toile que la peinture, que la tradition picturale, avait jusque-l e
pour mission en quelque sorte d esquiver et de masquer.
La surface rectangulaire, les grands
axes
verticaux et horizontaux, l clairage rel de la toile
la possibilit
pour le
spectateur de la regarder dans un sens
ou
dans l autre, tout cela est prsen
dans
les
tableaux de Manet, e t redonn, restitu dans les tableaux de Manet. Et Manet rinvent
(ou peut tre invente-t-il
?
le tableau-objet, le tableau comme matrialit, le tableau comm
chose colore que vient clairer une lumire extrieure et devant lequel, ou autour duquel, vien
tourner le spectateur. Cette invention
du
tableau-objet, cette rinsertion de la matrialit d
la toile dans ce qui est reprsent, c est cela je crois qui est au cur de la grande modificatio
apporte par Manet la peinture et c est en ce sens qu on peut dire que Manet a bien boulevers
au-del de tout ce qui pouvait prparer l impressionnisme, tout ce qui tait fondamental dans l
peinture occidentale, depuis le Quattrocento.
Eh bien, c est cela que je voudrais maintenant vous montrer un petit peu sur les faits, c est-
dire sur les tableaux eux-mmes, et je prendrai une srie de tableaux, une douzaine donc de toile
que j essaierai d analyser un peu avec vous; et si vous voulez, pour la commodit de l expos, j
vous les grouperai en trois rubriques : premirement, la manire dont Manet a trait de l espac
mme de la toile, comment il a fait jouer les proprits matrielles de la toile, la superficie, l
hauteur, la largeur, de quelle manire il a fait jouer
ces
proprits spatiales de la toile dans c
qu il reprsentait sur cette toile. a sera le premier ensemble de tableaux que j tudierai; ensuite
dans
un
second ensemble, j essaierai de vous montrer comment Manet a trait
du
problme d
l clairage, comment dans
ses
tableaux, il a utilis,
non
pas une lumire reprsente qui clairera
de l intrieur
le
tableau, mais comment il a utilis la lumire extrieure relle.
Et
troisimemen
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
22/45
comment il a fait jouer aussi la place
du
spectateur par rapport au tableau ;
et pour
ce troisim
point, je n tudierai pas un ensemble de toiles, mais une seule, qui rsume d ailleurs sans dout
toute l uvre de Manet, qui est d ailleurs une des dernires et une des plus bouleversantes d
Manet, c est Un bar uxFolies-Bergre.
J..:ESPACE DE LA TOILE
Eh bien donc, si vous voulez, premier ensemble de problmes et premier ensemble d
toiles: de quelle manire est-ce que Manet a reprsent l espace?
Alors l, maintenant, nous allons passer aux projections,
il
faudrait donc teindre.
(Michel
Foucault profite de
t interruption
pour
retirer
sa
veste et
sa cravate et inviter
ses auditeurs
se mettre
taise.}
Alors, vous avez l une des premires toiles peintes par Manet, toile encore trs classique
vous savez que Manet avait suivi une formation tout fait classique : il avait travaill dans le
atdiers conformistes de l poque, rdativement conformistes, il avait travaill chez Couture
e
c est toute la grande tradition picturale qu il a mattrise
et
qu il possde ; et dans cette toile-l
(c est une toile qui date de 1861-62),
on
peut dire
que Manet
utilise encore toutes les tradition
qu il a
pu
apprendre dans les atdiers o il avait fait ses tudes.
n aut simplement tout de mme signaler dj un certain nombre de choses : vous voyez l
privilge que Manet accorde ces grandes lignes verticales qui sont reprsentes ici par les arbres
Et vous voyez que la toile de Manet s organise en fait sdon, au fond, deux grands axes un
axe
hori
wntal qui est signal par la dernire ligne de ttes des personnages et puis les grands axes verticau
qui sont indiqus ici
avec
comme pour les redoubler
ou
comme pour
les
pointer plutt,
ce
pet
triangle de lumire par lequd se dverse toute la lumire qui va clairer le devant de la scne. Cett
scne, le spectateur
ou
le peintre la voit
trs
lgrement en vue plongeante, de telle manire qu o
peut voir un peu
ce
qui se passe derrire ; mais on ne le voit pas
trs
bien :
il
riy a pas beaucou
de
profondeur, les p e r s o n n ~ de devant masquent d une fon presque complte ce qui se pass
derrire,
d o
cet effet de
frise. es
personnages forment une sorte de
frise
plate ici,
et
l verticalit
prolonge et effet de frise avec une profondeur rdativement raccourcie.
Eh bien maintenant
dix
ans plus tard, Manet va peindre un tableau qui est en un sen
le mme et qui est comme une autre version de ce mme tableau, c est Un soir l Opra
pardon,
Le
a l ~
l Opra.
En un
sens, c est le mme tableau, vous voyez: mme type de person
nages
hommes en habit avec des hauts de forme, quelques personnages fminins avec des robe
claires, mais vous voyez que, dj,
tout
l quilibre spatial s est modifi.
Cespace a t obtur, ferm par derrire ; la profondeur dont je vous disais qu elle rfta
pas trs marque dans le tableau prcdent mais qui existait cependant, cette profondeur, elle es
maintenant ferme, elle est ferme par
un
mur pais; et comme pour bien signaler qu il y a
u
mur et qu il n y a rien voir derrire, vous remarquez
les
deux piliers verticaux et cette norm
barre horiwntale [Michd Foucault crit verticale ]qui est ici et qui encadre le tableau, qu
redouble en quelque sorte l intrieur
du
tableau la verticale et l horiwntale de la toile. Ce gran
rectangle de la toile, vous le trouvez rpt l intrieur et
il
ferme le fond du tableau, empchan
par consquent, l effet de profondeur.
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
23/45
Non
seulement l effet de profondeur est effac mais la distance qu il y a entre le bord
du
tableau
et
ce fond est relativement courte de sorte que tous les personnages se trouvent projet
en avant ; loin qu il y ait profondeur, vous
avez
au contraire une sorte de phnomne de relief
les personnages, ici, avancent et
le
noir des costumes ici, de la robe galement, le noir bloqu
absolument
tout ce que des couleurs claires auraient pu, en quelque sorte, ouvrir en fait d es
pace. I:espace est ferm dans le fond par le
mur
et voil qu il est ferm devant par
ces
robes e
ces costumes. Vous n avez pas vritablement d espace, vous n avez que des sortes de paquets, d
paquets de volumes et de surfaces qui sont l projets en avant, aux yeux
du
spectateur.
a seule ouverture relle ou plutt la seule ouverture qui soit reprsente dans le tableau
c est cette trs curieuse ouverture qui est ici, tout fait en
haut du
tableau,
et
qui n ouvre pa
sur une profondeur vritable, qui n ouvre pas sur quelque chose comme le ciel
ou
la lumire
Souvenez-vous, dans le tableau prcdent, vous aviez, l, un petit triangle de lumire, un peti
triangle qui ouvrait sur
le
ciel et par
o se
rpandait la lumire; ici, par une sorte d ironie, l ou
verture riouvre que sur quoi ? Eh bien, voyez-vous, sur des pieds, sur des pieds, des pantalons
etc. C est--dire le recommencement mme de cela ; comme
si le tableau recommenait ici
comme
si
c tait la mme scne
et
ceci indfiniment:
un
effet par consquent de tapisserie, un
effet de mur, un effet de papier peint que vous voyez se prolonger tout le long, avec l ironie de
deux petits pieds qui pendent ici et qui indiquent le caractre fantasmatique de
cet
espace qu
ri
est pas l espace rel de la perception, qui
ri
est pas l espace rel de l ouverture, mais qui
est
le je
de ces surfaces
et
de ces couleurs rpandues
t
rptes indfiniment
du
haut
en
bas de la toile.
Les proprits spatiales de ce rectangle de toile sont ainsi reprsentes, manifestes, exalte
par ce qui est reprsent dans la toile elle-mme, et vous voyez comment Manet, par rapport
la toile prcdente, qui traitait au fond un peu
du
mme sujet, a entirement referm l espace
mais, maintenant, ce sont les proprits matrielles de la toile qui sont reprsentes dans l
tableau lui-mme.
Est-ce que vous voudriez passer
au
tableau suivant, qui est L Excution de
Maximilien
Tableau qui date de 1867, videmment, et
o
vous retrouvez, vous le voyez, la plupart des carac
tristiques que je signalais tout l heure propos du
Bal
l Opra
;
ceci est
un
tableau antrieur
mais vous y voyez dj les mmes procds, c est--dire fermeture violente marque
t
appuy
de l espace par la prsence
d un
grand mur, un grand
mur
qui riest que le redoublement de
l
toile elle-mme ; de sorte que, voyez-vous, tous les personnages sont placs sur une troite band
de terre ici, de sorte que l on a comme une marche d escalier,
un
effet de marche d escalier, c est
-dire horizontale, verticale, et nouveau, quelque chose comme une verticale, une horizontal
qui s ouvre l avec des petits personnages qui sont en train de regarder la scne. Vous voye
d ailleurs qu on a l presque
le
mme effet que tout l heure dans la scne l Opra, o vou
aviez un
mur
qui tait ferm et une scne qui recommenait
l:
eh bien l vous avez accroch
au-dessus
du mur
nouveau une petite scne qui redouble le tableau.
Or,
si
je vous ai montr cette toile ce
ri
est pas simplement parce qu elle redonne,
ou
qu ell
donne l avance ces lments que l on devait retrouver plus tard dans le Bal
l Opra,
c es
pour une raison supplmentaire
:vous
voyez que tous les personnages sont donc placs sur u
mme et troit petit rectangle sur lequel ils ont les pieds placs (une sorte de marche d escalie
derrire laquelle vous avez une grande verticale). Ils sont tous resserrs, sur
ce
petit espace, il
sont tous trs prs les uns des autres, ils sont tellement prs les uns des autres que, vous le voyez
les canons des fusils viennent toucher leur poitrine. J aurais dft vous signaler d ailleurs que ce
horizontales-l et la position verticale des soldats ne font, l encore, que multiplier et rpter
l intrieur du tableau les grands axes horizontaux et verticaux de la toile.
En
tout cas les soldat
ici touchent
du
bout de leurs fusils
ces
personnages qui sont l. Il n y a pas de distance entr
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
24/45
le peloton d excution
et
les victimes
du
peloton d excution. Or, si vous regardez, vous voye
que ces personnages-l sont plus petits que ceux-l, alors que normalement, ils devraient tre d
la
mme taille, puisqu ils sont us exactement sur le mme plan
et
qu ils disposent les uns et le
autres de trs peu d espace pour se dployer ; c est--dire que Manet s est servi de cette techniqu
fort archaque qui consistait faire diminuer les personnages sans
les
rpartir dans le plan (c es
la technique de la peinture avant le
Quattrocento),
il utilise cette technique
pour
signifier
ou
symboliser une distance qui r est pas rellement reprsente.
Dans son tableau, dans l espace qu il
se
donne, dans ce
tout
petit rectangle
o
il a plac tou
ses personnages, il est bien vident que Manet ne peut pas reprsenter la distance.
La
distanc
ne peut pas tre donne la perception ; on ne voit pas la distance.
En
revanche, la diminutio
des personnages indique une sorte de reconnaissance
purement
intellectuelle
et non
percep
tive, qu il devrait
y
avoir une distance entre ceux-ci et ceux-l, entre les victimes et le peloto
d excution; et cette distance
non
perceptible, cette distance qui n est pas donne au regard, ell
est simplement signale par ce signe qui est celui de l diminution des personnages. Ainsi son
en train, vous le voyez, de
se
dfaire, l intrieur mme de ce petit rectangle que s est donn
Manet et o
il place
ces
personnages, quelques-uns des principes fondamentaux de la perceptio
picturale en Occident.
La
perception picturale devait tre comme la rptition, le redoublement, la reproductio
de la perception de tous les jours. Ce qui devait tre reprsent, c tait
un
espace quasi rel o l
distance pouvait tre lue, apprcie, dchiffre
comme
lorsque nous regardons nous-mmes
un
paysage. Ici, nous entrons dans un espace pictural o la distance
ne
se
donne
plus voir,
o
l
profondeur r est plus objet de perception et o la position spatiale - l loignement des person
nages-
est simplement donne par des signes qui
n ont
de sens et de fonction qu l intrieur d
la peinture (c est--dire le
rappon
en quelque sone arbitraire,
en
tout cas purement symboliqu
entre la taille de ces personnages
et
la taille de ceux-l).
Est-ce que vous voudriez maintenant passer au tableau suivant, qui, lui, va jouer avec un
autre proprit de la toile
?
Dans celles que je vous ai prsentes
tout
l heure,
Le
al
l Opr
ou L Excution de Maximilien,
ce que
Manet
utilisait, ce qu il faisait jouer dans sa reprsentation
c tait
sunout
le fait que l toile tait verticale, qu elle tait une surface deux dimensions, qu ell
n avait pas de profondeur ;
et
cette absence de profondeur,
Manet en
quelque
sone
essayait de l
reprsenter en
diminuant
au maximum l paisseur mme de la scne qu il reprsente. Ici, dans
c
tableau, qui date de l anne 1872, si j ai bonne mmoire, ce qui joue, vous le voyez, c est essen
tiellement les axes horizontaux
et
verticaux ; ces axes horizontaux
ou
verticaux qui
sont
bien s
la rptition l intrieur de la toile de ces
axes
horizontaux et venicaux qui encadrent la toile e
qui forment le cadre mme du tableau. Mais, vous le voyez, c est galement la reproduction e
quelque
sone,
dans le filigrane mme de la peinture, de toutes les fibres horizontales et venicale
qui constituent la toile elle-mme, la toile dans ce qu elle a
de
matriel.
C est comme si le tissu de la toile tait en train de commencer apparaiue
et
manifester s
gomtrie interne, et vous voyez cet entrecroisement de
fils
qui est comme l esquisse reprsent
de la toile elle-mme. Si d ailleurs vous isolez cette partie, ce quart, ce sixime, je
ne
sais, de la toile
vous voyez que vous avez
un
jeu presque exclusif d horizontales
et
de verticales, de lignes qui s
coupent comme angles droits, et ceux d entre vous qui ont dans l esprit le tableau de Mondria
sur l arbre, enfin la srie des variations que Mondrian a faites sur l arbre, vous savez,
pendant
le
annes 1910-1914, vous y voyez l naissance mme de la peinture abstraite. Mondrian a trait
son arbre, son fameux arbre panir duquel il
a
en mme temps que Kandinsky, dcouven l
peinture abstraite, un peu comme
Manet
a trait les bateaux
du
Port de
Bordeaux. De
son arbre
il a extrait finalement un cenain jeu de lignes qui se recoupent angles droits et qui formen
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25/45
Manet 1863 k
/ympia, .
le .
13
x 190 D _ ~
)
Herv Lewandows
uile sur toi . d Orsay, Pans
;
R N
(Muse
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
26/45
eDljn4 fiD
sur
l lime, .
Manet 1863
Huile sur toile :
208
x 264,5
cm
RMN
(Muse d Orsay, Paris) Herv Lewandowski
Ltt
Mruiqru:
llwt
Tuilnies,
. Manet 1862
Huile sur toile::
76
x 118 cm
e
U J J n ~ T J i l b s i n d N
.
Manet
1858-185
Huile: sur toile:: 180,5 x 105,6
cm
Ny
Carlsberg
Glyptoa:k, Copenhag
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L ~ f i f t ~ . ~ - M a n e t 1866
Huile sur toile: 6 97 cm
RMN (Muse d'Orsay, Paris) Herv Lewandowski
LA
S m J ~ u s ~ de
bocks
Manet, 1879
Huile sur
toile
77,5 x 65 cm
RMN (Muse d'Orsay, Paris) Herv Lewandowski
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28/45
Un
bar
auxFolin-Bngm
Huile
sur
toile
:
96
x 130
cm
The
Counauld
Instituee
of
Art Londres
al masqul
l oplra, .
Manet 1873
Huile sur
toile
: 59 x 72 5
cm
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29/45
comme une
trame,
un
damier,
une
trame de lignes droites horizontales
et
verticales.
Eh
bien
de la mme faon, de cet enchevtrement de bateaux, de toute cene activit du port, Manet es
arriv extraire ceci, ce jeu de verticales et d horizontales qui sont la reprsentation gomtriqu
de la gomtrie mme de la toile dans ce qu elle a de matriel.
e
jeu du tissu de la toile, vou
allez le revoir alors, d une manire la fois amusante et pour l poque absolument scandaleuse
dans le tableau suivant qui s appelle ArgenteuiL
rgenteui
Et
si vous vouliez passer la toile suivante? Vous voyez l axe vertical
du
mt, qui vient redou
bler
le
bord
du
tableau, cette horizontale-l qui vient redoubler cette
autre;
et
les
deux grand
axes sont donc reprsents l intrieur de la toile, mais vous voyez que ce qui est reprsent
c est prcisment des tissus, des tissus qui ont des lignes verticales et des lignes horizontales ; e
le caractre la fois populaire, fruste, et des personnages, et de ce qui est reprsent dans cett
toile-l, n est
qu un
jeu
pour
Manet, le jeu qui consiste reprsenter sur une toile les proprit
mmes du tissu et l entrecroisement et les recoupements de la verticale et de l horizontale.
ans l
err
0
Vous voudriez passer la toile suivante, qui s appelle
Dans
la
serre
et
qui
est
tout
de
mm
une
des plus importantes toiles de
Manet pour
comprendre la manire
dont
il joue
..
[Il sembl
qu il ait eu ce moment
quelques
difficults pour trouver la reproduction en question ; par ailleur
quelques
secondes
d enregistrement ont t perdues
lors du retournement de la
cassette] ...
la verticale
l horizontale et cet entrecroisement des lignes mmes du tableau. Vous voyez combien l espace
la profondeur du tableau est restreinte. Immdiatement derrire les personnages, vous avez cett
tapisserie de plantes vertes qu aucun regard ne peut percer et qui se droule absolument
comm
une toile de fond, absolument comme un mur de papier qu il y aurait l ; aucune profondeur
aucun clairage ne vient percer cette espce de fort de feuilles et de tiges qui peuplent la serr
o
se
passe la scne.
Le
personnage de la femme est ici entirement projet vers l avant, les jambes elles-mme
ne sont pas vues d ns le tableau, elles dbordent ; les genoux de la femme dbordent
en
quelqu
sone
le tableau dont elle est projete en avant
pour
qu il n y ait pas de profondeur
et
le person
nage qui est derrire elle bascule entirement vers nous avec cet norme visage que vous voyez
qui le montre en quelque
sone
trop prs de nous, presque trop prs pour tre vu, tant il a bascul
en avant
et
si court se trouve l espace
dont
l dispose lui-mme. Fermeture donc de l espace e
bien str le
jeu
des venicales et des horizontales, tout le tableau barr par cene planche, ce dossie
du banc, ligne du dossier qui se trouve rpte une premire fois ici, qui se trouve rpte un
seconde fois l,
qui se
trouve rpte une quatrime fois ici, ligne qui se trouve redouble
e
blanc cette fois-ci par le parapluie de la
femme;
et pour les verticales maintenant alors,
tout
c
quadrillage-l, avec simplement cette petite diagonale trs courte
pour
indiquer la profondeur
Tout
le tableau est architectur
autour et
partir de ces verticales et de ces horizontales.
Et si vous ajoutez maintenant que les plis de la robe de la femme se trouvent tre des pli
verticaux ici, mais
que
ici vous avez tout ce mouvement d ventail de la robe de la femme,
qu
fait que les premiers plis sont l horizontale comme ces quatre lignes fondamentales, mai
que, en tournant, la robe finit par accder presque la verticale, vous voyez que ce jeu de pli
qui va du parapluie jusqu aux genoux de la femme reproduit en tournant le mouvement qu
va de l horizontale la verticale ;
et
c est ce mouvement-l qui est reproduit ici. Ajoutez main
tenant que
vous avez
une main qui pend et une main
dans l autre sens
et
vous avez
au
centr
mme du tableau, en tache claire, reproduisant les axes du tableau, les mmes lignes verticale
et
horizontales que vous retrouvez
en
lignes sombres, constituant l armature mme du banc
e
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
30/45
l architecture intrieure du tableau. Et l, vous avez donc tout le jeu qui consiste supprimer
effacer, tasser l espace dans
le
sens de la profondeur, exalter au contraire
les
lignes de la verti
calit et de l horizontalit.
Voil ce que je voulais vous dire en ce qui concerne
le
jeu de la profondeur, de la verticale e
de l horizontale chez Manet, mais il existe encore une autre faon pour Manet de jouer avec
le
proprits matrielles de la toile ; car la toile, c est bien, en effet, une surface, une surface qui a
une horizontale et une verticale, mais c est de plus une surface deux faces,
un
verso et
un
recto
Et c est ce jeu-l,
du
verso et du recto que d une manire beaucoup plus vicieuse et mchant
encore,
si
vous voulez, Manet va faire jouer.
a Serveuse e boe tt
1
Et voici comment, si vous voulez passer le tableau suivant, qui est La Serveuse
de
bocks on
en a
un
assez curieux exemple. En effet, en quoi consiste ce tableau et qu est-ce qu il reprsente?
Eh bien, en
un
sens, il ne reprsente rien, en ce sens qu il ne donne rien voir.
En
effet, vous ave
presque en
tout
et pour
tout
dans ce tableau, ce personnage de la serveuse, que vous voyez tr
proche
du
peintre, trs proche
du
spectateur, trs proche de nous, qui a le visage soudain tourn
vers nous comme si brusquement devant elle un spectacle se produisait par lequel son regard
tait
attir
vous voyez qu elle n est pas en train de regarder ce qu elle fait, c est--dire de pose
son bock, elle a l il attir vers quelque chose que nous ne voyons pas, que nous ne connaisson
pas, qui est l, en avant de la toile.
Et
d autre part, la toile est compose de un, deux, la limit
trois autres personnages, en
tout cas
certainement
un
et deux que nous ne voyons presque pa
puisque de l un d entre eux nous ne voyons gure que le profil fuyant et puis de celui-l nou
ne voyons que
le
chapeau.
Or
eux ils regardent, ils regardent eux aussi et ils regardent dans l
direction exactement oppose. Qu est-ce qu ils voient?
Eh
bien nous n en savons rien, nous n e
savons rien puisque le tableau est coup de telle sorte que le spectacle qui est l, et par lequel ce
regards-ci sont attirs, ce spectacle nous est, lui aussi, drob.
Songez maintenant n importe quelle peinture, si vous voulez, de type classique. Il arriv
en effet trs traditionnellement dans la peinture qu un tableau reprsente des gens en train de
regarder quelque chose. Par exemple,
si
vous prenez dans Masaccio le tableau
du
denier d
Saint Pierre
12
, vous voyez des personnages qui sont en cercle et qui sont en train de regarde
quelque chose; ce q u l q u ~ chose, c est un dialogue
ou
c est plutt l change d une pice d argen
entre Saint Pierre et le passeur. Il y a donc un spectacle, mais ce spectacle que les personnage
du
tableau sont en train de regarder, nous le connaissons, nous le voyons, il est donn dans l
tableau.
Or ici, nous avons deux personnages qui regardent; or premirement ces deux person
nages ne regardent pas la mme chose, et deuximement le tableau ne nous dit pas ce que
le
personnages regardent. C est un tableau o ne sont reprsents que deux regards, deux regard
dans deux directions opposes, deux regards dans
les
deux directions opposes
du
tableau rect
verso et aucun des deux spectacles qui sont actuellement suivis avec
tant
d attention par les deu
personnages, aucun de
ces
deux spectacles ne nous est donn ; et pour bien souligner ceci, vou
avez la curieuse ironie de ce petit morceau de main que vous voyez l et de ce petit morceau d
robe.
C est qu en effet dans une premire version de ce tableau, Manet avait reprsent ce qu
tait regard par ces personnages-l; ce qui tait reprsent, c est une chanteuse de cabaret, d
caf concert en train, l, de passer, de chanter ou d esquisser un pas de danse, (c est une versio
qui se trouve Londres) ; et aprs cette version-l, cette seconde version
3
que je vous montr
maintenant : eh bien Manet, dans cette seconde version, a coup le spectacle de telle manir
qu il n y ait en quelque sorte rien voir, que le tableau, a soit des regards tourns vers l invisible
de sorte que la toile ne di t au fond que l invisible, ne montre que l invisible et ne fait qu indique
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
31/45
par la direction des regards opposs quelque chose qui est forcment invisible, puisque ceci est en
avant de la toile et que ce qui est regard par celui-l au contraire est en arrire de la toile. De par
et d autre de la toile, vous avez deux spectacles qui sont regards par les deux personnages mais
la toile au fond, au lieu de montrer ce qu il
y
a voir, le cache et le drobe.
a
surface avec se
deux faces,
recto
verso r est pas un lieu o
se
manifeste une visibilit ; c est
le
lieu qui assure, a
contraire, l invisibilit de ce qui est regard par les personnages qui sont dans le plan de la toile
e Chemin
tl { r
Et ceci est clair dans ce tableau, plus net encore dans celui que vous allez voir maintenan
et qui s appelle La gare aint z r ~ Alors l, vous avez nouveau le mme truc ; bien sftr vou
voyez nouveau toujours les mmes verticales et
les
mmes horizontales que nous retrouvons
ces
verticales et
ces
horizontales qui dfinissent un certain plan
du
tableau, le plan en quelqu
sorte de la toile et puis vous avez deux personnages comme tout l heure dans La serveuse d
bocks
deux personnages que nous appelons tte-bche, l un regarde dans notre direction, l autr
regarde dans la mme direction que nous. I:un nous tourne son visage, l autre nous tourne au
contraire le dos.
Or
ce que regarde la femme, et vous voyez qu elle le regarde avec une espc
d intensit assez grande, c est
un
spectacle que nous ne pouvons pas voir puisqu il est en avan
de la toile ; et ce que la petite fille est en train de regarder, eh bien nous ne pouvons pas le voi
puisque Manet a dploy l, le nuage
d un
train qui est en train de passer de telle manire qu
nous, nous n avons rien voir. Et pour voir ce qu il aurait voir, il faudrait
ou
que nous regar
dions par dessus l paule de la petite fille ou que nous fassions le tour du tableau et que nou
regardions par dessus l paule de la femme.
Et vous voyez comment Manet joue ainsi avec cette proprit matrielle de la toile qui fai
que c est un
plan, un plan qui a un
recto
et un verso; et, jusqu prsent, jamais aucun peintr
ne s tait amus utiliser le recto et le verso. L il l utilise non pas en ceci qu il peint le devan
et le derrire de la toile, mais qu il force en quelque sorte le spectateur avoir envie de tourne
autour de la toile, de changer de position pour arriver enfin voir ce qu on sent qu on devrai
voir, mais qui n est pourtant pas donn dans le tableau. Et c est ce jeu de l invisibilit assur
par la superficie mme de la toile que Manet fait jouer l intrieur mme
du
tableau, manir
dont, vous le voyez,
on
peut dire tout de mme qu elle est vicieuse, malicieuse et mchante
puisqu enfin c est la premire fois que la peinture
se
donne comme ce qui nous montre quelqu
chose d invisible : les regards sont l pour nous indiquer que quelque chose est voir, quelqu
chose qui est par dfinition et par la nature mme de la peinture, et par la nature mme de l
toile, ncessairement invisible.
LCL IR GE
Est-ce que vous voudriez maintenant passer la toile suivante, qui nous amne alors
l
seconde srie de problmes
dont
je voulais vous parler ?
Ce
sont les problmes de l clairage e
de la lumire.
Vous connaissez ce tableau, c est
Le
Fifte qui date de 1864 ou 5
17
, tableau qui, l poqu
mme, a eu un certain retentissement scandaleux. Vous voyez que Manet a (et ceci r est que l
consquence de ce que je vous ai dit jusqu prsent) entirement supprim la profondeur du
tableau. Vous voyez qu il n y a aucun espace derrire le fifre ; non seulement il n y a aucun espac
derrire le fifre, mais le fifre n est plac en quelque sorte nulle part. Vous voyez que le lieu
o
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
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il pose ses pieds, ce lieu, ce plancher, ce sol, r est indiqu que par presque rien ; cette toute petite
ombre, cette trs lgre tache grise ici, qui fait la diffrence entre le mur du fond et l espace su
lequel il pose les pieds. a marche d escalier, que nous avions vue
dans
les tableaux prcdents
est mme supprime ici. Il r y a comme lieu o
il
pose
les
pieds que cette trs lgre ombre. C es
sur une ombre, c est sur rien du
tout, c est sur le vide qu il pose le pied.
Mais ce n est pas de cela surtout que je voulais vous parler propos du Fifte, c est de l
manire dont il est clair. D ordinaire dans la peinture traditionnelle, vous savez bien que
l clairage est toujours situ quelque part. Il y a soit l intrieur mme de la toile, soit l ex
trieur une source lumineuse qui est ou reprsente directement ou simplement indique pa
des rayons lumineux : une fentre ouverte indique que la lumire vient par exemple de droite
ou
d en haut, de gauche, d en bas, etc. ; et en dehors de la lumire relle qui vient frapper la
toile, le tableau reprsente toujours, en outre, une certaine source lumineuse qui balaie la toile
et provoque sur les personnages qui sont l soit des ombres portes soit des models, des reliefs
des creux, etc. C est toute cene systmaticit de la lumire qui avait t invente au dbut du
Quattrocento
et laquelle, vous
savez
e Caravage, auquel il faut bien videmment rendre un
hommage particulier ici, avait donn sa rgularit et sa systmaticit parfaites.
Ici, au contraire, vous voyez qu il n y a absolument aucun clairage venant soit d en hau
soit d en bas, soit de l extrieur de la toile ;
ou
plutt tout l clairage vient de l extrieur de l
toile mais il vient la frapper absolument la perpendiculaire, ici. Vous voyez que le visage ne
prsente absolument aucun model, simplement deux petits creux de chaque ct
du
nez,
pou
indiquer les sourcils et
le
creux des yeux. Vous voyez d ailleurs que l ombre, pratiquement la
seule ombre qui est prsente dans le tableau, c est cette minuscule petite ombre qui est ici sou
la main du fifre et qui indique qu en effet l clairage vient bien absolument d en face, puisqu
c est derrire le fifre, dans le creux de la main, que se dessine la seule ombre porte du tableau
avec ceci qui assure la stabilit, et vous le voyez, cette minuscule petite ombre ici, qui est l indi
cation du rythme que
le
fifre imprime sa musique en tapant du pied : vous le voyez, il soulv
lgrement le pied, ce qui donne de cene ombre
celle-ci, la grande diagonale qui est reproduit
ici en clair par le fourreau du fifre ; clairage donc entirement perpendiculaire, clairage qui es
l clairage rel de
la
toile, si la toile dans sa matrialit tait expose une fentre ouverte, devan
une fentre ouverte.
Alors que, traditionnellement, c tait une habitude dans la peinture de reprsenter l in
trieur du tableau une fentre par laquelle un clairage fictif balayait les personnages et leu
donnait leur relief, l, il faut admettre une toile,
un
rectangle, une surface qui est place elle
mme devant une fentre, une fentre qui l claire absolument de plein fouet. Cene techniqu
radicale de la suppression d un
clairage intrieur et de son remplacement par l clairage re
extrieur et frontal, Manet ne l avait pas videmment ralise, mise en jeu ds le dpart ; et dan
un de ses plus clbres tableaux, le premier de ses ~ r n d s tableaux, vous allez voir qu il avai
utilis d une manire concurrente deux techniques d clairage.
e
Djeuner sur l herb
8
Est-ce que vous voudriez passer le tableau suivant, je vous prie ? C est le fameux Djeune
sur
l herbe.
Ce Djeuner sur
l herbe,
je ne prtends pas du tout l analyser entirement, il y
videmment des masses de choses dire son sujet. Je voudrais simplement parler de l clairage
En fait, dans ce tableau-l, vous
avez
deux systmes d clairage qui sont juxtaposs et qui son
juxtaposs en profondeur. Vous voyez en effet, que, dans la seconde partie du tableau, si l o
admet que cene ligne-l, de l herbe, partage le tableau en deux, vous avez un clairage qui es
un clairage traditionnel
avec
une source lumineuse qui vient d en haut, gauche, qui balaie l
scne, qui claire cette grande prairie du fond, qui vient frapper le dos de la femme, qui modl
ici son visage, pour une part plong dans l ombre ; et cet clairage vient mourir ici sur deu
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
33/45
buissons clairs (on ne
le
voit pas trs bien parce que la reproduction n'est pas trs bonne), deu
buissons clairs et un peu flamboyants, qui sont en quelque sorte
les
points d'arrive de cet clai
rage latral et triangulaire ici et l. Vous avez donc un triangle lumineux qui balaie le corps de l
femme et modle son visage: clairage traditionnel, clairage classique qui laisse le relief et qu
est constitu par une lumire intrieure,
Maintenant,
si
vous prenez les personnages de devant,
ce
qui les caractrise, c'est
le
fai
qu'ils sont clairs par une lumire, elle, tout fait diffrente et qui n'a rien voir avec la prc
dente qui meurt et s'arrte sur
ces deux buissons. Vous avez un clairage qui, lui, est frontal e
perpendiculaire, qui vient frapper, vous le voyez, la femme et ce corps entirement nu, qui vien
la frapper absolument de face : vous voyez qu'il n'y a absolument aucun relief, aucun model
C'est une sorte d'mail que
le
corps de
la
femme, de peinture
la
japonaise. .:clairage n
peut venir que brutalement et d'en face. C'est cet clairage qui frappe galement le visage d
l'homme, qui frappe ce profil galement absolument plat, sans relief, sans model, et les deu
corps sombres, les deux vestes sombres de ces deux hommes, sont
les
points d'aboutissement e
de bute de cet clairage frontal,
tout
comme les deux buissons ici taient les points d'aboutisse
ment et de flamboiement de l'clairage intrieur.
Un
clairage extrieur bloqu par
le
corps de
deux hommes et un clairage intrieur redoubl par les deux buissons.
Ces deux systmes de reprsentation,
ou plutt ces deux systmes de manifestation de l
lumire l'intrieur du tableau sont ici juxtaposs dans cette toile mme, sont dans une juxta
position qui donne ce tableau son caractre en quelque sorte discordant, son htrognit
intrieure ; htrognit intrieure que Manet a essay en quelque sorte de rduire
ou
peut-tr
encore de souligner, je ne sais, par cette main qui est l, cette main claire qui est au milieu du
tableau ; souvenez-vous d'ailleurs des deux mains que je vous montrais tout l'heure dans
Serre, et qui taient la reproduction par les doigts des
axes
mme du tableau, eh bien ici, vou
avez cette main avec ses deux doigts, un doigt qui pointe dans cette direction ; or, cette direction
c'est prcisment la direction de la lumire intrieure, de cette lumire qui vient d'en haut et qu
vient d'ailleurs. Et au contraire le doigt est pli, pli vers l'extrieur, dans l'axe du tableau et
indique l'origine de la lumire qui, elle, vient frapper ici de sorte que l encore, vous avez dan
ce
jeu de la main,
les axes
fondamentaux du tableau et le principe la fois de liaison et d'htro
gnit de ce
Djeuner
sur
l herbe.
Voudriez-vous maintenant arriver celui-l, alors, sur lequel je serai bref. Je ne vous parlera
pas beaucoup de ce tableau, simplement parce que je n'en suis pas capable et que c'est trop diffi
cile ; je voudrais simplement vous en parler du point de vue de l'clairage ; ou,
si
vous voulez
je vais vous en parler du point de vue du rapport qu'il peut y avoir entre le scandale que cett
toile a provoqu et un certain nombre de
ses
caractristiques purement picturales, et je crois
essentiellement, la lumire.
Cette
Olympia,
vous le savez, a fait scandale quand elle a t expose, au Salon de 1865
elle a fait un scandale tel qu'on a t oblig de la dcrocher. Il y a eu des bourgeois qui, visitan
le Salon,
ont
voulu la percer avec leur parapluie, tellement
ils
trouvaient cela indcent. Or l
reprsentation de la nudit fminine dans la peinture occidentale est une tradition qui remont
au XVIe sicle et
on
en avait vu bien d'autres avant l Olympia, on en voyait d'ailleurs bien d'autre
au Salon mme o cette Olympia a fait scandale. Qu'est ce qu'il y avait donc de scandaleux dan
ce
tableau, qui a fait qu'il n'a pas
pu
tre support?
Les historiens de l'art disent, et
ils
ont videmment profondment raison, que le scandal
moral n'tait qu'une manire maladroite de formuler quelque chose qui tait le scandale esth
tique : on ne supportait pas cette esthtique,
ces
aplats, cette grande peinture la japonaise,
o
ne supportait pas la laideur mme de cette femme, qui est laide et qui est faite pour tre laide
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
34/45
tout ceci est absolument vrai. Je me demande s il n y a pas, d une faon un peu plus prcise, un
autre raison du scandale et qui est lie prcisment l clairage.
En effet (malheureusement, j ai oubli de l apporter l) il faut comparer cene toile celle
qui lui sert jusqu un certain point de modle et de repoussoir ; vous savez que cette Vnus
enfin cene Olympia de Manet est le double, la reproduction, disons en
tout cas
une variation su
le thme des Vnus nues, des Vnus couches et en particulier de la Vnus du Titien. Or dan
la Vnus du Titien, vous avez une femme, une femme nue qui est couche peu prs dans cen
position, il y a autour d elle des draperies comme ici, une source lumineuse qui est en haut,
gauche, et qui vient clairer doucement la femme, qui lui claire, si j ai bonne mmoire, le visage
en
tout cas
certainement le sein et la jambe, et qui est l comme une espce de dorure qui vien
caresser son corps et qui est en quelque sorte le principe de la visibilit
du
corps. Si le corps d
la Vnus du Titien,
si
la Vnus du Titien, est visible,
si
elle
se
donne au regard, c est parce qu i
y a cette espce de source lumineuse, discrte, latrale et dore qui la surprend, qui la surprend
en quelque sorte malgr elle et malgr nous. Il y a cette femme nue qui est l, ne songe rien
ne
regarde rien, il y a cette lumire qui, indiscrtement, vient la frapper ou la caresser, et nous
spectateurs, qui surprenons le jeu entre cette lumire et cette nudit.
Or
ici, vous voyez que
si
l Olympia de Manet est visible, c est parce qu une lumire vient l
frapper. Cette lumire, ce n est pas du tout une douce et discrte lumire latrale, c est une tr
violente lumire qui la frappe l, de plein fouet. Une lumire qui vient de devant, une lumir
qui vient de l espace qui
se
trouve devant la toile, c est--dire que la lumire, la source lumineus
qui est indique, qui est suppose par cet clairage mme de la femme, cette source lumineuse
o est-ce qu elle est, sinon prcisment l
o
nous sommes ? C est--dire qu il n y a pas troi
lments : la nudit, l clairage et nous qui surprenons le jeu de la nudit et de l clairage, il
a la nudit et nous qui sommes au lieu mme de l clairage,
il
y a la nudit et l clairage qui es
au lieu mme o
nous sommes, c est--dire que c est notre regard qui, en s ouvrant sur la nudit
de
l Olympia,
l claire. C est nous qui la rendons visible; notre regard sur l Olympia est lampa
dophore, c est lui qui porte la lumire; nous sommes responsables de la visibilit et de la nudit
de
l Olympia.
Elle n est nue que pour nous puisque c est nous qui la rendons nue et nous l
rendons nue puisque, en la regardant, nous l clairons, puisqu en tout cas notre regard et l clai
rage
ne
font qu une seule et mme chose. Regarder
un
tableau
et
l clairer,
ce
n est qu une seule e
mme chose dans une toile comme celle-l et c est pourquoi, nous sommes- tout spectateur s
trouve- ncessairement impliqus dans cette nudit et nous en sommes jusqu un certain
poin
responsables ; et vous voyez comment une transformation esthtique peut, dans
un
cas comm
celui-l, provoquer le scandale moral.
Le akofil
Voil ce que je voulais vous dire sur ce jeu de l clairage chez Manet, et maintenant, ce qu
je vous ai
dit
la fois sur l espace et sur l clairage, je voudrais le synthtiser brivement dans un
tableau qui sera l avant-dernier de ceux
dont
je parlerai, c est
Le
Balcon.
Voudriez-vous passer la toile suivante
?
Alors l, dans cette toile-l je crois que nous avons l
combinaison de
tout ce
que je vous ai
dit
jusqu prsent. Malheureusement, l encore, la repro
duction est fort mauvaise. Il faut que vous le supposiez, le tableau, un peu plus large ; le photo
graphe a d une faon vraiment stupide, coup le tableau.
L
vous avez des volets qui sont verts
d un vert beaucoup plus strident d ailleurs que vous ne le voyez ici, et des volets, des persienne
trs exactement, avec des lignes horizontales trs nombreuses qui viennent border le tableau
Vous avez donc, vous le voyez, un tableau qui est architectur trs manifestement, par des ligne
verticales et horizontales. La fentre elle-mme redouble trs exactement la toile et reprodui
ses
verticales et
ses
horizontales. Le balcon qui est devant la fentre, ou plutt la ferronnerie qu
est devant la fentre reproduit l encore les verticales et les horizontales, les diagonales n tan
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
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faites que pour leur servir d appui et mieux manifester ces grands axes Si vous ajoutez cela ce
persiennes que vous ne voyez pas, vous voyez que tout
le
tableau est encadr par
ces
verticales e
ces horizontales. Loin que Manet ait voulu faire oublier le rectangle sur lequel il peignait, il n
fait que de le reproduire, d insister sur lui, de le redoubler, de le multiplier l intrieur mme d
son tableau.
Bien plus, vous voyez que
tout
le tableau est en noir et blanc avec comme seule couleu
non
noire et blanche, comme couleur fondamentale,
le
vert. Or, c est une inversion mme de l
recette qui tait celle
du
Quattrocento
o
les grands lments architecturaux devaient tre plong
dans l ombre, reprsents simplement en sombre, avec des personnages qui eux, portaient des
couleurs,
ces
grandes robes bleues, rouges, vertes, etc., comme vous le voyez dans les personnage
des tableaux de cette poque l ; donc les lments architecturaux sont en clair et sombre, noi
et blanc, et
les
personnages sont traditionnellement colors. L, vous avez tout
le
contraire,
le
personnages sont en noir
et
blanc et
les
lments architecturaux,
au
lieu d tre noys dans l
pnombre, sont au contraire exalts et ressortis en quelque sorte par le vert criard de la toile
Voil pour le vertical et l horizontal.
En ce qui concerne la profondeur, l encore, le jeu de Manet est l particulirement vicieu
et mchant parce que le tableau ouvre bien, par une fentre, sur une profondeur ; mais vou
voyez que cette profondeur, elle est
tout
aussi esquive ici que tout l heure dans la Gare
ain
Lazare le paysage tait esquiv par la fume du train ; l vous avez une fentre qui s ouvre su
quelque chose qui est entirement obscur, entirement noir :
on
distingue, peine
un
trs vagu
reflet d objet mtallique, une sorte de thire qui est l avec
un
petit garon qui la porte, mai
c est peine visible. Et
tout
ce grand espace creux, ce grand espace vide qui normalement devrai
ouvrir sur une profondeur, nous est rendu absolument invisible et il nous est rendu invisible
pourquoi ?Eh bien tout simplement parce que toute la lumire est l extrieur du tableau.
Au lieu de pntrer dans le tableau, la lumire est dehors, et elle est dehors puisque, prcis
ment,
on
est sur
un
balcon ; il faut supposer le soleil de midi qui vient frapper le balcon de plein
fouet, frappe
les
personnages ici, au point de ronger
les
ombres et vous voyez ces grandes nappe
blanches des robes dans lesquelles ne se dessine absolument aucune ombre, peine simplemen
quelques reflets plus clatants ; aucune ombre par consquent, et puis toute l ombre est derrire
parce que, par l effet de contre-jour bien sr,
on
ne
peut
pas voir ce qu il y a dans la pice; et
au
lieu d avoir
un
tableau clair-obscur, au lieu d avoir
un
tableau
o
l ombre et la lumire se mlan
gent, vous avez
un
curieux tableau dans lequel toute la lumire est
d un
ct, toute l ombre d
l autre, toute la lumire est en
avanr
du
tableau, toute l ombre est de l autre ct
du
tableau
comme
si
la verticalit mme de la toile sparait
un
monde d ombre, derrire, et
un
monde d
lumire, devant.
A la limite de l ombre et la lumire il y a trois personnages qui sont en quelque sort
suspendus et ne reposent presque sur rien,
au
point que
le
petit pied de la sur de Berth
Morisot pend comme s il n avait rien sur lequel reposer, comme dans la Donation
du
manteau d
Giotto. Les personnages sont donc suspendus entre l obscurit et la lumire, entre l intrieur e
l extrieur, entre la pice et le plein jour. Ils sont l : deux blanches, une noire, comme trois note
de musique ; ils sortent de l ombre pour parvenir la lumire avec
un
ct
un
peu rsurrectio
de Lazare, la limite de la vie et de la mort. Magritte, peintre surraliste a fait une variation su
ce tableau
o
il a reprsent les mmes lments mais au lieu des trois personnages, il a reprsent
trois cercueilsll. C est bien cette limite de la vie et de la mort qui est manifeste par ces troi
personnages ; ces derniers regardent avec intensit vers quelque chose que nous ne voyons pas.
I.:invisibilit est comme signale par le fait que les trois personnages regardent dans troi
directions diffrentes, tous trois absorbs par
un
spectacle intense, l un devant la toile, l autre
droite de la toile, le troisime gauche de la toile. Nous, nous ne voyons rien. Nous ne voyon
que des regards ;
ces
lments divergents ne sont autre chose que l clatement de l invisibilit
elle-mme.
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L PLACE
DU
SPECTATEUR
n b r
u
Folies ergri
Il y a un personnage central dont on fait en quelque sorte le portrait pour lui tout seul e
puis derrire,
un
miroir nous renvoie son image (procd classique dans la peinture).
Cependant le tableau de Manet est diffrent: le miroir occupe pratiquement tout le fond
du
tableau. Le bord du miroir, c est la bande dore de sorte que Manet ferme l espace par une son
de surface plane comme par un mur. Manet a reprsent dans le miroir ce qu il y a devant la toil
de sone que c est une double ngation de la profondeur.
On
ne voit pas
ce
qu il y a derrire l
femme situe immdiatement devant
le
miroir, on ne voit derrire elle que ce qu il y a devant
I.:clairage est entirement frontal et vient frapper la femme de plein fouet. L encore, Mane
reprsente l clairage frontal l intrieur du tableau par la reproduction des lampadaires e
miroir. Donc,
les
sources lumineuses sont reprsentes dans le tableau bien qu elles ne viennen
rellement que du dehors du tableau, dans l espace de devant.
Beaucoup plus importante
est la
manire dont
les
personnages sont reprsents
dans le
miroir.
En
fit,
il y a distorsion entre ce qui
est
reprsent
dans
le miroir et ce qui devrait y tre
reflt.
La grand
distorsion est dans le reflet de la femme. Pour avoir le reflet de la femme td qil est reprsent dans l
miroir, il faudrait que
le
peintre et
le
spectateur qui lui font effectivement face, soient
placs latrale
ment cette femme,
dcals vers
la droite. Le peintre occupe donc successivement ou plutt simulta
nment deux places incompatibles ;
il
y a une solution qui pourrait permettre d arranger les choses ; u
cas est possible
o l on pourrait
se
trouver
face
face avec la femme et voir son reflet latralement :
faut que le miroir soit en oblique. Mais puisque le bord du miroir est bien parallle au bord du tableau
on ne peut admettre l hypothse d un miroir en diagonale. ny a donc deux
places
pour
le
peintre
ny a aussi le reflet d un personnage en tr in de parler la femme ; il faut donc supposer qudqu
dont le reflet est dans le miroir. Or s il tait aussi prs de la femme qill est dans le reflet, il y aura
ncessairement sur le visage de l
femme,
sur sa
gorge
blanche, quelque
chose
comme une ombre. Or
il
r y a rien ; l clairage vient de plein fouet, frappe sans obstacle tout le corps de la femme et le marbre
Donc pour qu il y ait reflet, il faut qu il y ait quelqu un et pour qu il y ait un clairag
comme celui-ci, il faut qu il n y ait personne. Cela pourrait tre le regard
du
peintre dont Mane
a signal la prsence dans
le
reflet et l absence dans l clairage : prsence et absence
du
peintre
Mais le visage reflt ne ressemble pas celui
du
peintre, et a une vue plongeante sur la servant
et sur le bar. Si donc, c tait le regard du peintre reflt dans le miroir, il faudrait, s il tait e
train de parler la femme, qu il la voie non pas comme nous la voyons, mme hauteur, mai
en vue plongeante et le bar serait vu
avec
une toute autre perspective.
En
ralit, le spectateur e
le peintre sont la mme hauteur que la servante, peut-tre mme un peu plus bas (d o la tr
petite distance qil y a entre le bord
du
marbre et le bord du miroir).
Il y a donc trois systmes d incompatibilit : 1. Le peintre doit tre ici et l ; 2. Il doit
avoir quelqu un et personne;
3.
ll y a un regard descendant et un regard ascendant. Cette tripl
impossibilit o nous sommes de savoir o il faut
se
placer pour voir
le
spectacle que nou
voyons est une des proprits fondamentales de ce tableau et explique l enchantement et l
malaise qon prouve le regarder.
Alors que toute la peinture classique, par son systme de lignes et de perspectives, assigne au
spectateur et au peintre un lieu prcis, fixe, inamovible d o
le
spectacle est vu, l au contraire
malgr l extrme proximit
du
personnage, bien qu on ait l impression qu on puisse en quelqu
sone le toucher, il n est pas possible de savoir o
se
trouvait plac le peintre pour peindre c
tableau comme il l a fait, et o nous devrions nous placer pour voir le spectacle.
Avec cette dernire technique, Manet a jou la proprit du tableau d tre non pas u
espace normatif dont la reprsentation
fixe
au spectateur un point unique d o regarder, mais u
espace par rapport auquel on peut se dplacer : le spectateur est mobile devant le tableau que l
7/21/2019 Le Noir et La Surface (Michel Foucault)
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lumire frappe de plein fouet; les venicales et les horizontales sont perptuellement redoubles
la profondeur est supprime; voil que la toile dans ce qu elle a de
fhysique
est en train d appa
ratre et de jouer avec toutes ses proprits, dans sa reprsentation
2
Manet n a certainement pas invent la peinture non reprsentative puisque tout chez lui, es
repr