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Le numérique favorise-t-il une bonne gouvernance ? 2018 Quatre pistes clés pour mieux gouverner à l’heure de la révolution digitale Think Tank #culture_numerique

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Le numérique favorise-t-il une bonne gouvernance ?

2018

Quatre pistes clés pour mieux gouverner à l’heure de la révolution digitale

Think Tank #culture_numerique

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#culture_numerique

Avant-propos

À quelles conditions le digital favorise-t-il une bonne gouvernance des entreprises et des institutions ? Tel est l’ambitieux sujet que le think tank #culture_numerique a choisi de traiter pour sa saison 4. Démocratie numérique, intelligence artificielle, leadership des dirigeants, gestion des temps : quatre pistes clés sont suggérées pour tenir la promesse d’un plus grand partage du pouvoir, pour gouverner plutôt que d’être gouverné par les algorithmes, pour assumer les nouvelles règles du jeu conversationnel sur les réseaux sociaux ou pour réconcilier les temps courts et longs des organisations.Émanation du groupe Dentsu Aegis Network, acteur majeur de la communication en France et dans le monde, le think tank #culture_numerique a pour ambition de contribuer à la réflexion sur les nouveaux usages digitaux et leurs conséquences sur les acteurs et leurs modèles économiques, sociaux ou politiques. La saison 1 a été consacrée à la démocratie citoyenne et consumériste, la saison 2 aux relations entre grands groupes et start-ups et la saison 3 au défi de l’intégration des Millennials dans les grandes organisations.J’espère que cette nouvelle livraison, fruit de plusieurs séances collectives de travail réunissant acteurs privés et publics, experts du numérique et chercheurs académiques, inspirera et guidera les responsables en charge de gouverner les entreprises et les institutions.Bonne lecture !

Thierry JadotPrésident de #culture_numerique

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#culture_numerique

Sommaire

Introduction 06

01 — Tenir les promesses de la démocratie numérique 10

02 — Gouverner les algorithmes pour éviter qu’ils nous gouvernent 13

03 — Assumer les nouvelles règles du jeu conversationnel 16

04 — Réconcilier le temps court et le temps long 19

Les contributeurs 26

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Mettre en œuvre, dans une organisation, un ensemble de dispositifs pour assurer la prise de décision la plus pertinente et la plus consensuelle possible : tel est

l’enjeu de ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance. Celle-ci mobilise à la fois le management, en tant que détenteur du pouvoir, mais aussi les parties prenantes, dont le rôle est essentiel. D’une bonne articulation entre les deux dépend une action efficace et concertée.

La gouvernance des entreprises ou des institutions publiques est aujourd’hui un sujet sensible. Les citoyens, en quête de transparence et de démocratie, demandent désormais des comptes à la fois aux dirigeants économiques et aux élus politiques. L’usage des outils digitaux aiguise la volonté de contrôle et accentue la pression pour un partage accru du pouvoir. Entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, le nouveau monde numérique rebat les cartes.

Mais gouverner n’est pas si simple. Car l’environnement des organisations, volatil, incertain et ambigu, rend le pilotage complexe et les décisions fragiles. Sommés par les parties prenantes d’être toujours plus rapides, plus efficaces et plus responsables, les dirigeants s’emploient désormais à chevaucher la révolution numérique qui bouscule le rapport au pouvoir et au temps. L’enjeu ? Mieux faire société ensemble, mieux construire l’avenir, dans la cité comme dans l’entreprise.

À ce titre, le monde digital n’est pas sans risques : insécurité des données, surpondération des minorités, détournement des attentions. Mais il offre quatre grandes opportunités.

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Comment ces opportunités peuvent-elles favoriser une bonne gouvernance ? Le think tank #culture_numerique a réuni experts et acteurs, du privé comme du public, pour en repérer les conditions. Il en résulte quelques recommandations et suggestions aux dirigeants.

Mais gouverner n’est pas si simple. Car l’environnement des organisations, volatil, incertain et ambigu, rend le pilotage complexe et les décisions fragiles

il permet des protocoles de concertation qui favorisentl’acceptabilité des choix.

il accroît la pertinence et la qualité de la réflexion grâceà la gestion des data et le recours à l’intelligence artificielle.

il instaure de nouvelles règles du jeu pour s’exprimeret dialoguer avec son environnement.

il force à réconcilier le temps court et le temps longd’une organisation.

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Tenir les promesses de la démocratie numérique

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Il est fréquent d’entendre qu’Internet donne du pouvoir à celles et ceux qui n’en ont pas ou peu. L’effet de synchro-nisation – tous ensemble, dans le même temps – anéantit

la dépendance à une information contrôlée et accélère la dis-solution des autorités traditionnelles. Le rapport des forces a tendance à s’inverser, la conversation numérique redistri-buant l’influence de la parole entre les institutions et les in-ternautes.

Cette révolution digitale, à l’origine limitée aux activistes dans la sphère publique, emporte désormais l’ensemble de la so-ciété, aussi bien en politique qu’en entreprise. Le droit à l’ex-pression immédiate, avec tous ses risques de dérives, et à la délibération démocratique, sous toutes ses formes, est une norme partagée. S’il reste contraint, en interne, par les règles propres aux organisations hiérarchiques, il n’en impacte pas moins, en externe, leur stratégie ou leur réputation.

La puissance du hashtag #balancetonporc a démontré que l’initiative du débat sur les violences faites aux femmes n’était plus le fait des gouvernants mais des victimes et de leur soutien. De la même façon le succès du site Glassdoor, qui propose, de manière anonyme, des commentaires, des évaluations et des informations pour aider les talents à choi-sir leurs employeurs, traduit le renversement de perspective dans le processus de recrutement. Plus généralement, les communautés de citoyens ou de consommateurs se forment pour tenter d’imposer leurs vues aux élus ou aux marques. Les traditionnels corps intermédiaires sont dynamités par Inter-net.

Cet effet de synchronisation est une chance plus qu’une me-nace. Il permet aux dirigeants, en effet, de se fixer un double objectif d’appropriation et de sécurisation dans l’exercice quotidien de la gouvernance. Prendre une décision n’a plus guère de sens, aujourd’hui, si le choix n’intègre pas en amont les conditions de son appropriation par les publics concer-nés et, par voie de conséquence, n’envisage pas en aval les moyens de sa bonne exécution.

Les exemples abondent dans les collectivités territoriales, dans les organisations professionnelles, dans les communau-tés académiques, dans les grandes ou les petites entreprises. Donner la parole aux membres d’une collectivité est un gage non seulement d’écoute singulière, mais surtout d’efficacité

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collective dans l’action. Certes, une grande majorité d’expres-sions spontanées reflètent désaccords ou frustrations mais l’apprentissage de la démocratie numérique est à ce prix. Et le procédé est apprécié par les Français dont la moitié déclare avoir déjà signé une pétition en ligne et 20 % environ avoir déjà participé à une consultation en ligne.1

Définir précisément les attendus du bottom-up

Restent à définir les contours et les limites de cet engagement à la participation numérique. Celle-ci est l’objet de fantasmes. Le premier d’entre eux est la croyance naïve en la propension naturelle du public à se prononcer « ici et maintenant » sur tous les sujets impactant la vie quotidienne, à la ville comme au bureau. Ce ne sont ni l’intérêt ni la capacité qui manquent. Mais l’implication des appelés à se prononcer sous forme d’avis ou de choix suppose un contrat clair avec l’institution qui les sollicite.

Les délibérations publiques numériques ont souvent été dé-cevantes en termes de nombre de participants et de qualité des contributions. La grande vague consultative formée il y a une dizaine d’années a reflué, laissant place au doute et au scepticisme. De la même façon, la multiplication des réseaux sociaux d’entreprise n’a pas toujours produit les résultats es-comptés, l’intensité des échanges et des collaborations au sein d’une même communauté de travail se révélant faible au fil du temps.

Les systèmes d’outils collaboratifs constituent avant tout des moyens d’information interactifs pour recueillir avis et sug-gestions. Leur limite est double. La richesse des contributions n’est pas toujours au rendez-vous. Les collaborateurs ne sont pas toujours à même de gérer la complexité des problèmes. Surtout, les propositions sont conditionnées par leur mise en œuvre et leur bonne exécution. Ce qui suppose une implica-tion managériale qui fait souvent défaut.

C’est que la démarche collaborative, permise par les outils numériques, requiert un apprentissage. L’important, en ef-fet, n’est pas de participer mais de bien comprendre et me-surer quels seront les effets de sa propre participation. En d’autres termes, ce n’est pas tant le moyen qui compte mais la fin. Le principal enjeu pour réenchanter la démocratie est de formuler une promesse et de s’y tenir. Quelles que soient

1 — L’engagem

ent à l’heure du numérique, sondage B

VA (décem

bre 2016).

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ses limites, le vieux processus électoral la tient. La nouvelle époque de co-construction des décisions doit faire de même pour obtenir un réel engagement des parties prenantes. En d’autres termes, il convient de préciser qui participe et dans quel but.

Partager les contributions et expliciter les livrables

À cet égard, la manière dont a été élaborée la loi pour une Ré-publique numérique, promulguée en 2016, peut servir de ré-férence. L’appel à participation a consisté d’abord à casser le mythe d’une ouverture généralisée aux contributions du grand public. Deux cibles seulement ont été sollicitées : des experts et des « positionnants », autrement dit des acteurs de la so-ciété civile portant un regard professionnel ou savant sur le digital. Ce biais délibéré visait à circonscrire la discussion sur un certain nombre de sujets-clés du projet, notamment ceux jugés prioritaires par les acteurs de l’écosystème.

Une fois arrêté le périmètre des intervenants sollicités, deux principes de travail ont été retenus. Le premier est la trans-parence et l’exhaustivité des contributions pour tous les participants de telle sorte à faire circuler et commenter les différentes prises de position, analyser l’historique et la fer-mentation des synthèses. Le deuxième est la volonté de trans-former les livrables en canevas d’articles du futur projet de loi, de manière à favoriser un engagement responsable pour la consultation. Laquelle a fini par produire un certain nombre d’idées retenues par le législateur et désormais inscrites dans le marbre juridique.

Cette expérience réussie laisse à penser que, si l’on souhaite la faire vivre, la démocratie numérique ne s’improvise pas. La cartographie des arguments est aussi importante que l’enjeu d’un vote. De même, la qualité des publics invités à se pronon-cer doit être précisément déterminée en même temps que les règles et les procédures de la consultation, son objet et son enjeu, doivent être ouvertement annoncés. Cette méthode est celle qui connaît un succès certain dans les protocoles de budgets participatifs au cours desquels les habitants sont in-vités à voter sur les projets d’équipements d’une ville.

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Dans l’entreprise, la loi travail devrait ouvrir des opportunités pour favoriser un dialogue social construit avec l’ensemble des salariés. Dans ce cas, il s’agit de privilégier des consul-tations dont la réponse est laissée ouverte, de jouer à plein les logiques de proximité de la discussion et de la décision et d’organiser la bonne interaction entre ce qui peut relever du numérique et ce qui doit rester ancré dans la relation hu-maine.

Qu’est-ce qu’une bonne plate-forme qui marche ? Pour bien fonctionner dans la cité ou l’entreprise, il convient d’accepter quelques règles de base de la consultation : utiliser un outil simple d’usage, inciter à la participation, définir les règles de contribution et, surtout, annoncer l’enjeu et les conséquences de la démarche collaborative. À ces conditions seulement, les élus ou les dirigeants peuvent tirer pleinement profit de l’effet de synchronisation d’Internet.

Les délibérations publiques numériques ont souvent été décevantes en termes de nombre de participants et de qualité des contributions.

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Gouverner les algorithmes pour éviter qu’ils nous gouvernent

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Si la bonne gouvernance peut se caractériser comme l’organisation d’un travail collaboratif, elle se définit d’abord comme la capacité à prendre de bonnes déci-

sions. Et la révolution digitale se présente comme un atout pour en garantir la pertinence. Le traitement des big data et le recours à l’intelligence artificielle constituent cependant un levier de performance qui n’est pas sans poser question. Désormais, gouverner est un exercice plus humble mais aussi plus risqué, parce que dépendant de machines aux ressources insoupçonnables.

L’intelligence artificielle est à la mode. Mais elle n’est pas nouvelle. L’apparition des premiers réseaux de neurones arti-ficiels remonte à plus d’un demi-siècle et la recherche appli-cative a même connu une bulle dans les années 1990. Depuis vingt ans, l’apprentissage expérimental des machines, à par-tir de données et de modèles fournis, a fait d’énormes pro-grès. Au point que l’homme peut être surpassé sur un certain nombre de tâches spécifiques comme, par exemple, l’image-rie médicale ou les véhicules autonomes.

L’usage généralisé des algorithmes génère parfois de l’an-goisse. Mais il faut savoir qu’aujourd’hui, 99 % des systèmes d’intelligence artificielle concernent des applications spécia-lisées. L’apprentissage des robots peut laisser croire soudain dérisoires la réflexion et l’intelligence humaine. Pour autant, la machine, pour rendre plus automatiques et aisées les fonc-tions de prédiction ou de personnalisation, n’en a pas encore remplacé l’homme.

S’assurer de la qualité des données

Le monde fabuleux des algorithmes n’est cependant pas si fantastique qu’il n’y paraît. D’abord, le « machine learning » à partir de données existantes ne s’avère pas toujours convain-cant. Si l’on fournit 10 000 curriculum vitae au robot en lui indi-quant lesquels ont permis à leur auteur d’obtenir un entretien d’embauche, leur analyse conduira tout droit à recommander les mêmes critères que ceux de l’être humain. Or, ces lots de données sont souvent biaisés. Résultat : une reproduction des préjugés racistes ou sexistes…

Plus ennuyeux encore : une bonne partie des décisions suggé-rées par ces programmes ne sont pas explicables parce qu’il s’avère impossible de tracer la multitude de calculs effec-

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tués pour parvenir à la conclusion. Le cas du système « Ad-mission Post-bac » (APB) - vivement contesté et désormais abandonné – en est l’illustration. L’affectation des étudiants était réalisée par un algorithme conçu par deux prestataires de services de l’Éducation nationale et visait à satisfaire au mieux les préférences des candidats tout en respectant les contraintes des formations et les règles de priorité.

La levée de boucliers et l’imbroglio politique qui en a suivi démontrent que la puissance de calcul d’un robot ne saurait faire consensus. Un constat gênant, qui explique notamment que les technologies ne sont généralement utilisées que pour suggérer des solutions, soumises à validation humaine. Pour les chercheurs spécialisés, c’est un enjeu essentiel car l’ex-plication d’une décision en détermine l’acceptabilité sociale.

Construire la complémentarité homme-machine

Mais le véritable pouvoir de l’intelligence artificielle est sans doute ailleurs. L’apprentissage de la machine, en effet, peut dorénavant reposer sur l’expérience plutôt que sur les data. Le programme AlphaGo de Google, initialement nourri d’un grand nombre de parties, est maintenant capable d’apprendre à partir des seules règles du jeu de go et d’une série de parties contre lui-même. Il obtient, en quelques jours seulement, de meilleurs résultats que son prédécesseur.

Autant dire que ces développements technologiques inter-rogent les dirigeants, élus ou chefs d’entreprise. Le change-ment de paradigme est forcément troublant : ce ne seront plus eux la source du savoir, patiemment construit au fil des études et de l’expérience. Comment pourront-ils se préparer, dans ces conditions, à des solutions qu’ils n’imaginent pas mais que la machine leur suggérera ? Comment accepteront-ils la dépendance aux data et à leur traitement ?

Les progrès spectaculaires du machine learning s’appuient sur l’accroissement des capacités de calcul, de stockage et de traitement des données, et font resurgir, avec une média-tisation aussi excessive qu’approximative, l’idée que le robot pourrait apprendre à s’affranchir de l’homme. Si cette ques-tion est hors du champ de la science actuelle, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion éthique doit éclairer le bon usage d’algorithmes d’apprentissage.

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Dès lors, la bonne gouvernance impose sans doute humilité, responsabilité et volonté face à ces nouvelles technologies de l’intelligence. L’humilité ? Le pilotage de la propreté dans une agglomération comme celui du mix marketing en entreprise, par exemple, devrait être considérablement aidé par les ma-chines apprenant d’elles-mêmes les comportements ration-nels – ou irrationnels – des citadins et des consommateurs. Les algorithmes, dans ce cas, sont une ressource précieuse que ne pourront jamais égaler les outils les plus sophistiqués d’études ou de veille.

Prôner l’accès libre et le contrôle indépendant des algo-rithmes

La responsabilité ? Si l’analyse automatique de données mé-dicales aboutit à ce que les maladies soient mieux dépistées et que les traitements coûtent moins chers, on peut évidem-ment parler de progrès. Mais si le traitement de data privées sur les réseaux sociaux conduit à ce que les compagnies d’as-surances proposent des tarifs différentiels, surgit alors la question de l’éthique dans le principe de mutualisation des risques.

La volonté ? Le développement du « machine learning » doit respecter quelques principes déjà avancés dans les ouvrages de science-fiction des années 1930. Au nombre desquels le fait qu’un robot ne peut porter atteinte à l’être humain et que le robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés. L’intégri-té des algorithmes dans l’usage de l’intelligence artificielle suppose de poser des garde-fous : des préconisations de bon usage, l’accès ouvert à leur formulation et des autorités in-dépendantes de contrôle. C’est à cette condition que le nu-mérique peut être considéré comme un remède plutôt qu’un poison.

Pour les décideurs publics comme pour les chefs d’entre-prise, la recherche de l’efficacité ne saurait se substituer à l’intelligence humaine d’un choix, reposant sur des visions subjectives et une éthique partagée. En 2015, dans une lettre ouverte2, Stephen Hawking, Elon Musk (patron de Tesla et de SpaceX), ainsi que des dizaines d’experts en intelligence arti-ficielle, résumaient les termes du dilemme : « Il faut bannir les armes autonomes, partager les richesses créées par l’intelli-gence artificielle, faire financer par les gouvernements la re-cherche dans la sécurité de ces technologies et enfin amener les machines à apprendre nos valeurs ».

2 — fr.w

ikipedia.org/wiki/Lettre_ouverte_sur_lintelligence_artifi

cielle.

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Aussi, deux principes, récemment réaffirmés par la Commis-sion nationale de l’informatique et des libertés 3, devraient guider la conduite des chercheurs et acteurs de l’intelligence artificielle.

Le premier est la loyauté qui consiste à poser une limite à la liberté d’établissement des critères d’un algorithme - pour ne pas reproduire quelque discrimination que ce soit – et à faire obligation d’une information publique sur le fonctionnement de la machine.

Le second est le principe de vigilance. Il répond au défi du ma-chine learning qui accroît l’imprévisibilité, le caractère évolu-tif et potentiellement surprenant des algorithmes et de leurs effets. Comment appréhender et encadrer un objet instable, susceptible de générer des effets nouveaux au fur et à mesure de son déploiement et de son apprentissage ? Le contrôle de la machine a une signification collective et mérite certainement d’impliquer les multiples acteurs des systèmes et chaînes algorithmiques, depuis le concepteur jusqu’à l’utilisateur en passant par la société ayant collecté les données utilisées pour l’apprentissage. Face au vide juridique, réglementer pré-sente toujours le risque de brider le développement mais, en l’occurrence, peut éventuellement offrir un gage de sécurité.

3 —

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Pour les décideurs publics comme pour les chefs d’entreprise, la recherche de l’efficacité ne saurait se substituer à l’intelligence humaine d’un choix, reposant sur des visions subjectives et une éthique partagée.

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Assumer les nouvelles règles du jeu conversationnel

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Gouverner, c’est savoir définir et gérer les règles du jeu. Dans les institutions comme dans les entreprises, l’ar-rivée des nouvelles générations qualifiées de Millen-

nials, nées avec la révolution numérique, bouleverse la donne. Les fonctions de contrôle et de maîtrise du dirigeant sont de plus en plus discutées. La décrédibilisation de la parole d’au-torité a pour corollaire une demande croissante d’un discours de mobilisation fondée sur le partage et la responsabilité.

Dans ces conditions, celui qui gouverne doit passer du sta-tut de chef à celui de leader. Son principal enjeu est d’enrôler les jeunes générations, de définir une stratégie d’engagement pour tous ses collaborateurs, d’assumer davantage de trans-parence dans les échanges, de favoriser la décentralisation de la décision et de gérer son image comme un actif immaté-riel. Ce n’est pas si simple car cela suppose de revoir le mode de gouvernance et d’accepter, notamment, une forme de lâ-cher-prise. Autrement dit, reconnaître ne pas avoir ni de ré-ponse à tout, ni d’a priori.

Comment définir cette nouvelle attitude à l’heure de la conver-sation numérique ? On pourrait la résumer en trois mots. Le premier est l’exemplarité. La défiance est un poison dont l’an-tidote consiste à dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit, en expliquant les succès et en reconnaissant les erreurs. Le deuxième terme est l’authenticité. Le lâcher-prise consiste alors à sortir de la posture pour accepter de s’exprimer sur le registre de la curiosité ou de l’émotion, comme tous ses fans ou ses followers. Troisième trait, enfin : la sincérité. En temps normal comme en période de crise, il est urgent de ne jamais fuir l’exigence de transparence.

Il n’y a d’ailleurs plus de secrets. Ou de moins en moins. Quand les dirigeants d’Air France commettent l’erreur d’ignorer les interpellations musclées de syndicalistes, au motif que l’af-faire restera contenue dans le cercle restreint des protago-nistes d’un comité d’entreprise, ils n’imaginent pas les consé-quences médiatiques de leur attitude : une vidéo de quelques secondes qui fait le tour du monde des réseaux sociaux et provoque la sidération de l’opinion vis-à-vis de la compagnie.L’effet de synchronisation est ici à son maximum. Les smart-phones éparpillent « façon puzzle » les règles de circulation de l’information dans l’ancien monde. D’une part, le contrôle des contenus n’est plus le domaine réservé des hiérarchies.

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Le règne de la transparence supplante celui de la confiden-tialité. D’autre part, l’immédiateté devient la règle de tem-poralité des échanges. La valeur du temps s’effondre tandis qu’émerge celle de l’espace-réseau.

Pour ne prendre qu’un seul exemple dans le domaine du web social, le réseau Twitter a changé la façon de communiquer. C’est aujourd’hui une plateforme particulièrement influente pour la diffusion et la distribution de contenus. Il suffit de suivre les tweets du Président des États-Unis pour constater que l’actualité diplomatique est aujourd’hui fortement impac-tée par ces nouveaux usages. Lesquels intègrent désormais, de manière systématique, la vidéo live comme témoin des fra-cas du monde.

Pourtant, les chefs d’entreprise, en France, n’ont pas vraiment la culture du personal branding. Ils viennent peu à peu sur les réseaux sociaux, dispensant encore beaucoup la langue de bois qu’ils utilisent dans leurs messages corporate. Mais, à l’instar des politiques ou des vedettes du show-biz, ils com-mencent à comprendre qu’un tweet qu’ils rédigent librement, avec leur propre grammaire, a toujours plus d’impact auprès des abonnés que celui du compte officiel de leur entreprise.La démarche est prudente parce que le questionnement est permanent. Un dirigeant doit-il s’exprimer dans ce brouhaha conversationnel ou rester concentré sur l’essentiel de sa tâche, discrète par nécessité ? Doit-il accepter une forme de dialogue avec des interlocuteurs qui, sur Tweeter notamment, sont les parties prenantes qui environnent son business quo-tidien ? Doit-il distinguer systématiquement son propos de chef d’entreprise et son avis de simple internaute ? Doit-il se répartir la tâche – et comment ? - avec ses collègues du co-mex ?

Construire un leadership de contenus

En réalité, trois bonnes raisons doivent le guider pour ap-privoiser les nouvelles règles du jeu conversationnel sur les réseaux sociaux. La première est celle de la proximité avec les communautés qui l’entourent et ses collaborateurs qui l’observent. À l’heure de la vitesse et de la complexité dans la circulation des informations, la prise de parole immédiate et réactive manifeste une attention à ce qui se dit autour de lui. C’est le signe d’un intérêt au dialogue.

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Cette descente du piédestal implique de lâcher prise dans le rythme, le choix ou le ton de ses interventions. L’impact sera d’autant plus grand que le dirigeant donnera le sentiment de se mettre au même rang que les autres. Mieux vaut cepen-dant éviter l’expression de choix personnels qui peuvent cho-quer. Quand la patronne d’un grand groupe tweete « Je voterai Macron », elle n’engage qu’elle-même mais son statut donne un éclairage particulier à son propos.

Deuxième raison qui justifie une présence sur le web social : le leadership. Les entreprises sont aujourd’hui le théâtre d’un choc culturel entre générations, dont l’épicentre est l’usage des outils numériques. L’un des principaux enjeux du mana-gement, à cet égard, est d’assurer le maximum de fluidité et de diffusion des savoir-faire digitaux. Et s’il n’est pas question de singer les « geeks », l’exemplarité dans la capacité à s’ap-proprier les codes des Millennials est une manifestation de charisme. Les registres de l’émotion ou de l’humour ne sont pas signe de faiblesse ou d’indécision. Au contraire.

Enfin, troisième raison essentielle, la construction d’une réputation auprès des leaders d’opinion, voire du grand pu-blic, passe par une stratégie de contenus inspirante sur les différents réseaux sociaux. La réactivité de court terme peut se conjuguer avec l’analyse de long terme. Le vrai sujet est la bonne distribution des bons messages sur les bons canaux : très orientés business sur LinkedIn, axés actualité sur Twitter, plus personnels sur Facebook.

Opposer la crédibilité aux « fake news »

La meilleure manière de renouer la confiance, particulière-ment dégradée en France, entre le public et les dirigeants n’est certainement pas de camper au sommet de la falaise. Elle est plutôt de donner du sens au métier de dirigeant, en produisant à la fois des idées et des sentiments partageables par tous. Partager l’actualité de son entreprise ou prendre position sur des sujets de société contribuent à dessiner une personnalité, et donc à incarner une fonction, loin des stéréo-types de défiance que sont l’incompétence ou la corruption. La réputation est aussi une arme de dissuasion face à de po-tentielles crises.

La contrepartie à l’investissement des dirigeants dans la conversation numérique est la reconnaissance – et la codifi-

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cation - de celle des salariés. Les collaborateurs sont d’ail-leurs souvent les plus efficaces quand il s’agit de riposter à des interrogations ou des apostrophes concernant leur en-treprise. Mais leur engagement peut parfois, fortuitement ou délibérément, dépasser leur devoir de réserve. Les règles sont hétérogènes et, s’agissant d’éventuelle sanction à la liberté d’expression, c’est la tradition anglo-saxonne du cas par cas qui domine.

Le nouveau monde digital est aussi le terrain privilégié d’ex-pression des « fake news ». Leur influence supposée dans l’arène électorale des grands pays démocratiques conduit les élus et décideurs politiques à prendre le taureau par les cornes et à vouloir en tarir la source. Ce faisant, ils rament à contre-courant de l’esprit originel de la Toile. Comme le constate, avec dépit, le penseur d’Internet Lawrence Lessig : « En supprimant, avec le Web participatif, la notion d’éditeur de contenus, faisant de fait disparaître la notion de responsa-bilité, nous avons rendu notre culture politique vulnérable aux extrêmes et à la haine ».4

De fait, les dirigeants d’entreprise sont également concernés par ce qui peut apparaître comme des tentatives de manipu-lation ou de déstabilisation. Internet, par son instantanéité temporelle et spatiale, est un canal d’information particu-lièrement sensible. Une grande société française du CAC 40 a failli en faire les frais, il y a quelque temps, à la suite d’un faux communiqué de presse faisant plonger temporairement de 20 % son cours de Bourse.

Au-delà de l’éventuelle législation qui serait mise en place contre les fausses nouvelles, les décideurs économiques se doivent d’être vigilants. La mise en place d’instruments de veille et de réaction immédiate à d’éventuelles attaques por-tant sur leur réputation comme celle de leur entreprise est un prérequis. Mais l’autorité et la crédibilité qu’ils acquièrent en acceptant les nouvelles règles du jeu conversationnel numé-rique sont aussi un antidote puissant à ce risque récurrent.

4 — Le M

onde, 21 septembre 2017.

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Réconcilier le temps court et le temps long

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La révolution digitale dans les grandes organisations est une affaire collective. Souvent impulsée en dérivation de la structure, à travers une filiale ou un lab, elle trouve

sa limite dans le risque de confinement du pure player à une activité expérimentale ou marginale. Dans les institutions pu-bliques comme dans les entreprises, la prise de conscience de l’indispensable évangélisation se traduit par des plans de transformation mettant en mouvement l’ensemble du mana-gement. Les résistances sont solides mais la culture numé-rique infuse.

Côté public, la bonne gouvernance sous perfusion digitale conduit à affronter des systèmes hiérarchiques autrement plus coriaces que dans les entreprises. Mais côté privé aussi, elle est l’occasion de déconstruire des logiques de décision obsolètes et de se servir des outils numériques comme d’un accélérateur d’écoute et de formation au service des usagers et des clients. Car l’enjeu est bien de profiter pleinement des potentialités du numérique en termes de rapidité et d’agilité.

De ce point de vue, le rapport au temps est essentiel. Le cycle court devient la règle pour délivrer innovations et solutions. Et il n’est pas qu’une histoire de « proof of concept » mais de démonstration à créer de la valeur. L’alliance avec des partenaires extérieurs n’est plus taboue et l’approche par prototypage est dorénavant la règle. Dans un monde de plus en plus imprévisible, l’essai généralisé permet de raccourcir le temps consacré à la conception.

L’intrapreneuriat apparaît comme un moyen particulièrement efficace pour bousculer les routines et permettre que la révolution digitale débouche sur un changement pérenne des comportements. Catalyseur de cette mutation, les programmes agiles peuvent d’autant mieux s’attaquer à l’inertie « innovationnelle » qu’ils embarquent et fédèrent en interne une communauté d’ambassadeurs. Ils consistent alors à favoriser l’éclosion et l’accompagnement de nouveaux projets en levant les freins managériaux ou budgétaires. Et dans ce cadre, la génération des Millennials est souvent exemplaire, par sa capacité à être « force de proposition » pour les dirigeants.

Reconnaître l’échec acceptable

Dans la course à l’innovation, l’esprit start-up est essentiel. 70 % d’entre elles échouent. Et la plupart changent d’orientation et de modèle en l’espace de quelques mois.

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Autant dire que la révolution numérique présuppose un droit à l’erreur. Une multinationale américaine a ainsi confié un budget conséquent à ses 100 principaux managers pour imaginer de nouveaux produits et services. Le taux d’échec a été de 90 % mais les 10 % de réussite ont largement suffi à rendre le programme globalement performant.

Comment gérer l’aversion à l’échec ? Telle est sans doute l’une des questions principales que doivent se poser les dirigeants. L’erreur impardonnable est celle qui consiste à mal exécuter une idée qui peut trouver son marché. Mais l’erreur acceptable est celle qui relève de la bonne exécution d’une idée qui ne trouve finalement pas son débouché. La bonne gouvernance est sans doute de reconnaître plus positive la seconde que la première.

Or, les procédures managériales, davantage corsetées par les processus de compliance, encouragent plutôt l’aversion au risque. Le plus souvent, face à la nécessaire émergence d’innovation de rupture, sont opposés business plan et prévisions triennales à la virgule près. Autrement dit, le paradoxe est le suivant : ce sont les outils de gestion d’activités prévisibles qui sont utilisés pour apprécier d’éventuelles nouvelles activités à forte incertitude !

Pour arriver à concilier risque et opportunité, le concept de « perte raisonnable » reste la clé. Utilisé dans les fonds d’investissement face à l’incertitude d’un projet au démarrage, il protège contre l’effet d’entraînement sur une trajectoire qui n’est pas la bonne. Pivoter ou arrêter est parfois la clé de réussite d’une innovation de rupture. La décision est rendue d’autant plus facile qu’une borne de financement maximal a été fixée, sans possibilité de dépassement.

La dictature du temps court qu’impose le nouveau paradigme digital ne saurait être le nouvel horizon des dirigeants. Gouverner, c’est avant tout savoir faire coexister les deux univers d’organisations challengées par le numérique. Celui du vieux monde est appelé à se transformer dans le respect de son histoire et de ses valeurs qu’il serait certainement contre-productif de dénigrer. Celui du nouveau monde constitue une avant-garde éclairée qu’il serait probablement vain de porter au pinacle.

En vérité, seule une stratégie de long terme est à même

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d’organiser une coexistence non seulement pacifique mais surtout performante entre les deux mondes. Car la transformation numérique n’échappe pas à deux règles de vie d’une organisation. La première est la destruction créatrice de l’innovation qui agit, selon Joseph Schumpeter, comme un « ouragan perpétuel ». La seconde est le décalage temporel observé entre les potentiels de productivité et la manifestation de leurs effets, paradoxe notamment souligné par Robert Solow.

Cette idée de délai a notamment été démontrée par Paul David5 dans les années 1990. Toute révolution technologique demande du temps pour produire ses effets, en raison des résistances au changement dans les organisations. En l’occurrence, le numérique n’est pas seulement une nouvelle rupture. Il transforme les conditions mêmes de la gouvernance des institutions et des entreprises et, par conséquent, peut faciliter la mise à plat des enjeux et des solutions de reconfiguration. Le temps long recolle au temps court.

L’exemple de Netflix est éclairant. Après avoir imposé le modèle à succès de la SVOD et engagé son pureplayer dans la production originale de contenus, Reed Hastings sacrifie, en 2011, son activité historique de location de DVD. C’est une erreur de timing qui provoque le dépôt de milliers de plaintes, la fuite d’une partie de la clientèle et, finalement, une machine arrière. La mauvaise décision est celle qui ne respecte pas la conjugaison des temps.

La solution est dans la recherche de transformation et d’émancipation des horizons de court et de long terme dans un objectif final de recollement. Institutions et entreprises tâtonnent sur ce chemin escarpé. Et comprennent que les conditions de travail et de management sont un élément clé pour ne pas trébucher. La multiplication des labs et des incubateurs destinés à protéger la mise au point de nouveaux projets témoigne que la transformation numérique ne favorise une bonne gouvernance que si la question même de l’organisation est posée.Entre le vieux monde de la délégation et de la hiérarchie et le

5 — The D

ynamo and the C

omputer (1990).

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nouveau monde de la participation et de l’agilité, la tension est forte entre les attentes des uns et la responsabilité des autres. La société civile revendique une gouvernance mieux acceptée tandis que les dirigeants organisent une gouvernance plus performante. La bonne combinaison de ces deux forces en mouvement engage une nouvelle manière de piloter les organisations dont dépend, en grande partie, le renouveau d’une confiance partagée.

La solution est dans la recherche de transformation et d’émancipation des horizons de court et de long terme dans un objectif final de recollement.

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Les contributeurs

Les participants suivants ont contribué à l’élaboration du présent rapport. Leur propos s’inscrit comme un avis personnel, qui n’engage pas l’entreprise ou l’institution à laquelle ils appartiennent.

RapporteurDenis PINGAUD Président de Balises

Administrateur Benjamin GRANGE Directeur Général Délégué Dentsu Aegis Network

Contact Sylvain MOULENE Directeur des Affaires Publiques Dentsu Aegis Network

Yann BONNET Secrétaire Général du Conseil National du Numérique (CNNUM)

Sylvain BUREL Directeur Communication du Groupe Groupama

Nicolas CHARBONNEAU Directeur des Rédactions du Parisien

Pierre CHARLEMAGNE Directeur Général d’EcoDDS

Amaury DE ROCHEGONDE Rédacteur en chef adjoint à Stratégies Valérie DE SENNEVILLE Grand Reporter Les Echos Emmanuel DURAND Président-Directeur Général de Snap Group France

Nicole GUEDJ Ancien Ministre et Conseiller d’Etat - Avocat à la Cour

Thierry JADOT CEO Dentsu Aegis Network France, Belgique, MENA et Turquie

Matthieu LERONDEAU Directeur associé et cofondateur de Lanetscouade

Alexandre MALAFAYE Ecrivain, Président fondateur de Synopia

Carole OZENNE Directrice Générale Déléguée du MEDEF

Jean-François PASCAL Directeur Général de Beiersdorf France

Véronique REILLE-SOULT Directrice Générale de Dentsu Consulting France

Gaël SLIMAN Président d’ODOXA

Benoit THIEULIN Co-doyen de l’Ecole de management et de l’innovation

Cécile WENDLING Directrice de la prospective Groupe AXA

Christophe AGUITTON Professeur associé de l’Université de Marne La Vallée

Jérôme BARTHELEMY Professeur de stratégie et de management à l’ESSEC Business School

Romain LAVAULT General Partner chez Partech Ventures Fabrice LORVO Avocat, auteur et administrateur de Synopia

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