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Actes LE PIÉTON : NOUVELLES CONNAISSANCES, NOUVELLES PRATIQUES ET BESOINS DE RECHERCHE Marie-Axelle Granié Jean-Michel Auberlet Coordinateurs Septembre 2010 85 LE PIÉTON : NOUVELLES CONNAISSANCES, NOUVELLES PRATIQUES ET BESOINS DE RECHERCHE A127 Actes 2 e colloque francophone de la plate-forme intégratrice COPIE novembre 2009, Lyon ISSN 0769-0266 ISBN 978-2-85782-686-6 © Les collections de l’INRETS L es nouveaux enjeux relatifs à la marche impliquent une approche plus compréhen- sive de l’activité elle-même, de son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement urbain des déplacements. Les chapitres de cet ouvrage examinent les comportements des piétons, les facteurs contraignant la marche et les éléments de vul- nérabilité. Ils mettent en lumière les aménage- ments urbains qui permettraient d’améliorer l’accessibilité des destinations et de rendre à l’espace public les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la cohabitation des différents modes de déplacement. Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs infrastructures, les urbanistes, les personnes œuvrant dans le secteur de la sécurité routière et celles concer- nés par la mobilité des usagers plus vulnéra- bles comme les enfants ou les non-voyants. Marie-Axelle Granié est chargée de recherche au Département mécanismes d’accidents (INRETS-MA). Jean-Michel Auberlet est chargé de recherche au Laboratoire exploitation, perception, simulateurs et simulations (INRETS-LCPC-LEPSIS). Couverture : Jean-Michel Auberlet, Marie-Axelle Granié, Jacky Robouant.

LE PIÉTON : NOUVELLES CONNAISSANCES, NOUVELLES … · comportements piétonniers, des facteurs contraignant la marche et des zones de vulnérabilité, cette synthèse de recherches

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A c t e s

LE PIÉTON : NOUVELLES CONNAISSANCES, NOUVELLES PRATIQUES ET BESOINS DE RECHERCHE

Marie-Axelle GraniéJean-Michel AuberletCoordinateurs

Septembre 2010

85 €

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127

Act

es2e colloque francophone de la plate-forme intégratrice COPIE novembre 2009, Lyon

ISSN 0769-0266ISBN 978-2-85782-686-6

© Les collections de l’INRETS

Les nouveaux enjeux relatifs à la marche impliquent une approche plus compréhen-

sive de l’activité elle-même, de son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement urbain des déplacements. Les chapitres de cet ouvrage examinent les comportements des piétons, les facteurs contraignant la marche et les éléments de vul-nérabilité. Ils mettent en lumière les aménage-ments urbains qui permettraient d’améliorer l’accessibilité des destinations et de rendre à l’espace public les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la cohabitation des différents modes de déplacement. Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs infrastructures, les urbanistes, les personnes œuvrant dans le secteur de la sécurité routière et celles concer-nés par la mobilité des usagers plus vulnéra-bles comme les enfants ou les non-voyants.

Marie-Axelle Granié est chargée de recherche au Département mécanismes d’accidents (INRETS-MA).Jean-Michel Auberlet est chargé de recherche au Laboratoire exploitation, perception, simulateurs et simulations (INRETS-LCPC-LEPSIS).

Couverture : Jean-Michel Auberlet, Marie-Axelle Granié, Jacky Robouant.

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Conformément à la note du 04/07/2014 de la direction générale de l'Ifsttar précisant la politique dediffusion des ouvrages parus dans les collections éditées par l'Institut, la reproduction de cet ouvrage estautorisée selon les termes de la licence CC BY-NC-ND. Cette licence autorise la redistribution noncommerciale de copies identiques à l’original. Dans ce cadre, cet ouvrage peut être copié, distribué etcommuniqué par tous moyens et sous tous formats.

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Marie-Axelle Granié Jean-Michel Auberlet Coordinateurs

Le piéton : nouvelles connaissances,

nouvelles pratiques et besoins de recherche

2e colloque francophone de la plate-forme intégratrice COPIE

novembre 2009, Lyon

ACTES © Les collections de l’INRETS

Septembre 2010

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2 © Les collections de l’INRETS

Coordination scientifique Marie-Axelle Granié INRETS-MA [email protected]

Jean-Michel Auberlet INRETS-LEPSIS [email protected]

Unités de recherche MA, Département mécanismes d’accidents Chemin Croix Blanche, 13300 Salon-de-Provence, France

LEPSIS, Laboratoire exploitation, perception, simulateurs et simulations 58 boulevard Lefebvre, 75732 Paris cedex 15, France

Auteurs des communications T. Agbotsoka, P. Argoul, N. Bachiri, N. Baltenneck, C. Berthelon, N. Bonnardel, V. Boucher, C. Charron, B. Chaudet, S. Dal Pont, R. de Solere, C. Després, R. Dik, S. Erlicher, J. Estevadeordal, A-S Evrard, F. Fournela, S. Gaymard, C. Ghorra-Gobin, M-A Granié, F. Greffier, F. Héran, F. Huguenin-Richard, E. Jouanne, B. Laumon, L. Le Bigot, A. Levitte, M. Maestracci, S. Manhes, S. Martin, J-L Martin, M. Meskali, V. Michaud, F. Murard, C. Nachtergaële, A. NDiaye, V. Nzobounsana, C. Olivéro, F. Papon, P. Pecol, S. Portalier, L. Pouillaude, J. Robin, M. Roger, P. Sajous, T. Serre, J. Thomsen, O. Thorson, J. Torres.

Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité – INRETS Direction scientifique / politique éditoriale – Aude Lauby

25 avenue François Mitterrand Case 24, 69675 Bron Cedex, France Tél. : +33 (0)4 72 14 23 20 – Fax : +33 (0)4 72 37 68 37 – www.inrets.fr

© Les collections de l’INRETS – Réf. A127

ISBN 978-2-85782-686-6 ISSN 0769-0266

En application du code de la propriété intellectuelle, l’INRETS interdit toute reproduction intégrale ou partielle du présent ouvrage par quelque procédé que ce soit, sous réserve des exceptions légale

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Table des matières

Préface : le piéton, une espèce menacée (Marie Demers) ........................ 7

Introduction (Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet) .......................... 9

Partie 1. Marche et mobilité

La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ? (Régis de Solere, Francis Papon) .............................................................. 15

Milieu bâti et transport actif chez les adolescents: état de la question (Nabila Bachiri, Carole Després) ................................................................ 25

La mobilité quotidienne des piétons âgés autour de leur domicile est-elle révélatrice d’espaces de qualité et de bien-être ? (Béatrice Chaudet) ...... 43

Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain (Frédéric Héran, Laurence Pouillaude) ...................................................... 47

La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante (Véronique Michaud) .................................................................................. 65

L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage vocal (Morgane Roger, Nathalie Bonnardel, Ludovic Le Bigot) ................. 75

Partie 2. Piéton et aménagement

Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces publics (Cynthia Ghorra-Gobin) .................................................................. 83

Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons en situation de traversée complexe. Le cas lors du franchissement de voies en site propre dans Paris (Florence Huguenin-Richard) ........................................ 91

La démarche « code de la rue » : des travaux pour redonner de la placeau piéton et assurer sa sécurité en ville (Frédéric Murard, Samuel Martin) .... 109

Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques (Ole Thorson, Jytte Thomsen, Joan Estevadeordal) ......................................................... 121

Interaction foule-structure (Philippe Pecol, Stefano Dal Pont, Silvano Erlicher, Pierre Argoul) .................................................................. 133

Analyse des franchissements de feux rouges pour améliorer la sécurité de tous (AFFRAST) (Radoine Dik) ............................................................. 145

Exemples mondiaux et avantages sécuritaire d’une ligne d’arrêt transversale avant les passages piétons (Jacques Robin) ........................ 159

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4 © Les collections de l’INRETS

Partie 3. Accidentologie du piéton

L’accident de piéton et la victime « piéton » (Anne-Sophie Evrard, Jean-Louis Martin, Amina NDiaye, Bernard Laumon) ................................ 167

Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ? (Thierry Serre) ............................................................................................. 171

Analyser les comportements pour lutter contre l’insécurité des déplacements piétons (Marion Maestracci) ....................................................................... 189

Partie 4. Enfant piéton, développement et éducation

Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier (Juan Torres) .............. 203

Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons de 9-10 ans au fil d'une pratique sur simulateur (Camilo Charron, Élise Jouanne) ............................................................................................ 217

Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation sur la prise de risque des adolescents piétons (Marie-Axelle Granié) ....... 233

L'enfant et la Rue (Sylvain Manhes, Colette Olivéro) ................................. 245

Les enfants enseignent la sécurité routière aux enfants par le théâtre (Jacques Robin) .......................................................................................... 247

Partie 5. Piéton, voir et être vu

A pied, de nuit : les conditions de déplacements (Patricia Sajous) ............ 251

Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton (Agnès Levitte) ............................................................................................ 265

Percevoir la ville sans voir (Nicolas Baltenneck, Serge Portalier) .............. 281

Aménagements, vulnérabilité et représentations : code de la rue et déplacements urbains des aveugles (Gérard Uzan, M’ballo Seck, Maryvonne Dejeammes, Catia Rennesson) ............................................... 295

Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier (Vincent Boucher, Fabrice Fournela, Florian Greffier, Sandrine Gaymard, Victor Nzobounsana, Thibaud Agbotsoka) ................................................. 307

Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton (Mohamed Meskali, Claudine Nachtergaële, Catherine Berthelon) ........... 317

Quelles recherches dans la PFI COPIE ? ................................................. 325

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Remerciements

Le comité d’organisation du colloque tient tout particulièrement à remercier :

− le personnel de l’INRETS : Stéphane Aillerie, Christine Gauci, Anne-Laure Paglia, Ariane Tom, pour leur aide et leur soutien ;

− le comité scientifique du colloque : F. Bodin (Université de Lille I), F. Boillot (INRETS-GRETIA), R. Brémond (LCPC-LEPSIS), C. Charron (Université de Rennes II), S. Depeau (Université de Rennes II), E. Grislin-Lestrugeon (Université de Valenciennes), F. Huguenin-Richard (Université de Paris IV), R. Lobjois (INRETS-LEPSIS), C. Marin-Lamellet (INRETS-LESCOT), Y. Page (Renault, Fondation sécurité routière), T. Serre (INRETS-LBA) ;

− la Direction scientifique de l’INRETS, la Fondation sécurité routière, le Commissariat général au développement durable et la Direction de la sécurité et de la circulation routières (DSCR) du MEEDDEM pour leur soutien financier.

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Préface

Le piéton, une espèce menacée Curieuse époque que celle-ci, où la mobilité a atteint un paroxysme et où

l’être humain bouge de moins en moins ! Alors que les déplacements sont de plus en plus rapides et les destinations en nombre quasi-infini, l’individu a peine à se mouvoir par lui-même dans l’univers urbain qu’il a sciemment créé. Univers qui le rend vulnérable lorsqu’il tente de marcher pour aller d’un endroit à un autre comme le firent ses ancêtres pendant des millénaires. Un acte aussi simple que marcher est devenu une affaire risquée, voire un exploit, même pour traverser la rue. Autrefois havre sécuritaire propice à la convivialité, la ville de l’ère de l’automobile est devenue une jungle où le piéton qui s’y aventure, le fait parfois au péril de sa vie. L’espace public – habitat du piéton – a rétréci, pour faire plus de place à un prédateur métallique qui définit désormais les règles du jeu à son avantage. Vulnérable dans ses déplacements, vulnérable aussi lorsqu’il ne bouge pas assez et que l’embonpoint le guette, le piéton semble perdant quoiqu’il fasse.

Heureusement, des initiatives comme ce colloque de recherche et les actes qui en découlent ouvrent la voie à une meilleure compréhension des problèmes de mobilité et de sécurité des piétons dans un espace urbain dessiné prioritairement pour le transport motorisé, que ce soit en France, en Catalogne, au Québec ou encore au Mexique. Par un examen minutieux des comportements piétonniers, des facteurs contraignant la marche et des zones de vulnérabilité, cette synthèse de recherches met en lumière les éléments d’aménagement urbain qui permettraient d’améliorer l’accessibilité des destinations et de rendre à l’espace public les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la cohabitation harmonieuse des différents modes de déplacement. Il s’agit d’un pas en avant pour réhabiliter la marche à pied comme moyen de transport et par la même occasion, l’espace public comme lieu où se développe le sens de la communauté et où s’exerce la vie civique. Comme je le mentionnais dans un essai intitulé Pour une ville qui marche , les millions de trajets quotidiens effectués à pied dans une ville constituent les fils invisibles qui sous-tendent la vie civique et à partir desquels les piétons tissent la toile de la communauté.

En plus d’intéresser l’ensemble des personnes préoccupées par le déclin de la marche, la dégradation du tissu urbain et les pressions environnementales associées au transport motorisé, les actes de ce colloque s’avèrent une lecture essentielle pour tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs infrastructures, pour les urbanistes, les gens oeuvrant dans le secteur de la sécurité routière et de la prévention des accidents et ceux concernés par la mobilité des clientèles plus vulnérables comme les enfants ou les non voyants. Le transport actif, lorsqu’il s’exerce dans des conditions optimales, procure tant

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Préface

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de bienfaits, aussi bien à l’individu qu’à la collectivité, qu’il apparaît maintenant insensé de ne pas chercher à le faciliter : un milieu plus sécuritaire, un environnement plus sain, une plus grande autonomie, une meilleure santé et tout ça, à faible coût !

Marie Demers Chercheure associée à l'Université de Sherbrooke

Groupe de recherche PRIMUS en géomatique de la santé Auteur de « Pour une ville qui marche. Aménagement urbain et santé »,

Montréal, Editions Écosociété, 2008.

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Introduction

Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet Co-organisateurs du colloque, co-responsables de la plate-forme intégratrice COPIE [email protected] [email protected]

Nos représentations et les solutions actuelles en termes de mobilité sont un héritage des deux siècles passés et largement contraintes par les seuls modes devenus habituels que sont maintenant les deux-roues motorisés et la voiture individuelle. La nécessité de réduire l’impact négatif de la circulation motorisée sur la vie des citadins s’impose de plus en plus fortement aux villes et ces modes de transports ne sont pas suffisants pour faire face aux nouveaux défis de la mobilité. Dans ce contexte, les actions de relance des modes de déplacement de proximité se développent, en particulier celles qui visent à soutenir un mode de déplacement encore plus ancien, la marche à pied, en tant que telle ou associée au transport collectif sous l'étiquette d'interstice modal.

Les nouveaux enjeux relatifs à la marche impliquent un renouvellement de l’approche des problèmes de mobilité et de sécurité des piétons. Le piéton ne peut plus être considéré comme l’élément flexible du système, capable de s’adapter à la planification des transports, sans prise en compte de ses limites physiques et psychologiques. La nouvelle problématique de mobilité des piétons nécessite une approche plus compréhensive de l’activité elle-même, de son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement urbain des déplacements, autant de thèmes que ce colloque se propose d’aborder.

Thématiques de l’appel à communication Ce deuxième colloque francophone de COPIE (http://pfi-copie.inrets.fr/) sur

« Le piéton : nouvelles connaissances, nouvelles pratiques et besoins de recherche » a souhaité coupler les demandes sociétales et les offres de recherche. Il avait pour objectif de rassembler une large communauté scientifique pluridisciplinaire menant des recherches impliquant la problématique du piéton. Il avait également pour but d’être une vitrine pour l’ensemble des acteurs de terrain permettant, par l’exemple de leurs pratiques en faveur du piéton, de mieux connaître les demandes actuelles et potentielles afin de faciliter la réactivité de l'offre de recherche et l’adapter au mieux aux besoins sociaux et institutionnels.

Ainsi, chercheurs, praticiens et institutionnels ont pu proposer une communication orale, une communication affichée ou une tribune libre sur une recherche ou une action portant sur une des thématiques suivantes :

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Introduction

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− Mobilité et analyse des déplacements à pied : quels constats ? quelles améliorations possibles ?

− Sécurité et sentiment de sécurité des piétons : quels facteurs, quelles spécificités, quels effets sur la mobilité ? quelles pistes d’action ?

− Vers une ville plus orientée piéton : quels aménagements ? quel urbanisme ?

− Politiques publiques : quelle place du piéton dans les choix politiques ? quels changements historiques ?

− L’éducation, la prévention, la formation : quels outils, quelles évaluations, quels besoins ?

− La santé : quelles interactions entre le déplacement piéton et la santé, le bien-être ? comment agir ?

Les disciplines scientifiques suivantes ont pu être mobilisées dans les communications proposées : accidentologie, aménagement, architecture, biomécanique, design, droit, économie, géographie, épidémiologie, histoire, psychologie, sciences politiques, sociologie, urbanisme, modélisation et simulation, réalité virtuelle…

Procédure de sélection des communications La première étape consistait, pour les auteurs, à envoyer au comité

d’organisation un résumé long de la proposition de communication (entre 2 pages minimum et 4 pages maximum). Ces résumés longs ont été examinés par le comité d’organisation quant à l’adéquation de la proposition avec les thématiques identifiées dans l’appel à communication.

Les communications (en français) sélectionnées ont ensuite été envoyées dans leur format complet (8 à 10 pages hors résumé, titre et références). Chaque communication, dans sa version complète originale puis révisée, a été soumise à une expertise en double aveugle par deux membres du comité scientifique. Celui-ci (voir Remerciements), composé au deux tiers de chercheurs extérieurs à l’INRETS, a sélectionné 15 communications orales et 6 communications affichées, auxquelles se sont ajoutés 6 « tribunes libres » – n’ayant pas pu suivre la procédure de sélection, représentant au total 54 communicants.

Contenu du colloque Les communications du 2e colloque COPIE ont abordé cinq grands thèmes,

qui sont repris dans ces actes : marche et mobilité, piéton et aménagement, accidentologie du piéton, enfant piéton : développement et éducation et piéton : voir et être vu.

Plus de 100 personnes – provenant de 8 pays (France, Belgique, Suisse, Allemagne, Luxembourg, Espagne, États-Unis et Canada) et venant à la fois du monde de la recherche, des institutions nationales et locales, de la prévention et du monde associatif – ont participé au colloque. Celui-ci s’est tenu sur deux

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Introduction

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journées, comprenant également 3 conférences invitées :

− Ole Thorson (président de la Fédération Internationale des Piétons) : Le piéton dans la ville ;

− Yves Page (Comité Scientifique de la Fondation Sécurité Routière) : Les projets de recherche sur le piéton financés par la Fondation Sécurité Routière ;

− Dominique Césari (Directeur de recherche émérite à l’INRETS) : La sécurité passive des piétons en relation avec la réglementation européenne.

Ce colloque a continué de répondre à une très forte demande de la part des chercheurs et des praticiens, et constitue un lieu privilégié d’exposition et d’échanges sur cet usager, dit vulnérable, qu’est le piéton.

Deuxième opus de la série des colloques de la plate-forme intégratrice COPIE, il permet de continuer à cerner les différentes problématiques qui guident la recherche sur le piéton.

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Partie 1 Marche et mobilité

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La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?

Régis de Solere Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu)-Développement durable, 9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon Cedex 06, France [email protected] Francis Papon INRETS-DEST, Le Descartes 2 2 rue de la Butte Verte, 93166 Noisy-le-Grand Cedex, France [email protected]

Résumé – Les questions économiques, environnementales et urbaines actuelles incitent les pouvoirs publics à mettre en place des politiques de mobilité durable, afin de favoriser un usage équilibré des modes de déplacements et en particulier la pratique de la marche. La dernière enquête nationale transports déplacements 2007-2008 est l’occasion d’avoir une vision d’ensemble de l’usage de la marche en France. Elle met en évidence un certain nombre de résultats et d’évolutions marquants, parmi lesquels : une stabilisation de la pratique de la marche, avec une part modale d’environ 23 % ; un net ralentissement de la baisse de l’usage de la marche par les enfants et adolescents pour se rendre sur leur lieu d’études ; un faible usage de la marche le samedi, jour des achats réalisés en voiture ; un usage de la marche fort en ville centre et faible en milieu rural, la tendance semblant s’accentuer ; une féminisation de la marche ; et une pertinence affirmée de la marche pour les déplacements de moins de 900 à 1000 mètres.

Mots-clés : marche, mobilité à pied, déplacement, enquête nationale transports déplacements

Introduction Pourquoi s’intéresser à la mobilité à pied ?

L’étude de la mobilité, par l’analyse des enquêtes réalisées auprès des ménages notamment, permet d’avoir une photographie précise des pratiques de déplacements d’une population. Elle est indispensable pour comprendre les pratiques de mobilité et leurs évolutions, mais également pour élaborer et évaluer les politiques de transport.

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Marche et mobilité

16 © Les collections de l’INRETS

Le développement extraordinaire de la voiture qui s’est opéré dans les années 80 s’est accompagné d’un déclin des modes doux et en particulier de la marche. La quasi-absence de la prise en compte de ces modes doux dans la planification des transports est sans doute à cette époque en partie responsable de leur désaffectation. Pourtant, les années 90 ont vu une stabilisation des pratiques de déplacements en modes doux. La mobilité à pied s’est stabilisée autour d’un déplacement entièrement à pied par jour et par personne, représentant ainsi dans les agglomérations françaises entre 25 % et 30 % des déplacements réalisés (Certu, 2004).

Aujourd’hui, les questions environnementales sont omniprésentes. Les problèmes de congestion augmentent dans les agglomérations. Les difficultés économiques liées à l’augmentation du prix des carburants et à la baisse du pouvoir d’achat pourraient inciter les ménages à revoir leur stratégie de mobilité.

En juillet 2008, un décret issu de la démarche du « Code de la rue » (Certu, 2008) introduit dans les aménagements urbains la « zone de rencontre », zone à priorité piétonne ouverte à la circulation de l’ensemble des usagers et dans laquelle la vitesse est limitée à 20 km/h. A terme, le Certu recommande par ailleurs aux collectivités d’aménager 80 % de leur réseau en zones de circulation apaisées : zones 30, zones de rencontre ou aires piétonnes.

Toute cette actualité va dans le sens d’une meilleure compréhension de la mobilité à pied et d’une meilleure prise en compte de l’activité. Les dernières enquêtes disponibles, dont l’enquête nationale transports déplacements 2007-2008, sont ainsi l’occasion de faire un point sur la mobilité à pied et de comprendre les dernières évolutions en la matière.

L’enquête nationale transports déplacements L'enquête nationale sur les transports et les déplacements (ENTD) est une

enquête statistique d'intérêt général pilotée par le service de l’observation et des statistiques (SOeS) du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT). L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en est le maître d'œuvre et l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets) en assure la coordination scientifique.

Renouvelée tous les 10 à 14 ans, cette enquête a pour objectif la connaissance des déplacements des ménages résidant en France et de leurs usages des moyens de transport tant collectifs qu'individuels. Il s'agit de la seule enquête sur la mobilité réalisée à cette échelle et qui décrit tous les déplacements, quels que soient le motif, la longueur, la durée, le mode de transport, la période de l'année ou le moment de la journée. Elle permet d'observer les comportements de mobilité des habitants dans les zones agglomérées et dans les espaces ruraux, et d'estimer des indicateurs de mobilité tout au long de l'année. Elle permet des comparaisons dans le temps avec les enquêtes précédentes et dans l'espace avec les enquêtes menées à l'échelon local ou dans d'autres pays.

La précédente enquête datait de 1994 (Inrets, 2002). La dernière a eu lieu d'avril 2007 à avril 2008, et les premiers résultats sont disponibles depuis juin 2009 (Hubert, 2009).

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La mobilité à pied : que nous apprennent les dernières enquêtes ?

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Figure 1. Architecture de l’enquête nationale transport et déplacements 2007-2008

L’ENTD 2007-2008 a été passée en deux visites d’une durée totale

d’environ 125 minutes (figure 1). Avant le passage de l’enquête, des informations sont connues sur l’échantillon par le tronc commun ménage (TCM) au niveau du ménage et des individus qui le composent (fichiers TCM ménages et TCM individus). Lors de la première visite (en jaune), des questions ont été posées au niveau de l’ensemble du ménage (fichier ménages), et de chacun des individus (fichier individus). Pour ces derniers, une partie du questionnaire est relative aux déplacements réguliers vers le lieu de travail ou d’étude (fichier lieux). Par ailleurs, des fiches à deux niveaux (rapide r et détaillées f) sont constituées pour quatre catégories de véhicules. A la fin de la première visite, un individu (Kish) est tiré au sort pour répondre aux questions de la deuxième visite. Un carnet est distribué pour noter les trajets effectués avec un véhicule tiré au sort entre les deux visites. Pour certains Kish volontaires, un module GPS est distribué pour enregistrer les traces des déplacements effectués entre les deux visites. Lors de la deuxième visite (en vert), le Kish répond sur ses déplacements d’un jour de semaine et d’un (ou deux) jour(s) de week-end (table déplacements locaux). Il répond aussi sur ses voyages à longue distance au cours des quatre mois précédents (table voyages longue distance) et sur les déplacements effectués au cours de ces voyages (table déplacements dans voyages). Certains Kish tirés au sort remplissent également une grille biographique. L’échantillon de réponses comprend environ 20 000 ménages, 45 000 individus, 18 500 Kish, 133 000 déplacements locaux.

L’ensemble des résultats présentés dans cet article concerne les déplacements locaux, réalisés dans un rayon de 80 km à vol d’oiseau autour du domicile, par les personnes âgées de six ans et plus, résidant en France métropolitaine. Les résultats sont provisoires en attendant la pondération définitive de l’enquête (mais ils changeront peu). Le tableau 1 présente quelques chiffres pouvant expliquer les comportements piétons.

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Marche et mobilité

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Tableau 1. Quelques chiffres de base issus de l’enquête

Composition et équipement des ménages

Accessibilité piétonne des ménages

- 34 % des ménages sont des personnes seules - 62 % des ménages n’ont pas d’enfant - 57 % des ménages comptent deux adultes - 36 % des ménages sont sans actif (30 % avec un actif, et 31 % avec deux actifs) - 24 % des ménages ont un chien - 22 % des ménages ne sont pas équipés en voiture particulière - 88 % des ménages ne sont pas équipés en deux roues motorisés - 48 % des ménages n’ont pas de vélo d’adulte

- 54 % des ménages résident à moins de 300 m d’un arrêt de bus - 81 % des ménages n’ont pas de gare SNCF à moins d’un kilomètre du domicile - 41 % des ménages trouvent que les trottoirs et les carrefours à moins d’un kilomètre du domicile ne sont pas bien aménagés pour que les piétons se déplacent en sûreté et qu’il y a des endroits dangereux pour les piétons

Pratique de la marche et gêne physique L’usage de la marche se stabilise

En 2008, les français réalisent en moyenne chaque semaine 256 millions de déplacements à pied. La mobilité à pied est de 0,72 déplacements par jour et par personne en semaine (0,54 le samedi et 0,46 le dimanche).

En semaine1, la marche à pied représente 23 % des déplacements. Cette part modale est stable par rapport à 19942.

Tableau 2. Évolution des parts modales des déplacements de semaine

Marche (%)

Vélo (%)

Transport collectif (%)

Deux-roues motorisés (%)

Voiture (%)

1982 34,1 4,5 8,6 4,2 48,8

1994 23,2 2,9 9,0 1,4 63,5

2008 23,1 2,6 8,3 1,6 64,3

Source : enquêtes nationales transports 1981-1982, transports et communications 1993-1994 et transports déplacements 2007-2008

Plus de 10 % des personnes gênées physiquement dans leurs déplacements

En 2008, 10,8 % des personnes de 18 ans et plus déclarent être gênées physiquement ou limitées dans leurs déplacements hors de leur domicile. Ce taux était de 8,4 % en 1994. C’est évidemment parmi les personnes âgées que ces personnes sont les plus nombreuses. Parmi les personnes de 75 ans et

1 Les déplacements du week-end sont étudiés plus loin dans un paragraphe spécifique. 2 L’enquête 1993-1994 n’ayant pas recensé les déplacements à pied du week-end, les évolutions concernent la mobilité de semaine.

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plus, le pourcentage de personnes gênées est passé de 49 % en 1994 (Madre, 1997) à 47 % en 2008. Par ailleurs, 6,6 % des personnes déclarent être gênées pour marcher quelques centaines de mètres.

Seulement 59 % des personnes de 6 ans et plus déclarent marcher au moins 1/2 heure par jour en moyenne, durée de marche recommandée par le ministère de la santé dans le cadre du programme national nutrition santé. La part non négligeable des personnes gênées dans leurs déplacements ira sans doute en grandissant dans le futur. Leur prise en compte dans les aménagements urbains est aujourd’hui essentielle.

Tableau 3. Part des différents modes dans les déplacements de semaine, suivant le motif, en 2008

Motif Marche (%)

Vélo (%)

Transport collectif (%)

Deux-roues motorisés (%)

Voiture (%)

Tous modes (%)

Travail 10,7 1,9 9,2 2,5 75,8 100

Etudes 32,1 3,3 26,9 1,2 36,5 100

Achats 27,4 2,4 3,5 0,8 65,8 100

Visites 20,5 3,5 4,0 4,0 68,1 100

Sport 48,1 7,4 4,3 0,7 39,6 100

Autres 23,5 1,7 4,7 0,9 69,1 100

Ensemble 23,1 2,6 8,3 1,6 64,3 100

Source : enquête nationale transports déplacements 2007-2008

La marche pour des motifs spécifiques La marche présente des spécificités d’usage en matière de motifs. La

marche est traditionnellement délaissée pour les déplacements liés au travail, motif pour lequel les distances de déplacements sont les plus longues. Elle est utilisée pour le motif « sport » qui inclut les déplacements de promenade sans destination précise (où la marche représente 80 %), les déplacements pour aller sur un lieu de promenade (marche 38 %), et faire du sport proprement dit (marche 24 %) ; les deux premiers motifs n’étaient pas identifiés dans l’enquête de 1994, et donc inclus dans « autres ». La marche est également pratiquée pour se rendre sur les lieux d’études et pour les achats (tableau 3).

En semaine et sur ses créneaux de prédilection, la marche évolue de façon contrastée par rapport aux précédentes enquêtes.

La marche continue de perdre des parts de marché pour le motif « études » (figure 2), mais la baisse est cependant moins forte qu’entre les deux précédentes enquêtes. La poursuite de la motorisation des déplacements pour ce motif s’est d’ailleurs nettement ralentie par rapport à la décennie précédente. Cette inflexion a également été observée dans les dernières enquêtes menées à Lille et à Lyon en 2006. La part modale du vélo quant à elle augmente de 2,8 % en 1994 à 3,3 % en 2008, ce qui constitue une inversion de tendance. Les démarches en faveur de l’écomobilité scolaire (plans de déplacements d’établissements scolaires, pédibus, vélobus, etc.) ont dans les années qui viennent un rôle fort à jouer pour accompagner cette tendance.

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Marche et mobilité

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Figure 2. Évolution des parts modales des déplacements de semaine pour motif études

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

1982 1994 2008

Marche

Vélo

TC

Voiture

Source : enquêtes nationales transports 1981-1982, transports et communications 1993-1994 et transports déplacements 2007-2008

Pour le motif « achats », on observe une stabilisation de la part modale de la marche à 27 % (contre 45 % en 1982 !). Pourtant, dans 66 % des cas, les automobilistes repartent de leur déplacement bredouille ou avec des achats tenant dans les poches ou dans un panier.

Un usage différent de la marche le week-end De part les modes utilisés ou les motifs de déplacement, la mobilité du

week-end présentent des spécificités. Le nombre de déplacements réalisés chaque jour par personne est plus faible, de 13 % le samedi et de 41 % le dimanche.

Le recours à la marche le week-end est contrasté. Par rapport aux déplacements de semaine (figure 3), sa part de marché est plus faible le samedi (19,5 %) et plus forte le dimanche (24,2 %).

Une analyse par motif fait ressortir plusieurs enseignements :

− le samedi, jour où plus du tiers des déplacements se font pour motif achats, est le jour de la voiture. La marche est beaucoup moins utilisée pour ce motif le samedi (part modale de 20 %) qu’en semaine (27 %) ;

− les activités sportives sont plus importantes le week-end qu’en semaine (jusqu’à 21 % des déplacements du dimanche). Pour ce motif, les modes actifs sont bien entendu très utilisés, et en particulier la marche pour laquelle la part modale d’élève à 42 % ;

− les scolaires utilisent le samedi moins la marche et les TC et davantage le vélo et la voiture qu’en semaine pour se rendre sur leur lieu d’études ;

− enfin, les visites réalisées le dimanche, qui représentent ce jour-là 28 % des déplacements, sont surtout effectuées en voiture, très peu à pied (part modale de 14 %).

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Figure 3. Répartition modale des déplacements en semaine et le week-end

23%

3%

8%

2%

64%

20%

3% 5%1%

71%

24%

4% 3% 2%

68%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

Marche Vélo Transport collectif Deux-rouesmotorisé

Voiture

Semaine Samedi Dimanche

Source : enquête nationale transports déplacements 2007-2008

La géographie de la marche Les usagers de la marche n’aiment pas le froid

La marche n’est pas une activité marquée par la saisonnalité ou la météorologie. Seules une pluie forte ou une température inférieure à 0°C entraînent une légère diminution de son usage.

La marche est le mode des zones denses Du fait de contraintes plus fortes sur la circulation et le stationnement des

voitures, d’aménagements piétons de meilleure qualité et de distances de déplacement plus courtes, la marche est davantage utilisée dans les grandes villes centre (figure 4). Elle est au contraire délaissée dans les zones rurales. Cet écart entre rural et ville centre aurait tendance à s’accentuer. Le parallèle peut être fait avec le type d’habitat : les personnes résidant en habitat collectif utilisent la marche pour 37 % de leurs déplacements, contre 15 % en habitat individuel.

La marche domine les déplacements internes à Paris et à sa petite couronne. A Paris, sa part modale est passée de 51 % en 1994 à 56 % en 2008. La marche augmente également dans le Centre-Est et dans l’Est (de 22 à 28 %), mais diminue dans le Nord-Pas-de-Calais (de 30 à 23 %).

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Marche et mobilité

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Figure 4. Part de la marche dans les déplacements de semaine selon la zone de résidence

37%

25%

13%

18%

23%

0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40%

Ville centre

Banlieue

Périurbain

Rural

Ensemble

Source : enquête nationale transports déplacements 2007-20083

La démographie de la marche La marche se féminise

La marche est un mode féminin, et elle se féminise de plus en plus : en semaine, 61 % des déplacements à pied en 2008 contre 58 % en 1994 sont faits par des femmes. Cette féminité de la marche est observée partout en Europe. Il faut noter que la marche est moins féminine le week-end qu’en semaine.

L’âge est également un déterminant fort de l’usage de la marche. Comme en 1994, la marche est davantage pratiquée par les plus jeunes (de 6 à 17 ans), et par les plus âgés, et surtout les femmes. Les filles de 11 à 14 ans marchent plus que les garçons.

Des profils sociaux variés L’analyse selon la catégorie sociale confirme que les retraités et les

étudiants sont des utilisateurs privilégiés de la marche. Les retraités l’utilisent cependant moins qu’en 1994. Les autres inactifs (chômeurs, personnes au foyer) sont également des adeptes de la marche.

3 Nota : Découpage zhur : zonage hétéroclite urbain regroupé « Rural » comprend les espaces faiblement urbanisés et correspond aux communes qui ne font pas partie d’une aire urbaine de plus de 100 000 habitants ; « Périurbain », « Banlieue », et « Ville centre » correspondent seulement aux communes faisant partie d’une aire urbaine de plus de 100 000 habitants

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Les actifs marchent moins que les inactifs. Mais parmi les actifs, ce sont les personnels des services aux particuliers, les commerçants et les professions libérales qui marchent le plus souvent. Ce sont au contraire les artisans, les chefs d’entreprise et les contremaîtres qui marchent le moins.

La durée des déplacements à pied Par rapport à 1994, la durée moyenne de déplacement augmente pour

l’ensemble des modes. La marche n’échappe pas à cette tendance, puisque la durée moyenne d’un déplacement à pied passe de 12,6 minutes à 13,4 minutes.

Si la majorité des déplacements de semaine (65 %) font moins de 15 minutes, c’est encore plus vrai pour la marche, qui trouve donc sa pertinence sur des déplacements courts : 79 % des déplacements à pied sont réalisés en moins de 15 minutes. En considérant les vitesses moyennes de déplacement stables dans le temps4, on observe que 85 % des déplacements à pied se font à moins de 900 mètres.

Les modes actifs sont les modes les plus fiables en matière de prévision de temps de parcours. Les piétons en particulier trouvent en effet moins souvent que les usagers des TC ou que les automobilistes le trajet réel plus long que la prévision (environ 6 % des piétons retardés contre 10 % des autres usagers).

En tout, dans leurs déplacements d’une journée de semaine, y compris les parcours à pied avant de prendre un véhicule ou après l’avoir quitté, ou entre deux véhicules en correspondance, les hommes marchent en moyenne 11,5 min contre 14,8 min pour les femmes. 52 % de la population des 6 ans et plus ne marche pas du tout au cours des déplacements d’une journée (16 % ne font pas du tout de déplacement), et seulement 14 % marche plus de 30 minutes par jour (alors que 59 % déclarait marcher plus de 30 minutes par jour en moyenne, mais y compris en dehors des déplacements). En croisant ces deux questions, on peut noter que sur 100 personnes de 6 ans et plus, un jour de semaine :

− 11 salubres ont marché plus de 30 minutes dans leurs déplacements et disent marcher en moyenne plus de 30 minutes par jour ;

− 4 modestes ont marché plus de 30 minutes dans leurs déplacements et disent marcher en moyenne moins de 30 minutes par jour ;

− 48 vantards ont marché moins de 30 minutes dans leurs déplacements et prétendent marcher en moyenne plus de 30 minutes par jour ;

− 37 paresseux ont marché moins de 30 minutes dans leurs déplacements et disent marcher en moyenne moins de 30 minutes par jour.

Conclusion L’enquête nationale transport et déplacements 2007-2008 est l’occasion

unique de faire le point sur la mobilité en France, et particulièrement de la mobilité à pied qui est rarement étudiée. La marche présente d’abord des 4 L’enquête de 1994 avait estimé la vitesse moyenne des déplacements à pied à 3,6 km/h.

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caractéristiques générales fortes qui restent valables au cours du temps. Elle est nettement plus pratiquée en zone dense qu’en milieu rural, en habitat collectif qu’en habitat individuel. Elle est plus fréquente pour les inactifs (enfants, collégiens, lycéens, étudiants et retraités). Les piétons sont à 61 % des femmes. On marche moins le samedi, jour de la voiture. La marche constitue 80 % des promenades. En tout, la part de la marche est restée stable depuis 15 ans, notamment pour le motif achats, et représente 23 % des déplacements en semaine.

Toutefois, un certain nombre de changements ont eu lieu depuis la précédente enquête. Le plus notable est paradoxalement cette stabilité de la part modale, puisqu’elle fait suite à plusieurs décennies de déclin. Toutefois le déclin se poursuit en milieu rural, pour les retraités, et dans des proportions considérablement ralenties pour le motif études. Si leur part est stable, la durée moyenne des déplacements à pied augmente. Cependant, seulement 15 % des personnes marchent plus de 30 minutes par jour dans leurs déplacements (alors que 59 % prétendent franchir ce seuil). Mais la proportion des personnes gênées dans leurs déplacements augmente, ce qui est à relier au vieillissement de la population, et à une dégradation de la condition physique que la marche permet de maintenir.

Note des auteurs L’ensemble des résultats présentés dans cet article est issu de l’analyse

actuellement en cours de l’enquête nationale transports déplacements 2007-2008. Les résultats qui y figurent sont provisoires, en attendant la pondération définitive de l’enquête. Cependant, cette pondération définitive ne modifiera que peu ces résultats.

Références Certu (2004) Les chiffres clés des enquêtes ménages déplacements - méthode

standard Certu (réf. : OE0104)

Certu (2008) La démarche « code de la rue » en France. Octobre 2008, premiers résultats

Hubert, JP (2009) Dans les grandes agglomérations, la mobilité quotidienne des habitants diminue, et elle augmente ailleurs. Insee Première n°1252, Le Point sur n°20, juillet, 4 p.

INRETS (2002) Enquête Transports et Communications 1993-94 Liste de documents et publications. Mai (74 références).

Madre, JL (1997) Comment se déplacent les personnes âgées et/ou handicapées ; RTS 56, 87-95.

Papon, F (1997) Les modes oubliés : marche, bicyclette, cyclomoteur, motocyclette, France. Recherche Transports Sécurité n°56.

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Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question

Nabila Bachiri, Carole Després Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa) École d'architecture, Faculté d'aménagement, d'architecture et des arts visuels, Université Laval 1 côte de la Fabrique, Québec, G1K 7P4, Canada [email protected] [email protected]

Résumé – Notre environnement moderne est de plus en plus caractérisé par des infrastructures urbaines qui ne facilitent pas le recours aux modes de transport actifs. L’analyse des données issues de l’enquête origine-destination pour la Région Métropolitaine de Québec en 2001 montre que les jeunes sans permis de conduire qui habitent les secteurs centraux sont plus actifs physiquement dans leurs déplacements comparativement à leurs homologues résidant dans des secteurs périphériques. La localisation résidentielle seule ne suffit toutefois pas à rendre compte du recours des adolescents à un moyen de transport plutôt qu’à un autre. Ainsi, une revue des écrits scientifiques a permis d’identifier différentes composantes physiques du milieu bâti associées à l’usage du transport actif chez les jeunes : la présence de trottoirs, de voies cyclables ou de traverses sécurisées, la mixité d’occupation du sol, la perméabilité du réseau routier, la distance et durée du déplacement et enfin l’accessibilité à l’école, aux commerces et aux équipements. Cela dit, ces études n’arrivent pas toujours aux mêmes conclusions mettant ainsi en exergue la complexité de comprendre la manière dont le milieu de vie influence l’usage du transport actif chez les adolescents.

Mots-clés : milieu bâti, transport actif, adolescent

Introduction Notre environnement moderne est caractérisé d’une part par des

infrastructures urbaines qui ne mettent pas notre corps à contribution par le recours au transport actif (Lavadinho et Pini, 2005) et d’autre part par une mécanisation à l’extrême de nos modes de vie (ordinateurs, escaliers mécaniques, etc.) associée elle aussi à la passivité physique (Kayser, 2008).

L’inactivité physique est un problème d’ordre majeur au Canada surtout auprès de la population adolescente. Les jeunes canadiens sont moins actifs physiquement que leurs pairs d’il y a trente ans (Duranleau et Ferland, 1998 ;

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Marche et mobilité

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Ledoux et al., 2002) et dépensent quatre fois moins d’énergie que ceux d’il y a quarante ans (Vail, 2001). Ces jeunes s’exposent ainsi à d’éventuels problèmes de santé majeurs liés à l’obésité et à l’embonpoint, notamment le diabète de type II, dont la prévalence a augmenté ces dernières années chez cette clientèle (Vail, 2001 ; WHO, 2003).

Les déplacements actifs représenteraient la principale source d’activité physique dans les sociétés modernes (Rodriguez et al., 2006). Pourtant, même si l’activité physique la plus populaire pour les deux tiers des adolescents canadiens âgés de 12 à 19 ans est la marche, au Québec, les parents sont plus susceptibles que ceux du reste du Canada de rapporter que leurs enfants utilisent exclusivement des modes de transport passifs (Cameron et al., 2007). Ainsi, la pratique de l’activité physique par le recours au transport actif est un sujet d’étude extrêmement pertinent et un enjeu fondamental dans l’aménagement et le réaménagement de nos villes. C’est dans ce contexte que cet article s’intéresse à l’usage du transport actif chez les adolescents et aux dimensions de la forme urbaine et de ses fonctionnalités susceptibles d’influencer ou de décourager un recours accru à la mobilité douce. La première section présente nos propres études menées sur la mobilité des jeunes dans la région métropolitaine de Québec ; la seconde rapporte les résultats les plus probants identifiés dans les écrits scientifiques portant sur l’influence des composantes physiques du milieu bâti sur le recours au transport actif chez les jeunes ; enfin, la dernière consiste en une discussion critique des contradictions théoriques et méthodologiques relevées dans ces écrits, identifiant de nouvelles avenues de recherche.

Le transport actif des adolescents de la région de Québec

Dans la région de Québec, l’étalement urbain amorcé dans les années cinquante se poursuit malgré le vieillissement de sa population, la stagnation du nombre de jeunes adultes et la diminution du nombre de jeunes enfants (Morin et Fortin, 2008). Le développement pavillonnaire associé aux deux dernières décades prend la forme de réseaux ou d'archipels, de configurations segmentées ou éclatées (Deshaies et Sénécal, 1997). Les frontières du territoire urbanisé rejoignent dorénavant la montagne, les lacs, les terres agricoles et les milieux de villégiature (Fortin et Després, 2008). Ces nouvelles configurations spatiales se traduisent par un éparpillement croissant des lieux de résidences et des centres d’activités, favorisé entre autres par un réseau autoroutier à la fois très dense et très efficace (Thériault et al., 2004). En 2006, plus de 75 % des couples avec enfants, 56,7 % des familles monoparentales et 73,8 % des enfants de moins de 15 ans vivaient dans les banlieues et les secteurs périurbains de l’agglomération de Québec (Morin et Fortin, 2008) où la mobilité automobile est souvent exclusive (Fortin et Després, 2008). Marcher ou pédaler pour se rendre à ses activités quotidiennes est devenu, dans la plupart des banlieues et des milieux ruraux nord-américains, tout simplement irréaliste (Turcotte, 2009). Paradoxalement, de plus en plus, la valorisation de la « civilisation sur roues » de Peck (1928) est fortement remise en question. L’automobile étant mise au banc des accusés car elle est non seulement

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Milieu bâti et transport actif chez les adolescents : état de la question

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polluante et dévoreuse d’espace (Amar et Laousse, 2004), mais est aussi tenue responsable du manque d’activité physique chez les populations qui en dépendent (Frank et al., 2004). Or, malgré cet éveil d’une conscience qui condamne la dépendance à l’automobile, au Québec ou ailleurs dans le monde, les infrastructures urbaines qui lui sont dédiées augmentent constamment (Lavadinho et Pini, 2005). Puisque les comportements adoptés durant l’enfance laissent présager ceux à l’âge adulte, faut-il s’inquiéter du sort des adolescents confrontés au quotidien à des aménagements hostiles à la pratique de la marche et du vélo ? Font-ils usage de formes de mobilité douce ? C’est ce que nous avons tenté de savoir en examinant les modes de transport utilisés par les adolescents qui habitent la région métropolitaine de Québec.

Afin de dresser le portrait des modes de transport favorisés par les adolescents dans leurs déplacements, nous avons analysé les données de l’enquête origine-destination de 2001 qui portent sur l’ensemble des résidents de la région métropolitaine de Québec. Il s’agit d’une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 27 839 ménages soit environ 11 % de l’ensemble des ménages. Cette enquête décrit les caractéristiques des déplacements effectués par les différents membres du ménage durant une journée de la semaine, celles des personnes ayant effectué ces déplacements, ainsi que celles des ménages. En 2001, 13 413 de ces déplacements ont été effectués par 4686 adolescents âgés de 12 à 18 ans (50,8 % de sexe féminin) qui n’ont pas de permis de conduire. Seuls les adolescents sans permis de conduire ont été considérés pour cet article puisqu’une analyse antérieure a montré que le permis de conduire entraine chez les adolescents une dépendance à l’usage de l’automobile, qu’ils habitent un secteur central ou périurbain (Bachiri, Vandersmissen et Després, 2008).

L’analyse des déplacements des adolescents sans le permis de conduire montre qu’indépendamment de l’âge de l’adolescent, ces déplacements sont principalement dépendants de modes de transport motorisés. Sur 13 413 déplacements, seulement 3460 (moins que 26 %) sont effectués en transport actif, un peu plus par des garçons que par des filles (54,2 %). Près de la moitié des déplacements effectués par les jeunes qui habitent les quartiers centraux sont actifs (48,5 %). Cette proportion diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre: 38,8 % des déplacements de ceux qui habitent les anciennes banlieues pavillonnaires sont actifs, 25 % dans le cas des nouvelles banlieues, et respectivement 11,2 % et 21,7 % pour les secteurs en grande périphérie et en zone rurale. Si la localisation résidentielle joue un rôle certain dans l’usage d’un transport plutôt qu’un autre, ces résultats nous renseignent peu sur les composantes physiques du milieu bâti qui influencent le recours au transport actif des adolescents. La prochaine section examine ces principaux facteurs, tels que recensés dans les écrits scientifiques.

Milieu bâti et transport actif chez les jeunes : état de la question

Durant la dernière décennie, des chercheurs issus d’horizons différents ont porté leur attention sur la faible pratique du transport actif chez les jeunes en

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Marche et mobilité

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lien avec certaines composantes anthropiques du milieu bâti et leur perception par les jeunes. Vingt deux études publiées entre 2003 et 2008 ont été recensées. Elles mettent en lien le recours au transport actif et l’aspect sécuritaire des trajets à travers la présence de trottoirs, de pistes cyclables ou de traverses sécurisées, la mixité des fonctions urbaines, la perméabilité du réseau routier, la distance ou la durée du trajet et enfin l’accessibilité aux commerces et aux équipements. Chacune de ces dimensions est présentée ci-dessous par ordre décroissant de référence dans les études et de manière indépendante les unes par rapport aux autres.

La présence de trottoirs, de voies cyclables et de traverses sécurisées

Des études menées aux États-Unis (Californie, Floride et Arizona) montrent que la présence de trottoirs sur le trajet vers l’école est positivement associée à la pratique d’une activité physique de faible intensité telle la marche (Boarnet et al., 2005 ; Ewing et al., 2004 ; Jago et al., 2005). Deux autres études menées aussi aux États-Unis (Caroline du Nord, Oregon) notent que l’absence de trottoirs (Ahlport et al., 2008 ; Schlossberg et al., 2006) ou leur présence discontinue sur le trajet vers l’école (Ahlport et al., 2008) constitue une barrière pour le transport actif. Contrairement à ces résultats, une étude menée au Portugal (Porto) n’a trouvé aucune association entre la présence de trottoirs et la pratique de la marche ou du vélo chez les jeunes (Mota et al., 2005). Dans l’étude d’Ewing et al. (2004), aucune association significative n’est relevée entre la pratique du vélo et la proportion de rues munies de pistes ou de bandes cyclables le long du parcours vers l’école. Par contre, Ahlport et al. (2008) relèvent que l’absence de voies cyclables et d’aménagements spécifiques à l’école pour entreposer les vélos et casques explique le faible recours des enfants à ce mode de transport. D’autre part, quatre études menées en Australie (Melbourne, Sydney, Brisbane) et une en Suisse (Berne, Payerne et Biel/Bienne), révèlent que les intersections de rues non protégées par des feux de signalisation ou des traverses piétonnes (Timperio et al., 2004 ; Timperio et al., 2006), ainsi que l’insécurité liée au trafic motorisé (Bringolf-Isler et al., 2008 ; Carver et al., 2005 ; Timperio et al., 2004 ; Timperio et al., 2006 ; Ziviani et al., 2004) sont associées à une faible pratique du transport actif chez les jeunes. L’étude de Boarnet et al. (2005) en Oregon arrive à la même conclusion indiquant que les jeunes qui passent par des secteurs où le trafic est contrôlé ont plus tendance à recourir à la marche ou au vélo que les autres. Contrairement à ces résultats, les études de Mota et al. (2005) à Berne, Payerne et Biel/Bienne et de Schlossberg et al. (2006) en Oregon, n’ont pas révélé d’association entre la pratique de la marche et le danger lié au trafic ou à la présence d’une artère principale sur le trajet vers l’école.

Mixité d’occupation du sol La mixité de l’occupation du sol est définie comme étant la proximité relative

des différents usages du sol à l’intérieur d’un espace donné (Handy et al., 2002). Elle renvoie aux différentes activités ou fonctions urbaines (résidentielles, commerciales, institutionnelles, industrielles, etc.), telles que

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localisées plus ou moins à proximité et en alternance les unes par rapport aux autres (Ewing, 2005 ; Frank et al., 2005).

Selon une étude de Frank et al. (2007) menée à Atlanta, les adolescents qui habitent des secteurs avec une plus grande mixité d’occupation du sol se déplacent plus à pied que leurs homologues qui habitent des secteurs avec une faible mixité d’occupation du sol. En fait, ils se déplaceraient à pied 2,5 fois plus souvent lorsqu’il y a au moins un commerce ou un équipement de loisir situé dans un périmètre de 1 km mesuré à travers le réseau routier autour du lieu de résidence. L’étude de Norman et al. (2006) à San Diego (États-Unis) indique aussi qu’un plus grand nombre de surfaces commerciales situées dans un périmètre de 1,6 km tracé à travers le réseau routier autour de la résidence de chaque répondant, est positivement associé avec le niveau d’activité physique des garçons mais pas des filles. Cela dit, dans cette même étude, le nombre de parcs et d’équipements de loisirs situé dans ce même périmètre est positivement associé au niveau d’activité physique des filles mais pas des garçons. Avoir une aire de loisirs d’une superficie supérieure ou égale à 6 acres (2,42 hectares) dans un périmètre de 1 km autour de la maison n’est pas associé à la pratique de la marche chez les jeunes (Frank et al., 2007). Par contre, avoir accès à un espace de plein air d’une superficie inférieure à 6 acres est positivement associé à la pratique de la marche chez les jeunes (Frank et al., 2007). À l’inverse, l’absence de parcs ou de terrains de sports à proximité du domicile est associée à une faible pratique de la marche et du vélo (Timperio et al., 2004).

La perception de l’existence de plusieurs équipements publics de loisirs dans le quartier est positivement associée avec le fait que les adolescents soient plus actifs physiquement (Mota et al., 2005). Alors que dans une autre étude, la perception des jeunes de l’existence d’équipements proches du lieu de résidence n’est pas associée à leur niveau d’activité physique (Dunton et al., 2003). Dans l’étude de Hume et al. (2005) où les participants devaient dessiner les opportunités qui existent dans leur quartier pour pratiquer une activité physique, les filles plus actives physiquement ont dessiné plus d’opportunités que leurs homologues masculins. L’étude de Carver et al. (2005) à Sydney relève que la perception des filles de l’existence de commerces proches de leur lieu de résidence était positivement associée avec la pratique de la marche la fin de semaine, alors que la perception des parents de l’existence dans le quartier d’équipements de sport ou loisirs pour leurs enfants était positivement associée à la pratique du vélo de loisirs chez les filles et du vélo utilitaire la fin de semaine chez les garçons. Ainsi, les résultats de ces différentes études suggèrent que la mixité d’occupation du sol n’a pas la même influence sur la pratique du transport actif chez les filles et les garçons et selon que l’on réfère à des commerces ou à des équipements de loisirs, utilisés en semaine ou en fin de semaine.

Perméabilité du réseau routier La perméabilité du réseau routier réfère aux alternatives et à l’efficacité des

trajets possibles pour se rendre d’un lieu à un autre (Handy et al., 2002 ; McCann et Ewing, 2003 ; Frank et al., 2005). Elle est influencée par la dimension et la forme des îlots, ainsi que par le nombre et le type d’intersections. Des barrières naturelles et anthropiques peuvent grandement

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Marche et mobilité

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réduire le niveau de perméabilité d’une trame viaire. Parmi les études recensées, plusieurs ont trouvé une association positive entre une trame de rues perméable et la pratique de la marche chez les jeunes alors que d’autres arrivent aux conclusions inverses. Trois études associent une bonne perméabilité du réseau routier entre la maison et l’école à un faible usage du transport actif sur ce trajet (Ahlport et al., 2008 ; Timperio et al., 2006) ou à de faibles taux de pratique de l’activité physique chez les filles (Norman et al., 2006). Alors que quatre autres études arrivent aux conclusions inverses. Celle de Schlossberg et al. (2006) en Oregon indique que les jeunes ont plus tendance à marcher sur leur trajet vers l’école quand la densité des intersections est plus élevée et celle des culs-de-sacs plus faible. Dans le même sens, les études de Braza et al. (2004) en Californie et de Frank et al. (2007) à Atlanta montrent que la perméabilité du réseau routier autour de l’école (Braza et al., 2004) ou de la maison (Frank et al., 2007) est positivement corrélée à la pratique de la marche chez les jeunes. Enfin, dans l’étude de Mota et al. (2005), ce sont les plus actifs physiquement qui sont le plus en accord avec l’importance d’une bonne perméabilité du réseau pour l’usage du transport actif. Ces différences sont sans doute attribuables à ce qui est mesuré dans chaque étude en termes d’activité physique: jouer dans la rue est facilité par une trame urbaine moins perméable décourageant la circulation automobile alors que se rendre à l’école à pied ou à vélo est facilité par un réseau perméable sécuritaire. La question du niveau de trafic et de sécurité routière est un facteur d’influence important pour l’évaluation du réseau routier en lien avec les modes de transport utilisés par les jeunes. Si ces études arrivent à des résultats contradictoires, il est aussi possible que cela soit dû à l’usage d’outils non standardisés ; ce débat sera repris plus loin dans la discussion.

Distance et durée du déplacement Les résultats de cinq études menées aux États-Unis (Caroline du Nord,

Caroline du Sud-Maryland-San Diego-Arizona-Minnesota-New Orleans, Californie) et en Australie (Melbourne, Brisbane) indiquent qu’une longue distance à parcourir vers l’école est associée négativement avec la pratique du transport actif sur ce trajet (Ahlport et al., 2008 ; Timperio et al., 2006) et avec le niveau d’activité physique (Cohen et al., 2006). À l’opposé, une distance entre la maison et l’école inférieure à 1,6 km (McMillan et al., 2006 ; Schlossberg et al., 2006 ; Ziviani et al., 2004) et un temps de déplacement limité (Ewing et al., 2004) sont associés positivement à la pratique du transport actif. Seule une étude menée en Suisse (Berne, Payerne et Biel/Bienne) arrive à la conclusion inverse. Ses résultats indiquant qu’indépendamment de la distance à parcourir, les parents accompagnent leurs enfants en automobile vers l’école (Bringolf-Isler et al., 2008). Cette étude soulève un facteur d’influence important dans l’évaluation de la pratique du transport actif chez les jeunes qui renvoie dans ce cas aux modes de vie adoptés par les ménages.

Accessibilité aux commerces et équipements L’accessibilité est définie comme l’intensité des possibilités d’interaction

(Hansen, 1959). Elle se traduit par la capacité qu’a une personne de se déplacer d’un espace à l’autre et par les moyens qui sont mis à sa disposition

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(McCann et Ewing, 2003 ; Frank et al., 2005). L’accessibilité inclut à la fois la distribution des destinations potentielles, la facilité à laquelle il est possible de les rejoindre et le caractère de l’activité de destination (Handy, 1996).

Les études menées par Frank et al. (2007), Kerr et al. (2005) et Motl et al. (2007) respectivement dans la ville d’Atlanta, le Comté de King et en Caroline du Sud et celles de Mota et al. (2005) à Porto et de Timperio et al. (2004) à Melbourne ont identifié une association positive entre le recours au transport actif et l’accessibilité aux commerces et/ou aux équipements. Il ressort de ces études que : 1) la présence de parcs à une distance de la maison inférieure à 800 mètres via le réseau routier est fortement associée avec la pratique de la marche chez les jeunes (Frank et al., 2007) ; 2) les plus actifs physiquement sont plus en accord avec l’affirmation selon laquelle il y a dans leur quartier une bonne accessibilité à pied aux commerces ou aux arrêts d’autobus (Mota et al., 2005 ; Motl et al., 2007) ; 3) la perception des parents d’une desserte limitée du quartier par le transport public est associée à une plus faible pratique du transport actif chez les filles mais pas chez les garçons (Timperio et al., 2004) ; et enfin 4) la perception des parents d’une accessibilité en moins de 20 minutes de marche de la maison aux commerces de proximité, aux pistes cyclables ou aux sentiers piétons est associée positivement avec les déplacements actifs de leurs enfants (Kerr et al., 2006). Toutefois, contrairement à ces résultats, l’étude de Adkins et al. (2004) menée à Minneapolis (États-Unis) ne trouve pas d’association entre la perception des filles de l’accessibilité aux équipements de loisirs dans leur quartier et leur niveau d’activité physique.

Discussion L’examen d’études empiriques portant sur la pratique du transport actif chez

les adolescents a permis d’identifier les composantes physiques du milieu bâti les plus couramment associées à la pratique de modes de transport actifs chez les jeunes. Or, l’influence véritable de ces facteurs est encore contestée, tel que le révèlent les résultats contradictoires de certaines études. En effet, même si la majorité des études montre que des composantes physiques généralement attribuées aux quartiers centraux dits traditionnels, telles la présence de trottoirs, de traverses piétonnes sécurisés, la mixité des fonctions urbaines, la bonne perméabilité de la trame de rues et la grande accessibilité des commerces et équipements, sont positivement associées à la pratique du transport actif chez les jeunes, d’autres au contraire trouvent une association inverse ou pas d’association du tout. Nous posons l’hypothèse que ce manque d’unanimité autour des résultats découle de différences fondamentales entre les échantillons de répondants en ce qui concerne notamment les caractéristiques socioculturelles et économiques des jeunes enquêtés (âge, sexe, niveau d’éducation des parents, revenu du ménage, etc.), les modes de vie associés aux milieux où les jeunes enquêtés résident, le manque de précision dans la définition d’activité physique de loisir et utilitaire et leur mesure en semaine scolaire et en fin de semaine, et enfin, l’absence de consensus dans la communauté scientifique autour de la manière de mesurer les différentes composantes physiques du milieu bâti. Ainsi, une grande diversité de ces mesures est relevée mais aucune n’est standardisée.

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Mesures des composantes physiques du milieu bâti Les composantes physiques du milieu bâti sont considérées de manière

objective par l’usage de systèmes d’information géographique ou subjective quand les variables sont construites à partir de données auto-rapportées par les adolescents et/ou leurs parents (questionnaires, groupes de discussion). Il s’agit dans ce qui suit d’examiner et de discuter de la diversité des mesures des différentes composantes physiques de l’environnement bâti.

La présence de trottoirs, de voies cyclables ou de traverses sécurisées

La majorité des études qui se sont intéressées à l’usage des modes de transport actifs en lien avec la présence de trottoirs, de voies cyclables ou de traverses sécurisées s’est basée sur des données auto-rapportées par les adolescents et/ou par leurs parents (Ahlport et al., 2008 ; Boarnet et al., 2005 ; Carver et al., 2005 ; Mota et al., 2005 ; Schlossberg et al., 2006 ; Timperio et al., 2004 ; Timperio et al., 2006). Ahlport et al. (2008) recourent dans leur étude à des groupes de discussion composés de parents et d’autres de leurs enfants, alors que Boarnet et al. (2005) et Schlossberg et al. (2006) utilisent un questionnaire adressé aux parents pour établir si l’absence de trottoirs ou leur présence discontinue et si l’insécurité liée au trafic automobile empêche le recours de leurs enfants au transport actif sur leur trajet vers l’école. Dans l’étude de Mota et al. (2005), les adolescents devaient mentionner leur degré d’accord avec l’affirmation selon laquelle il y avait des trottoirs au niveau de la plupart des rues de leur quartier et s’il était difficile ou déplaisant d’y marcher à cause du trafic automobile. Certains chercheurs questionnent les adolescents et leurs parents sur l’aspect sécuritaire des rues au niveau de leur quartier (Carver et al., 2005), sur la présence de feux de signalisation ou des passages pour piétons pour rejoindre les espaces de jeu les plus proches de leur lieu de résidence (Timperio et al., 2004) et sur la présence d’intersections de rues non protégées (absence de feux de signalisation) ou d’un important trafic motorisé qui empêcherait les jeunes de recourir aux modes de transport actifs (Timperio et al., 2006).

Dans une seule étude, un travail de terrain avait été fait pour relever les segments de rues munis de trottoirs situés dans un périmètre de 400 mètres autour de la résidence de chaque adolescent (Jago et al., 2005).

Mixité d’occupation du sol

Chaque étude considère la mixité de l’occupation du sol de manière différente. Quatre études se basent sur des données auto-rapportées par les jeunes pour établir si la mixité des fonctions urbaines favorise leur recours au transport actif. Dans l’étude de Carver et al. (2005), les adolescents devaient mentionner s’il y avait des commerces à proximité de leur lieu de résidence, alors que dans les études de Mota et al. (2005) et de Timperio et al. (2004), il s’agissait de relever leur degré d’accord avec l’affirmation selon laquelle il y avait dans leur quartier plusieurs équipements (parcs, terrains de jeux, pistes cyclables, chemins piétons, etc.). Dans l’étude de Hume et al. (2005), la tâche des adolescents consistait à dessiner leur quartier de résidence. La mixité de

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l’occupation du sol était ensuite estimée par les chercheurs en faisant le décompte du nombre de commerces, d’équipements et de parcs.

Seules deux études ont calculé la mixité de l’occupation du sol en recourant à un système d’information géographique (SIG). Frank et al. (2007) et Norman et al. (2006) arrivent à calculer ainsi de manière assez précise le nombre de commerces, services et parcs situé dans un périmètre tracé via le réseau routier autour du lieu de résidence de chaque adolescent. Or, si ce périmètre est de 1 km dans la première étude, il est de 1,6 km dans la seconde. Il n’y a pas de consensus dans la communauté scientifique autour de la dimension du territoire à considérer dans les études qui portent sur le transport actif chez les jeunes.

Perméabilité du réseau routier

La mesure de la perméabilité du réseau routier et le degré approprié de cette perméabilité pour encourager le recours aux modes de transport actifs font toujours l’objet de multiples débats (Dill, 2003). Chaque étude utilise une approche différente pour déterminer la perméabilité du réseau routier. Dans celle de Mota et al. (2005), les adolescents devaient mentionner s’ils considéraient qu’il y avait une bonne perméabilité de la trame viaire dans leur quartier. Alors que dans l’étude de Ahlport et al. (2008), les parents et les enfants qui ont participé à des groupes de discussion se sont exprimés sur la présence ou non d’intersections de rues sur le trajet vers l’école. Par contre, cinq études déterminent la perméabilité du réseau routier de manière objective en calculant le nombre d’intersection par mille de rue (1 mille ≈ 1,6 km) en divisant le nombre d’intersections de rues situé dans un rayon d’environ 800 mètres autour de chaque école par le nombre total de milles de rues situé dans ce même périmètre (Braza et al., 2004) ou en traçant un périmètre d’environ 400 mètres via le réseau routier autour de la maison et en y calculant la densité des intersections en divisant le nombre total d’intersections par le nombre de kilomètres de rues situé dans le périmètre d’étude (Frank et al., 2007) . Norman et al. (2006) tracent eu aussi un périmètre d’étude autour de la maison de chaque adolescent à travers le réseau mais contrairement aux études de Braza et al. (2004) et de Frank et al. (2007), ce périmètre est de 1 mille (approximativement 1,6 km). Ils y calculent ensuite le nombre d’intersections de rues par acre² (1 acre ≈ 0,4 hectare). En revanche, Schlossberg et al. (2006) tracent un périmètre d’environ 200 mètres de part et d’autre du trajet le plus court pour se rendre de la maison vers l’école et y calculent la densité des intersections en divisant le nombre d’intersections par la superficie totale de ce périmètre. Timperio et al. (2006) déterminent aussi le trajet le plus court de la maison vers l’école mais ils calculent la perméabilité de ce parcours en divisant sa distance tracée via le réseau routier par la distance euclidienne qui sépare la maison de l’école. Ces chercheurs considèrent qu’un résultat supérieur à 1,6 signifie que le chemin est plus direct, alors qu’un résultat inférieur ou égal à 1,6 exprime un chemin indirect et donc une faible perméabilité du trajet. Ainsi, il n’y a non seulement pas de consensus de la communauté scientifique autour de la dimension du territoire d’étude à considérer mais aussi sur celui à prendre en compte. Doit-on examiner les composantes physiques de l’environnement bâti qui sont situées dans un périmètre autour du lieu de résidence de l’adolescent, de son école ou du trajet qui les sépare ?

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Distance et durée du déplacement

Certains chercheurs se sont basés sur des données auto-rapportées pour déterminer la distance qui sépare le lieu de résidence de l’école (Ahlport et al., 2008 ; McMillan et al., 2006 ; Ziviani et al., 2004). Par contre, d’autres comme Cohen et al. (2006), Schlossberg et al. (2006) et Timperio et al. (2006) ont calculé la distance du trajet le plus court via le réseau routier. Mais alors que les premiers établissent quatre catégories : < ½ mille, entre ½ mille et 5 milles, entre 5 milles et 10 milles et enfin ≥10 milles (1 mille ≈ 1,6 km), les seconds en déterminent cinq : < 1 mille, entre 1 et 1,5 milles, entre 1,5 milles et 2,5 milles, entre 2,5 milles et 3,5 milles et enfin ≥ 3,5 milles et enfin Timperio et al. (2006) deux catégories : < 800 mètres et ≥ 800 mètres. Contrairement à ces études, celle de Bringolf-Isler et al. (2008) se base sur la distance euclidienne qui sépare le lieu de résidence de l’école, alors que dans l’étude de Ewing et al. (2004), la durée du déplacement à pied et à vélo a été modélisée à partir d’un système de transport régional qui génère les durées de déplacement en automobile et en autobus. Ainsi, la notion de proximité renvoie à des distances ou à des durées de déplacement différentes d’où la difficulté de comparer les résultats des études recensées.

Accessibilité aux commerces et équipements L’accessibilité aux commerces et équipements a été déterminée dans

plusieurs études à partir de données auto-rapportées par les adolescents et/ou leurs parents (Adkins et al., 2004 ; Kerr et al., 2005 ; Mota et al., 2005 ; Motl et al., 2007). Adkins et al. (2004) se sont intéressés au degré d’accord des parents avec l’affirmation selon laquelle il y avait dans leur quartier des équipements accessibles pour leurs enfants, alors que leurs enfants devaient eux aussi répondre à cette même affirmation mais par la positive ou négative. Par contre, dans les études de Mota et al. (2005) et de Motl et al. (2007), les adolescents devaient préciser leur degré d’accord avec l’affirmation selon laquelle il y avait dans leur quartier une bonne accessibilité à pied aux commerces et équipements. Dans l’étude de Kerr et al. (2005), les parents devaient mentionner le nombre de commerces et équipements accessibles en moins de 20 minutes de marche à partir de leur lieu de résidence.

Une seule étude relève de manière objective les espaces de plein air ou de loisirs situés à une distance inférieure à 800 mètres tracée via le réseau routier autour de la maison (Frank et al., 2007). Cela dit, même si un commerce ou un équipement est accessible à pied à partir du lieu de résidence, cela ne signifie pas pour autant que l’adolescent fréquente cet endroit.

Mesures de la pratique du transport actif Les instruments de mesure de la pratique du transport actif, ou de l’activité

physique en général, diffèrent d’une étude à l’autre. Certains chercheurs ont eu recours à un l’accéléromètre (Adkins et al., 2004 ; Cohen et al., 2006 ; Hume et al., 2005 ; Jago et al., 2005 ; Norman et al., 2006), alors que d’autres à un questionnaire adressé aux adolescents, aux parents ou aux deux.

L’accéléromètre est un petit instrument électronique porté à la taille et qui évalue la quantité et l’intensité des mouvements. Les résultats issus des études

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qui ont eu recours à cet instrument sont difficilement comparables à cause de son utilisation selon des protocoles différenciés : trois jours de 12h à 18h (Adkins et al., 2004), au moins trois jours sans préciser la durée (Hume et al., 2005), trois jours à condition que l’instrument ait été porté pendant au moins 800 minutes par jour entre 6h et minuit (Jago et al., 2005), au moins trois jours à condition que l’appareil ait enregistré une accélération supérieure à 5000 par jour (Norman et al., 2006), sept jours consécutifs en hiver et sept jours au printemps (Cohen et al., 2006). Ainsi et au-delà du manque de consensus des chercheurs autour de la durée du port de l’accéléromètre par l’adolescent, l’inconvénient majeur dans l’utilisation de cet instrument est qu’il ne permet pas d’identifier les activités pratiquées et encore moins leurs localisations sur le territoire.

D’autres chercheurs ont, quant à eux, adressé un questionnaire aux parents qui devaient mentionner, si leurs enfants utilisaient un mode de transport actif plus souvent, moins souvent ou autant qu’avant la réalisation d’un parcours sécuritaire sur le trajet vers l’école (Boarnet et al., 2005) ou indiquer le mode de transport que leurs enfants avaient l’habitude d’utiliser sur ce trajet (Bringolf-Isler et al., 2008 ; Ewing et al., 2004 ; McMillan et al., 2006). Par contre, Kerr et al. (2005), Schlossberg et al. (2006) et Timperio et al. (2006) ont demandé aux parents de préciser la fréquence par semaine à laquelle leurs enfants utilisaient chaque mode de transport sur le trajet vers l’école mais aussi bien à l’aller qu’au retour. Grâce à un questionnaire auprès des ménages, Frank et al. (2007) ont relevé les déplacements à pied d’une distance supérieure à 0,5 mille (≈ 800 mètres) effectués pendant deux jours. D’autres chercheurs ont plutôt adressé un questionnaire aux adolescents qui devaient mentionner les différents modes de transport utilisés durant la semaine précédant l’enquête (Braza et al., 2004) ou la fréquence par semaine à laquelle ils pratiquaient une activité physique de transport, de loisirs ou d’exercice d’une durée d’au moins 20 minutes (Mota et al., 2005). Par contre, dans l’étude de Dunton et al. (2003), il s’agissait de noter toutes les activités et déplacements effectués pendant deux jours de 7h à 23h, alors que dans celle de Motl et al. (2007), l’exercice consistait à choisir parmi une liste de 55 activités (transport, activité physique de loisirs, exercice physique, etc.) celles effectuées durant trois matinées de 7h à midi. Ahlport et al. (2008) se sont basés sur le discours des parents et de leurs enfants relatif à l’utilisation ou non des jeunes des modes de transport actifs sur le trajet vers l’école. Enfin, des chercheurs ont adressé des questionnaires aux parents et à leurs enfants où ils devaient préciser la fréquence par semaine à laquelle les jeunes utilisaient un mode de transport actif pour se rendre à différentes destinations (Carver et al., 2005 ; Timperio et al., 2004) ou la durée de leurs déplacements les jours de semaines versus la fin de semaine (Carver et al., 2005). La mesure de l’activité physique des adolescents qu’elle soit de transport ou de loisirs et sport n’est pas encore adaptée aux études qui s’intéressent à l’influence des composantes physiques de l’environnement bâti sur l’usage du transport actif d’où la difficulté de son opérationnalisation dans ces différentes recherches.

Conclusion L’influence des composantes physiques du milieu bâti sur le recours des

adolescents aux modes de transport actifs est complexe et nécessite de plus amples recherches. La localisation résidentielle joue un rôle certain dans le

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recours ou non des adolescents aux modes de transport actifs. Les résultats de l’étude menée au niveau de la région métropolitaine de Québec ont montré que les jeunes qui habitaient les quartiers centraux étaient plus actifs dans leurs déplacements comparativement à leurs pairs qui habitaient les banlieues, les secteurs en grande périphérie et la zone rurale. Néanmoins, cette échelle d’analyse opposant d’une manière générale le centre-ville aux autres secteurs ne permet pas d’identifier les composantes physiques de l’environnement bâti qui influencent le recours des adolescents aux modes de transport actifs. L’examen des écrits scientifiques a permis d’identifier ces facteurs d’influence localisés au niveau d’un périmètre donné dont la dimension diffère d’une étude à l’autre. De plus, ce périmètre tracé soit autour du lieu de résidence, de l’école ou le long du trajet entre les deux ne traduit pas l’espace géographique réellement investigué par chaque adolescent. Un jeune peut résider dans un quartier, étudier dans un autre, et pratiquer certains loisirs dans un autre encore, ou bien être en garde partagée et donc en alternance entre les deux secteurs de résidence des parents. L’hypothèse avancée est que l’aire d’action de chaque adolescent exprimant l’espace géographique à l’intérieur duquel il entreprend ses activités, représente le périmètre dont les composantes physiques de l’environnement bâti sont susceptibles d’influencer ses comportements et cette aire d’action diffère les jours d’école versus la fin de semaine. Cet espace vécu suggère la forte interdépendance qui existe entre l’individu et son environnement. Il s’agit ainsi de l’espace géographique qui sert de base aux rapports fonctionnels qui se dessinent entre l’adolescent par ses déplacements et les modes de transport qu’il utilise et les composantes physiques de l’environnement bâti. Il semble ainsi essentiel que les recherches futures s’assurent que la délimitation du périmètre d’étude corresponde à l’aire d’action quotidienne de chaque adolescent afin d’être fidèle à l’espace géographique qu’il fréquente réellement. En outre, relever la mixité des fonctions à l’intérieur d’un périmètre donné autour du lieu de résidence ou de l’école ne permet pas d’établir quel type de commerces, équipements ou services l’adolescent fréquente réellement. Par ailleurs, les composantes physiques du milieu bâti sont considérées dans les écrits scientifiques recensés en deux dimensions (sur plan) alors que la troisième dimension (relief, gabarits, attrait des façades, etc.) qui est incontournable dans les domaines de l’architecture et de l’aménagement est complètement ignorée. Pourtant, les composantes physiques de l’environnement bâti ne se résument pas simplement en un plan horizontal ou incliné mais comprennent, parmi leurs éléments, les plans verticaux des façades qui se développent sur toute la longueur des rues. De plus, le rapport entre la largeur de la voie et le gabarit des façades est considéré comme un élément qui influence le caractère urbain de la rue (Tsoukala, 2007). Ce point de vue est partagé par Kevin Lynch (1969) qui soutient que les caractéristiques particulières des façades jouent un rôle important dans l’identité des voies.

Les outils de mesure des composantes physiques de l’environnement bâti ne sont pas standardisés. L’évaluation de ces facteurs d’influence est réalisée soit de manière objective par des analyses spatiales en relevant par exemple le nombre de commerces/services/institutions/parcs ou le nombre d’intersections de rues situé dans un périmètre donné, soit en se basant sur des données auto-rapportées par les adolescents, leurs parents ou les deux. La question, à savoir

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lesquelles de ces mesures, objectives ou auto-rapportées, sont les plus appropriées pour assurer une meilleure compréhension de l’influence des composantes physiques de l’environnement bâti sur le recours des adolescents aux modes de transport actifs, est complexe. Or, croiser plusieurs approches permet de compenser les biais inhérents à chacune d’elle lors de l’interprétation des données, de sorte à converger vers une meilleure compréhension de la réalité (Mucchielli, 2004). L’approche qualitative a un fort potentiel de décryptage de la complexité (Miles et Huberman, 2003). Elle permettra, à partir du discours des adolescents, de comprendre leurs comportements (Kaufmann, 1996) et de se concentrer sur les représentations et significations qu’ils attachent à leurs actions (Deslauriers, 1991). Ainsi, croiser l’analyse spatiale objective et les données auto-rapportées par les adolescents permettra de relever les caractéristiques de chacune des composantes physiques de l’environnement bâti qui influencent le recours ou non de ces jeunes au transport actif.

Les études sur les caractéristiques physiques du milieu bâti sont prometteuses et stimulantes pour identifier des influences significatives et potentiellement modifiables de nos milieux bâtis sur le recours des adolescents aux modes de transport actifs. D’autant plus qu’au Canada, chaque année, chaque personne fait en moyenne 2 000 déplacements en automobile dont la distance est inférieure à trois kilomètres (Agence de la Santé du Canada, 2002). Ainsi, si un plus grand nombre de canadiens optaient pour la pratique de la marche ou du vélo au lieu de recourir à leur automobile, plusieurs problèmes de santé, de sécurité et de salubrité de l’environnement, se poseraient avec moins d'acuité (Agence de la Santé Publique du Canada, 2002).

Certes, il est difficile d’avancer que certains changements dans les composantes de nos milieux de vie vont faire que l’usage du transport actif va augmenter. Toutefois, concevoir d’une part des milieux « facilitants et invitants » (GTPPP, 2004), propices à la pratique de la marche et du vélo et retrouver d’autre part, avec des formes peut être différentes, des qualités telles que la proximité, le mélange, l’imprévu, un espace public accessible à tous et des activités qui se mêlent (Panerai et al., 1997) augmenteraient les opportunités pour les personnes d’être actives dans leurs déplacements.

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Tribune libre

La mobilité quotidienne des piétons âgés autour de leur domicile est-elle

révélatrice d’espaces de qualité et de bien-être ?

Béatrice Chaudet Laboratoire CARTA UMRS ESO 6590 Université d’Angers, 5 bis boulevard Lavoisier, 49000 Angers, France [email protected]

Mots-clés : piéton âgé, mobilité, qualité des espaces, comparaison France- Québec

Être mobile au quotidien, pour les personnes vieillissantes, constitue un véritable défi d'autant qu'avec l’avancée en âge la mobilité diminue et réduit progressivement le périmètre de déplacement du piéton et par conséquent l’espace de vie du quotidien. En s'intéressant aux pratiques spatiales des personnes âgées au seuil de la dépendance autour de leur domicile nous interrogeons le cheminement de la personne âgée afin de caractériser leurs espaces de qualité et de bien-être, compris ici comme des espaces favorables à la participation sociale des personnes âgées au seuil de la dépendance. Pour cela nous avons mené une étude qualitative fondée sur six études de cas en France et au Québec et suivie une méthodologie en trois temps : observation, discours puis parcours. L’observation de l’environnement immédiat du domicile des personnes âgées, associée aux récits des déplacements du quotidien et aux parcours accompagnés constituent les trois ressources essentielles pour la compréhension des comportements spatialisés des personnes âgées.

L’observation permet de saisir l’expérience des individus au quotidien, de repérer les itinéraires empruntés par les personnes âgées, de suivre la progression de leurs déplacements autour de leur domicile. Au cours de ce déplacement, l’observateur prend note du trajet choisi, du rythme de la personne âgée, de ses pauses, des lieux fréquentés. L'observateur repère et photographie les aménagements facilitant ou invalidant le cheminement. L’observation seule permet de cerner des tendances relatives aux compor-tements et aux pratiques spatiales des personnes âgées or pour affiner notre analyse nous avons choisi de confronter ces observations aux discours des personnes âgées. Pour cela les personnes âgées sont invitées à raconter, décrire le dernier déplacement effectué puis les parcours qu’elles effectuent

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régulièrement. Les entretiens ont été réalisés auprès d’une trentaine de personnes âgées répartie en France et au Québec au sein des douze résidences (Les logements foyers en France et les résidences pour personnes autonomes et semi autonomes au Québec). Les personnes âgées interrogées sont toutes âgées de 75 ans et plus du fait de la prévalence des incapacités qui apparaissent à cet âge. Elles connaissent toutes une déficience physique et/ou sensorielle et continuent à se déplacer hors de leur domicile régulièrement. Les données recueillies par l’expression orale des personnes âgées sur leurs pratiques spatiales permettent de mesurer les effets du milieu de vie sur leurs déplacements et de saisir les motivations et la fréquence des déplacements piétons. Le recueil du discours a montré la difficulté que les personnes âgées ont à exprimer leur mobilité et plus encore les parcours et les itinéraires empruntés. De ce fait, les mots et les expressions choisies lors du discours sont mis à l’épreuve du parcours accompagné du chercheur afin d'identifier les obstacles au cheminement, et la cohérence entre l'observation, le discours et le parcours. Le chercheur propose aux personnes âgées, qu’il a préalablement interviewées, de les accompagner tout au long d’un trajet qu’elles effectuent régulièrement. Les données recueillies sont comparées aux observations préalables et aux discours tenus par les personnes âgées. Ainsi, le parcours accompagné est le révélateur des possibles cheminements de l’individu autour de son domicile. En effet, lors de l’interview le discours des personnes âgées ne révélait pas ou peu la description du parcours, excepté les freins à la mobilité liés à l’environnement naturel et aux aléas climatiques. Or, le discours en marche des personnes âgées a mis en avant les obstacles au cheminement et les différentes tactiques mises en œuvre pour atteindre la destination choisie. Les pratiques spatiales quotidiennes des personnes âgées observées, interrogées puis accompagnées mettent en perspective des logiques de parcours, des tactiques et des stratégies de déplacements qui sont mises en œuvre face à un environnement qui ne favorise pas systématiquement leur autonomie fonctionnelle. Par cette méthode, il s’agit de mettre en évidence des logiques spatiales construites par une population vulnérable et d’identifier les relations entre la personne vieillissante, sa mobilité et l'accessibilité de son espace de vie.

Si l’observation révèle l’opportunité des parcours possibles, le discours permet d’appréhender à la fois leur perception de leur état de santé et son influence sur le parcours réalisé quotidiennement. Le parcours accompagné permet de mieux comprendre les tactiques de déplacement mises en œuvre pour faire face aux difficultés rencontrées. Ainsi, la confrontation de ces trois temps de la démarche a permis d’identifier des espaces où l’interaction entre l’état de santé de la personne âgée et son environnement génère une situation de handicap. Cette dernière apparaît lorsque l'état de santé de la personne âgée et l’environnement ne sont pas en adéquation, menant dans les cas extrême une situation de non mobilité. En effet, la défaillance des aménagements de l’espace public proche du domicile peut conduire à une forme d’exclusion des marcheurs âgés ou à une forme de dépendance à l’égard des aidants qui les accompagnent. Face aux situations de handicap rencontrées, ce sont les capacités d’adaptation de la personne âgée qui sont sollicitées, sa connaissance du territoire urbain proche de son domicile, les stratégies qu’elle met en œuvre qui lui permettent ou non de poursuivre son

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La mobilité quotidienne des piétons âgés

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cheminement. Alors que dans le cas contraire l’adéquation entre l’état de santé de la personne et son environnement lui permet de se déplacer de façon autonome et optimise sa participation sociale.

La confrontation des observations, du discours et des pratiques des personnes âgées en perte d’autonomie a conduit à évaluer la qualité de l'espace immédiat autour du domicile et a contribué à définir ce qui crée des obstacles ou facilite le cheminement et la participation sociale. Ainsi, nous avons différencié les espaces capacitants – espaces facilitant la mobilité quotidienne des personnes âgées, et les espaces invalidants – espaces inaccessibles aux piétons âgés. Or un espace capacitant pour un piéton âgé peut devenir un espace invalidant pour un autre dont l’état de santé ou les capacités d’adaptation sont différentes. De ce fait, la qualité de ces espaces et le bien être ressenti par les piétons âgés varie d’un individu à l’autre suivant leur état de santé, la qualité de l'environnement proche de leur domicile et leur capacité d’adaptation.

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Les zones de desserte à pied autour des stations de transport

public urbain

Frédéric Héran Université de Lille 1, Centre lillois d’études et de recherche sociologiques et économiques (CLERSE-CNRS), Maison européenne des sciences de l'homme et de la société (MESHS) 2 rue des Canonniers, 59800 Lille, France [email protected] Laurence Pouillaude Service déplacements urbains et qualité des espaces publics, Lille métropole communauté urbaine 1 rue du Ballon BP 749, 59034 Lille Cedex, France [email protected]

Résumé – Ce travail expose les points de vue d’un chercheur et d’un praticien sur les obstacles que rencontrent les piétons dans les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain. Le premier point de vue propose un ensemble de réflexions sur l’effet de coupure. Il rappelle d’abord les conséquences paradoxales des coupures routières et ferroviaires qui tout en facilitant les déplacements lointains compliquent les déplacements de proximité. Puis il montre que la vitesse est le principal facteur à l’origine des coupures en obligeant à ségréguer les trafics et à hiérarchiser les réseaux, des contraintes peu compatibles avec celles des modes actifs. Le second point de vue présente un outil de visualisation des cheminements autour des stations – les cartes ZAP (zone accessibles à pied) – développé par la communauté urbaine de Lille. Cet outil permet à la fois de réaliser un diagnostic des obstacles rencontrés, de mesurer le taux de desserte réel, et de suggérer des solutions pour mieux concevoir l’insertion de nouvelles lignes de TCSP dans un tissu urbain existant et l’accès au transport public des nouvelles opérations immobilières. Les deux regards se révèlent très proches et étroitement complémentaires.

Mots-clés : marche, transport public, zone de desserte, densité

Objectifs et enjeux Malgré un regain d’intérêt pour la marche, la desserte à pied des transports

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Marche et mobilité

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publics urbains reste un sujet assez négligé5. Pour estimer les territoires accessibles autour des stations, on se contente le plus souvent de dessiner un cercle de quelques centaines de mètres de rayon. Avec une méthode aussi rudimentaire, les obstacles sont très mal repérés et encore moins traités. En comparaison, les moyens mobilisés pour encourager le rabattement en voiture sur les modes ferrés sont considérables : méthode d’analyse de la demande, guide de conception des parcs relais, et investissement dans des ouvrages coûteux. Pourtant, la marche reste toujours le principal mode de rabattement, pour le tramway, le métro et même le train, hormis pour les gares situées en grande périphérie (STIF, 2007).

Il est donc parfaitement légitime de s’intéresser en détail aux zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain. Mais, au lieu de chercher à connaître les distances que sont prêts à parcourir les piétons selon les modes comme le font de nombreux travaux, nous avons choisi d’explorer les conditions de déplacement des piétons dans l’aire de desserte des stations en allant au-delà des seules questions de détours et d’attente.

Ainsi, cette communication poursuit un triple objectif. Elle vise d’abord à identifier les divers obstacles que rencontre le piéton lors de ses trajets vers ou à partir des stations de transport public lourd. Elle cherche ensuite à mesurer l’impact de ces difficultés sur les déplacements à pied. Elle explore enfin les solutions de leur traitement dans les zones urbaines actuelles et futures.

Hypothèses et méthodologie Pour connaître la zone de desserte à pied, l’idée principale est qu’il ne suffit

pas de tracer sur une carte un cercle de 300, 500 ou 800 m de rayon autour des stations, selon le type de transport public et son attractivité. Car, à cause de multiples obstacles, la zone de desserte réelle est certainement bien moindre que la zone de desserte à vol d’oiseau. Il est donc capital de prendre conscience de ce décalage et d’en mesurer l’importance.

Pour y parvenir, nous proposons de nous appuyer à la fois sur un travail conceptuel fondé sur une lecture raisonnée de la littérature scientifique concernant les effets de coupure et sur un travail de terrain, réalisé dans l’agglomération lilloise, visant à repérer les obstacles qui s’opposent au cheminement des piétons, afin d’enrichir mutuellement les aspects théoriques et pratiques du problème.

Car, nous pensons que, pour réaliser ce que sont concrètement ces coupures, il faut non seulement arpenter le terrain à pied pour en éprouver les difficultés, mais aussi réfléchir à ce qu’est fondamentalement un effet de coupure et comprendre ses causes premières. A l’inverse, aussi poussé soit-il,

5 Même la RATP qui a récemment lancé une réflexion sur les piétons, séminaire à l’appui, ne juge pas nécessaire de s’interroger sur les obstacles rencontrés par les piétons pour rejoindre les stations (Michaud et Segrestin, 2008). Elle s’est pourtant intéressée – en n’hésitant pas à se rendre sur place – au plan piétons de Genève dont l’un des cinq volets vise clairement à « éliminer les obstacles aux piétons » par « la levée d’obstacles localisés (coupures fonctionnelles, géographiques ou foncières) » et « la création d’une maille piétonne dense et continue » (http://www.ville-ge.ch/geneve/plan-pietons/pages/actions/page1_actions/page1_actions_fr.html).

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Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain

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un travail de conceptualisation et d’analyse ne peut rendre compte de toute la diversité des situations. C’est pourquoi, nous avons souhaité allier les réflexions du chercheur à la connaissance du terrain de l’ingénieur, puis tenter d’en tirer quelques enseignements.

L’effet de coupure, essai de synthèse En France, la notion de coupure urbaine est souvent associée à une

autoroute ou à une voie ferrée infranchissable. Dans la littérature, la réflexion est pourtant beaucoup plus riche. Il n’est pas possible ici d’en rendre compte de façon exhaustive. On se contentera d’en tirer une définition générale de l’effet de coupure, puis de s’intéresser au cas particulier des coupures routières et ferroviaires et enfin d’exposer les deux grandes conceptions de l’effet de coupure qui s’en dégagent.

Définition générale Une coupure urbaine est une emprise dont la taille ou ce qu’elle accueille

perturbe les relations entre les populations alentour. Cette définition que nous proposons s’efforce de synthétiser de nombreux travaux. Apparemment assez simple, elle appelle en fait de nombreux commentaires.

L’emprise peut être d’origine naturelle (cours d’eau, plan d’eau, dénivelé…) ou artificielle. Les coupures naturelles sont rarement prises en compte puisqu’elles font partie du site et préexistent à la ville. Il n’est pourtant pas rare qu’elles soient plus facilement franchissables en voiture qu’à pied ou à bicyclette6.

En cas d’emprise artificielle, il peut s’agir d’un îlot bâti (fort, couvent, zone industrielle, centre commercial, lotissement fermé, cité administrative, hôpital, aéroport…) ou non bâti (ancienne carrière, gare de triage, parc, cimetière…) ou encore d’une infrastructure de transport (canal, voie ferrée, boulevard très circulé, autoroute, échangeur…).

La forme de l’emprise peut être linéaire ou surfacique. La linéarité de la coupure est plus facilement perçue que sa surface, mais les difficultés engendrées ne sont pas différentes. Certes, la distinction est floue, puisque toute emprise linéaire a toujours une certaine épaisseur (cf. la gare de triage ou l’autoroute et ses échangeurs) et inversement (cf. tel îlot assez allongé, comme souvent les blocs des villes américaines).

La perturbation engendrée par la coupure est de nature soit physique, soit psychologique. Dans le premier cas, l’obstacle est infranchissable pour des raisons matérielles et doit être contourné, dans le second l’obstacle est perçu comme dangereux ou désagréable et peut conduire au même résultat : refus de le franchir et contournement nécessaire.

La gêne physique occasionnée peut s’exprimer, soit sous forme d’attente aux feux ou d’attente d’interruption du flot, soit sous forme de détours ou 6 C’est le cas, par exemple, de la Seine à l’ouest de Paris : de Suresnes à Conflans-Sainte-Honorine, soit 50 km, pas moins de quatre ponts autoroutiers la franchissent, alors que les modes actifs doivent se contenter d’utiliser des ponts saturés de trafic.

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d’efforts supplémentaires imposés par un contournement ou un passage dénivelé. Quelle que soit sa nature ou sa forme, une coupure pose toujours, par définition, un problème de franchissement.

La perturbation d’ordre psychologique peut provenir de toutes sortes d’emprises et de nuisances : chantier bruyant ou poussiéreux, quartier en déshérence, friche industrielle peu agréable à côtoyer… et bien sûr voirie très circulée bruyante et dangereuse à franchir ou à emprunter, notamment à bicyclette en l’absence d’aménagement cyclable ou à pied en l’absence de trottoir.

Les obstacles physiques et le danger lié à l’intensité du trafic se combinent souvent pour rendre une voirie infranchissable ou impraticable. D’ailleurs, pour limiter le danger, des obstacles physiques sont parfois ajoutés : bordures, barrières, chicanes, terre-plein…

Les relations perturbées concernent essentiellement les déplacements des piétons et des cyclistes qui, parce qu’ils ne sont pas motorisés, restent très sensibles aux distances et aux efforts à réaliser, et, parce qu’ils ne sont pas protégés par une carrosserie, se sentent particulièrement vulnérables. Mais les usagers des transports publics et les automobilistes peuvent aussi être gênés dans leurs déplacements.

Enfin, il existe, pour chaque usager et dans chaque situation, un seuil de gêne particulier. Des valeurs moyennes peuvent être cependant proposées. Par exemple, en milieu urbain, il est nécessaire que les piétons puissent contourner les îlots en effectuant un déplacement « pas trop long ». Un critère possible est de prendre comme longueur limite du périmètre des îlots (hors impasses) la distance moyenne d’un déplacement à pied, soit un km (12 min à 5 km/h), ce qui correspond à des îlots de seulement 2 ha s’ils sont très allongés et jusqu’à 7 ha si leur forme se rapproche du cercle.

Le cas des infrastructures de transport et le rôle de la vitesse

Les infrastructures de transport (autoroutes, voies rapides, boulevards très circulés, voies ferrées, canaux…) sont des coupures d’un type particulier, car elles favorisent les déplacements rapides et lointains au détriment des déplacements de proximité, sans que l’on sache si le bilan est positif pour la mobilité. Plusieurs auteurs ont souligné ce paradoxe (Illich, 1973 ; Virilio, 1977…). Ici, la vitesse apparaît clairement à l’origine de l’effet de coupure, en imposant à la fois la ségrégation entre les modes motorisés et non motorisés et la hiérarchisation du réseau viaire.

Pour pouvoir profiter de la motorisation de leur véhicule et circuler à vitesse élevée, les usagers motorisés doivent bénéficier d’infrastructures rapides séparées du milieu urbain environnant, de façon à réduire au maximum les risques de conflits liés à la vitesse, en minimisant les interactions avec ce milieu. Mais l’avantage qu’ils en retirent se fait au détriment des piétons et des cyclistes qui se retrouvent pénalisés dans leurs mouvements. C’est la définition même d’une nuisance : un effet négatif externe infligé par des émetteurs (les usagers motorisés) aux récepteurs (les usagers non motorisés).

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Concrètement, pour que les automobilistes puissent rouler rapidement, des aménagements doivent écarter les piétons et les cyclistes. A 30 km/h, les piétons sont tenus de rester sur des trottoirs. A 50 km/h, ils ne peuvent plus traverser que sur les passages autorisés et les cyclistes sont invités à utiliser des bandes cyclables ou des couloirs bus-vélos. A 70 km/h, les carrefours à feux devenant peu fréquents, les piétons sont condamnés à des détours pour traverser, et les cyclistes doivent se réfugier sur des pistes cyclables. A 90 km/h ou plus, les uns comme les autres buttent contre des barrières de protection pour traverser et doivent accepter d’utiliser des passages dénivelés en nombre rarement suffisant ; ils sont en outre contraints d’emprunter d’autres itinéraires, aucun trottoir ni aucune piste cyclable ne bordant généralement ces infrastructures. Et il en est globalement de même pour les voies ferrées. Les voies d’un tramway roulant à 30 km/h restent franchissables, quand celles d’un train de banlieue ne peuvent l’être qu’en quelques rares passages à niveau ou dénivelés.

Ce rôle clef de la vitesse est rarement signalé, car ce serait du même coup reconnaître que pour vraiment traiter la coupure, il faut envisager de réduire la vitesse, ce qui paraît pour beaucoup encore difficile à envisager, tant la vitesse a été longtemps considérée comme un progrès nécessaire.

De même, pour assurer des déplacements motorisés rapides, les réseaux doivent être hiérarchisés. Les voies de desserte se branchent sur les voies de distribution, qui se raccordent aux voies artérielles, elles-mêmes rejoignant les voies rapides urbaines (typologie des voiries utilisée par le Certu). De même, les lignes de bus se rabattent sur les lignes de tramway ou de métro qui elles-mêmes desservent les gares. Ainsi, pour aller plus vite, les usagers motorisés acceptent volontiers d’importants détours pour rejoindre de grandes voiries ou des voies ferrées. A tel point, qu’il est devenu banal aujourd’hui d’affirmer que seul compte désormais le temps de parcours et non plus la distance parcourue. Dès lors, les flux motorisés se retrouvent concentrés sur quelques voies rapides ou ferrées sillonnant la ville, mais qui constituent presqu’autant de coupures.

Parce qu’ils n’utilisent pas de moteur, piétons et cyclistes demeurent au contraire très sensibles à l’énergie musculaire dépensée et donc à la distance parcourue et aux changements de rythme. Pour eux, un détour n’a rien d’anodin, un arrêt puis un redémarrage non plus. Le plus court chemin reste la règle fondamentale et le maintien de l’allure est presque aussi capital (Carré, 1999). Obliger piétons ou cyclistes à faire des détours ou à utiliser des passages dénivelés, à s’arrêter puis à repartir ne peut que leur faire perdre de l’énergie et du temps, et les amener à ne pas respecter, à leurs risques et périls, les aménagements sensés les protéger (cf. encadré page suivante). Pour ces usagers, au contraire, les réseaux doivent rester finement maillés et non hiérarchisés7.

Ainsi, le réseau viaire est tiraillé entre une logique de hiérarchisation des voies, favorable aux modes motorisés, et une logique de maillage, nécessaire aux modes non motorisés. Il suffirait donc, en théorie, de créer deux réseaux viaires : l’un hiérarchisé pour les voitures et l’autre finement maillé pour les

7 Pour les cyclistes, on peut admettre tout au plus deux niveaux dans le réseau cyclable, comme par exemple à Amsterdam.

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piétons et cyclistes. Cette solution était déjà préconisée par Le Corbusier dans la Charte d’Athènes (1933), puis par le rapport Buchanan (1963), et elle a été appliquée notamment dans de nombreuses villes nouvelles (comme Villeneuve d’Ascq, dans l’agglomération lilloise).

Quand les modes actifs prennent le plus court chemin

De très nombreux exemples prouvent que les piétons vont au plus court : pour traverser tel parc près de la mairie de Lille, ils n’ont pas hésité à créer un chemin direct à travers les pelouses et buissons que les services de la ville ont fini par aménager ; pour franchir à niveau telle petite voie ferrée qui passe au milieu de Lezennes près de Lille, ils découpent régulièrement le grillage plutôt que de prendre la passerelle située à côté mais qui culmine à 5 m, pour accéder à tel hypermarché à l’ouest de Strasbourg, ils sont prêts à traverser une 4 voies et son terre-plein à leurs risques et périls… C’est impressionnant, dangereux, interdit, mais c’est ainsi. Pour les cyclistes, la règle du plus court chemin est presque aussi puissante : remontée des sens interdits, utilisation des pistes cyclables unidirectionnelles en sens inverse pour éviter de traverser la rue, refus d’utiliser les « itinéraires parallèles » prévus à leur intention, franchissement des carrefours en diagonale, etc. Il ne s’agit ni de justifier, ni de déplorer ces comportements, mais de constater qu’ils existent et correspondent à une logique d’économie d’énergie musculaire parfaitement compréhensible.

(Héran, 2009)

Mais en pratique, le second réseau doit pouvoir franchir les nombreuses coupures provoquées par les voies rapides et artérielles du premier, ce qui s’avère irréalisable sans quelques forts désagréments pour les non motorisés : passages dénivelés peu commodes et fatigants8, temps d’attente interminables aux feux ou traversées dangereuses, ou bien détours dissuasifs. Ce problème est encore aggravé quand manque les voiries intermédiaires, à cause d’une trop rapide extension urbaine (Wiel 2007, chapitre 3). En outre, ce double réseau rend la ville peu lisible, car il contraint les usagers qui peuvent être tour à tour piétons, cyclistes ou automobilistes à un double apprentissage. Il limite aussi les relations entre usagers des deux réseaux : pas de dépose minute possible, pas de maraude pour les taxis9. Enfin, le réseau réservé aux modes actifs se retrouve isolé et donc peu sûr, surtout la nuit. Aussi, presque partout, la tendance est aujourd’hui d’éviter la dissociation entre réseaux piétons, cyclables et automobiles. Ainsi a-t-on détruit certaines passerelles du quartier de La Part Dieu à Lyon au profit de passages piétons classiques, et réhabilité le boulevard circulaire de La Défense en modérant les vitesses et en créant des bandes cyclables.

8 De simples calculs de consommation d’énergie musculaire montrent qu’utiliser un passage dénivelé plutôt qu’un franchissement à niveau pour traverser une artère très circulée exige au moins 5 fois plus d’énergie (Héran et Le Martret, 2002). 9 « Prenons par exemple la séparation entre piétons et voitures (…). A un niveau de pensée superficiel, c’est manifestement une bonne idée. Il est dangereux que des voitures allant à 120 à l’heure soient en contact avec des enfants qui jouent. Mais l’idée n’est pas toujours parfaite. (…) les taxis urbains ne peuvent fonctionner que précisément parce que piétons et véhicules ne sont pas rigoureusement séparés. » explique Ch. Alexander (1967, p. 8).

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Les deux approches de l’effet de coupure La perception du rôle de la vitesse dépend cependant largement de la

manière d’appréhender l’effet de coupure. Sur ce point, deux grandes approches peuvent être distinguées.

La première consiste à ne prendre en compte que les seules infrastructures de transport et à ne retenir que les impacts relevant strictement de l’effet de coupure, à savoir, d’une part, les délais de traversée imposés par les feux de circulation ou le trafic et, d’autre part, le temps et les dépenses d’énergie supplémentaires imposées par les détours ou les passages dénivelés. En revanche, pour éviter les doubles comptes, sont écartés tous les autres impacts déjà pris en compte par ailleurs, tels que le risque d’accident, le bruit, la pollution, l’encombrement de l’espace par les véhicules, et l’intrusion visuelle des ouvrages et des véhicules se déplaçant ou stationnant.

Ainsi, au sens strict, l’effet de coupure se limite à une simple question de délais, de détours et de dénivelés, des aspects qui ont en outre le grand mérite d’être mesurables10. Telle est la conception la plus commune (cf. Lervåg, 1984 ; Hine & Russel, 1996 ; Litman, 2005 et la plupart des aménageurs). Cette approche est très réductrice, on va le voir, mais elle ne doit pas pour autant être négligée, car elle permet de révéler quelques aspects concrets du problème.

La seconde approche, bien plus large, considère que les grandes emprises surfaciques contribuent aussi à rendre la ville peu accessible aux usagers non motorisés et que les obstacles que constituent les grandes infrastructures de transport sont indissociables de leurs autres nuisances.

L’existence d’îlots de grande taille reflète, en effet, le maillage insuffisant du réseau viaire (tout comme le nombre de traversées insuffisant d’une coupure linéaire). De multiples raisons peuvent expliquer de tels îlots. Mais d’une façon générale, c’est une conséquence de l’urbanisme fonctionnaliste qui a créé de vastes zones spécialisées facilement accessibles aux seuls usagers motorisés, sans envisager qu’une vaste emprise pouvait poser des difficultés de contournement aux modes actifs.

Quant aux nuisances des grandes infrastructures de transport, tous ceux qui habitent ou travaillent à proximité ont tendance à les considérer comme indissociables. De leur point de vue, il est absurde de distinguer l’effet de coupure du bruit, du risque d’accident ou de la pollution. Ils se contentent d’exprimer comme ils peuvent l’inconfort, le malaise, voire la peur, en les assimilant souvent au bruit, la seule nuisance immédiatement perceptible (comme l’ont soulignée Loir et Icher, 1983 et Enel, 1984 et 1998). Au contraire d’un fleuve par exemple, c’est bien parce que l’infrastructure provoque de multiples nuisances et pas seulement quelques détours, qu’elle est perçue comme une coupure.

Et cette accumulation de nuisances peut avoir de nombreux effets : la séparation des communautés (community severance) contraintes de limiter leurs interactions, la désaffection pour les modes non motorisés et le report 10 Et qui peuvent même être ramenés à une mesure unique, comme le proposent P. Olszewski et S. Sulaksono Wibowo (2005) avec leur concept de « distance à pied équivalente » (equivalent walking distance).

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vers les modes motorisés, l’accompagnement nécessaire des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapés…), ou encore la fuite des familles en périphérie ou dans des quartiers plus tranquilles… Plusieurs auteurs ont ainsi développé depuis 30 ans cette conception extensive de l’effet de coupure, mais leurs travaux restent largement méconnus en France (Jacobs, 1961, chapitre XIV ; Buchanan, 1963 ; Appleyard, Gerson et Lintell, 1981 ; Loir et Icher, 1983 ; DOT, 1983 et 1992 ; Enel, 1984 et 1998 ; de Boer, 1991 ; Clark et al., 1991 ; James, Millington et Tomlinson, 2005 ; Brès, 2006…). Pour eux, la vitesse et la concentration du trafic qu’elle induit ne sont pas des facteurs parmi d’autres pour expliquer l’origine des coupures.

Mais qu’en est-il concrètement sur le terrain ?

Les zones de desserte des stations de transports publics dans l’agglomération lilloise

Sous l’impulsion de J.-L. Séhier, directeur du cadre de vie, Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) a développé depuis 2000 un outil permettant de cartographier précisément les zones accessibles à pied – les « cartes ZAP » – en dessinant les courbes isochrones autour des stations de métro, arrêts de tramway et gares de l’agglomération. Les piétons ayant des vitesses assez homogènes, les courbes isochrones se confondent avec les courbes d’isodistance.

Cette idée n’est pas originale, mais elle a été poussée très loin par LMCU et les dizaines de cartes réalisées révèlent les nombreux facteurs limitant la desserte des stations, permettant en outre de calculer le taux de desserte de chaque station. Aussi, ces cartes ZAP apparaissent d’une grande richesse d’utilisation.

Origine des cartes isochrones appliquées aux déplacements des piétons

Comme toute idée simple et forte, elle a été proposée simultanément par divers auteurs qui le plus souvent s’ignorent, aidés aussi par les nouvelles possibilités de traitement informatique des données géographiques.

Ainsi, la ville de Nantes a réalisé un équivalent des cartes ZAP pour apprécier la zone de desserte réelle de certains centres commerciaux de quartier (Duhayon, Pages et Prochasson, 2002, p. 46). L’agence des architectes-urbanistes Brès & Mariolle a également développé des outils similaires pour analyser « le potentiel de densification autour des pôles et axes de transport en commun » en Ile-de-France (2008, p. 2). Leurs outils ont été utilisés depuis par l’IPRAUS – Institut parisien de recherche : architecture, urbanisme, société – auquel ils collaborent.

Au Danemark, A. Landex et S. Hansen (2006), chercheurs à l’Université technique du Danemark (DTU), ont aussi élaboré récemment des cartes d’accessibilité à quelques gares et stations de métro de Copenhague. Ils se

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sont inspirés du travail de S. O’Sullivan et J. Morral (1995), chercheurs à l’Université de Calgary (Canada), qui ont constaté, en interrogeant les utilisateurs de certaines gares, que les zones de rabattement réelles étaient assez différentes des zones de rabattement théoriques, à cause notamment d’emprises infranchissables.

La réalisation des cartes ZAP La carte est réalisée à partir de l’arrêt de transport étudié en suivant les

cheminements accessibles utilisés par les piétons. La surface obtenue correspond donc à l’aire d’influence réelle d’un arrêt. L’attractivité des stations varie selon les modes de transport. On estime habituellement qu’un métro ou une gare attire majoritairement le piéton jusqu’à 700 m du point d’arrêt alors que l’attractivité du tramway se limite plutôt à 500 m. Les zones d’accessibilité à pied sont donc partagées en deux catégories : les zones très accessibles, à moins de 5 min à pied soit 350 m et les zones accessibles, à moins de 10 min à pied soit 700 m (Hüsler, 2002).

En pratique, l’aspect logiciel des cartes ZAP utilise les ressources de MapInfo et a été développé par P. Palmier (2001), alors ingénieur à LMCU et actuellement au CETE Nord Picardie. Le relevé terrain des lieux habituels de passage des piétons – cheminements, raccourcis, traversées sauvages… – a été effectué pour l’essentiel de 2000 à 2006, par L. Pouillaude, alors technicienne à LMCU, et se poursuit depuis selon les besoins. Ces relevés complètent, dans le SIG, les données existantes sur la voirie et permettent de réaliser in fine les cartes ZAP. La mise au point d’une carte nécessite environ deux jours en moyenne : relevé terrain (dont la durée varie beaucoup selon la densité des cheminements piétons), entrée des données dans le logiciel et vérification.

L’analyse a porté sur les stations de transport en commun en site propre (TCSP), soit à ce jour 52 stations de métro sur 60, 18 arrêts de tramway sur 36 et 14 gares parmi les mieux desservies par le train sur une trentaine. Au total, ce sont donc environ les deux tiers des stations de TCSP de l’agglomération qui ont été traitées. Dans la détermination des courbes isochrones, les temps d’attente aux feux ou pour les traversées piétonnes ne sont pas pris en compte et la vitesse de déplacement retenue est de 4,2 km/h.

Les facteurs limitant la bonne qualité de desserte des stations

Ce travail sur les zones de desserte révèle la grande diversité des obstacles rencontrés par les piétons et permet d’enrichir et de valider l’analyse plus formelle des différentes formes de coupures esquissée ci-dessus. Voici les exemples les plus édifiants (Pouillaude, 2004). Dans les cartes qui suivent (figure 1), sont figurés en bleu : les cercles de rayon 350 m et 700 m autour des stations, en vert : la zone accessible à pied en moins de 350 m, et en jaune : la zone accessible à pied en moins de 700 m.

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Figure 1. Exemple d’étude des zones accessibles à pied autour des stations de transport en site propre, Lille. (Source, Pouillaude, 2004)

Les emprises importantes telles que les zones d’activités industrielles ou

commerciales, les équipements sportifs, les cimetières, les îlots d’habitation de grande taille, amputent l’aire de desserte d’autant plus qu’ils sont proches des arrêts. Sur le

schéma ci-contre, c’est le cas d’un cimetière au nord d’une station de métro.

Les voies privées sont souvent interdites au passage du public ou seulement à certaines

heures. Cette voie privée (le trait rouge entre les deux carrés sur le schéma) traversant un îlot important est fermée par des grilles avec

interphone.

La multiplication des accès en impasse allonge fortement les distances (Southworth et Ben-Joseph, 2004). Ici, quatre impasses

pourtant très proches ne communiquent pas, séparées parfois par une simple clôture.

La création de nouveaux lotissements ignore parfois la proximité d’une station et la trame

viaire existante, comme dans le cas ci-contre où la nouvelle voie (en orange) n’est pas

reliée à la voie préexistante (la loupe souligne la proximité de ces voies non

reliées).

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Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain

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Les stations de transport public sont aussi parfois installées en section courante et non aux carrefours, ce qui réduit leur attractivité.

Les voies ferrées d’une gare peuvent limiter fortement son accès quand la gare n’est

ouverte que d’un côté (voir ci-contre le cas de la gare de Tourcoing), alors que quelques

mètres manquent pour faire déboucher le souterrain ou la passerelle de l’autre côté.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Les canaux (de gabarit Freyssinet ou plus) sont souvent des obstacles importants

comportant peu de ponts (ici le canal de Roubaix).

οοοοοοοοοοοοοοοοοοοοοοοοο

Les autoroutes urbaines construites sur les glacis des anciennes fortifications ceinturant

la ville traversent souvent des quartiers denses et limitent fortement leur accès. C’est

le cas des quatre stations de métro situées sur le boulevard parallèle à l’A25, aux portes

sud de Lille, faute de franchissements en nombre suffisant.

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La construction d’une nouvelle station de métro n’est pas forcément accompagnée

d’une adaptation du réseau viaire pour faciliter l’accès à la station. Ici sur une partie

de la ligne 2 du métro ouverte en 1999.

Bien d’autres facteurs encore contraignent le piéton :

− les cheminements peu sûrs, mal éclairés, peu confortables, peu lisibles, trop étroits (haies débordantes…) ;

− les trottoirs envahis par le stationnement, mal protégés ;

− parfois l’absence même de trottoirs ou de continuités piétonnes ;

− les aménagements réalisés pour la sécurité des piétons, tels que barrières ou chicanes, qui incitent en fait les usagers à les contourner au plus court au détriment de leur sécurité ;

− les traversées de voirie difficiles (sans refuge, trop longues) ou par des passages dénivelés (passerelles ou souterrains) ;

− les attentes prolongées aux feux ou les traversées en deux temps ;

− la nécessité de traverser de grands parkings pour accéder à certains équipements ;

− la prise en compte très secondaire de la marche à pied comme mode d’accès à certains équipements ou pôles d’activité ;

− et peut-être surtout le sentiment d’insécurité et autres nuisances que provoque un trafic trop rapide.

Le taux de desserte Pour mesurer de manière synthétique l’accessibilité des stations à pied, le

meilleur indicateur est sans doute le taux de desserte calculé en rapportant l’aire réellement parcourable à l’aire atteignable à vol d’oiseau :

taux de desserte = surface réellement accessible

surface accessible à vol d’oiseau

Ce concept est directement lié à celui de détour moyen ou de coefficient de détour moyen (Schaur, 1991) par la formule :

taux de desserte ≈ (1 – pourcentage de détour moyen)2

≈ (2 – coefficient de détour moyen)2

Le coefficient de détour indique au piéton la distance moyenne supplé-mentaire à parcourir par rapport à la distance à vol d’oiseau. Le taux de desserte

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quant à lui est centré sur la station de transport public et exprime le degré d’insertion urbaine de la station dans la ville. Ainsi un bon taux de desserte révèle une trame viaire finement maillée. Le tableau 1 donne quelques valeurs permettant de passer de l’un à l’autre des indicateurs.

Tableau 1. Table de correspondance entre détour moyen et taux de desserte

Coefficient de détour moyen 1,05 1,1 1,15 1,2 1,25 1,3 1,35 1,4 1,45 1,5

Pourcentage de détour moyen 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50

Taux de desserte (%) 90 81 72 64 56 49 42 36 30 25

La présence du bâti impose nécessairement quelques détours dans une ville. Aussi est-il normal que le « détour moyen » soit au moins d’environ 15 à 30 % (ou le « coefficient de détour » d’environ 1,15 à 1,3) (Héran, 2009), ce qui correspond pour une station à un « taux de desserte normal » d’environ 70 à 50 %, signe d’un rayonnement correct. Pour les cartes ZAP de la métropole lilloise, le meilleur taux de desserte mesuré est de 59 %. On est loin des 100 % de la surface desservie à vol d’oiseau.

Mais la présence de coupures linéaires ou surfaciques peut faire tomber le taux de desserte bien en deçà de 50 %. Ainsi, dans l’agglomération lilloise, sur la base des zones étudiées, la moitié des stations de métro ont un taux de desserte inférieur à 50 % et jusqu’à 30 % dans le cas le moins favorable. Idem pour le tramway. Quant aux gares étudiées – Lille Flandres et Lille Europe n’en font pas partie –, elles ont même toutes un taux de desserte inférieur à 50 %. Ce sont en effet des gares périphériques dont les abords sont souvent encombrés d’emprises ferroviaires, avec parfois un accès d’un seul côté des voies (cf. les cas des gares de Tourcoing et d’Armentières).

Si l’on observe les populations et emplois dans les zones desservies, le métro a été implanté logiquement dans les zones les plus denses. Le tramway en Y – situé sur le Grand Boulevard qui réunit Lille à Roubaix et Tourcoing et construit au début du XXe siècle – traverse des zones moins peuplées, mais les arrêts situés sur le tronc commun assez peuplé n’ont pas encore été étudiées. Les gares situées en périphérie desservent des territoires moins denses (voir les tableaux 2 et 3).

Tableau 2. Population et emplois dans les zones très bien desservies par les transports en site propre

Type de zone desservie Par le train (350 m,

5 min à pied)

Par le métro (350 m,

5 min à pied)

Par le tramway (250 m,

3 min à pied) Surface 11 ha 17 ha 8 ha Population 190 hab. 1253 hab. 336 hab. Densité de population 18 hab./ha 75 hab./ha 36 hab./ha Emplois 91 emplois 444 emplois 181 emplois Densité d’emplois 9 empl./ha 26 empl./ha 21 empl./ha Nombre de ZAP étudiées 9 34 14

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Tableau 3. Population et emplois dans les zones bien desservies par les transports en site propre

Type de zone desservie

Par le train (700 m,

10 min à pied)

Par le métro (700 m,

10 min à pied)

Par le tramway (500 m,

6 min à pied) Surface 58 ha 74 ha 36 ha Population 1140 hab. 5224 hab. 1509 hab. Densité de population 21 hab./ha 70 hab./ha 38 hab./ha Emplois 486 emplois 1867 emplois 809 emplois Densité d’emplois 10 empl./ha 24 empl./ha 21 empl./ha Nombre de ZAP étudiées 9 34 14

Les utilisations possibles des cartes ZAP Si la réalisation des cartes ZAP reste assez longue et fastidieuse, les

utilisations possibles sont nombreuses et les efforts largement récompensés.

C’est d’abord un outil de diagnostic qui oblige à arpenter le terrain, à découvrir concrètement les difficultés des piétons, puis à en rendre compte de façon systématique. Certes, la carte obtenue ne dit pas tout, mais elle révèle les problèmes d’accessibilité, c’est-à-dire avant tout de distance à parcourir, facteur principal d’acceptation pour se rabattre à pied sur une station (Hüsler, 2002).

C’est ensuite un outil très pédagogique. La carte obtenue permet de visualiser aisément, de façon synthétique et pour la première fois les difficultés rencontrées par les piétons et de les rendre compréhensibles à tous, aux décideurs, aux techniciens comme aux habitants, en proposant un langage commun. Elle suscite ainsi naturellement le dialogue et la recherche de solutions.

C’est donc aussi un outil de traitement des coupures. Le but est, en effet, 1/ de limiter les reculs encore nombreux : fermeture d’un îlot ou d’une voie privée au passage du public, construction d’un lotissement sans tenir compte de la proximité d’une station ou du réseau viaire alentour… et si possible 2/ d’améliorer les situations difficiles, en imaginant relier les impasses par des chemins piétons et cyclables, ouvrir un îlot au passage du public, construire une passerelle ou un souterrain pour franchir une coupure linéaire…

C’est en outre un outil de mesure des évolutions, grâce à l’indice synthétique qu’est le taux de desserte qui peut être associé aux densités en habitants et en emplois. Si elle ne saurait tout dire, la mesure a toutefois le mérite d’objectiver un recul ou un progrès de façon simple et peu contestable, et de pousser les parties à prendre conscience des impacts des coupures.

C’est enfin un outil de conception de quartiers plus denses et plus accessibles aux stations de transport public. Il incite les AOTU, lors de la construction d’une nouvelle ligne de tramway ou de métro dans un tissu urbain existant, à prévoir l’emplacement des stations aux carrefours plutôt qu’en section courante, à aménager des accès aux deux extrémités de la station et à réduire autant que possible les coupures alentour. Et il amène les promoteurs, lors d’opérations immobilières, d’extensions urbaines, de création d’écoquartiers ou d’opérations

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Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain

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importantes de renouvellement urbain, à tenir compte de l’accessibilité aux stations, en favorisant l’aménagement de voies radiales facilitant le rabattement direct, et plus largement à prévoir un maillage fin du réseau viaire afin de limiter les détours pour les usagers non motorisés.

Les cartes ZAP sont finalement un puissant outil d’aide à la décision qui peut contribuer à mesurer les efforts de maillage des réseaux piétonniers indispensables à la ville dense et à son attractivité et pousser ainsi à développer l’usage des transports publics et des modes actifs, dans une démarche de ville durable. LMCU a d’ailleurs en projet la densification du territoire autour des stations de TCSP, dans ce qu’elle appelle les « disques de valorisation des axes de transport » (DIVAT). Ces disques de 500 m autour des stations de métro, tramway et de certaines gares concentrent 1/3 des habitants sur 11 % du territoire. Des réflexions sont actuellement en cours pour créer également des DIVAT autour des 5 lignes de bus à haut niveau de service (appelées LIANES) en projet. Ainsi, 21 % du territoire et 56 % de la population de LMCU seraient concernés.

Conclusion Certes, les cartes ZAP ne rendent pas compte de tous les aspects des effets

de coupure. En particulier, elles ne permettent pas directement de comprendre le rôle clef de la vitesse dans la genèse des coupures et l’importance des politiques de modération de la circulation pour les traiter. Seule une analyse plus approfondie, reposant sur une approche générale des coupures, peut révéler l’intérêt d’une telle politique.

Les cartes ZAP ont cependant de multiples vertus. Elles rendent enfin visibles les difficultés des piétons qui n’ont pas seulement besoin de trottoirs libres d’obstacles, mais aussi et surtout de trajets plus directs. Elles fournissent un diagnostic du taux de desserte que tout le monde peut s’approprier aisément. Elles peuvent décrire les impacts a priori et a posteriori des aménagements et des générateurs de trafic sur les déplacements des piétons. Elles montrent aux responsables de transports publics comment mieux rentabiliser leur investissement. Bref, elles soulignent les liens entre urbanisme et déplacements.

Avec elles, techniciens et élus peuvent mieux comprendre les enjeux de la ville durable et la manière de la réaliser. Car il ne sert pas à grand chose de densifier les villes si leurs réseaux restent conçus d’abord pour l’automobile. Pour maintenir l’accessibilité d’une ville plus dense et forcément plus lente, un meilleur maillage des réseaux piétonniers et cyclables est désormais un complément indispensable.

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Les zones de desserte à pied autour des stations de transport public urbain

© Les collections de l’INRETS 63

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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante

Véronique Michaud RATP-DGIDD-Prospective et conception innovante 54 quai de la Rapée 75999 Paris Cedex 12, France [email protected]

Résumé – Socle de la mobilité, la marche s’avère être un outil puissant pour réinterpréter toute la gamme des modes de déplacement et les façons d’habiter l’espace. Au-delà des multiples approches sectorielles dont il a fait l’objet – sécurité, accessibilité, cadre de vie… –, le piéton, véritable acteur urbain, bénéficie aujourd’hui d’une attention nouvelle, en lien avec les exigences du développement durable. Grâce à un savoir-faire technique renouvelé, croisant de multiples disciplines, et sous réserve d’un véritable portage politique, la marche peut devenir une source d’innovation au service des politiques de mobilité. Mode pivot de la mobilité multimodale, la marche facilitée, valorisée peut être davantage qu’un segment du système de déplacement, et offrir également une solution à la saturation des réseaux de transports collectifs. C’est forte de la conviction que la marche est appelé à jouer un rôle important dans la conception et la gestion de la mobilité urbaine que la RATP a initié un travail dont la vocation est de nourrir les stratégies de développement de l’opérateur de mobilité. Appliquant la méthode « KCP » développée avec le Centre de gestion scientifique de la l’Ecole des Mines de Paris, le séminaire et les ateliers de conception innovante ont fait émerger de nouvelles connaissances sur la marche et une approche renouvelée du piéton. Il ont permis aussi d’engager des travaux de recherche et des expérimentations autour des correspondances, qu’il s’agisse de « correspondances urbaines » entre mode ferré et bus ou tramway ou de nouvelles connexions inscrites au Plan produit sous le nom de « correspondances par la ville », de la signalétique et de la sécurisation des cheminements pédestres.

Mots-clés : marche, mode actif, correspondance, cheminement, signalétique

Mode de déplacement à part entière et mode des correspondances dans la

chaîne de transport, la marche a peu fait l’objet d’une approche ciblée en France. Or elle représente une part importante des déplacements urbains ; 54 % dans une ville comme Paris, 33 % en Île-de-France et dans de nombreuses agglomérations françaises. Par ailleurs, la qualité et le confort des itinéraires pédestres conditionnent largement l’attractivité de l’offre de transports publics.

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Marche et mobilité

66 © Les collections de l’INRETS

Le vélo et ses nouveaux développements ont bien fait prendre conscience que ce dernier n’est pas un élément marginal mais un composant à part entière de la mobilité. Tout laisse à croire que sa grande sœur dans la famille des modes actifs est appelée à entrer également de plein pied dans le conception et la gestion de la mobilité urbaine, ce qui n’a guère été le cas dans les années passées. C’est forte de cette conviction que la RATP a initié un travail qui, bien qu’étant conduit en amont des stratégies de développement, est appelé les nourrir.

La marche, mode de déplacement à part entière et mode des correspondances entre les modes permet en outre d’interroger voire de repenser en profondeur la mobilité et donc, en un sens, la ville elle-même.

Diagnostic Nouvelles représentations

Le champ de la mobilité urbaine est en pleine mutation. Dans cette évolution, l’individu est appelé à jouer un rôle actif. Le passage d’une notion de « transport » à celle de « mobilité », au paradigme de la personne mobile, fait de l’individu marcheur un acteur central : tout déplacement, quel que soit le mode emprunté, suppose que l’on marche, avant, après et même pendant !

La marche est en train d’évoluer d’un statut de sympathique mode doux à celui d’opérateur de transformations en profondeur de la mobilité et de la vie urbaine.

L’aménagement des espaces, l’amélioration de la qualité d’usage des lieux, la facilitation de trajectoires piétonnes, cohérentes, continues, agréables et sûres sont des conditions indispensables mais non suffisantes à la conquête d’un véritable statut de mode de transport à part et à la promotion de la marche urbaine. Les accessoires – notamment grâce aux NTIC –, les signes extérieurs et la dimension symbolique participent à la montée en grade de la marche comme mode à égalité avec les autres. La qualité des espaces publics ne garantit pas à elle seule un regain d’intérêt pour la marche. En phase de réappropriation et de rééquilibrage de la voie publique, d’élaboration d’un nouveau « contrat » de partage de l’espace impliquant la négociation avec tous les usagers et acteurs de la rue (d’un nouveau « Code de la rue »), les grands événements éphémères comme Nuits blanches et Paris plage à Paris, la Fête des lumières à Lyon, etc., les périodes d’interdiction de la circulation automobile (Paris respire) exercent une forte influence sur les changements de représentation. Ils montrent aux citadins tout le champ des possibles en termes de mobilité.

Intermodalité La marche remise au cœur d’un système de mobilité urbaine durable offre

un vaste domaine de re-conception du lien entre ville et transports et ouvre à l’entreprise un champ d’innovation fécond face aux nouvelles demandes des territoires et aux enjeux du développement durable et de la saturation des réseaux.

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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante

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L’usager de la RATP et des réseaux de transports collectifs est un être multimodal. Et un grand marcheur qui, tél Monsieur Jourdain, l’ignore le plus souvent ! En rabattement vers le réseau, en « éclatement » depuis les stations, et dans les correspondances, qu’elles soient souterraines ou en surface (entre tramway et métro, RER et bus, tram et bus, etc.).

La marche est par excellence le mode des correspondances. C’est un champ de conception important si on considère le déplacement à pied non pas comme une fatalité mais comme un élément à intégrer dans l’expérience des voyageurs. Et une composante importante du service. Proposer des trajets par la rue alternatifs aux correspondances en sous-sol ou à des courts trajets en métro, augmenter la connectivité du réseau avec de nouvelles « correspondances par la ville », en guidant le voyageur sur son trajet (jalonnement, signalétique, infomobilité), cheminements faciles et agréables… sont des pistes de projets qui peuvent intéresser l’exploitant de transports publics.

La marche, comme le vélo, peut aider à relever de nouveaux défis. Les atouts de la marche ont été relayés à cet égard par une problématique jusque là peu connectée à ces réflexions : la saturation des réseaux de transports collectifs. A Londres, TFL a décidé de consacrer des investissements importants dans le domaine de la marche et du vélo pour contribuer à la désaturation du métro londonien, partant de l’observation que près de 20 % des trajets en métro seraient plus rapide à pied !

Dans la perspective de l’accueil des JO de 2012, Londres souhaite devenir une « walking-friendly city ». Le programme Legible London (Londres lisible) est un ensemble de mesures pour créer un nouveau réseau de trajets sûrs, simples et rapides pour les cyclistes et les piétons.

Le constat de départ était clair, quelques chiffres clés le démontrent :

− 55 % des déplacements journaliers se font en marchant ;

− 88 % apprécient de marcher dans Londres ;

− 1 londonien sur 7 a du mal à trouver son chemin dans Londres et 1 sur 4 a peur de se perdre sachant que 32 systèmes de signalétique urbaine pour les marcheurs coexistent, et ceci seulement dans la zone du péage urbain ;

− 77 % se réfèrent à des distances relatives en temps plus qu’en distance ;

− 44,7 % des londoniens utilisent la carte du métro pour planifier leurs déplacements, sachant que 45 % trouvent la signalétique urbaine « imprévisible » ;

− 66 % des voyageurs déclarent préférer marcher que prendre les transports publics s’ils ont à disposition une carte « marche », (80 % chez les touristes).

Après une phase d’études préalables, une expérimentation a été menée en novembre 2007 avec évaluation en 2008. Elle concerne la part des déplacements accessibles à pied de moins de 2 km ou 25 minutes environ. Pour le métro, 1 trajet sur 10 fait moins de 2 km et 109 trajets entre stations de métro sont plus rapides à la marche qu’en métro, soit 55 % du total des trajets

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Marche et mobilité

68 © Les collections de l’INRETS

inférieurs à 2 km. Une expérimentation a été menée sur Oxford Street autour de la station de métro Bond Street, forte zone de chalandise (200 millions de visiteurs par an dont 87 % à pied). La démarche s’est concentrée sur les questions d’orientation (cartes de vie quotidienne) et de navigation (signalétique urbaine) à partir de différents scénarios d’usage. Une signalétique a été conçue sous des formats et sur des supports suffisamment diversifié (totems, panneaux, mobiles, plans…) pour permettre à chacun de marcher et s’orienter. Elle associe information verbale et visuelle en recourant à des représentations mixant une carte en perspective avec des objets en relief, dans un style inspiré des Google maps.

Marcher avec le métro L’oubli qui frappe la marche, depuis plus de 25 ans en France, fait que nous

avons encore peu de données. Quelques calculs réalisés récemment sur le réseau RATP nous donnent cependant des indications déjà précieuses : 49 % des parcours métro de moins de 1 km sont plus rapides à pied (en prenant une vitesse moyenne de marche de 4 km/h). L’essentiel de ces trajets à pied est constitué par des couples de stations très proches mais physiquement éloignées sur le réseau du fait de leur appartenance à des lignes de métro différentes. Dans de nombreux cas, le gain de temps d’un trajet en métro n’est que de quelques minutes et toute perturbation dans la fréquence et/ou la vitesse du mode ferrée peut favoriser l’alternative marche. Une perturbation de 15 minutes multiplie ainsi par 9 le nombre de trajets entre stations plus rapides à effectuer à pied. La quasi-totalité des trajets de moins de 1,5 km devient plus rapide à réaliser à pied (avec une vitesse moyenne de marche de 3 km/h).

Il est évident que d’autres facteurs interviennent pour rendre le mode marche attractif en tant qu’alternative à un trajet court en métro, ou pour remédier à une perturbation. L’information voyageur en est l’un des plus stratégiques : information sur la durée de la perturbation, jalonnement et signalétique piétonniers, guidage (GPS, RATP dans ma poche, etc.). Et bien entendu les conditions du déplacement à pied : performances personnelles du voyageur, encombrement, cadre urbain, sécurité des cheminements, agrément…

La marche est une alliée des transports publics : on voit ici comment elle s’articule bien avec le métro. Comment on peut « marcher avec le métro » ! Certaines de ces correspondances par la ville, alternatives aux correspondances classiques en souterrain, pourraient être portées sur le plan du réseau et signalées dans les stations. En cas de perturbation, des plans-guides pourraient être fournis aux voyageurs pour leur permettre de retrouver une connexion avec le réseau en effectuant ces correspondances de surface simplement et efficacement.

Et pourquoi ne pas envisager de façon plus générale la ville en surface comme une ressource du réseau souterrain et les cheminements piétonniers depuis la station comme un prolongement du voyage ?

La ligne 10 du métro parisien et ses agents étudient actuellement plusieurs de ces possibilités. Soulignons également qu’au quotidien, les questions des usagers portent autant sur les transports eux-mêmes que sur l’accès à un lieu

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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante

© Les collections de l’INRETS 69

donné qui, bien sûr, intègre la marche. La prise en compte des besoins du marcheur participe donc de la relation de service au voyageur.

La marche mode innovant Les travaux de la Prospective RATP ont rencontré un écho grandissant ;

notamment parce qu’ils recoupent des enjeux importants de santé publique, d’aménagement et de sécurité urbaine, de partage de la voirie, d’accessibilité et de développement durable.

Cette démarche a mis en évidence que les métiers de la RATP ne sont pas étrangers à la marche. Il existe en fait un grand savoir-faire autour du piéton mais celui-ci est dispersé : calculs d’évacuation, gestion des flux, signalétique, calcul d’itinéraires... Une discipline transversale s’est ainsi constituée des expertises de la marche à la RATP, une « piétonique » qu’il s’agit aussi de valoriser.

La RATP est elle-aussi impliquée dans un processus général de rééquilibrage de l’usage de la voirie. Les problématiques de « marchabilité » (englobant l’accessibilité) deviennent déterminantes dans la conception des espaces et des offres de transport. A titre d’exemple, dans le cadre de l’insertion des futurs terminaux de l’extension du tramway des Maréchaux, la question des circulations piétonnes sera centrale dans la conception du site, des échanges et correspondances. Elle demandera une analyse fine environnement-comportements et des solutions innovantes, au-delà des traitements traditionnels de l’espace public partagé. De même, les réalisations de site propre – projets structurants – doivent être des réalisations à l’échelle du piéton : c’est la condition de leur intégration urbaine, de leur capacité à créer de nouvelles centralités en proche couronne, à assurer des continuités en retissant la maille fine des itinéraires piétons, à favoriser de nouvelles mobilités et de nouvelles habitudes.

Le marcheur est en outre un acteur sensible. Aussi l’ambiance des espaces publics et des lieux du transport conditionne-t-elle les comportements et les usages. La responsabilité de l’opérateur de mobilité porte aussi sur le confort du voyageur-marcheur, sa sécurité, réelle et subjective, sa perception des distances et de l’accessibilité des lieux et des modes… Les voyageurs marchent dans le métro et en sortent pour rejoindre leur destination : la qualité de cette marche est un élément essentiel du confort et de la qualité de service.

Marcher, ce n’est pas seulement accéder à quelque chose, une destination, un autre mode de transport. C’est aussi une expérience multisensorielle, un espace-temps aux mille et une sensations ! Le marcheur configure en effet l’espace dans lequel il chemine. Il est non seulement en prise avec son environnement, il est un vecteur de sa production, de sa fabrication. Il recompose en marchant l’espace de son déplacement. L’enjeu consiste à amplifier cette production, ce potentiel de conception dont dispose le piéton en tant qu’acteur urbain total. Après avoir voulu le canaliser pendant ces trente dernières années, il s’agit de redonner au piéton toutes ses capacités d’action grâce à une marche plus performante, plus agréable, plus confortable. Le marcheur urbain aura alors accès à toutes les ressources de la ville ou presque. Il surfera ainsi sur les différentes échelles du déplacement : à pied, en transports collectifs ou encore à vélo.

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Marche et mobilité

70 © Les collections de l’INRETS

Méthodologie : une démarche de prospective et de conception innovante La méthode KCP

Le premier défi était de trouver une méthode pour penser la marche, objet vaste et fuyant par excellence, et pour dépasser ses handicaps en lien avec la représentation commune de ce mode : lenteur, inefficacité, vulnérabilité... En outre, la réflexion bute vite sur le constat qu’il n’y a pas un concepteur unique mais une multitude de concepteurs de la marche. Comment l’opérateur de transport peut-il, dès lors, appréhender ce mode quasi universel ?

De même, il n’y a pas une expertise mais une multitude de connaissances et d’expériences sur la marche, comme l’a montré la première phase du séminaire, constituant une difficulté supplémentaire.

D’autre part, si marcher c’est aussi s’arrêter, si la marche ne se résume pas au mouvement, notre objet est partout au risque d’être évanescent ce qui constitue un autre défi quant à la légitimité de l’opérateur de mobilité vis-à-vis de cet objet d’étude et de d’innovation.

A partir de plusieurs hypothèses d’innovation attachées à la marche, la démarche a consisté à réunir les meilleurs chercheurs et à s’appuyer sur une méthodologie en pointe, la méthode « KCP » développée avec le Centre de gestion de l’Ecole des Mines de Paris. Elle est désormais approfondie et propagée dans le cadre d’une chaire de la théorie de la conception innovante de l’ENSMP soutenue par cinq grands groupes industriels français dans les secteurs de l’automobile ou de l’énergie et la RATP.

« La marche au cœur des mobilités » est le cinquième atelier KCP piloté par la Prospective de la RATP après « l’avenir des systèmes de transport urbain de surface (ASTUS) », « le métro du XXIe siècle », « la station urbaine de surface la nuit » et « les dessertes spécifiques » entre 2004 et 2008.

Phase « K » : le séminaire « La marche au cœur des mobilités urbaines »

Ce séminaire a est résolument transversal, associant collaborateurs de la RATP et partenaires extérieurs comme la Ville de Paris, la Région d'Ile-de-France, le Certu, le Conseil national des transports et le Coliac (Comité de liaison pour l'accessibilité dans les transports et le cadre bâti), des chercheurs et des associations. Transversal également dans les métiers de l'entreprise puisqu'il réunit des responsables de l'exploitation – RER, Métro, Tramway, Bus – du marketing, du design, de l'aménagement des espaces, de l'information voyageurs, du développement territorial...

La première phase ou « phase K » (Knowledge) a pour but le partage et la capitalisation des connaissances. Une série de séances a été organisée au cours desquelles des collaborateurs, experts (RATP et externes), chercheurs et représentants de la société civile (associations) ont été conviés à éclairer et à débattre les thèmes et hypothèses formulés.

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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante

© Les collections de l’INRETS 71

Quatre sessions ont eu lieu sur les thèmes : 1) La marche et la ville qui va avec, 2) Vers un nouveau contrat de partage de l’espace : du Code de la route au Code de la rue, 3) Marcher, c’est produire son mode & son espace : vers un « pedestrian empowerment », 4) Le corps en marche dans la ville : bien-être, santé et performance du marcheur.

Des marches exploratoires se sont déroulées à Genève en prologue à l’atelier de conception (lire ci-après) afin de découvrir le plan Piétons de la ville, sa démarche de valorisation de la marche et les promenades thématiques qu’elle a créées depuis dix ans.

Phase 2 ou phase « C » : le séminaire de conception collective

L’atelier de conception innovante a pris la forme d’un atelier résidentiel sur deux jours, à Annemasse. Il avait pour but d’ouvrir des alternatives conceptuelles à forte valeur et de guider les explorations ultérieures. Et, partant, d’enclencher un processus d’innovation autour de la marche et de son rôle dans l’intermodalité faisant appel à la création et à la connaissance et à un mouvement des idées entre ces deux pôles. A partir d’une base très large de connaissances obtenue pendant la phase 1, des pratiques d’acteurs très variés et des regards les plus ouverts, l’atelier de conception a pour objet de proposer, voire de provoquer, des évolutions, de mobiliser les acteurs et d’élaborer de nouveaux concepts et produits autour de la marche.

Phase 3 ou phase « P » : élaboration de pistes émergentes

C’est la phase « P » (projet, perspective, piste) de la démarche de conception innovante (KCP) qui vise une traduction sous forme d’exploration et d’expérimentations.

Cette phase vise des expérimentations autour notamment de terrains qui peuvent s’offrir à l’application des concepts et pistes retenues : les espaces du métro et du RER (couloirs, correspondances), les rabattements sur les stations du tramway des Maréchaux mis en service à Paris en décembre 2006, les itinéraires alternatifs aux correspondances traditionnelles et à l’occasion de fermeture des stations du métro, etc.

Il s’agit d’observer comment se modifient les habitudes de déplacements et en quoi les circulations douces procèdent d’une valorisation des territoires (y compris grâce à un potentiel bien exploré en grande couronne), d’étudier comment les zones de chalandises des stations du TCSP se mettent en place, comment les espaces évoluent et de nouvelles habitudes s’installent. Enfin, comment la prise en compte du piéton dans les espaces souterrains du métro et du RER permet d’envisager des solutions qualitatives et nouvelles croisant les savoir-faire de l’entreprise (conception des espaces, gestion des flux, signalétique, etc.).

Cette démarche trouve également des points d’appui et d’expérimentation communs notamment avec les concepts de stations de nuit, de « station service mobile », d’ « i-mobile » issus des travaux récents de conception innovante de la prospective de la RATP.

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Marche et mobilité

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Les principaux développements Une recherche-action en partenariat avec le Collège de France est issue

de ce séminaire et vient de démarrer sur « la locomotion humaine visuellement guidée dans le métro », sous la direction du professeur Berthoz du Collège de France. Elle vise à améliorer la marche dans un environnement complexe comme le métro qui pose un grand nombre de questions sur l’organisation du déplacement et la navigation. Comment un piéton planifie-t-il une trajectoire ? Comment les modifie-t-il en cours d’exécution ? Comment prend-il ses informations au fur et à mesure du cheminement ? La vision joue un rôle essentiel. Le regard permet une stabilisation des informations visuelles, une localisation de la cible et de la trajectoire. Le guidage visuel est en interaction avec l’environnement : la vision périphérique dans un environnement contraint est sollicitée par exemple dans un déplacement dans un flux, ou lorsque le voyageur réalise d’autres tâches. La vision permet d’anticiper, de planifier, réguler la stabilité dynamique du corps, programmer des stratégies d’évitement.

Les travaux de la prospective sur la marche ouvrent également un champ d’intervention pour l’opérateur de transports dans le lien entre mobilité et santé par la prévention de la sédentarité et la pratique d’une activité physique régulière. A ce titre, l’entreprise participe au projet européen TAPAS, « Transportation, air pollution and physical activities, an integrated health risk assessment program of climate change and urban policies ». Coordonné par le CREAL (Fundacio Privada Centre de Recerca Epidemiologia Ambiental) de Barcelone, en collaboration avec l’IRMES et l’ADEME pour la France, il associe les villes de Copenhague (CCHS : Copenhagen City Heart Study) et de Bale (ISPM : Public Health Institute of the Faculty of Medicine of Basel University). La marche dans le métro parisien est notamment étudiée dans le cadre de ce projet dont le but est l’aide au développement des politiques urbaines conciliables avec les changements climatiques et la promotion des effets liés à la santé, l’évaluation des conditions et des politiques qui encouragent la mobilité et les transports actifs, et leur impact sur la santé. Il vise également à développer des outils pour mesurer les effets bénéfiques sur la santé des politiques mises en place.

Une étude soutenue par la Fondation Sécurité routière (appel à projets 2008) est en cours, en partenariat avec la Direction de la voirie et des déplacements de la Mairie de Paris, sur la « Sécurité des piétons dans un espace public de transport : une affaire d’aménagement et d’ambiance ». A partir d’observations de terrains et d’enquêtes sur l’ergonomie de l’espace et sa perception, la recherche proposera des recommandations concrètes sur l’accompagnement du cheminement piéton suivant ses différents attributs : la signalisation, la signalétique, l’information voyageur et globalement l’aménagement. L’approche retenue implique toutes les disciplines de l’aménagement : concepteur, ergonome, psychosociologue, biomécaniciens… L’étude offre également un champ de discussion et de réflexion croisée entre la Ville et la RATP sur la sécurité des piétons-usagers du bus et du tramway, les solutions impliquant l’aménagement et l’exploitation, l’expertise des conducteurs.

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La marche au cœur des mobilités : une démarche innovante

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Le traitement de la signalétique piétonne dans les correspondances urbaines est une des pistes de solutions à la disposition de l’entreprise multimodale pour améliorer la sécurité du voyageur mais aussi pour que le niveau de service soit perçu dans ce traitement des « correspondances urbaines » (entre métro et tramway, métro ou RER et tram, etc.). Comment prend-on en charge le voyageur sur ce type de cheminement ? On pense immédiatement à la signalétique mais les situations, les publics, les aménagements sont très divers suivant les sites et on recherchera donc une panoplie de solutions. Peut-on créer une continuité symbolique qui reste ludique et qui fait de l’individu voyageur l’acteur de son déplacement ? En lui évitant cependant les chutes d’attention qui diminueraient la sécurité de sa trajectoire dans des espaces partagés. Ce travail qui a commencé à propos des cheminements de la desserte Roissy-Bus avec un marquage temporaire est en lien avec l’étude RATP DGIDD et Ville de Paris sur la « Sécurité des piétons dans un espace public de transport : une affaire d’aménagement et d’ambiance ». Il nourrira la réflexion sur le traitement des cheminements pédestres des correspondances urbaines avec trois sites d’expérimentation d’une signalétique pédestre en correspondances.

De nombreux piétons ne savent pas s’orienter en surface dans Paris et utilisent le métro pour des trajets pouvant être effectués à pied. En cas de perturbation d’une ligne, les voyageurs sont également nombreux à préférer attendre plutôt que de rejoindre une station de métro d’une autre ligne pourtant à quelques centaines de mètres. D’où l’idée, dans le cadre de l’évolution des métiers des agents de station, de donner une information sur les itinéraires de remplacement avec un bloc de fiches recto verso détachables qu'ils pourront distribuer aux usagers du métro. Ces fiches constituent une véritable aide au voyageur dans son déplacement à pied. Celui-ci n’est plus pris au piège lors d’une interruption du mode ferré. Elles comprennent un plan et des explications pour rejoindre une station de métro proche en effectuant donc une correspondance de surface. Ce bloc est aussi un outil en mode normal auprès des clients en entrée et sortie du réseau. L’agent en station devient un conseiller « marche » auprès de la clientèle. Cette proposition concrète est en cours d’expérimentation dans le réseau métro.

Conclusion Le plus « modeste » des modes, au moins en apparence, est aussi celui qui

permet le mieux de repenser voire « soigner » la mobilité urbaine. Nous commençons à re-découvrir que le véritable auto-mobile c'est l'humain marchant – doté de jambes et d'un cerveau ! – et de tout le reste, y compris chaussures et équipements portables, traditionnels ou High Tech. C'est le piéton qui prend le métro, le bus, la voiture ou le vélo. Les modes ne sont que les bottes de 7 lieues du marcheur, être multimodal par essence !

L’intérêt nouveau porté à la marche est au cœur d’un changement profond de paradigme. Les transporteurs prennent conscience aujourd’hui qu’il faut remettre l’homme au centre des progrès et des enjeux techniques.

L’opérateur de transport n’est pas un seul gestionnaire de flux. Il transporte des hommes et des femmes, tous différents. Il se doit d’individualiser ses offres

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Marche et mobilité

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de service ainsi que l’y invite le marketing. S’intéresser à l’humain et pas seulement à la technique, c’est s’intéresser à l’homme qui marche, doté d’un cerveau, d’un corps, d’outils d’information embarqués, de capacités très différentes d’un individu à l’autre…

Références Le Masson P., Weil B., Hatchuel A., Les processus d’innovation : conception

innovante et croissance des entreprises, Paris, Lavoisier

Demers, M. (2005), Pour une ville qui marche. Aménagement urbain et santé. Les éditions Ecosociété.

Michaud V., Segrestin B. (2008), La marche au cœur des mobilités – une démarche innovante. RATP collection Prospective RATP n°152

Thomas, R. (2005), Les territoires de l’accessibilité, Bernin, A la croisée

Paquot, T. (2006), Des corps urbains, sensibilités entre béton et bitume, Paris, éditions Autrement.

Solnit, R. (2002), L’art de marcher, Paris, Actes sud.

La rue entre réseaux et territoires, n° 66-67 de la revue Flux (octobre 2006–mars 2007)

Marcher, in Urbanisme, n° 359, mars-avril 2008

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Tribune libre

L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques

de guidage vocal

Morgane Roger Columbia Teachers College 525 West 120th St. New York, NY 10027, États-Unis [email protected] Nathalie Bonnardel Université de Provence, Aix-Marseille 1, UFR de Psychologie, Sciences de l’éducation 29 avenue Robert Schuman, 13621 Aix-en-Provence Cedex 1, France [email protected] Ludovic Le Bigot CerCA/MSHS 99 avenue du Recteur Pineau, 86000 Poitiers, France [email protected] Mots-clés : description d'itinéraire, navigation piétonne, utilisabilité, application de guidage

Introduction

L’expérimentation décrite ici porte sur l’interaction Homme-Machine avec un système téléphonique de guidage vocal simulé grâce à la technique du magicien d’Oz (Fraser & Gilbert, 1991). Plus précisément, elle porte sur la compréhension des instructions de guidage délivrées par ce système de guidage. Cependant, les travaux sur la compréhension de descriptions d’itinéraires sont peu nombreux et rarement appliqués à la conception de systèmes de guidage téléphoniques vocaux. Les travaux les plus proches sont ceux consacrés à la conception de systèmes de guidage automobile embarqués (cf., entre autres, Burns, 1997 ; Bengler, Haller & Zimmer, 1994 ; Burnett, 2000 ; May, Ross, & Osman, 2005). Ces travaux ont notamment montré que la présence de repères dans les instructions de guidage renforçait l’utilisabilité de ces systèmes (au sens de la norme ISO 9241-11, 1997). En outre, lors du guidage de piétons, différents types de repères peuvent être utilisés en fonction du cadre de référence utilisé pour les situer dans

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Marche et mobilité

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l'environnement du déplacement (Denis, 1997). Plus précisément, trois types de repères (cf. partie soulignée dans le texte) ont été définis par Denis : les repères non-localisés (par exemple, « il y a une boulangerie »), les repères exolocalisés (par exemple, « tu verras une boulangerie à droite du bar l’Espariat ») et les repères égolocalisés (par exemple, « tu auras une boulangerie sur ta droite »). L’objectif de cette expérimentation est ainsi d’étudier l’intérêt d’ajouter des repères dans les systèmes de guidage vocaux destinés aux piétons, tout en y intégrant la catégorisation des repères de Denis. Plus précisément, la présence de repères dans les instructions de guidage destinées aux piétons devrait améliorer l’utilisabilité des systèmes de guidage (i.e. aussi bien en termes de performances que de satisfaction. Il est ainsi attendu que 1) le temps de navigation soit plus court, 2) le nombre d'hésitations et d'erreurs de direction diminuent et que 3) la satisfaction s'améliore lorsque les instructions contiennent des repères que lorsqu'elles n’en contiennent pas.

Méthodologie

Participants Trente-trois étudiants de première année de psychologie de l’université de

Provence ont participé à cette expérimentation (3 hommes et 30 femmes). L'environnement de la tâche de navigation leur était ainsi inconnu. L'âge moyen était de 20,35 ans (E.T.= 3,18). Les participants ont été répartis aléatoirement dans les différentes conditions expérimentales.

Appareillage La personne guidée disposait d'un téléphone mobile Samsung équipé d'un

kit piéton. Le système était simulé (magicien d’Oz). Les dialogues entre le système simulé et la personne guidée ont été enregistrés directement sur le disque dur de l’ordinateur à l’aide du logiciel de traitement de fichiers sons Goldwave®. En parallèle, sur le terrain, une caméra numérique permettait d’enregistrer le déplacement des personnes guidées.

Trajets L’itinéraire à suivre faisait environ 1 800 mètres. Il était divisé en 4 mini

trajets d’environ 450 mètres chacun (par exemple, le premier trajet reliait la gare SNCF d’Aix-en-Provence au cinéma Mazarin).

Dispositif de simulation La simulation du système de guidage comportait deux composantes 1) les

enregistrements en synthèse vocale des instructions et 2) les commandes vocales du système. 1) Pour chaque trajet, des instructions de guidage ont été construites. Elles ont été synthétisées avec le logiciel SPOweb et enregistrées en fichiers .wav. Quatre versions de ces instructions ont été enregistrées. Les trois premières renfermant soit des repères égolocalisés, non-localisés ou exolocalisés. Quant à la dernière version, elle ne contenait aucun repère mais

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L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage vocal

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seulement des informations historiques utilisées pour niveler la longueur des instructions entre les différentes conditions (voir tableau 1). 2) L’interaction avec le système simulé reposait sur l’utilisation de cinq commandes vocales. Les trois premières permettaient de faire défiler les instructions de guidage en disant soit : « suivant(e)» ; « précédent(e) » ; « répéter ». Les deux dernières fonctionnalités permettaient de recommencer la séquence depuis le début en disant « recommencer » et de faire répéter l’ensemble des commandes vocales en disant « sommaire ».

Questionnaire sur les préférences de formulation Un questionnaire portant sur les préférences relatives aux instructions de

guidage fournies par le système a été élaboré afin de déterminer les formulations optimales pour la conception des systèmes de guidage envisagés ici. Le questionnaire se composait de quatre questions, contenant chacune quatre formulations d’instructions de guidage manipulées (voir tableau 1). Pour chaque question, le participant devait choisir la formulation qu’il préférait parmi les quatre proposées.

Tableau 1. Exemples de formulations des instructions de guidage manipulées

Repère non-localisé

Prendre à gauche l’avenue Malherbe, il y a un parking sous terrain dans cette rue

Repère exolocalisé

Prendre à gauche, avenue Malherbe, passez devant le Parc Mignet situé à droite de cette rue

Sans repère Prendre à gauche dans l’avenue Malherbe, Marc Antoine Malherbe fut gracié par le Cardinal Richelieu

Repère égolocalisé

Prendre à gauche dans l’avenue Malherbe, passez devant le Parc Mignet situé à votre droite

Résultats

Les données de performance ont été analysées par ANOVA avec la formulation des instructions de guidage (repères égolocalisés, exolocalisés, non-localisés, sans repère) en intragroupe.

Performances Le déplacement durait en moyenne 1 600 s (E.T. = 258,7). Les données

sont présentées dans le tableau 2. L’analyse n’a pas révélé d’effet des facteurs manipulés sur aucune des variables dépendantes de performances Fs(3, 90) < 1, ns.

Préférence de formulation Les données subjectives ont été analysées par une ANOVA de Friedman

pour échantillons appariés avec la formulation des instructions de guidage (repères égolocalisés, repères exolocalisés, non-localisés et sans repère) en

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Marche et mobilité

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facteur intragroupe. Les analyses ont montré un effet de la formulation sur les préférences des participants, N = 32, T = 39,04, p < 0,0001. Les données sont présentées dans le tableau 3. Les repères égolocalisés et exolocalisés étaient plus appréciés que l’ensemble des autres formulations, respectivement, N = 32, Ts < 31,00 p < 0,001 et N = 32, Ts < 44,00, p < 0,05. De plus les préférences relatives aux formulations sans repère et aux formulations contenant des repères non-localisés n’étaient pas significativement différentes. Ces deux formulations étaient les moins appréciées, N = 32, T = 26,00, p > 0,05.

Tableau 2. Moyennes (ET) des mesures de performances en fonction de la formulation des instructions de guidage

Mesures de performances

Temps Arrêts courts

Arrêts longs

Erreurs de direction

Repères non-localisés 367,0

(23,11)

0,95

(0,23)

0,70

(0,26)

0,35

(0,21)

Repères exolocalisés 388,1

(26,76)

1,35

(0,36)

0,50

(0,22)

0,25

(0,11)

Repères égolocalisés 384,6

(21,18)

0,90

(0,25)

0,85

(0,32)

0,50

(0,19)

Sans repère 421,4

(29,72)

1,00

(0,24)

1,10

(0,27)

0,35

(0,21)

Tableau 3. Moyennes (ET) de la répartition des repères dans les choix de préférence de formulation des instructions

Formulations Repères exolocalisés

Repères égolocalisés

Repères non- localisés

Sans repère

1,21

(0,94)

2,03

(1,12)

0,50

(0,71)

0,25

(0,76)

Conclusion

Cette étude permet de s’interroger sur les moyens d'améliorer la navigation piétonne assistée par un système vocal de guidage téléphonique. Dans ce cadre, les performances de navigation ainsi que la satisfaction des piétons ont été pris en compte. Plus précisément, l’effet de l’ajout de repères dans les instructions de guidage fournies par un système téléphonique de guidage vocal a été étudié. Bien que cette étude n'aie pas permis de montrer un effet des repères sur les performances de navigation, les résultats portant sur la satisfaction ont quant a eux montré que les participants préféraient les repères égolocalisés et exolocalisés. Dans la mesure où la satisfaction est partie prenante de l’utilisabilité d’un système(ISO 9241-11,1997, travaux sur l'affective computing Norman, 2004 ; Bonnardel et al., 2006.) ces résultats sont prometteurs et doivent être approfondis.

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L'effet des repères sur l'utilisabilité des systèmes téléphoniques de guidage vocal

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Références

Bengler, K., Haller, R., & Zimmer, A. (1994). Experimental optimisation of route guidance information using context information. Proceedings of the First World Congress on Applications of Transport and Intelligent Vehicle Highway Systems (pp. 1758-1765). Boston: Artech House.

Bonnardel, N., Piolat, A., Alpe, V., & Scotto Di Liguori, A. (2006). Conception d'une page d'accueil : esthétique et/ou informativité ? In A. Piolat (Ed.), Lire, écrire, communiquer et apprendre avec Internet (pp. 313-344). Marseille : Solal Edition.

Burnett, G., (2000). Turn right at the traffic lights. The requirements for landmarks in vehicle navigation systems. The Journal of Navigation, 53, 499-510.

Burns, P.C. (1997). Navigation and the older driver. Unpublished PhD dissertation, Loughborough University, UK.

Denis, M. (1997). The description of routes: A cognitive approach to the production of spatial discourse. Current Psychology of Cognition, 16, 409-458.

Fraser, N. M., & Gilbert, G. N. (1991). Simulating speech systems. Computer Speech and Language, 5, 81-99.

ISO 9241-11 (1997). Ergonomics requirements for office work with Visual Display Terminals (VDTs), Part 11 : Guidance on Usability, International Organization for Standardization, Geneva.

May, A., Ross, T., & Osman, Z. (2005). The design of next generation in-vehicle navigation systems for the older driver. Interacting with Computers, 17, 643-659.

Norman, D. A. (2004). Emotional design: why we love (or hate) everyday things. New York: Basic Books.

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Partie 2 Piéton et aménagement

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Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser

les espaces publics

Cynthia Ghorra-Gobin CNRS, 2, rue des Prêtres St Séverin, 75005 Paris, France [email protected]

Résumé – De récentes recherches soulignant les pratiques, les besoins et la vulnérabilité des piétons dans les villes participent au débat visant à réduire la circulation automobile et à réhabiliter la marche à pied tout en répondant à l’exigence de la mobilité indissociable de la dynamique économique ainsi que de la liberté de l’individu. Toutefois mieux connaître le piéton dans toute sa complexité ne peut suffire à modifier nos représentations habituelles et conventionnelles des modes de transports. En effet il s’avère impératif de prendre la mesure de la valeur symbolique de la figure du piéton dans la ville telle qu’elle a émergé dans l’histoire des villes – notamment celle des villes européennes – et de la revendiquer sur la scène politique. Aussi ce texte se propose de contribuer à la réflexion sur la durabilité urbaine –qui ne se réduit pas pour autant à une vision de ville pédestre- en mettant en évidence l’impératif d’une conceptualisation des espaces publics et de prise en compte des piétons à l’amont des projets urbains. Il s’agit en d’autres termes de rompre avec les méthodes de l’aménagement urbain héritées du XXe siècle ayant relégué le piéton et les espaces publics au simple statut de résidu du projet urbain, – en dehors bien entendu des quartiers historiques – et de démontrer qu’ensemble ils participent de l’attractivité territoriale.

Mots-clés : piéton, espace public, figure symbolique, aménagement urbain, attractivité territoriale

Réhabiliter le piéton et la marche à pied se présente désormais comme un

objectif incontournable si l’on veut aller au-delà du slogan en faveur du ‘partage de la voirie’ qui pour le moment a facilité la croissance des deux-roues dans la circulation urbaine. L’objectif de durabilité ou encore de ‘soutenabilité’ urbaine (Ghorra-Gobin et al., 2006) exige désormais d’accorder une place centrale au piéton tout en répondant à l’exigence de mobilité indissociable de la dynamique économique et de la liberté individuelle. D’où l’intérêt de récents travaux appréhendant de manière systématique les pratiques et besoins des piétons. Certains estiment toutefois que la portée de ce type d’approche est limitée pour modifier les représentations conventionnelles du piéton et des modes de transports encore associées aux notions de rapidité et d’efficacité et in fine pour

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Piéton et aménagement

84 © Les collections de l’INRETS

réhabiliter la marche à pied et lui donner un sens dans le parcours urbain. Ce texte se propose de mettre en évidence la mesure de la valeur symbolique de la figure du piéton et des espaces publics dans la ville en s’inscrivant dans la continuité de travaux ayant souligné leur émergence au cours de l’histoire, notamment de l’histoire des villes européennes (Benevolo 1992).

L’adoption d’une telle posture ne dissocie plus le piéton ou le piéton dans la foule de la configuration spatiale dans lequel il se meut, c’est à dire les espaces publics. Le binôme ‘piéton’ /‘espaces publics’ participe de l’inscription du devenir de l’urbain dans une perspective de développement durable, une vision qui ne se réduit pas pour autant à celle de « ville pédestre » puisqu’il est question d’associer la marche à pied à l’usage des transports en commun. D’où l’impératif d’un sérieux effort de conceptualisation des espaces publics et de leur prise en compte des piétons à l’amont de tout projet urbain afin d’éviter de les reléguer au simple statut de « résidu » de l’aménagement urbain, soit d’y penser une fois l’aménagement achevé. En effet tout au long du XXe siècle, sous l’influence de l’urbanisme des réseaux techniques et de la théorie de l’architecture moderne, l’aménagement urbain a complètement négligé les espaces publics en tant que fondement du vivre-ensemble. Le sujet des espaces publics n’était abordé qu’une fois l’aménagement terminé, en dehors bien entendu des rues et places localisées dans des quartiers historiques répondant ainsi aux attentes de touristes et visiteurs en quête de dépaysement dans le temps et l’espace. Après avoir rappelé combien le piéton et les espaces publics participent de la pérennité de la ville -alors que celle-ci a fait face à de sérieuses mutations sociales, culturelles et économiques-, l’analyse insiste sur la rupture qui se produit au XXe siècle et plus particulièrement dans sa seconde moitié où l’exercice de planification spatiale se réduit à penser les réseaux reliant les différentes zones composant le tissu urbain (zones d’habitat et zones fonctionnelles concentrant emplois et loisirs). La conclusion propose de dépasser cette rupture épistémologique de l’aménagement urbain afin de réhabiliter le piéton tout en lui accordant une valeur symbolique dans les espaces publics et de ce fait dans le paysage urbain.

Le piéton, symbole de la pérennité de la ville Tout piéton circulant par définition dans un espace public urbain témoigne

simultanément de la pérennité de la ville et de son devenir, bien plus que les bâtiments qualifiés d’anciens. En effet tout bâtiment de la ville est susceptible d’être détruit une fois que sa fonction principale (économique, sociale ou culturelle) ne correspond plus aux exigences du moment. Toutefois il peut ne pas être démoli si les acteurs en présence (publics et privés) s’organisent pour le faire figurer dans la catégorie « patrimoine historique » ou encore faire preuve d’invention pour en modifier l’affectation. Ainsi un bâtiment industriel ou encore un bâtiment utile lors de la phase du capitalisme industriel dont l’affectation est jugée peu importante par la suite, est susceptible de devenir « friches industrielles » si la pollution des sols et sédiments exige de lourdes interventions de remédiation. Il peut également être réhabilité pour y abriter un musée (quai d’Orsay), un centre culturel, un jardin public (parc Citroën à Paris) ou encore des logements (lofts). Dans les années 1960, les urbanistes utilisaient l’expression « rénovation urbaine » pour revendiquer la logique de la destruction se distinguant ainsi de

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Promouvoir la figure symbolique du piéton : conceptualiser les espaces publics

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celle de la réhabilitation urbaine. Depuis une dizaine d’années, les aménageurs parlent de l’impératif d’un « renouvellement urbain » assurant « mixité fonctionnelle » et « mixité sociale » et favorisant une certaine densité du cadre bâti dans le but de réhabiliter le piéton et la marche à pied. Ces arguments se retrouvent aussi bien chez les tenants du New Urbanism – un courant architectural et urbanistique du monde anglo-américain – qu’auprès des concepteurs d’éco-quartiers (Ghorra-Gobin 2006).

Tout au long de l’histoire urbaine, la durée de vie d’un bâtiment pouvait être jugée limitée (pour des raisons diverses et variées) mais sa disparition entraînait rarement l’effacement du tracé viaire (et donc des espaces publics) assurant la pérennité de l’îlot ou d’un quartier, même si les fonctions n’étaient plus vraiment les mêmes. Cette représentation du tracé viaire et des espaces publics comme témoin privilégié de la pérennité ou encore de la durabilité des villes se vérifie dans de nombreux quartiers même si elle a été sérieusement mise à mal dans la deuxième moitié du XXe siècle au nom de l’efficacité. A Paris, tout habitant (y compris les touristes) sait que la rue St Jacques – dont le tracé commence sur la rive gauche de la Seine et traverse tout le 5e arrondissement – correspond au « cardo » romain, soit l’axe majeur (nord-sud) remontant ainsi à l’époque de la ville romaine. Aussi cette représentation des espaces publics assurant la continuité de la ville dans l’histoire ainsi que sa durabilité tout en ayant la fonction de support matériel de la marche à pied et du piéton, a disparu à l’heure du triomphe de l’urbanisme de réseaux et de l’architecture moderne. A partir des années 1860, Napoléon III et le préfet Haussmann ont été à l’origine de la destruction d’une grande partie de l’habitat médiéval pour équiper la ville d’un réseau d’infrastructures souterraines, pour imposer un nouveau tracé de voies afin de faciliter la circulation des personnes et des biens tout en se donnant les moyens d’y exercer un contrôle social. Mais ce travail gigantesque n’a pas eu pour effet de négliger le piéton qui en fait a été placé au centre de ce nouvel dispositif urbain. C’est en effet dans la seconde moitié du XIXe siècle que les notions de rues et de boulevards commerçants s’inscrivent dans le tissu urbain tout en offrant une nouvelle esthétique urbaine s’inscrivant dans l’idéal de la perspective urbaine. La rupture avec l’idée d’un aménagement urbain prenant en compte le piéton a été brutale au milieu du XXe siècle – y compris dans une ville historique comme Paris – où le piéton en tant que figure centrale de l’aménage-ment urbain et du souci de la pérennité urbaine a disparu au profit d’une « nouvelle » stratégie urbaine. Cette dernière se proposant de retravailler et de refonder le parcellaire afin de disposer de vastes terrains pour y bâtir des bâtiments dits fonctionnels et y ériger (parfois aussi) des tours tout en facilitant la circulation automobile. A priori il était certes aisé d’imaginer que, compte tenu de l’avancée des techniques, on pouvait densifier le tissu urbain et ainsi répondre à la demande de logements ou encore de bureaux. Mais ce travail s’est opéré en dehors de toute référence à l’égard du piéton sauf quand il s’agissait d’assurer le cheminement de la voiture au bâtiment. Le principe fondateur de l’urbanisme, soit l’interface entre le bâtiment et la rue où circule le piéton a disparu de l’imaginaire aménageur.

Cette idée bien surprenante de la théorie moderne de l’architecture visant à séparer de manière systématique cheminements piétons et circulation automobile tout en intégrant la création de vastes zones de parking, a ainsi donné naissance

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à l’urbanisme de dalle. Cette théorie aurait pu se limiter à influencer l’aménage-ment urbain dans des espaces suburbains et péri-urbains comme à la Défense (situé à l’ouest de la ville de Paris) mais elle a également marqué la ville traditionnelle. L’architecture de dalle qui se retrouve aussi à Paris (15e et 13e arrondissements) intra-muros, a définitivement dévalorisé le piéton et la marche à pied. La dalle correspond à une vaste esplanade de béton où le piéton est soumis aux aléas naturels, comme la pluie, la neige, le vent et le soleil sans aucun aménagement susceptible de l’abriter quelques instants, comme peut le faire toute rue commerçante (sans pour autant avoir la configuration d’une rue à arcades). Aussi le piéton qui à partir de la Renaissance fut progressivement inclus dans le projet urbain jusqu’à y représenter la figure centrale, a tout simplement été relégué au rôle d’un individu contraint de se déplacer de son domicile, lieu de travail ou encore d’un équipement (culturel, social ou commercial) en empruntant un parking ou une zone de parking. Seule la dimension fonctionnelle du profil du piéton, soit le trajet à pied à l’écart des flux de voitures, a été prise en compte. On ne parle plus de « marche à pied » mais de « trajet à pied », ce qui indique le profond changement de sens conféré au piéton en tant que figure témoin de la pérennité de la ville.

Le souci d’une valorisation permanente des espaces publics -qui comme on vient de le dire a contribué à assurer la pérennité de la ville ou encore sa durabilité- n’est pas un phénomène naturel mais s’est progressivement construit parallèlement à l’affirmation et à l’émancipation d’une société (civile) s’affirmant dans le champ politique. La notion de centralité urbaine est certes associée aux trois pouvoirs en présence (politiques, religieux ou économiques) qui y ont édifié des bâtiments prestigieux mais elle a également intégré les notions de piéton et d’espace public, comme l’illustrent la construction du parvis de l’église et celle de la place « royale ». Dans une ville comme Paris, la fabrique des places a certes relevé de l’initiative royale dont l’ambition première était d’ériger une statue du roi symbolisant son pouvoir. Puis les événements historiques ayant marqué l’affranchissement de l’individu ou encore son émancipation du pouvoir royal ont entraîné la disparition de ces statues au profit d’une mise en scène de la société dans le paysage urbain. Le piéton ou encore la figure du piéton est indissociable de ces espaces publics qui sont le support matériel des interactions sociales dans l’anonymat et de la mise en scène de la société dans sa diversité sociale et culturelle. Le piéton et les espaces publics assurent ensemble la fonction symbolique du vivre-ensemble. En effet le jeu des interactions sociales se déroulant dans les espaces publics simule le jeu de l’égalité de tous, une image certes symbolique de la démocratie ou encore du pacte républicain mais hautement significative (de la Pradelle 2001).

Le piéton disparaît de la scène de l’aménagement urbain

Rappeler la pertinence du piéton tout en l’inscrivant dans la pérennité urbaine autorise à mettre en évidence la rupture qui se produit au XXe siècle ainsi que son héritage dans les représentations et pratiques de l’aménagement urbain de ce début de siècle dans le but de bien cerner les enjeux de la recherche visant à réhabiliter le piéton et de la marche à pied. Octroyer un

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simple statut de « résidu » aux espaces publics dans le cadre de l’aménagement urbain alors que ces derniers avaient fait l’objet d’une attention particulière et privilégiée au cours de l’histoire urbaine (notamment dans les villes européennes) n’est pas le fruit du hasard mais s’inscrit dans un souci de rationalité propre à l’heure du capitalisme industriel. Ce souci d’une certaine rationalisation de la forme urbaine comme de la mobilité associée à la vitesse relève en fait de la conjugaison de deux idéologies puissantes, l’une appartenant à l’architecture moderne et l’autre à la théorie des réseaux. Ces deux idéologies ont été défendues par des personnages charismatiques et ont été incarnées par deux documents qui ont servi de référence à la pensée aménagiste du siècle dernier. Il s’agit de la Charte d’Athènes et du rapport Buchanan. A ces deux documents qui ont marqué la deuxième moitié du XXe siècle s’ajoute la contribution magistrale du philosophe allemand Habermas.

Le premier document a fait l’objet d’un large débat dans le cadre du IVe Congrès des CIAM (Congrès international d’architecture moderne) qui en 1933 avait choisi de travailler sur la thématique de la ville fonctionnelle. Rédigé par l’architecte Le Corbusier, il fut publié en 1941 sous l’intitulé de Charte d’Athènes qui a posé les fondements de la notion de « zonage ». Tout aménagement urbain devait se limiter à prendre en compte quatre fonctions : les zones de vie, de travail, de loisirs et les infrastructures permettant de relier ces trois zones. Le tissu urbain fut alors perçu comme une simple juxtaposition de fonctions dont les relations devaient s’établir naturellement grâce à la circulation permise par les réseaux techniques. Le piéton, la marche à pied et les espaces publics étaient désormais jugés désuets en dehors peut-être du souci de sécurité accordé au piéton dans le trajet le menant de l’automobile à son domicile. Comme l’indique clairement l’architecte-urbaniste David Mangin, il n’est pas alors étonnant de faire le constat en ce début de XIXe siècle de l’avènement d’une « ville franchisée » dont chacune des quatre fonctions est désormais remplie par des acteurs spécifiques privilégiant chacun dans leur domaine, une rentabilité immédiate. Toute idée relevant de la complexité du tissu urbain, de la valeur symbolique du cadre bâti et des espaces publics, et de la référence au piéton et à la marche à pied ont ainsi été effacés de nos représentations de la ville.

A la suite de ce document magistral que représente la Charte d’Athènes, un deuxième rapport rédigé par un ingénieur spécialiste des réseaux conforte et renforce cette représentation de la ville en mettant l’accent cette fois-ci sur les déplacements et les transports et l’impératif d’une rapide adaptation de la ville à la circulation automobile. Ce rapport rédigé en 1963 par le professeur Sir Colin D. Buchanan à la demande du ministre des transports britanniques et intitulé, Traffic in towns, a convaincu tout aménageur et tout responsable politique de reconceptualiser et revoir la ville à partir du prisme de la voiture. Le spécialiste des réseaux proposait de repenser la ville à partir de la notion de fluidité tout en suggérant de préserver les îlots qualifiés d’historiques. Le rapport Buchanan publié vingt deux ans après la Charte d’Athènes a d’emblée été considéré comme le volet complémentaire au premier. Sa légitimité provenait de son ancrage dans l’idéologie prônant les notions de « réseau » et d’» infrastructure ». A la ville pensée en termes de zonage s’ajoute la conviction d’une ville désormais appartenant à l’âge de la voiture (motor-age town). Toutefois comme le souligne Sir Peter Hall (2004), Buchanan a pris la précaution d’indiquer que les villes

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européennes n’étant pas identiques aux villes américaines, il fallait assurer la préservation des quartiers historiques susceptibles de s’inscrire dans la catégorie de patrimoine historique.

A ces deux rapports ayant été très rapidement reconnus comme les documents-phares de l’aménagement urbain, s’ajoute l’année de la publication du rapport Buchanan, l’ouvrage d’un éminent philosophe sur la question de l’espace public. Jürgen Habermas, le philosophe européen du XXe siècle, retraçait dans un brillant essai l’évolution des espaces publics dans les villes européennes en mettant notamment l’accent sur le déclin progressif de la matérialité des espaces publics au profit de l’avènement de l’espace médiatique. La pensée de Habermas telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage de 1963 intitulé L’espace public : archéologie de la publicité s’avéra en fait moins nuancée que dans La théorie de l’agir communicationnel remontant au début des années 1980. Habermas, reconnu comme le théoricien de la communication, a analysé la construction historique d’un espace de discussion régi par le principe de la publicité s’opposant progressivement à la logique de la fonctionnalité de l’autorité publique dominée par le secret d’État. Il définit alors l’espace public, comme « un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun ». Il reconnaît son avènement comme une spécificité majeure de l’Europe moderne en mesure de se doter d’espaces publics bourgeois et ainsi faire contrepoids au pouvoir absolutiste. Chacun reconnaît la contribution majeure du philosophe allemand qui réussit à concevoir et donner un sens à la notion de sphère publique pour la différencier de l’espace privé ainsi que d’un espace public entièrement régi par l’État central. Habermas a ainsi mis l’accent sur l’évolution des mentalités et plus particulièrement sur la dimension éthique de la communication, en raison de nos capacités à faire évoluer la démocratie délibérative. Toutefois en faisant le constat du rôle négligeable de la matérialité des espaces publics parallèlement à l’avènement de la démocratie délibérative, Habermas a complètement négligé la dimension symbolique du piéton et des espaces publics. Toute référence à la valeur symbolique du vivre ensemble est balayée de nos représentations : Habermas nie la matérialité des espaces publics pour mieux souligner l’émergence d’un espace médiatique autorisant la démocratie délibérative. L’œuvre d’Habermas a contribué avec la Charte d’Athènes et le rapport Buchanan à occulter la figure symbolique du piéton dans les espaces publics comme témoin éphémère et instantané de nos capacités à instaurer et construire le vivre-ensemble.

La convergence des points de vue de Le Corbusier, de Sir Buchanan et du philosophe Habermas bien que relevant chacun d’un domaine bien spécifique concourent à l’affaiblissement et la disparition du piéton et des espaces publics dans la pensée aménagiste. La figure du piéton s’efface au profit de la suprématie des réseaux. Seuls les débats concernant les quartiers dits historiques continuent d’intégrer les espaces publics mais ils ne sont là qu’au service de la patrimonialisation du cadre bâti. Quant aux rues, avenues et boulevards, ils sont instrumentalisés au profit d’une mobilité pensée en termes de vitesse et de ce fait centrée sur le véhicule automobile. Les piétons sont alors uniquement perçus sous l’angle accidentologique11.

11 Pour illustrer l’ensemble du propos de cette seconde partie, consulter le dossier du Le Monde 2, du 8 mars 2008, intitulé « Le Paris auquel on a échappé : 1959-1974 », 53-61.

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Cette sérieuse négligence de l’aménagement urbain (sous la houlette des autorités publiques) à l’égard des espaces publics a facilité l’entrée de nouveaux acteurs (relevant le plus souvent de la promotion immobilière privée) qui ont rapidement cerné l’intérêt d’une réappropriation des espaces publics dans une logique purement marchande. De nombreux travaux qui ont ainsi pris pour objet d’études les centres commerciaux, les parcs à thèmes et plus récemment les centres résidentiels fermés (gated communities), ont mis en évidence l’avènement de ces ‘espaces privés ouverts au public’. Toutefois rares sont les études qui ont suffisamment souligné la rupture de sens qui s’établit entre l’image du piéton inscrit dans la logique d’une société de consommation et la valeur symbolique de la présence du piéton dans les espaces publics de la ville.

Conclusion : dépasser la rupture épistémologique

Ce rappel de la rupture dans la pensée aménagiste de la seconde moitié du 20ème siècle par rapport aux pratiques antérieures concernant notamment le piéton et les espaces publics avait pour objectif de souligner l’ampleur de la tâche qui nous revient pour réintroduire le piéton dans nos représentations de la ville et réhabiliter la marche à pied. Il ne s’agit pas de revendiquer au XXIe siècle la production d’espaces publics à l’image de ceux produits au cours de l’histoire mais de rappeler la valeur symbolique du piéton dans les espaces publics. L’analyse a privilégié l’hypothèse d’une réhabilitation du piéton et de la marche à pied associée à la revalorisation des espaces publics. Les interactions symboliques entre piétons se déroulant dans l’anonymat, l’instantané et l’éphémère ainsi que la mise en scène de la société dans sa diversité sociale et culturelle représentent au quotidien l’image symbolique du vivre ensemble. Les espaces publics définis comme des espaces accessibles à tous ne sont pas des lieux de sociabilité et de fabrication du lien social, ils véhiculent en revanche le symbole du vivre-ensemble et in fine du pacte républicain.

Aussi réhabiliter le piéton et la marche à pied dans l’environnement urbain en s’inscrivant dans une perspective de développement durable et dans le but de mettre fin à une vision de la mobilité centrée principalement sur la voiture automobile (pour ne pas parler de monopole), exige tout compte fait de revaloriser la figure du piéton dans les espaces publics. Ce travail devrait autoriser l’aménagement urbain à mettre au centre de sa pensée le piéton tout comme les espaces publics et de ne plus se limiter à les penser comme de simples résidus. Ce qui en pratique signifie revoir les prescriptions de l’urbanisme réglementaire (PLU) tout comme celles du Plan de déplacement urbain (PDU) ou encore du Plan-Climat en s’inscrivant dans une démarche similaire à celle initiée à l’occasion du code de la rue. La procédure du permis de construire devrait être revue de manière à ce que les élus locaux (responsables de l’aménagement urbain) accordent une attention particulière au dessin des façades des bâtiments (publics ou privés) notamment au niveau de la rue et des deux premiers étages. Les trois premiers niveaux de la façade d’un bâtiment ne peuvent plus être perçus comme un élément relevant du geste de l’architecte mais comme un élément également constitutif des espaces

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publics. Ce point de vue qui consiste à dire que la façade à l’échelle du piéton relève des espaces publics est déjà adopté par certains élus locaux soucieux de lutter contre les tags. Ne pourrait-il pas être étendu à la construction de tout nouveau bâtiment ? Les acteurs de la ville peuvent en effet revoir les documents d’urbanisme et s’appuyer sur un eux pour dépasser la rupture épistémologique du XXe siècle et ainsi réhabiliter le piéton et la marche à pied. Ce travail s’inscrit dans l’objectif visant à revisiter nos représentations de la mobilité et penser la ville durable.

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

en situation de traversée complexe : le cas lors du franchissement

de voies en site propre dans Paris

Florence Huguenin-Richard Université de Paris 4-Sorbonne, UFR de géographie et d’aménagement, Laboratoire ENEC CNRS UMR 8185 191 rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France [email protected]

Résumé – L’objectif de cet article est de présenter une étude d’évaluation de la sécurité aux abords de sites propres (bus et tramway) dans la ville de Paris. L’intérêt repose dans la méthodologie mise en place : au lieu d’étudier classiquement de l’observation des accidents de la circulation survenus, c’est l’observation des comportements de traversée des piétons qui est le point de départ de cette analyse. Elle permet aussi de poser un regard critique mais objectif sur un certain nombre d’aménagements de l’espace public et de la voirie réalisés ces dernières années.

Mots-clés : site propre, piéton, comportement, traversée

Introduction Depuis le début des années 2000, plusieurs aménagements de voirie ont

été réalisés dans Paris afin de séparer certains réseaux de transport collectif de la circulation automobile avec notamment la mise en site propre de lignes de bus – projet appelée Mobilien – et d’une nouveau tramway sur le boulevard des Maréchaux (T3 sud). Chacun de ces projets a fait l’objet d’aménagements structurels spécifiques de la chaussée et parfois même de la rue. Ils s’intègrent dans une politique plus large de développement des modes de transport urbains alternatifs à la voiture et de report modal. Ces aménagements, dont l’objectif premier consiste à faciliter la circulation de moyens de transport en commun, réorganisent l’espace public. De fait, de nouvelles règles de partage de la voirie sont établies explicitement ou implicitement entre les usagers qui y circulent (automobilistes, piétons, cyclistes, cyclomoteurs, bus, tramway…). Ils s’accompagnent parfois aussi d’une complexification de l’environnement et par là même de l’action de déplacement (aménagements divers, augmentation de

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la signalétique…). C’est alors que de nouveaux conflits entre usagers peuvent apparaître.

Le bilan en termes de sécurité sur ces axes réaménagés, estimé par le nombre d’accidents corporels avant et après les travaux, montre des différences notables. Si un gain de sécurité a été observé sur le site du tramway (une baisse de 40 % de l’accidentologie a été observée depuis sa mise en service en décembre 2006 selon la Mairie de Paris), ce n’est pas forcément le cas sur les sites propres de bus. L’objectif de cette étude réside dans cet état de fait : quel est l’impact de ce type d’aménagements urbains en termes de sécurité notamment pour les usagers les plus vulnérables que sont les piétons ?

La méthode mise en œuvre repose sur une approche éthologique : des enquêteurs, postés aux abords des passages piétonniers, ont réalisé des observations non participantes des comportements des piétons en situation réelle de traversée. Ces observations ont été suivies d’entretiens.

Pour relater cette étude, nous suivrons un plan en trois parties. La première nous permettra de présenter les différents sites d’observation ainsi que les aménagements qui leur est propres. Ensuite, nous exposerons en détails la grille d’observations utilisée. Pour terminer, nous proposerons une synthèse des résultats obtenus.

Figure 1. Carte de localisation des différents sites d’observation dans la ville de Paris

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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Huit sites d’observation dans la ville A partir de l’expertise en matière de sécurité routière réalisée par le service

de la voirie de la Mairie de Paris, six sites ont été sélectionnés afin d’y mener une série d’observations fines des comportements de piétons adultes. Ils se répartissent de la façon suivante (cf. Figure 1) :

− deux sites le long de la ligne de tramway T3 sud (le premier au niveau de la porte de Choisy et le second sis porte d’Orléans) ;

− quatre autres sites sur le tracé des différentes lignes de bus en site propre, plus problématiques en matière de sécurité (boulevard Saint-Marcel, boulevard de l’Hôpital, boulevard Saint-Michel et pour finir boulevard Montparnasse).

Pour chacun de ces sites, deux traversées ont été observés, ce qui porte à douze le nombre total de passages piétonniers étudiés.

Un contexte de mobilité particulier Paris est une ville où l’on marche relativement beaucoup : presqu’un

déplacement sur deux est effectué à pied par les résidents parisiens (d’après l’Enquête Globale de Transport d’Île-de-France de 2001). Compte-tenu de sa forte densité, de l’importance de son réseau de transport en commun, de la présence de larges trottoirs sur ces boulevards, et de son patrimoine culturel, Paris a toujours été une ville propice à la marche. D’ailleurs bon nombre de résidents parisiens ne possèdent pas de voiture, phénomène bien caractéristique des hypercentres (53 % des ménages sont non motorisés). Malgré cela, les différentes enquêtes de mobilité montrent que l’évolution de ce mode de déplacement fut le même que dans les autres villes, mais dans une proportion moindre : la pratique de la marche à pied a baissé à partir des années 1970 jusqu’au début des années 1990, période à laquelle elle a connu un certain regain d’intérêt (respectivement de 50,5 % de déplacements pédestres à 45,2 %). D’après la dernière enquête en 2001, la marche tend à se stabiliser dans le système des mobilités (46,5 %). La durée de ces déplacements à pied n’a pas réellement augmentée, passant de 13 minutes en 1976 à 14 minutes en 2001. C’est d’ailleurs pour le motif « loisirs » que la durée est la plus importante (20 min), tandis que le trajet pour rejoindre le lieu de travail ou l’école dure en moyenne 14 et 13 minutes. En revanche, les distances parcourues ont connu une augmentation de près de 200 mètres (de 450 m en 1976 à 630 m en 2001). C’est évidemment l’augmentation de la vitesse qui a permis la réalisation de cette conjoncture bien connue : elle est passée de 1,8 km/h en 1976 à 2,8 km/h en 2001. Les déplacements à pied les plus rapides ont pour motif le travail (3,8 km/h) ; les plus lents, le motif « loisirs » (2,3 km/h). Les déplacements pour rejoindre l’école se faisant en moyenne à 2,8 km/h. Doit-on rapprocher cette augmentation de la vitesse des déplacements pédestres à une amélioration du réseau de circulation comme cela est le cas pour les modes mécanisés ? Ou est-ce là le reflet d’une société plus pressée ? Quelles conséquences l’augmentation de la vitesse des déplacements à pied a-t’elle en terme de prise de risque notam-ment lorsqu’il s’agit d’attendre de traverser une chaussée en fonction des feux de signalisation ? Ces questions étant posées, elles trouveront un intérêt tout parti-culier lors de notre phase d’observation des comportements en situation réelle.

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Des sites propres à Paris relativement récents Un site propre correspond à une ou plusieurs voies constitutives de la

chaussée réservées à l’usage d’une ligne de transport collectif, qui est alors qualifié de transport en commun en site propre (TSCP). Les modes de transport de surface pouvant bénéficier d’un site propre sont le bus, le tramway ou encore le trolleybus. Dans le cas d’une ligne de bus, on parle plus volontiers de « couloirs de bus ». Les métros sont pour leur part conçus en site propre intégral, c’est-à-dire sans croisement possible avec d’autres réseaux de transport. Le site propre est un principe d’aménagement urbain définit dans le Code de l’urbanisme (Article R211-5). Il se présente sous différentes formes :

− une voie de circulation délimitée des autres voies par un marquage au sol spécifique et une signalisation horizontale ;

− une démarcation physique infranchissable, isolant la voie des autres flux de circulation avec ou non croisement aux intersections.

L’objectif d’un tel aménagement est d’affranchir la circulation des bus ou des tramways de la gêne occasionnée par les flux automobiles principalement (obstacles, congestion…), afin d’améliorer la fréquence, la ponctualité et la vitesse commerciale des services de transport en commun. La création de site propre, en rognant sur la voirie dévolue aux automobiles, vise aussi à dissuader l’usage de la voiture et de favoriser un report modal vers le transport collectif. Pour terminer, on le plébiscite aussi pour ses effets positifs sur la diminution des émissions de polluants atmosphériques.

Des études sur l’impact des sites propres ont déjà été menées. Elles concernent principalement les impacts économiques (Boiteux, 2001), urbanistiques (Certu, 1996, 1998, 2000 / Revue Urbanisme, Dossier Tramway, n° 315, novembre-décembre 2000) ou encore environnementaux (Werquin, 2006). La question de l’impact de l’aménagement de voies en site propre sur la sécurité des piétons au cours de leur déplacement et plus particulièrement au moment de l’activité de traversée de la chaussée n’a pas à ce jour fait l’objet d’évaluation spécifique. C’est là le cœur de notre présente étude.

Les sites propres, bus ou tramway, ont connu un engouement important à partir des années 1980 dans de nombreuses villes françaises. Aujourd’hui, ces aménagements font partie du paysage urbain. Pourtant, ils sont relativement récents à Paris même. La ville, dans le cadre de son Plan de Déplacement Urbain dont l’approbation date de décembre 2000, s’est lancée dans deux grands projets de site propre de surface : le Mobilien, dont les travaux ont commencé dans l’été 2001, et le Tramway des Maréchaux (T3 sud) inauguré en décembre 2006 (cf. Figure 2). Les objectifs sont communs aux deux projets : améliorer le cadre de vie et l’offre de transport en commun de surface, proposer une alternative à la voiture, requalifier l’espace urbain. La sécurité des piétons est une préoccupation clairement affichée dans la présentation écrite des projets : création de refuges sur les traversées de larges boulevards où des couloirs de bus sont installés, réaménagement de certains carrefours à la faveur des piétons (élargissement des trottoirs), mise en place d’une nouvelle signalétique pour la circulation des automobilistes et des piétons dans les rues possédant un site propre. Le projet du tramway va plus loin encore avec l’objectif d’un embellissement de la ville par une « végétalisation » le long du

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tracé (plantation d’arbres, mise en gazon de la ligne afin de constituer un « ruban vert »). Enfin, le projet du tramway, contrairement à celui du Mobilien, a été confié à un architecte de renom. En effet, la RATP a lancé en 2002 un concours de design, remporté par Jean-Michel Wilmotte et Arnaud de Bussière.

Figure 2. Les rues aménagées en sites propres à Paris hors réseau secondaire (fin 2007)

Central ou axial, à double sens ou non : les multiples facettes du site propre

Côté bus

A terme, le programme Mobilien concernera l’aménagement en site propre de dix-huit lignes de bus dans Paris. Environ la moitié de ce linéaire a été traitée à la fin de l’année 2007, soit 189 km de voies. L’aménagement est réalisé de trois manières différentes :

− une délimitation sur la chaussée de l’espace réservé à la circulation des bus par un marquage au sol (peinture). Cela concerne 120 km de lignes de bus dont 17,5 km sont à contre-sens des voies de circulation automobiles ;

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Piéton et aménagement

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− une séparation physique des voies de circulation en installant une bordure en granit. Environ 42 km de voies sont équipées d’une bordure haute (de plus de 12 cm de hauteur et environ 50 cm de largeur), 5 km de voies par une bordure basse, un peu plus de 10 km sont en site propre véritable (sur chaussée indépendante dont 9 km avec des voies bidirectionnelles), les 10 km de couloirs de bus restants sont aménagés par une banquette large ;

− enfin, un peu plus d’1 km du linéaire correspond à des espaces piétonniers ouverts à la circulation des bus.

La circulation dans les couloirs de bus est règlementée pour les autres usagers : elle est autorisée pour les taxis et les véhicules d’urgence, interdite aux deux-roues motorisés, et ouverte à la circulation des vélos lorsque la largeur de la voie le permet (une largeur minimale de 4,50 m est jugée nécessaire).

Suivant le profil en travers de la rue (largeur) et les contraintes de circulation (flux, trafic provenant des rues adjacentes), les couloirs de bus se situent soit sur les côtés de la chaussée (on parle alors de site propre latéral), soit de part et d’autre des voies de circulation (il s’agit là d’un site propre axial). La circulation des bus dans les couloirs peut se faire à contre-sens des flux automobile.

En ce qui concerne les différents lieux de traversée retenus pour l’étude, les aménagements sont les suivants :

− sur le boulevard Montparnasse (cf. Photo 1), la zone de traversée est constituée de six voies de circulation, avec un site propre axial à double-sens ouvert aux vélos. De part et d’autre, on trouve deux voies de circulation automobiles à sens unique. La traversée piétonne se fait en plusieurs temps en fonction d’un système de feux décalés. Deux refuges ont été aménagés de chaque côté du couloir de bus. L’une des voies de bus est équipée d’un arrêt latéral par rapport au premier refuge ;

Photo 1. Vue en travers du boulevard du Montparnasse

Source : Streetview

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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− sur le boulevard Saint-Marcel (cf. Photo 2), le passage piétonnier franchit quatre voies de circulation dont un site propre latéral à double-sens ouvert aux vélos, auquel est juxtaposé un double-sens pour les voitures. La traversée se fait en deux temps avec présence d’un îlot central, d’un système de feux décalés et d’un marquage au sol spécifique pour rappeler les sens de circulation des bus aux piétons ;

Photo 2. Vue en travers du boulevard Saint-Marcel

Source : Streetview

− sur le boulevard Saint-Michel, deux voies distinctes en site propre latéral à sens unique situées de part et d’autre de la chaussée encadrent une double voie centrale à sens unique dévolue au trafic automobile. La traversée peut se faire là aussi en deux temps par la présence d’un petit refuge au niveau du couloir de bus à contre-sens. Une seule voie du site propre est ouverte à la circulation des vélos du fait de la faible largeur de la seconde (3,50 m) ;

Photo 3. Vue en travers du boulevard Saint-Michel

Source : Streetview

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Piéton et aménagement

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− sur le boulevard de l’Hôpital (cf. Photo 4), c’est une configuration différente encore que l’on peut observer. La chaussée est constituée d’une double voie latérale réservée au bus en double-sens (ouverte aux vélos), d’une double voie automobile à sens unique, et de deux autres voies pour la voiture à contre sens.

Photo 4. Vue en travers du boulevard de l’Hôpital

Source : Streetview

Au final, l’aménagement des couloirs de bus dans Paris revêt une grande diversité, ce qui peut poser des problèmes de sécurité lié à une mauvaise compréhension du site dans lequel les piétons et les autres usagers évoluent et doivent s’adapter. Est-ce que cette diversité et cette complexité de traitement et de partage de l’espace de circulation constitue ou pas un facteur supplémentaire de risque d’accident pour les piétons qui traversent ces chaussées ?

Côté tramway Le tramway T3 sud circule sur un espace qui lui est entièrement dédié, en

position central sur la chaussée le long des boulevards des Maréchaux (Porte d’Orléans), et en position latéral sur la fin de son parcours dans le 13e arrondissement (notamment Porte de Choisy). Généralement, les quais de station se font face. Plus rarement, ils se trouvent en décalage l’un par rapport à l’autre. Les automobilistes circulent de part et d’autre des rails du tramway sur des doubles voies à sens unique. La largeur de ces voies a volontairement été réduite de manière à inciter un apaisement des vitesses. Les cyclistes circulent sur des pistes qui leur sont réservés côté trottoirs, eux-mêmes élargis. Le tramway est prioritaire aux intersections par rapport au trafic de voitures : un feu se déclenche automatiquement à son approche afin de stopper les flux motorisés. L’accès aux stations pour les piétons a été sécurisé, l’arrivée du tramway correspondant à un feu rouge automobile et à un feu vert pour les piétons. Ainsi, la régulation du trafic et le cadencement des feux de signalisation doivent dépendre expressément du trafic du tramway lui-même. L’aménagement général de la rue a été repensé de manière à faciliter les déplacements piétonniers et à les sécuriser. Normalement, l’observation des comportements de traversée aux abords des stations du tramway ne devraient pas montrer de comportements déviants ou aberrants !

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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Observer les comportements des piétons en situation réelle de traversée

Bien souvent, les études de sécurité routière se fondent sur une analyse objective des accidents recensés et sur une estimation à postériori du risque (Huguenin-Richard, 2000). Cependant, l’accident correspondant à un évènement – heureusement – rare, ne reflète pas l’ensemble des difficultés et des dangers auxquels l’usager est confronté au cours de ses déplacements. Toutes les situations dangereuses que l’on peut rencontrer dans le système général de mobilité ne mène pas à un accident, car bien souvent il y a évitement. Mais elles peuvent nous renseigner plus finement sur les causes de danger, ces fameux facteurs du risque routier si difficiles à identifier. L’observation des conflits (Fleury, 1998) apparaît alors comme une alternative intéressante, bien que plus coûteuse à mettre en œuvre comme nous allons le voir.

Retour sur expériences La question du cheminement des piétons et de leur exposition au risque

d’accidents a été beaucoup plus débattue dans les pays anglo-saxons, et en particulier celle des déplacements des enfants sur le chemin domicile-école. Dans leur étude, Carré et Julien (2000) se sont livrés à une recherche bibliographique poussée, recensant plus de 900 références ayant trait à la sécurité, l’exposition au risque, l’accidentologie… des piétons !

Figure 3. Tracé du T3 et localisation des sites d’étude

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Piéton et aménagement

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Différentes méthodes d’investigation ont déjà été testées. Nous proposons de les classer en deux grandes familles : les méthodes de terrain, qui reposent sur une observation non participante de piétons en situation réelle (approche éthologique) et les enquêtes à domicile, plus classiques dont nous ne feront pas état ici. L’ampleur de ces enquêtes est souvent considérable du fait du grand nombre d’éléments à observer : le piéton lui-même, son trajet, son comportement, les caractéristiques environnementales des rues empruntées, les lieux de traversée et surtout le trafic routier avec lequel le piéton entre en interaction. Le choix de la méthode d’enquête est donc souvent lié à un équilibrage entre précision et finesse de la connaissance et/ou précision et finesse des conditions environnementales et du trafic routier.

Parmi les méthodes de terrain, trois retours d’expérience nous apparaissent intéressants à exposer :

− les études de sites (Routlege, 1974), pour lesquelles il s’agit de faire des observations sur un site (un lieu de traversée par exemple) pendant une période de temps donnée par un observateur posté qui relève un certain nombre d’informations selon une grille préalablement établie (nombre de traversées, conditions de ces traversées, caractéristiques et comportement des piétons…). Ces observations sont souvent complétées par un comptage du trafic routier. L’instrumentation de cette technique (utilisation d’un magnétophone, d’une tablette graphique ou d’une caméra) peut permettre d’augmenter la fiabilité et la quantité des relevés, sous condition de discrétion ;

− les enquêteurs mobiles (Knighting, 1972). Cette technique d’observation, originale et moins souvent utilisée, a été mise au point pour étudier les enfants piétons. Elle repose sur le parcours d’un secteur urbain par un enquêteur selon un cheminement prédéfini et au cours duquel différents relevés sont effectués chaque fois que l’enquêteur croise un enfant (position, activité, comportement, âge…). Ce procédé donne une assez bonne image de l’activité des enfants dans la rue et pas seulement au cours de leur trajet domicile-école. Dans l’étude citée, 2500 enfants ont été observés sur une période de vacances scolaires ;

− le suivi (Routlege, 1974 ; Carré et Julien, 2000). Un observateur suit un piéton et relève sur une carte le trajet effectué, les lieux de traversée, le comportement du piéton, les conditions de trafic et celles de l’environnement. Ce suivi peut être fait de manière furtive et minutée (5 minutes de suivi maximum par exemple) à partir d’un point de prise en charge du piéton (station de métro, gare…), comme cela a été testé à Lille (Bodin et Bonnet, 2005) ou en accord avec le piéton (Carré et Julien, 2000). Dans cette étude, 51 piétons ont été suivis une journée entière par un enquêteur du départ jusqu’au retour à son domicile. En ce qui concerne les piétons enfants, le suivi – plus délicat d’un point de vue éthique – est généralement réalisé suite à l’obtention d’un accord des parents. La prise en charge de l’enfant se fait souvent à la sortie de l’école sur une période de temps définie, à son insu de manière à ne pas influencer son comportement ; les enfants bénéficiant d’une autorisation de suivi étant repérables par un badge (Granié, 2004).

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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La méthodologie retenue Dans notre cas, l’objectif réside dans une meilleure connaissance des

comportements des piétons adultes en situation réelle de traversée de chaussée dans des environnements urbains particuliers et comparables. La méthode retenue est celle de l’observation non participante par plusieurs enquêteurs fixes postés aux abords de chaque passage piétonnier étudié. Les comportements ont été consignés dans le cadre très formel de plusieurs grilles d’observation, imprimées sur papier libre (cf. Figure 4). Le principe est le suivant : pratiquer un certain nombre de comptages suivant les cycles de feux piéton et automobile.

Un cycle de feux correspond à l’enchaînement des feux rouge, vert et orange permettant aux piétons et automobilistes de circuler de manière décalée. Un cycle débute par des feux rouges où piétons et automobilistes sont à l’arrêt, auquel fait suite un feu vert pour les piétons et rouge pour les automobilistes, puis un court retour au rouge pour tous permettant aux derniers piétons engagés sur le passage de terminer leur traversée en toute sécurité. Enfin, les feux passent au rouge pour les piétons et au vert puis orange pour les automobilistes. La durée de chaque séquence de feux est définie en fonction de la largeur des voies à traverser pour les piétons et de l’importance des flux automobiles en circulation. Deux objectifs sont en jeu : la sécurité et le confort des piétons en termes de temps de traversée et de temps d’attente, la fluidité du trafic automobile. Sur la figure 4, la durée du cycle de feux donné en exemple est de 64 minutes au total.

Au cours de l’enquête, pour chaque traversée retenue, quatre enquêteurs ont réalisé différents comptages successifs sur une période de dix cycles de feux consécutifs (soit environ 10 à 15 minutes de relevés par élément observé) : en premier lieu, le nombre de piétons traversant selon les couleurs conjointes des deux feux dans les deux sens de traversée (rouge voiture/ vert piéton, rouge voiture/ rouge piéton, vert voiture/ rouge piéton, orange voiture/ rouge piéton, rouge pour les piétons et les voitures). Pour effectuer ces comptages, les enquêteurs ont travaillé par binôme en se plaçant de part et d’autre du passage piétonnier (l’un comptant le nombre de traversées en fonction des feux de signalisation ; l’autre consignant les résultats). Lors des traversées au feu rouge piéton, le comportement des piétons a été consigné sur une autre feuille en précisant s’il marchait lentement ou courrait. Ensuite, deux enquêteurs ont réalisé des comptages de trafic (nombre de voitures, de vélos, de bus, de deux-roues motorisés) pendant que les deux autres menaient des entretiens auprès de piétons bienveillants (environ une dizaine par site). Enfin, les enquêteurs ont été chargés de dénombrer sur une autre période de cycles de feux les conflits observés entre les différents usagers sur le passage piétonnier ou à proximité en précisant la source du problème (tourne à gauche, tourne à droite, marche arrière, refus de priorité). Pour terminer, toutes les situations déviantes auxquelles les enquêteurs ont assisté pendant leur temps de présence sur le site ont été reportées de manière libre et textuelle.

Les observations ont été réalisées un jour de semaine au cours de tranches horaire précises, correspondant à des périodes de fortes fréquentations piétonnes (selon la répartition horaire des flux) : entre 12h00 et 14h00 ou entre 16h30 et 18h30. Les enquêteurs ont travaillé par équipe de quatre personnes.

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Piéton et aménagement

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Les principaux résultats et discussions Dans cet article, nous rendrons compte uniquement de résultats généraux

émanant de la compilation de tous les éléments mis en évidence pour l’ensemble des traversées étudiées, chaque site présentant des observations qui lui sont spécifiques.

Pour donner un ordre d’idée de la fréquentation des sites, un peu plus de 660 piétons ont été observés sur le principal passage piétonnier boulevard Montparnasse (pendant une période de dix cycles de feux) ; 650 piétons observés sur les deux passages de la Porte d’Orléans ; environ 450 piétons sur le boulevard Saint-Michel.

Figure 4. Un exemple de comptage selon les cycles de feux de signalisation

De manière générale Les piétons adultes jeunes (c’est-à-dire en pleine possession de leur moyen

physique) ont tendance à traverser plutôt en fonction du trafic quand celui-ci leur est favorable qu’en fonction des feux de signalisation. Ce comportement a d’ailleurs été relevé plus expressément aux abords du tramway (Porte de Choisy). La réduction de la largeur des voies de circulation automobile n’y est peut-être pas étrangère. Notons que les observations ont été réalisées dans des conditions de trafic calme à dense, jamais congestionné. Les piétons dans

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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l’ensemble sont apparus moyennement respectueux des feux de signalisation : le taux de traversée au feu rouge piéton tourne autour de 20 %. La plupart du temps, ces traversées illicites se font de manière tranquille (le piéton marche) et dans un contexte de trafic faible. A contrario, il a été observé sur l’ensemble des sites d’étude un bon respect du feu rouge voiture par les automobilistes.

La dangerosité ou la difficulté pour traverser (notions souvent confondues lors des entretiens effectués au cours de cette étude) est surtout décrite par deux catégories de piétons : les personnes âgées et les mamans accompagnées d’enfants : soient celles pour lesquelles les temps de traversée apparaissent trop courts. Il y a pourtant là un biais : ce sont aussi les catégories de personnes qui prennent plus facilement le temps de répondre ou qui viennent spontanément vers les enquêteurs.

Enfin, l’arrivée d’un bus ou d’un tramway en station a souvent été observée comme facteur de prise de risque : cas de traversées en courant, sans respect des feux, parfois même hors passage lorsque le nombre de voies n’est pas trop important.

Concernant le site propre « bus » La présence d’un îlot central faisant office de refuge pour les piétons lorsque

les chaussées sont trop larges ou lorsque la traversée se fait en deux temps en raison de feux décalés peut poser des problèmes de sécurité. Souvent de faible largeur, il ne peut pas forcément contenir le nombre de piétons qui s’y trouvent. Ceux-ci doivent donc attendre de traverser en empiétant sur les voies de circulation, ce qui les expose plus fortement à un risque de collision avec les véhicules en circulation ou les incitent à traverser sans respecter les feux de signalisation (cf. Figure 5). Les contresens parfois mis en place dans les couloirs de bus sont assez souvent mal perçus par les piétons. Cette lecture difficile voire erronée de l’environnement de circulation, malgré le marquage au sol et une signalisation horizontale, a été source de conflits plusieurs fois rapportés par les enquêteurs (un piéton s’engage pour traverser la voie, un bus arrive et doit freiner brutalement). A titre d’exemple, cela c’est présenté à plusieurs reprises sur le boulevard Saint-Michel, très fréquenté par une population de touristes non habituée au lieu.

Enfin, beaucoup de comportements déviants signalés sont l’œuvre d’usagers de deux-roues qui ne respectent pas les règles de conduite (cyclistes qui passent au feu voiture rouge ou qui traversent sur le passage piétonnier / deux-roues motorisés qui circulent dans les voies de bus).

Concernant le site propre « tramway » Les observations sur les lieux de traversée le long du tracé du tramway des

Maréchaux sud montrent un certain nombre de comportements non conformes à la règle : traversées en dehors du passage piétonnier ou au feu piéton rouge ou de manière latérale au centre de la chaussée (cf. figure 6). Elles montrent aussi un nombre important de conflits entre les piétons et les automobilistes (lors de manœuvre de « tourne à droite » ou lors de la traversée).

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Piéton et aménagement

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Figure 5. Comportements déviants et conflits, boulevard du Montparnasse

Figure 6. Comportements déviants et conflits, Porte d’Orléans

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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Figure 7. Comportements déviants, porte de Choisy

La cohabitation entre les différents modes de déplacements est un véritable enjeu dans ce type d’aménagement et met au défi les politiques de transfert modal et les plans de déplacement urbain. Sur le site de la porte de Choisy, on peut remarquer que la délimitation physique des différentes voies de circulation (piétonne, cycliste ou automobile) n’est pas suffisamment établie. Des piétons circulent sur les pistes cyclables et traversent hors des passages prévus à cet effets ; des cyclistes vont sur les voies de tramways... Il y a une confusion évidente des espaces qui peut être à l’origine de conflits.

Plus généralement, les deux sites étudiés sur le tracé du tramway correspondent à des espaces multimodaux (passage d’un mode de transport à un autre) de surface combinant un accès au réseau du métro ou de bus et un accès au tramway. La circulation automobile apparaît alors comme pertur-batrice des cheminements piétonniers car forçant le piéton à des temps d’arrêts au moment des traversées alors qu’il essaie le plus souvent d’optimiser son temps de déplacement entre deux correspondances. Par ailleurs, la localisation des passages protégés ne correspond pas forcément au chemin le plus court emprunté par les piétons pour rejoindre les différentes stations de transport mais obéît à des règles autres. Ces observations posent le problème plus général de la gestion des déplacements piétonniers au sein de la ville et du traitement des plates-formes multimodales de surface.

Conclusion, discussion En guise de conclusion, nous aimerions mettre l’accent sur l’intérêt d’une

telle étude sur le comportement du piéton en lien avec un aménagement spécifique. Plusieurs points peuvent être soulevés.

Diffus, quasi isotropes et dans une grande mesure stochastiques, les déplacements du piétons en termes de choix de trajet, de comportements et de tactiques de traversées sont mal connus. Nos travaux permettent, malgré le nombre restreint de sites observés, d’apporter quelques éléments nouveaux.

Ils mettent surtout en évidence la difficulté d’organiser au sein des villes des espaces multimodaux de surface sur lesquels circulent un nombre conséquent

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Piéton et aménagement

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d’usagers et de types d’usager. Afin d’en améliorer l’aménagement et la sécurité, que peuvent apporter des expériences comme le code de la rue en Belgique (en pourparlers à Paris) ou encore les zones de rencontre en Suisse (déjà reprise dans quelques villes françaises) ?

Quant à la méthode utilisée – reposant sur l’observation des pratiques, des comportements déviants et des conflits entre usagers –, elle permet de mettre en évidence des incohérences entre l’aménagement d’un espace de circulation tel qu’il a été pensé et les usages qui en sont réellement faits. Elle constitue de fait une solution pour évaluer la qualité d’un aménagement de l’espace public. Son efficacité peut certainement être améliorée en utilisant d’autres moyens de collecte tels que la vidéo. Cette dernière offre l’avantage de permettre à l’analyste de revenir sur des situations difficiles à capter à l’œil nu et en temps réel. En effet, de nombreux observateurs ont mis en avant la difficulté d’une telle technique (visualisation en directe dans un environnement complexe et report sur papier des faits, ce qui les a contraint à s’approprier la méthode par des phases de tests). L’interrogation des usagers tous types confondus (piétons, cyclistes, automobilistes) sur la perception des sites permettrait là aussi d’améliorer le diagnostic.

La généralisation constitue le second problème. Les sites étudiés, bien que similaires dans leur conception, ont tous fait l’objet d’observations plus singulières. Afin de pouvoir tirer des conclusions théoriques, il conviendrait de choisir des zones d’étude encore plus semblables, si cela est possible.

Enfin, la non-connaissance de l’accidentologie permet d’aborder l’analyse des sites sans a priori.

Références Boiteux et al. (2001) Transports : choix des investissements et coûts des

nuisances, La Documentation française, Paris, 328 p.

Carré et al. (2000) Présentation d’une méthode d’analyse des séquences piétonnières au cours des déplacements quotidiens des citadins et mesure de l’exposition au risque des piétons, Rapport de recherche INRETS n° 221, Paris, 109 p.

Certu (1996) Évaluation des transports en commun en site propre. Synthèse d’études réalisées en France dans le domaine de l’urbanisme, Rapport d’études, 166 p.

Certu (1998 : Évaluation des transports en commun en site propre. Méthodes d’observation des effets sur l’urbanisme et le cadre de vie, 130 p.

Certu (2000) Guide d’aménagement de voirie pour les transports collectifs, Certu, 267 p.

Fleury (1998) Sécurité et urbanisme. La prise en compte de la sécurité routière dans l’aménagement urbain, Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, Paris, 299 p.

Huguenin-Richard (2000) Approche géographique des accidents de la circulation : propositions de modes opératoires de diagnostic.

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Comportements, tactiques et conduites déviantes des piétons

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Application au territoire de la métropole lilloise, Doctorat de géographie, Université de Franche-Comté, 322 pages.

Knighting et al. (1972) A pilot study of child pedestrians in a residential area, TRRL, Technical report, n° 736, 26 p.

Granié (2004) L’éducation routière chez l’enfant : évaluation d’actions éducatives, Rapport de recherche INRETS n° 254, Paris, 258 p.

Lassare et al. (2007) Measuring accident risk exposure for pedestrians in different micro-environment, in Accident Analysis and Prevention, 39, pp.126-1238.

Revue Urbanisme – Dossier Tramway, n° 315, novembre-décembre 2000.

Revue Urbanisme – Dossier Marcher, n° 359, mars-avril 2008.

Routledge et al. (1974) The exposure of young children to accident risk as pedestrians, in Ergonomics, 17, 4, pp. 457-480.

Werquin (2006) Jardins en ville. Nouvelles tendances, nouvelles pratiques, Ed. Dominique Carré, Paris, 144 p.

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La démarche « code de la rue » : des travaux pour redonner

de la place au piéton et assurer sa sécurité en ville

Frédéric Murard, Samuel Martin Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu) 9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon Cedex 06, France [email protected] [email protected]

Résumé – Pour répondre aux enjeux contemporains et aider concrètement les gestionnaires de la voirie à mieux aménager et partager l'espace public entre les citoyens, le cadre juridique français devait évoluer. C'est tout le sens du travail engagé depuis 2006 par l'État, les élus, les professionnels de la voirie et les associations d'usagers autour du « code de la rue ». Cette démarche relève de l’inflexion des politiques publiques en faveur des modes doux, et défend l’idée de redonner de l’espace aux piétons en ville.

Mots-clés : priorité, vitesse, mobilité, concertation

Les attentes en matière d'aménagement de la voirie urbaine évoluent. A

l'heure de la ville accessible et multimodale, l'espace public doit plus que jamais assurer les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la cohabitation de tous les usagers. Le Code de la route devait s'adapter pour mieux prendre en compte ces préoccupations.

Le gouvernement français, à l'instar d'autres pays européens comme la Belgique, a souhaité mener une réflexion large autour des règles du Code de la route en milieu urbain, en réunissant les acteurs institutionnels et associatifs ; la démarche « code de la rue » a ainsi été lancée en 2006. Elle poursuit deux objectifs très complémentaires.

Le premier consiste à examiner, avec les acteurs institutionnels, associatifs et les professionnels de la voirie, les dispositions du Code de la route spécifiques au milieu urbain, et à mieux les faire connaître.

Le second consiste à faire évoluer les dispositions du Code de la route, lorsque cela s’avère nécessaire afin de mieux partager l'espace public entre tous les usagers, et d’offrir une plus grande sécurité de déplacements à tous, et plus particulièrement aux plus vulnérables, dont les piétons.

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Piéton et aménagement

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Cette démarche a conduit à la parution le 30 juillet 2008 du décret n°2008-754 qui fait apparaître un principe général de prudence et redéfinit l'aire piétonne et la zone 30, en même temps qu'il introduit en France le concept de « zone de rencontre ». Autant d'outils supplémentaires à disposition des collectivités pour faciliter l'appropriation de l'espace public urbain par les citadins.

Pourquoi faire évoluer la réglementation du Code de la route ? Une rédaction qui date, des évolutions encore insuffisantes

Des dispositions réglementaires centrées sur la circulation automobile

Dès sa publication en 1921 le Code de la route s’adresse principalement aux automobilistes. Plus tard, pendant la période des 30 glorieuses et l’essor de la motorisation, tout est fait pour adapter la ville à l’automobile, avec le souci de fluidifier la circulation. Le piéton perd de l’espace, et ses déplacements sont moins sûrs. A bien des égards, le Code de la route reflète cette primauté accordée à l'automobile : la place du piéton ou du cycliste n’y est souvent définie que dans ses liens avec la circulation des véhicules motorisés.

Si la vision du « tout voiture » est progressivement remise en cause à partir des années 70, notamment du fait de l’hécatombe routière, le Code de la route n’évolue que lentement.

Des enjeux nouveaux qui interrogent la réglementation

En matière de sécurité routière, il faut attendre les années 80 pour qu’un tournant soit pris en France avec le déploiement du programme partenarial Etat/collectivités territoriales « Ville plus sûre, quartiers sans accidents » (Certu, juillet 1994). La prise de conscience est enfin effective. Une orientation forte en faveur de la sécurité routière et de la prise en compte de la vie locale conduit à l'abaissement de la limitation de vitesse de 60 à 50 km/h en agglomération et à l'introduction de la « zone 30 » dans le Code de la route (1990).

Puis avec les dispositions de la loi « Solidarité et renouvellement urbains » (SRU) de 2000, la sécurité des déplacements devient une préoccupation majeure des plans de déplacements urbains (PDU). L’enjeu est de produire un système de déplacements confortable et équilibré en agglomération, valorisant en particulier les modes de déplacement doux.

Ces évolutions témoignent du rapprochement des problématiques de l'urbanisme et de la sécurité des déplacements. L'exigence sociale et politique d'un cadre de vie de qualité conduit par ailleurs a réinterroger les approches fonctionnalistes de l'aménagement de la voirie, relevant trop souvent de la simple « technique routière ». Dans ce contexte, le Code de la route devait aussi évoluer pour mieux prendre en compte la dimension urbaine de l'aménagement des rues.

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La démarche « code de la rue »

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Les spécificités du milieu urbain Un bilan de sécurité routière en demi teinte

Si aujourd'hui les progrès en termes de sécurité routière sont indéniables (4620 décès en 2007 contre 7742 en 2002) grâce à une politique volontariste, ils concernent plus les axes routiers interurbains que le milieu urbain. De plus, en milieu urbain cette baisse n'a pas été aussi forte pour tous les usagers. 1359 personnes ont ainsi été tuées en 2007 dans les agglomérations contre 2079 en 2002 : 459 conducteurs de deux-roues motorisés (34 %, soit un tiers), 379 piétons (28 %), 60 cyclistes (4 %). Parmi les 379 piétons décédés en milieu urbain en 2007, 245 étaient âgés de 65 ans et plus, soit 65 % (Source : Observatoire national interministériel de sécurité routière). Avec l’accroissement de la durée de vie de la population, le besoin des femmes et des hommes de conserver le plus longtemps possible leur autonomie se renforce. Cela passe, notamment, par la réalisation de grandes zones au sein desquelles l’on peut se déplacer à pied en toute quiétude.

Une diversité de pratiques et de besoins

En milieu urbain, l'espace public est polyvalent : la rue n'est jamais uniquement vouée à la circulation : elle accueille d'innombrables usages, activités et fonctions, qui participent à l'animation des villes et cohabitent plus ou moins aisément.

Parallèlement, les pratiques de déplacement se complexifient et nécessitent une prise en compte fine des besoins de chacun : personnes à mobilité réduite, piétons, cyclistes, usagers des transports en commun, livreurs, taxis etc. Cette multiplicité de pratiques et les revendications qui s'ensuivent ne vont pas sans générer des difficultés, dans la programmation comme dans l'usage des espaces publics. Dés lors, il incombe aux aménageurs et gestionnaires de la voirie d'opérer les choix d'aménagement appropriés.

De nouvelles pratiques d'aménagement

En milieu urbain plus qu'ailleurs, la logique fonctionnaliste de séparation des modes montre rapidement ses limites, tant en terme de qualité d'usage que de sécurité. Les aménagements doivent composer avec la mixité fonctionnelle propre à la rue, tout en assurant les conditions de sécurité et de convivialité indispensables à la cohabitation des usagers. C'est dans cet esprit qu'ont été aménagées de nombreuses zones 30 depuis 1990 (Certu, 2003) dans les villes et les villages. Cependant, au vu de la diversité des réalisations, il apparaît que la réglementation de 1990 sur les limitations de vitesse est insuffisamment précise pour répondre aux besoins du terrain : confusion entre limitation de vitesse à 30 km/h et priorité du piéton, confusion entre aire piétonne destinée aux piétons et espace ouvert à la circulation où le piéton est prioritaire. De plus les aménageurs ne trouvent pas dans la réglementation les outils adéquats pour répondre à certaines situations, et des adaptations locales sans fondement juridique sont réalisées : espaces « semi-piétons », zones à vitesse limitée à 10 km/h ou 15 km/h par exemple.

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Piéton et aménagement

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La démarche « code de la rue » Fort de ce constat, le Certu organise en décembre 2004 un colloque «piéton,

vélo, moto, que se passe-t-il en Europe ? » Cette grande manifestation rassemble de nombreuses associations. Au programme : le code de la rue Belge.

C'est sous ce nom qu'a été menée en Belgique, entre 2000 et 2004, une démarche participative portant sur la partie urbaine de l’équivalent belge du Code de la route. Ce travail très ouvert a abouti à la sortie d’un « code de la rue », et a été conduit sur un mode participatif avec l’ensemble des associations et professionnels concernés. Il a abouti à une révision du code de la route avec l’approbation d’un nouveau code en 2004 qui s’applique à l’urbain et à l’interurbain.

Le message trouve tout de suite un écho favorable auprès des associations françaises d’usagers et des collectivités territoriales présentes.

Les associations, notamment de cyclistes, portent alors la demande d’un « code de la rue » en France.

La méthode adoptée Lancée en France le 18 avril 2006 par Dominique Perben, ministre des

transports, la démarche « Code de la rue » est pilotée par la Direction de la sécurité et de la circulation routières avec l’appui du Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, du ministère du Développement durable.

Le périmètre est large puisqu’il s’agit de faire réfléchir l’ensemble des associations concernées par la sécurité routière en milieu urbain, qu’il s’agisse des associations orientées usager (piéton, PMR, roller, vélo, moto, auto), généralistes (Rue de l’avenir, la Prévention routière), ou représentant les collectivités au niveau des techniciens (Association des ingénieurs territoriaux de France, Association des techniciens territoriaux de France, Groupement des autorités organisatrices des transports, Club des villes cyclables, Association des départements cyclables...) ou des organismes paritaires (Conseil national des transports, Comité de liaison sur l’accessibilité).

Le principe participatif de la démarche implique un double engagement : celui de l'État d’instruire les propositions partagées au sein du comité de pilotage ; celui des autres acteurs qui participent à la réflexion de diffuser les résultats.

La réflexion est alimentée par les enseignements tirés de pratiques étrangères et d’expériences françaises.

Les cibles finales sont les décideurs, les aménageurs, ainsi que les usagers.

Les premières évolutions réglementaires issues de la démarche

Le décret du 30 juillet 2008 correspond à l'instruction des premières propositions issues de la démarche « code de la rue ». Il introduit plusieurs nouveautés favorables aux piétons.

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La démarche « code de la rue »

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L'introduction de la zone de rencontre dans le Code de la route

Le statut de « zone de rencontre » est introduit et défini. C'est un espace ouvert à tous les modes de déplacement, où les piétons bénéficient de la priorité sur tous les véhicules à l'exception des tramways et peuvent se déplacer sur toute la largeur de la voirie ; pour que cela soit possible, la vitesse des véhicules y est limitée à 20 km/h.

Panneau d'entrée dans une zone de rencontre

Source : Certu

L'évolution passe également par une modification réglementaire des zones de circulation particulières en milieu urbain que sont l'aire piétonne et la zone 30. Cette clarification de la réglementation, ainsi que l'introduction de la zone de rencontre, donnent ou précisent les outils à la disposition des collectivités pour favoriser la mobilité piétonne. En particulier, la zone de rencontre, déjà expérimentée en Suisse, en Belgique et en Allemagne – mais aussi préfigurée en France dans certaines villes comme Chambéry – semble répondre à un besoin réel : celui de qualifier réglementairement des espaces aménagés avec le souci de la mixité des usages tout en privilégiant la protection du piéton. Un premier effet d'entraînement est déjà perceptible dans les collectivités qui avaient déjà enclenché une réflexion sur le sujet, notamment dans le sens d'une généralisation des zones 30.

Le principe de prudence

Un principe de prudence a été introduit dans le Code de la route : le conducteur « doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit notamment faire preuve d'une prudence accrue à l'égard des usagers les plus vulnérables ». Ainsi, d'une manière générale, les usagers qui ont la protection physique la plus efficace doivent redoubler de vigilance en présence d'usagers vulnérables – ou lorsque leur présence est prévisible : cela concerne l'automobiliste à l'égard du piéton, le chauffeur de poids lourd vis-à-vis de l'automobiliste, mais aussi le cycliste vis-à-vis du piéton. Ce principe, médiatisé sous le nom de « principe de prudence du plus fort par rapport au plus faible », donne tout son sens aux règles applicables dans les zones de rencontre où le piéton est prioritaire et la limitation de vitesse des véhicules réduite (inférieure à 20 km/h). Il existe en Suisse et Belgique.

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Piéton et aménagement

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La généralisation du double-sens cyclable dans les zones 30 et zones de rencontre

Enfin, le double sens cyclable dans les zones 30 et les zones de rencontre est généralisé (sauf cas particulier). Concrètement, le décret prévoit ainsi qu'au 1er juillet 2010 dans les zones 30 et zones de rencontre tous les sens uniques dans ces zones, à de rares exceptions près pour des raisons particulières de sécurité, seront ouverts aux cyclistes dans les deux sens. Les collectivités devront donc d'ici là mettre en place la signalisation adaptée, et au besoin recourir aux aménagements nécessaires, pour satisfaire à la réglementation. A terme, cette mesure devrait être favorable au développement de la pratique du vélo et permettre de limiter les conflits entre piétons et cyclistes sur trottoir : les travaux de suivi et d'évaluation réalisés dans les villes ayant déjà expérimenté le double-sens cyclable en ont démontré les avantages, tant sur le plan du confort que de la sécurité (CETE de l'Est, 2008)

La portée de la démarche en termes de mobilité piétonne : les effets escomptés de l'introduction en France de la zone de rencontre

Rétrospectivement, la proposition d''instauration en France de la zone de rencontre a bénéficié d'échos d'autant plus favorables qu'elle s'appuyait sur un retour d'expérience positif de pays voisins : nombre d'aménagements organisés suivant le principe d'une cohabitation entre les piétons et les véhicules à faible vitesse y avaient déjà fait leur preuve, tant sur le plan du confort donné au piéton que sur le plan de la sécurité.

Les réflexions préalables à la définition de ce chaînon manquant entre la zone 30 et l'aire piétonne se sont donc largement appuyées sur les expériences étrangères, en particulier de la Suisse et de la Belgique, qui ont respectivement adopté la zone de rencontre en 2002 et 2004. Si bien que l'on retrouve dans ces pays les trois règles fondamentales qui définissent la zone de rencontre : la priorité donnée aux piétons, la limitation de la vitesse des véhicules à 20 km/h, le stationnement autorisé uniquement sur les emplacements prévus à cet effet. Ces similitudes permettent dores et déjà, dans une certaine mesure, de bénéficier d'un recul sur l'instauration et l'aménagement des zones de rencontres, sur la base des expériences suisses et belges (CETE de l'Est, 2009).

Le retour d'expérience suisse : l’exemple de la ville de Berthoud

Le premier des enseignements est que les zones de rencontre trouvent un écho favorable dans les pays où elles ont été mises en œuvre. Les aménagements, favorisent indéniablement la réappropriation de la rue par les piétons et une utilisation plus diversifiée de l'espace public. Citons, parmi les réalisations ayant fait l'objet d'une évaluation formalisée a posteriori, l'exemple de Berthoud (15 000 hab.)

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La démarche « code de la rue »

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C'est la ville qui dispose du plus grand recul sur le sujet, puisque la zone de rencontre y est testée depuis 1996 : priorité aux piétons, vitesse limitée à 20 km/h, accès sans restriction pour les voitures. Les passages piétons ont été supprimés, les piétons traversent la route où et quand bon leur semble, les voitures les laissent passer. D’abord instaurée à titre expérimental et baptisée « zone de flânerie », c'est officiellement une zone de rencontre depuis 2002, date à laquelle ce type d’aménagement a été reconnu par le droit fédéral suisse.

La zone de rencontre a d'abord été prévue sur un périmètre important dans le quartier commerçant de la ville basse, c'est-à-dire sur environ 500m incluant la gare, la poste et la rue principale, accueillant bus et taxis (6 000 véhicules par jour dans certaines rues).

Cette expérience pilote s’inscrivait dans le programme Énergie 2000. Les buts fixés étaient clairs: diminuer de 10 % la consommation d’énergie dans la localité, augmenter de respectivement 33 % et 20 % les déplacements à pied et à vélo.

Les comptages réalisés en 2001 sur la place de la gare montrent une nette diminution de l'usage de la voiture et un report sur la marche à pied : dans le quartier de la gare, le trafic motorisé a diminué de 16 %.

Depuis la réalisation de la zone de rencontre, les services techniques effectuent régulièrement des campagnes de mesures de vitesses. Ils ont constaté que celles-ci sont autour de 30 km/h après la réalisation de la zone de rencontre. Si elles sont supérieures à 20 km/h, elles ont néanmoins chuté d'environ 20 km/h. Les autorités de Burgdorf estiment cette situation satisfaisante : après six ans, aucun accident grave n’a été signalé.

La zone est en phase d’extension et bénéficie aujourd'hui d’un soutien sans faille de tous les milieux concernés, en particulier des commerçants. En 2001, sur la cinquantaine de personnes propriétaires de magasins dans le quartier de la gare, ils étaient 55 % à souhaiter que la zone de flânerie soit maintenue et même améliorée, 40 % à préconiser qu’elle reste telle quelle et 5 % seulement à demander sa suppression.

La zone de rencontre de Berthoud (Suisse)

Source : CETE de l'Est

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Piéton et aménagement

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Flux quotidiens sur la place de la gare de Berthoud, avant et après la mise en œuvre de la zone de rencontre

Source : Ville de Berthoud (CETE de l'est, à paraître)

Les premières réalisations en France L'introduction de la zone de rencontre en France a fait partie du premier train

de mesures issues de la démarche Code de la rue parce qu'elle correspondait à une convergence d'intérêt entre :

− les aménageurs et gestionnaires de voirie, pour qui la zone de rencontre clarifie les responsabilités de chacun en établissant réglementairement les conditions de la mixité des usagers

− les usagers, pour qui la zone de rencontre apparaît comme un vecteur supplémentaire de réappropriation de l'espace public

− les concepteurs, qui disposent d'une plus grande liberté en termes d'aménagement, pour favoriser la mixité plutôt que la séparation fonctionnelle

Pour le moment, toutes les possibilités offertes par la zone de rencontre en termes d'aménagement n'ont pas été saisies : en particulier dans les quartiers d'habitation (par exemple dans les écoquartiers) ou dans les espaces publics au fonctionnement complexe (parvis de gare, pôle d'échange intermodal). Les premières zones de rencontre ont plutôt été mises en service là où elles s'imposaient de fait, par exemple dans des contextes de ruelles relativement étroites d'hypercentre où le piéton circule déjà naturellement sur toute la largeur de la chaussée (à Metz, Bordeaux, Caen...) C'est donc un moyen « d'officialiser » un usage... et pour les gestionnaires une manière de se couvrir juridiquement.

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La démarche « code de la rue »

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Les limites Vraisemblablement, le recul en France est encore insuffisant pour pouvoir

évaluer la portée de l'instauration réglementaire de la zone de rencontre. Les premières mises en œuvre ont surtout bénéficié de l'effet d'opportunité créé par l'évolution réglementaire, sans nécessairement intégrer la mobilité piétonne comme élément de concertation ou de programmation (pas d'études préalables sur les flux, les comportements, pas d'objectifs définis).

Or la mise en œuvre de telles zones sera d'autant plus bénéfique pour le piéton qu'elle s'inscrira dans une réflexion globale, ce qui réclame du temps et une volonté politique pérenne. C'est d'ailleurs une des leçons de l'exemple de la ville de Berthoud, qui a soutenu d'autres projets en faveur des mobilités douces : service de livraison à domicile à vélo, système de guidage piéton, sécurisation des chemins vers les écoles, service de covoiturage etc. La zone de rencontre est la manifestation concrète d'une politique menée sur le long terme.

C'est dans cet esprit que certaines agglomérations françaises ayant déjà engagé une réflexion sur la généralisation de zone 30, les modes doux ou un Code de la rue, s'intéressent à la zone de rencontre (Strasbourg, Dijon, Rouen, Bordeaux, Metz, Caen...) : l’appropriation locale du concept par toutes les parties prenantes (élus, techniciens, associations d'usagers, riverains) apparaît nécessaire pour tirer le meilleur de la zone de rencontre en termes de mobilité piétonne.

Une zone de rencontre à Bordeaux

Source : Certu

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Piéton et aménagement

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L’évaluation de la démarche « code de la rue » Un succès conditionné par le relais des politiques locales

Même si les modifications réglementaires peuvent avoir un caractère déclencheur ou facilitateur, la démarche nationale « code de la rue » ne se substitue pas aux démarches locales : les outils développés trouveront leur meilleure utilisation au sein d'une politique cohérente, articulant l'aménagement de l'espace public avec les enjeux de mobilité et d'urbanisme. Toutes les collectivités n'en sont pas au même niveau de réflexion, et une grande disparité des résultats est vraisemblablement à prévoir.

Par ailleurs, au-delà des moyens réglementaires, la question de la culture technique semble incontournable pour mettre en œuvre une politique de sécurité et de cohabitation sur la voie publique favorable aux piétons comme aux modes doux. Une telle approche nécessite de renouveler certaines pratiques d'aménagement, qui pouvaient conduire à privilégier le confort de circulation des véhicules motorisés au détriment de la qualité urbaine. L'enjeu est bien de construire une culture commune de l’aménagement des voiries urbaines, conforme aux attentes contemporaines en matière d'accessibilité, d'environnement et de cadre de vie.

La mesure de l'impact de la démarche « code de la rue » L'effet le plus immédiatement perceptible de la démarche concerne peut-être

le fonctionnement du processus décisionnel et réglementaire des instances nationales. La prise en compte des besoins exprimés par les associations d'usagers, les choix de privilégier la concertation et la participation, ont insufflé une dynamique qui devrait continuer à porter ses fruits. Le Comité de Pilotage de la démarche « code de la rue » a ainsi lancé de nouveaux travaux sur des thèmes favorables aux piétons : la priorité du piéton en traversée, le roller et autres véhicules hybrides dans le code de la route, le stationnement (réglementation et signalisation), la définition du trottoir et du trottoir traversant, le cheminement des piétons. Le projet de loi sur la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement a par ailleurs retenu le principe d'une charte sur le « code de la rue » (Fiche thématique n°7, art. 12-1, page 46) en ces termes : « La démarche « code de la rue » consiste à examiner, avec l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs, les dispositions du code de la route de nature à assurer, en milieu urbain, un meilleur partage de l'espace public entre tous les usagers et d'offrir une plus grande sécurité de déplacements à tous, et particulièrement aux plus vulnérables ».

Par ailleurs, conformément à la loi de décentralisation, qui réaffirme le rôle de l'État quant à la cohérence du réseau routier et quant à la politique technique, le Certu assurera de fait une forme de suivi de la démarche. Le développement des outils - méthodes et solutions concrètes pour les praticiens - passe notamment par la diffusion des connaissances sur les projets innovants et l'évaluation des réalisations. Ce travail d'accompagnement permettra ainsi de rendre compte localement de l'impact sur le développement des modes doux ou la sécurité des déplacements.

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La démarche « code de la rue »

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L'usager, bénéficiaire final Enfin, il ne faut pas perdre de vue que c'est certainement la réception

sociale de ces mesures chez les citoyens qui sera déterminante de la portée de le démarche. La diffusion et la communication auprès des usagers apparaît notamment comme une des conditions de l'effectivité du « principe de prudence ».

Une partie des thèmes de communication ont d'ores et déjà été pris en considération dans les campagnes de communication de la Sécurité routière menées pendant la « Semaine de la sécurité routière » de 2006 et de 2007.

Une brochure d'information « Le code de la rue, les premiers résultats » a été largement diffusée auprès des élus, professionnels de l'urbanisme et des transports et des associations à l'occasion de la Journée européenne de la Sécurité routière de 2008, puis aux réseaux de la Sécurité routière et du Certu et à l'occasion de rencontres professionnelles (dont le Salon des maires et des élus locaux) (DSCR/Certu, 2008).

La communication en direction du grand public est encore limitée. Cependant, le dialogue initié entre les associations d'usagers et les collectivités a déjà localement conduit à des actions de communication auprès de la population.

La démarche « code de la rue » et ses premiers résultats participent de manière très concrète à la ré-appropriation de l'espace public urbain par les piétons. Ils font aussi apparaître de nouveaux enjeux de recherche :

− au niveau de l'expérimentation technique : quels dispositifs physiques mettre en œuvre pour permettre la cohabitation de tous ? Quelles solutions développer pour prendre en compte les besoins des personnes à mobilité réduite (repérage, orientation, guidage, etc.) ;

− à l'échelle d'un aménagement : quels effets sur le fonctionnement quotidien, les conflits, l'appropriation, l'animation, les modes et le type de fréquentation ?

− sur le plan du suivi et de l'évaluation à l'échelle d'un territoire : quels impacts des zones à circulation apaisée sur la mobilité piétonne ? Sur les autres modes de déplacements ? Sur les dynamiques locales (économiques, foncières, sociales) ?

Références Certu (1994), Ville plus sûre, quartiers sans accidents ; évaluations et

réalisations, Certu

Certu (2003), Les zones 30 en France : bilan des pratiques en 2000, Certu, Rapport d'étude téléchargeable

DSCR/Certu (2008), La démarche « Code de la rue en France » Octobre 2008 – premiers résultats, Certu, Plaquette téléchargeable

Certu (2008), Les zones de circulation particulières en milieu urbain : Aire piétonne – zone de rencontre – zone 30 : Trois outils réglementaires

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Piéton et aménagement

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pour un meilleur partage de la voirie, Certu, Plaquette en vente ou téléchargeable

CETE de l'Est (2008), Généralisation des doubles sens cyclables pour les voiries de type zone 30, Le cas de Illkirch-Graffenstaden, Certu, Rapport d'étude téléchargeable

Certu (2009), Zone 30 et zone de rencontre : La généralisation des doubles sens cyclables, Dossier TechniCités n°160, Plaquette téléchargeab le

CETE de l'Est (2009), Les zones de rencontre en Suisse et en Belgique, réglementation et exemples de réalisations, Certu, Rapport d'étude téléchargeable

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Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques

Ole Thorson Président de INTRA, Ingeniera de Tráfico (consultant en mobilité) et président de la Fédération internationale des piétons (IFP) Jytte Thomsen Directrice de INTRA, Sécurité routière (consultant en mobilité) Joan Estevadeordal Président de Catalunya Camina, Association pour les droits des piétons INTRA c/Diputación 211, Ent. ES 08011, Barcelone, Espagne [email protected]

Résumé – On a l’habitude de penser de manière linéaire quand on commence le design d’une rue, prenant ainsi en compte les besoins et les contraintes des conducteurs. Pour compenser cette habitude, il est nécessaire de connaître les besoins des autres usagers. La sécurité de la rue – spécialement en relation avec les mouvements transversaux – doit aussi être prise en compte. Cette contribution permet de souligner les apports de nouvelles informations pour les collectivités locales dans le processus d'instruction d'un projet de nouvelle voirie. Ainsi, Il faut inclure aux données habituelles de la ville celles concernant les déplacements des piétons et leur accidentologie. La moyenne des déplacements à pied en zone urbaine est de l’ordre de 50 %, et l’on trouve (d’après les rapports des polices municipales de Catalogne) environ 40 accidents impliquant piétons pour 100 000 habitants.

Mots-clés : piéton, mobilité, sécurité, dessin des rues

Lors de la dernière réunion du « Pacte pour la Mobilité » de la Municipalité

de Barcelone, de nouvelles données de l’enquête sur les déplacements dans la région de la Grande Barcelone pour l'année 2008 ont été présentées. Pour la première fois, les déplacements à pied à l’intérieur de la ville ont atteint 50 %. À ce chiffre peuvent être ajouté 1,5 % de cyclistes. Les déplacements non motorisés représentent plus de la moitié de tous les déplacements intra-muros. Cette conjoncture incite à adapter un peu plus la politique de mobilité en ville aux besoins des usagers non motorisés. Il y a quelques années, on a pu modifier la politique du stationnement quand on a su que plus de la moitié des propriétaires pouvaient garer leur véhicule hors de l’espace public. Ce changement des données, ajouté à une volonté municipale d’améliorer les conditions pour les piétons et à la loi sur la mobilité qui donne la priorité aux

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Piéton et aménagement

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moyens de mobilité les plus durables, tendent à rendre les conditions plus acceptables pour les piétons.

Par ailleurs, il commence aussi à y avoir, lentement, une prise de conscience de la nécessité de s'occuper des passagers du transport public, dans la partie du déplacement qui est faite à pied. Mais il ne suffit pas de connaître les besoins des piétons. Il faut aussi connaître les nécessités techniques de la marche sur les trottoirs et spécialement dans les zones où les mouvements des piétons croisent la trajectoire des véhicules.

Nous avons l’habitude de penser en mode linéaire quand on dessine le plan d’une rue. On pense à la section transversale et il est facile de définir, en premier lieu, les voies pour les voitures et de laisser le reste pour un travail secondaire. Pour compenser cette tradition de pensée, il faut avoir présent à l’esprit les besoins des autres usagers de la rue. La sécurité dans la rue – spécialement en relation avec les mouvements transversaux – doit aussi être prise en compte. Le projet d’une rue commence aux façades, avec la définition des trottoirs et des arrêts du transport public.

Cadre législatif en Catalogne En 2003, le Parlement de Catalogne a approuvé une loi sur la mobilité qui

donne priorité aux usagers qui se déplacent de la manière plus durable. Cela permet de s'occuper plus des piétons, des cyclistes et des usagers des transports publics. La mobilité doit être sûre, et il faut s'occuper de la santé des résidents et des usagers de l’espace public.

Avec les réglementations additionnelles, les administrations ont mis en évidence la nécessité de planifier les réseaux pour les piétons et pour les cyclistes et de rendre responsables du transport public les promoteurs des nouvelles actions urbanistiques dans et hors la ville. Concernant la qualité de l’air, 40 municipalités autour de Barcelone ont des fortes émissions, ce qui a conduit à changer la manière de planifier les nouvelles activités économiques.

En Catalogne, et aussi dans la plupart des pays, il manque encore des schémas directeurs pour les piétons et pour les cyclistes et une planification de la mobilité, mais il existe une tendance à réduire ce manque dans les prochaines années.

Les 5 Plans Directeurs de Mobilité de Catalogne sont basés sur des scénarios de mobilité future qui prévoient une diminution de 10 à 15 % du nombre de kilomètre-véhicules dans les années à venir. L’augmentation de la mobilité doit être absorbée par les moyens de transport plus durables.

Données urbaines en Catalogne On dispose de données de mobilité pour les différents modes de transport

(voiture, autobus, train (métro), vélo et piétons), distinguant les motifs de déplacements « travail » et « études » pour chacune des municipalités de Catalogne. On a spécialement étudié les résultats de 1996 et 2001. En 2006, l’enquête a apporté des enseignements, avec le problème des erreurs statistiques des résultats de la distribution modale dans les petites municipalités.

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Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques

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La figure 1 montre la relation entre le pourcentage de marche à pied dans la mobilité (tout le trajet à pied) et le nombre d’habitants des villes de la Catalogne en 2001. La figure 2 compare les années 1996 et 2001. Sont inclus les déplacements de plus de 5 minutes et tous les déplacements scolaires. Les données de l’année 2001 incluent seulement les déplacements des personnes de plus de 15 ans (ceci exclut les enfants scolarisés). Pour cette raison, il est difficile de faire la comparaison entre les deux années et d’observer si la marche à pied s'est maintenue.

La dispersion des résultats est grande, mais avec une consolidation autour du 50 % des voyages urbains à pied.

Figure 1. Pourcentage des mouvements intramuros (avec origine et destination dans la municipalité)

totalement à pied en fonction du nombre d’habitants

y = 3,6119Ln(x) + 23,76

R2 = 0,0684

0

20

40

60

80

100

120

0 50.000 100.000 150.000 200.000 250.000 300.000

Número d'habitants (1996) SENSE BARCELONA

% d

espl

aça

men

ts a

peu

(199

6)

Total Logarítmica (Total)

Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA

Figure 2. Pourcentage moyen de déplacements des piétons par regroupement des municipalités selon nombre d’habitants

Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA

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Piéton et aménagement

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Les données de la figure 2 permettent une analyse par groupes de villes. Pour les deux années 1996 et 2001, on peut observer que le pourcentage des déplacements à pied augmente avec la taille de la population jusqu’à 40 000 habitants. Il y a un nombre limité des municipalités de plus de 40 000 habitants en Catalogne.

Dans la figure 3, on peut voir la différence entre les motifs « travail » et « études ». La proportion de jeunes qui marchent pour aller à l’école (62 %) est plus importante que celle des gens qui marchent pour aller au travail (38 %). Cela signifie que le trajet pour l’école doit recevoir une attention particulière de la part des municipalités. Dans tous les projets, la marche à pied scolaire doit être prise en compte.

Figure 3. Pourcentage de trajets piétons ayant pour motif l’école et le travail en 1996 en relation avec la population

Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA

Figure 4. Pourcentage de trajets piétons ayant pour motif l’école et le travail en 2001 en relation avec la population

Source: Generalitat de Catalunya. Élaboré par INTRA

%

%

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Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques

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On peut observer que le nuage de points en 1996 et en 2001 (fig. 3 et 4) concernant les déplacements pour le travail se situe plus ou moins à la même hauteur, autour de 40 %. Il n’y a pas une grande différence, même si la motorisation (véh./hab.) est plus importante dans l’année 2001. Le pourcentage de marche à pied pour aller au travail a régressé jusqu'à 34 % en 2001, 4 points de moins qu'en 1996.

Il est nécessaire de faire un effort important pour maintenir des conditions acceptables pour les piétons, également dans leurs accès à leur lieu de travail, en ville et en zones industrielles.

Nous disposons aussi d’informations détaillées sur les accidents piétons ; elles sont présentées dans la figure 5.

Figure 5. Accidents avec piétons dans les villes de Catalogne (sans Barcelone) en 2007

0

20

40

60

80

100

120

140

0 50.000 100.000 150.000 200.000 250.000 300.000

Population

Ped

est

rian

acc

iden

ts

Source: INTRA avec données du Département de Trafic Catalan

Tableau 1. Age et sexe des piétons accidentés. Catalogne 2006

Age et sexe des victimes

% de la population

Total des victimes (%) Piétons (%)

Hommes 49,6 63,5 50,2

Femmes 50,5 36,5 48,8

≤ 14 ans 14,13 4,30 14,5

15–17 ans 2,79 6,6 3,3

18–20 ans 3,14 10,0 4,5

21–24 ans 5,41 12,9 5,6

25–44 ans 34,24 41,2 25,6

45–64 ans 23,68 14,5 19,7

65–74 ans 8,64 3,7 9,7

> de 74 ans 7,97 3,6 12,2

Sans information – 3,1 4,9

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Même avec une dispersion notable (il y a de grandes différences dans les proportions de rapports de la police locale), la tendance indique 40 accidents pour 100 000 habitants (sans inclure la ville de Barcelone, où les nombres d’accidents et de piétons accidentés sont très importants).

Dans le tableau 1 est indiqué le pourcentage de piétons dans la population, les accidentés en général et les piétons blessés.

Chez les femmes, la proportion des victimes-piétons est plus grande que leur représentation dans le total des blessés. Il y a plus de femmes qui marchent que d’hommes. Les piétons-blessés de plus de 74 ans sont plus représentés que leur poids dans la population.

Plans locaux de sécurité routière urbaine La mobilité doit être plus sûre pour tous les usagers. Cela signifie que dans

une partie importante des réseaux, s’il n'y a pas assez d’espace, on doit adapter la vitesse des véhicules aux moins rapides. Une grande partie du réseau (mélange de conducteurs motorisés ou non) doit être planifiée à la vitesse limite de 30 km/h. La limite maximum légale en zone urbaine en Espagne est de 50 km/h. Sur autoroute, c’est 120 km/h, mais, à l’approche de Barcelone, ce maximum de 120 a été réduit à 80 km/h, avec une grande réduction des blessés et des tués.

La Direction catalane du trafic a défini, avec les plans catalans de sécurité routière 2005-07 et 2008-10, un programme d’intervention et d’aide aux municipalités pour l’élaboration de plans locaux de sécurité routière.

Figure 6. Localisation des municipalités de Catalogne dotées d’un nouveau plan local de sécurité entre 2006 et 2009

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Dans beaucoup de municipalités, il n'y a pas de données suffisantes sur les accidents, et seulement une partie de ces informations arrive à l’administration supérieure (Service catalan du trafic, SCT) qui a la responsabilité de connaître et d’améliorer l’état de la sécurité dans le pays.

Une partie importante des municipalités ne fait pas d’effort suffisant pour inclure des études de sécurité dans les programmes municipaux et les projets d’aménagement de l'espace routier.

Il existe un autre problème concernant les données d’accidents avec victimes en Catalogne. Ces données sont sous la responsabilité de la police municipale, groupe d’agents qui ont des priorités différentes dans chaque ville. En particulier, il n’y a pas, dans beaucoup de cas, de rapport sur les accidents impliquant seulement des piétons (en tant que blessés) dans les statistiques de la police locale. Pour mieux connaître les accidents des piétons, il faut avoir des informations des hôpitaux – situation pas encore normalisée en Catalogne.

Le Service de trafic du gouvernement de la Catalogne, a commencé en 2006 l’élaboration de plans locaux de sécurité routière dans les municipalités.

Les résultats des études d’accidents, et des accidents des piétons, auprès de 80 villes dans le territoire de la Catalogne, peuvent donner quelques indications des erreurs commises dans les conditions générales et dans la gestion de la mobilité et des piétons dans nos villes. La localisation des traversées de piétons, leur visibilité, les caractéristiques du feu rouge et la relation avec la sécurité ont été étudiés.

Dans la figure 6, on peut voir les localités dans lesquelles ont été élaborés des plans de sécurité entre 2006 et 2009. Une grande partie de ces plans municipaux ont donné une importance suffisante à la sécurité des piétons dans les rues.

Dans le tableau 2 sont détaillés les données sur l’importance des accidents impliquant des piétons dans 31 des 80 villes étudiées, lesquelles totalisent une population de près de 3 millions habitants. Il y a des différences entre les munici-palités dans la proportion des piétons accidentés, entre 10 % et 53 %. Il faut donc considérer avec prudence ces informations, compte-tenu de cette différence importante. Dans l’analyse des données, le type d’accident peut être indicatif.

En Catalogne, 16,7 % de tous les accidents avec victimes enregistrés dans les dernières années impliquent un ou plusieurs piétons. Les 31 villes du tableau ci-joint représentent 1 634 000 des 7 millions d’habitants de la Catalogne, en moyenne 20,1 % des accidents présents dans ces villes impliquent des piétons. Dans le tableau 3, les 5 villes de plus de 100 000 habitants sont au-dessus de cette moyenne.

Pour l’ensemble de la Catalogne, presque 40 % de tous les accidents piétons avec blessés en zone urbaine ont lieu dans les intersections (tableau 3). Pour les 11 villes importantes présentées dans le tableau, 35 % des accidents avec piétons ont été enregistrés dans ce type de localisation. Toutefois, il y a encore trop de zones urbaines avec peu d’informations détaillées sur les accidents et les mouvements des piétons impliqués. Pour obtenir de meilleurs résultats dans la sécurité locale, on a fait des propositions de nouveaux aménagements et de régulations de l’espace public, avec une analyse générale et une étude spéciale des points noirs.

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Tableau 2. Accidents avec piétons dans 31 villes de Catalogne avec plan de sécurité routière

Municipalité Population Nombre

d’accidents (2005-2007)

% des accidents avec piétons

Blanes 38 368 53 11,3

Cambrils 29 112 37 22,2

Campdevànol 3 519 2 20,0

Falset 2 742 3 18,8

Igualada 36 923 81 20,0

Manresa 73 971 196 22,4

Quart 2 618 2 10,0

Reus 104 835 169 29,3

St. Andreu de Ll. 9 745 8 12,9

St. Feliu Guixols 21 155 22 16,6

Vic 38 321 101 27,5

Lloret de Mar 34 997 110 22,2

Badalona 216 201 81 19,9

Cerdanyola V. 57 959 59 26,5

Malgrat de Mar 17 531 18 20,2

Piera 12 951 1 10,0

Amposta 18 785 9* 22,5

Terrassa 193 000 398 15,9

Vilanova i la G. 61 427 134 14,5

Tortosa 33 705 57 16,3

Mataró 118 748 114 16,3

Tona 7 030 9** 26,5

Tarragona 134 976 156 27,0

Seu d’Urgell 12 317 29 53,0

Prat de Llobreg. 63 111 37 30,6

Lleida 127 314 38** 22,7

L’Hospitalet Ll. 251 84) 421 21,1

Girona 90 278 111 6,7

Olot 31 824 106 19,3

Figueres 41 115 86** 21,9

Cunit 11 102 9* 29,0

Moyennes des villes étudiées 20,1

Catalogne 7 210 508 (2007) 8603 (2005-07) 16,7

* 1 année ** 2 années

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Piétons, connaître leurs besoins, mobilité et risques

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Tableau 3. Typologie des accidents avec piétons

Municipalité Localisation du piéton au moment de l’accident (%)

En intersection

Hors intersection

Autre localisation

Sans information

Total en intersection

Manresa 38 40 22 0 39 Reus 24 35 37 4 41 Badalona 39 30 8 23 70 Cerdanyola del V. 71 14 15 0 62 Terrassa 38 26 12 24 51 Mataró 26 26 25 23 67 Tarragona 42 19 11 26 22 Prat de Llobreg. 24 21 16 39 43 Lleida 20 18 17 45 45 L’Hospitalet Ll. 20 33 13 34 47 Girona 50 22 15 13 50 Catalogne 14 12 8 66 38

Villes > 50 000 habitants (2006)

Étudiant des idées de modération du trafic à travers l’Europe et leur adaptation en Catalogne, un catalogue de solutions à destination des plans locaux de sécurité routière, pour améliorer la sécurité en général, et celles des piétons en particulier, a été édité par le Service du trafic de Catalogne. Les idées présentées aident les techniciens municipaux à accepter les propositions faites dans les plans locaux. C’est spécialement important de faire part du chemin effectué en faveur de la sécurité routière en zones urbaines en Catalogne. A Barcelone, il y a une habitude de sécurité mais elle est moins présente dans les autres municipalités. Et même dans la capitale, cela coûte de prendre des mesures pour protéger suffisamment les piétons.

Dans la plupart des intersections, l’espace laissé aux voitures est trop important, les itinéraires des piétons ne sont pas acceptables et les lignes de visibilité entre piétons et conducteurs (obstacles créés par les mobiliers urbains, les voitures) n’existent pas.

Figure 7a. L’itinéraire des piétons n’est pas suffisamment naturel

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130 © Les collections de l’INRETS

Figure 7b. Le piéton sur le trottoir ne peut pas voir le conducteur avant de commencer à traverser la rue

Figure 7c. La réduction de l’espace pour la chaussée

et pour le stationnement accroît la visibilité dans l’intersection

Dans la liste suivante, on peut voir les différents types de propositions faites aux municipalités dans les plans locaux.

− Trottoirs plus larges. Au moins 2 mètres, libres d’obstacles (mobilier etc.).

− Réduction de la largeur des voies de circulation à 3 mètres (2 voies ou plus) et de 3,3 à 3,5 mètres dans les rues avec seulement une voie.

− Assurer avec des feux rouges les trajets des piétons traversant le réseau principal.

− Raccourcir les cycles des feux rouges pour réduire les temps d'attente des piétons et de cette manière réduire le risque de passer au rouge.

− Dans les rues avec 4 voies ou plus, on recommande la construction des refuges centraux pour les piétons.

− Les passage-piétons doivent être construits au plus près de l’intersection (en giratoires aussi) – la trajectoire naturelle pour le piéton.

− Construire les trottoirs plus larges dans les intersections pour garantir une traversée plus courte et plus sûre.

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− Remplacement des stationnements pour véhicules et des containers par l’élargissement des trottoirs ou par des stationnements pour motos ou bicyclettes.

Recommandations − Dans la plupart des villes les piétons constituent le groupe majoritaire de

la population qui se déplace. Ceci doit être pris en considération dans les interventions des responsables des réseaux routiers.

− Toute étude et tout projet concernant l’espace public doit disposer pour les piétons de données égales ou supérieures à celles relatives aux déplacements en véhicules à moteur.

− Un projet d’aménagement de l’espace routier doit commencer avec la définition des besoins des piétons.

− Avec un nombre important d’accidents de piétons en ville, il est nécessaire de chercher la sécurité, en particulier aux points de croisement entre piétons et conducteurs.

− C’est important de prendre en compte qu’en temps normal les conducteurs considèrent que les piétons font invasion dans l’espace des conducteurs. Il faut faire mieux comprendre aux conducteurs que le passage piéton est un lieu des pour les conducteurs et pour les piétons et que la vitesse doit être minimale dans toutes les circonstances de traversée de piétons.

Références Plans de Sécurité Routière de la Generalitat de Catalunya. 2002-2004, 2005-

2007- 2008-2010, Barcelona, www.gencat.cat

Plans Locaux de Sécurité Routière des villes de Catalogne, Servei Català de Trànsit, Generalitat de Catalunya. 2006-2009

Loi sur la Mobilité, Parlement de Catalogne, 13 juin 2003.

Guia Manual : Pla local de seguretat viària. Guide d’élaboration des plans locaux de sécurité routière. Generalitat de Catalunya 2006.

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Interaction foule-structure

Philippe Pecol 1, Stefano Dal Pont 2, Silvano Erlicher 1, Pierre Argoul 1 1 Université Paris-Est, UR Navier, Ecole des Ponts ParisTech 6-8 avenue B. Pascal, cité Descartes, Champs-sur-Marne 77455 Marne-la-Vallée Cedex 2, France [email protected], [email protected], [email protected] 2 Université Paris-Est, Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, BCC 52 boulevard Lefebvre, 75732 Paris, France [email protected]

Résumé – Un problème émergeant en dynamique des ouvrages pour le génie civil est la modélisation de l’interaction dynamique foule-structure. Les structures telles que les passerelles piétonnes (qui oscillent à cause du passage d’un groupe de personnes) ou les gradins des stades/salles de concert (qui vibrent à cause du mouvement rythmé du public) sont particulièrement concernées. En fixant l’attention sur l’interaction foule-structure sur les passerelles piétonnes, cette article explique les deux étapes fondamentales de notre étude : gérer le mouvement des piétons sur la passerelle avec prise en compte des interactions piéton-piéton et piéton-obstacle puis réaliser le couplage piéton-structure.

Mots-clés : mouvement de foule, modèle discret, vibration des structures, couplage piéton-structure

Introduction Contexte général

Depuis quelques années, plusieurs passerelles légères, élancées et/ou de faible amortissement ont oscillé latéralement sous l’action de la marche de piétons. Ce phénomène a suscité un intérêt grandissant chez les ingénieurs et les chercheurs dans les bureaux d’étude et dans les centres de recherche. L’exemple le plus célèbre est le pont du Millénium de Londres qui, le jour de son inauguration en juin 2000, a vibré latéralement de plusieurs centimètres, à cause d’une foule très dense le traversant. Ce phénomène s’explique par le fait que la foule traversant la passerelle impose à la structure une excitation latérale d’une fréquence d’environ 1 Hz. Cette fréquence est souvent celle du premier mode latéral de vibration du pont. Un phénomène de résonance s’active alors et les oscillations de la structure augmentent. Tant que le nombre de piétons reste inférieur à un nombre critique, les oscillations restent de faible amplitude de telle sorte que les piétons continuent à marcher de la même manière que sur un plancher rigide. Au-delà de ce nombre critique, les oscillations de la passerelle

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Piéton et aménagement

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deviennent suffisamment importantes pour que les piétons soient incités à modifier leur façon de marcher, notamment leur fréquence de marche, jusqu’à ce qu’apparaisse une synchronisation en fréquence entre piétons et structure. En ce qui concerne la vibration verticale, les résultats expérimentaux disponibles dans la littérature montrent que ce phénomène de synchronisation n’est pas visible.

La densité de la foule est un autre facteur influençant le comportement du piéton. En effet, pour une foule de faible densité, chaque individu peut marcher librement comme s’il était seul. Plus la densité de la foule augmente, plus chaque piéton a une marche contrainte par son entourage qui l’oblige à marcher au même rythme que les autres. Cette synchronisation piéton-piéton existe aussi sur sol rigide. Actuellement, très peu d’études prennent en compte ces deux types de synchronisation simultanément.

Des problèmes semblables peuvent intervenir dans les stades ou les salles de spectacles, où les piétons pourraient être contraints d’évacuer les lieux sous l’effet de fortes vibrations de la structure.

État de l’art La modélisation du mouvement de la foule est un sujet complexe et toujours

ouvert actuellement. On peut référencer deux grandes familles de modèles de foule : les modèles dits « macroscopiques » où la foule est représentée dans son ensemble par un fluide compressible et les modèles dits « microscopiques » où le mouvement de chaque individu est représenté dans le temps et l’espace. En ce qui concerne la première famille, Bodgi (2007,2008) a utilisé l’approche continue pour la modélisation de l’interaction foule-structure sur les passerelles piétonnes. Les résultats obtenus sont satisfaisants mais l’adaptation de l’approche utilisée pour le cas de l’évacuation d’une salle de spectacle n’est pas immédiate. La deuxième famille, où les modèles sont discrets, est mieux adaptée aux problèmes d’évacuation. De nombreux modèles existent déjà : les modèles utilisant des forces sociales (Helbing et Molnar, 1995), les modèles basés sur les automates cellulaires ou des variantes (Chen et al., 2007), les modèles de choix discret (Robin et al., 2009), les modèles multi-agents (Pan et al., 2007) et les modèles de dynamique de contact (Venel, 2008).

En ce qui concerne le couplage piéton-structure, la première étape est de modéliser le chargement dynamique d’un seul piéton sur une structure vibrante. Le corps humain peut être vu comme un système mécanique très complexe, composé de plusieurs parties en interaction réciproque (Garcia, 1999). Une autre alternative est de trouver un bon compromis entre l’exigence de la simplicité du modèle de piéton et l’exigence de reproduire correctement un phénomène complexe comme la synchronisation entre piéton et structure. Abrams (2006) a représenté l’action du piéton sur une passerelle par une force latérale sinusoïdale de module 35 N et dont la phase totale est gérée par une équation de type Kuramoto. Bodgi (2008) s’est inspirée de ce modèle pour réaliser le couplage piéton-structure.

Dans la suite de cet article, nous proposons d’une part un modèle de foule discret utilisant un code de dynamique de contact pour gérer le mouvement des piétons dans un plan, puis nous utilisons les équations de couplage identiques à celles utilisées dans (Bodgi, 2008), mais sous forme discrète, pour étudier

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Interaction foule-structure

© Les collections de l’INRETS 135

l’interaction piéton-structure en dimension 1. La connexion entre la partie mouvement des piétons avec celle sur le couplage piéton-structure pour le modèle discret est en cours de réalisation. Des études du même type n’existent pas à notre connaissance.

Le modèle de foule discret Notre modèle de foule repose sur trois idées : on crée un champ de « vitesses

souhaitées » pour que le piéton puisse se déplacer librement lorsqu’il est seul, on utilise un code de dynamique de contact pour contrôler le déplacement des piétons sur structure rigide ou mobile et les interactions piéton-piéton et piéton-obstacle, puis on ajoute des « forces sociales » qui permettent aux piétons de s’éviter. Ce modèle proposé n’est pas détaillé, pour plus de détails voir (Dimnet et Dal Pont, 2006, 2008 ; Pecol et al., 2009 ; Helbing, 2001).

Le champ de vitesses souhaitées Pour gérer le mouvement d’un piéton quelconque situé dans un espace plan

2D quelconque, on doit pouvoir décrire sa vitesse souhaitée en fonction de sa position. On s’est inspiré de (Venel, 2008) pour définir un champ de vitesses souhaitées qui permet de donner la vitesse qu’aurait un individu quelconque pour qu’il puisse atteindre un point de sortie de l’espace donné. Pour créer ce champ, on se base sur l’hypothèse qu’un individu choisit toujours le chemin le plus court pour se déplacer d’un point à un autre. Ainsi, on utilise une technique basée sur une méthode de Fast Marching (Kimmel et Sethian, 1995) pour définir le champ de vitesses souhaitées d’un espace donné ; ce champ ayant un module constant égal à la vitesse « naturelle » d’un individu et un flux suivant le chemin le plus court pour aller d’un point courant de l’espace au point de sortie de l’espace (fig. 1).

Figure 1. Exemple de distances géodésiques entre les points d’un lieu considéré et le point de sortie de ce lieu

Le point de sortie se trouve en haut à gauche, la distance par rapport à la sortie croît en allant du bleu vers le rouge ; un obstacle est présent au centre de l’espace étudié

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Le code de dynamique du contact Le déplacement des piétons et les interactions piéton-piéton et piéton-

obstacle sont gérés par un code de dynamique du contact développé et utilisé pour la dynamique des matériaux granulaires par Dimnet et Dal Pont (2006, 2008) qui se sont inspirés des travaux de Frémond (1995). Dans ce code, les piétons sont considérés comme des « grains » rigides (qui seront rendus « actifs » par le champ de vitesses souhaitées). Une description des collisions instantanées dans le système de solides rigides est réalisée à partir du principe des travaux virtuels. La méthode de calcul utilisée pour l’évolution des systèmes multi-solides est la méthode d’atomisation des efforts A-CD2 (Atomized stresses Contact Dynamics fulfilling a Clausius Duhem inequality). Cette méthode de calcul est, par construction, adaptée à la simulation des évolutions pour lesquelles des collisions entre particules ou des ruptures de contact avec discontinuité de vitesse surviennent en plus des évolutions régulières. Pour ces raisons, la méthode A-CD2 peut être utilisée pour simuler le comportement d’une foule de piétons (figure 2).

Les forces sociales Le code de dynamique du contact enrichi du champ de vitesses souhaitées

permet de considérer deux comportements de foule si l’on considère des piétons qui veulent sortir d’un espace donné :

− Soit la foule est peu dense, chaque piéton se comporte comme s’il était seul et sort de l’espace donné sans contact avec autrui en empruntant le chemin le plus court.

− Soit la foule est assez dense pour qu’il y ait des contacts entre individus.

Figure 2. Exemple d’évacuation d’une foule utilisant le code de dynamique de contact

Les piétons sont sous forme de points, les obstacles en noir et la sortie est en bas à droite

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Interaction foule-structure

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L’ajout dans le code d’une force répulsive socio-psychologique présentée dans (Helbing, 2001) permet d’empêcher le contact entre piétons en les maintenant éloignés les uns des autres. En effet, cette force introduit une répulsion qui dépend de la distance entre les piétons qui interagissent. Elle est forte à courte distance et tend vers 0 quand la distance augmente. Un troisième cas de comportement de foule est alors envisageable : la foule est assez dense pour que les piétons s’évitent les uns les autres à l’aide des forces sociales, et donc ne pas forcément emprunter le chemin le plus court pour sortir de l’espace donné, mais elle n’est pas assez dense pour qu’il y ait contact entre piétons.

Le couplage piéton-structure On utilise les mêmes équations de couplage que celles utilisées dans

(Bodgi, 2008) mais sous une forme discrète (disparition de l’équation de conservation de la masse). Ce couplage se compose principalement de l’équation de la dynamique de la structure avec son excitation due aux piétons et d’une équation différentielle de Kuramoto relative à l’oscillation de chaque piéton i pendant la marche. Les piétons se déplacent rectilignement selon la direction principale de la passerelle (direction x).

Le système d’équations Le modèle permettant de considérer le comportement de la passerelle, celui

de chaque piéton i et le couplage pieton-structure est le suivant :

iipasi

ss

issiii

iiyyyi

l

dt

tdx

tft

ttttxtAdt

td

ttxtUtUtUtx

ωπ

πψ

πφψψψεωφ

φψψ

,

21

1N

1i i0,21

N

1i i

)(:(4.i)

)(2)(:(3)

)2

)()(sin()())(()(2

)(:(2.i)

))(sin())((F)()()()))((m(:(1)

=

=

+−+=

=+++ ∑∑ ==

&

&

&&& KCM

L’équation (1) est l’équation de la dynamique de la passerelle, avec Uy(t) le déplacement latéral modal sur le mode 1 de la passerelle ; M, C, K respectivement la masse modale, l’amortissement modal et la rigidité modale de la passerelle ; mi la masse du iième piéton ; xi(t) la position du iième piéton ; Ψ1(x) la première forme modale de la passerelle ; F0,i l’amplitude moyenne de la force latérale engendrée par le iième piéton ; Φi(t) la phase totale latérale du iième piéton ; N le nombre de piétons sur la passerelle.

Pour chaque piéton i, l’équation (2.i) permet de gérer l’évolution de la phase totale de la force qu’il engendre sur la passerelle, avec ωi la fréquence angulaire latérale de sa marche libre ; Ψs(t) la phase totale instantanée du déplacement latéral de la passerelle ; ε un paramètre intervenant dans la synchronisation piéton/passerelle qui dépend de la passerelle étudiée, de la fréquence de marche des piétons et de l’amplitude moyenne de la force latérale engendrée par les piétons ; A(t) l’amplitude du déplacement latéral de la

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Piéton et aménagement

138 © Les collections de l’INRETS

passerelle. L’utilisation de l’équation différentielle (2.i) s’explique par le fait que la synchronisation conduit à une adaptation de la fréquence de la force engendrée par un piéton à la fréquence de la structure. Pour une marche sur

sol rigide, l’équation (2.i) serait réduite à : ii

dt

td ωφ=

)(.

L’équation (3) donne l’évolution de la fréquence angulaire du déplacement latéral de la passerelle.

Pour chaque piéton i, l’équation (4.i) donne sa vitesse, avec lpas,i sa longueur de pas.

Pour résoudre le système précédent, on utilise le logiciel Matlab qui propose des algorithmes performants de résolution d'équations différentielles ordinaires. On choisit parmi ces algorithmes la fonction ode23 (MatlabHelp) qui est une méthode explicite de Runge-Kutta d'ordre 2 et 3 basée sur la méthode de Bogacki-Shampine. Cette fonction intègre des équations aux dérivées ordinaires d'ordre 1 et non d'ordre 2 comme c'est le cas ici avec l’équation (1). On utilise alors la représentation d’état en décomposant l'équation (1) du système précédent en un système de 2 équations :

))((mM

)()())(sin())((F:)2.1(

:)1.1(

21

N

1i i

1N

1i i0,

tx

tKUtUCttxV

VU

i

yyii

ψ

φψ

=

=

+

−−=

=

&

&

&

Ode23 résout le système composé des équations (1.1), (1.2), (3) et (4.i) tout en s’arrêtant dès que le déplacement latéral de la passerelle s’annule grâce à l’introduction de la fonction » évènement » de Matlab. Ceci permet de calculer les équations (2.i) à l’instant de l’arrêt et d’en déduire pour ce même instant, la fréquence de marche latérale de chaque piéton, la phase totale de la force latérale exercée par chaque piéton sur la structure et la fréquence du déplacement latéral de la passerelle. On met alors à jour les conditions initiales de notre étude pour reprendre le calcul de ode23 là où il s’est interrompu. Cette opération est itérée pendant toute la durée de la simulation. On obtient en fin de simulation, la fréquence latérale de vibration de la structure, la fréquence de marche latérale de chaque piéton, la phase totale de la force latérale exercée par chaque piéton, les déplacements et vitesses latérales de la structure. On peut à partir de ces données visualiser la synchronisation, si elle existe, entre piéton et structure.

Applications On simule la marche d’une foule de piétons sur la travée nord du pont du

Millénium de Londres qui a pour longueur L = 81 m. Pour cela, on prend pour valeur des différents paramètres : mi = 75 kg, F0,i = 35 N, lpas,i = 0,71 m, ε = 1,1819 s/m, M = 113 000 kg, C = 11 000 kg/s, K = 4 730 000 kg/s2, la fréquence angulaire initiale des piétons suit une loi normale de moyenne µω = 1,03 Hz (fréquence modale de la travée nord seule) et d’écart-type σω = 0,094 Hz, Φi initiale est prise aléatoirement dans l’intervalle [–π,π] avec une moyenne nulle, Uy,0 = 0, Vy,0 = 0.

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Interaction foule-structure

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On choisit, dans une première phase, de faire marcher les piétons sur place en posant x(t)i = x0,i afin de mieux comprendre les différentes caractéristiques du couplage. Faire évoluer les piétons est facilement réalisable et est en cours d’étude. Les piétons sont uniformément répartis sur la travée nord. On fait des simulations pour des foules composées de : 150, 170, 200, 220, 250, 300 et 350 piétons. Comme la fréquence de marche libre suit une loi gaussienne et que la phase Φi initiale est choisie aléatoirement, pour chaque nombre de piétons, nous effectuons dix « tirages » différents pour la fréquence et à chaque tirage de fréquence, nous associons un tirage de la phase initiale des piétons. Les résultats obtenus sont résumés dans le tableau 1.

Le tableau 1 montre l’existence d’un nombre critique Nc de piétons, supposé entre 150 et 170, à partir duquel le phénomène de synchronisation piéton-structure est observé (augmentation significative de l’amplitude d’oscillation de la passerelle). Ceci est en accord avec le nombre critique trouvé par Bodgi (2008) : Nc = 166. Lorsque le nombre de piétons N est supérieur à Nc, la synchronisation n’a pas lieu pour toutes les distributions de fréquence. La probabilité d’observer une synchronisation augmente lorsque N – Nc augmente. Le pourcentage de piétons qui se synchronisent avec la structure augmente aussi avec N – Nc.

Tableau 1. La synchronisation piéton-structure lorsque la fréquence moyenne de la foule est égale à la fréquence modale de la travée nord,

pour une simulation de 800 s

Nombre de

piétons

Nombre d’essais effectués

Nombre d’essais

synchronisés

Nombre N s de piétons

synchronisés (moyenne)

Ecart-type de Ns

Pourcentage de piétons

synchronisés (%)

150 10 0 - - -

170 10 3 101 2,16 59,4

200 10 9 144 6,22 72

220 10 9 166 6,29 75,3

250 10 9 195 4,24 77,9

300 10 10 251 6,10 83,6

350 10 10 301 2,59 86

Dans la figure 3, on illustre pour une même distribution de fréquences, un cas pré-critique à gauche (N = 150) et un cas post-critique (N = 200) à droite. Les deux graphiques du haut présentent le déplacement latéral de la travée nord à mi-travée. Dans le cas pré-critique (a), on n’atteint pas un état stationnaire et les amplitudes d’oscillations latérales sont très faibles, alors que dans le cas post-critique (b), le déplacement atteint un état stationnaire et son amplitude a une valeur assez élevée. Les graphiques du bas présentent la fréquence instantanée d’oscillation latérale de la travée nord et la fréquence instantanée du piéton à mi-travée. Dans le cas pré-critique (c) les deux courbes sont distinctes, il n’y a pas synchronisation. Par contre, dans le cas post-critique (d), à partir d’un certain instant, ces courbes se superposent quasiment à cause de la synchronisation comme le montre la figure 4.

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Piéton et aménagement

140 © Les collections de l’INRETS

Figure 3. Illustration du phénomène de synchronisation

Comparaison entre l’état pré-critique (N = 150) et l’état post-critique (N = 200) : (a) et (b) représentent le déplacement de la travée nord à mi-travée, (c) et (d) montrent la fréquence instantanée de la travée nord et la fréquence instantanée du piéton à mi-travée.

Figure 4. Zoom sur la figure 3(d)

Pour un même nombre de piétons, lorsque la synchronisation est déclenchée, si on calcule la moyenne de la fréquence instantanée de la travée nord sur les dernières 200 s de la simulation, en vérifiant qu’elles correspondent à l’état stationnaire, on trouve que la fréquence de synchronisation est à peu près la même pour les différents tirages de fréquences étudiés. En effet, sur la figure 5 la bande d’écart-type de la fréquence de synchronisation est très fine. De plus elle s’amincit quand N augmente. On remarque également que la fréquence de synchronisation diminue quand N augmente.

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Interaction foule-structure

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Figure 5. Moyenne des fréquences de synchronisation sur les essais synchronisés à l’état stationnaire

De la même manière, pour un même nombre de piétons, lorsque la

synchronisation est déclenchée, si on calcule la moyenne de l’amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle sur les dernières 200 s de la simulation, en vérifiant qu’elles correspondent à l’état stationnaire, on trouve que cette moyenne est à peu près la même pour les différents tirages de fréquences étudiés. Sur la figure 6, la bande d’écart-type de l’amplitude maximale des oscillations de la passerelle est mince et semble s’affiner lorsque N croît. L’amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle augmente avec N.

Figure 6. Moyenne des amplitudes maximales des oscillations de la passerelle sur les essais synchronisés à l’état stationnaire

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Piéton et aménagement

142 © Les collections de l’INRETS

On introduit ensuite le paramètre d’ordre : ∑=

=N

j

i jeN

R1

1 φ . La figure 7a

illustre l’évolution de ce paramètre (Strogatz et al., 2005) qui donne le degré de cohérence de la phase des piétons. On remarque que l’évolution de R est en accord avec celle de l’amplitude du déplacement latéral de la passerelle. De plus, une augmentation de R traduit le fait que les piétons se synchronisent un à un avec la structure jusqu’à atteindre un nombre maximal de piétons synchronisés, ce qui entraîne un état stationnaire. Pour chaque nombre de piétons, lorsqu’il y a synchronisation, le calcul de R donne la limite inférieure du pourcentage de piétons synchronisés du tableau 1. La figure 7b est un exemple d’évolution de l’amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle.

Conclusion Un modèle de mouvement de foule utilisant un code de dynamique de

contact est proposé mais non détaillé, pour plus de détails voir Pecol et al. (2009). Un modèle d’oscillation latérale de chaque piéton utilisant le modèle de Kuramoto, pour prendre en compte le couplage piéton-structure lorsque les piétons marchent rectilignement sur un plancher en vibration, est implémenté. Les résultats numériques obtenus illustrent bien le phénomène de synchronisation et la notion de nombre critique.

Les étapes suivantes en cours d’avancement consistent à : adapter le couplage piéton-structure pour la marche des piétons dans le plan puis à réaliser un couplage « global » entre la partie mouvement des piétons et celle sur le couplage piéton-structure.

Figure 7. Paramètre d’ordre et amplitude maximale du déplacement latéral de la passerelle ( N = 200)

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Interaction foule-structure

© Les collections de l’INRETS 143

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Piéton et aménagement

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Analyse des franchissements de feux rouges pour améliorer

la sécurité de tous (AFFRAST)

Radoine Dik Centre d'études technique de l'équipement (CETE)-MAN rue René Viviani, BP 46223, 44262 Nantes Cedex 2, France [email protected]

Résumé – En assurant la sécurité de tous les usagers par le partage dans le temps d'un même espace conflictuel, les feux tricolores jouent un rôle important dans la gestion du trafic en milieu urbain. Ils représentent aussi un enjeu de sécurité routière important, notamment pour les piétons, puisqu'un tiers des accidents corporels survenus en intersection concernent des carrefours à feux et que 20 % des accidents piétons y sont dénombrés. Les franchissements illicites de feux rouges constituent un des dysfonctionnements de ce type de carrefour. Dans le cadre de la mise en œuvre programmée de contrôle automatisé de franchissements de feux rouges, des dispositifs ont été expérimentés en France. L'étude a consisté à mener une analyse statistique exploratoire d'un échantillon riche de données issues de l'expérimentation menée à Nantes, pour formuler des hypothèses sur la caractérisation des franchissements en fonction de données temporelles et de données liées aux vitesses de circulation. La littérature a aussi été analysée afin de compléter ces pistes de caractérisation par des pistes de réflexion sur l'infrastructure et les conducteurs. Ces pistes sont sources d'actions (prévention/sanction) pour assurer la sécurité de tous les usagers, en particulier celle des piétons.

Mots-clés : franchissement, sécurité, piéton, vitesse

Objectif de l'étude Les feux tricolores jouent un rôle important dans la gestion du trafic en

milieu urbain en assurant en premier lieu la sécurité des usagers (véhicule ou piéton) en partageant dans le temps l'utilisation d'un même espace conflictuel. Le non respect des feux peut être une source de conflit provoquant des accidents corporels. Le délégué pour la Loire-Atlantique de la Ligue contre la violence routière précisait récemment, dans un article de presse local, la nécessité d'être intransigeant contre ce type d'infraction qu'il constatait, en tant que piéton, en nombre trop important (Gambert, 2009).

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Piéton et aménagement

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L'enjeu de sécurité dans ce type de carrefour reste important puisqu'un tiers des accidents corporels survenus en intersection concernent des carrefours à feux et que 20 % des accidents piétons y sont dénombrés.

Dans le cadre du projet de contrôle automatisé initié en 2003 sous une impulsion interministérielle, le CETE de l’Ouest a été sollicité en mai 2005 pour participer aux expérimentations, sur un site de Nantes, du contrôle automatisé feu rouge pour lutter contre ces infractions. Depuis 2003 des dispositifs de ce type ont aussi été évalués sur les villes du Vésinet, de Metz, de Nancy, de Toulouse et de Paris. L’expérimentation de Nantes a été réalisée du 1er juin 2005 au 30 juin 2006. L'entreprise ELSI-SOMARO a prêté le matériel de contrôle durant une période limitée au besoin de l'expérimentation. La communauté urbaine de Nantes Métropole a piloté la mise en place du dispositif et a participé au suivi de l'expérimentation.

Un nombre important de données ont été recueillies pour valider le dispositif de contrôle dans le cadre du rapport d'évaluation technique de l'expérimentation du contrôle automatisé des franchissements de feux rouges à Nantes (Grégoire, 2006).

Les données de cette expérimentation ont donc été utilisées pour valider le dispositif de contrôle testé. L'objectif de cette étude est de reprendre les données riches issues de cette expérimentation afin de dégager des pistes de caractérisation des principales typologies de franchissement de feux rouges du carrefour rue de Strasbourg de Nantes. La connaissance de ces typologies pourrait à terme être utilisée pour améliorer la sécurité des carrefours à feux, aussi bien en termes de prévention que de sanction, grâce à une meilleure approche des phénomènes de franchissement de feux rouges. Un communiqué de presse récent du Cabinet du ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer précisait d'ailleurs que l'objectif principal du déploiement de nouveaux radars feux rouges était de réduire le nombre d'accidents aux carrefours à feux en visant en particulier à mieux protéger les piétons (Fournier, 2009)

Le site expérimental de Nantes Le dispositif de contrôle des infractions a été installé sur le carrefour entre la

rue de Strasbourg et la rue de Verdun. Toutes les entrées constituant ce carrefour étaient à sens unique avec une affectation précise de chacun des couloirs de circulation et tous les mouvements étaient gérés par des feux tricolores. La durée de la phase de rouge de la branche contrôlée était de 33 secondes. Le trafic de la rue de Strasbourg était estimé à environ 20 000 véhicules par jour. Le système de contrôle installé surveillait les trois voies de la rue de Strasbourg sur une ligne de feu comportant un biais important. Des stationnements se situaient de part et d’autre de la rue. Des véhicules assuraient des livraisons à proximité du feu droit et pouvaient masquer celui-ci. Néanmoins ce point n'a pas été jugé contraignant pour l'analyse des franchissements car ce site de livraison n'était desservi qu'une seule fois par jour (impact très faible sur les mesures enregistrées par séquences de 24h00).

Ce carrefour à feux, représenté figure 1, n'existe plus aujourd'hui et la rue de Strasbourg a été aménagée à double sens de circulation.

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Analyse des franchissements de feux rouges

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Figure 1. Plan synoptique de localisation du dispositif de contrôle expérimenté

Source : Grégoire (2006) Expérimentation du contrôle automatisé des franchissements de feux rouges à Nantes - Rapport d'évaluation technique.

Les données recueillies Le système utilisé pour contrôler les franchissements de feux rouges a

permis de recueillir pour chaque infraction les données suivantes :

− date de l'infraction, heure, minutes, secondes ;

− temps de rouge (1 à 33 secondes) au moment du franchissement ;

− vitesse du véhicule en infraction ;

− conditions de visibilité (jour/nuit) ;

− 2 photos de chaque véhicule en infraction pour l'analyse de la position par rapport à la ligne d'effet des feux ;

− catégorie d'usagers (véhicule léger, 2 roues motorisés, vélo...) ;

− position du véhicule en infraction (voie de circulation).

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Les données complètes ont été recueillies aux dates suivantes : 24 septembre 2005, 29 septembre 2005, 29 novembre 2005, 6 décembre 2005, 7 décembre 2005, 2 mars 2006, 3 mars 2006 et 4 mars 2006.

Au total, 934 infractions ont été enregistrées par le système de contrôle. Un tri a été effectué pour ne conserver que les infractions avérées au sens de la chancellerie, au regard de la position du véhicule par rapport à la ligne de feux après analyse des 2 photos. Les infractions avec véhicules sur ligne de feux sur les photos 1 et 2 mais avec une vitesse supérieure ou égale à 10 km/h ont aussi été conservées pour l'analyse. Au total, 545 infractions ont été analysées sur les 8 jours de relevés dans le cadre du présent rapport d'étude. Quelques approximations ont aussi été adoptées notamment pour les 70 infractions environ pour lesquelles la vitesse n'était pas renseignée à cause d'un changement de file du véhicule en infraction. Pour ces cas, la valeur de 1 km/h a été affectée à la vitesse du véhicule en infraction.

Les données relatives aux catégories d'usagers n'ont pas été exploitées car l'analyse du système a mis en évidence des non détections de vélos et motos.

Les principaux enseignements de l'étude ZELT sur la détection des franchissements de rouge

Le rapport d'expérience de la ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001) a permis de constituer une première référence sur l'analyse des franchissements illicites de feux de circulation permettant notamment de quantifier le phénomène d'indiscipline. Le dispositif de mesure permettait en outre de mesurer l'ensemble des franchissements sur toutes les phases des cycles de feux pour pouvoir les comparer aux franchissements au rouge. Les mesures ainsi réalisées sur 13 entrées de 5 carrefours à Toulouse ont mis en évidence que les taux de violations de rouge en milieu urbain, avec en moyenne un franchissement de rouge enregistré tous les dix cycles, constituent un phénomène préoccupant caractérisé par :

− 2,9 % des franchissements de feux ont lieu pendant la phase de rouge ;

− Entre 4h30 et 5h30, 10 % des franchissements de feux sont effectués pendant le rouge ;

− 25 % des franchissements de rouge ont lieu au-delà de la dixième seconde de rouge ;

− Le phénomène d'anticipation au vert (les 5 dernières secondes de rouge) représente globalement 7,1 % des franchissements de rouge.

L'étude ZELT montrait aussi que les disparités entre sites étaient grandes, mais en général explicables par les caractéristiques du carrefour ou de la régulation. Cette étude n'abordait pas par contre l'analyse des franchissements en termes de comportement du conducteur du véhicule en infraction, notamment par l'étude des vitesses des véhicules pendant les phases de rouge.

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Analyse des franchissements de feux rouges

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L'analyse des données recueillies sur le site expérimental de Nantes

Comme indiqué dans la troisième partie, l'analyse a porté sur 8 journées de mesure réparties entre septembre 2005 et mars 2006. La fiabilité des mesures a été validée dans le cadre de l'évaluation du système de contrôle automatisé notamment à l'aide d'une analyse vidéo (autoscope) menée en parallèle sur certains jours de mesures qui a permis de conforter la qualité des données du système de contrôle au regard des non détections et des fausses détections.

Les données recueillies permettent de caractériser les infractions en fonction de données temporelles (répartition en fonction des heures, du temps de rouge...). Ce premier type de caractérisation permet de comparer le carrefour aux résultats issus de l'étude ZELT citée dans la quatrième partie. Les données relatives à la vitesse permettront une analyse complémentaire pour mieux comprendre le comportement des conducteurs en infraction.

Chacune de ces analyses pourra être source de proposition ou de recherche pour améliorer la sécurité des usagers, en particulier des piétons, en carrefour à feux.

Répartition des infractions en fonction de données temporelles

Répartition des infractions en fonction du temps de rouge

La durée de rouge du carrefour rue de Strasbourg étudié est de 33 s. L'échantillon analysé n'a pas permis une répartition en fonction de la seconde. Il a été préféré une répartition en fonction d'un découpage de la durée de rouge en 5 phases de 6,6 s chacune. L'analyse consiste ici à répartir les franchissements en fonction de la phase de rouge pendant laquelle il se déroule.

Figure 2. Répartition des infractions en pourcentage en fonction du temps de rouge

Le carrefour rue de Strasbourg est ainsi caractérisé par environ 67 % des franchissements dans les 13 premières secondes de rouge (2 premières phases). Ce taux atteint environ 17 % dans la dernière phase (6,6 s) de la durée de rouge qui correspond au phénomène d'anticipation du vert. On retrouve ici des résultats proches de l'étude ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001)

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1re phase 2e phase 3e phase 4e phase 5e phase

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Piéton et aménagement

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pour certains carrefours même si le carrefour étudié présente un taux d'anticipation du vert dans la fourchette haute, alors que la moyenne globale d'anticipation du vert était de 7,1 % dans leur étude.

La connaissance de ce phénomène peut permettre d'ajuster le fonctionnement des feux piétons pour limiter les risques de conflit mais aussi de mieux cibler les contrôles pour limiter ce genre de phénomène.

Répartition des infractions jour/nuit

L'analyse montre une répartition respective des franchissements de 54 % le jour contre 46 % la nuit.

Cette répartition laisse supposer un taux de franchissement par rapport au trafic beaucoup plus important la nuit. Rappelons que l'étude ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001) avait mis en évidence un taux moyen de franchissement au rouge par rapport aux autres phases de feux de 2,9 %, qui passait à 10 % entre 4h30 et 5h30 du matin.

La connaissance du trafic horaire est nécessaire pour mieux approcher ce type de phénomène et permettre éventuellement de mieux cibler la politique de communication alliée à une politique de répression adaptée.

Répartition des infractions en fonction de l'heure

La figure 3 confirme le poids des heures de nuit dans ce type d'infraction car 12,5 % des franchissements ont lieu entre 0h et 6h. Cette répartition permet aussi de retrouver les phases creuses et de pointe du trafic. On retrouve également ici le même type de courbe que l'étude ZELT (Olivero et Sauvagnac, 2001).

Figure 3. Répartition des infractions en fonction de l'heure

A noter que les taux de franchissements les plus importants sont observés entre 9-12h et 18-21h qui correspondent respectivement aux pointes de trafic du matin et du soir. C'est aussi à ces heures de pointes que le trafic est le plus important, tous usagers confondus, et où le risque est donc le plus important pour les usagers vulnérables (vélos, piétons).

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0-3h 3-6h 6-9h 9-12h 12-15h 15-18h 18-21h 21-24h

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Analyse des franchissements de feux rouges

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Répartition des infractions en fonction des jours de la semaine

Avertissement : L'échantillon étudié ne permet pas d'avoir l'ensemble des jours de la semaine. En outre, deux jours de la semaine n'ont été mesurés qu'une fois. Cet échantillon n'est donc pas suffisamment représentatif pour l'analyse en fonction des jours de la semaine. Les résultats doivent donc être pris avec réserves.

Figure 4. Répartition du nombre moyen journalier des infractions en fonction des jours de la semaine

Pas de mesures les lundis et dimanches sur l'échantillon étudié.

Sur la période étudiée, nous observons donc un pic des infractions le mercredi par rapport aux autres jours de la semaine, alors que cette journée est généralement caractérisée par un trafic plus fluide. La moyenne journalière des infractions lors des jours ouvrables (mardi au vendredi) s'établit à 71,5 infractions contre 58 le samedi.

Répartition du temps moyen de rouge lors des infractions en fonction de l'heure

Ce temps moyen de rouge représente la moyenne des temps écoulés depuis le début de la phase de rouge correspondante à chaque infraction.

Figure 5. Répartition des temps moyens de rouge lors des infractions en fonction des heures

0

83,5

102

51,557 58

0

20

40

60

80

100

lundi mardi mercredi jeudi vendredi samedi dimanche

0

0

5

10

15

20

0-3h 3-6h 6-9h 9-12h 12-15h 15-18h 18-21h 21-24h

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Piéton et aménagement

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L'analyse de ce temps moyen en fonction des heures de la journée conduit à une répartition de cette durée moyenne par tranche horaire de 3 heures qui va de 10,5 secondes à 14 secondes.

Le temps moyen de rouge lors des infractions sur l'ensemble des infractions étudiées s'établit à 11,59 secondes.

Les franchissements les plus tardifs sont ainsi observés entre 0 et 6h même s'ils sont globalement bien répartis dans la journée. A noter que l'heure de pointe du matin est marquée par des franchissements légèrement plus tardifs que celle du soir.

L'analyse par périodes de 3h00 a été préférée à une analyse par périodes horaires pour éviter les effets de dispersion dus à l'échantillon étudié. Néanmoins l'analyse des données montrent que les temps moyens de rouge écoulés lors des infractions en fonction de périodes horaires sont les plus faibles entre 7h00 et 8h00, entre 15h00 et 16h00 et entre 18h00 et 19h00 (temps moyens < 10 secondes) donc en partie pendant les pointes de trafic.

Répartition des infractions en fonction du critère vitesse Répartition des infractions en fonction de la vitesse

Cette répartition a été étudiée en fonction de classe de vitesse de 10 km/h.

La majorité des infractions se produit à une vitesse relativement faible puisque 63 % des véhicules en infraction circulent à une vitesse inférieure à 20 km/h.

Néanmoins, on observe tout de même 17 % des infractions à une vitesse supérieure à 30 km/h dont 5,5 % à plus de 40 km/h avec donc un risque important de conséquence corporelle grave en cas de choc avec un usager vulnérable (vélo, piéton).

Figure 6. Répartition des infractions en fonction de la vitesse

Répartition des vitesses moyennes des infractions en fonction de la classe d'heure

L'analyse précédente a mis en évidence l'existence d'infractions à vitesse relativement élevée au droit d'un carrefour à feux au rouge.

La figure 7 permet de mieux cibler les périodes de la journée où le risque d'avoir une vitesse importante de franchissement est la plus forte.

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0-10 10-20 20-30 30-40 40-50 > 50 km/h

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Analyse des franchissements de feux rouges

© Les collections de l’INRETS 153

Figure 7. Répartition des vitesses moyennes des infractions en fonction de l'heure

Le risque d'avoir une vitesse de franchissement importante est donc

maximum entre 3 et 6h du matin. La vigilance de tous les usagers doit donc être maximale pendant cette période y compris pendant les phases de vert des courants antagonistes.

A noter que l'heure de pointe du soir est caractérisée par une vitesse moyenne de franchissement plus importante que celle du matin car on arrive à des vitesses moyennes respectives d'environ 17,3 km/h et de 12,9 km/h. Celle du soir peut présenter des risques plus grands pour les usagers vulnérables (vélos, piétons) en circulation plus importante à ces heures où on observe traditionnellement plus d'accidents corporels de la circulation.

Répartition des vitesses moyennes des infractions dans la durée de rouge

L'analyse de la répartition des infractions dans la durée de rouge avait mis en évidence une part importante (67 %) dans les 13 premières secondes de rouges et une part élevée, pour le carrefour rue de Strasbourg, du phénomène d'anticipation au vert (17 % des infractions dans les 6 dernières secondes). La répartition des vitesses dans la durée de rouge semble aussi intéressante pour caractériser ces franchissements au regard des risques pour l'ensemble des usagers.

Figure 8. Répartition des vitesses moyennes des infractions dans la durée de rouge

Durée de rouge (33 s) découpée en 5 phases de 6,6 s chacune

0

5

10

15

20

25

0-3h 3-6h 6-9h 9-12h 12-15h 15-18h 18-21h 21-24h

0

10

20

30

40

50

1re phase 2e phase 3e phase 4e phase 5e phase

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Piéton et aménagement

154 © Les collections de l’INRETS

Le phénomène d'anticipation du vert (5e phase) est donc caractérisé par une vitesse moyenne de franchissement importante puisqu'elle dépasse légèrement les 23 km/h. C'est la phase où les vitesses moyennes observées sont les plus importantes. La vitesse moyenne des véhicules reste inférieure à 16 km/h dans les 13 premières secondes de rouge.

Le phénomène de dégagement (premières secondes de rouge) est donc caractérisé par des vitesses plutôt réduites en moyenne à l'inverse du phénomène d'anticipation du vert où les vitesses sont les plus élevées.

Prise en compte de ces résultats pour améliorer la sécurité des piétons

L'analyse menée dans cette étude se base sur les données recueillies lors de l'expérimentation du contrôle automatisé, comme indiqué dans le premier chapitre, axée sur les véhicules. L'étude a consisté à analyser les franchissements au rouge des véhicules pour pouvoir caractériser ce type d'infractions en fonction de données temporelles mais aussi de vitesses des véhicules en infraction.

La connaissance de ces phénomènes est une source d'actions intéressantes pour sécuriser les comportements des piétons aux carrefours à feux où 20 % des accidents impliquant un piéton se produise. Différentes actions sont envisageables comme celles relevant des dispositifs de communication/prévention, celles relevant d'actions sur l'infrastructure mais aussi la poursuite d'études et de recherches sur les interactions piétons/véhicules dans les carrefours gérés par des feux tricolores.

Actions de communication/prévention et de sanction Les actions de communication/prévention peuvent se baser sur les résultats

présentés ci dessous pour axer le message, auprès du public piéton cible, sur la nécessité d'avoir une vigilance accrue à certaines périodes de la journée, caractérisées par des taux de franchissements élevées ou des vitesses pratiquées plus importantes, augmentant le risque de gravité des accidents :

− 67 % des franchissements dans les premières secondes de rouge notamment aux heures de pointes du trafic du matin et du soir. C'est aussi pendant ces deux périodes horaires que nous observons le plus d'infractions (36,3 % des infractions en cumulées sur ces deux périodes). A noter que les vitesses des franchissements sont relativement importantes à l'heure de pointe du soir.

− Le phénomène d'anticipation du vert dans les dernières secondes de rouge (17 % des infractions) est caractérisé par des vitesses moyennes plus importantes augmentant le risque de gravité des chocs, notamment la nuit entre 0h00 et 6h00 où on observe des franchissements tardifs et les vitesses les plus importantes.

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Analyse des franchissements de feux rouges

© Les collections de l’INRETS 155

− La vigilance des piétons doit également être accrue la nuit où on observe 46 % des infractions et donc un taux de franchissement plus élevé avec un trafic plus faible ;

− Lors des jours ouvrables, on observe également un nombre de franchissements plus importants le mercredi alors que le trafic est plus fluide et que les enfants peuvent être amenés à se déplacer pour des activités de loisirs.

La connaissance de ces phénomènes peut aussi permettre d'adapter les stratégies de contrôle des forces de l'ordre pour mieux les cibler et sécuriser les traversées piétonnes pendant ces périodes critiques.

Actions sur l'équipement et la géométrie des carrefours La répartition des infractions dans le temps (jour/nuit) et en fonction de

l'heure peut aussi permettre de mieux adapter le fonctionnement du carrefour entre les périodes diurnes et nocturnes, en fonction du trafic circulant sur les voies secondaires, afin d'optimiser la durée de la phase de rouge.

Elle peut aussi inciter à un diagnostic de fonctionnement du carrefour à feux pour rabaisser ces taux de franchissements s'ils sont trop importants car des réglages inadaptés peuvent aussi expliquer ce genre de phénomène.

La géométrie du carrefour et notamment les visibilités aux différentes branches peuvent aussi être à l'origine de dysfonctionnements. S. Halmark rappelle en effet, dans son rapport d'évaluation du dispositif de contrôle feux rouges dans l'Iowa (2007), que certaines caractéristiques des carrefours à feux peuvent augmenter le risque d'infraction (temps d'arrêt, pente, visibilité, lisibilité, signalisation) et qu'un diagnostic préalable du carrefour peut aider à améliorer la situation avant la mise en œuvre d'un système de contrôle des franchissements. La connaissance affinée de ces phénomènes permettrait aussi de proposer des pistes méthodologiques, sous forme de grille d'analyse par exemple, pour mieux comprendre les dysfonctionnements de certains carrefours à feux et proposer des actions correctives destinées à améliorer la sécurité des usagers piétons en particulier.

Des actions simples sur l'équipement des carrefours à feux et notamment la réduction de la visibilité par les véhicules sur les figurines piétons pourrait limiter également certains franchissements notamment pour anticiper le vert.

Poursuite des études et des recherches sur les interactions piétons/véhicules dans les carrefours à feux

Les hypothèses issues de cette analyse mériteraient d'être confortées par l'exploitation de données sur plusieurs carrefours à feux afin d'avoir un échantillon plus représentatif et pouvoir engager des études de projection au niveau national. Une telle projection nécessiterait également de suivre les infractions sur différents types de carrefours (en T, en croix, en fonction de l'importance des mouvements tournants...).

La connaissance des infractionnistes et des comportements des piétons accidentés peut également être intéressante pour mieux cibler les actions de

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Piéton et aménagement

156 © Les collections de l’INRETS

prévention et de répression. Une étude sur les violations de feux rouges réalisée par Yang et Najm (2006) a permis de compléter les données sur la caractérisation des franchissements de feux rouges à Sacramento. Elle analyse, entre autre, l'influence de l'âge sur le comportement des conducteurs infractionnistes et les vitesses pratiquées par ces usagers lors de ces infractions. Retting (1999) a aussi observé un effet du genre sur ce type de phénomène en constatant que les hommes sont de plus grands infractionnistes.

Ce type d'analyse, complétée par un volet piéton, pourrait aussi être menée en France sur la base d'une analyse des PV des accidents corporels, à l'échelle d'une agglomération, permettant de caractériser les conducteurs responsables d'accidents corporels en carrefours à feux (âge, sexe, circonstances, origine socioprofessionnelle,...) et le comportement des piétons. A Nantes, on observe par exemple 96 accidents impliquant au moins 1 piéton sur un total de 361 accidents en carrefour à feux sur la période 2006-2008, soit un taux de 27 %.

Conclusions L'analyse statistique descriptive des franchissements de feux rouges à partir

de l'échantillon des données issues de l'expérimentation du système de contrôle feux rouge à Nantes, a permis de dégager des pistes intéressantes de caractérisation des comportements des usagers en infraction. Ces pistes sont sources d'action en termes de communication/prévention, en terme d'actions sur l'infrastructure et en terme de sanction, pour optimiser la sécurité de tous les usagers, en particulier la sécurité des piétons.

Le déploiement annoncé par la DSCR sur un nombre important de carrefours en France en 2009-2010 de dispositifs de contrôle automatisé de franchissements de feux rouges sera aussi une source de données qu'il sera intéressant de pouvoir exploiter pour analyser l'impact de ces dispositif, mais aussi pour étudier l'évolution dans le temps de certains comportements d'usagers en infraction sur un nombre importants de carrefours à l'échelle nationale.

Références Grégoire, D. (2006) Expérimentation du Contrôle Automatisé des

Franchissements de Feux Rouges à Nantes. Rapport d'évaluation technique.

Halmark, S. (2007) Evaluation Red Light Running Programs in Iowa – Iowa Department of Transportation.

Retting, R.A, Ulmer, R.G., and Williams, A.F.(1999). Prevalence and Characteristics of Red Light Running Crashes in the US. Accident Analysis and Prevention, 31, 687-694.

Yang CY et Najm WG (2006). Analysis of red light violation data collected from intersections equipped with red light photo enforcement. US Department of transport, DOT-VNTSC-NTHSA-05-01.

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Analyse des franchissements de feux rouges

© Les collections de l’INRETS 157

Olivero, P, Sauvagnac, P. (2001) – Détection des franchissements de rouge sur 13 entrées de 5 carrefours de la ZELT – Rapport d'expérience.

Gambert, P. (2009) – Radars aux feux rouges : 5 sites à l'étude à Nantes – Article Ouest France du 4 juin 2009.

Fournier, JN. (2009) – Protection des passages piétons : « Mise en place des nouveaux dispositifs feux rouges » - Communiqué de presse du cabinet du Ministre d'Etat, Jean-Louis Borloo, du 2 juillet 2009.

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© Les collections de l’INRETS 159

Tribune libre

Exemples mondiaux et avantages sécuritaire

d’une ligne d’arrêt transversale avant les passages piétons

Jacques Robin Institut national pour la sécurité des enfants 3, rue du général de Gaulle, 56140 Malestroit, France [email protected] www.institutsecuriteenfant.org Mots-clés : passage piéton, danger, ligne d’arrêt, véhicule

Le rapport présenté dans cette tribune libre :

− traite des difficultés et des dangers pour les piétons de traverser, en France, sur un passage piéton du fait que les véhicules s'arrêtent trop près du passage piéton ;

− expose la solution pour éviter ce danger : le marquage d'une ligne avancée, large (50 cm), continue et visible, à environ cinq mètres en amont du passage piéton, pour matérialiser le point d'arrêt si l'on prévoit de s'arrêter ;

− rappelle que la Conférence des Nations Unies (Convention de Vienne 1968) prévoit une telle ligne continue : ligne continue utilisée pour l'arrêt aux carrefours pourvus de stop « peut aussi être employée pour indiquer la ligne de l'arrêt éventuellement imposé par un signal lumineux » ;

− montre que les pays européens, pour la plupart, et également hors Europe, ont utilisé, depuis plusieurs décennies, cette possibilité de marquer une telle ligne en amont des passages piétons précédant les feux (une série de photos est jointe), et montre que certains pays l'on même étendu aux passages piétons hors feux ;

− expose l'expérimentation qui existe depuis 1997 dans une ville française, Brignais (69) ;

− analyse certaines analogies d'une telle ligne avec le sas vélos et les avantages concomitants ;

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Piéton et aménagement

160 © Les collections de l’INRETS

− souligne également le caractère nocif des répétiteurs de feux (sur partie basse des supports de feux) qui ne semblent pas être utilisés ailleurs qu'en France et qui encouragent les véhicules à s'approcher, au maximum, des passages piétons.

Difficultés et dangers actuels pour les piétons de traverser sur un passage piéton et avantages du marquage d'une ligne avancée

Trois causes de dangers existent aux passages piétons du fait que les véhicules s'arrêtent trop près du passage piéton :

− le manque de visibilité entre le piéton qui traverse et le véhicule (voiture ou moto) qui double le premier véhicule arrêté. Ce danger est présent à tous les passages-piétons (avec ou sans feux).

− les hésitations et craintes du piéton face à des véhicules qui s'approchent. Ce deuxième danger se trouve seulement aux passages-piétons sans feux.

− lorsque la voiture s’est arrêtée au ras du passage piéton, le piéton qui traverse tout près de cette voiture est en danger d'un redémarrage impromptu. Danger concerne tous les passages-piétons.

Premier danger Le premier danger est le manque de visibilité entre le piéton qui traverse et

le véhicule (voiture ou moto) qui double le premier véhicule arrêté ou circule sur l'autre file. Ce danger est présent sur tous les passages piétons : tant sur les passages-piétons associés à un feu que sur les passages-piétons sans feu Le danger peut venir soit d'un véhicule qui double (fig. suiv., à gauche), soit d'un véhicule qui circule sur la file adjacente en cas de 2 x 2 voies (fig. à droite).

Ces accidents dramatiques sont fréquents et souvent mortels, nous en

citerons trois exemples typiques de trois situations différentes où trois enfant ont été tués : sur une voie simple, à Strasbourg Oscan, sur une 2 x 2 voies à Châteauroux Laurent, à un carrefour à feu, à Marseille, un adolescent.

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Exemples mondiaux et avantages d’une ligne d’arrêt transversale

© Les collections de l’INRETS 161

Piéton non vu Piéton bien vu

Pour réduire ce manque de visibilité une solution serait de faire arrêter le premier véhicule cinq mètres avant le passage piéton (figure de droite) de ce fait, le véhicule « doublant » apercevrait le piéton lorsqu'il est encore assez loin. De même, le piéton apercevrait le véhicule « doublant » et pourrait ainsi interrompre sa progression.

Deuxième danger Le deuxième danger concerne les hésitations et craintes du piéton face à

des véhicules qui s'approchent, situation qui se conclut en général au profit du véhicule.

Ce danger se présente principalement aux passages-piétons sans feu. Dans ce cas, la décision de s'arrêter ou de continuer est prise par le conducteur, et non imposée par le feu.

Le caractère aléatoire de cet arrêt crée une suite d'hésitations et de craintes justifiées du piéton qui agissent sur l'interaction « piéton-conducteur » en induisant chez le conducteur un comportement dangereux et irrespectueux du piéton.

Troisième danger Lorsque la voiture s’est arrêtée au ras du passage piéton, le piéton qui

traverse tout près de cette voiture est en danger d'un redémarrage impromptu.

5 m

Ligne blanche marquée

Voiture venant de s’arrêter pour laisser

passer le piéton

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Piéton et aménagement

162 © Les collections de l’INRETS

Cas de passage piéton sans feu. Dans l'hypothèse où la voiture s'arrête, elle s'arrête au ras du passage piéton, c'est trop près du piéton car il est en danger d'un redémarrage impromptu, pour des raisons variées (hésitations réciproques, incompréhension, distraction, maladresse sur les pédales...). Cette proximité immédiate ne laisse aucune marge de manœuvre ou de rattrapage au conducteur pour « re-arrêter » son véhicule ni au piéton pour un évitement surtout si ce piéton est âgé et ne peut pas rapidement se mouvoir dans une telle occurrence.

Conclusion : les trois situations de danger seraient améliorées si le point d'arrêt éventuel des véhicules était fixé à 5 mètres en avant du passage piéton.

Ce que permettent les textes La convention de Vienne-Genève sur la signalisation routière (Nations-

Unies), permet d'implanter une telle ligne large (50 cm) et continue.

L'Instruction interministérielle sur la signalisation routière (France) prévoit seulement (et dans certains cas seulement) une ligne tiretée et mince (15 cm), donc très peu visible, donc non respectée.

Noter sur la photo que les voitures sont effectivement à l'arrêt (figurine piéton verte allumée).

D'autres exemples sont disponibles auprès de l’auteur :

− pour des passages piétons associés aux feux : Autriche, Italie, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Portugal, Slovénie, Espagne, États-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Danemark ;

− pour des passages piétons sans feux : Serbie, Tchéquie, Slovénie, Portugal, Indonésie.

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Exemples mondiaux et avantages d’une ligne d’arrêt transversale

© Les collections de l’INRETS 163

Bratislava en Slovaquie

Expérimentation de Brignais (Rhône) Une expérimentation a été menée depuis 1997 dans une ville française,

Brignais, sur plusieurs passages piétons sans feux, sur une artère importante. Cette expérimentation n'a décelée aucun inconvénient.

Aspects collatéraux du recul de 5 mètres devant les passages piétons Sur les sas vélos

La couleur verte parfois utilisée pour les sas vélo s'est avérée peu visible. L'Instruction interministérielle sur la signalisation routière ne prévoit d'ailleurs, pour les sas, qu'une ligne tiretée de 15 cm seulement, donc peu visible, donc non respectée. Certaines villes ont adopté pour les sas, le marquage par deux lignes blanches continues larges (50 cm), ce qui rejoint mutatis mutandis l'emploi de la ligne d'arrêt devant les passages piétons objet du présent rapport. Il apparait à l'expérience, qu'une telle ligne large et continue est très bien comprise et acceptée par les automobilistes et ne les gêne nullement.

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Piéton et aménagement

164 © Les collections de l’INRETS

Exemple à Rennes

Sur les répétiteurs en bas de mât des feux

Les répétiteurs de feux sont nocifs pour la sécurité des piétons car ils incitent les conducteurs à venir s'arrêter au plus près du feu et donc au plus près du passage piéton, ce qui est contraire à la sécurité des piétons. De tels répétiteurs n'existent, à notre connaissance, qu'en France. Des photos d'absence de répétiteurs seront montrées : Suisse, Autriche, Slovaquie, Italie, Slovénie, Belgique, Chine, États-Unis, Danemark Espagne, Allemagne, Portugal, Québec.

Un premier pas intéressant déjà fait par la ville de Lyon avec suppression des répétiteurs.

Conclusion Il serait souhaitable qu'en France, le marquage d'une ligne d'arrêt, large et

continue soit systématisée devant les passages piétons associés aux feux et soit recommandée devant les passages piétons en section courante, comme cela est fait dans les autres pays et comme cela est prévu dans la convention de Vienne-Genève. La sécurité des piétons et surtout des enfants serait grandement améliorée.

Un dossier complet est disponible sur simple demande à l'auteur par courriel.

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Partie 3 Accidentologie du piéton

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© Les collections de l’INRETS 167

Tribune libre

L’accident de piéton et la victime « piéton »

Anne-Sophie Evrard, Jean-Louis Martin, Amina Ndiaye, Bernard Laumon

Unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance transport travail environnement (UMRESTTE), INRETS-Université Lyon 1-InVS 25 avenue François Mitterrand, Case 24, 69675 Bron Cedex, France [email protected] Mots-clés : accident de la route, piéton, lésion, registre

Le registre des victimes corporelles d’accidents de la circulation routière dans le département du Rhône enregistre depuis 1995 toutes les victimes prises en charge dans les services hospitaliers publics et privés, du Rhône et des proches alentours, qu’elles soient hospitalisées ou non. Parmi les victimes enregistrées dans ce registre, près d’une victime sur dix est un piéton (10 131 / 107 670, sur onze années d'étude, 1996-2006). Leur nombre annuel serait plutôt stable (environ 1000 victimes par an avant 2000 et 800 victimes par an après 2000, année où la sécurité routière a été déclarée « grande cause nationale »). Entre 1996 et 2006, le nombre de piétons, victimes d’accidents corporels de la route a diminué de 20 % (pour l'ensemble des victimes, le nombre de victimes d’accidents corporels de la route a diminué de 15 %).

L’accident de piéton Plus de 80 % d’entre eux sont heurtés par une voiture, 8 % par un camion,

une camionnette, un car ou un bus, environ 6 % par un deux-roues motorisé et 3 % par un vélo. À noter que seulement 29 piétons (0,3 %) ont été heurtés par un usager de rollers, chiffre qui ne confirme pas la crainte inspirée par les usagers de rollers à certains piétons (et notamment les plus âgés d'entre eux). À l'inverse, les piétons ne sont pas les seules victimes de l'accident dans 355 cas (3,5 %) : les autres victimes sont essentiellement des usagers de deux-roues motorisés (42 %), des cyclistes (31 %), mais aussi des occupants de voiture (17 %), des occupants de car ou bus (2,5 %), et des usagers de rollers (5,6 %).

Comparés à l’ensemble des usagers, les piétons sont victimes de leur accident plus souvent en milieu urbain, que ce soit dans une rue (91,5 % vs 71,8 %) ou sur un parking (2,5 % vs 1,1 %). Près de 94 % d'entre eux résident dans le département du Rhône.

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Accidentologie du piéton

168 © Les collections de l’INRETS

La victime « piéton » La victime « piéton » est un peu plus souvent un homme qu’une femme

(sexe-ratio de 1,15), écart amplifié si l’on prend en compte l’excès de la population féminine dans le département du Rhône (rapport d’incidences de 1,24). Ce résultat global doit cependant être nuancé selon l’âge des victimes (cf. Figure 1). La sur-morbidité du garçon jusqu’à 15 ans est particulièrement notable, et contraste avec celle, constante mais modérée, des hommes plus âgés. On peut aussi remarquer le décalage des pics d’incidence (10-14 ans chez le garçon, 15-19 ans chez la fille) et l’existence d’un deuxième pic d’incidence tardif (80-84 ans, tant chez l’homme que chez la femme), conséquence vraisemblable d’une vulnérabilité exacerbée conjuguée à une exposition devenue élevée (et sans doute réduite, volontairement ou non, à des âges encore plus avancés).

Figure 1. Incidence des victimes « piétons » selon leur âge et leur sexe

Age des victimes Piétons

Cyclistes et usagers de

rollers

Usagers de deux-roues motorisés

Occupants de voiture Autres

0-4 385 493 10 377 77

05-sept 631 1737 64 471 116

oct-14 654 3464 808 447 172

15-19 ans 556 2144 6209 2945 127

20-24 ans 471 1211 3418 5929 278

25-29 ans 358 926 2476 4209 292

30-34 ans 331 795 1779 2998 291

35-39 ans 285 698 1333 2188 249

40-44 ans 256 554 1058 1565 222

45-49 ans 213 458 689 1381 162

50-54 ans 235 348 417 1209 140Taux pour 1000 habitants du Rhône, de mêmes âge et sexe, source : recensement 1999) (N = 10 100, Registre du Rhône 1996-2006).

Les blessures du piéton non décédé Gravité des atteintes

Si la répartition décroissante du nombre de victimes « piétons » en fonction de la gravité de leurs lésions est comparable à celle de l’ensemble des autres victimes, toutes autres catégories d’usagers confondues, les piétons présentent toutefois plus souvent des atteintes graves. Ainsi, seulement à peine plus de six piétons sur dix, contre près de trois autres victimes sur quatre, ne présentent que des lésions mineures. Cette sur-gravité relative permet de quantifier la plus grande vulnérabilité des piétons.

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L’accident de piéton et la victime « piéton »

© Les collections de l’INRETS 169

Un peu plus souvent victime d’un accident corporel que les femmes, les hommes « piétons » présentent aussi plus souvent des blessures graves : le sexe-ratio croît régulièrement avec la gravité des atteintes. L’âge semble aussi jouer un rôle dans la gravité des blessures, comparable à celui observé sur l’ensemble des victimes. En effet, on retrouve le pic juvénile relatif (toutefois moins marqué), plus précoce chez les filles que chez les garçons (entre 5 et 9 ans vs entre 10 et 14 ans). A noter aussi la croissance remarquablement régulière de la proportion des atteintes graves au fur et à mesure de l’avancée dans l’âge adulte.

Localisation des atteintes Près de deux victimes « piétons » non décédées recensées sur trois

présentent une atteinte aux membres inférieurs, une sur trois aux membres supérieurs, et presque une sur deux à la tête et/ou à la face et/ou au cou (sans la colonne) (cf. Figure 2). Comparativement aux autres victimes, on peut souligner le fort sur-risque au niveau des membres inférieurs (risque relatif de 1,9), et aussi ceux attachés à la tête (1,5), à la zone externe (1,3) et à la face (1,3).

Figure 2. Répartition des victimes « piétons » non décédées selon leurs régions corporelles atteintes comparée à celle des autres victimes

non décédées

14,4%

11,5%

16,2%

4,8%

23,6%

32,7%

32,2%

25,3%

3,4%

9,8%

4,8%

9,6%

31,6%

62,7%

10,7%

17,3%

8,1%

18,5%

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%

Tête

Face

Cou

Thorax

Abdomen

Colonne vertébrale

Membres supérieurs

Membres inférieurs

Zone externe

Autres victimes

Piétons

Pourcentages rapportés, pour chaque région corporelle, aux victimes concernées (N = 105 602 victimes dont 9 871 piétons, Registre du Rhône 1996-2006).

Nature des atteintes Une victime est atteinte en moyenne d'environ 2,2 lésions. Comparativement

au nombre moyen de 1,9 lésion sur l'ensemble des autres victimes, le piéton apparaît comme une victime fortement poly-lésionnelle.

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Accidentologie du piéton

170 © Les collections de l’INRETS

Près de 69 % des victimes « piétons » souffrent de contusions et 31 % d’entre elles sont atteintes d’une fracture. Il faut noter que près de 15 % des victimes « piétons » ont subi une perte de connaissance à la suite de leur accident. Contrairement à ce que l'on observe sur l'ensemble des victimes, l'une des lésions le plus fréquemment observées chez le piéton n'est pas de gravité mineure mais de gravité modérée. Il s'agit de la fracture de la tête, du col ou de la diaphyse du péroné, décrite sur plus d’un piéton sur vingt. Cette fracture est observée un peu plus souvent chez les hommes que chez les femmes (6,2 % vs 4,5 %). Les lésions graves les plus fréquemment observées, chez les piétons qui survivent à leur accident, sont des lésions cérébrales, notamment des hématomes et des œdèmes cérébraux, et des lésions thoraciques, en particulier des fractures avec ou sans volet.

Conclusion D’une manière générale, les victimes « piétons » sont plus gravement

atteintes que les autres usagers. On peut retenir que les lésions graves des piétons constituent 18,1 % des lésions graves dénombrées sur l’ensemble des victimes, alors que les piétons “ne” représentent “que” 9,4 % de ces victimes.

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

Thierry Serre Laboratoire de biomécanique appliquée UMRT24 INRETS/Université de la Méditerranée, Faculté de médecine Nord boulevard Pierre Dramard, 13916 Marseille, France [email protected]

Résumé – L’objectif de cet article est de proposer un bilan général des recherches dans le domaine de la sécurité passive du piéton et plus particulièrement sa protection lors d’un choc avec un véhicule léger. A partir d’éléments issus de recherches menées en biomécanique, en épidémiologie et en accidentologie, nous dresserons une synthèse sur le choc piéton en terme de lésions constatées, de cinématique de l’impact, de mécanismes lésionnels et de critères de blessures, de moyens de protection, de réglementation automobile… Cet article s’appuie sur de nombreuses sources bibliographiques mais également sur les résultats obtenus par le Laboratoire de Biomécanique Appliquée dans le domaine de la protection du piéton depuis plus de 20 ans.

Mots-clés : accident, piéton, sécurité passive, réglementation

Introduction Au cours de son déplacement, le piéton est confronté bien souvent à des

situations accidentogènes qui peuvent conduire malheureusement au choc avec un véhicule. Au cours de cette phase de crash, l’environnement du piéton composé de l’infrastructure et surtout des véhicules qui peuvent les percuter devient alors un élément agressif pour lui. La vulnérabilité du piéton nécessite alors de mettre en place des moyens de protection pour limiter les conséquences lésionnelles. Ces moyens concernent en premier lieu la conception des véhicules qu’il faut rendre le moins agressif possible lors d’une collision avec un piéton.

De nombreuses réflexions ont été menées en ce sens et l’objectif de ce papier est de dresser un bilan général sur l’avancée des recherches dans ce domaine et de synthétiser les priorités en sécurité passive pour le choc piéton.

Cet article se décompose en trois parties principales qui s’articulent de la manière suivante.

Après avoir exposé dans la première partie les caractéristiques globales du choc piéton en termes de configurations d’accidents et de lésions observées, ce papier s’attachera à décomposer cinématiquement la chronologie de l’accident.

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Accidentologie du piéton

172 © Les collections de l’INRETS

Tour à tour, seront plus particulièrement détaillés les impacts suivants :

− impact des membres inférieurs contre le pare choc du véhicule ;

− impact du bassin contre la face avant (pare choc) du véhicule ou le capot ;

− impact de l’épaule et de la tête contre le capot ou le pare-brise ;

− impact du piéton contre le sol lors de sa chute.

Les principales spécificités de chacun de ces impacts seront alors décrites à l’aide de résultats provenant de recherches expérimentales (essais de crash-tests notamment), de simulations numériques (traumatologie virtuelle) et de reconstructions d’accidents réels.

Dans la dernière partie, les moyens de protection développés à l’heure actuelle dans l’industrie automobile ainsi que les essais réglementaires permettant de limiter les conséquences du choc seront présentés et discutés.

Cet article s’appuie sur de nombreuses sources bibliographiques mais également sur les résultats obtenus par le Laboratoire de biomécanique appliquée dans le domaine de la protection du piéton depuis plus de 20 ans (Cavallero et al., 1983). Parmi ces recherches, on retrouvera en particulier les conclusions émanant du projet « APPA » (Amélioration de la protection des piétons en cas d’accident) financé par le ministère (DSCR) dans le cadre du Predit (APPA, 2007).

Accidentologie du choc piéton Configurations des chocs piétons

D’un point de vue général, il apparaît qu’un accident entre un piéton et un véhicule léger s’effectue en premier lieu en configuration où le piéton est en phase de « traversée de chaussée ». Cette configuration d’accident a en effet été identifiée comme l’un des scénarios les plus fréquents en accidentologie piétonne par (Ravani et al., 1981 ; Berg et al., 2003 ; Brenac et al., 2003). Cette configuration étant la plus probable, les recherches en sécurité passive se sont donc naturellement orientées sur les solutions envisageables permettant de limiter les conséquences lésionnelles lorsque le piéton est percuté par un avant de véhicule de tourisme. Nous ne détaillerons donc pas par la suite les chocs où le piéton est impacté par le côté ou l’arrière du véhicule, ni lorsque ce dernier est percuté par un poids-lourd, un bus, un deux-roues motorisées, etc.

Épidémiologie Les recherches en accidentologie et en épidémiologie ont permis de mettre en évidence notamment que les populations les plus touchées sont les jeunes et les vieux (Carter et al., 2008, Fontaine et al., 1997). D’un point de vue lésionnel, il a été montré par plusieurs auteurs que les segments corporels les plus touchés sont la tête et les membres (inférieurs et supérieurs) (APPA, 2007, Carter et al., 2008, Jarret, 1998, Mizuno, 1998, Otte, 2000). La figure 1 rapporte par exemple les résultats obtenus dans le cadre du projet (APPA, 2007) lors d’une analyse épidémiologique des descriptions lésionnelles des piétons accidentés répertoriés

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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par le registre du Rhône entre 1996 et 2002. Par suite, les recherches en sécurité passive s’orienteront donc vers la protection de ces segments corporels.

Figure 1. Répartition par segments corporels des lésions observées toutes gravités confondues chez les piétons accidentés

D’après les chiffres de l’INRETS-UMRESTTE obtenus dans APPA (2007)

Risque lésionnel Lors des accidents piétons, la vitesse du véhicule est l'un des facteurs les

plus influents sur le déroulement de l'impact et sur la gravité des lésions. Plusieurs études ont ainsi montré que, pour l'usager vulnérable, des vitesses d'impact inférieures à 20 km/h, conduisent en général à des blessures légères alors que des vitesses supérieures à 50 km/h conduisent souvent à des blessures mortelles (Carter et al., 2008, Karger et al., 2000, Mizuno, 1998, Otte, 2000). La gravité et les mécanismes de blessure augmentent alors de façon marquée dans cet intervalle de vitesse. Différents auteurs ont ainsi établis plusieurs courbes de risque de fatalité en fonction de la vitesse du véhicule. La figure 2 illustre par exemple les résultats reportés par (Schmitt et al., 2004) qui montre que au-delà d’une vitesse d’impact de 60 km/h le piéton a 80 % de risques mortels et ceux plus récents de (Rosén et al., 2009) qui montre qu’il faut atteindre des vitesses de l’ordre de 75 km/h pour avoir 50 % de risques mortels.

Figure 2. Courbes de risque de mortalité du piéton en fonction de la vitesse d’impact du véhicule

D’après Schmitt et al. (2004) – à gauche – et d’après Rosén et al. (2009) – à droite.

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Accidentologie du piéton

174 © Les collections de l’INRETS

Par ailleurs, il apparaît que la vitesse moyenne des véhicules au moment de l’impact, c'est-à-dire lorsqu’elles heurtent les piétons, est inférieure à 50 km/h (Carter et al., 2008, Otte, 2000). Les recherches en sécurité passive s’orienteront donc sur la protection des piétons pour des vitesses allant jusqu’à 60 km/h, considérant que, au-delà de cette limite, il devient difficile de le sauver.

Analyse biomécanique Cette analyse consiste à étudier le comportement mécanique du corps

humain au cours du choc. Elle repose plus particulièrement sur la complémentarité d’une approche expérimentale et d’une approche numérique. L’approche expérimentale consistera à reproduire, physiquement, en laboratoire, des accidents piétons à échelle réelle (plus communément appelés « crash-tests » (Cavallero et al., 1983, Masson et al., 2007, Thollon et al., 2007)) ou à se focaliser sur la reproduction d’un impact sur un segment corporel précis (Masson et al., 2005). En ce qui concerne les études numériques, deux grandes théories permettent de simuler le choc piéton. La théorie des systèmes mécaniques multicorps rigides permettra tout d’abord de simuler le comportement global du piéton du premier impact avec le véhicule jusqu’à la chute au sol (Serre et al., 2006, 2007b). La théorie des éléments finis, plus coûteuse en temps de calcul, permettra par contre de se concentrer sur un comportement local du corps humain et d’observer ses déformations au cours du temps (Arnoux et al., 2005, 2006). L’ensemble de ces études permet alors d’apporter des réponses en particulier sur la chronologie des évènements et sur les mécanismes lésionnels.

Cinématique générale D’une manière globale, cinq grandes catégories de cinématique sont

observées lors d’un choc piéton (Fugger et al., 2002, Ravani et al., 1981, Wood, 1988) : − la projection indirecte appelée aussi trajectoire enroulée (wrap trajectory) ; − la projection directe vers l’avant (forward trajectory) ; − la trajectoire sur les ailes c'est-à-dire sur les côtés des véhicules ; − la trajectoire sur le toit ; − le salto.

Les deux mouvements les plus communs observés lorsque le véhicule freine sont la trajectoire enroulée et la projection directe vers l’avant. Dans le premier cas, la position du centre de gravité du piéton est plus haute que le capot de la voiture. Le piéton « s’enroule » alors le long de la face avant du véhicule (figure 3) jusqu’à avoir la même vitesse que le véhicule ; puis il se sépare du véhicule lorsque ce dernier subit sa décélération pour avoir une phase d’envol ; et enfin il retombe au sol et glisse jusqu’à sa position finale. Dans le cas d’une projection directe vers l’avant, la hauteur du centre de gravité du piéton est en dessous du capot. Le piéton vient alors frapper la face avant du véhicule, atteint la vitesse de ce dernier, puis est directement projeté au sol. Cette cinématique est principalement observée lors d’un choc avec un enfant en bas âge ou lorsqu’un adulte est percuté par une face avant très haute (4x4, poids lourd, bus…).

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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La différence entre ces deux cinématiques réside en fait dans la présence ou pas d’une phase d’envol où le piéton est projeté dans les airs.

Cette cinématique varie bien évidemment en fonction de la vitesse du véhicule, de la taille du piéton mais aussi de la forme de la face avant des véhicules (Daniel, 1982, Henary et al., 2003, Longhitano et al., 2004, Roudsari et al., 2005).

Lors du choc du piéton sur le véhicule, il apparaît clairement que l’impact se déroule en trois phases distinctes (figure 3) :

− le premier impact où le membre inférieur (tibia ou partie inférieure du fémur) est impacté par la face avant du véhicule. Il concerne les 10 premières millisecondes après le premier contact entre la jambe du piéton et la voiture. Le piéton commence alors à s’enrouler sur le véhicule ;

− le second impact où le bassin vient heurter la face avant du capot (environ 60 ms après l’impact initial). Le sujet va alors commencer à glisser sur le capot ;

− le troisième impact, où la tête vient percuter le capot ou le pare brise. Ce choc a lieu environ 100 ms après le premier contact de la jambe.

Figure 3. Décomposition du choc véhicule-piéton en 3 phases

D’après Masson et al. (2007)

Ces trois phases sont détaillées ci-après en rappelant les principaux mécanismes lésionnels observés au cours de chacune d’elles (Masson et al., 2005, Teresinski et al., 2002).

Vient ensuite une dernière phase d’impact où le piéton est projeté au sol pendant la phase de décélération du véhicule. La durée totale d’un choc piéton entre le premier contact de la jambe et l’immobilisation du piéton au sol est alors d’environ 1 seconde.

Le choc du membre inférieur Au niveau de l’impact des membres inférieurs, les blessures les plus

rencontrées sont les fractures des os longs et les ruptures ligamentaires au

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Accidentologie du piéton

176 © Les collections de l’INRETS

niveau de l’articulation du genou. Deux grands types de mécanismes lésionnels ont alors été identifiés pour générer ces blessures (Arnoux et al., 2005, Bose et al. 2004, Grzegorz, 2001, Kajzer et al., 1999, Nagasaka, 2003). Le premier concerne le déplacement latéro-médial du tibia (respectivement du fémur) relativement au fémur (resp. du tibia) qui crée alors du cisaillement dans l'articulation (Kajzer et al., 1990). Le deuxième concerne une flexion valgus au niveau du genou générée par l'action combinée de la force d'impact sur le tibia (ou le fémur) et des forces de frottement sur le pied (Kajzer et al., 1993). D’un point de vu critère lésionnel, plusieurs études ont montré qu’un cisaillement supérieur à 15mm et qu’une flexion d’environ 20° ét aient les limites acceptables à ne pas dépasser (Arnoux et al., 2006).

L’apparition de ce type de lésions dépend en particulier de la zone d’impact du pare-choc au niveau du membre inférieur (Arnoux et al., 2005, 2006, Masson et al. 2006). En effet, si le pare-choc de la voiture vient heurter la jambe au niveau du tibia, un effet de cisaillement sera principalement observé et une fracture du tibia sera générée. Si le pare-choc percute le membre inférieur du piéton au niveau du genou, la combinaison d’un cisaillement et d’une flexion entraînera alors majoritairement des ruptures ligamentaires (figure 4).

Figure 4. Principales lésions au niveau du membre inférieur

D’après Arnoux et al. (2006) : fracture des os longs (à gauche) et ruptures ligamentaires (à droite)

Bien évidemment, ces mécanismes lésionnels sont assujettis à l’influence de la taille du piéton et de la forme de la face avant du véhicule qui peut être plus ou moins agressive (Glasson et al., 2000). Les niveaux de sollicitations en termes d’accélérations de la jambe peuvent atteindre les 150 G.

Le choc du bassin Le piéton, heurté sous son centre de gravité au niveau du genou, est alors

entraîné dans un mouvement de rotation en direction de la voiture. Les directions contraires du haut du corps et de la voiture conduisent ainsi à un impact entre le bord d'attaque du capot et la cuisse puis le bassin du piéton.

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Le choc du bassin peut alors se décomposer de la manière suivante : un impact direct avec le bas du capot voire le bord de fuite du capot puis un glissement le long du capot. Même si cette phase apparaît comme peu lésionnelle (APPA, 2007, INRETS, 1999), elle peut générer toutefois des fractures du bassin (Grzegorz, 2001). Ce dernier pouvant subir des accélérations supérieures à 50G (Masson, 2007).

L’impact de la tête Pour le choc de la tête, plusieurs auteurs ont montré qu’il se situait entre le

milieu du capot et le haut du pare-brise (Anderson et al., 1996, Liu et al., 2002). La zone d’impact dépendant principalement de la taille du piéton, de la forme de la face avant du véhicule et de sa vitesse (Okamoto et al., 2003). Des relations entre la taille du piéton et la distance d’enroulement du piéton le long de la face avant du véhicule ont pu alors être établi et un facteur compris entre 1,1 et 1,4 est donné par (Mizuno, 1998).

La violence de l’impact de la tête est caractérisée par deux principaux paramètres (Mizuno et al., 2000): la vitesse d’impact de la tête et l’angle du choc (figure 5). Si la vitesse de la tête peut difficilement être contrôlée, l’orientation du choc de la tête peut, elle, être adaptée de manière à réduire les conséquences du choc. En effet, il apparaît que plus l’impact de la tête sera perpendiculaire au pare-brise (ou au capot), plus les sollicitations seront importantes. Il appartient alors de bien définir le design de la face avant du véhicule afin que, lors de la cinématique du choc, on observe un glissement de la tête sur le pare-brise plutôt qu’un impact direct.

Figure 5. Orientation de l’impact de la tête

D’après Serre et al. (2007a)

Des reconstructions d’accidents réels où un véhicule percute un piéton à environ 40km/h fournissent des valeurs d’angle d’impact d’environ 40° pour des vitesses moyennes de tête d’approximativement 10m/s (Serre et al., 2007a). Les niveaux d’accélérations que subit la tête peuvent atteindre 150 G pour un HIC dépassant la limite lésionnelle.

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Accidentologie du piéton

178 © Les collections de l’INRETS

Par ailleurs, plusieurs études ont également montré que la structure propre et les propriétés mécaniques du pare brise jouait un rôle sur la gravité des lésions sur la tête (Anderson et al., 2007 ; Simms et al., 2005). Le choix des matériaux constituant le pare-brise semble donc être important dès lors que l’on souhaite limiter les sollicitations dynamiques sur ce segment corporel.

La chute au sol En ce qui concerne la chute du piéton, les reconstructions numériques

d’accidents réels (Serre et al., 2006) et les essais expérimentaux (Masson et al., 2007) montrent qu’elle est fortement conditionnée par trois paramètres principaux : la forme de la face avant du véhicule, la vitesse du véhicule et la position du piéton au moment de l’impact. Pour la forme de la face avant du véhicule, nous avons vu précédemment son influence sur les différences de cinématique que cela pouvait engendrer : wrap trajectory, forward trajectory, etc. Pour la vitesse du véhicule, elle va surtout influencer sur la distance de projection du piéton (Simms et al., 2004). En effet, comme le montre (Serre et al., 2007b) au travers de la figure 6, il y a une constante croissance de la distance de projection en fonction de la vitesse du véhicule.

Figure 6. Distance de projection d’un piéton en fonction de la vitesse du véhicule pour une Renault Twingo

D’après Serre et al. (2007b)

Enfin, la position du piéton au moment de l’impact va plus particulièrement influer sur la composante rotatoire que va prendre le piéton au cours de sa projection et donc de la latéralité du corps qui va subir l’impact au sol (Serre et al., 2007b).

Cependant, les lésions que cette chute peut engendrer apparaissent comme trop diverses et variées pour en tirer de quelconques conclusions (Otte, 2001). En effet, même si la chute se fait généralement sur un sol bitumé, elle peut se produire contre n’importe quel type de sol ou obstacle et il apparaît difficile d’identifier des typologies de mécanismes lésionnels. Par exemple, un piéton retombant sur la tête pourra subir des sollicitations dynamiques plus importantes lors de sa chute au sol que lors de l’impact contre le véhicule. Mais en revanche,

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si le piéton retombe sur ses membres inférieurs, cela provoquera des lésions à ces segments corporels mais « amortira » en contre partie la chute du reste du corps et plus spécialement de la tête. Ce constat amène souvent des interrogations concernant l’attribution des lésions observées dans la réalité. Sont-elles dues à l’impact contre le véhicule ou à la chute du piéton ?

Réglementation, essais consuméristes et moyens de protection Réglementation et essais consuméristes

En 1998, un groupe de travail du Comité européen sur l'amélioration de la sécurité des véhicules), a mis en place une méthode d'évaluation de la sécurité des piétons vis-à-vis des véhicules (EEVC, 1998). Ces travaux avaient pour objectif de diminuer le niveau d'agressivité de la partie avant des automobiles. En 2003, sur la base de ce rapport, une nouvelle directive relative à la protection des piétons et autres usagers vulnérables en cas de collision avec un véhicule à moteur a été mise en place (JO de l’UE, 2003).

La méthodologie d’évaluation est principalement basée sur la réalisation d’essais expérimentaux « sous-systèmes » représentatifs des différents points d’impacts entre le véhicule et l’usager vulnérable tel que nous venons de les décrire : impact du membre inférieur sur le pare-choc, impact du bassin sur le bas du capot et impact de la tête sur le capot ou le pare-brise.

Quatre essais sous-systèmes ont été définis (fig. 7) :

− un essai d'une jambe mécanique instrumentée contre la face avant (pare choc) ;

− un essai à l'aide d'un impacteur guidé contre le bord antérieur du capot ;

− un essai à l'aide d'un impacteur tête d'enfant sur la partie antérieure du capot ;

− un essai avec un impacteur tête d'adulte sur la partie postérieure du capot.

Figure 7. Essais sous-systèmes réglementaires

D’après APPA (2007)

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Accidentologie du piéton

180 © Les collections de l’INRETS

Les conditions d'essais, les valeurs limites des paramètres mesurés et les limites d'applications sont décrites en détail dans (EEVC, 1998, JO, 2003, Kaleto et al., 2002).

L'approche par sous-système a été préférée à une approche globale utilisant un mannequin heurté par une voiture pour tenir compte de la mauvaise répétabilité du choc voiture/mannequin due, d'une part à l'instabilité en rotation axiale du mannequin lors du choc et, d'autre part, à la longue durée du choc (environ 1 seconde entre le début du choc et la retombée au sol) (APPA, 2007). Toutefois, certaines critiques peuvent être formulées sur ces essais si on les compare notamment avec des conditions réelles d’accident (Chalandon et al., 2007).

En ce qui concerne l'impacteur jambe avec tibia et fémur rigides, il tend à augmenter la sollicitation au niveau du genou et rend difficile l'appréciation du risque d'autres lésions (fractures tibia et fémur). L'intérêt d'un impacteur dont les capacités de déformation sont mieux réparties mériterait alors d'être évalué. Le choix d’un essai d’une jambe « découplée » du reste du corps pose également le problème de l’effet de la masse additionnelle du reste du corps au niveau du genou. En effet, ce test ne permet pas de reproduire l’influence du poids du corps sur l’appui de la jambe et donc du frottement au sol du pied lorsque la jambe est impacté. De plus, cet essai pose des problèmes pour l’évaluation des véhicules à pare chocs haut de type 4x4 par exemple. Il s’agit alors dans ce cas de limiter la position verticale de l’impacteur pour assurer la protection requise à la jambe.

L'essai sur le bord antérieur du capot représentant l’impact du bassin contre le capot est celui qui est le plus controversé (Matsui et al., 2002). En effet, il simule un impact direct du bassin contre le capot ce qui ne reproduit pas correctement les mécanismes mis en jeu dans ce choc puisque le bassin semble plutôt subir un glissement. De plus, l'analyse des accidents piétons indique une faible proportion de lésions au niveau du bassin et donc une faible implication du bord antérieur du capot dans la genèse des blessures. Cet essai tend donc à exiger des véhicules beaucoup plus que nécessaire si on se réfère au risque de blessure. Il a donc été retenu que cet essai n’était pas représentatif du mécanisme d’impact et de plus n’est plus adapté aux formes des véhicules actuels (APPA, 2007). Cependant ce test est maintenu dans sa forme actuelle à visée d’évaluation seulement afin de garantir qu’il n’y a pas de risque accru de blessure par le bord antérieur du capot.

Concernant les chocs de la tête, ils sont reproduits dans une condition unique d'angle et de vitesse. Or les caractéristiques de cet impact peuvent fortement varier en fonction de la forme de la face avant du véhicule et de la cinématique que va prendre le piéton lorsqu’il va s’enrouler sur la face avant de la voiture (Anderson et al., 2003). La vitesse et l’angle d’impact de l’impacteur tête ainsi que les valeurs limites des critères lésionnels (HIC, Head Injury Criteria) fournis par les capteurs sont d’ailleurs toujours discutés à l’heure actuelle.

Outre la réglementation précédemment détaillée, des essais consuméristes ont également été introduits en 1999 selon des procédures d’essais « NCAP » spécifique à la protection du piéton (EuroNCAP, 2009). Une nouvelle notation à

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© Les collections de l’INRETS 181

4 étoiles a alors été mise en place. Les méthodes d’essais et les valeurs limites des critères utilisées lors de ces essais sont basées sur celles développée par le CEVE en 1998. Ces procédures sont actuellement effectuées en Europe (EuroNCAP) et en Australie (ANCAP).

Moyens de protection Les recherches que nous venons d’évoquer, les évolutions techniques et

l’exigence d’une réglementation ont permis de faire évoluer de manière conséquente les structures des véhicules vis-à-vis de la protection des piétons (Berg et al., 2003, Crandall et al., 2002, Droste et al., 2002). Nous énumérons ci-dessous quelques avancées technologiques sur les véhicules sans toutefois avoir la prétention d’être exhaustif.

Le pare-choc

En ce qui concerne la protection des membres inférieurs, les constructeurs ont ainsi remplacé les pare-chocs rigides convexes (en chrome) par des tabliers déformables (Schuster et al., 1998). La géométrie de ce bouclier déformable influe alors énormément sur la gravité des lésions, en particulier la position du point avancé impactant par rapport aux genoux du piéton. Une position basse du point avancé impactant (en dessous des genoux) engendre plus de lésions qu’une position haute (au dessus des genoux).

De plus, les matériaux de fabrication possèdent aujourd’hui un meilleur comportement au crash et les boucliers ont une géométrie plus lisse et donc moins agressive. Les tabliers avant protègent bien mieux les membres inférieurs par leur caractéristique absorbante (Droste et al., 2002, Kaeser et al., 1983, McMahon et al., 2002).

Le capot

En ce qui concerne le capot, il a été démontré qu’il devait se déformer de manière à absorber l’énergie nécessaire pour ne pas blesser le piéton (Farooq et al., 2003, Okamoto et al., 1994, Pritz, 1983). Les points de rigidité sous le capot ont donc été supprimés. Par exemple, la roue de secours sous le capot qui offrait des points de grande rigidité voire même des perforations par le cric a été bannie (Thollon, 2007).

De même, des améliorations ont été portées au niveau des talons d’essuie-glaces, des balais ou des grilles d’auvent rigide qui étaient exposés à un impact avec la tête du piéton (Thollon, 2007). Ces éléments du véhicule sont désormais protégés par une avancée plus importante du capot qui vient les recouvrir.

Plusieurs études plus récentes sont également en cours comme par exemple le développement d’un capot moteur « à détente » qui correspond à un capot actif équipé de vérins télescopiques se soulevant en cas de chocs avec un piéton (Steiffert et al., 2003). Il réduit ainsi le risque de blessures graves à la tête en augmentant la distance entre le capot et le moteur. Ce système utilise des capteurs placés à l'intérieur du pare-chocs avant et un capteur de vitesse du véhicule pour confirmer rapidement une éventuelle collision avec un piéton. Il lève

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Accidentologie du piéton

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alors l'arrière du capot moteur d’environ 10 cm. Ce dispositif devrait réduire de 40 % les lésions crâniennes selon l'estimation du constructeur. Ce système est déjà opérationnel et présent sur le marché sur certains véhicules.

Le pare-brise

Comme nous l’avons vu, il apparaît important que le pare-brise puisse également absorber de l’énergie. La structure propre du pare-brise influençant sur les accélérations subies par la tête, des améliorations sur le comportement au crash de celui-ci ont donc été effectuées. Par exemple, les bordures de pare-brise chromées ont été supprimées ou des pare-brise feuilletés de qualité et de rigidité croissante ont été instaurés (Thollon, 2007).

D’autres systèmes comme l’airbag piéton aura plutôt pour objectif d'amortir le choc et d’éviter le contact de la tête avec la structure du véhicule. Ces systèmes fonctionnent alors à l’aide d’un détecteur de choc piéton au niveau du pare choc qui commande, en cas d’impact, le soulèvement du capot en quelques fractions de secondes puis libère un sac gonflable sur le pare-brise afin d’amortir le choc avec le piéton (Steiffert et al., 2003). L’un des problèmes technologique posé par ce système est en particulier la vision du conducteur qui devient quasi occultée par ce système.

Conclusion L’ensemble de ces recherches montre que la sévérité des lésions est très

influencée par la vitesse des véhicules, par leurs designs, par la capacité propre du piéton à supporter un tel choc. Mais qu’elle peut aussi être fortement réduite grâce à de nouvelles technologies et de nouveaux concepts de design sur le véhicule qui vont permettre notamment de mieux amortir le choc.

L’avancée des recherches dans ce domaine a ainsi montré des résultats encourageants et la poursuite des efforts menés conjointement par :

− les chercheurs pour améliorer les connaissances en accidentologie et en biomécanique par exemple ;

− les industriels de l’automobile pour réduire l’agressivité de la structure des véhicules ;

− les politiques publiques par la mise en place d’une réglementation, devraient aboutir à diminuer de manière importante les conséquences lésionnelles des chocs piétons.

Le « European Transport Safety Council » (ETSC, 1999) a ainsi qualifié les procédures réglementaires pour la protection des piétons comme l’une des plus importantes actions menée de nos jours dans la sécurité routière. L’ETSC a également estimé que si tous les véhicules de nos jours fournissaient une telle protection, entre 655 et 2256 vies pourraient être sauvées par an et qu’entre 21 548 et 24 944 blessés pourraient être évités. Ce qui représenterait un bénéfice de plus de 3,7 billions d’euros.

Une évaluation des bénéfices attendus de ces nouvelles conceptions de voitures « piétonnisées » par comparaison aux modèles antérieurs doit donc maintenant être menée pour quantifier ces gains.

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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Enfin, si ces travaux montrent qu’une réduction de l’accidentalité piétonne peut être obtenue par une approche passive où le rôle du véhicule apparaît comme essentiel, il n’en reste pas moins que la sécurité active joue également un rôle important dans la protection des piétons. De nombreuses solutions basées sur la prévention c'est-à-dire sur la mise en œuvre de moyens permettant d’éviter l’accident sont également encourageantes. Des propositions alternatives de la part des constructeurs automobiles tendent en effet à montrer que les dispositions de sécurité active seraient aussi efficaces que les capots actifs par exemple. Parmi ces systèmes, on citera notamment l’assistance au freinage d’urgence (AFU) qui permet au minimum de réduire la vitesse d’impact, les feux de jour, la détection de piéton par caméras intégrées dans le véhicule, etc. Les évaluations réalisées lors des essais consuméristes (EuroNCAP, 2009) tiennent d’ailleurs compte des aides à la conduite et des systèmes technologiques de sécurité active disponibles sur les véhicules.

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Analyser les comportements pour lutter contre l’insécurité

des déplacements piétons

Marion Maestracci Mairie de Paris, Direction de la voirie et des déplacements, Agence de la mobilité, section politique générale, Cellule politique de sécurité routière 40 rue du Louvre, 75001 Paris, France [email protected]

Résumé – Cette étude cherche en tout premier lieu à comprendre comment des ambiances agissent sur le comportement des piétons dans l’espace public urbain. En effet, la mobilité des piétons est un enjeu pour la Ville de Paris, d'un point de vue de la sécurité routière, mais également d'un point de vue politique avec l'élaboration d'un Plan Piéton, qui se doit d’intégrer de plus en plus ce mode dans les choix d’aménagement et d’urbanisation du territoire. Cette approche ergonomique de l'espace public, composée de scénarisation d'accidents et d'observations in situ des comportements, doit déboucher sur des mesures opérationnelles (outils d'aide à la décision, retour d'expérience), mais constitue en même temps une passerelle entre les travaux de recherche et le savoir-faire des praticiens. Les résultats des premières observations du comportement des usagers piétons lors des traversées sont prometteurs dans le sens où l'on remarque une réelle différence de comportement en fonction de la typologie de l'aménagement et des conditions de trafic. Ces données permettent de constater que certaines conditions sont défavorables au respect de la signalisation piétonne comme la réduction de la largeur de traversée, un faible trafic, ou la présence d'intervalles temporels entre deux flux de véhicules.

Mots-clés : aménagement urbain, piéton, insécurité routière, ambiance

Introduction L'insécurité routière en France et à Paris

En France, depuis 2002, de nets progrès ont été accomplis en matière de sécurité routière. Ils profitent à toutes les catégories d’usagers de la route et de la rue. Mais force est de constater que les résultats 2007 marquent le pas en enregistrant une augmentation du nombre de blessés (+1,1 %), et notamment du nombre de piétons impliqués et blessés dans un accident de la circulation.

La situation parisienne suit les mêmes tendances : le nombre d’accidents corporels de la circulation a chuté de 30 % entre 1999 et 2004, mais a

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Accidentologie du piéton

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enregistré une augmentation de 15 % entre 2004 et 2008. Mais en parallèle, l’accidentalité a fait des progrès considérables puisque le nombre d’usagers tués a chuté de 56 % entre 2001 (114) et 2008 (51) alors que le nombre de déplacements journaliers intéressant Paris reste colossal : 10,5 millions selon la dernière enquête EGT12 de 2001, un déplacement sur deux se faisant à pied.

L'insécurité routière des piétons à Paris Bien que le nombre d’accidents survenus sur le territoire parisien ait

augmenté ces dernières années, on constate une diminution de la part de l’implication des piétons (de 28,1 % en 2004 à 23,9 % en 2008). Mais la part des piétons dans les usagers tués est quant à elle passée de 32,7 % en 2004 à 53,2 % en 2008 (16 piétons tués en 2004, 29 en 2008). Les piétons représentent donc entre un tiers et la moitié des tués selon les années, pour un quart seulement des usagers impliqués dans un accident de la circulation.

La gravité de l'accidentalité piétonne parisienne

En 5 ans, à Paris, 10035 piétons ont été impliqués dans 10017 accidents de la circulation, ce qui correspond à un accident sur quatre (39294 accidents tous usagers confondus). Ces accidents ont fait, chez les piétons, 110 tués13 et 1213 blessés hospitalisés. Seulement 115 s'en sont sortis indemnes. L'indice de gravité14 calculé pour les piétons sur l'ensemble de Paris est de 13,2, ce qui correspond presque au double de celui calculé pour tous les autres modes confondus : 6,8 ; mais s’explique en partie par la grande vulnérabilité des piétons, et notamment des piétons âgés surreprésentés dans les accidents mortels.

Le présumé responsable

L'analyse de l'accidentalité piétonne 2004-2008 sur l'ensemble des voiries parisiennes montre que, sur la totalité des accidents impliquant au moins un piéton, ces derniers ont été considérés comme responsables par les forces de police dans 58,4 % des cas. Les deux infractions les plus fréquemment relevées sont la traversée irrégulière de la chaussée par un piéton (54,9 % des accidents) et le refus de priorité par un conducteur de véhicule à un piéton régulièrement engagé dans la traversée d’une chaussée (23,2 % - dont 66,6 % imputables à des conducteurs de véhicules légers et 26,3 % à des usagers de deux-roues motorisés).

12 Enquête Générale des Transports réalisée en 2001 par l’INSEE. 13 Depuis le 1er janvier 2005, la définition de la gravité des accidents corporels de la circulation a évolué : - avant 2005, était considéré comme blessé léger tout usager hospitalisé moins de 6 jours, blessé grave tout usager hospitalisé 6 jours et plus, et tué tout usager décédé dans les 6 jours suivant l'accident ; - depuis le 1er janvier 2005, est considéré comme blessé non hospitalisé (ou léger) tout usager non hospitalisé ou hospitalisé moins de 24 heures, blessé hospitalisé (ou grave) tout usager hospitalisé 24 heures et plus, et tué tout usager décédé dans les 30 jours suivant l'accident. 14 La définition retenue pour l'indice de gravité est le nombre de tués et de blessés hospitalisés/graves pour 100 accidents.

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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La répartition spatio-temporelle des accidents

Les accidents corporels de la circulation impliquant au moins un piéton à Paris se concentrent assez logiquement autour des pôles de transports, des grandes places animées et des axes commerçants La représentation spatiale de ces accidents permet de reconstruire le réseau des voies principales, tandis qu’une analyse chronotopique de cette distribution (figure 1) montre que la temporalité de ces accidents recoupe les rythmes urbains.

Figure 1. Évolution du nombre d'accidents impliquant au moins un piéton en fonction de l'heure et du type de jour (Paris 2004-2008)

Source : tableau de bord Concerto – extraction de la base de données des accidents corporels de la circulation à Paris

Les enjeux du partage de l'espace public L’analyse ci-dessus montre que l’usager piéton est un enjeu pour la Mairie

de Paris, comme pour l'ensemble des zones urbaines. En effet, près de trois-quarts des piétons accidentés le sont en ville. Les moyens pour remédier à la survenue de ces accidents mobilisent une large gamme d’interventions au niveau réglementaire, en renforçant le contrôle-sanction, en travaillant sur l’aménagement urbain ou en renforçant et ciblant davantage les campagnes de communication. Pour les usagers vulnérables, un meilleur partage de la voirie urbaine peut contribuer au renforcement de la sécurité des déplacements.

Ce partage implique un changement profond de notre vision de l’espace public, qui se traduit notamment par le passage d’une logique routière à une logique piéton, et par la redéfinition des usages et des espaces en ville. L’espace public urbain doit alors être conçu et perçu du point de vue de l’usager, afin de s’adapter au mieux à ses besoins.

Méthodologie L'origine d'une telle démarche

L’objectif de cette étude est d'identifier les effets des aménagements les plus courants (aménagement des traversées piétonnes, gestion des feux de

71 45 33 19 6 18 52160

399531 488 517 527 498 490

566 655750 714

548

349 181 123 102

0

200 400 600 800

00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23

47 44 54 29 37 33 19 15 35 53 79 119 141 141 165 169 167 200 169 155 126 65 60 53

0

200

400

600

800

00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23

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circulation, files de circulation, etc.) sur le comportement des usagers et de réfléchir à comment les concevoir afin d’orienter l’usager, et notamment l’usager piéton, vers un comportement de déplacement plus sécuritaire pour lui, et pour les autres usagers. Le recensement des comportements de traversée pratiqués par les piétons a pour but d’expliquer la typologie des accidents scénarisés.

La principale cause de la diminution du nombre des accidents, et ce dans tous les pays, est la mise en place d'une politique de contrôle-sanction efficace. En France, les effets de l'implantation des radars automatiques sur nos routes sont remarquables. Si cette politique de répression fonctionne envers les véhicules, et notamment les véhicules motorisés, elle se révèle inefficace envers les usagers piétons. En effet, le seul outil à disposition des forces de police est une amende à 4 euros pour non-respect de l'article R. 412-34 du Code de la Route qui régit la circulation des piétons et assimilés piétons. Par exemple, un piéton qui traverse à moins de 50 mètres d'un passage-piétons ou sur un passage-piétons au rouge piétons est verbalisable.

Malheureusement, l'observation des comportements des usagers piétons montre bien que ces règles sont peu ou pas respectées, c'est pourquoi il est essentiel de comprendre l'usage réel qui est fait de l’aménagement, pourquoi les usagers piétons prennent des risques, ceci afin de concevoir une infrastructure « pardonnante », qui tiendra compte de ces comportements déviants et incitera, sans qu'il ne s'en rende compte, le piéton à adopter un comportement plus sécuritaire, pour lui, et pour les autres type d'usagers.

La démarche ergonomique Aujourd’hui, la base de la conception d'un aménagement urbain est la

gestion des flux de circulation des différents usagers afin de limiter les risques de conflits. Mais l'offre qu’apporte l'aménagement à l’usager en terme de mobilité spatio-temporelle ne correspond pas forcément à ses besoins. Cet écart entre le réel et le prescrit va induire une faille dans la sécurité de l'environnement et parfois conduire à l'accident (Reason, 1990). Il est alors essentiel d'appréhender les stratégies de déplacement des usagers et leurs motivations afin de comprendre pourquoi tel type d'accident survient. Tous ces critères sont analysés dans une approche intégrative afin de permettre de bâtir des diagnostics sur l’espace public. L'identification des dysfonctionnements révélés par l’insécurité routière est ensuite réalisée en comparant les informations obtenues lors de l’analyse des accidents avec les conflits d’usage. De ce fait, l’espace public est appréhendé à la fois par l’ingénieur urbain et par l'ergonome. La mise en évidence des dysfonctionnements conduisant à l’insécurité routière est obtenue par la pratique de deux approches complémentaires. La première concerne les comportements des usagers observés sur le terrain . Elle s'appuie sur des observations quantitatives et qualitatives des comportements des usagers piétons et sur des enquêtes permettant d'identifier les prises de risque et l'adéquation entre aménagement et pratiques. La seconde concerne les accidents corporels . Elle s'appuie sur une méthodologie de scénarisation d’accidents inspirée du travail de l'INRETS (Brénac et al., 2003 ; Clabaux, 2005) et adaptée aux problématiques de la Ville

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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de Paris. Ces deux approches se complètent pour évaluer la pertinence de l'aménagement eu égard aux comportements et à l'accidentalité. Elles permettent de mettre en parallèle les besoins des usagers via leur pratique de l’aménagement avec la règle prescrite par celui-ci afin d’identifier les dysfonctionnements conduisant à l’accident.

La démarche ergonomique proposée ici a pour objectif de répondre aux besoins réels de déplacement des piétons en allégeant la charge de travail allouée à la tâche de déplacement, ceci afin d’accroître leur vigilance, et donc a priori leur sécurité. En parallèle, les accidents sont scénarisés, puis mis en relation avec la situation actuelle appréhendée par l’observation des comportements. Cette mise en parallèle permet de formuler des hypothèses quant à la relation aménagement/comportement/accident puis des recomman-dations en vue de mesures d’optimisation de l’aménagement. L’idée est de rendre le cheminement piéton le plus intuitif possible de façon à ce que la règle soit respectée de façon inconsciente. La règle étant supposée la plus sécuritaire.

L’observation des comportements Les études d’accidentalité menées sur le territoire parisien révèlent d’une

part que le piéton a une forte responsabilité lors d’accidents survenant hors passage piétons ou sur passage piétons alors que la figurine piéton est rouge, et d’autre part que les accidents impliquant des piétons se produisent dans des zones à fort trafic (réseau primaire). Trois grandes notions, en accord avec l’analyse de l’accidentologie et la politique de sécurité routière de la Ville de Paris, ont donc été retenues : le respect de la règle par le piéton lors de sa traversée, l'usage réel qui est fait de l'aménagement, et l’importance des flux de véhicules. En parallèle, chaque site étudié est décrit en fonction notamment de sa typologie et du pourcentage de temps circulé (présence d’un intervalle temporel entre deux flux de véhicules). Ces trois notions seront analysées à l’aide de la grille d’observation mise au point par l'équipe chargée de la politique de sécurité routière à la Mairie de Paris et qui a fait l'objet d'une expérimentation-évaluation dans le cadre du programme national « Une voirie pour tous ».

Le respect de la règle

La crédibilité d'un aménagement, et dans ce cas précis d'un passage piétons équipé de feux de signalisation, peut être évaluée par le respect des règles de traversée. Pour ce faire, un observateur a relevé le nombre de piétons traversant au vert piétons, et celui traversant au rouge piétons à chaque cycle de feux. Un pourcentage de respect de la règle équivalent au nombre de piétons ayant traversé sur le passage piétons au vert piétons divisé par le nombre de piétons ayant traversé le passage piétons, quelle que soit la couleur du feu, est calculé et attribué à la typologie du site. 32,5 % (3247) des accidents impliquant au moins un piétons entre 2004 et 2008 se sont produits sur un passage équipé de feux, et dans 45,1 % (1464) des ces accidents, le piéton a été présumé responsable, ce qui correspond à 14,7 % de l’ensemble des accidents impliquant au moins un piéton survenus durant cette période.

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Accidentologie du piéton

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Lors du comptage des piétons traversant au feu rouge piétons, l'observateur qualifie la prise de risque à l’aide de deux variables : la vitesse de déplacement de l'usager piéton (marche ou court) et la densité du trafic (nul, fluide, saturé).

Le taux d’irrespect de la règle est comparé au taux d’accidents découlant de ce comportement afin de voir si le fait de traverser sur le passage piétons au feu rouge piétons est une adaptation sécuritaire de la règle, ou si au contraire, elle est la cause d’accidents. Dans les deux cas, l’aménagement doit être repensé pour se rapprocher au plus près de l’usage qui en est fait.

L’usage réel de l’aménagement

Sur certaines places parisiennes, on recense des accidents survenus en dehors des passages piétons, et sur place, on constate qu’une part importante des piétons traverse hors des passages piétons. Cela démontre l’existence d’un écart entre la prescription de l’aménagement dédié aux piétons et le besoin réel qu’ils en ont. En effet, entre 2004 et 2008, 10,1 % (1011) des accidents impliquant au moins un piéton se sont produits alors que le piéton traversait à plus de 50 mètres du passage, et 34,2 % (3411) à moins de 50 mètres.

Afin donc de comprendre ces besoins réels de déplacement, il est essentiel d'observer les cheminements piétonniers sur l'ensemble du site étudié. Pour cela, l’observateur trace sur le plan du site les trajectoires empruntées par les piétons. Pour chacune des ses trajectoires, il est intéressant de noter également l'éventualité d'une prise de risque lors de la traversée sauvage du piéton. Cette prise de risque pourra être qualifiée, comme lors de la traversée sur passage piétons, à l'aide des deux variables : vitesse de déplacement automobile et densité du trafic.

Comme pour le taux de respect de la règle, ces cheminements sont comparés à la localisation précise des accidents survenant sur le site.

Les scénarios d'accident A l'aide des informations fournies par les forces de police, la Mairie de Paris

est capable de scénariser les accidents qui se produisent sur son territoire et de les regrouper. Ces scénarios s’inspirent de la méthode INRETS (Brénac et al., 2003 ; Clabaux, 2005) réduite aux éléments disponibles dans les procès verbaux d’accidents. L’inconvénient majeur résulte en la perte d’information dans le séquencement de l’accident, mais en contrepartie les procès verbaux parisiens sont « normalisés » et homogènes en qualité.

Les scénarios d’accidents ont été conçus pour répondre à la problématique parisienne, c’est à dire à partir de la manœuvre effectuée par l’usager au moment de l’accident : le véhicule a tourné à gauche, le piéton traversait hors passage piétons, etc. Ces scénarios permettent, entre autres, de mettre en évidence : un dysfonctionnement de l’aménagement (mauvaise visibilité d’un feu tricolore) ; un problème comportemental récurrent (absence de clignotant pour signaler un changement de direction) ; ou encore un problème comportemental résultant de l’aménagement (opportunité pour un 2RM d’emprunter une voie de bus à contresens pour dépasser plus facilement les files de circulation générale, voie à faible trafic qui incite une traversée à tout moment, etc.).

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Effets potentiels de l’aménagement Divers effets de l'aménagement sur les comportements et les stratégies de

traversée des usagers piétons ont déjà été mis en exergue. L'objectif de cette étude est d'observer ces comportements sur le territoire parisien.

Effets intéressants relevés dans la littérature Tiwari et al. (2007) ont démontré que les piétons n'aiment pas attendre trop

longtemps pour traverser la rue. Et que plus le temps d'attente avant de traverser augmente, plus ils deviennent impatients et ne respectent plus la règle. Cette déviance augmente de ce fait la probabilité de survenue de l'accident. Ce phénomène est également observé sur le territoire parisien sur les zones de fort trafic de véhicules où les piétons ont l’impression que le temps de vert est très court. Cela conduit à des accidents de type « traversée sur passage piétons au rouge piétons ».

Oxley et al. (2005) ont montré que le choix de l'intervalle temporel de traversée se base davantage sur la distance du véhicule plutôt que sur le temps d'arrivée de celui-ci. Ce résultat pourrait en partie expliquer la plupart des accidents impliquant au moins un piéton et un deux-roues motorisé. Le piéton pense avoir le temps de traverser, mais du fait de la taille angulaire et de la forme du deux-roues motorisé, sa perception est faussée et le deux-roues motorisé semble plus loin qu'il n'est en réalité.

Premiers effets observés à Paris L'effet de la largeur de traversée

L'analyse de l'accidentologie suite au réaménagement de certains axes parisiens en favorisant la réduction des grandes largeurs de traversées ou en séquençant ces traversées par des refuges a montré une augmentation significative du nombre d'accidents de type traversée sur passage piétons au feu rouge piétons. Les observations de terrain ont montré un plus important irrespect de la règle sur ces traversées. Ces résultats semblent montrer que plus la largeur de traversée est courte, plus l'usager piéton sait qu'il mettra peu de temps à traverser et donc prendra davantage de risque. En effet, on observe à Paris que les traversées de 14 mètres, dans des conditions comparables de trafic, sont respectées par seulement deux tiers des piétons. En revanche, sur les traversées de 27 mètres, 9 piétons sur 10 traversent lorsque la figurine piéton est verte (les 10 % restants traversent pendant le temps de dégagement piétons, donc au feu tricolore encore rouge).

L'effet du trafic et de la position de la traversée

Sur les avenues à fort trafic, peu de traversées sauvages sont observées lorsque le trafic est fluide alors que celles-ci sont fréquentes en situation de congestion. En effet, on peut supposer que, en situation de congestion, les véhicules roulant moins vite, les piétons pensent qu'ils auront le temps de s'arrêter donc ils traversent et prennent plus de risques.

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Accidentologie du piéton

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Parfois, les flux de véhicules et/ou la gestion des cycles de feux fait qu'il y a des « trous » dans le flux de circulation. C'est à ce moment que l'on observe le plus de traversées au feu rouges piétons. Ce phénomène se remarque d'autant plus que l'on se trouve en sortie de carrefour, et qu'il y a du monde en attente de traversée (effet de foule). Par exemple, sur un même aménagement, les observations des usagers piétons sur les passages piétons en entrée et en sortie de carrefour indiquent un taux de respect de la signalisation piétonne de, respectivement, 88 % contre 69 %. Cette différence peut s'expliquer par une discontinuité des flux de circulation puisque ces mêmes observations indiquent que 4 % des usagers qui ont traversé en entrée de carrefour ont réalisé leur traversée alors que le trafic était nul, contre 19 % en sortie de carrefour.

Plusieurs études ont montré que ces comportements étaient le plus souvent reliés à des accidents de type « traversée sur passage piétons au rouge piétons », dans des conditions de forte pression piétonne.

L'effet de la voie de bus avec séparateur physique

Comme expliqué précédemment, dès qu'il y a un vide dans le trafic, le piéton en profite pour s'engager. Ce phénomène est observé en présence de voies de bus avec séparateur physique. En effet, il a été observé que le piéton utilisait cet espace comme un refuge pour effectuer sa traversée en deux temps. Refuge qu'il quittera le plus rapidement possible, comme l'ont démontré Carstern et al. (1998), ainsi que de Hamed (2001). Ce qui pose un problème en termes de sécurité, le piéton se retrouvant sur la chaussée, au milieu des flux de véhicules. De plus, cette voie étant moins circulée, le piéton a tendance à la traverser quelle que soit la couleur du feu piéton.

L'observation des comportements de traversée sur des passages piétons traversant plusieurs files de circulation en sens unique et un site propre bus ont montré deux types de résultats :

− Sur une traversée en section courante, le sens de traversée (voie de bus en premier ou en deuxième) influe sur le respect de la règle. Dans le cas où les piétons traversent d'abord les files de circulation générale, ils sont 79 % à respecter la signalisation piétonne. Dans le cas contraire (traversée de la voie de bus en premier), ils ne sont plus que 74 %, et 3 % d'entre eux effectuent des traversées en courant alors que le trafic est fluide.

− Sur un autre site ayant la même typologie mais se trouvant en entrée de carrefour, il a été observé que seulement 44 % des usagers piétons respectaient la signalisation piétonne, 27 % traversaient en situation de trafic nul, et 22 % trouvaient refuge au bout et sur la voie de bus. 10 % des ces piétons se sont retrouvés au cœur d'un presqu'accident.

L'effet de l’usage des transports en commun

L'observation des comportements de traversée des usagers piétons aux abords des stations du tramway des Maréchaux Sud montre un taux de respect de la signalisation piétonne d'environ 80 % lorsqu'il n'y a pas de tramway à l'approche, mais celui-ci chute à 50 % lorsqu'un tramway est à l'approche. L'analyse des procès verbaux d'accidents impliquant au moins un piéton a

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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indiqué une part non négligeable d'accidents (1 sur 5) dus à une précipitation dans la recherche du bus ou du tramway et de ce fait une traversée irrégulière de la chaussée avec prise de risque. Des investigations sont menées actuellement sur cette problématique de sécurisation des pôles d’intermodalité.

L’étude de la place Charles Garnier (Paris 9 e) La description du site

La place Charles Garnier (fig. 2) est un carrefour en croix comportant quatre traversées, toutes équipées de signalisation, typologiquement très différents : − la traversée Nord se situe en entrée de carrefour ;

− la traversée Est se situe en sortie de carrefour pour les files de circulation générales mais en entrée de carrefour pour le couloir de bus qui est donc à contresens ;

− la traversée Sud se trouve en sotie de carrefour avec un flux de véhicules constant (deux voies s’y déversent) ;

− la traversée Ouest se trouve en entrée de carrefour pour les files de circulation générale mais en sortie pour le couloir de bus à contresens, ce qui implique un temps de dégagement pour le bus alors que les véhicules provenant de la file de circulation générale sont déjà arrêtés.

Figure 2. Plan de la place Charles Garnier (Paris 9 e)

Source : Plan de voirie – Ville de Paris

Ce site est très touristique puisqu’il jouxte l’opéra Garnier et les Grands Magasins. C’est également une zone de transit multimodale avec des correspondances bus et RER, mais surtout le terminus du Roissy Bus.

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Accidentologie du piéton

198 © Les collections de l’INRETS

L’observation des comportements de traversée L’observation des comportements sur cette place se limite au respect de la

règle car aucun piéton n’a été vu traverser la place de part en part hors aména-gement durant les phases d’observation. Ce qui est parfois observé, c’est un éloignement du passage-piétons en fin de traversée pour réduire les distances.

Le respect de la règle

Un observateur a compté, pendant environ une heure (50 cycles de feux), le nombre de piétons traversant, dans un seul sens de traversée, en fonction de la couleur de la figurine piétons (tableau 1).

Tableau 1. Respect de la signalisation lumineuse des passages piétons sis place Charles Garnier (Paris 9 e)

Traversée Vert piétons Rouge piétons Taux de respect (%)

Nord : d’ouest en est 1328 174 88,4

Est : du nord vers le sud 659 412 61,5

Sud : d’est en ouest 1040 453 69,7

Ouest : du nord vers le sud 1256 577 68,5

Source : Mairie de Paris

Cette variation du taux de respect s’explique par les spécificités typologiques de chacune des traversées.

Les spécificités des traversées

Outre des taux de respect différents d’une traversée à l’autre (Chi²ddl=3 = 276,68, p < 0,001), les observations de terrain montrent des spécificités dans les situations de traversée au rouge piétons en fonction de la traversée aménagée empruntée :

− Sur la traversée Nord : 70,7 % (123) des piétons qui traversent au rouge le font alors que les véhicules sont arrêtés au feu, ou qu’il n’y a aucun véhicule en approche (4 piétons ont traversé devant un bus en courant).

− Sur la traversée Est : 32,0 % (132) des piétons qui traversent au rouge effectuent une traversée en deux temps en utilisant le bout de la voie de bus comme refuge, et 10 % (41) traversent pendant le temps de dégagement des véhicules.

− Sur la traversée Sud : 9,5 % (43) des piétons qui traversent au rouge en courant face à des véhicules tournant, les autres traversent en marchant alors qu’aucun véhicule n’est à l’approche.

− Sur la traversée Ouest : 53,9 % (311) des piétons traversent au rouge dès que le feu tricolore passe au rouge, c’est-à-dire pendant le temps de dégagement de la voie de bus à contresens. 25,0 % (144) effectuent une traversée en deux temps en utilisant le bout de la voie de bus comme refuge et attendent que le trafic devienne nul pour terminer leur traversée.

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Quels moyens de protection pour le piéton en sécurité passive ?

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Lorsqu’on observe plus attentivement les prises d’information des piétons traversant pendant les temps de dégagement, on s’aperçoit que, ceux qui traversent à l’est traversent dès que les véhicules sont arrêtés en amont du passage ouest, et ceux qui traversent à l’ouest regardent uniquement vers l’ouest et traversent dès que le feux tricolore passe au rouge, mais ils en oublient le temps de dégagement du bus qui arrive à contresens et ne regardent surtout pas dans sa direction. Cela indique un dysfonctionnement pouvant conduire à l’accident puisque le piéton n’a pas l’idée de regarder si de la circulation provient du couloir bus à contresens.

Les scénarios d’accident L’analyse des sept accidents s’étant produit au cours des cinq dernières

années sur ce site révèle qu’ils se sont tous produits au même endroit : dans la voie de bus à contresens de la traversée Ouest, et de la même façon : le piéton a traversé en regardant uniquement dans la direction des voitures au moment ou le feu tricolore passait au rouge. Ils impliquent cinq bus et deux taxis, véhicules autorisés à circuler dans cette voie.

Conclusions L’hypothèse énoncée suite à l’observation des comportements a été validée

par la scénarisation des accidents s’étant produits sur ce site. Ces accidents sont directement imputables à une mauvaise lisibilité de l’aménagement face à une forte pression piétonne. Il est intéressant de noter que trois des sept piétons impliqués étaient des touristes étrangers et trois avaient plus de 75 ans.

Discussion Premières conclusions

Les premiers résultats sont encourageants car ils permettent de mettre en relation les comportements des usagers en fonction des caractéristiques de l’aménagement avec les scénarios d’accidents que l’on a identifié sur ces mêmes aménagements. L’aménagement a vraiment un effet sur l’insécurité routière, dans un sens positif ou négatif. Même si seuls des effets négatifs ont été discutés dans cette étude, des effets positifs ont été observés sur le territoire parisien et l’objectif de cette étude est d’identifier les aménagements favorisant la sécurité routière.

Applications/perspectives L’objectif de ce travail est de comprendre dans quelle mesure des

aménagements urbains et de voirie sont susceptibles de sécuriser l’espace public en limitant les comportements dangereux des différents usagers tout en permettant leur aisance dans la rue. Cette étude permettra de créer des outils d’aide à la décision à destination des aménageurs de l’espace public. Aujourd’hui, rien ne permet de présupposer les comportements des usagers face à un nouvel aménagement, et par conséquence d’anticiper de nouveaux scénarios

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Accidentologie du piéton

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d’accidents non attendus. Demain, il faut que les aménageurs puissent se dire : « Je sais que tel aménagement peut conduire à tels comportements et à tels scénarios d’accidents. Je peux donc imaginer les conflits et scénarios que je vais solutionner, mais aussi ceux que je vais probablement créer. »

Critique de la méthode et de la portée des résultats La méthodologie d'observation permet de comparer les sites parisiens les

plus fréquentés par les piétons en termes de compréhension des aménagements et d’appropriation des règles d'exploitation de la voirie, ainsi qu’en termes de confort et de prise de risque. Elle doit être complétée par une enquête auprès des usagers empruntant les sites d’étude portant sur les indices choisis pour prendre la décision de traverser.

90 % des accidents impliquant au moins un piéton à Paris peuvent être scénarisés à l'aide d'une dizaine de scénarios d'accident. Les observations in situ permettent de comprendre au moins partiellement pourquoi ces accidents surviennent.

Une des principales limites de cette méthode est qu’un aménagement, même s’il se révèle parfaitement sécuritaire et adapté à un endroit, ne le sera peut être pas quelques centaines de mètres plus loin du fait de la présence d’un trafic, d’une population, d’une urbanisation différents. Tout nouvel aménagement devra alors être évalué par une analyse comparative avant-après des comportements et de l'accidentologie afin de créer un retour d'expérience suffisamment conséquent et pertinent à l'usage.

Références Brenac T., Nachtergaële C. et Reigner H. (2003). Scénarios types d’accidents

impliquant des piétons et éléments pour leur prévention. Rapport INRETS n° 256 . Arcueil: INRETS. 201 p.

Carsten, O.M.J., Sherbone, D.J., & Rothengatter, J.A. (1998). Intelligent traffic signals for pedestrians: Evaluation of trials in three countries. Transportation Research Part C, 6, 213-229.

Clabaux N. (2005) Scénarios Types d'accidents de la circulation urbaine, n'impliquant pas de piétons. Rapport INRETS/RE-06-919-FR. Arcueil: INRETS. 132 p.

Hamed, M.M. (2001) Analysis of pedestrians' behavior at pedestrian crossings. Safety Science, 38(1), 63-82.

Oxley, J.A., Ihsen, E., Fildes, B.N., Charlton, J.L., & Day, R.H. (2005). Crossing roads safely: An experimental study of age differences in gap selections by pedestrians. Accident Analysis and Prevention, 37, 962-971.

Tiwari, G., Bangdiwala, S., Saraswat, A., & Gaurav, S. (2007). Survival analysis: Pedestrian risk exposure at signalized intersections. Transportation Research Part F, 10, 77-89.

Reason, J. (1990). Human error. Cambridge, Cambridge University Press.

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Partie 4 Enfant piéton :

développement et éducation

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Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier

Juan Torres Institut d’urbanisme, Université de Montréal CP 6128, Succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7, Canada [email protected]

Résumé – L’article porte sur la relation entre la marche et la perception du quartier chez les enfants. La marche est considérée comme expression d’une mobilité autonome, importante pour le développement des enfants, alors que l’aménagement basé sur le transport motorisé et le contrôle parental limitent une telle autonomie. L’article prend appui sur deux expériences de recherche-action menées dans le cadre du programme Grandir en ville (Unesco) avec des jeunes de 8 à 16 ans dans deux quartiers : à Montréal (Canada, 20 enfants) et à Guadalajara (Mexique, 27 enfants). Lors de ces expériences, les enfants ont participé à diverses activités : réalisation de désins du quartier, interviews, balades commentées dans le quartier, prise des photos des lieux significatifs, charrettes d’amnagement, etc. L’information recueillie à travers ces activités a fait l’objet d’une analyse qualitative qui a mené à la conception d’un modèle dans lequel la mobilité et l’expérience environnementale de l’enfant sont interdépen-dantes. La diversité des lieux accessibles à pied et la possibilité de rencontrer des pairs sont deux qualités que les enfants valorisent. La marche permet aux enfants non seulement d’utiliser, mais aussi de façonner leur quartier, faisant de l’espace public un lieu animé et attractif pour d’autres jeunes.

Mots-clés : enfant, quartier, marche, perception

Introduction Observé dans plusieurs pays, le déclin de la marche pour les trajets des

enfants (notamment entre le domicile et l’école) incarne une tendance vers la motorisation du transport, y compris pour des destinations traditionnellement considérées « de proximité », au sein du quartier. Derrière ce déclin il y a une manière d’occuper le territoire marquée par la dispersion (faible densité), la ségrégation des activités (séparation des zones résidentielles, commerciales, etc.) et la discontinuité de la trame de rues, qui se traduisent par l’augmentation des distances. Cette organisation territoriale, rendue possible par la motorisation du transport, rend à son tour indispensable l’automobile (Dupuy, 2006).

L’impact de la dépendance à l’automobile sur la vie des enfants est majeur, puisqu’elle les rend captifs dans un milieu où ils sont de moins en moins autonomes, c’est-à-dire où leur mobilité dépend des parents. Une littérature

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Enfant piéton : développement et éducation

204 © Les collections de l’INRETS

abondante porte sur les pratiques de mobilité des enfants et les liens entre les caractéristiques physico-spatiales de leur milieu de vie, le contrôle parental et le choix modal lors des trajets quotidiens (McMillan, 2005 ; Pont, 2009). Toutefois, peu de travaux se penchent sur la manière dont les enfants perçoivent le milieu où ils se déplacent et leur propre mobilité. La question mérite d’être posée car les enfants, loin d’être passifs, jouent un rôle actif dans leur milieu (James et al., 1998) : si leur mobilité est largement contrôlée par leurs parents, il n’en demeure pas moins qu’ils ont une influence sur la manière dont les adultes perçoivent leur quartier, la mobilité et l’idée même d’enfance.

Le présent article porte sur la manière dont les enfants pratiquent et perçoivent leur quartier et sur la manière dont ceci se reflète dans leurs pratiques au plan de la mobilité, notamment à l’égard de la marche. Il prend appui sur deux expériences de recherche-action menées à Guadalajara (Mexique) et à Montréal (Canada) en 2005, dans le cadre du programme international de recherche-action Grandir en Ville, de l’Unesco. L’analyse qualitative de l’information recueillie lors de ces deux expériences participatives permet la formulation d’un modèle conceptuel. D’après ce modèle, les pratiques des enfants en tant que piétons et leur perception du quartier constituent les deux côtés d’une médaille, réciproquement liés. L’article permet d’exposer les caractéristiques principales de ce modèle et ses implications au plan de l’aménagement des quartiers.

La marche chez les enfants

Mobilité et autonomie La mobilité autonome des enfants, soit celle qui comporte les déplacements

qu’ils peuvent effectuer seuls, passe par des modes comme la marche et le vélo. Marcheurs et cyclistes par excellence, les enfants sont très sensibles aux conditions de leur milieu et en particulier aux conditions de l’espace public (Borja and Muxi, 2003). C’est dans ce sens que, pour certains, l’aménagement d’environnements favorables au transport actif a des répercussions plus importantes chez les enfants que chez les adultes (Gilbert and O’Brien, 2005). Or, les enfants sont rarement considérés, et encore moins impliqués, dans le processus d’aménagement de leurs milieux de vie. Ils sont généralement limités dans leur mobilité par des environnements et par des politiques de déplacement qui répondent aux besoins, aux habitudes et aux moyens des adultes et, particulièrement, des adultes motorisés (Commission européenne, 2002 ; Sutton and Kemp, 2002).

L’aménagement basé sur la voiture comme mode principal de déplacement nous oblige à réviser le sens de la notion traditionnelle de « proximité » : on constate l’allongement des distances vers les destinations quotidiennes en plus d’une inadéquation fréquente des aménagements consacrés aux piétons, ce qui décourage l’autonomie des enfants au plan de la mobilité (Gilbert and O’Brien, 2005). Ceci étant dit, la motorisation de la mobilité des enfants ne concerne pas uniquement les destinations éloignées : on l’observe aussi de plus en plus lors des trajets de moins d’1,6 km, soit des distances à la portée des enfants piétons (McMillan, 2005). L’influence des parents y est pour

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Grandir comme piéton : la relation enfant-quartier

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beaucoup : ce sont eux qui détiennent le contrôle sur les trajets et sur les modes de déplacement des enfants. Ce contrôle est tributaire de nombreuses préoccupations à l’égard notamment de la circulation et du risque d’agression, ainsi que de la maturité des jeunes et de la gestion des horaires du ménage (Hillman, 1999 ; Timperio et al., 2004).

La perte de mobilité autonome chez les jeunes est, dans certains cas, compensée par le « chauffering ». Ce terme fait référence aux déplacements en voiture que les adultes (généralement les parents) effectuent pour conduire les enfants vers les lieux où ceux-ci réalisent leurs activités quotidiennes, y compris l’école (Gärling et al., 2000). Toutefois, loin de contrer la perte de mobilité des enfants, cette pratique peut la perpétuer et même l’aggraver. En effet, dans un contexte peu favorable au transport actif et en tant que réponse à la perception d’insécurité, le chauffering s’avère contreproductif à plusieurs égards : il provoque une augmentation de la circulation automobile autour des écoles qui peut se traduire par une perte de convivialité dans la rue, voire par une augmentation du risque d’accident. Plus encore, le chauffering prive les enfants d’occasions importantes pour marcher dans leur quartier, qui constitue par ailleurs un lieu très formateur, au même titre que l’école et la maison (Prezza et al., 2005).

La marche, tout comme le vélo, permet aux enfants d’exercer une certaine liberté au moment où ils développent leur autonomie (Kyttä, 2003 ; Merom et al., 2006). En se déplaçant librement dans leur quartier, les enfants apprennent à se repérer et à utiliser de manière sécuritaire la voie publique ; ils s’approprient leur quartier, s’intègrent dans leur communauté et cultivent une responsabilité envers leur environnement (Davis and Jones, 1996 ; Dixey, 1998 ; Fotel and Thomsen, 2003 ; Rissotto and Tonucci, 2002). De plus, la marche est valorisée au plan de la santé publique comme une forme d’activité physique pouvant contribuer à prévenir l’obésité, véritable épidémie qui affecte de plus en plus de jeunes (OMS, 2006). L’enjeu n’est pas banal car l’obésité constitue un fardeau social et un facteur de risque de nombreuses maladies qui font d’elle l’une des principales causes prévisibles de mortalité dans de nombreux pays industrialisés (Bray, 2004).

Le regard particulier des enfants Le déplacement peut être considéré comme « […] une variation de la prise

du sujet sur son monde » (Merleau-Ponty, 1945 : 317) ; dans ce sens, la perception que l’on a d’un milieu peut varier en fonction de la manière dont on le parcourt. Réciproquement, cette perception se reflète dans la manière dont on agit dans le milieu, notamment au plan de la mobilité. Dépendants de la marche et du vélo pour leurs déplacements autonomes, les enfants peuvent donc avoir une perception propre de leur milieu de vie, différente de celle des adultes motorisés. Prendre en considération ce regard particulier s’avère essentiel pour l’aménagement de milieux adaptés aux capacités et aux expectatives des jeunes.

En participant à l’évaluation et à l’aménagement de leur environnement, les enfants ont l’opportunité de rendre explicites leurs points de vue. De nombreuses expériences de recherche et d’aménagement, menées depuis une

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quarantaine d’années, montrent que les démarches participatives avec des enfants peuvent être très fécondes (Frank, 2006 ; Horelli and Kaaja, 2002). Des pionniers comme Kevin Lynch (1977) ont d’ailleurs constaté que les enfants sont des observateurs astucieux de leur quartier et que leur créativité peut être mise au service de leur communauté pour l’aménagement de villes plus conviviales et plus inclusives.

Aujourd’hui, 20 ans après l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, la participation des jeunes à l’aménagement est reconnue comme un droit et comme une condition au développement de milieux de vie plus durables (Nations Unies, 2006). Cependant, les démarches participatives sont toujours l’exception plutôt que la norme.

Parmi les plus importantes initiatives en matière de participation enfantine, figure le programme international Grandir en ville (GEV). Initié en 1970 sous l’égide de l’UNESCO, GEV est un programme international de recherche-action voué à la création de meilleures villes avec les enfants. Il se base sur la collaboration d’enfants et d’adultes dans l’évaluation de leurs milieux de vie ainsi que dans la planification et la réalisation de changements environnementaux (GUiC, 2006). À date, le programme a été mené dans plus d’une trentaine de villes de différents pays. À travers ces expériences, on a pu identifier une consistance à l’égard des facteurs qui, selon les enfants, rendent leur quartier satisfaisant. Ces facteurs incluent la sécurité et la liberté de mouvement, l’intégration sociale, la possibilité de réaliser des activités variées et significatives, l’existence de lieux de rassemblement et une vie communautaire dynamique (Chawla, 2002).

Les opérations réalisées dans le cadre du programme GEV ont lieu généralement dans des quartiers défavorisés avec des enfants et des jeunes adolescents. Elles sont souvent entreprises par des équipes de chercheurs locaux qui se servent d’un ensemble d’activités participatives de cueillette de données et de planification. La logique des opérations est la suivante : gagner la confiance des enfants, découvrir avec eux la manière dont ils perçoivent, utilisent et imaginent leur environnement, lancer des recommandations aux décideurs et, dans certains cas, instaurer un processus d’action local pour transformer le milieu.

En se penchant sur le quartier, et en particulier sur le quartier vécu par les enfants, ce type de démarche permet donc d’explorer le contexte de mobilité autonome des enfants. Plus encore, il permet de mieux comprendre l’influence de la marche et du vélo sur la manière dont les enfants expérimentent leur milieu de vie.

Les projets Grandir en ville de Montréal et de Guadalajara

Le présent article prend appui sur une recherche menée à travers deux opérations inscrites dans le programme GEV. La première a eu lieu à Montréal (Canada) au printemps 2005 et la deuxième à Guadalajara (Mexique) à l’automne de la même année. À Montréal, l’opération s’est déroulée sous

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l’égide de la Chaire Unesco en paysage et environnement de l’Université de Montréal dans le secteur Nord-est de l’arrondissement Montréal-Nord (fig. 1), un quartier défavorisé de 80 ha comprenant 14 000 habitants. À Guadalajara, c’est la Chaire Unesco en habitat de l’Université ITESO qui a soutenu l’opération dans le quartier Díaz Ordaz (fig. 2), un ensemble de logements sociaux occupant une surface de 13 ha et habité par 5000 personnes.

Tableau 1. Distribution des enfants participants par âge et par sexe

Montréal Guadalajara Age Garçons Filles Total Garçons Filles Total

8 1 1 9 2 2 10 2 2 1 5 6 11 1 6 7 3 5 8 12 3 3 6 4 4 13 1 3 4 1 1 14 1 1 3 1 4 15 16 1 1

Total 8 12 20 13 14 27

Au total, 47 enfants (20 à Montréal, 27 à Guadalajara) âgés entre 8 et 16 ans ont participé (tableau 1), collaborant avec des équipes d’étudiants des universités locales. Le processus a été similaire dans les deux cas : pendant une période de 10 semaines, les enfants et les étudiants se sont rencontrés deux fois par semaine (3 heures par rencontre) pour réaliser diverses activités leur permettant d’évaluer le quartier et de concevoir des changements.

Figure 1. Logement typique du secteur Nord-Est, à Montréal-Nord

Source : Juan Torres, 2007.

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Figure 2. Logement typique du quartier Díaz Ordaz, à Guadalajara

Source : Juan Torres, 2007.

Lors de la première activité, les enfants ont dessiné leur quartier sur des feuilles de papier et expliqué leurs dessins aux étudiants, qui ont enregistré leurs observations tout au long du processus sur des carnets de bord. Les enfants ont ensuite été interviewés à l’aide d’un guide semi-directif qui comportait trois thèmes : le premier concernait les activités des enfants dans le quartier (lieux, horaires, type d’activité, etc.) ; le deuxième concernait le réseau social de l’enfant et ses expectatives à court et à long terme par rapport au quartier (les prévisions pour le quartier, les changements souhaités, etc.) ; finalement, le troisième thème concernait les déplacements actifs des enfants, principalement à vélo (les trajets, leur durée, les difficultés rencontrées, etc.). Ces entrevues ont été enregistrées afin d’être transcrites en détail et analysées postérieurement. Après les entrevues, les enfants ont joué le rôle de guides lors de plusieurs tours à pied et à vélo dans leur quartier. Pendant ces tours, ils ont aussi pris en photo leurs lieux préférés et ceux qu’ils jugeaient problématiques.

Des entrevues ont aussi été menées auprès de quelques adultes à l’aide d’un guide semi-directif inspiré de celui proposé par Lynch (1977) et repris par Driskell (2002). Ces entrevues portaient principalement sur la perception au sujet de l’environnement des enfants et des activités réalisées par les jeunes dans le quartier. Quatre parents de Montréal et trois de Guadalajara (des mères dans tous les cas) ont accepté d’être interviewés par les étudiants en dehors de l’horaire des rencontres avec les enfants. Ces entrevues ont aussi été enregistrées afin d’être analysées postérieurement.

L’étape suivante, consacrée à la proposition de transformations pour améliorer le quartier, a pris la forme d’une « charrette d’aménagement ». La charrette d’aménagement est un processus intensif de conception qui dure généralement de deux à quatre jours et qui se déroule idéalement dans le site à

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aménager. Pendant son déroulement, les participants ayant des expériences et des expertises différentes, identifient et examinent les problèmes à résoudre dans leur communauté et conçoivent ensemble des solutions, c’est-à-dire des interventions d’aménagement (Watson, 1996).

À Montréal et à Guadalajara, les enfants et les étudiants de chaque site se sont réunis pendant 4 jours (deux fins de semaine consécutives) dans un local du quartier pour concevoir ensemble plusieurs projets d’aménagement. Ces projets ont été représentés à travers des maquettes et des dessins qui ont constitué le matériel d’une exposition publique à la fin du processus. Habituellement, les professionnels de l’aménagement participent à ce type d’activité à titre d’experts en s’occupant principalement de représenter physiquement (à travers des plans, des maquettes, etc.) les propositions des participants (Lennertz and Lutzenhiser, 2006). À Montréal et à Guadalajara, les enfants et les étudiants ont collaboré à cette « mise en forme » des propositions. Les enfants avaient ainsi la possibilité d’exprimer leurs propositions d’aménagement de manière tangible, par exemple sous la forme de figures en pâte à modeler ou de dessins, et non uniquement de manière verbale. À travers ces propositions, les enfants rendaient explicite leur perception à l’égard du quartier et des problèmes qui les affectaient directement.

Pour les participants, la réalisation de ces projets était souhaitée, mais elle n’était pas attendue. L’objectif principal était plutôt de montrer à la communauté les idées des jeunes.

L’information recueillie à travers toutes ces activités a fait l’objet d’une analyse qualitative dont la méthode a été inspirée de l’approche de théorisation ancrée de Glaser et Strauss (1967 ; Paillé and Mucchielli, 2003). Dans cette approche, on analyse l’information produite sur différents supports en vue de concevoir un modèle théorique qui lui donne du sens ; réciproquement, le modèle théorique émergeant permet d’orienter l’analyse et la production d’information vers les aspects du phénomène étudié qui s’avèrent les plus significatifs. Glasser et Strauss appellent ce processus récursif « theoretical sampling » (échantillonnage théorique) et le définissent comme « […] the process of data collection for generating theory whereby the analyst jointly collects, codes, and analyzes his data and decides what data to collect next and where to find them, in order to develop his theory as it emerges » (1967, p. 45).

Les données (transcriptions d’entrevues, photographies, dessins, carnets de bord des étudiants, etc.) ont été codées puis organisées autour de catégories conceptualisantes, soit de brèves expressions textuelles permettant de dénommer les phénomènes observés et d’articuler le sens des représentations, des vécus et des événements consignés (Paillé and Mucchielli, 2003). Les catégories ont été par la suite mises en relation et intégrées au sein d’un modèle afin de dégager les multiples dimensions et rapports du phénomène étudié. Le but de cette démarche de théorisation n’était pas tant de comparer les deux expériences que de les utiliser comme base pour concevoir un modèle théorique formel permettant de les interpréter en tant que manifestations du rapport complexe entre l’enfant et son milieu de vie. Plus précisément, cette analyse a permis de concevoir un modèle dans lequel la mobilité autonome de l’enfant et son expérience du quartier sont deux dimensions profondément reliées.

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Résultats La complexe relation enfant-quartier

À travers l’analyse de l’information recueillie lors des deux expériences GEV, on peut dégager une tension entre deux pôles spatiaux dans le rapport entre l’enfant et son milieu de vie : l’intérieur (incarné par la maison), et l’extérieur (faisant référence aux espaces significatifs situés en dehors de la maison). Dans le modèle ici proposé (fig. 3), ces deux pôles se situent sur l’axe « spatial », représenté horizontalement. Puis, la signification de ces lieux dans la perspective des jeunes peut aussi se traduire conceptuellement par une tension entre, d’une part, un pôle d’attraction (intérêt) et, d’autre part, un pôle de répulsion (aliénation). Dans le modèle, ces deux pôles se situent sur l’axe « perceptif », représenté verticalement. Quatre régions ou quadrants émergent de la juxtaposition de ces deux axes : la maison-refuge, le quartier intéressant, la maison précaire et le quartier menaçant.

Figure 3. Modèle conceptuel du rapport enfant-quartier

Source : Juan Torres, 2007.

La maison-refuge est une notion qui fait référence à des qualités comme l’intimité, le contrôle et l’appartenance de l’espace intérieur. La maison est ici considérée comme un lieu où les enfants se sentent en sécurité et réalisent diverses activités, bien que le visionnement de la télévision et les jeux vidéo y prennent une place prépondérante. La cour arrière et d’autres espaces extérieurs, adjacents au domicile, sont perçus par les enfants comme des extensions de la maison-refuge. Ces espaces sont particulièrement importants lorsque le quartier est considéré comme un lieu menaçant.

Le quartier menaçant est une notion liée à quatre éléments environnementaux négatifs perçus par les enfants : la circulation automobile, l’ennui, la saleté et la violence. La circulation automobile décourage l’utilisation du quartier, autant par les dangers auxquels elle est associée que par l’espace qu’elle occupe sur la voie

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publique (y compris le stationnement), et qui autrement pourrait être utilisé pour le jeu. L’ennui résulte de la rareté d’activités et de lieux diversifiés et accessibles aux enfants, ainsi que de l’absence de personnes (notamment des pairs) dans l’espace public. La saleté, quant à elle, constitue un problème très significatif pour les enfants, dans la mesure où elle projette une image négative de leur communauté et, par extension, d’eux-mêmes. Enfin, la violence, notamment en lien avec la présence de gangs de rue, constitue un autre facteur de découragement pour utiliser l’espace public et en particulier des rues et des parcs que ces groupes fréquentent et s’approprient symboliquement.

La maison précaire fait référence autant aux caractéristiques physico-spatiales du logement qu’aux conditions socio-économiques familiales, toutes les deux étant étroitement liées. Sur le plan physique, les problèmes du logement concernent principalement sa densité d’occupation, soit le rapport entre sa taille, son organisation spatiale et la quantité de personnes qui l’habitent, qui se traduisent dans certains cas par un manque d’intimité. Sur le plan socio-économique, la précarité se manifeste souvent en rapport avec la monoparentalité féminine et à l’absence prolongée des parents en raison des longues journées de travail et de la durée des déplacements entre le domicile et les lieux d’emploi.

Finalement, le quartier intéressant est une notion qui fait référence aux lieux extérieurs appréciés, que les enfants utilisent et adaptent à leur goût et dans lesquels ils interagissent positivement autant avec d’autres enfants qu’avec des adultes. Les exemples incluent des parcs, des écoles, des terrains sportifs et des commerces locaux, tout comme les lieux qui permettent un contact direct avec des éléments naturels, comme les terrains en friche, les forêts, les abords des rivières, etc.

Le rapport enfant-environnement a été conceptualisé en tant que relation récursive, l’utilisation ou l’abandon d’un lieu étant à la fois une cause et une conséquence de la manière dont l’enfant perçoit ce lieu. Les projets GEV de Montréal et Guadalajara montrent qu’une récursivité semblable imprègne aussi le lien entre l’enfant et les modes de transport actif : la pratique ou l’abandon de la marche et du vélo étant à la fois une cause et une conséquence de la manière dont l’enfant perçoit ces activités, le quartier et son propre rôle dans celui-ci.

Dans le discours des enfants, la marche et le vélo apparaissent en tant qu’activités riches, associées au jeu, à l’entraînement physique et à la mobilité efficiente, abordable et non polluante. Les modes qui leur permettent une mobilité autonome sont mis en valeur à travers leurs dimensions ludique, économique, environnementale, etc. Ceci ne peut que faire ressortir le réductionnisme de l’approche traditionnelle selon laquelle les mobilités douces sont conçues dans le cadre d’un système binaire de valeurs, ayant une fonction soit utilitaire, soit récréative.

Dans le discours des enfants, la mobilité autonome apparaît comme une activité spatialisée, associée à un ou à plusieurs lieux (les lieux où l’on va à pied ou à vélo). Dans ce sens, la marche et le vélo peuvent être considérés comme des facteurs susceptibles d’influencer et d’être influencés par l’expérience environnementale des jeunes.

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En effet, la perception que les enfants ont de leur milieu de vie s’avère profondément liée à leurs conditions de mobilité : l’idée d’une maison-refuge, complémentaire à celle d’un quartier menaçant, suppose une utilisation assez limitée du quartier, du moins de manière autonome, c’est-à-dire à pied ou à vélo. En revanche, le quartier intéressant, qui compense la précarité de la maison, comporte une plus grande mobilité autonome chez l’enfant. Réciproquement, on observe que le manque d’autonomie au plan de la mobilité renforce la perception négative du quartier comme un lieu dangereux, alors que les enfants les plus autonomes (généralement les plus âgés) semblent relativiser le danger et même développer un lien d’appartenance plus fort avec certains lieux de leur quartier, voire des quartiers voisins.

L’analyse permet de confirmer les observations de Timperio et al. (2004) sur la manière dont la mobilité des enfants est influencée par l’idée que les parents se font du milieu et des compétences des jeunes. On considère les enfants les plus jeunes et les filles comme étant plus vulnérables, et c’est chez eux que l’idée du quartier menaçant et celle de la maison-refuge sont plus présentes. Ces sous-groupes pratiquent moins la marche et le vélo dans leur quartier et, lorsqu’ils le font, ils sont généralement accompagnés. Ainsi, aux limites spatiales (les zones « permises ») s’ajoutent des limites temporelles au transport actif, qui correspondent aux moments où l’enfant peut être « escorté » dans ses déplacements par un membre de la famille.

Pour les jeunes, les lieux les plus intéressants de leur quartier sont, avant tout, les lieux animés, « marchables », qui offrent des opportunités d’interaction positive (amicale) avec d’autres membres de leur communauté. Cette interaction est une occasion de réaliser des activités significatives qui permettent aux jeunes de se sentir intégrés socialement et même de s’approprier divers lieux de leur quartier. Autrement dit, les espaces accessibles, favorables à une mobilité autonome, sont ceux qui peuvent non seulement attirer, mais aussi accueillir les enfants. Ce constat nous permet de dépasser la vision déterministe du rapport enfant-environnement et envisager d’une part l’enfant comme un agent et, d’autre part, la marche comme une véritable action sur l’environnement. Car en marchant dans leur quartier, les enfants contribuent à rendre celui-ci plus animé, c’est-à-dire plus attractif pour d’autres enfants et plus convivial pour tous.

Conclusion L’aménagement de milieux favorables à la marche est particulièrement

important pour les personnes dont la mobilité autonome passe par des modes de transport actif, comme les enfants. La proximité des destinations quotidiennes et l’existence d’aménagements pour les piétons permettent donc aux jeunes d’exercer une autonomie qui est d’ailleurs importante pour leur développement. Ceci étant dit, la mobilité des enfants est avant tout contrôlée par les parents, qui traduisent leurs craintes à l’égard de la sécurité du milieu et des compétences des jeunes en des restrictions.

Évidemment, on ne peut pas imaginer une plus grande autonomie des enfants au plan de la mobilité sans un changement important dans la perception et le comportement des parents. Des études récentes montrent par

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ailleurs une relation forte entre la part modale de la marche lors des trajets scolaires et le choix modal des parents pour se rendre au travail, le choix du lieu de résidence et le taux de motorisation du ménage (Bussière et al., 2008).

Si la perception et le comportement des parents ont une grande influence sur la mobilité des enfants, il n’en demeure pas moins que ceux-ci ont leur propre vision des choses. La perception des enfants est tributaire de la manière dont ils se déplacent et, en même temps, elle a une forte influence sur leur mobilité. Plus encore, les enfants peuvent aussi influencer les parents dans leur perception à l’égard du milieu et de leurs propres compétences. On observe en effet que, pendant leur processus de développement, les enfants négocient leur autonomie et cherchent à élargir de plus en plus leur espace d’action (Kyttä, 2003 ; Merom et al., 2006).

Le modèle ici proposé exprime la relation interactive entre les enfants et leur milieu de vie et sert de base à l’exploration d’une autre relation tout aussi complexe : celle qui existe entre les enfants et les mobilités douces en tant qu’activités spatialisées, susceptibles d’influencer et d’être influencées par l’expérience environnemental des enfants. Comme tout modèle, celui-ci n’est qu’une représentation simplifiée d’une réalité beaucoup plus riche ; il est utile dans la mesure où il suscite une réflexion au sujet de la pratique de la marche auprès d’un groupe de piétons par excellence : les enfants. D’autres modèles plus nuancés et une recherche plus approfondie sont nécessaires afin de mieux comprendre par exemple le rôle de l’âge et du sexe de l’enfant sur sa mobilité, pour ne mentionner que ces deux facteurs.

Ceci tant dit, les expériences participatives de Montréal et de Guadalajara montrent déjà que, pour les enfants, la mobilité autonome exprimée à travers la marche est le reflet d’un quartier stimulant. Les jeunes considèrent la possibilité de rencontrer leurs pairs dans la rue et dans d’autres espaces publics comme une caractéristique extrêmement recherchée dans leur milieu de vie. À la lumière de ces constats, il est possible de considérer l’enfant piéton non seulement comme un usager de la rue, mais aussi comme un véritable transformateur de l’espace public.

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Modification des comportements de traversée de rue

des enfants-piétons de 9-10 ans au fil d'une pratique sur simulateur

Camilo Charron, Elise Jouanne Centre de recherche en psychologie cognition et communication (CRPCC E.A. 1256), Université Rennes II, Campus Villejean place du Recteur Henri Le Moal, CS 24307 35043 Rennes Cedex, France [email protected]

Résumé – L'évolution sur simulateur des conduites de traversée de rue a été testée auprès de 78 enfants de 9-10 ans. Les participants ont tous répondu à un questionnaire puis ont effectué successivement huit traversées de rue sur simulateur, en recevant un feed-back entre chaque traversée. Les sujets étaient répartis en trois conditions expérimentales qui différaient par l'enjeu donné par la consigne (facteur enjeu). Celle-ci a insisté soit sur l’atteinte seule de l’objectif, soit sur la nécessité de ne pas prendre de risques et surtout de ne pas se faire renverser dans l’atteinte de l’objectif (enjeu sécurité), soit sur la nécessité d’atteindre l’objectif le plus rapidement possible (enjeu temps). Du questionnaire, plusieurs variables indépendantes (VI) ont été extraites : le contrôle perçu des enfants, leur hiérarchie de priorités selon l'importance qu'ils accordent à la sécurité, au temps et au respect du code, leur expérience piétonne, la distance école-domicile et leur expérience des jeux vidéo. L'analyse des données a montré des évolutions dans les conduites ainsi que des relations entre les VI et les conduites. Les enjeux influencent la prise de risque mais pas l'évolution des comportements. La pratique sur le simulateur semble avoir modifié la hiérarchie de priorités établie par l'enfant en faveur de la sécurité.

Mots-clés : enfant piéton, enjeu, prise de risque, développement

Introduction Position du problème

Des recherches portant sur des enfants de 10-11 ans ont récemment montré, au moyen de traversées de rues sur simulateur, que les enjeux ressentis, c'est-à-dire les valeurs et buts attribués par le sujet à l'action (ex. ne pas être en retard vs ne pas avoir d'accident), pouvaient conduire les piétons à prendre volontairement des risques (Charron, Festoc, Hairon et Petibon, 2008). Ce résultat ouvre de nouvelles pistes de recherches.

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En effet, puisque les enfants choisissent délibérément d'agir différemment selon les enjeux, ils ne mobilisent pas à chaque fois les mêmes ressources cognitives et ne ressentent pas non plus les mêmes nécessités adaptatives. Il suffirait alors, qu'au cours de l'existence, des enjeux donnés se répètent suffisamment, soit du fait des circonstances (par exemple un emploi du temps qui crée une urgence chronique pour certains déplacements, ou un contexte qui, au contraire, incite fortement au respect régulier des règles), soit aussi en raison de la hiérarchie de priorité propre aux valeurs du sujet (par exemple par principe, je n'aime pas perdre du temps dans un déplacement vs il est essentiel de respecter le code quitte à y passer plus de temps), pour que germent des contrastes développementaux. En effet, selon les enjeux, on peut s'attendre à ce que les besoins de construction et de modification des compétences diffèrent, de même que les compétences qui font l'objet d'assimilation accommodation (au sens défini par Piaget, 1936).

Objectifs et hypothèses La présente étude est la première d'une série de recherches qui étudie le lien

entre les enjeux et le développement des compétences. L'objectif est ici d'explorer dans quelle mesure les enjeux seraient susceptibles ou pas d'infléchir la modification des comportements juste par une simple répétition de l'activité. En effet, on sait depuis les travaux de Piaget (1936) que l'exercice et la répétition sont un facteur de développement. On peut donc supposer qu'un enfant à qui on demande explicitement d'aller vite (enjeu de temps), soit en mesure de prendre de plus en plus de risques au fur et à mesure que sa pratique augmente, comparativement à un autre enfant à qui on ne demanderait rien en particulier (enjeu neutre) ; inversement, un enfant à qui on demanderait d'être prudent (enjeu de sécurité), pourrait réduire notablement sa prise de risque avec l'entraînement. Telle est la première hypothèse. Pour la tester, des enfants qui ont été répartis en trois groupes avec chacun un enjeu différent (de temps, de sécurité ou neutre), ont effectué successivement huit tâches de traversées de rue en recevant, entre chaque tâche, des retours d'information.

Compte-tenu des données antérieures (Charron et al., 2008) montrant que certains comportements sont influençables par les enjeux (traverser hors passage piéton, courir sur la chaussée) et d'autres pas (prise visuelle d'information), la seconde hypothèse prédit que les enjeux n'affecteront que les comportements influençables.

Les liens entre les comportements de traversée et le contrôle perçu, l'expé-rience piétonne, l'expérience en jeux vidéo ou les hiérarchies de priorités que l'enfant établit entre aller vite, respecter le code de la route et se déplacer en sé-curité, sont aussi testés mais de manière heuristique, sans hypothèse préalable.

Méthode Procédure générale

L’expérience a porté sur un échantillon de 78 enfants de 9-10 ans (45 garçons, 33 filles) provenant de trois classes de CM1 (N = 25, 26 et 27 respectivement). Tous ont d'abord répondu à un questionnaire. Cet outil évalue

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l'expérience piétonne des enfants, leur contrôle perçu, leur expérience des jeux vidéo et la hiérarchie de priorités qu'ils ont avant de débuter l'expérience (i.e. l'importance relative qu'ils accordent au temps de déplacement, au respect du code de la route ou à la sécurité). La semaine suivante, les enfants ont effectué individuellement, successivement et dans le même ordre, 8 tâches de traversée de rue (variable essai) de difficulté équivalente, sur le simulateur RESPECT (Aubert, Charron et Granié, 2005 ; Charron, 2004). Les sujets étaient alors répartis en trois conditions expérimentales (avec 11 filles par groupe) qui différaient par l'enjeu suggéré par la consigne (variable enjeu). La consigne demandait toujours à l'enfant de progresser, en insistant soit sur l’atteinte seule de l’objectif (enjeu neutre), soit sur la nécessité de ne pas se faire renverser dans l’atteinte de l’objectif (enjeu de sécurité), soit sur l'importance d’atteindre l’objectif le plus rapidement possible (enjeu de temps).

Procédure détaillée Le simulateur RESPECT

Le simulateur RESPECT reproduit sur micro-ordinateur, de façon visuelle et sonore, la scène que verrait le sujet lors d'un véritable déplacement. Ce logiciel permet à l'enfant de réaliser, dans un environnement 3D, un parcours en utilisant une manette de jeu pour marcher, courir et pour observer le monde environnant. Pour chacune des huit tâches de traversée, l'objectif à atteindre se trouvait systématiquement de l'autre côté de la rue. L'enfant pouvait soit traverser directement la rue hors passage piéton sans faire de détour, soit faire un détour pour éventuellement emprunter un passage piéton. En faisant un plus grand détour, l'enfant avait aussi la possibilité d'atteindre l'objectif en traversant plusieurs rues à un carrefour. Dans tous les cas, la tâche plaçait le participant face à l'obligation de choisir entre privilégier le temps de parcours (traverser sans détour hors passage piéton) ou la sécurité (traverser sur un passage piéton au prix d'un détour).

Les enjeux et les essais

L'expérimentation sur simulateur débutait après une phase de familiarisation avec le matériel durant laquelle les enfants développaient une maîtrise satisfaisante des commandes (mouvements virtuels de la tête, déplacements en marchant et en courant). Afin d'augmenter la probabilité d'engagement des enfants dans l'activité proposée, ces derniers étaient laissés libres d’accepter ou non d'effectuer les tâches de traversée (Kiesler, 1971 ; Joulé et Beauvois, 1998 ; Guéguen et Pascual, 2000).

Avant de réaliser la première traversée, une consigne suggérait un enjeu. Pour l'enjeu neutre, la consigne était : « Ta mission est, à chaque fois, d’arriver à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C'est très important que tu arrives à l’objectif. A chaque situation, tu dois tenter de t’améliorer en atteignant de mieux en mieux l'objectif. Le temps que tu mets n’a aucune importance ».

Pour l'enjeu de sécurité, la consigne était la suivante : « Ta mission est, à chaque fois, d’arriver à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C’est très important que tu aies le moins d’accident possible. A chaque situation, tu dois

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tenter de t’améliorer en prenant à chaque fois le moins de risque possible. Le temps que tu mets n’a aucune importance ».

Enfin, pour l'enjeu de temps la consigne était : « Ta mission est, à chaque fois, d’arriver à l’endroit que l’ordinateur va t’indiquer. C’est très important que tu sois le plus rapide possible. A chaque situation, tu dois tenter de t’améliorer en allant à chaque fois le plus vite possible ».

Le temps alloué à chaque essai était limité mais largement suffisant pour atteindre l'objectif. Les traversées à faire, bien que différentes les unes des autres étaient de difficulté comparable du point de vue de la distance à parcourir, du rythme et du sens de la circulation automobile (venant toujours d'un seul côté) ainsi que de la distance où se situait le premier passage piéton.

Retours d'information sur les tâches réalisées

Pendant la réalisation des tâches de traversée, une barre de défilement indiquait en bas de l'écran le temps écoulé et celui restant. Lorsque l'enfant atteignait l'objectif une voix off signalait « c'est fini, tu as accompli ta mission ». A la fin de chaque essai, le simulateur affichait de manière automatique et sans ostentation, le nombre d'imprudence, les défauts d'observation et les d'infractions commises. Comme le passage piéton était toujours situé à moins de 50 mètres, le fait de ne pas l'emprunter était signalé comme une violation du code de la route. La survenue d'un accident virtuel, quant à elle, se traduisait par l'arrêt immédiat de la simulation, accompagné de l'émission du son du choc contre la voiture. A aucun moment, l'expérimentateur ne demandait à l'enfant de prêter attention à ces feed-backs. Le sujet était donc libre de les prendre ou pas en considération.

Le questionnaire et les autres variables indépendantes

Le questionnaire comportait quatre parties toujours administrées dans le même ordre. La passation des parties 1 et 2 se faisait à l’oral et de manière individuelle. Les parties suivantes étaient administrées à l'écrit, en individuel pour la partie 3 et en passation collective pour la partie 4.

La partie 1 mesurait l'expérience piétonne : faible (l'enfant ne vient jamais à pied à l'école), moyenne accompagné (l'enfant vient occasionnellement à pied à l'école et il est accompagné d'un adulte), moyenne seul (l’enfant vient occasionnellement à pied à l’école et il n’est pas accompagné d’un adulte), forte accompagné (en général l’enfant vient à pied à l’école et il est accompagné d’un adulte) et forte seul (en général l’enfant vient à pied à l’école et il n’est pas accompagné d’un adulte).

La partie 2 évaluait la hiérarchie initiale de priorités. Pour cela, l'enfant devait choisir parmi trois propositions (« faire ton trajet assez rapidement », « respecter le code de la route », « faire attention à ne surtout pas avoir d'accident ») celle qui était pour lui la plus importante et celle qui était la moins importante.

La partie 3 mesurait le contrôle perçu sur une échelle continue de 10 cm, face à une tâche de traversée de rue présentée sur papier et comparable à celles du simulateur.

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Enfin, la dernière partie du questionnaire évaluait l'expérience de l'enfant en matière de jeu vidéo : aucune (l’enfant déclare ne jamais jouer à des jeux vidéo), faible (il joue aux jeux vidéo moins de trois fois par semaine), forte (il joue aux jeux vidéo trois fois par semaine ou plus).

En plus des variables citées, la distance école-domicile a été relevée pour chaque enfant, en kilomètres. Cette distance est liée à l'expérience piétonne (rapport de corrélation = 0,34) : lorsque les enfants habitent loin, ils déclarent avoir une moindre expérience piétonne. La distance école-domicile constitue donc une mesure indirecte de l'expérience piétonne.

Les relations entre les autres variables indépendantes, prises deux à deux, sont faibles (coefficients de corrélation inférieurs à 0,27 en valeur absolue) et non significatives. On peut donc considérer ces variables indépendantes comme étant quasiment orthogonales entre elles.

Mesures Les performances

Pour chaque essai, on relève le temps (en secondes) mis pour atteindre l'objectif, la présence ou absence d'un accident virtuel et le nombre de traversées effectuées (en pratique de 0 à 2 bien que ce nombre ne soit pas limité par la simulation). Le temps nous renseigne sur l'urgence ressentie par le sujet : plus il est court et plus l'enfant se sent concerné par le besoin d'aller vite. Cette mesure sert à vérifier que les enjeux donnés par la consigne ont bien été pris en compte par le participant au cours de la passation. La présence d'accident ainsi que le nombre de traversées servent, quant à eux, à s'assurer a posteriori que les essais sont de difficulté comparable. Plus les valeurs de ces indicateurs sont élevées pour un essai donné et plus la difficulté est grande pour cet essai.

Les prises d'information

Différents comportements de prises d'information sont relevés : la prise d'information initiale, celles avant de traverser et pendant la traversée ainsi que la qualité suffisante de la prise d'information.

La prise initiale d'information (cotée 1, son absence étant notée 0) a éventuellement lieu au tout début de la tâche. Elle consiste, avant tout déplacement, en un mouvement franc de la tête ou du corps (à gauche et/ou à droite) de plus de 45 degrés d'angle. Ce comportement est la marque d'une planification de l'activité de déplacement, d'une volonté d'anticiper les évènements.

Les prises d'information avant de traverser et pendant la traversée sont chacune cotées de la façon suivante : 1 si l'enfant regarde des deux côtés de la chaussée ou au moins du bon côté et 0 dans les autres cas.

On estime enfin que la prise d'information est de qualité suffisante (cotée 1) quand l'enfant a eu dans son champ de vision, en l'absence d'obstacle (voitures, poteaux, etc.) et pendant plus d'une seconde les informations (la rue d'où les voitures arrivent) qui, d'un point de vue expert, sont nécessaires et

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suffisantes pour effectuer la traversée. Dans les autres cas, la prise d'information est jugée de qualité insuffisante (cotée 0).

Les comportements de traversée

Les comportements de traversée relevés correspondent à des prises de risque dont les enfants ont connaissance (Charron et al., 2008). Il s'agit de la traversée hors passage piéton, de la traversée sans faire de détour et de la traversée en courant. La présence de chacun de ces comportements dangereux est codée 1 alors que l'absence est notée 0. Lorsqu'il y a plusieurs traversées, seule la première est prise en compte. Si, dans le cas particulier des tâches proposées, traverser sans détour implique toujours de franchir la chaussée hors passage piéton, l'inverse n'est pas vrai. L'enfant peut faire un détour pour traverser, sans pour autant emprunter de passage piéton.

Méthodologie d'analyse des données Avec le logiciel R (R Development Core Team, 2009), on cherche à prédire

la valeur vraie probable de chaque variable dépendante X (mesurant une performance ou un comportement), à partir d'un ensemble aussi petit que possible de variables indépendantes (Vi) parmi toutes celles dont on dispose. En admettant que X suive une loi de probabilité donnée (binomiale pour les variables binaires, normale pour le temps et loi de poisson pour le nombre de traversées effectuées), on teste pour X l'ensemble des modèles linéaires généralisés que l'on peut construire15. On retient le modèle qui est à la fois le plus vraisemblable et le plus parcimonieux, à partir de l'indice BIC (Bayesian Criterion Index, Schwarz, 1978) : plus la valeur de l'indice est petite et meilleur est le modèle. Le modèle retenu est donc celui qui a le plus petit BIC.

Résultats Les modèles linéaires généralisés retenus sont donnés en annexe avec leur

BIC. Pour l'exposé des résultats, les figures présentent toujours les données observées. Lorsque le modèle retenu prédit une évolution au fil des essais, la prédiction est illustrée sous la forme de courbes incrustées sur la figure.

Prise en compte des enjeux et signification des essais Les résultats (annexe) montrent que le temps de parcours dépend

essentiellement des enjeux et, pour une moindre part, de la distance école domicile. En effet, ce temps vaut en moyenne respectivement 35,36 s, 38,41 s et 47,44 s pour les enjeux de temps, neutre et de sécurité. Comparativement à l'enjeu neutre, les enfants se sentent donc plus pressés pour l'enjeu de temps et

15 Un modèle linéaire généralisé est un modèle de la forme E(X|V1,V2,..Vk) = h(η) = h(b0 +b1V1+ b2V2+...+bkVk ) ou V1,V2,..Vk sont K variables indépendantes, h une transformation monotone (ici h(η) = exp(η)/[1+exp(η)]) avec une hypothèse conditionnelle sur X et b0, b1,, b2, ..., bk sont des coefficients réels inconnus estimés à partir des données. Ces coefficients, dont les grandeurs sont comparables entre elles pour un modèle donné, indiquent avec quelle force et dans quel sens (positif ou négatif) chaque variable indépendante influence la valeur vraie de X.

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moins pressés pour l'enjeu de sécurité. Les consignes ont donc bien été prises en compte par les enfants. Par ailleurs, le nombre de traversées (1,02 en moyenne) ainsi que la fréquence d'accidents (faible : 0,02) ne sont liés à aucune variable (les coefficients correspondants sont tous nuls). Cela signifie qu'aucun des essais ne laisse apparaître de difficulté particulière. Un effet de l'essai pourra donc être interprété comme une conséquence de la pratique sur le simulateur.

L'évolution des prises d'information Concernant les prises d'information, en accord partiel avec notre seconde

hypothèse, l'analyse des données montre que l'influence des enjeux se limite à la seule prise initiale d'information. La fréquence de cette dernière est de 0,72 pour l'enjeu de sécurité contre 0,58 pour les deux autres enjeux. La modélisation des données (annexe) montre que l'enjeu de sécurité, avec un coefficient positif non nul, augmente la probabilité de prise initiale d'information alors que les enjeux « neutre » et « de temps », qui ont des coefficients respectivement nul ou proche de 0, n'affectent pas ou peu cette probabilité. L'enjeu de sécurité amène donc les enfants à être plus anticipatifs qu'ils ne le sont avec les autres enjeux. Cette anticipation est par ailleurs corrélée positivement avec le contrôle perçu. Tout se passe comme si l'enfant devait disposer d'un contrôle perçu élevé pour prendre le temps de planifier son déplacement.

Par ailleurs, comme on l'attendait, les comportements de prise d'information, que ce soit avant la traversée ou pendant la traversée, restent indépendants des enjeux et de la hiérarchie initiale de priorité. Ils ne sont liés à aucune variable, comme en témoignent les coefficients nuls des modèles correspondants (annexe).

Figure 1. Évolution de la qualité des prises d'information

La modélisation révèle aussi que la qualité de la prise d'information évolue

positivement au cours des essais. La figure 1 illustre cette progression. Dans le même temps, on notera aussi que la qualité de la prise d'information, d'après la modélisation (annexe), reste totalement indépendante de l'expérience antérieure, piétonne ou de jeu vidéo.

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L'évolution des comportements La traversée hors passage piéton

La modélisation (annexe) a révélé que la probabilité de traverser hors passage piéton dépend de la pratique sur simulateur (essais), des enjeux, de la hiérarchie initiale des priorités et pas de l'expérience antérieure.

La figure 2 expose l'évolution des traversées hors passage piéton en fonction des enjeux. Elle montre, en accord avec la seconde hypothèse, que la fréquence des traversées hors passage piéton est inférieure pour l'enjeu de sécurité à celle des autres enjeux. De plus, la fréquence baisse au fil de la pratique sur simulateur, avec une pente comparable pour les trois enjeux. En référence à la première hypothèse, cela signifie que les enjeux ne conduisent pas à traiter différemment, pour ce comportement, les feed-backs délivrés. Précisons que ce profil évolutif est le même pour chaque hiérarchie initiale de priorités.

Figure 2. Évolution des traversées hors passage piéton

La lecture détaillée de la modélisation (annexe) révèle aussi que l'influence de

la hiérarchie initiale de priorités sur la probabilité de traverser hors passage piéton est plus importante que celle des enjeux (les coefficients relatifs à la hiérarchie initiale de priorités sont plus grands en valeur absolue que ceux des enjeux).

La figure 3 dévoile les fréquences de traversées hors passage piéton en fonction de la hiérarchie initiale de priorités. L'observation de la figure 3 fait ressortir que la place accordée à la sécurité n'a pas de lien avec la traversée hors passage piéton. Ce comportement dépend plutôt de l'importance accordée au respect du code de la route par rapport au fait d'aller vite : lorsque le temps prime sur le code de la route, ce dernier étant jugé comme le moins essentiel, les traversées hors passage piéton baissent ; au contraire, lorsque le code de la route prévaut sur le temps, celui-ci étant relégué en dernière position, les traversées hors passage piéton augmentent. Ce sont donc les enfants qui accordent le moins crédit au respect du code de la route qui ont un comportement plus sûr.

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Figure 3. Traversées hors passage piéton selon la hiérarchie initiale de priorité

La traversée sans détour

La structure des résultats relatifs à la traversée sans détour (annexe) est, en tous points, similaire à celle de la traversée hors passage piéton qui vient d'être exposée, à une différence près : les expériences piétonnes et de jeu vidéo ont ici une incidence. Plus l'enfant a d'expérience en jeu vidéo et moins il traverse sans détour (les fréquences valant 0,61, 0,55, 0,48 respectivement pour les expériences « aucune », « faible » et « forte »). En revanche, la fréquence de la traversée sans détour n'est pas totalement proportionnelle à l'expérience piétonne. Les expériences élevées (« moyenne accompagné », « forte accompagné » et « forte seul »), sont associées à une plus forte fréquence de traversée sans détour que les autres (supérieure à 0,59 contre des fréquences inférieures à 0,50). L'expérience de jeu vidéo réduit donc la prise de risque alors que l'expérience piétonne tend plutôt à l'augmenter, dans des proportions diverses.

La traversée en courant

La modélisation (annexe) montre que le fait de traverser évolue au cours des essais et ne dépend que des enjeux et de la distance école domicile. Ceux qui habitent loin sont un peu plus enclins à traverser en courant que les autres.

La figure 4 présente l'évolution des traversées en courant selon les enjeux. L'étude de cette figure montre, comme le prévoit notre deuxième hypothèse, que la fréquence des traversées en courant augmente régulièrement pour les trois enjeux tout en restant la plus faible pour l'enjeu de sécurité et la plus élevée pour l'enjeu de temps. Au regard de la première hypothèse, on peut déduire de la figure 4 que les enjeux n'amènent pas une évolution différenciée des comportements au fil de la pratique sur simulateur puisque les pentes relatives aux trois groupes d'enfants sont pratiquement les mêmes.

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Figure 4. Évolution des traversées en courant

Pour finir, si on met en relation le résultat de la figure 4 avec celui de la

figure 2, on constate que les traversées en courant augmentent alors que, dans le même temps, celles qui se font hors passage piéton diminuent. Cette relation s'explique essentiellement par une augmentation régulière du nombre d'enfants qui traversent sur le passage piéton tout en courant alors que, dans le même temps, la proportion de ceux qui traversent sur le passage piéton sans courir baisse au fil des essais. Ce résultat est vrai pour chaque enjeu. Donc, au fur et à mesure que les enfants ont de la pratique sur le simulateur et qu’ils choisissent la sécurité en empruntant le passage piéton, ils essayent malgré tout, en courant, de ne pas trop sacrifier le temps de parcours, quitte à perdre un peu de sécurité lors de la traversée.

Discussion On peut retenir quatre résultats essentiels. 1/ Les enjeux ont un effet sur la

prise de risque et sur le fait de planifier ou pas le déplacement (d'autant plus avec un contrôle perçu élevé), mais pas sur la prise d'information avant ou pendant la traversée, ni sur la qualité de la prise d'information. 2/ Les comportements de traversée hors passage piéton et sans détour dépendent de la hiérarchie initiale des priorités et cette dépendance est plus importante que celle relevée à propos des enjeux. 3/ La répétition de l'activité de traversée n'amènent pas les enjeux à infléchir l'orientation ou la qualité du développement. En revanche, la répétition amène une réorganisation inattendue de la hiérarchie de priorité entre les enjeux. 4/ L'expérience antérieure qu’elle soit piétonne ou en matière de jeu vidéo a peu d'incidence sur les conduites observées sur simulateur.

Le premier résultat de cette expérience confirme les données antérieures (Charron et al., 2008). Les enjeux ont une conséquence sur la prise de risque : les enfants adoptent plus de comportement dangereux lorsqu'il s'agit d'aller vite et moins lorsqu'ils doivent privilégier la sécurité. Cet effet ne porte que sur les comportements de traversée sans détour, hors passage piéton ou en courant

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mais pas sur les endroits où l'enfant regarde, à l'exception des prises d'information initiales. En référence au modèle de Hoc et Amalberti (2007), tout se passe comme si les enfants qui sont confrontés à l'enjeu de sécurité et qui ont le sentiment de maîtriser la situation (contrôle perçu élevé) adoptaient un mode de contrôle plus anticipatif que les autres, en planifiant l'activité et cela parce qu'ils en ont le temps. Ensuite, lors du déroulement de la tâche, les enfants choisissent leurs conduites de déplacement pour maximiser la performance qu’ils jugent acceptable en fonction du but privilégié (sécurité, temps ou atteinte de l'objectif). Les regards et leur qualité ne sont pas subordonnés aux finalités. Ils dépendent vraisemblablement du niveau d'habileté des enfants.

Le deuxième résultat nous apprend que l'option comportementale privilégiée par l'enfant change selon sa hiérarchie initiale de priorité, celle propre à l'enfant plus que celle induite par la consigne. Paradoxalement, ce sont les enfants qui accordent le moins d'importance au code de la route qui le respecte le plus. Ils le font donc plus par soucis de sécurité que du respect des règles. Les enfants de cet âge savent en effet que le passage piéton est une ressource pour minimiser le risque d'accident (Charron et al., 2008). Or, si on veut aller vite tout en atteignant son objectif, ne pas avoir d'accident s'avère être une pré-condition essentielle. On peut en déduire qu'il vaut mieux, dans les dispositifs éducatifs, insister sur l'intérêt d'utiliser le passage piéton pour la sécurité plutôt que pour se conformer à la norme légale.

Le troisième résultat montre que la modification des conduites au fil de la pratique est la même pour les trois enjeux. Toutefois, dans le cadre de la présente étude, les enfants ne subissent pas de réelles conséquences négatives ou positives selon la performance qu'ils obtiennent. Ils n'ont peut-être pas eu de réel intérêt à modifier de façon très différente leur comportement selon les enjeux. Il reste donc à vérifier, dans une autre expérience, si la signification et l'attention accordée aux feed-backs serait la même d'un enjeu à l'autre si la performance était suivie de répercussions auxquelles les enfants seraient sensibles. Une telle expérience est en cours d'achèvement à Rennes. Le troisième résultat montre aussi que l'évolution des conduites relève d'un remaniement de la hiérarchie interne des priorités. Les enfants intègrent tous, au cours des essais, l'exigence de sécurité, parfois devant celle de la vitesse, tout en tentant, en courant, de ne pas renoncer à cette dernière. Un tel remaniement des hiérarchies de priorité, en lien avec une évolution de la compétence, avait déjà été repéré chez de jeunes skieurs alpins (Charron et Jeancenelle, 2007). Il serait donc possible que ce soit le développement des compétences qui oriente la hiérarchie des priorités et fixe les enjeux en conséquence, plutôt que l'inverse contrairement à ce qui était initialement pressenti. L'étude de la dialectique entre enjeu et niveau de compétence doit être approfondie.

Le dernier résultat montre que l'expérience en jeu vidéo amène les enfants à adopter plus facilement une traversée avec détour, ce qui est ici favorable à la sécurité. Il serait intéressant de prolonger ce résultat en étudiant si le jeu vidéo a aussi une incidence positive dans la réalité. Plus étonnant est le lien positif constaté entre expérience piétonne et prise de risque. Ici l'expérience piétonne n'est pas un facteur protecteur. Cela signifie que l'expérience piétonne n'est pas

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synonyme de compétence piétonne. Des enfants très expérimentés peuvent s'avérer être peu compétents et inversement. En effet, des travaux (Zeedick et Kelly, 2003) ont montré que les adultes qui accompagnent les enfants lors des déplacements à pied n'ont pas souvent une attitude didactique ; de plus, les enfants se reposent souvent sur le guidage de l'adulte pour traverser sans vérifier par eux même qu'il n'y a pas de danger. Notre étude suggère qu'il y aurait un intérêt à déployer des efforts au sein des campagnes de prévention des risques afin que l'expérience acquise par les enfants engendre effectivement chez eux un réel accroissement de leurs compétences piétonnes.

Remerciements Cette recherche a eu lieu au sein du GDR 3169 Psycho Ergo (Psychologie

ergonomique et Ergonomie cognitive). Nous exprimons notre reconnaissance envers la directrice et les enseignantes de l'école Notre Dame du Sacré Cœur à Ploemeur dans le Morbihan qui ont accepté de nous accueillir dans leur établissement pour le recueil de données, ainsi qu'envers tous les enfants qui ont participé à l'étude. Nous remercions les collègues et les experts qui ont lu en profondeur la première version de cet article, pour leurs conseils.

Références Aubert, A., Charron, C., Granié, M.A. (2005). Les fondements psychologiques

de RESPECT, un simulateur éducatif pour l'enfant-piéton. Actes du colloque First International VR-Learning Seminar. Laval 2005. p 1-9.

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Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons

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Enfant piéton : développement et éducation

Annexe – Coefficients et BIC des modèles linéaires généralisés retenus (partie 1)

BIC des modèles Essais Enjeux Hiérarchie initiale de priorités

retenu nul saturé neutre sécurité temps C-S-T

S- C- T

S- T- C

T- S- C

Performances

Temps 5840,73 5855,26 5868,82 0 0 8,01 -4,04 0 0 0 0

Accident 147,92 147,92 225,77 0 0 0 0 0 0 0 0

Nbre. de traversées 1288,90 1288,90 1377,83 0 0 0 0 0 0 0 0

Prises d'information

Initiale 810,55 833,08 835,29 0 0 0,80 0,08 0 0 0 0

Avant de traverser

856,03 856,03 920,42 0 0 0 0 0 0 0 0

Pendant la traversée

349,83 349,83 407,80 0 0 0 0 0 0 0 0

De qualité suffisante

806,82 816,41 866,97 0,15 0 0 0 0 0 0 0

Comportements de traversée

Hors passage piéton 827,32 867,15 841,32 -0,15 0 0 -0,72 0,01 0 0,45

-3,29

-1,10

Sans détour 828,50 869,84 837,87 -0,16 0 -0,64 0,18 0 0,36

-3,00

-1,56

En courant 730,56 778,37 758,92 0,11 0 -0,36 1,41 0 0 0 0

Note. Nbre. = nombre. C = respecter le code de la route ; S = privilégier la sécurité ; T = gagner du temps. Les modèles nuls et saturés prédisent respectivement une absence totale d'effet des Vi et une influence de toutes les Vi.

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Modification des comportements de traversée de rue des enfants-piétons

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Annexe – Coefficients et BIC des modèles linéaires généralisés retenus (partie 2)

Expérience piétonne Expérience de jeux vidéo

Dist. CP b0

faible moyenne accompagné

moyenne seul

Forte accompagné

Forte seul

aucune faible forte

Performances

Temps 0 0 0 0 0 0 0 0 1,65 0 34,92

Accident 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 -3,70

Nbre. de traversées

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0,02

Prises d'information

Initiale 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0,15 -0,86

Avant de traverser

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0,32

Pendant la traversée

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 -2,46

De qualité insuffisante

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 -1,29

Comportements de traversée

Hors passage piéton

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0,97

Sans détour

0 1,22 0,01 0,81 1,88 -0,27 -0,95 0 0 0 1,15

Courir 0 0 0 0 0 0 0 0 0,13 0 -0,20

Note. Nbre. = nombre. Dist. = distance domicile école en kilomètres. CP = contrôle perçu (en cm sur une échelle de 10 cm). b

0 = coefficient de degré 0 (i.e. ordonnée à l'origine).

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Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation

sur la prise de risque des adolescents piétons

Marie-Axelle Granié INRETS, Département mécanismes d’accidents chemin Croix Blanche, 13300 Salon de Provence, France [email protected]

Résumé – L’objectif de cette étude est d’explorer les effets de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation des règles routières sur la prise de risques des adolescents piétons. L’adhésion aux stéréotypes de sexe, la perception du danger, l’internalisation des règles routières et les comportements à risques déclarés de 278 adolescents piétons (130 garçons et 148 filles) de 12 à 16 ans ont été mesurés. Les résultats montrent un effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe sur l’internalisation des règles routières et les comportements à risques. De plus, les résultats montrent un effet de l’internalisation des règles routières sur les comportements piétons à risques. Ainsi, il semble que, plus que le sexe biologique, ce soit le niveau de masculinité et le niveau d’internalisation des règles qui explique les différences de sexe dans la prise de risque des adolescents piétons.

Mots-clés : adolescent, prise de risque, genre, piéton

Introduction Les différences de sexe sont bien connues dans l’accidentologie et se

manifestent très tôt dans différents types d’accidents. Un rapport de l’UNICEF (2001) montre ainsi que dans les pays de l’OCDE, les garçons entre 1 et 14 ans ont 70 % de probabilité de plus que les filles de décéder dans un accident. La différence entre les sexes est plus importante chez les enfants les plus âgés et l’écart progresse encore jusqu’à atteindre chez l’adulte un maximum de 8 hommes tués pour 2 femmes entre 35 et 39 ans (70 à 80 % d’hommes parmi les tués sur la route entre 15 et 59 ans) (Assailly, 2001). Ce différentiel n’est pas propre à la France et se retrouve dans tous les pays. Les garçons ont des accidents plus fréquents (Baker, O'Neill, & Ginsburg, 1992) et plus graves (Rivara, Bergman, LoGerfo, & Weiss, 1982) que les filles, et l’exposition au risque ne semble pas être la seule variable explicative (Waylen & McKenna, 2002). Ce phénomène s’explique notamment par des prises de risque plus importantes de la part des garçons (Byrnes, Miller, & Schafer, 1999).

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Enfant piéton : développement et éducation

234 © Les collections de l’INRETS

De nombreux chercheurs expliquent dorénavant les différences de sexe dans la prise de risque par les rôles et stéréotypes de sexe (Rowe, Maughan, & Goodman, 2004), qui peuvent être définis comme l’ensemble des croyances sur ce que signifie être un homme ou une femme en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de relations sociales ou d’occupations (Deaux & Lafrance, 1998). Les stéréotypes de sexe caractérisent les comportements de prise de risque comme typiquement masculins (Bem, 1981 ; Ronay & Kim, 2006). Pourtant, il peut y avoir déconnexion entre le sexe biologique et le sexe social : on peut appartenir au groupe de sexe « femmes » sans être très féminine ou même en étant conforme à certains stéréotypes masculins (Bem, 1981). La conformité aux stéréotypes de sexe peut ainsi expliquer les différences intergroupes, mais aussi intra-groupes de sexe dans le niveau de prise de risque. L’impact de l’adhésion aux stéréotypes de sexe masculins a ainsi pu être démontré sur la prise de risque en général (Raithel, 2003), sur la prise de risque sportive (Cazenave, Le Scanff, & Woodman, 2003), sur le style de conduite et l’accidentologie routière chez l’adolescent et l’adulte (Özkan & Lajunen, 2006). Il est également souligné que ce facteur est un meilleur prédicteur de la prise de risque que l’âge ou le sexe (Granié, 2009b ; Raithel, 2003).

Par ailleurs, les recherches chez l’adulte montrent que l’implication accidentelle et plus généralement les comportements dangereux des hommes dans l’espace routier correspondent le plus souvent à des transgressions de règles légales (Harré, Field, & Kirkwood, 1996 ; Simon & Corbett, 1996). Les études montrent par exemple que les hommes piétons commettent plus d’infractions que les femmes piétonnes (Moyano Diaz, 2002 ; Rosenbloom, Nemrodov, & Barkan, 2004 ; Yagil, 2000). Pour certains auteurs, le sexe n’est prédicteur des accidents routiers que par son influence sur les infractions (Lawton, Parker, Stradling, & Manstead, 1997).

Mais les comportements dans l’espace routier sont également influencés par les attitudes à l’égard des règles. Tyler (1990) pose qu’il existe deux types de motivations à la conformité aux règles. Les motivations instrumentales sont liées aux gains et aux pertes impliquées par la non-conformité ; la conformité est ici liée à des facteurs externes. Les motivations normatives résultent de l’internalisation de la règle et du sentiment d’obligation de conformité lié à des valeurs personnelles. Yagil (1998) montre qu’au sujet de la conformité aux règles routières, les hommes expriment un degré de motivations normatives plus faible que les femmes. Les femmes semblent ainsi avoir internalisé les règles routières avantage que les hommes. Comment cette différence entre les deux sexes peut-elle être expliquée ?

L’internalisation est le processus développemental par lequel les individus acquièrent progressivement les valeurs et les prescriptions sociales issues de sources externes et les transforment en attributs, valeurs personnelles et comportements autorégulés (Grolnick, Deci, & Ryan, 1997). Les théories structuro-développementales (Colby & Kohlberg, 1987) et socio-développementales (Grusec & Goodnow, 1994) de l’internalisation expliquent les mécanismes généraux qui guident le processus d’internalisation. Cependant, la théorie des domaines sociaux (Turiel, 2006) souligne que les interactions sociales différenciées auxquelles les individus sont confrontés au

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Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation

© Les collections de l’INRETS 235

sujet de différentes classes de règles, d’événements et d’actions amènent celui-ci à construire quatre différents domaines de connaissances sociales, incluant des comportements et la régulation de ces comportements (Turiel, 1998) :

− le domaine moral, constitué des actions mettant en cause le bien-être physique et psychologique d’autrui (frapper, voler, se moquer) ;

− le domaine prudentiel, centré sur les comportements relatifs à son propre bien-être physique et psychologique (hygiène, protection) ;

− le domaine conventionnel, centré sur les comportements assurant la cohésion du groupe et son fonctionnement et soumis à la présence d’une autorité (rôles de sexe, règles scolaires) ;

− le domaine personnel regroupant les actions laissées au libre choix de chacun (goûts, amis).

Les règles relevant des domaines moral et prudentiel - relatives à son propre bien-être et à celui d’autrui - forment un ensemble de règles internalisées et difficilement transgressées par l’individu (Tisak & Turiel, 1984).

Des études sur les comportements antisociaux ont déjà montré la relation chez les jeunes entre les comportements délinquants et le manque d’internalisation morale (Tavecchio, Stams, Brugman, & Thomeer-Bouwens, 1999). Par ailleurs, des recherches ont montré les relations entre la prise de risque des adolescents et la catégorisation des connaissances sociales, sur la consommation de drogues (Nucci, Guerra, & Lee, 1991) et sur divers types de comportements à risque (Kuther & Higgins-D'Alessandro, 2000). Dans les deux cas, les adolescents engagés dans des comportements à risque ont tendance à classer ce type de comportements dans les domaines personnel ou conventionnel, alors que les adolescents qui n’y sont pas engagés classent ces comportements dans les domaines prudentiel et moral. Ainsi, l’internalisation, par l’intermédiaire de son effet sur la conformité aux règles, influencerait la prise de risque.

En résumé, les recherches montrent que les hommes prennent plus de risques et se conforment moins aux règles routières que les femmes ; elles montrent également que la conformité des femmes aux règles routières semble due à une plus forte internalisation de celles-ci. La théorie des domaines sociaux explique que cette internalisation est liée à la classification des règles comme relevant des domaines moral et prudentiel ; par ailleurs, les recherches montrent que les individus qui prennent des risques classent préférentiellement les comportements dans lesquels ils s’engagent dans les domaines personnel et conventionnel.

Compte tenu de ces résultats de recherches, nous faisons l’hypothèse que les différences de sexe dans la prise de risque sont dues à des différences dans l’internalisation des règles routières. Par ailleurs, compte-tenu des résultats des recherches sur les relations entre stéréotypes de sexe et prise de risque, nous faisons l’hypothèse que la prise de risque plus importante chez les individus masculins est due à une internalisation plus faible des règles routières.

En résumé, nous supposons que l’adhésion aux stéréotypes de sexe, par le biais de l’internalisation des règles, a une influence sur la propension à prendre des risques en tant que piéton.

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Enfant piéton : développement et éducation

236 © Les collections de l’INRETS

Méthode Participants et procédure

278 adolescents (130 garçons et 148 filles) recrutés dans deux collèges et assignés à quatre groupes d’âges : moins de 12 ans (N = 75, 38 garçons, 37 filles), 12-13 ans (N = 64, 28 garçons, 36 filles), 13-15 ans (N = 74, 31 garçons, 43 filles) et plus de 15 ans (N = 65, 33 garçons, 32 filles) participent à cette étude. L’échantillon est composé d’adolescents dont les pères sont cadres moyens ou employés (38 %), ouvriers ou assimilés (15,5 %), artisans ou commerçant (15 %). Quinze pour cent des enfants n’ont pas su nous informer sur la profession de leur père.

Les questionnaires ont été distribués aux adolescents en passation collective dans la salle de classe par les expérimentateurs. Chaque item a été lu à l’oral par un des expérimentateurs avec un temps de pause pour la réponse. Des précisions ont été apportées pour certains items à la demande des adolescents. La durée de la passation était comprise entre 30 à 45 minutes.

Outils Comportement piéton

La première partie est tirée de l’outil EPCUR (Echelles de Perception des Comportements de l’Usager de la Route) (Granié, 2009a). Elle permet de mesurer le comportement du jeune face à des risques piétons relevant soit de l’interdit, soit du danger. EPCUR est composé de quatre échelles comprenant chacune les mêmes 14 items présentant différents comportements piétons. Les items différencient des comportements piétons de transgressions non dangereuses et des comportements dangereux sans transgression. Les items sont issus à la fois de l’outil de Elliott et Baughan (Elliott & Baughan, 2004) et d’une recherche précédente sur le piéton (Granié & Espiau, 2006). L’ordre des items varie à l’intérieur de chaque échelle. Pour cette étude, seules deux des quatre échelles ont été utilisées.

L’échelle de comportements déclarés (ECUR) mesure la fréquence à laquelle l’individu déclare présenter ce comportement, de 1 = jamais à 5 = très souvent.

L’échelle de perception du danger (EPDUR) mesure le niveau de danger perçu par l’individu pour chaque comportement, de 1 = pas du tout dangereux à 5 = très dangereux.

Identité sexuée

La deuxième partie est une version courte pour adolescents du Bem Sex Role Inventory (BSRI) de Bem (1974) validée en français (Fontayne, Sarrazin, & Famose, 2000). Ce questionnaire permet de mesurer l’adhésion aux stéréotypes de sexe à travers 18 items que l’individu doit coter sur une échelle en sept points selon que l’item le définit plus ou moins (de 1 : « jamais vrai » à 7 : « toujours vrai »). Dix items déterminent l’échelle de féminité et 8 items déterminent l’échelle de masculinité.

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Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation

© Les collections de l’INRETS 237

Internalisation par domaine des règles routières

Cet outil est destiné à mesurer l’internalisation des règles qui se rapportent aux quatre domaines de connaissances sociales. Il s’inspire de la procédure appelée Social Values Inventory, développée par Nucci, Guerra, & Lee (1991) pour mesurer la catégorisation en domaines moraux de l’usage de drogue chez les adolescents. La procédure de Nucci, Guerra et Lee (1991) réutilisée très récemment (Metzger & Smetana, 2009), est la seule, à notre connaissance, permettant d’aborder la catégorisation et l’internalisation des règles par domaines sociaux sous forme de questionnaire et de modalités de réponses préconstruites.

Contrairement à Nucci et al. (1991), une seule échelle appelée échelle d’internalisation par domaines a été utilisée dans cette étude.

Les items composant l’échelle de d’internalisation par domaines reprennent les 14 items composant les échelles de perception du risque piéton auxquels nous avons ajouté huit comportements prototypiques : deux relevant du domaine moral, deux du domaine conventionnel, deux du domaine personnel, un du domaine prudentiel acceptable et un du domaine prudentiel inacceptable.

L’ordre des items a été construit de façon à ce que les items prototypiques et les items de comportement piéton alternent ; l’ordre des items piétons est différent de ceux des deux échelles de perception du risque piéton.

On demande à l’individu de classer les comportements en termes d’acceptabilité, « s’il n’y avait aucune loi, aucune règle, aucune contestation sociale » à ce comportement. On considère que la règle dont relève le comportement est internalisée si l’individu évite le comportement en l’absence de toute réprobation extérieure (Turiel, 1998). Il y a 5 modalités de réponses, qui reprennent les 4 domaines moraux, en raffinant la catégorie prudentielle, tel que l’ont fait Nucci et al. (1991) :

− « parfaitement acceptable, qu’il y ait une règle ou qu’il n’y en ait pas » (domaine personnel) ;

− « tout à fait acceptable s’il n’y a pas de règle » (domaine socio-conventionnel) ;

− « acceptable mais idiot, parce que ce n’est pas bon pour moi » (domaine prudentiel acceptable) ;

− « inacceptable, parce que ce n’est pas bon pour moi » (domaine prudentiel inacceptable, internalisation) ;

− « inacceptable parce que je pourrai faire du mal à quelqu’un » (domaine moral, internalisation).

Les réponses de l’enfant sont scorées, de 1 point pour le domaine personnel jusqu’à 5 points pour le domaine moral (4 points sont attribués à une réponse « prudentiel inacceptable » et 3 points à une réponse « prudentiel acceptable »). Le total des réponses sur cette échelle donne un score de « internalisation par domaines » : un score élevé correspond à une plus grande catégorisation dans les domaines moral et prudentiel avec une internalisation de la règle ; et un score plus faible correspond à une plus grande catégorisation dans les domaines personnel et conventionnel avec absence d’internalisation de la règle.

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Enfant piéton : développement et éducation

238 © Les collections de l’INRETS

Résultats Analyse des données

Le calcul de l'alpha de Cronbach pour l'échelle de masculinité (α = 0,73) et l'échelle de féminité (α = 0,84) nous montrent l'homogénéité de ces deux échelles, nous permettant ainsi de calculer un score global pour chacune d'elles.

L’objectif de cette étude étant de détecter les effets différenciés des stéréotypes masculins et féminins sur la prise de risque et l’internalisation des règles routières, les scores de masculinité et de féminité ont été utilisés séparément au lieu d’être combinés dans une appartenance catégorielle (Bem, 1974). Ainsi, nous utiliserons les deux scores directement, afin de prévenir toute perte d’information (Özkan & Lajunen, 2006).

Les alphas de Cronbach pour l'échelle de prise de risque (α = 0,88), l'échelle de perception du danger (α = 0,88) et l'échelle d’internalisation par domaines (α = 0,86) sont corrects. Un score élevé à l'échelle d’internalisation signifie que l'individu a internalisé un certain nombre de règles routières et a plutôt tendance à classer celles-ci dans les domaines moral et prudentiel. Un score faible à cette échelle correspond à un niveau d’internalisation plus faible et signifie que l'individu a plutôt tendance à catégoriser les règles routières dans les domaines conventionnel et personnel.

Facteurs prédictifs de l’internalisation chez les adolescents

L’analyse de régression sur l'effet de l’âge, du sexe, de la féminité, de la masculinité et de la perception du danger sur l’internalisation par domaine montre que le modèle est significatif à F(5,272) = 33,32, p < 0,0001. Ce modèle explique 37 % de la variance et montre que le score de féminité et le score de perception du danger ont un rôle de renforçateur du niveau d’internalisation par domaine (cf. tableau 1). L’âge, le sexe et le niveau de masculinité ne sont pas prédicteurs de l’internalisation.

Tableau 1. Résumé de l’analyse de régression de l’effet de la perception du danger, de la masculinité, de la féminité, de l’âge et du sexe

sur l’internalisation par domaine

Coefficients standardisés

Bêta t Signification

Danger 0,504 9,843 0,0001

Masculin –0,068 –1,322 ns

Féminin 0,177 3,258 0,001

Age –0,009 –0,184 ns

Sexe 0,056 1,027 ns

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Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation

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Facteurs prédictifs de la prise de risque chez les adolescents

L’analyse de régression sur l'effet de l’âge, du sexe, de la féminité, de la masculinité, de la perception du danger et de l’internalisation par domaine sur le comportement de prise de risque montre que le modèle est significatif à F(6,271) = 27,88, p < 0,0001. Ce modèle explique 37 % de la variance. Le score de masculinité et l’âge ont un effet de renforcement de la prise de risque, alors que les scores d’internalisation par domaine et de perception du danger ont un effet d’inhibition de la prise de risque. Le niveau de féminité et le sexe ne sont pas des prédicteurs du score de prise de risque (tableau 2).

Tableau 2. Résumé de l’analyse de régression linéaire de l’effet de l’internalisation, de la perception du danger, de la masculinité,

de la féminité, de l’âge et du sexe sur la prise de risque

Prédicteur Bêta standardisés t Signification

Age 0,17 3,55 0,0001

Internalisation –0,33 –5,47 0,0001

Danger –0,19 –3,23 0,001

Masculin 0,12 2,38 0,02

Féminin –0,10 –1,85 ns

Sexe –0,08 –1,56 ns

Discussion L’objectif de cette étude était d’expliquer les différences de sexe dans la

prise de risque par l’intermédiaire de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation. Les résultats indiquent la prise de risque est effectivement prédite par l’internalisation par domaine, elle-même expliquée par le niveau d’adhésion aux stéréotypes féminins chez l’adolescent. De plus, l’adhésion aux stéréotypes de sexe masculins semble être une meilleure variable prédictrice de cette relation entre internalisation et prises de risques que le sexe biologique. Ainsi, les résultats montrent que l’adhésion aux stéréotypes féminins engendre une internalisation plus forte des règles routières et que la masculinité et l’internalisation sont de bons prédicteurs des comportements à risques déclarés par les adolescents en tant que piéton : notre hypothèse est donc confirmée.

A notre connaissance, c’est la première étude portant sur l’internalisation des règles routières chez l’adolescent, et peu de recherches ont examine directement les motivations à se conformer aux règles routières des adultes (Yagil, 1998, 2000) ou des enfants (Granié, 2007).

Les résultats montrent une relation entre l’adhésion aux stéréotypes de sexe sur la prise de risque. Confirmant en cela d’autres recherches (Raithel, 2003), l’adhésion aux stéréotypes masculins se révèle être un meilleur prédicteur de la prise de risque que le sexe biologique. Ainsi, ce n’est pas le fait d’être un garçon

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Enfant piéton : développement et éducation

240 © Les collections de l’INRETS

ou une fille qui prédit le niveau de prise de risque déclaré, mais le fait de se reconnaître comme plus ou moins masculin, c'est-à-dire de manifester des comportements et des traits de personnalité que la société attribue au sexe masculin. En cela, les résultats de cette étude confirment que la différence hommes-femmes dans la prise de risque peut être en partie attribuée au rôle de sexe définissant dans la société occidentale le comportement attendu des hommes (Byrnes et al., 1999 ; Wilson & Daly, 1985), cette différence se mani-festant davantage en présence de pairs de même sexe et visant à garantir aux hommes leur conformité aux stéréotypes de la masculinité (Ronay & Kim, 2006).

Les recherches chez les piétons (Moyano Diaz, 2002) et les conducteurs (Lawton et al., 1997) montrent une propension plus grande des hommes à transgresser les règles routières. Ces résultats suggèrent que les pressions sociales à la prise de risque, élevant le statut du preneur de risque au rang de héros (Ronay & Kim, 2006 ; Wilson & Daly, 1985), et les motivations conscientes à la prise de risque réelle qui en résultent, existent dans l’espace routier et contribuent à expliquer le nombre disproportionné d’accidents routiers mortels chez les hommes (ONISR, 2008 ; World Health Organization, 2002).

Les résultats montrent également un effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe sur l’internalisation par domaines des comportements piéton à risque. C’est à notre connaissance la première étude montrant des relations entre internalisation par domaine et identité sexuée. Ainsi, la perception du danger et la féminité sont des facteurs plus prégnants de l’internalisation des règles piétonnes que le sexe ou l’âge. Les traits de personnalité stéréotypiquement associés à la féminité (sensibilité aux besoins et aux sentiments d’autrui, chaleur, gentillesse, compréhension, tendresse et compassion) sont autant de traits qui sont destinés à maintenir et apaiser le lien social, ramenant le rôle féminin à un rôle relationnel (Bakan, 1966 ; Parsons, 1955). En regard, les traits associés au masculin sont centrés soit sur le rapport de l’individu à lui-même (confiance en soi, sûr de soi, énergique, forte personnalité), soit l’amènent à entretenir une relation asymétrique avec autrui (agir en chef, diriger, prendre position, dominer, être en compétition). Ainsi, les individus féminins, en privilégiant le maintien de la relation à autrui, peuvent être amenés à se conformer aux règles sociales et à éviter les prises de risque davantage que les individus masculins, se reconnaissant plus dans des traits privilégiant l’individualité et la domination.

Les résultats montrent enfin que l’internalisation des règles piétonnes est un bon facteur prédicteur des comportements à risque accidentel en tant que piéton. Ils confirment en cela, sur le risque routier, les résultats obtenus par Nucci et al (1991) sur la consommation de substances psychoactives et ceux de Kuther et Higgins-D'Alessandro (2000) sur les comportements antisociaux et les comportements sexuels à risque. Ainsi, l’internalisation des règles, c'est-à-dire la transformation des règles sociales en comportements autorégulés, peut expliquer en partie le comportement des adolescents face aux risques dans plusieurs domaines.

Il faut toutefois noter que toutes ces études sont basées sur des mesures explicites des comportements à risque. Ronay et Kim (2006) ont montré que les hommes ont tendance à souscrire aux stéréotypes de sexe au travers de leur

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Effet de l’adhésion aux stéréotypes de sexe et de l’internalisation

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attitude explicite face au risque, cette tendance disparaissant lors de mesures implicites. Par ailleurs, selon Yagil (1998), c’est l’engagement de l’individu dans un comportement infractionniste qui l’amènerait, par recherche de cohérence et de réduction de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) à percevoir la règle comme illogique ou dépassée – ou, en d’autres mots, conventionnelle (Turiel, 1998). Ainsi, les résultats de la présente étude ne nous permettent pas d’affirmer que la relation entre internalisation et comportements à risque accidentel observée ici n’est pas dû à une recherche de cohérence entre une mesure explicite des comportements à risque accidentel – au travers de laquelle les adolescents masculins cherchent à confirmer leur appartenance au groupe masculin – et la perception de la règle.

En termes éducatifs, il semble que pour être efficace sur la prévention des conduites à risques, il faille agir dans le sens d’une « conformité engagée » (Kochanska & Aksan, 1995), relevant de l’internalisation, plutôt que vers une « conformité contextuelle » – soumission en présence d’une figure d’autorité, sans engagement sincère – sans internalisation des normes (Kochanska, 2002) et relevant du domaine conventionnel (Turiel, 1998). Compte-tenu des résultats de cette recherche, il semble que cette conformité engagée, soutenue par une internalisation des valeurs sociales amenant à un comportement autocontrôlé, puisse être renforcée par la mobilisation de valeurs socialement associées au rôle de sexe féminin.

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Enfant piéton : développement et éducation

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Tribune libre

Exposition « L'enfant et la Rue »

Sylvain Manhes, Colette Olivéro Robins des Villes/Réagir l'Enfant et la rue 32 rue St Hélène, 69002 Lyon [email protected] Mots-clés : enfant, éducation, déplacements, prévention

Les réseaux de la ville contemporaine sont surchargés de véhicules en circulation. L’espace public d’autrefois, aux fonctions multiples (promenade, travail, jeu, déplacement), a été brutalement confisqué, en grande proportion par les emprises réservées au seul déplacement, qu’il s’agisse de voirie ou de stationnement.

Le rôle des décideurs des années 70 a été en cela prépondérant, affirmant alors que la ville devait s’adapter à la voiture. La rue a été transformée progressivement en route et le code de la route s’impose à tous, il traite de l’ensemble des déplacements de la même façon y compris ceux en centre ville ; un travail est en cours pour formuler des propositions d’amélioration, regroupées sous le nom de code de la rue.

La rapidité de déplacement est présentée et perçue comme une liberté, toute entrave comme une atteinte intolérable à cette liberté. La circulation est conçue par et pour les adultes. Notre ouïe, autant que notre regard, est pleinement sollicitée par une attention permanente aux flux motorisés. Il est impératif d’éduquer nos sens, afin d’en faire bon usage. Mais il faut avant tout en avoir fait la découverte…

C’est pourquoi, si « l’automo-ville » cause des préjudices variés à toutes sortes de mobilités, il est une catégorie d’usagers tout particulièrement vulnérable : celle des piétons-enfants. Les statistiques de la sécurité routière montrent des chiffres alarmants pour ce qui concerne la mortalité des plus jeunes en traversée de chaussée.

Non seulement l’enfant éprouve des difficultés à identifier et à jauger le danger, mais également l’automobiliste est mal préparé à réagir aux réactions de l’enfant qui est imprévisible, si ce n’est même invisible.

Jusque vers dix-douze ans, un enfant est pratiquement incapable de se débrouiller seul dans la circulation.

En effet, il n’a ni le sens du danger (que l’on acquiert par l’expérience), ni les réflexes, ni les capacités sensorielles, ni les facultés de raisonnement d’un adulte.

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Enfant piéton : développement et éducation

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L’apprentissage du risque doit être fait tout au long de la petite enfance, tant dans le milieu familial qu’à l’école, et même dans les centres de loisirs. Il doit se poursuivre de manière rigoureuse et continue durant toute sa scolarité.

Les enfants sont « comme ça », c’est leur nature, leur façon d’être et tant mieux s’ils ne nous ressemblent pas ! Bien sûr, il faut les éduquer. Mais cela ne suffit pas, car on ne changera pas fondamentalement leur caractère d’enfant.

Les enfants sont toujours im-pré-vi-si-bles car ils sont à la merci de leurs préoccupations. Nous devons les accepter tels qu’ils sont, avec leurs handicaps relatifs à leur taille, leur âge, leur inexpérience, et les respecter.

C’est donc à nous, adultes, de changer notre comportement au volant, à nous d’être prudents, en ralentissant à leur vue.

Cet ouvrage et cette exposition visent à éduquer et sensibiliser les enfants, mais aussi les adultes aux dangers de la route, faire acquérir à l’enfant le comportement qui lui permet d’éviter d’être accidenté et donc de préserver dans le présent son intégrité physique et le préparer à être un conducteur–citoyen, respectueux des autres et de la loi.

Cet ouvrage, édité par le Certu en avril 2007, édité en 1500 exemplaires, est pour nous l’occasion de pouvoir présenter les principaux messages à retenir pour éduquer et sensibiliser les enfants, mais aussi les adultes aux différents dangers en tant que piétons.

Il permettra aussi de diffuser encore plus largement cette culture spécifique et tordre le cou à certaines idées reçues !

Il se compose de quatre chapitres :

− Éducation des enfants à la rue ;

− Sensibilisation des parents ;

− Recommandations d'aménagement ;

− La sécurité routière à l'école.

Une exposition itinérante a été réalisée pour accompagner cet ouvrage et permettre d’initier d’autres expériences et ateliers en partenariat avec les établissements scolaires.

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Tribune libre

Les enfants enseignent la sécurité routière aux enfants par le théâtre

Jacques Robin Institut national pour la sécurité des enfants 3 rue du général de Gaulle, 56140 Malestroit, France [email protected] www.institutsecuriteenfant.org Mots-clés : sécurité routière, enfant, éducation

La troupe de théâtre Les Tréteaux d'Anastase, constitue une des activités de l'association Institut national pour la sécurité des enfants. Les comédiens de la troupe sont une dizaine d'enfants de Malestroit (Morbihan) entre 8 ans et 14 ans.

L'objectif de cette activité est de faire passer, par le théâtre, de façon humoristique, des messages de sécurité routière aux enfants spectateurs des écoles et collèges de la région.

Huit pièces de théâtre sont à son répertoire dont les deux premières sont les pièces principales :

− une pièce de clowns : « Boumboum, Domino, Virgule et les autres »

− Anastase mauvais client

− Sophie ! Sophie !

− Le procès du Brouillard

− La Besace

− Le petit cordonnier et la Princesse

− Anastase et le bonhomme rouge

− Escape (en anglais).

Elles sont extraites du livre contenant 27 comédies « Le Théâtre d'Anastase » (auteur Jacques ROBIN accidentologue, ingénieur). Le livre peut être obtenu à l'adresse de l'Institut national pour la sécurité des enfants ou par courriel : [email protected].

Depuis sa création en 2003, la troupe a donné plusieurs représentations publiques dans des salles de théâtre de grandes villes : Rennes, Quimperlé, La Baule, Saint-Nazaire, Vannes, Saint-Avé, Pontivy, Ploërmel, etc. Ces représentations ont été données lors des semaines de sécurité routière qui ont

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Enfant piéton : développement et éducation

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lieu tous les ans en octobre ou en fin de premier trimestre. Parallèlement chaque année, en juin, la troupe Les Tréteaux d'Anastase joue pour les enfants d'établissements scolaires du département.

Photo extraite de « Boumboum, Domino, Virgule et les autres », montrant le médecin chargé de faire la prise de sang car Boumboum n'a pas voulu souffler dans le Glougloumètre après avoir été arrêté par les gendarmes à un contrôle d'alcoolémie.

La troupe a obtenu en 2009 le Prix européen de sécurité routière de la Fondation Norauto.

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Partie 5 Piéton : voir et être vu

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A pied, de nuit : les conditions de déplacements

Patricia Sajous Consultante en aménagement urbain 24 rue de la grosse borne, 27200 Vernon, France [email protected]

Résumé – L’éclairage public est amené à jouer un rôle central pour assurer les mobilités dans le respect de la sécurité routière dès la tombée de la nuit. Afin de cerner les conditions de déplacements des piétons de nuit en ville, nous décrivons les dispositions prises lors de la conception d’un éclairage public à l’égard de ce type de mobilité. Par la suite, afin d’avancer et discuter des pistes d’amélioration, nous confrontons ces dispositions aux perceptions et opinions déclarés par des piétons lors de deux enquêtes.

Mots-clés : nuit, piéton, éclairage public, sécurité routière, rue

Introduction En 2006, 70 % des piétons tués l’ont été en milieu urbain. 120 piétons

(32 %) ont perdu la vie dans un accident survenu de nuit, en agglomération (Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 2008).

Si l’éclairage n’est pas forcément en cause dans ces accidents, compte tenu des capacités visuelles humaines limitées de nuit, pour analyser les conditions générales de déplacement, il faut aborder les sources lumineuses artificielles.

D’un point de vue légal, les communes ne sont pas dans l’obligation de s’équiper en éclairage public. Pourtant, aux côtés des sources lumineuses « portatives » (phares de voiture, lampe de poche), les collectivités territoriales dès l’entre-deux-guerres ont eu le souci de généraliser dans leurs espaces habités les installations d’éclairage public. C’est un temps fort de déploiement de l’éclairage public sur le territoire.

A partir de 1945, la rue devient progressivement route : la voiture devenant le symbole de l’accession à la société de consommation en construction. L’éclairage public fonctionnel, uniforme, en bordure de voies de circulation automobile, d’une hauteur de 8 à 10 mètres sur mât à « gamelle » ouverte métallique protégeant une ampoule émettant une couleur blanc – froid est triomphant. Outre un point d’ancrage dans la pensée urbanistique fonctionnelle énoncée dans la Charte d’Athènes de 1933, ce choix s’explique aussi économiquement compte tenu des besoins en présence.

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Piéton : voir et être vu

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Tout cela conduit à un éclairage public marqué dans ses principes et ses formes par son époque de généralisation : des installations dimensionnées en considérant les caractéristiques des véhicules motorisés – en particulier la vitesse – et l’espace circulatoire qui leur est dédié – la chaussée. Lors de la généralisation de l’éclairage public une prévalence a été donnée à l’automobile par rapport aux autres modes et, en particulier le plus ancestral, la marche à pied qui, elle aussi, vit une époque de normalisation. Le piéton doit adopter un comportement conforme au code de la route : emprunter trottoirs et passages piétons, autrement dit, se déplacer dans son espace dédié pour ne pas risquer l’accident.

Dans les années 1980, des évolutions sont observables dans le traitement de la lumière. Trois causes en sont à l’origine. La poussée pavillonnaire entamée pendant la décennie précédente montre les limites du modèle fonctionnaliste. Pour l’éclairage cela se traduit par la nécessité de se saisir de l’éclairage des lotissements mais avec un matériel qui doit être repensé. Par ailleurs, les villes cherchent à se démarquer les unes des autres pour attirer des investisseurs économiques. Il faut dès lors se faire connaître, construire une identité. En 1985 est officiellement créée une nouvelle profession dans le monde de l’éclairage : concepteur lumière. Ils vont à la rencontre d’édiles auxquels ils démontrent que l’image de la ville promue la journée peut aussi l’être de nuit. A partir de cette date, la lumière sécurise toujours les déplacements mais valorise aussi. Ainsi, s’ouvre une brèche en faveur de la qualité de la lumière. Nous parlons d’une brèche car si les améliorations techniques avec une multitude de nouveaux produits ont été au rendez-vous, d’un point de vue spatial et temporel, un traitement qualitatif en surcroît du traitement de la sécurité routière reste ponctuel. Ainsi, c’est une zone identitairement forte qui sera traitée ou bien ce sera une illumination artistique d’un point particulier ou encore une scénographie le temps d’un spectacle (« son et lumière ») ou d’une manifestation comme la fête des lumières le 8 décembre, chaque année, à Lyon.

Sur la même période, pour gérer les différents modes de déplacements dans un espace, des expériences telles les « zones 30 » ont été mises en place. C’est un début de reconnaissance des modes doux par rapport à l’automobile. Et pour la nuit, existe-t-il une démarche similaire de reconnaissance pour la marche à pied ? Engageons-nous dans la brèche ouverte sur le thème d’une lumière de qualité. Faisons un état des lieux et cernons la prise en compte des déplacements à pied dans la mise en lumière des rues.

Nous considèrerons le type classique de la rue c’est-à-dire avec présence d’un espace de circulation pour les véhicules motorisés et un autre pour les piétons communément appelé « trottoir ».

Nous exposerons la démarche des acteurs de l’installation et de la rénovation des équipements d’éclairage public. Dans les faits, les réseaux commerciaux des fabricants d’éclairage public traitent avec les représentants des collectivités territoriales et ne rencontrent que très rarement voire jamais l’utilisateur final. Nous disposons de données d’enquêtes effectuées auprès de piétons nous renseignant sur leurs perceptions d’ambiances lumineuses résultant de cette démarche. Suite à la présentation des positions des professionnels et des usagers, nous pourrons envisager des orientations d’amélioration de la situation.

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A pied, de nuit : les conditions de déplacements

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État de l’art Qui sont les acteurs de la mise en lumière ?

A l’origine d’une installation ou de sa rénovation, il y a deux acteurs : l’un dont nos observations nous amènent à lui attribuer un rôle conceptuel et l’autre, sur le terrain, travaillera en se référant à l’état de l’art diffusé par le premier.

Ce premier acteur est l’Association française de l’éclairage (AFE). Cet acteur est dit « conceptuel » car il édicte des recommandations, offre des formations, diffuse les normes d’éclairage, permet aux professionnels de suivre l’actualité du domaine grâce à sa revue, LUX. Sa sollicitation pour chaque projet est implicite mais bien réelle tant elle est la référence pour la connaissance de l’état de l’art.

Sur le terrain, une collectivité territoriale envisageant l’installation ou la rénovation d’un éclairage public peut faire appel pour son projet à deux types d’opérationnels. Les premiers appartiennent à la sphère de l’administration territoriale. Ainsi la commune peut avoir un service technique au sein duquel le personnel a les compétences pour réaliser le projet. Ce cas de figure est plutôt rare et concerne des communes de grande taille. En outre la commune peut aussi faire partie d’un syndicat d’électrification ou d’énergie chargé en premier lieu d’assurer l’approvisionnement du territoire. Dans ses prestations, le syndicat peut proposer aux communes adhérentes le suivi de leurs installations d’éclairage public.

Les seconds opérationnels appartiennent à la sphère des entreprises privées. Les réseaux commerciaux des fabricants de luminaires peuvent soumettre aux communes des projets élaborés par un bureau d’étude interne à la société. Philips, Thorn Lighting et Schreder – Comatelec sont les principaux fabricants.

Pour le sujet qui nous intéresse à savoir les déplacements nocturnes des piétons, nous n’incluons pas les concepteurs lumières comme acteurs majeurs. Eux aussi ont des bureaux d’études compétents en matière de propositions de projets. Narboni (Borras et Narboni, 2009) et Kersalé (Kersalé et al., 2008) sont sans doute aujourd’hui les concepteurs les plus influents en France. L’analyse de certains de leurs projets ainsi que celle de projets d’autres concepteurs répertoriés via le site Internet de l’Association des Concepteurs Lumières, montrent bien l’engagement qualitatif évoqué en introduction. Les projets cherchent à développer une image nocturne autour de laquelle la ville peut communiquer. Mais cela reste ponctuel et s’oppose au caractère linéaire du reste des installations avec des mises en lumière artistique de bâtiments, places et autres lieux.

Implantation d’un éclairage et marche à pied Sources d’informations

Depuis cinq ans, nous avons été sollicités pour analyser les comportements des usagers de l’éclairage public. Pour mener à bien toute enquête en sciences sociales, la première étape recouvre une recherche documentaire approfondie

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afin de cerner l’état des connaissances dans le domaine et, en parallèle, l’interview de spécialistes et témoins privilégiés du domaine en question. Il faut « s’immerger » dans le domaine afin de s’imprégner de l’état d’esprit pour cerner les relations entre acteurs et s’imprégner de l’état de l’art pour comprendre en quoi consistent les projets d’éclairage. En dernier lieu, les différentes occasions de présentation des résultats sont autant d’occasions de rencontres et d’observations des différents acteurs du domaine.

C’est donc au travers de recherches documentaires, de rencontres et de recherches sur le terrain accumulés sur cinq ans que nous nous apprêtons à restituer ici la pratique professionnelle en matière de gestion des déplacements à pied de nuit. Nous aborderons donc les actions concrètes menées sur le terrain et les règles constituant l’état de l’art de l’éclairagisme. Cela est nécessaire pour restituer l’influence de l’AFE entendue comme acteur conceptuel.

Un point de méthodologie à propos des projets de mises en lumière est également indispensable. Dans une rue, le projet segmente l’espace en 3 zones : les voies de circulation automobile, les espaces contigus à ces voies et les points de conflits entre usagers, points plus ou moins accidentogènes dont les passages piétons font partie. Ce découpage est rendu nécessaire par le fait d’appliquer un état de l’art propre à chacune de ces zones afin d’obtenir les niveaux d’éclairement prévus par la norme. Nous allons donc nous intéresser à la façon de définir l’éclairage des espaces contigus aux voies de circulation et sur les passages piétons. L’expression « espaces contigus » est la formule consacrée. On peut aussi entendre parler des « abords ». Les trottoirs entrent dans cette catégorie.

Attention accordée à la marche à pied dans l’état de l’art

Pour la conception d’une installation d’éclairage, qu’est-il mentionné dans les recommandations à propos de la marche à pied ?

Actuellement en France, un document fait référence et restitue le souci de sécurité routière formalisé par la Commission internationale de l’éclairage (CIE, 1977). C’est le « Guide d’application de la norme européenne d’éclairage public EN 13201 » (Remande, 2007). Ce document de huit pages, débute par le rappel de l’objectif de sécurité routière de la norme (« Ce sont ces valeurs qui sont exprimées dans la norme européenne EN 13201. Elles permettent de voir vite et bien, ce qui sert la cause de la réduction de nuit des accidents de la route (…) »).

La démarche générale est la suivante. Le guide se structure autour d’une série de tableaux. Trois tableaux, deux pour les voies « urbaines » et un pour les voies « rurales » donnent les niveaux d’éclairement, c’est-à-dire le flux lumineux par unité de surface (m²) provenant des luminaires et reçu au niveau du sol. La mesure s’effectue au sol avec un luxmètre. L’unité de mesure est le lux. De plus, deux tableaux, un pour les voies définies comme « interurbaines » et un pour les voies « urbaines », donnent les niveaux de luminance. La luminance est la mesure de ce que nous percevons : c’est la lumière émise par chaque surface présente dans l’espace visible. L’objectif est de permettre au praticien de connaître et appliquer le niveau d’éclairement ou de luminance de

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la chaussée à maintenir par l’installation durant sa durée de vie. Après avoir repéré la catégorie de voie correspondant au projet, muni des indicateurs chiffrés, le professionnel peut déduire le type de matériel, choisir la hauteur et l’espacement des mâts. On assiste à travers ces tableaux à une certaine standardisation de l’espace. Elle découle de la difficulté pour le rédacteur de rédiger une classification pertinente des voies en la faisant reposer sur des éléments discriminants qui font consensus. Vitesse et type de circulation sont les éléments récurrents donnés dans la colonne « définition de la voie » des tableaux (cf. tableau 1). A côté de cette colonne, une autre intitulée « contraintes » vient appuyer la précédente dans un effort de justification du niveau requis. La qualification associée à ces indicateurs de contraintes est toujours très simple : tout ou rien (oui/non) ou échelle sémantique réduite à 3 modalités d’intensité (faible, normal, élevé). Notons que l’échelle sémantique se prête à de multiples interprétations.

Tableau 1. Extrait du tableau 4 « Voies urbaines. Niveau d’éclairement

moyen minimal à maintenir (en lux) » du guide d’application de la norme EN13201

Définition de la voie Contraintes

Niveau lumineux ambiant

Faible à Moyen Élevé

Éclairement pour

contraintes maxi

Norme EN13 201.1

Classes d’éclairage

10

Voie commerçante

Vitesse ≤ 30 km/h

Motorisés

Véhicules lents

Cyclistes

Piétons

Risque d’agression : élevé

Reconnaissance visage : nécessaire

Difficulté navigation : élevée

Trafic piétons : normal à élevé

* 20 20 CE2

11

Voie piétonne isolée de la route

Piétons seuls

Risque d’agression : élevé

Reconnaissance visage : nécessaire

Trafic piétons : normal à élevé

7,5 à 10

10

à

15

20

(insécurité)

S3 à S2

S2 à S1

CE2

12

Trottoir piéton, piste cyclable adjacents à la route

Risque d’agression : normal

Reconnaissance visage : nécessaire

Trafic piétons : normal à élevé

7,5 à 10

10

à

15

15 S3 à S2

S2 à S1

Source : Remande (2007), p. VI * Peu probable

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Où est traité le cas des piétons dans ce document ? Deux types d’informations sont disponibles.

D’une part, les piétons font l’objet de recommandations aux lignes « voie piétonne, isolée de la route » et « Trottoir piéton, piste cyclable adjacents à la route » dans le tableau 4 p. VI (tableau 1). Les contraintes spécifiques au déroulement de la circulation piétonne reposent sur la « reconnaissance des visages », le « risque d’agression » et le « trafic piéton ». Ce n’est pas un niveau d’éclairement qui est donné mais des plages, entre 7,5 et 10 lux pour un niveau lumineux ambiant faible à moyen et de 10 à 15 lux pour un niveau lumineux ambiant élevé. Cela laisse une appréciation au professionnel.

D’autre part, on retrouve 13 références aux piétons pour définir une voie, et 4 dans les tableaux des voies urbaines en tant que « contrainte ». Dans ce cas, les piétons sont reconnus comme contrainte par rapport au déroulement de la circulation automobile au côté de la difficulté de la « tâche de navigation » et du « trafic cycliste ».

Au côté des recommandations, quels sont les autres aspects dont il faut tenir compte lors du dimensionnement de l’installation d’éclairage public ? Le souci du professionnel est de maintenir les niveaux préconisés par la norme. Dans le cas de la circulation piétonne, la norme est doublement peu précise en regroupant en une seule classe les recommandations pour trottoirs et pistes cyclables adjacents à la route et en donnant des plages de niveaux à respecter et non pas un niveau précis. Nous avons parlé d’une appréciation laissée aux professionnels. Ces derniers peuvent avoir recours au calcul du rapport de contiguïté encore appelé « surround ratio ».

Ce rapport de contiguïté fixe la part du faisceau lumineux restitué au sol qui doit éclairer les abords de la chaussée. J.P. Rami, ingénieur optique chez Thorn Lighting, nous donne une règle pour retenir les proportions à respecter : la moitié du flux du luminaire doit être orientée vers la zone de circulation pour véhicules motorisés, le quart sur les espaces contigus et le dernier quart est perdu par le système d’éclairage. Deux points viennent limiter l’usage de cette règle d’un quart du flux sur les espaces contigus dont les trottoirs. Le calcul de ce rapport de contiguïté n’est pas obligatoire pour toutes les classes d’éclairage inscrites dans la norme (sigles CE, ME ou S, 6e colonne du tableau 1 ci-dessus). Il en est ainsi pour la classe CE, quelque soit l’indice. Ce sont pourtant des voies où le trafic piéton peut être élevé. Lorsque l’obligation du calcul existe comme pour la classe ME, l’obligation ne porte pas sur le fait que la lumière destinée aux abords soit réparties de façon égalitaire entre les espaces. Le total doit être égal au quart du flux et, par exemple, dans le cas de figure avec deux abords, tout le flux peut se localiser sur un seul. En d’autres termes, il n’y a pas d’obligation d’uniformité dans la répartition.

Ainsi, si dans notre quotidien, nous observons que le traitement n’est pas forcément le même et que certains trottoirs font l’objet d’un éclairage spécifique le plus souvent monté sur le même mât que l’éclairage des voies de circulation automobile mais avec une orientation et une hauteur particulière, il faut savoir que cela tient aux circonstances du projet : enveloppe financière, largeur du trottoir, fonctions urbaines en présence…

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Cet état de fait s’explique en partie par une limite technique. Les projets concernant la classe ME, pour être au bon niveau de luminance, doivent tenir compte de la nature et des propriétés de réflexion de la lumière de l’enrobé utilisé en revêtement de chaussée. C’est une donnée indispensable dont la classification n’existe pas en ce qui concerne les revêtements utilisés pour les trottoirs.

En ce qui concerne les passages piétons, les niveaux à respecter ne sont pas mentionnés dans le guide d’application de la norme. Il faut revenir au texte original de la norme (Association Française pour la NORmalisation, 2005). Une tendance est de leur attribuer un éclairage spécifique par des luminaires d’un côté de la voie, de lumière blanche avec un réflecteur autour de la lampe dirigeant le flux lumineux sur la zone peinte au sol. A proximité de l’appareil, dans la direction des voies, un signal lumineux clignotant avertit les automobilistes de la proximité du passage piéton. Le flux lumineux est toujours d’une puissance bien supérieure à la puissance de l’installation présente sur le site. Ce système semble connaître un certain engouement bien que l’AFE soit réservée et que le Centre d’études des réseaux, des transports, d’urbanisme (Certu) ait proscrit son utilisation. En effet, en présence d’un tel système, si un piéton traverse en dehors du passage protégé, le conducteur peut ne pas le voir. En effet, le sur-éclairement au niveau de la zone protégée rend le contraste plus faible aux alentours.

Les pratiques des professionnels exposées, grâce aux enquêtes, présentons le point de vue des piétons à propos des conditions offertes pour les déplacements.

Les ambiances lumineuses commentées par les piétons Les piétons rencontrés

Nous avons mené deux enquêtes durant lesquelles nous avons rencontré vingt-cinq et vingt-trois piétons.

La première enquête a eu lieu à Albi en 2006-2007. Il s’agissait de cerner les perceptions visuelles et les opinions de piétons se déplaçant dans un secteur de la ville doté d’une installation respectant le développement durable. (Sajous, 2008).

Tableau 2. Échantillon de piétons, étude NumeLiTe - ADEME

Sexe Homme Femme 13 12

Âge 21- 40 ans 41-60 ans Plus de 61 ans 7 8 10

Origine Habitant une rue NumeLiTe

Habitant Albi ou son aire urbaine

Personne extérieure

10 11 4 Source : Sajous, 2008

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La seconde enquête est en cours au Séquestre, commune frontalière d’Albi. Dans cette commune, l’investissement du conseil municipal sur les questions environnementales est important. Dans différents domaines, il a accepté d’installer des équipements publics « durables » en phase de test. C’est ainsi que le rond-point Cap Long en entrée de ville a été doté d’un éclairage public dont la source lumineuse utilise des diodes électroluminescentes (LED). Un suivi technique et d’acceptation par la population de cette installation est en cours.

Tableau 3. Échantillon de piétons, étude LED Ville

Sexe Âge Usage du rond-point H F 45 ans et

moins Plus de 46 ans

Fréquent Jamais

12 11 11 12 18 5 Source : Sajous, 2009

Trois variables ont été retenues pour construire ces échantillons. L’âge et le sexe sont les variables classiques des études dans le domaine. Pour la première étude, nous avions ajouté la variable provenance géographique. Cette dernière nous permettait d’évaluer l’incidence de la fréquence des déplacements dans l’installation sur les perceptions. Cette variable s’étant révélée pertinente nous avons décidé de la reconduire dans l’étude LED Ville.

Méthode : la collecte des perceptions en situation (CPES) Ces deux groupes de piétons ont été interrogés selon un même protocole

d’enquête sociale que nous avons élaboré et nommé « Collecte des Perceptions en Situation ». Il s’inscrit dans un courant de recherches assez récent reposant sur des entretiens avec des usagers à propos des espaces urbains de nuit. Le lecteur pourra consulter (Mosser, 2005), (Deleuil, 2007) et (Sajous, 2007 et 2008)

Partant du constat que la mémoire visuelle humaine est peu fiable et que les connaissances en matière d’éclairage public sont faibles chez les usagers, nous avons retenu le principe d’une enquête qui se déroule de nuit, dans la zone où se situe l’installation d’éclairage en cours d’analyse, cette dernière étant en fonctionnement. Cela nous permet d’étudier les perceptions des usagers en évitant l’écueil de la mémoire et de la reformulation des perceptions. Pour organiser ce type d’enquête nous avons élaboré des guides d’entretiens abordant avant tout les perceptions visuelles déclinées en différents thèmes (éblouissement, uniformité, couleurs des lampes…). Recherchant des informations sur deux types de circulation, automobile et piétonne, nous avons élaboré deux guides d’entretien. Nous n’aborderons ici que les résultats piétons. Enfin, nous avons dressé à l’avance des itinéraires jalonnés d’étapes où les questions devaient être posées en référence à une ou deux ambiances lumineuses.

Ce sont des enquêtes qualitatives que nous avons menées. Cela se justifie par la nouveauté de cette orientation des recherches dans le domaine. Il n’y a pas assez de matière pour constituer des questionnaires fermés.

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Les sites d’enquêtes ont été retenus pour la banalité de leur aménagement sans éléments culturels les singularisant. Ils respectent les dimensions et proportions spatiales de la plupart des projets. Ils incluent des rues éclairées avec les nouvelles technologies mais aussi des rues équipées d’installations plus classiques. Cela nous a permis de mener des comparaisons, par exemple, sur les couleurs de lampes.

En ce qui concerne le traitement des entretiens, nous utilisons pour une part de la statistique descriptive et d’autre part l’analyse de contenu axé sur l’analyse des champs lexicaux.

Les résultats S’entretenir avec des personnes se déplaçant régulièrement de nuit sur les

sites d’enquêtes nous a permis de recueillir des propos très riches quant à l’incidence de la lumière artificielle sur la façon de pratiquer l’espace urbain avec en référence ce qui est possible de jour. Au sortir des deux enquêtes, les conditions générales de circulation offertes actuellement aux piétons la nuit sont jugées correctes. Pour NumeLite, les piétons n’évitent pas ce secteur. Dans le projet LED Ville, en amont de l’enquête sur site, un sondage a été effectué auprès de la population du Séquestre. Six cents quatre-vingt questionnaires ont été envoyés et soixante et onze personnes nous ont retourné le questionnaire rempli. Une question abordait, avec une échelle sémantique, les conditions de sécurité de circulation.

Tableau 4. Évaluations des conditions de circulation, étude LED Ville

Les conditions de circulation ne sont pas présentes 0 %

Les conditions de circulation sont passables 2,9 %

Les conditions de circulation sont moyennes 9,6 %

Les conditions de circulation sont bonnes 67,7 %

Les conditions de circulation sont excellentes 19,8 %

Source : Sajous, 2009

Pour autant, des critiques, des propositions sont avancées, parfois timidement, mais avec l’idée que même si les usagers ne sont pas des professionnels ils peuvent analyser la situation car c’est une partie de leur espace de vie. Les piétons rencontrés décrivent un espace circulatoire dédié qui n’est pas traité en soi mais qui est la conséquence des actions déployées pour limiter la dangerosité des véhicules. Sur le site NumeLite, c’est lors de l’observation des trottoirs, l’enquêteur étant pris à témoin, que cela s’exprime le mieux : l’état du revêtement, sa couleur, la faible mise en évidence des obstacles et déformations, la direction du flux. Ils semblent déduire de cela la considération que leur porte la municipalité et ses services.

Du point de vue strictement des perceptions visuelles, l’analyse de contenu des questions comparant installations classiques et installations respectant le développement durable fait apparaître que les thèmes de l’uniformité et de l’intensité sont très abordés : pour l’uniformité, 14,8 % de mentions dans

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NumeLite et 15 % de mentions dans LED Ville, pour l’intensité, 22,2 % de mentions dans NumeLite et 21,2 % de mentions dans LED Ville.

L’uniformité se traduit par un flux lumineux régulièrement réparti sur l’espace de déplacement. Nous avons demandé aux piétons de cocher sur des schémas des rues réaménagées les endroits où ils percevaient des trous de lumières, expression utilisée lors de l’entretien.

Tableau 5. Part des échantillons ayant signalés des trous de lumière

Trottoir Chaussée

NumeLiTe

Installation routière 36 % 4 %

NumeLiTe

Installation d’ambiance 80 % 28 %

LED Ville

Installation routière 56,5 % 13 %

Source : Sajous, 2008 et 2009

Selon le Tableau 6, les échantillons signalent la majeure partie des problèmes d’uniformité sur les trottoirs. Les plus de quarante ans sont les plus nombreux à signaler ces trous de lumière. Cela peut être lié à la baisse des performances visuelles à partir de 45 ans.

Dans les commentaires exprimés lors des deux enquêtes, les trous de lumière génèrent de l’anxiété : peur de ne pas êtres vus des véhicules. C’est une anxiété sécuritaire qui se surimpose chez les femmes âgées. A Albi, depuis le trottoir, on ne peut pas discerner qui sort du parc voisin. Une enquêtée nous confie ses craintes « quand on sait qui il y a de jour… ».

Sur le site LED Ville, un nouvel aspect du problème de l’uniformité dans les espaces contigus a été soulevé, problème en lien avec les caractéristiques techniques de cette source. La lumière « s’arrête » derrière les lampadaires déclare un enquêté. Le flux des LEDs est en effet très directif. Il n’y a pas de flux perdu, c’est-à-dire de flux s’écartant de la direction souhaitée. On peut ainsi avoir une rupture franche entre ombre et lumière. Les piétons sont très sensibles à cet effet. Ils voient le risque d’une mauvaise prise en compte des trottoirs.

La question de l’appréciation de l’intensité est plus complexe. Pendant longtemps, en d’autres termes tant que la question énergétique ne se posait pas, l’uniformité a été gérée non pas en mettant un réflecteur autour de la lampe pour renvoyer la lumière vers le sol, mais en mettant des lampes de fortes puissances. Les piétons se sont habitués à l’ambiance qui en résulte. Cela se traduit par exemple dans l’enquête NumeLiTe par le fait que, malgré la plus forte présence des véhicules, les rues équipées d’un éclairage pour fonction routière, classique ou développement durable, sont plus appréciée que celles en éclairage d’ambiance. Les réponses actuelles associant lampe de moindre puissance et réflecteur efficace ne sont donc pas jugées aussi performantes. Des mesures photométriques ont été effectuées : les performances visuelles sont assurées.

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Dans le discours, la baisse de l’éblouissement des nouveaux produits est appréciée mais cela ne gage pas d’un avis positif sur le rendu général de l’éclairage qui, dans le même temps peut être qualifié de « léger », « faible ».

Par ailleurs, dans les deux études nous avons noté que les sources lumineuses blanches qui améliorent le rendu des couleurs sont préférées à 75 % dans NumeLiTe et 65 % dans LED Ville. Cela permet de mieux discerner les couleurs. C’est un atout pour les repérages dans l’espace de circulation des personnes en présence, des modes de transports utilisés, de la configuration des lieux, etc. C’est un atout par rapport à l’éclairage équipé de lampe au sodium émettant dans le spectre lumineux dans le ton jaune. Elles représentent aujourd’hui 75 % du marché.

Analyse des résultats et discussion La marche de nuit en ville ne fait pas exception : elle est, elle aussi sous la

« contrainte » des modes motorisés de déplacement. Ainsi, la norme en vigueur dans le domaine est pensée pour limiter la dangerosité des véhicules motorisés en donnant à leurs conducteurs la perception visuelle nécessaire de l’espace et des autres usagers. Le piéton doit être perceptible par la voiture. Quant aux perceptions des piétons…beaucoup de latitude est permise sur ce point. Cela passe par des plages de niveaux d’éclairement plutôt que des niveaux précis par classe de voies, un piéton plutôt assimilé à une contrainte, un rapport de contiguïté dont le calcul n’est pas obligatoire dans la classe d’éclairage d’axes où les piétons sont bien présents, pas d’obligation d’uniformité sur les trottoirs. La circulation piétonne fait figure de parent pauvre au sein des projets avec une méthodologie très empirique pour dimensionner les niveaux d’éclairement nécessaires. Du point de vue des piétons cela semble convenir mais si il était décidé d’aller plus loin, de se recentrer sur les besoins visuels des piétons c’est l’uniformité qu’il faudrait privilégier et la couleur blanche des lampes.

Voilà pour les constats. Et maintenant, « quelles améliorations ? » Il nous semble que pour notre sujet l’amélioration vers laquelle tendre est aisément identifiable : améliorer la qualité de la lumière fournie dans les espaces contigus à la chaussée pour améliorer les perceptions visuelles des piétons.

Toute la difficulté réside dans la manière d’atteindre cette amélioration.

Le modèle fonctionnaliste toujours en vigueur devrait être amendé. La norme EN 13 201, qui en est une émanation, vient de rentrer en révision. Les consultations débutent et à ce titre, en France, une enquête de terrain a été lancée par le Certu auprès des administrateurs publics des installations dans le but de transmettre les résultats à la commission de normalisation. Le système normatif s’est mis en place en même temps que l’automobile se développait dans la société. Aujourd’hui, l’état d’esprit est autre. Les politiques de déplacements des villes montrent qu’elles ont d’autres sensibilités et qu’elles misent sur d’autres modes. C’est une idée à relayer.

Par ailleurs, des présentations dans des colloques ébauchent des solutions au problème technique lié à la classification des revêtements (CIE, 2008). Le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées d’une part, et Schreder, d’autre part, font des recherches en ce sens et ont mis au point des machines

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portatives pouvant analyser le revêtement. Il faut que la volonté pour s’en servir sur des espaces autres que la chaussée soit là - ce qui n’est pas le cas pour l’instant – mais on peut ainsi penser se défaire du principe de contiguïté et avoir des niveaux de luminance correspondant mieux aux besoins.

Reste la question du temps : à quand ces prises en compte ? On ne peut malheureusement envisager qu’un changement très lent du fait d’un taux de renouvellement du parc d’éclairage d’environ 3 % par an. La révision de la norme est aussi conduite sur plusieurs années. Si l’amélioration de l’éclairage des espaces contigus n’est pas prise en charge par la collectivité, il nous semble que le port du gilet fluorescent de nuit va de plus en plus apparaître aux individus comme un élément de sécurité lors des déplacements. Le développement durable, les investissements pour pallier à la crise économique actuelle sont potentiellement des accélérateurs de changement. De la même manière, la loi visant à améliorer l’accessibilité des personnes à mobilité réduite (Journal Officiel, 2006), au fil des constructions et rénovations, devraient avoir un impact sur l’éclairage des zones piétonnes aux abords des bâtiments recevant du public ; ce qui améliorera la situation de tous. L’exigence est très forte et loin de ce qui est réalisé actuellement (cf. tableau 1) : il faut un niveau minimal sur les cheminements de 20 lux.

Un dernier obstacle se dresse sur le chemin vers l’amélioration : la complexité de la gestion sociale et politique de la marche à pied nocturne. Si les acteurs de l’éclairage public se préoccupent, à travers la norme, de sécurité routière des piétons, elle n’est pas intégralement de leur ressort. Les collectivités ont une position de gestionnaire de cette notion sur leur territoire et sont par là même au cœur d’une contradiction qui leur faudra résoudre. Dans le champ social, la relance de la circulation piétonne est soutenue par le débat actuel sur la question du développement durable. Dans le même temps, le débat sécuritaire s’est lui aussi accru dans notre société et les citoyens sont en attente, dans ce domaine comme dans d’autres, de moyens pour faire chuter le risque d’agression. Ces demandes sociales lorsqu’elles sont reprises par le champ politique amènent pour l’instant à des actions contradictoires. La reconnaissance faciale est un thème récurrent et, pour les communes ne pouvant financer une vidéosurveillance, le principe « plus on met de la lumière et moins on a d’agressions » est encore et toujours un moyen de satisfaire l’attente sociale (Mosser, 2007). Or, avec le développement durable, cette position consistant à augmenter les puissances de lampes donc à augmenter la consommation n’est plus tenable. Nous retrouvons-là la contradiction exprimée par les piétons eux-mêmes. Deux voies de résolution sont envisageables. La communication portant sur les habitudes à changer en faveur du développement durable peut servir le changement de mentalité, changement nécessaire chez certains édiles et dans la population qui s’est habituée à recevoir ce stimulus la rassurant sur la prise en compte de sa demande. Nous sommes aussi au balbutiement de « l’éclairage intelligent » : des lampadaires munis de capteurs de présence ordonnant instantanément le passage à la puissance de flux adéquate. Des appareils sont actuellement en expérimentation à Toulouse.

La marge de progression en faveur de la marche à pied de nuit est importante mais les voies pour y parvenir le sont tout autant.

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CIE, (1977). Recommandations for lighting of roads form motorized traffic, technical report n°CIE12-2-1992 , seconde édition revue et augmentée, première édition en 1965

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Journal Officiel, (2006). Arrêté du 1er août 2006 fixant les dispositions prises pour l’application des articles R. 111-19 à R. 111-19-3 et R. 111-19-6 du code de la construction et de l’habitation relatives à l’accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public lors de leur construction ou de leur création, Journal Officiel du 24 août.

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Voir les objets de la rue : entre défi et plaisir pour le piéton

Agnès Levitte CRAL EHESS/CNRS UMR 8566 96 boulevard Raspail, 75006 Paris, France [email protected]

Résumé – Que voit le piéton dans la rue et comment utilise-t-il ce qu’il voit ? Nous cherchons à proposer aux designers quelques outils de réflexion et de conception qui répondraient à ces deux questions. Les designers s’intéressent à certaines théories de la perception qu’ils ont tenté d’appliquer aux produits courants. Aujourd’hui les neurosciences et les sciences cognitives complètent et parfois remettent en cause les premières assertions en s’appuyant sur des technologies d’investigation modernes. Nous passons en revue quelques expériences qui apportent un point de vue nouveau sur la perception, tout spécialement dans des environnements complexes et en mouvement, comme l’est celui du piéton au quotidien. Dans la troisième partie, nous rapprochons ces recherches de commentaires de promeneurs qui ont été interrogés, sur leur perception lors de marches ordinaires dans un quartier de Paris. Les conclusions des uns et des autres semblent concorder. Aux responsables et aux concepteurs d’en tirer parti.

Mots-clés : perception, mobilier urbain, design, situation

Introduction La perception est étudiée depuis des siècles par les philosophes, les

psychologues et les spécialistes du corps. Voir est un mécanisme très complexe, dont les secrets ne sont pas tous connus et qui pose la double question de l’objet perçu et de celui qui le perçoit. C’est la perception du piéton en marche dans la rue, dont il s’agit ici. L’espace de la ville est occupé par des mobiliers urbains nombreux et variés, conçus pour la plupart par des designers. Qu’est-ce qui peut aider et favoriser la perception de ces objets ? Les designers ont besoin d’outils méthodologiques, avant d’envisager un modèle de conception. En nous appuyant sur les neurosciences et les sciences cognitives, nous explorons ici quelques-uns des outils possibles, que nous confrontons dans un deuxième temps, aux commentaires et regards de promeneurs ordinaires dans les rues parisiennes. Quelques hypothèses se dessinent. Nous présentons les premières propositions d’une recherche qui est en cours.

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La perception pour les designers Forme et fond, la gestalt

Les designers abordent habituellement la perception par la Gestalt Theorie, et ses applications les plus probantes sur le rapport de la forme au fond (Quarante, 2001). Les premières écoles de design, le Bauhaus dans les années 1930 et l’École d’Ulm dans les années 1960, se sont appropriées les grandes lois de cette théorie : « le tout est différent de la somme des parties » ; ainsi que l’importance du champ dynamique et de l’expérience de l’acteur. Pour celui qui se trouve dans la rue, cette loi doit constamment s’appliquer : nous devons apprendre à détacher les silhouettes des objets de l’ensemble de l’environnement visuel pour les isoler, les recomposer et les reconnaître. Les concepteurs insistent sur le principe central de la « bonne forme », qui valide la leçon de Sullivan « Form follows function ». C’est une notion essentielle pour un mobilier urbain efficace, qui doit être utilisé avec une économie cognitive. Il doit aussi raconter visuellement à quoi il sert, et avec clarté ou sinon disparaître et ne pas gêner la marche. Mais ces grands principes occultent, ou ne prennent pas en compte la signification symbolique et la dimension sensible de l’objet perçu. Les recherches sur la perception ont progressé, et les théoriciens, tout en conservant ces acquis, ont tenté de trouver des réponses à des questions plus complexes.

Les affordances Une école plus contemporaine de designers s’est intéressée aux ouvrages

de James J. Gibson (Gibson, 1979-1986). Gibson considère que la perception est une capacité directe et non pas inférentielle. Les affordances - le concept principal de sa théorie - sont des qualités objectives offrant des possibilités d’action à celui qui les regarde, qualités indépendantes des possibilités du sujet et ne provoquant pas de représentation mentale. Don Norman en a proposé des applications très pragmatiques (Norman, 1999 ; Norman, 2004), en différenciant les affordances réelles des affordances perçues. Il affirme que les « objets séduisants fonctionnent mieux », dans le sens où l’utilisateur aura une préférence pour un objet qu’il apprécie et saura ainsi mieux s’en servir. Mais l’objet doit offrir des qualités, non pas seulement en fonction des intentions du sujet, mais aussi de ses capacités et de ses expériences. Les théories de Norman englobent les notions d’appréciation et d’émotion que doit ressentir l’utilisateur attiré par le produit. Nous ne sommes pas loin du design séducteur de certaines écoles de marketing contemporaines qu’utilisent d’ailleurs parfois les décideurs politiques pour équiper « leurs » villes. Tous les objets ne peuvent pourtant pas séduire le piéton dans la rue, il serait vite confus et en grand danger d’inattention !

Ces deux théories rapidement brossées mettent en lumière l’importance de la forme qui se détache du fond et de la vision de l’objet qui facilite ou freine visuellement l’action. Mais la perception est plus complexe et plus riche qu’une relation visuelle immédiate. Elle implique des mécanismes, cognitifs et sensitifs, notamment lors du mouvement, et dans un environnement où de multiples objets et aménagements se côtoient, comme c’est le cas dans la rue.

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La perception étudiée par les neurosciences cognitives

Le développement des recherches sur le système visuel par les neurosciences a permis d’analyser les différentes étapes du traitement de ce qui est vu, depuis la réception de la lumière sur la rétine jusqu'à la reconnaissance d’un objet, et l’action avec ou vers cet objet. Nous étudions cinq aspects qui ont donné lieu à des recherches récentes, et qui sont particulièrement pertinents pour l’appréhension du mobilier urbain.

Invariance et perception coûteuse Voir est tellement commun qu’on ne cherche pas à comprendre ce qui permet

de reconnaître un objet ou une scène visuelle. Pourtant, il semble que ce processus soit très complexe. Chaque attribut d’un objet, que ce soit sa forme, sa couleur, sa texture ou son orientation, stimule une aire différente du cerveau. C’est le liage des éléments différents qui crée une cohérence visuelle « dans un dispositif hiérarchique et en cascade qui permet d’apprendre à reconnaître les nouveaux objets » (Dehaene, 2007). Une fois la cohérence obtenue, il s’agira d’identifier ce même objet à un autre moment, dans des conditions d’orientation, d’éclairage, d’éloignement et de points de vue différents : « l’image mentale est progressivement recomposée par une pyramide hiérarchique de neurones » (id p. 181). Dehaene observe que ces invariances sont souvent « les jonctions entre les arêtes » qui « suffisent à caractériser un objet, quelle que soit son orientation ». Ces invariants doivent être très distinctifs pour que le système nerveux les mémorise lors de l’apprentissage.

Au-delà de l’objet qui est sous nos yeux, il faut parfois arriver à identifier un objet nouveau, grâce à sa similitude avec un autre. Reconnaître, implique la capacité à mettre en correspondance l’information visuelle immédiate, avec les informations stockées dans la mémoire à long terme. Ces informations mémorisées sont les représentations mentales ou percepts, qui correspondent à l’objet générique, le prototype, dans ses traits durables et ses invariances. C’est un objet qui est en quelque sorte la synthèse de tous les autres, sans pour autant être un objet spécifique. On remarquera dans les promenades ci-dessous, que le piéton se réfère souvent à de tels percepts.

Il a donc fallu apprendre à reconnaître. Cet apprentissage a commencé par la scène dans son ensemble, en privilégiant les formes simples et les aspects écologiquement utiles. Pour percevoir plus de détails, il faut davantage de temps et d’attention. On sait, grâce aux EEG et IRMf, que les populations expertes (entraînées pour une tâche spécifique), ont « modifié leurs représentations mentales, en donnant davantage d’importance aux inputs pertinents [même si leurs formes sont complexes], et en supprimant ceux qui fournissent peu d’information16 », même s’ils sont plus simples (Ahissar & Hochstein, 2004). Si l’on suit cette théorie de la Hiérarchie Inversée,17 qui correspond à nos observations décrites ci-dessous, le piéton parisien, devenu expert, apprend à ne voir que les détails utiles à ses déplacements et à sa sécurité, au détriment 16 Je propose ma traduction 17 Reverse Hierarchy Theory RHT selon Ahissar et Hochstein

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parfois d’une « finesse de grain » des détails décoratifs. Apprécier devient « coûteux », en termes d’implication cognitive et d’attention sensible. Avancer en toute sécurité, éviter les obstacles, autant de tâches qui ne laissent pas toujours le loisir d’une appréciation esthétique.

Perception sémantique et traitement pragmatique Une réponse à cette question se trouve peut-être dans la dissociation des

voies neuronales. Partons d’un double constat : il arrive que « l’usage de la vision ne conduise pas toujours à la conscience, ou à l’expérience visuelle des objets, ni a fortiori à leur reconnaissance et à leur identification » (Jacob, 2003, p. 213). Quelle en est la raison ?

En fonction de l’intention du sujet, le système visuel produira pour le même objet, soit une représentation mentale perceptive, soit une représentation visuomotrice. Cette seconde transforme les informations visuelles en commandes pour l’action (Jacob et Jeannerod, 2003 ; Jacob, 2008). L’objet devient ainsi une cible. Les informations nécessaires sont éphémères et globales : les contours, l’orientation et la taille suffisent pour permettre une action simple, alors que pour une vision sémantique – que l’on pourra rapporter par la parole –, il est nécessaire de percevoir les détails qui permettent, par exemple, la comparaison et l’appréciation.

Ces deux perceptions correspondent à deux voies cérébrales, l’une répondant à la question « quoi ? » et l’autre à la question « où ? » (Jacob, 2003). Pour prendre un exemple, le système visuel ne réagit pas de la même manière au « bonhomme vert » si le piéton s’apprête à traverser la rue ou s’il le contemple pour sa forme et sa couleur. Dans ce deuxième cas, on est dans une démarche d’appréciation. C’est la voie ventrale – ou sémantique – qui est principalement mise en œuvre.

Mais que l’on voie pour agir ou par plaisir, il faut « faire attention », comme on nous le répète si souvent. Qu’est-ce qui peut déclencher, faciliter ou freiner cette attention ?

Attention et saillance, fluence et curiosité L’attention en milieu urbain peut nous sauver la vie, même si parfois nous ne

sommes pas vraiment conscients de voir un objet ou un détail. L’attention est implicite, dans ce cas précis elle permet de sélectionner ou d’inhiber des objets ou des détails.

L’attention peut être déclenchée par la perception pour susciter une cognition (Roda & Thomas, 2006) : telle enseigne me fait comprendre que je peux acheter ma carte de parking dans ce tabac. Ou, inversement, une pensée me fait porter mon attention sur le plan, car je cherche à me repérer : « l’ajustement de mes perceptions va de l’esprit vers le monde » (Jacob, 2008).

La qualité et l’orientation de l’attention dépendent ainsi de nombreux facteurs, liés à la fois à la situation géographique du sujet et à ses intentions, ses motivations, sa mémoire ; en un mot à ses situations biographique et personnelle. Certains environnements rendent difficile la sélection attentionnelle, par exemple s’il y a abondance d’informations et de signes. De plus, une personne pressée

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privilégiera une attention ciblée sur les mouvements des véhicules et des autres piétons, négligeant tout autre objet des alentours. Les processus attentionnels sont alors complexes et la notion de priorité est primordiale. Pour savoir où se porte l’attention d’un piéton, il est utile de suivre son regard. Nous avons eu la chance d’enregistrer avec un oculomètre portable18, trois des promenades dont nous parlons dans la troisième partie.

Comment forcer la priorité perceptuelle ? Un attribut fort et saillant peut être une solution. La saillance peut être de trois types. Soit c’est l’information visuelle propre à un objet, qui permet son identification avec certitude et rapidité, telle l’enseigne du bureau de tabac. Ou bien, la saillance s’opère par des éléments qui ne seront jamais mal interprétés. Le sac poubelle transparent, par exemple, est, dans une scène complexe, un signe spécifique qui ne se présente que pour ce type d’objet. La saillance (Yantis, 1998) peut enfin être l’arrivée abrupte, inattendue ou incongrue d’un objet dans le champ visuel. Elle est liée à la nouveauté.

Au contraire de la saillance, qui indique un élément qui attire, on parle de « fluence » ou de fluidité visuelle, lorsque la perception est facilitée et accélérée par une forme, tout en restant précise et exacte. Reber (Reber, Schwarz, & Winkielman, 2004) démontre que les formes simples ou archétypales, et certains attributs comme la symétrie et le bon contraste, seraient des raisons évidentes et universelles de l’impact de la fluence sur le plaisir. Pourtant, les formes complexes de la fontaine Wallace sont très vite et précisément identifiées par les Parisiens ou les amoureux de la capitale. La fluence serait ici favorisée par la familiarité et la curiosité, pour une forme dont la signification historique et identitaire est très puissante.

L’attention est primordiale pour la sécurité du piéton : il faut attirer son regard, ou au contraire ne pas le distraire.

Allocentrique ou égocentrique, subjectif ou objectif Dans la rue, il s’agit aussi de s’orienter et de se repérer. Selon les

circonstances, nous le ferons soit par rapport à des objets éloignés, soit en fonction de notre corps, point d’ancrage de notre perception. Dans ce deuxième cas, il s’agit de la perception égocentrée, les coordonnées de l’objet se font par rapport à celui qui regarde. L’objet est un but qui se trouve dans la sphère intra personnelle. Par contre, si la perception se porte sur des objets par rapport à d’autres objets, ou s’ils sont absents et imaginés, la vision est allocentrique et dans la sphère extra-personnelle. La perception égocentrée est indispensable pour l’action immédiate. On ne peut monter dans un autobus que si nos gestes sont coordonnés avec ce qu’on perçoit dans l’instant et par rapport à soi-même. Par contre, pour apprécier une fontaine ou observer un espace vert, la référence à soi n’est pas nécessaire et la situation dans l’espace sera la bienvenue. Cette perception allocentrique permet de voir si l’objet est en mouvement indépendamment de soi, c’est l’illusion de la gare bien connue des voyageurs : est-ce notre train qui s’ébranle ou celui du quai voisin ? Le seul moyen de le savoir est de prendre comme référence un point fixé au sol, donc 18 Grâce à une convention CRAL/LUTIN et à l’aimable collaboration et prêt du LUTIN/CNRS – nous utilisons l’oculomètre comme outil d’observation du regard et non en tant qu’outil de calcul.

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en vision allocentrique stabilisée. La référence égocentrique exige au contraire une remise à jour constante de la perception au cours du déplacement, par les mouvements des yeux, de la tête et du corps.

Voir pendant la marche Pendant la marche, le mouvement est généré par tout le corps, les

membres, la tête et les yeux. De plus, certains objets autour de soi sont aussi en mouvement, les véhicules, les autres piétons. Sans cesse, des parties cachées d’un objet se révèlent, d’autres disparaissent. Un objet en occulte un autre, et ainsi de suite. La lumière participe à ces variations, un rayon de soleil rend visible un détail auparavant dans l’ombre. On peut parler avec Gibson d’une « perspective mouvante » (Gibson, 1979-1986), d’un flot visuel continu pour l’observateur, flot qui est ancré dans la fixité et l’invariance des objets environnants et du sol.

Visionner l’enregistrement d’un piéton, réalisé à l’aide d’un oculomètre portable19 est particulièrement enrichissant à ce point de vue. Le film rapporte un continuum visuel où se découpent des silhouettes d’objets sur lesquels le sujet porte son regard. Les objets changent sans cesse. L’angle de vision dans lequel le promeneur les perçoit, leur taille, leur position ne sont jamais les mêmes, et pourtant le marcheur n’a aucun mal à les reconnaître et à les intégrer dans sa promenade.

Au cours de la marche, tous les sens sont en alerte. Les informations utiles à la sécurité ou au plaisir proviennent des capteurs des muscles des pieds qui préfèrent les pavés, des oreilles qui reconnaissent une rue bruyante avant les yeux, de l’olfaction qui détecte une plante ou un marchand de poulets rôtis.

Plusieurs phénomènes perceptuels assistent ou gênent le promeneur. Une fois qu’il a identifié l’objet en le détachant de la scène visuelle, il doit en trouver l’invariance pour le reconnaître. Pour en découvrir la subtilité et l’apprécier, il doit en voir au contraire tous les détails. Ce ne seront pas les mêmes détails qui seront pertinents, s’il veut agir. Pour comparer, il adoptera une perception principalement allocentrique. Mais pour utiliser ces mêmes objets, il devra les situer par rapport à son corps. Tout en marchant, son œil identifiera les formes par des indices parfois saillants, parfois fluents, selon ses objectifs. Attention complexe ! Comment le piéton vit-il et comprend-il tout cela au quotidien ?

Les promenades pour saisir la perception et l’appréciation La situation de l’intrigue : méthodologie

Utilisant la méthode des promenades commentées, mise au point par les architectes et les urbanistes (Augoyard, 2003 ; Grosjean & Thibaud, 2001 ; Thibaud & Joseph, 2002), les commentaires de quatorze promeneurs ont été 19 L’oculomètre est un appareil qui permet d’enregistrer dans le temps la position de l’œil d’un sujet trois fois par seconde. Nous avons pu réaliser l’enregistrement de trois promenades in situ de 45 minutes environ chacune. Nous l’utilisons pour l’observation et non comme outil statistique.

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enregistrés, au cours d’un cheminement prédéterminé et identique dans un quartier populaire de Paris. Il s’agissait de récolter l’expérience vivante de piétons ordinaires20, et d’en observer les comportements visuels. Après avoir accordé sa définition du mobilier urbain à celle de la recherche en cours, le promeneur avait pour seule consigne de s’exprimer de manière libre sur ce sujet. La chercheure se contentant de quelques relances neutres sur certains termes, lorsque cela paraissait indispensable.

Voir dans la rue, implique de prendre en compte à la fois l’environnement, les aménagements et les ambiances qui accompagnent le piéton. Pour les besoins de l’étude, nous avons ici isolé certaines situations ou « intrigues », moments privilégiés, découpés dans un flot plus vaste. Au-delà des quatre grilles principales qui ont été appliquées pour l’analyse du corpus21 – des termes utilisés au cheminement de l’appréciation esthétique, en passant par le « voir pour » et le « voir en » – nous décrivons ci-dessous la perception qui se déploie au cours du temps, dans l’environnement urbain et dans le vécu personnel. Nous les analysons, au regard des recherches de la partie précédente. Bien sûr le promeneur, dans sa déambulation perceptive et verbale, ne suit pas la logique de la recherche scientifique, et les extraits choisis regroupent souvent, dans un ordre différent, des exemples de concepts que nous avons tenté de bien ordonner ci-dessus. Pour chacune des cinq intrigues sélectionnées, nous reproduisons dans un premier temps le discours intégral en italique, tel qu’il a été prononcé pendant la promenade, puis nous en proposons l’analyse.

De la saillance au plaisir par fluence, en passant par l’invariance

L’attention est souvent rapportée et facile à observer. Elle est bien sûr renforcée par la situation quelque peu artificielle de l’enquête. Dans l’exemple qui suit, on voit JCD, souvent automobiliste, rechercher la saillance colorée de l’enseigne, signe invariant et mémorisé. Puis il décrit son appréciation de la fluence qui mène au plaisir esthétique.

JCD s’interroge : « Je sais pas si les enseignes de magasin font partie du mobilier urbain. Moi je trouve que ça pourrait en faire partie, surtout les enseignes qui… bon là (lève la tête et pointe vaguement vers le haut sur la forêt d’enseignes du boulevard Voltaire) les enseignes c’est peut-être privé les enseignes, à même sur la façade de la boutique. Mais tout ce qui dépasse, c’est pareil je trouve enfin voilà, on devrait penser à un style d’enseignes plus belles. Là, tu en as une petite qui fait 50 sur 50, enfin je trouve que dans le paysage il pourrait y avoir une recherche… Les seules enseignes comme ça que je trouve les plus belles, c’est les enseignes de tabac. Est-ce que ça vient de la forme ? Elles sont toutes identiques, alors on les reconnaît. Et cette forme de cigare, je trouve que dans le paysage, je trouve qu’elles ont un intérêt. Moi j’achète des cartes de stationnement, et c’est dans les tabacs. Et quand je repère le truc tabac, et ben je sais que je peux… Tu vois ce matin encore une personne m’a demandé « est-ce qu’il y a un tabac » alors j’ai fait (mouvement 20 Les discours sont transcrits en italiques, en respectant l’élocution, les hésitations, les pauses… 21 C’est l’objet d’une thèse en cours de finalisation : « La perception des objets quotidiens dans l’espace urbain » sous la direction de Jean-Marie Schaeffer, CRAL de EHESS/CNRS

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circulaire de la tête), tu vois je connaissais pas, j’ai tourné (fait une deuxième fois le mouvement du corps et de la tête pour me montrer), j’ai essayé de trouver cette enseigne et j’ai dit « Écoutez apparemment, y’en a pas dans le coin » alors que là (mouvement de la main en direction du tabac qui est à cinquante mètres environ) on me demanderait, je pourrais indiquer… »

Le promeneur exprime son ennui visuel, comme s’il était à la recherche d’un agrément qu’il ne trouve jamais. Il généralise à l’ensemble de la ville, la cause de son absence de plaisir : « je trouve que dans le paysage, il pourrait y avoir une recherche ». Le terme de paysage définit ici l’ensemble de son champ visuel, l’architecture, les aménagements, les utilisateurs de l’espace, et tout l’immatériel des ambiances, éclairages, bruits. Puis son regard est comme happé par le panneau du tabac, au loin. Il commente immédiatement, par une appréciation sensible positive. Il s’interroge : « est-ce que ça vient de la forme ? » Sans répondre, il explique comment il les identifie : « elles sont toutes identiques, alors on les reconnaît ». En fait, elles sont loin d’être similaires, mais elles correspondent, pour lui qui vit en France, à un percept, un signe général (forme en losange de couleur rouge avec le mot tabac inscrit en son centre), qui frappe son regard et qu’il distingue sans avoir besoin de réfléchir. C’est la saillance involontaire, décrite plus haut. Il apprécie la facilité avec laquelle il l’identifie sans erreur possible. L’aisance de la perception est un plaisir en soi. Mais il y a aussi une fluence conceptuelle, puisque le signe est clairement et rapidement identifié. C’est le cas d’une fluidité double que Reber appelle « processing fluency »(Reber et al., 2004). L’image est perçue, non pour ce qu’elle représente (le tabac à fumer), mais pour ce qu’elle indique (le lieu où l’acheter). La fluence est avant tout culturelle : c’est parce que JCD a vu cette enseigne de multiples fois, qu’il la reconnaît avec plaisir. Sa forme simple et symétrique génère peut-être aussi la fluidité et le plaisir qui en découle. Enfin, la forme prototype de couleur rouge participe à l’aisance perceptuelle.

Puis il parle, dans la foulée, de la figure. Il donne une signification à l’objet, qui n’est pas la signification exacte22 mais qu’il forge mentalement, en comparant l’image abstraite et conceptuelle (là encore) d’un cigare. Il explique la vision de loin, et le regard qui englobe. Il s’agit d’une impression générale, d’un « paysage » qui se construit à partir d’éléments sélectionnés parmi tous ceux qui le composent. Il apprécie cette forme qui raconte non seulement le « cigare », mais surtout ce que lui peut en faire. Il sait ce qu’il peut trouver, dans ce lieu signalé par l’image générique. Son regard est réconforté par la clarté du message, qui est immédiatement traité cognitivement. Il peut maintenant prendre une décision et agir sans délai. Son plaisir semble être plus cognitif qu’esthétique : il est satisfait de cette instantanéité et de l’identification, dans un environnement qui ne favorise pas souvent ce genre de confort. Dans une situation ordinaire23, il aurait utilisé le schéma visuomoteur (Jacob & Jeannerod, 2003) de son système perceptif, et n’aurait eu besoin que de très peu d’éléments visuels, « et quand je repère le truc tabac, et ben je sais que je peux… ». Cette 22 La forme de l’enseigne serait apparue au XVIIe siècle imitant la carotte, forme sous laquelle le tabac était conditionné. 23 JCD est dans une situation un peu artificielle dans le cadre de cette recherche, car il doit verbaliser ce qui est habituellement implicite. Son regard est aussi forcé par une attention plus soutenue que nécessaire. Il perçoit des détails qui, en retour, engendrent une réflexion qu’il a l’occasion d’exprimer de manière sensible.

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signalétique est utile et fonctionne tellement bien, qu’il ne va même pas au bout de sa phrase. Il enchaîne sur une anecdote survenue le matin même, quand un passant l’a interrogé sur l’existence d’un tabac : « Tu vois je ne connaissais pas, j’ai tourné (mouvement, avec tout le corps), j’ai essayé de trouver cette enseigne… alors que là (il pointe de la main), je pourrais indiquer »

Dans cet extrait, pour JCD ce qui importe à ce moment précis, c’est que le signe indique efficacement. La compréhension de l’histoire de la forme et son appréciation esthétique, ont peut-être eu lieu précédemment. Il s’agit d’une utilité remémorée au moment opportun. Il confirme que dans le quotidien, son regard sous-tend son action dans la plupart des situations. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir du plaisir ou du déplaisir au regard de formes, de couleurs, d’objets. Pour ces signes ordinaires, le plaisir et le déplaisir sont furtifs, sans cesse dérangés par l’exigence de la marche, de l’action, de la présence de l’autre.

Dans le cas suivant, l’attention est attirée par la couleur.

Perception sémantique, vision pragmatique et écologique

Cet extrait-ci offre un bon exemple de « l’approche écologique de Gibson » (Gibson, 1979-1986), appliquée aux couleurs. Nous sommes assis dans un espace paysager avec JF : « Un joli jardin là, l’éclairage, les arbres qui nous font un petit peu d’ombre, c’est plus agréable que les immeubles. Ça me plait dans la mesure où j’ai rien vu d’autre. Ça ne me choque pas, en comparant avec ce que j’ai vu dans d’autres pays. Ce qui me choque, c’est que les couleurs c’est un peu toujours pareil, c’est soit vert, soit marron, c’est peut-être justement pour qu’on ne les observe plus, qu’on ne les voie plus, en fait. Tu vois, le vert des bancs on le voit pas, alors que le vert des poubelles on le voit, le banc est plus discret, c’est plus du loisir, de la détente. Alors que la poubelle, c’est plus le côté utile. Le point d’eau c’est pareil, un point d’eau c’est discret, celui-là on le voit pas forcément, il est pas très haut, y’a pas écrit “eau” dessus. Si on s’approche pas ou si on n’a pas été voir, on sait pas ce que c’est. Il est carré, je sais pas du tout pourquoi il a cette forme. »

JF décrit une ambiance faite de couleurs, de nature, de lumière et de sensations corporelles, qu’il n’attribue à aucun objet précis. La valence est positive, et la description analytique. Il laisse pointer une appréciation voilée. Puis il confirme. En grand voyageur, il appelle dans sa mémoire de travail, des situations analogues pour confirmer ou infirmer. Il oscillait entre deux sensations. Et tout à coup, dans le cheminement de sa pensée portée par son regard, il comprend : les couleurs ! La banalité des deux seules couleurs ne peut motiver son intérêt et soutenir son appréciation. De multiples autres couleurs jalonnent notre environnement visuel, mais son attention se porte sur celles-ci, qui occultent toutes les autres. Il y a saillance attentionnelle, mais à valence négative. Il explicite : « tu vois le vert des bancs, on ne le voit pas, alors que le vert des poubelles, on le voit. Le banc est plus discret, c’est plus du loisir, de la détente. Alors que la poubelle, c’est plus le côté utile ». Son analyse va dans le sens de la théorie de Gibson. Des deux verts « écologiques », l’un doit être vu sans faute pour y déposer le déchet ; l’autre repose le regard, on le

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verra seulement si l’on est fatigué. Celui du banc est foncé et saturé. Il est traditionnel, et souvent utilisé pour différents mobiliers de la ville de Paris, d’où l’habitude perceptuelle, la lassitude ou même la non-perception. Pourtant, si on mettait côte à côte plusieurs bancs, on constaterait de multiples nuances enregistrées dans la mémoire comme une même couleur. Le vert de la corbeille24 est plus clair, franc et lumineux. De fait, l’objet est composé de plusieurs verts assortis, un vert opaque pour la structure métallique et un, très clair et translucide, pour le sac amovible. C’est un vert plus « mode », qu’on rencontre dans l’habillement ou l’aménagement domestique contemporain. Le premier serait un vert générique, ou prototypal, le second un vert saillant.

JF parle maintenant de la fontaine. Il confirme sa pensée et son expérience vécue : la fontaine n’a pas besoin d’être vue si on n’a pas soif. Elle a une discrétion presque humaine. JF pousse son regard. Il remarque de nouveaux attributs : la hauteur, l’absence de signalisation et la forme générale carrée, dont il interroge la signification sans trouver de réponse. Le petit membre de phrase « si on n’a pas été voir » serait une invitation à faire quelques pas. Il fait référence à son percept, représentation mentale d’un objet identifié sous une forme générique et invariante. Cet objet est différent d’un autre par ses masses ou ses couleurs, mais sa fonction figure dans un catalogue mental de formes similaires.

Ainsi le promeneur décrit-il en quelques minutes l’importance des couleurs, pour suggérer une action ou l’occulter. Il confirme également le percept visuel dans son invariance.

Perception égocentrique ou allocentrique ? Il est difficile pour certaines personnes de se positionner de manière

allocentrique, par rapport à un objet qui n’est pas dans leur champ de vision. C’est le cas d’AG qui prend parfois la rue à contresens, pour avoir mal lu un plan.

« L’abribus… bien souvent quand je prends le bus, il n’y a pas d’abribus. Ah le plan, j’ai souvent cherché quand j’étais dans d’autres quartiers de Paris. Mais en fait c’est pas pratique, parce que j’ai jamais réussi à comprendre le plan des bus, c’est trop compliqué pour moi. Et le bus je m’en sers pas, je prends le métro ou… trop compliqué. Je préfère les porches quand vraiment il pleut, mais j’utilise pas les abribus. » […] « En général, je connais. Quand je connais pas le quartier à l’arrivée au métro, j’essaie d’avoir un plan, et après pour le numéro j’essaie de regarder le numéro dans la rue. Je regarde le nom de la rue et souvent j’ai un plan. Et souvent je suis perdu, enfin…mais avec un plan, quand j’ai une idée… je me repère facilement. Mais quand j’ai un plan sous les yeux, j’ai du mal à comprendre comment c’est, et je vais dans le mauvais sens. Sinon, pour reconnaître, ça va être les boutiques, et puis grosses ou petites rues, avenue ou petite rue, donc taille, et nombre de voies de circulation. Je pense que c’est comme ça que je reconnais une rue, oui. »

AG sait que tous les abribus présentent les mêmes éléments, même si dans l’instant il ne les voit pas. Par automatisme, il sait où trouver les outils qui lui seront utiles. Mais il envoie une phrase tranchante : « je n’ai jamais réussi à comprendre ». L’outil proposé n’est pas adapté à ses compétences. Il préfère

24 Corbeilles de propreté urbaine Citec 45L à sac transparent mises en place à Paris en 1997.

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emprunter le métro dont il comprend l’usage. Et décidément, l’abri n’est pas très utile, même en temps de pluie. On remarque au passage les détournements fréquents des objets.

Mais revenons à la délicate tâche de s’orienter dans la ville. La lecture d’un plan est une démarche cognitive complexe qui demande de prendre une position mentale allocentrée, en se référant non à son corps mais à des signes abstraits et/ou éloignés de soi. Il faut des compétences d’abstraction spatiale. Le problème survient bien sûr dans un quartier inconnu. AG utilise le plan, pour savoir de manière allocentrique où se trouve la rue dans laquelle il doit se rendre. Le numéro de la rue sera identifié ensuite dans la sphère intra-personnelle et de manière égocentrique : il suffit de regarder et de suivre la logique de la numérotation rigoureuse de la ville. Parfois pourtant la méthode n’est pas infaillible, sauf s’il a une image mentale préalable : « mais avec un plan quand j’ai une idée », c’est-à-dire une référence égocentrique, une première expérience visuelle qu’il a mémorisée et qui donne des points de repère subjectifs codés par rapport à son corps. Il conclut qu’il a en effet du mal à traduire ce qu’il lit sur un plan de façon objective ou allocentrique, dans la réalité égocentrique et subjective. La manière infaillible, et rassurante cognitivement, est de se fier à ce qui est devant ses yeux : boutiques et largeur des voies. C’est la vision typiquement concrète et égocentrique.

Pour CD au contraire, cette difficulté n’existe pas. Spontanément, elle parle des plaques de rues pratiques pour se repérer, particulièrement grâce aux arrondissements toujours inscrits. Elle a sans doute un « plan de Paris dans la tête », une vision mentale claire de l’organisation spatiale de la ville, vision objective. Elle mentionne sa capacité à toujours savoir où sont les points cardinaux : «… c’est pas forcément les itinéraires les mieux, les panneaux c’est surtout pour les voitures, mais quand même. Et sinon… moi je me repère assez, comme ça. Je sais toujours à peu près où c’est nord, sud, est, ouest et par rapport à ça, je sais que si je suis au nord et que je veux aller au sud, il faut que je descende... ». Son corps est engagé pour l’orienter dans le sens de la pente. Elle précise : « il y a quand même ma carte qui m’aide bien. Mais avec la carte, je commence à connaître le nom des rues, et quand je vois le nom de la rue, je sais à peu près où je suis… ». CD verbalise ici avec clarté le passage de la situation égocentrée (le corps par rapport à la rue et à la plaque sous ses yeux, ou à la pente du terrain), à la situation allocentrée, consultant sa carte physique ou mémorisée (la connaissance des lieux se fait abstraitement et indépendamment de la localisation de son corps).

Quand tous ces petits soucis de repérage et de sécurité sont résolus, que reste-t-il au piéton ? Que regarde-t-il ? Où trouve-t-il son plaisir ?

Ressentir avec tout le corps En compagnie de KU, nous arrivons dans la partie arborée qui double le

trottoir de la rue de la Roquette. Tout s’apaise : « Oui il y a aussi, quand on marche, quand on est un peu sensible, oui il y a aussi le sol, la matière change ! On n’a pas du tout la même… le béton. Ici c’est la pierre qui est posée, parce que bon, ça fait partie… du jardin. Il y a aussi le point d’eau par exemple. Je pense qu’il y a tout de suite un petit espace qui vient de se séparer, de ce côté euh bruyant… il y a que les voitures. Alors qu’ici, peut-être les gens viennent peut-être

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avec leur vélo mais bon euh, ici on est quand même en sécurité. On va pas se faire déranger, ou être klaxonné même. (Relance sur le point d’eau) Esthétiquement ? Enfin ça me rappelle toujours en fait euh le point d’eau d’un jardin que moi j’arrive à reconnaître très facilement […]. Donc ça il est beaucoup plus lisse, plus arrondi, heu, mais bon moi j’ai plus une certaine amitié avec celui-là, le point d’eau voilà… »

Pour la première fois, après trente minutes de marche, KU se laisse aller à une appréciation sensible. Elle perçoit la nature du sol par ses pieds au travers de ses chaussures. Elle est consciente que ce mode de perception n’est pas courant. Pour elle, il est immédiat et guide son regard. Elle en trouve la cause et la nomme : c’est le matériau qui a sa justification dans cet espace arboré. Elle ne précise pas si la pierre, selon elle, est liée à une fonction utilitaire ou visuelle. Il est à noter que nous avions déjà traversé des zones pavées, mais que KU n’en avait pas fait mention : soit sa perception était attirée par des détails plus prégnants dans l’instant, soit elle ne l’avait pas reportée.

Son regard se porte maintenant sur ce qui l’entoure et se fixe sur un objet qu’elle désigne par sa fonction, « le point d’eau ». Elle remarque la séparation de tout ce qu’elle aime moins dans la ville : le bruit et les voitures. Tous ses sens participent à sa perception. Cet espace lui inspire la sécurité. Elle goûte une ambiance qu’elle décrit par des actions imaginées, en creux, qui ne seront pas les siennes, mais qui participent à qualifier son vécu de l’instant présent. Bien qu’elle ne l’exprime pas, on comprend qu’un certain plaisir est éprouvé.

Je la questionne sur la fontaine qu’elle identifie aisément et immédiatement. Comme pour l’enseigne des tabacs dont parlait JCD, il existe des formes différentes de ce type de fontaines à Paris, mais KU la reconnaît comme un objet archétypal. Elle exprime un ressenti à la fois visuel et tactile, bien qu’elle ne le touche pas : « le lisse et le rond ». Sa relation est sans doute ancienne avec cet objet : « j’ai une certaine amitié ». La facilité avec laquelle elle le reconnaît crée une relation émotionnelle. Aucun effort n’est plus nécessaire, la perception est fluide et plaisante (Reber et al., 2004). L’objet est à peine décrit. Cependant elle exprime un plaisir clairement positif, dû à la fois à la facilité du traitement du stimulus, et à ce qu’il rappelle à sa mémoire. Cette appropriation des objets de la rue, parfois comparés à ceux de la maison, revient souvent dans les prome-nades. Elle ne livrera quasiment jamais ses émotions sur le parcours, préférant évoquer les usages et le fameux équilibre théorique entre forme et fonction.

La perception de KU est sensible et discrète. Le corps entier est sollicité pour appréhender les ambiances et les détails. Dans cet exemple, la vision de détails saillants suscite des perceptions mentales, imaginées ou remémorées, pour décrire l’impression ressentie et non pas un objet. Dans l’exemple suivant, l’appréciation est également au rendez-vous.

Le cheminement du regard pour comprendre et apprécier

Il s’agit d’une promenade enregistrée par un oculomètre portable. RBS, après avoir découvert le pigeonnier, découvre la fontaine Wallace : « Ah sinon on peut voir une autre fontaine (il est encore à 10 mètres environ et pose déjà

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son regard sur la fontaine Wallace, de manière répétée et exclusive). Ah ! ces fontaines-là sont très jolies, elles sont vraiment jolies. Y’en n’a pas vachement dans Paris. (Son regard se déplace uniquement entre la partie médiane, composée par des femmes, et le haut du socle). Je crois qu’à un moment, ils ont réduit le nombre de fontaines qu’on avait. Et c’est plutôt joli. Je les utilise. Je bois ou je me lave les mains, des trucs comme ça. (relance sur joli) (Se rapproche lentement, mais reste à cinq mètres environ et ne se rapprochera pas plus). Ce qui me frappe surtout, c’est ces quatre femmes qui soutiennent cette fontaine et… la forme est assez jolie. Et même, ça a un côté (son regard se porte pour la première fois sur la partie supérieure de la fontaine qu’il décrit maintenant) assez austère et dangereux parce que ça finit par un pic.… mais après c’est assez étonnant, parce qu’on n’y a pas complètement accès à cette fontaine. (Son regard maintenant oscille à nouveau entre la partie médiane où coule l’eau, et la partie supérieure du socle, sous les sculptures des quatre femmes). On peut que tendre les mains. On peut pas tendre son visage par exemple. Mais c’est, c’est joli quoi. C’est bien conçu. »

RBS, on l’a remarqué au début de la promenade, regarde intensément un objet avant d’en parler, parfois plusieurs secondes plus tard. C’est le cas pour cette fontaine Wallace sur laquelle il a déjà jeté son regard depuis le pigeonnier.

Il s’agit d’une fontaine Wallace dont la décoration est volontairement artistique25. Elle fait partie des quelques mobiliers urbains de la capitale datant du dix-neuvième siècle et qui ont été conçus comme objets tant décoratifs qu’utilitaires. Ils donnent aujourd’hui une identité très forte à Paris. C’est un symbole dont RBS est peu familier, mais dont il saisit immédiatement la valeur ajoutée décorative.

Il explique qu’elle lui rappelle la petite fontaine sur laquelle il a fait un commentaire quelques minutes auparavant. Il désigne immédiatement l’objet par une évaluation esthétique très positive. Évaluation ponctuée par la rareté : « y’en n’a pas vachement dans Paris ». Il donne une explication vague à cette rareté, « ils » les auraient supprimées. Il revient une deuxième fois sur son appréciation esthétique et enchaîne sur l’usage qu’il fait de toute fontaine : boire et se laver les mains. Pendant toute cette séquence qui dure 97 secondes, RBS porte son regard presque uniquement sur la fontaine. D’abord de haut en bas sur les trois parties principales (chapeau, partie centrale et socle), puis uniquement sur les statues, pour revenir sur les parties extrêmes alternativement. L’exclusivité de son regard est notoire : alors qu’il a porté son œil sur quasiment chacun des scooters que nous avons rencontrés jusque-là, sa vision reste ici insensible à tous les deux roues. Pour répondre à ma question sur le terme « joli », il fait quelques pas, tout en restant à bonne distance. Il ne cherche pas à voir les détails ou à se servir de l’eau de la fontaine comme d’autres promeneurs l’ont fait. Il souhaite garder une vue d’ensemble, sans doute. Son regard se focalise sur les statues dont il parle aussitôt « ces quatre femmes qui soutiennent la fontaine… c’est assez joli ». Son regard explore l’objet et ainsi le découvre, pour répondre aux objectifs de l’enquête quelque peu artificielle. Dès qu’il remarque la partie supérieure, il la 25 Offerte en 1875 par Sir Richard Wallace aux habitants de Paris pour qu’ils bénéficient d’eau potable, elle a été conçue d’après un cahier des charges très complet. C’est le sculpteur Charles-Auguste Lebourg qui eut la charge de la création des quatre Caryatides.

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qualifie d’austère comme un peu plus tôt, la bouche de métro de la place Léon Blum. Tout à l’heure, l’austère était le contraire du joli et de l’arrondi. Ici, c’est le pic qui exprime la rigueur, le danger même. Son investigation visuelle des formes est une perception sensible à partir de l’ensemble, puis plus précisément devient une perception esthétique de la partie centrale des sculptures, et enfin une perception émotionnelle de la partie haute. Sa réflexion sur la forme le mène dans un deuxième temps, à questionner l’usage : « Mais après c’est assez étonnant parce qu’on n’y a pas complètement accès quoi, à cette fontaine ». Par une projection mentale, il s’imagine en train de l’utiliser, et visualise immédiatement les freins qu’il devra affronter. Il utilise sans doute un réseau cérébral différent : le système visuomoteur, qui permet la transformation de la perception en action (Jacob & Jeannerod, 2003), à la différence du système sémantique utilisant la voie ventrale, pour une perception plus fine et détaillée. La lecture de la forme de l’objet usuel, lui donne des indications sur la manière de l’utiliser. C’est ce que Gibson appellerait une affordance. Et ici pour RBS, la réussite n’est pas au rendez-vous. La forme est lisible, mais ne correspond pas à l’utilisation qu’il prévoit d’en faire. Par une démarche cognitive, il comprend abstraitement que la fontaine inhibera le geste de tendre son visage pour se rafraîchir. Cet inconvénient d’usage est compensé par l’aspect qu’il apprécie, et la valence générale reste positive.

Dans cet extrait, on assiste à la découverte d’un objet peu connu : il y a saillance, qui rompt la routine, et qui motive à prendre le temps de porter son regard plus longuement. La récompense attendue – et récoltée – est la satisfaction sensible. Le promeneur ressent assez de plaisir, pour prolonger son regard et enrichir son expérience. Plus l’œil parcourt longuement et exclusivement l’objet, plus le plaisir se précise. L’expérience sensible devient alors esthétique. Il y a donc trois étapes dans la découverte de RBS : la surprise de la nouveauté qui amorce le regard, l’appréciation sensible et esthétique qui motive la poursuite de la démarche et le cycle de la récompense, et enfin une attitude mentale cognitive, qui lui permet de comprendre comment faire usage de l’objet par le regard.

Conclusions Parmi les concepts qui permettent d’analyser le processus de la perception,

nous avions retenu dans les premières parties de cet article, ceux qui semblaient les plus pertinents pour appréhender la perception des objets quotidiens, lors de la marche dans la rue : invariance, saillance, fluence, allocentrique/égocentrique et affordance. Les commentaires des promeneurs que nous avons enregistrés reprennent ces concepts, dans des termes différents. Lors de la marche urbaine, le mobilier urbain a plusieurs fonctions pour le piéton. Ce mobilier doit communiquer de manière claire ce qui est utile au marcheur, qui pourra ainsi extraire de la scène visuelle complexe, ce qui servira ses intentions et objectifs.

Premièrement, le mobilier facilitera la marche, sans bloquer la perception. Il devra être vu et identifié sans ambiguïté, avec exactitude et rapidité. C’est la fluence avec laquelle plusieurs marcheurs reconnaissent les enseignes ou les abribus. La bitte de trottoir a longtemps surpris le regard et interrogé le

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marcheur. Ce fut un obstacle cognitif autant que physique. D’autre part, comme on l’a vu, l’objet qui facilite la perception est souvent archétypal pour celui qui le regarde. On n’en voit pas la « finesse du grain », on ne voit pas les différences entre les multiples enseignes de tabac, ou les bancs dont les formes et les couleurs présentent cependant de grandes variétés. Cette invariance mémorisée permet d’identifier l’objet-type, selon une catégorisation mentale. La disposition ou l’orientation dans lesquelles on les perçoit n’ont d’importance que si on les utilise. Le marcheur peut avancer ainsi, sans obstacle visuel majeur.

Le mobilier doit aussi signaler et protéger efficacement. L’objet doit alors être saillant : certains de ses attributs doivent attirer l’attention pour que le marcheur le remarque au moment opportun. Par exemple, les sacs en plastique vert sont devenus pour le Parisien l’emblème de la propreté de leur ville. L’œil les repère, la couleur et la matière sont spécifiques et ne peuvent être confondues, pour autant qu’on les cherche. C’est une affordance. Mais la protection, c’est aussi celle des feux de signalisation. Les promeneurs ont souvent remarqué que si le signe est identifié sans doute possible, par sa couleur et sa forme, nombreux sont les endroits où l’attention n’est pas suffisamment attirée et où cette saillance est absente. Inadvertance du piéton ? Peut-être, mais souvent un aménagement défaillant n’a pas pris en compte toutes les subtilités et les contextes de la perception humaine.

Le mobilier est troisièmement un outil précieux pour se repérer. Les problèmes de lecture du plan en vision allocentrique sont fréquents. Peut-on créer de nouveaux outils pour résoudre ce problème ? Se repérer pour d’autres, c’est « avoir une carte dans la tête », une représentation mentale et objective, ou pouvoir identifier avec l’ensemble de son corps la direction du Sud, dans le sens de la pente qui mène à la Seine, dans les quartiers Est de la capitale. Mais le repérage se fait aussi par la reconnaissance visuelle d’une scène connue, par cette curiosité qui a permis de remarquer le détail saillant d’un mobilier dans une scène visuelle.

Voir en marchant n’est pas tâche simple. La richesse de l’environnement urbain est telle que le piéton doit opérer de fréquentes inhibitions pour focaliser son attention sur ce qui est utile et salvateur. Les détails à découvrir sont pourtant multiples, parfois cachés par l’abondance, parfois occultés par les préoccupations du marcheur stressé. Mais il est possible de les apprécier, on l’a vu. Certains mobiliers ont même été conçus comme des œuvres, telle la fontaine Wallace. Cette appréciation ordinaire d’un objet usuel se fait au détour d’un regard. Elle est bien différente de celle qui se produit dans le musée de manière plus consensuelle. Mais une esthétique de l’ordinaire fait partie du quotidien du piéton et les aménageurs peuvent en tenir compte.

Un mobilier urbain bien conçu serait celui qui assure la bonne marche sans obstacle perceptuel, qui garantirait notre protection en attirant l’attention au bon endroit, et qui saurait orienter sans peine dans la bonne direction, certes. Mais aussi celui qui pourrait guider notre regard vers le plaisir, la réflexion, l’engagement, le bon usage… Ce sont ici les premières conclusions que nous pouvons donner d’un travail en cours d’analyse. Les premières rencontres avec les designers ont confirmé l’intérêt qu’ils portent à ces schémas de notre étude.

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Percevoir la ville sans voir

Nicolas Baltenneck, Serge Portalier Laboratoire Santé Individu Société EA4129 Université Lyon 2, 5 avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron Cedex, France [email protected] [email protected]

Résumé – Notre recherche a pour objectif d’étudier la perception, la représentation et la gestion de l’espace urbain chez la personne aveugle. Ces trois notions entretiennent des relations étroites, l’une et l’autre s’influençant mutuellement. Notre approche épistémologique se situe à mi-chemin entre la psychologie environnementale, et la psychologie cognitive. Nous explorons dans cette étude l’impact de la configuration urbaine sur ces trois éléments. Nous utilisons un protocole de recherche se déroulant en milieu écologique, lors d’un déplacement réel en ville. Nous présentons dans cette communication les résultats relatifs à la première partie — la perception et le ressenti de l’environnement urbain — qui a porté sur une population de vingt-six personnes aveugles. Nos résultats indiquent que la configuration urbaine rencontrée n’a pas d’impact significatif sur la modalité perceptive utilisée, lors du déplacement. En revanche, le ressenti de nos participants (anxiété, plaisir) est significativement influencé par la structure de l’environnement. Cette étude, au-delà de son approche fondamentale, offre des pistes de réflexion sur l’aménagement de la ville en faveur des personnes déficientes visuelles, dans le but d’améliorer et de simplifier leur relation à l’environnement urbain, souvent bien complexe.

Mots-clés : cécité, déplacement, piéton, perception, représentation

Introduction Le milieu urbain est fréquemment perçu comme hostile par les personnes

atteintes de déficience visuelle. S’y déplacer est toujours une épreuve, parfois à l’origine d’un sentiment de stress très important. Cependant, plusieurs recherches indiquent qu’une bonne représentation mentale des lieux parcourus est une aide précieuse au cours d’un déplacement (Foulke, 1982). Notre recherche se situe à l’articulation de la psychologie environnementale et de la psychologie cognitive. Nous abordons la question de la perception de l’environnement, de la représentation de l’espace qui en découle, et de la gestion du déplacement dans cet environnement, chez les personnes aveugles.

Cet article porte plus particulièrement sur la première partie de notre recherche, qui a pour objectif d’étudier la perception et le ressenti de l’environne-ment urbain chez les personnes aveugles. Après une présentation de notre référentiel théorique, nous présenterons la méthodologie que nous avons

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déployée pour étudier notre problématique. Nous détaillerons ensuite les résultats que nous avons obtenus auprès de nos 26 participants. Nous conclurons par des pistes à explorer dans le but d’améliorer les déplacements des piétons aveugles dans la cité.

Éléments théoriques La vision, le sens spatial ?

Avant d’aborder la situation de déficience visuelle, il est intéressant de traiter du rôle de la vision dans la déambulation. Comme le soulignent Thinus-Blanc et Gaunet (1997), la vision est le sens spatial par excellence.

En effet, son vaste champ perceptif lui permet d’appréhender simultanément une très grande portion de l’espace proche et lointain. Par ailleurs, sa rapidité de traitement, de même que la variété et la finesse des discriminations dont elle est capable, font d’elle la modalité perceptive la plus performante dans le domaine spatial. Elle fournit en permanence des repères spatiaux extérieurs sur les orientations verticales et horizontales de l’environnement. Notre environnement — en particulier urbain — est d’ailleurs précisément construit autour de ces axes verticaux et horizontaux.

De tous les espaces perceptifs, l’espace visuel est celui qui permet d’établir simultanément des relations spatiales entre un grand nombre d’éléments. Les autres systèmes ne permettent d’appréhender qu’un espace restreint et ceci grâce à un système de relations établies de proche en proche (par exemple, les stimulations auditives sont omniprésentes, mais fugaces et séquentielles).

Enfin, elle permet de voir les segments du corps, et complète donc la connaissance corporelle apportée par la proprioception. Elle tient un rôle essentiel dans l’organisation posturale, dans le contrôle de l’équilibre bipède et par conséquent dans la locomotion.

Ainsi la vision tient un rôle essentiel dans les déplacements afin d’élaborer des trajectoires, notamment grâce aux repères éloignés. Par exemple, dans le désert, un marcheur conserve une trajectoire rectiligne lors d’un déplacement dans la journée ou lors d’une nuit de pleine lune. Le soleil et les astres font office de points de repère efficients dans cette situation. En revanche, par une nuit noire, il est impossible de conserver cette trajectoire rectiligne : le marcheur dévie très vite, pour finalement tourner en rond selon des cercles plus ou moins concentriques. Notons qu’il en va exactement de même en forêt, par temps couvert : des points de repère proximaux tels que les arbres n’ont que peu d’utilité dans l’élaboration de trajectoires (Souman, 2008).

Conséquence de la cécité sur les déplacements Ces données s’appliquent bien sûr aux déplacements urbains d’une

personne privée de la vue. Cette impossibilité d’établir des trajectoires fiables entraîne directement plusieurs conséquences : − mise en danger potentielle lors des déplacements ; − cause d’anxiété supplémentaire (risques de heurt ou de se perdre) ; − augmentation de la vigilance.

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Percevoir la ville sans voir

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Ainsi, comme le souligne Hatwell (2003) concernant les déplacements locomoteurs, le handicap principal dû à la cécité semble être l’absence de « pré-vision » (perception à distance du chemin et des obstacles qui s’y trouvent). Cette absence rend difficiles les anticipations perceptives et cognitives, oblige à intégrer les données sensorielles actuelles (auditives, tactiles, etc.) et à avoir recours à des connaissances antérieures stockées en mémoire (structure des chemins, nombre de croisements de rues ou de changement de directions, nombre de stations de métro, etc.).

Modalités perceptives utilisées par le piéton aveugle Le sujet aveugle dispose de plusieurs modalités, notamment

proprioceptives, tactiles, kinesthésiques et auditives, qui peuvent dans une certaine mesure suppléer l’absence de vision, selon le concept de vicariance (Reuchlin, 1980). A cet égard, il est important de favoriser le plus tôt possible l’imbrication intermodale des informations auditives (espace éloigné), tactilo-kinesthésiques (espace de la manipulation) et tonico-posturales (espace corporel) chez le jeune enfant aveugle (Génicot, 1980).

Proprioception

C’est la sensibilité par laquelle nous avons connaissance de la position de notre corps (statesthésie) et de nos mouvements (kinesthésie), et ceci, grâce à l’activation de récepteurs sensitifs situés dans les tendons, les articulations et les muscles. Chez les sujets voyants, la proprioception corporelle est associée à la proprioception visuelle, c’est-à-dire à la perception visuelle du corps et des conséquences visuelles des déplacements. Chez les sujets aveugles, la proprio-ception musculaire et articulaire joue un rôle fondamental dans l’élaboration de l’image de leur corps, et dans la connaissance des conséquences de leurs mouvements.

Audition

C’est une modalité perceptive d’une grande importance pour l’aveugle et l’une des plus investies dans notre procédure expérimentale, comme nous le verrons. La notion de flux auditif doit être retenue, car c’est un paramètre significatif qui fournit un point de repère capital dans le déplacement. Par exemple, le bruit des voitures permet de connaître l’arrêt, le démarrage, la progression, dans les différentes directions des véhicules, ainsi que la vitesse, le volume de l’engin, et se révèle être un bon indicateur pour la personne aveugle.

Tactile et haptique

L’utilisation de la canne blanche permet la perception des textures au sol avec un contact, soit passif, soit actif. Ces informations sont issues de la rugosité des bandes d’éveil de vigilance par exemple. Ce niveau de saillance est donc un élément important, mais la bande doit être positionnée sur une surface suffisamment grande pour englober le mouvement d’aller et retour de la canne pendant que la personne se déplace.

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Modalités kinesthésiques et vestibulaires

Ce paramètre est souvent rappelé par les personnes qui bénéficient d’un chien-guide. Celui-ci anticipe les obstacles et permet de prévoir les chocs. Par ailleurs, le harnais intègre les mouvements de l’animal, qui sont alors transmis à la personne aveugle. Pour ceux qui utilisent la canne, ces perceptions permettent de ressentir finement les dénivelés du sol, en particulier lorsque les trottoirs s’abaissent à l’approche d’un passage. Ces bateaux ont très souvent été rappelés comme un paramètre de guidage très important lors de notre recherche.

Rendre l’environnement accessible La loi du 11 février 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la

participation à la citoyenneté des personnes handicapées, a déterminé de nouvelles règles techniques relatives à l’accessibilité de l’espace public.

Ainsi, au-delà des capacités adaptatives et vicariantes de l’individu, il est également possible de modeler l’environnement pour le rendre plus simple à appréhender.

De nombreuses lois, décrets, et normes techniques existent, et façonnent notre cité. En l’état actuel – et en fonction des différentes évolutions techniques – force est de constater que la ville est très changeante sur ce plan : installation de feux sonores ou de bandes d’éveil de vigilance pour prévenir des traversées, mais plus rarement de bandes de guidage par exemple… Par ailleurs, d’autres aménagements, plus traditionnels, s’avèrent parfois blessants pour un piéton aveugle (potelets limitant l’accès des véhicules).

Enfin, la conception même de certaines zones (comme les zones dites « 30 », certains lieux de plaisance, etc.) comporte des aspects parfois problématiques, comme le relève le récent document du Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions (Certu, 2008) intitulé : « déplacement des déficients visuels en milieu urbain ».

Les parcours commentés et la psychologie environnementale

Les travaux de Moser et Weiss (2003) ainsi que ceux de Grosjean et Thibaud (2001) apportent tous deux un éclairage sur la technique des parcours commentés, que nous avons utilisée. C’est une technique originale, et adaptée à notre thème d’intérêt.

Cette méthode s’inscrit dans le cadre d’une démarche interdisciplinaire qui fait appel à la fois « aux sciences pour l’ingénieur (mesure des ambiances physiques), aux sciences de la conception (analyse architecturale) et aux sciences sociales (micro-sociologie). » (Thibaud, 2001). Elle est donc adaptée à l’étude des comportements spatiaux. Entendue comme des comptes rendus de perception et d’évaluation en action, elle permet, entre autres, de décrire et de comprendre les stratégies de déplacement des individus dans l’espace locomoteur. Trois activités sont sollicitées simultanément : marcher, percevoir et décrire.

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Ce procédé repose sur trois types de consignes qui en fixent le cadre :

− les consignes relatives à la description : le sujet doit faire état, aussi précisément que possible, de « l’ambiance » immédiate du lieu, tel qu’il la perçoit ici et maintenant. Toutes les modalités sensorielles peuvent être mobilisées : visuelles, auditives, tactiles, olfactives, kinesthésiques, etc.

− les consignes relatives au cheminement : le terrain d’investigation est fixé à l’avance. S’il le souhaite, le sujet a le loisir de s’arrêter momentanément, de revenir sur ses pas.

− les consignes relatives aux conditions de l’expérience : compte tenu de l’effort d’attention que demande une telle relation, les parcours durent une trentaine de minutes, en moyenne. Le parcours est effectué avec le chercheur à qui sont adressées les descriptions. Celui-ci intervient peu, et se limite à un rôle d’auditeur bienveillant qui relance la parole chez le marcheur-observateur.

Problématique et hypothèses Problématique

Nous nous interrogeons sur la situation d’interaction entre le sujet aveugle et son environnement, en particulier urbain.

Comment une personne privée de la vue se déplace dans la cité ? Quelles modalités perceptives sollicite-t-elle, et quel rôle tient l’environnement dans ses mécanismes adaptatifs et vicariants ? Notre environnement, en fonction de sa structure (aides en faveur de l’accessibilité) ne peut-il pas être, tour à tour, étayant ou obstructif, quant à la locomotion ?

Quel est l’impact de ces configurations urbaines sur la perception et sur le plaisir-déplaisir ressenti de la déambulation chez la personne aveugle ?

Hypothèses Pour un parcours donné, nous faisons les hypothèses d’une corrélation

entre la configuration urbaine et :

− la modalité perceptive utilisée lors d’un déplacement ;

− les notions de plaisir et d’anxiété lors de ce même déplacement.

Méthodologie Notre recherche se déroule dans des conditions dites « écologiques », au

plus proche des conditions réelles de déplacement de personnes aveugles, à Lyon, dans le 3e arrondissement. Le quartier de la Guillotière a l’avantage de présenter des configurations urbaines très différentes, et représentatives de notre paysage urbain habituel.

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Piéton : voir et être vu

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Parcours urbain Pour mener à bien notre projet, nous avons défini un parcours piéton de 950

mètres, qui représente environ 20 minutes de marche, à une vitesse soutenue, de 5 km/h. Ce parcours a été élaboré avec l’aide d’une équipe d’étudiants en géographie de l’Université Lyon 3, dirigés par J. Bonnet et C. Broggio.

Le cheminement est relativement complexe en ce qui concerne le nombre de changements de direction, puisque les marcheurs doivent faire 11 virages au total. Néanmoins, soulignons que le maillage général est à angles droits, de direction nord-sud et est-ouest. Il est très diversifié par :

− la largeur des rues longées (petites, moyennes ou grandes)

− les flux circulatoires variés (dans leur sens et leur intensité)

− des quartiers plus ou moins typés et fonctionnels (rue résidentielle ou commerçante, impasse, etc.)

− la présence ou non d’aides en faveur de l’accessibilité (feux sonores, bandes d’éveil de vigilance)

− la présence d'escaliers (montées et descentes)

− la traversée d'axes de circulation importants

− une place, relativement complexe

− un cheminement original le long des berges du Rhône

Enfin, il est important de souligner que ce parcours, qui ne constitue pas un trajet naturel, est totalement inconnu de tous nos participants lors de leur premier passage.

Configuration urbaine L’ensemble des facteurs présentés ci-dessus nous a permis de définir 5

zones (Fig. 1) aux colorations et aux ambiances urbaines très différentes, rencontrées successivement tout au long de l’évolution sur le trajet. Ces différentes « configurations urbaines », définies avec nos collègues géographes, consistent en un assemblage spécifique de ces facteurs. Voici une description succincte des trois premières zones.

La zone 1 est un quartier commerçant, très encaissé. La circulation automobile et piétonne y est très calme, et le cheminement se fait sur des trottoirs assez étroits, et régulièrement encombrés. Cette zone ne bénéficie d’aucun aménagement en faveur de l’accessibilité.

La zone 2 est constituée de la place Raspail, un grand espace ouvert, et moderne dans son aménagement. S’y croisent deux axes majeurs, qui drainent beaucoup de circulation et un niveau sonore, par conséquent, beaucoup plus élevé. Cet espace urbain est équipé de différents aménagements, comme des feux sonores pour les traversées de rues, ainsi que des bandes podotactiles (ou d’éveil de vigilance).

La zone 3 est constituée des Berges du Rhône. Il s’agit d’une zone de plaisance, récente, développée sur le principe de « mode doux » : il s’agit d’un

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espace ouvert, où se croisent vélo, rollers, et piétons, sur le même lieu… Cette zone calme est en retrait par rapport à la circulation automobile des quais. Enfin, notons qu’il n’y a pas d’aménagements spécifiques en faveur des personnes aveugles et malvoyantes.

Figure 1. Notre parcours urbain, de 950 mètres, à Lyon

Source : données cartographiques Google™

Population Notre population d’étude comprend 26 personnes aveugles qui utilisent une

canne blanche ou un chien guide dans leurs déplacements. La moyenne d’âge est de 45,5 ans (21–75 ans) et notre échantillon est composé de 14 femmes, et 12 hommes. Nous avons eu le soutien de l’association Point de Vue sur la Ville, qui œuvre en faveur de l’accessibilité urbaine pour les déficients visuels, dont plusieurs membres ont participé à ce projet. Nos critères d’inclusion ont été les suivants :

− la majorité légale pour permettre une participation libre et éclairée

− la profondeur de la cécité (cécité complète ou au plus très faible perception lumineuse sans possibilité de localisation)

− la formation préalable en locomotion

− des déplacements piétons réguliers en ville (au moins une fois par jour)

L'aide de déambulation est exclusivement la canne pour 19 d'entre eux, les 7 autres bénéficiant de l'utilisation d'un chien-guide. Cette répartition due à l'aléa de la candidature semble cependant assez proche de la représentation naturelle.

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Figure 2. Participante aveugle sur le parcours urbain, zone 3

Source : Laboratoire Santé Individu Société EA 4129

Déroulement du protocole de recherche Nos participants aveugles ont parcouru le trajet que nous avons prédéfini, à

trois reprises. Nous rappelons ici que ce trajet leur est totalement inconnu avant le premier passage. Chacune de ces trois sessions répond à un axe de notre recherche. Le tableau ci-dessous (Tableau 1) résume ces trois passages, et leur déroulement, afin d’offrir une vision plus globale de cette recherche. Nous présentons dans cet article uniquement les données exploitées sur la première session , la présentation de l’ensemble de la recherche (trois phases) nécessitant un développement plus important. Voici néanmoins quelques éléments supplémentaires.

Lors de la session 2 (représentation de l’espace urbain), nous avons choisi d’utiliser la méthode des cartes mentales, afin d’analyser les dessins du parcours.

Lors de la session 3 (gestion du déplacement), nous avons utilisé différents outils d’évaluation du déplacement, effectué en autonomie :

− utilisation d’un questionnaire, concernant l’appréciation et le stress ressenti lors des différentes zones du parcours ;

− utilisation d’une grille d’analyse vidéo des comportements du piéton aveugle en fonction de son positionnement sur le cheminement ;

− utilisation d’une mesure de réponse éléctrodemale (UMR CNRS 5270, Institut des Nanotechnologies de Lyon) pour une analyse plus fine de la vigilance en situation de déplacement.

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Tableau 1. Récapitulatif des 3 sessions de parcours

Session 1 Session 2 Session 3

Participant Découverte du parcours (au bras du chercheur)

Mémorisation du parcours (au bras du chercheur)

Déplacement autonome sur le trajet

Chercheur Modalités de perception utilisées

Représentation mentale

Gestion du déplacement (stress et prise de décision)

Outil utilisé

Parcours commentés (enregistrement audio)

Cartes mentales (dessins de parcours)

Analyse vidéo + réponse électrodermale

Les deux premières sessions, décrites comme se déroulant au bras du chercheur dans le tableau ci-dessus, se font selon la technique de guide classique, enseignée par les instructeurs en locomotion. Le participant aveugle tient de sa main libre (sans canne ni chien) le coude de l'accompagnateur guide.

Lors de la première session, le chercheur intervient selon la méthode des trajets commentés (Thibaud, 2001), présentée dans la revue de la littérature de cet article. Ses interventions sont donc uniquement des relances et des invitations à décrire l’environnement et le ressenti que le marcheur éprouve.

Enfin, lors de la deuxième session, le chercheur propose une description formatée de l’environnement, et répond aux questions du participant. Nous précisions ici que cette description est identique pour chacun.

Méthode d'analyse du contenu des commentaires Les enregistrements sonores des commentaires des sujets sous forme de

fichiers informatiques sont transcrits sur ordinateur sous une forme écrite de type fichier texte.

Nous avons choisi de procéder à une analyse thématique manuelle, selon différents thèmes.

Tout d’abord, les éléments relatifs à la perception de l’environnement. Il s’agit plus précisément des modalités perceptives utilisées dans les descriptions de la ville, faites par les personnes aveugles.

Par ailleurs, nous avons étudié deux thèmes relatifs aux ressentis : − d’abord, les éléments faisant référence à des ressentis positifs, de plaisir ; − à l’inverse, les éléments faisant référence à des ressentis d’anxiété et de

déplaisir.

Dans le cadre de notre recherche, les logiciels de traitement automatique tels que Tropes, ou Alceste ne nous ont pas semblé être les plus adaptés aux discours de style argumentatif que nous avons recueillis. La méthode manuelle

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est celle qui – nous semble-t-il – offre l’acuité la plus importante, au regard des thèmes spécifiques abordés par nos marcheurs aveugles.

Le premier échange noté par le transcripteur est celui du top de départ du chercheur. L’ensemble de l’enregistrement est chronométré et géolocalisé précisément. Les commentaires sont découpés en unités d’analyses qui correspondent à la production verbale du participant et à la relance qui suit de la part du chercheur, lorsqu’elle a lieu. Selon ce découpage, les commentaires du participant aveugle sont versés dans une base de données. Le recueil complet de ces informations permet donc de constituer deux bases de données, reliées entre elles : − la base des interventions du participant sur laquelle repose l'étude ; − la base contenant les temps partiels de changement de secteurs du

parcours

Notre analyse de contenu porte sur les commentaires de nos 26 participants, lors de leur trajet. La base de données initiale brute comporte environ 45 000 mots prononcés par les participants. Cependant, celle-ci est expurgée et ramenée à 33 000 mots par suppression des fiches ne répondant pas à l'utilité de l'analyse (commentaires au-delà de la fin du parcours, répétions, digressions sans rapport avec l’objet de l’analyse).

Guidée par nos hypothèses, notre analyse qualitative a donc porté sur différents thèmes, tels la modalité perceptive décrite dans les commentaires (auditive, tactile, olfactive, etc.), les éléments identifiés de l’environnement, le plaisir ou l’anxiété générée par la déambulation, et enfin l’appréciation des aménagements urbains.

Présentation des résultats Analyse de contenu et modalités perceptives utilisées

Parmi les sens sollicités, l'audition est évidemment le sens mis en œuvre dans la majorité des cas (55 % des commentaires concernant la perception). Il permet de détecter la circulation automobile (40 % des commentaires concernant les objets détectés), les personnes (18 %) par le bruit de leur déplacement, les feux sonores (15 %), et les textures au sol produisant des sons (grilles métalliques)…

Selon les commentaires des participants, le « sens des masses » arrive à la deuxième place (13 % des commentaires concernant la perception). Il permet de détecter la présence généralement assez proche de masses (56 % des commentaires concernant les objets détectés) représentées le plus souvent par les façades des immeubles, mais aussi des véhicules garés le long du trottoir et exceptionnellement le mobilier urbain (2 %). A contrario, l'absence de masse, c'est-à-dire le vide (38 %), est perçue dans les grands espaces dégagés tels que la place Raspail ou les berges du Rhône...

Nous savons qu’il est difficile de séparer le sens des masses – décrit par nos participants – de celui de l'audition. Il est d'ailleurs possible que celui-ci bénéficie de sens agonistes tels que la sensibilité superficielle, par le biais des mouvements de l'air perçus au niveau de la face.

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La sensibilité superficielle tactile (13 % des commentaires concernant la perception) est celle utilisée le plus souvent par l'intermédiaire de la canne pour suivre le contour d'une bordure de trottoir (42 % des commentaires concernant les objets détectés) et l’aplomb du mur, afin d'en déterminer la largeur ou l'orientation, ou afin de détecter les obstacles tels que le mobilier urbain (14 %). Elle s’exprime aussi au niveau de la plante du pied pour tester la nature du sol, comme sur les berges du Rhône et leurs escaliers d'accès (23 %).

Figure 3. Présentation géographique de mots utilisés par les participants, en fonction des trois premières zones

La taille de police utilisée pour faire figurer un mot est proportionnelle à sa fréquence : plus un mot revient souvent, plus il figure en grand, et inversement.

La thermoacuité (7 % des commentaires concernant la perception) permet de détecter au niveau des parties découvertes (le plus souvent la face), l'intensité du vent et l'effet calorique du soleil. Naturellement, elle est fonction des conditions météorologiques diverses au cours de la période d'expérimentation (février et mars). Elle est particulièrement éprouvée dans les espaces dégagés (Place Raspail et berges du Rhône) ou quand la rue constitue un couloir de circulation d’air.

La sensibilité profonde ou proprioception (4 % des commentaires concernant la perception) est ressentie au niveau des barorécepteurs articulaires des chevilles et permet de détecter les brusques dénivellations du sol lors du passage sur les sorties de garage ou les abaissements de trottoir destinés à la traversée pour des personnes handicapées en fauteuil roulant (76 %).

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Ressentis lors du déplacement Anxiété

La rubrique « anxiété » est annotée quand le participant indique spontanément une crainte ou une gêne ressentie dans la traversée d’une configuration urbaine, ou lorsqu'il en fait part en répondant à la question : « Comment vous vous sentez, là ? » Ce ressenti « anxiété » revient dans 13,5 % de l'ensemble des commentaires.

La désorientation tactile est la plus fréquemment signalée (34 % des commentaires concernant l'anxiété) ce qui tend à démontrer que la personne aveugle est très attachée aux repères fournis par le sol et perçus du bout de la canne.

L'insécurité globale (19 %) montre que nos participants sont très conscients de leur dépendance face à l'environnement humain. C'est aussi souvent un sentiment pour lequel ils ne donnent pas d’explication précise.

Il n'est pas étonnant de voir le rôle de la désorientation auditive (15 %) dans la constitution de l'anxiété quand on sait — comme on l'a vu — l'importance de la vicariance auditive chez la personne aveugle. Comme le disent beaucoup d'entre eux : « Il faut un peu de bruit autour pour se repérer, mais point trop n'en faut ! ».

La crainte du risque de chute au sol (13 %) lors de l'abord ou de la descente des escaliers est assez générale, mais souvent maîtrisée. Dans notre parcours, la crainte de chute dans les eaux du Rhône est par contre très marquée (risque cependant virtuel dans notre expérimentation du fait de la protection par l'encadrement).

La gêne aux déplacements (10 %) par les obstacles rencontrés dans la trajectoire est assez banale quoique notée avec beaucoup d'agacement dans certains cas.

Le danger de collision par les véhicules en circulation (9 %), perçu avec acuité, est souvent maîtrisé par la protection relative des passages piétons notamment avec un équipement sonore.

Enfin, le test statistique du Khi2 montre une hétérogénéité très significative (risque inférieur à 1/1000) en croisant les types d'anxiété et les divers secteurs du parcours. Cela valide notre seconde hypothèse quant à l’anxiété.

Ainsi, le secteur des berges du Rhône recueille le tiers (33 %) des annotations concernant le ressenti d'une anxiété. Les berges cumulent en effet l'absence de repères au sol, et le risque de chute dans le fleuve. De plus, le calme relatif de cette zone laisse supposer qu'il peut être déserté à certains moments et que la personne aveugle ne pourrait recourir à aucune aide pour l'orienter, voire se trouverait en situation de faiblesse face à d'éventuels malveillants.

La place Raspail est la deuxième source d'anxiété dans les divers secteurs traversés (24 %). Ceci est dû à la désorientation créée par l'absence de repères traditionnels au sol puisque celle-ci est arasée, ainsi qu’à la saturation sonore en raison de la proximité de l'intense circulation dans un carrefour de deux axes importants. Cette insécurité reste quelquefois sans explication précise de la part de nos participants.

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En dehors de ces deux secteurs, l'anxiété reste plus modérée sur notre parcours. L'absence d'anxiété est notée dans les secteurs des rues petites ou moyennes, ou même dans le cours de la Liberté (68,5 % des commentaires relatant une absence d'anxiété). L'ambiance y est le plus souvent calme et les repères d'orientation sont assez nets, associant des informations auditives et tactiles .

Plaisir

Le ressenti « plaisir » est noté dans 9 % des commentaires. Le test du Khi2 ne montre pas de différences significatives en croisant les types de plaisir et les divers secteurs du parcours.

L'ambiance calme est la donnée la plus fréquemment enregistrée (40 % des commentaires concernant le ressenti « plaisir ») et cela dans tous les secteurs sauf la place Raspail et les traversées des quais, ce qui n'est pas pour étonner compte tenu de la circulation automobile habituellement intense.

La facilité d'orientation est encore assez souvent notée (20 %) et le plus souvent dans le cours de la Liberté et les rues Aimé Collomb et Chaponnay qui forment un duo, depuis les quais et y retournant. Il semble que cela soit dû à la présence d'un axe de circulation modérée que le participant suit parallèlement, et à l'existence d'un trottoir de dimension accessible du bout de la canne.

Discussion et conclusion Nos résultats ne nous ont pas permis de valider l’ensemble de nos

hypothèses.

En effet, il n’y a pas de corrélation entre la configuration de l’environnement urbain et la modalité sensorielle utilisée. Cela peut se comprendre par la prédominance forte de l’utilisation de l’audition et du toucher dans les déplacements, quel que soit le lieu. Ces données confortent par ailleurs les éléments issus de la littérature dans ce domaine (Veraart et Wanet, 1984 ; Portalier et Vital Durand, 1989).

Elles constituent par ailleurs des pistes intéressantes : en effet, nous avons noté que certaines zones combinent un niveau d’anxiété faible, et un niveau de plaisir relativement plus élevé, ce qui valide notre seconde hypothèse. Dans ces cas (cours de la Liberté, rue Aimé Collomb, rue Chaponnay), il s’agit de configurations qui offrent une sollicitation simultanée de plusieurs sens, parmi les plus utilisés.

Ainsi, sur le cours de la Liberté, l’utilisation d’une grille d’évacuation de l’eau pluviale qui court sur le trottoir sollicite simultanément la sensibilité tactile (vibrations de la canne) et auditive (tintement de la grille sous le passage de la canne). Cette grille constitue de fait une aide au déplacement très efficace, et très recherchée par les personnes aveugles.

Sur la rue Aimé Collomb, ce sont les modalités auditives (circulation de voitures en parallèle) et proprioceptives (abaissement de trottoirs très prononcés) qui sont combinées, favorisant le déplacement.

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Cette multi-sensorialité devrait être plus explorée dans la conception d’aménagements urbains, et constitue une piste de développement tout à fait intéressante ! Par ailleurs, il est important qu’elle sollicite préférentiellement plusieurs sens parmi les plus utilisés (audition, toucher, et proprioception en particulier), afin de permettre une déambulation en ville plus agréable et moins anxiogène.

Enfin, ces données illustrent l’intérêt et les apports — riches — que peut avoir une démarche interdisciplinaire entre psychologues et géographes, dans l’objectif de comprendre et d’améliorer l’accessibilité urbaine en faveur des personnes atteintes de déficience visuelle.

Cette première étape de notre recherche, sur le thème de la perception de l’environnement, pose les jalons pour les étapes suivantes, relatives à la représentation de l’espace et à la gestion du déplacement (vitesse de déambulation, prise de risques, etc.), dont les données sont actuellement en cours d’analyse.

Références Appleyard, D. (1970). Styles and methods of structuring a city. Environment and

behavior, 2, 100-117.

Foulke, E. (1982). Perception, cognition and the mobility of blind pedestrians. In M.E. Potegal (Ed.), Spatial Abilities : development and physiological foundations (pp.55-76). San Diego : Academic Press.

Hatwell, Y. (2003). Psychologie cognitive de la cécité précoce. Paris : Dunod

Moser, G., & Weiss, K. (2003). Espaces de vie. Aspects de la relation homme-environnement. Paris : Masson.

Portalier, S., & Vital-Durand, F. (1989). Locomotion chez les enfants mal-voyants et aveugles, Psychologie Française, 34, 1, 79-85.

Reuchlin, M. (1978), Processus vicariants et différences individuelles. Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 2, p.133-145.

Souman, J. L., Frissen, I., Sreenivasa, M. N. & Ernst, M. O. (2008). Walking in circles: the role of visual information in navigation. Perception 37 ECVP Abstract Supplement, pp. 41.

Thibaud, J.P. (2001). La méthode des parcours commentés, In M. Grosjean, & J.P. Thibaud (Ed.), L’espace urbain en méthodes (pp. 78-99). Marseille : Editions Parenthèses.

Thinus-Blanc, C., & Gaunet, F. (1997). Space representations in the blind: vision as a spatial sense ? Psychological Bulletin, 121, 20-42.

Veraart, C., & M.C. Wanet (1984). Évaluation de la direction et de la distance de repères situés dans l’espace de locomotion chez l’aveugle. Comportements, 1, 167-170.

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Aménagements, vulnérabilité et représentations :

code de la rue et déplacements urbains des aveugles

Gérard Uzan Laboratoire THIM, Université Paris 8 rue de la liberté, 93526 Saint-Denis Cedex, France [email protected] M’ballo Seck Laboratoire LPP, Université Paris 7 & Université Paris 5 45 rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France [email protected] Maryvonne Dejeammes, Catia Rennesson Certu, 9 rue Juliette Récamier, 69456 Lyon Cedex 06, France [email protected] [email protected]

Résumé – Cette communication reprend une étude initiée par le Certu et réalisée par le THIM sur « Les difficultés des personnes aveugles ou malvoyantes (PAM) sur certains cheminements en ville ». Complétant le travail de concertation, cette étude a consisté dans une première phase à identifier les difficultés des déficients visuels par rapport à des aménagements représentatifs de l’application du code de la rue, dans une deuxième, à extraire les représentations et les stratégies, dans une troisième phase à trouver des solutions adaptées. À partir de groupe de paroles, d'ateliers ambulatoires et d’entretiens avec des conseillers techniques et des instructeurs de locomotions, réalisés dans quatre villes françaises, nous avons dégagé les effets de certains de ces aménagements, sur la sécurité, la localisation et l'orientation des personnes. Le partage des rues et le remodelage de l'espace urbain, mis en oeuvre depuis quelques années déjà, modifient, pour les PAM la perception de l'environnement, la prise d'information, l'identification et la délimitation de zones, l'anticipation ou les « négociations » de passage avec les autres usagers, la construction de repères, d'amers ou de procédures de cheminement.

Mots-clés : code de la rue, ville, déficient visuel, déplacement

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Piéton : voir et être vu

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Contexte La démarche « Code de la rue » a été lancée officiellement en France en

avril 2006 par le ministre en charge des Transports. Elle vise à examiner les dispositions du Code de la route, spécifiques au milieu urbain, à mieux les faire connaître, à les faire évoluer, de façon à favoriser les déplacements des modes « doux » (piétons, cyclistes, rollers…), l’enjeu étant ici de maintenir ou d’améliorer la sécurité de déplacement de l’ensemble des usagers de la voirie urbaine. Cette démarche est pilotée par la Direction de la Sécurité et de la Circulation Routières. Le Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) anime la réflexion technique au sein d’un comité regroupant acteurs institutionnels, associations d’usagers, d’élus et de professionnels.

Dans cette démarche de concertation, la phase « recueil des attentes et propositions des associations », a clairement fait émerger que les personnes aveugles ou malvoyantes rencontraient des difficultés sur un certain nombre de cheminements en ville ; plus particulièrement lorsque existent des aménagements du type double sens cyclable dans les rues à sens unique, des pistes cyclables sur trottoir, des rues aménagées tout à niveau (sans bordure de trottoirs), des rues sans passage pour piéton, etc. (une réunion en mai 2004 au Coliac sur les plateformes tramway, 20 réunions techniques relatives à la « démarche code de la rue » de mai 2006 à juin 2009, pilotées par le Certu, réunions de la commission de normalisation des aménagements de voirie spécifiques, 3 à 4 par an depuis mi-2003, 7 réunions du groupe de travail sur la détection d'obstacles de 2007 à 2009, pilotées par le Certu).

Ainsi pour mieux connaître le ressenti, les stratégies et les besoins des personnes aveugles et malvoyantes (PAM) sur les cheminements difficiles pour elles, le Certu a confié au laboratoire THIM une étude sous forme de groupes de parole associés à des ateliers ambulatoires.

Dans le cadre d’études ou de projets de recherche antérieurs (Automoville 2002, Rampe 2005, Infomoville 2008, Danam 2008, Guide urbain 2008), le THIM a développé une analyse des besoins des PAM dans les déplacements urbains et dans les transports. Des modèles décrivant les stratégies et les effets de contexte ont mis en relief des besoins spécifiques en sécurité, localisation, orientation et information. L’objectif était de relever les difficultés, les inquiétudes, les stratégies mises en œuvre (pour contourner les problèmes), les souhaits et les suggestions de ces personnes ; l’objectif final étant de trouver, par la suite, des solutions adaptées aux dysfonctionnements identifiés. Pour le THIM, il s’agissait également de mieux comprendre les articulations entre sécurité, localisation, orientation et information.

Cadre théorique Depuis bon nombre d’années déjà, la voirie urbaine suit un processus de

transformation progressif basé sur une idée forte : celle d’un usage partagé de l’espace public urbain ; autrement dit d’un espace où tous les modes de déplacements ont droit de cité (rapport du CNT de juin 2005 Une voirie pour

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Code de la rue et déplacements urbains des aveugles

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tous). Différentes mesures et aménagements associés visent à une réappropriation de « l’espace-rue » par les modes alternatifs à la voiture, dans un souci d’amélioration de la sécurité des déplacements et de la qualité de vie en ville.

Précurseur, le « code de la rue » a été initié depuis 2002 par la Belgique (arrêté royal), réglementation entrée en vigueur le 01/01/2004, suivie par la Suisse (avril 2005).

La démarche « code de la rue » en France s’inscrit dans cette logique. Parmi les premières décisions prises le 30 juillet 2008, on trouve l’introduction dans le code de la route de :

− un principe général de prudence du plus fort vis-à-vis du plus faible ;

− le concept de « zone de rencontre » (zone à priorité piétonne, ouverte à la circulation de tous les usagers et où la vitesse est limitée à 20 km/h) ;

− le rétablissement du double-sens cyclable dans les rues à sens unique, en zones 30 et dans les potentielles « zones de rencontre » (sauf avis contraire de l’autorité de police).

Il existe depuis fort longtemps sur le terrain l’équivalent de zones de rencontre sous forme d’aire piétonne ouverte à la circulation motorisée, de même pour le double sens cyclable dans les rues à sens unique. La démarche « code de la rue » vise simplement à généraliser cette possibilité dans les zones 30 (et les zones de rencontre).

Il n’en demeure pas moins que si toutes ces mesures et aménagements associés visent un apaisement de la circulation motorisée et une plus grande mixité des usages urbains, ils ne résolvent pas et peuvent même créer certaines difficultés de déplacements pour les déficients visuels, difficultés dont il faut tenir compte.

Ainsi, la suppression possible d'éléments de voiries tels que les trottoirs (espace de sécurité piéton), de passages piétons pour traverser, la présence sur trottoir de véhicules silencieux comme les vélos sur pistes ou leur circulation à contresens sur la chaussée peuvent déstabiliser les PAM. La marche porte en elle des besoins en sécurité (éviter les chutes, chocs, conflits et collisions, adaptation en situation dégradé), en localisation (ego localisation « où suis-je ? », allo-localisation « où se trouve…(les rues, les voitures, les vélos) »), en orientation (« suis-je dans la bonne trajectoire, bonne direction, bonne destination, bon itinéraire ? », ) et en information (« qu’y-a-t’il autour de moi ? concernant là où je vais »).

Pour cela, le PAM, comme tout autre piéton, prend et exploite des percepts, des indices informationnelles et des informations en rationalité limité ou imparfaite qu’Il articule avec des règles d'usage de la voirie, apprises. Le chien guide, quant à lui, est éduqué pour jouer son rôle dans un milieu urbain appris selon des (infra) structures stables, bien codifiées et identifiables. Le danger ou la « perdition » provient le plus souvent de la confusion, de l'ambiguïté ou de l'incertitude. Dans son déplacement, le PAM utilise 3 types d'informations et agit en rationalité limitée, la base d'indices sonores, tactilo-kinesthésiques, olfactifs, utilisés pour la construction d'une représentation mentale et spatiale ponctuelle de son environnement.

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Méthodes Nous avons relevé les difficultés, les inquiétudes, les souhaits, les

suggestions à travers des groupes de paroles et des ateliers ambulatoires sur quatre villes choisies pour leur volontarisme dans le déploiement des aménagements concernés. Une cinquième ville (Lorient) a été étudiée par la suite, ses résultats ne sont pas encore rajoutés au rapport, ils n’apparaîtront donc pas ici bien qu’ils appuient les résultats obtenus sur les villes précédentes.

L’étude a été menée sur quatre sites : Grenoble, Lille, Strasbourg, Valenciennes. Des chargés d’études des CETE (Centres d’études techniques de l’équipement) ont facilité les contacts et repérage de terrain et suivi les réunions.

Pour chaque ville, nous avons réalisé : − un entretien avec les personnels des services techniques des

collectivités et les instructeurs de locomotion pour déficients visuels (ILDV) ;

− un groupe de parole réunissant les participants, PAM et les personnels précédents ;

− un atelier ambulatoire pour confronter les participants aux aménagements sur site.

Durant les groupes de parole (GP) et les ateliers ambulatoires (AA), les participants étaient incités à évoquer difficultés, facilités, micro - incidents et suggestions issues de leurs retours d’expériences et de la confrontation directe aux spécificités des sites choisis.

A travers l’évocation la plus large de difficultés génériques de déplacement dans une ville (consigne « ville facile/ville difficile »), les participants étaient amenés en entonnoir à traiter des quatre points clés qu’avaient extraits le Certu de son processus de concertation ; l’animation restant ouverte à d’autres points qui apparaîtraient importants.

Cette étude n’a donc pas pour objectif d’évaluer la mise en œuvre de ces aménagements dans les villes visitées. Elle n’a pas non plus pour objectif de s’interroger sur la conformité d’aménagements par rapport à la réglementation. Elle a pour objectif de mettre en relief les difficultés rencontrées par les aveugles et les malvoyants dans leurs déplacement lorsqu’ils sont confrontés à ces types d’aménagements quelque soit le territoire.

Les observations porteront sur ce que soulignent ces personnes comme étant des sources de risques, d’inquiétudes, de satisfactions ou de contraintes acceptables. Nous nous sommes attelés à identifier, Hiérarchiser les aménagements qui seraient susceptibles d’être source de risques, désagréments, charges, ou qui donneraient le sentiment de l’être.

Les 4 groupes de paroles ont réuni 48 sujets participants dont 30 aveugles et 18 malvoyants, 28 femmes et 20 hommes (cf. tableau 1).

Les groupes de paroles ont été animés au regard des axes d’aménagements suivants :

− le principe de vulnérabilité relative (principe de responsabilité du plus fort envers le plus faible) ;

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− la priorité aux piétons et droit de passage ; − les zones à circulation apaisée ; − le double-sens cyclable et les pistes cyclables sur trottoir ; − la présence du tramway en espace partagé ; − le déploiement de carrefours sans feux et de giratoires.

Les données recueillies ont permis d’identifier : − les difficultés, craintes, inquiétudes, souhaits par rapport aux axes

proposés ; − les propositions argumentaires, pondérées selon les points de vue ; − les arguments issus de la confrontation au terrain et composés des

verbalisations et des observations.

Les données recueillies ont donc une valeur qualitative (volonté d’exhaustivité des thèmes les plus importants pour les sujets) mais aussi quantitative (degré d’adhésion de tous aux propositions de chacun). A partir d’une série d’hypothèses (reprise et étendue dans la synthèse, les propos ont été classés par spécificité des aménagements concernés, la nature des difficultés envisagés et le besoin classé en sécurité, localisation, orientation et information ; certaines difficultés pouvant articuler simultanément plusieurs besoins.

Tableau 1. Répartition des participants par ville et par phase (groupe de parole et atelier ambulatoire)

Ville 1 Ville 2 Ville 3 Ville 4

GDP AA GDP AA GDP AA GDP AA

Hommes 4 2 6 3 2 1 8 2

Femmes 7 4 6 3 6 4 9 2

Canne 7 2 10 5 3 2 15 3

Sans canne 2 2

Chien/canne 1 2 1 1

Chien 2 2 1 1 3 2 2 1

Aveugles 5 3 7 2 5 4 12 2

Malvoyants 6 3 4 3 3 1 5 1

Très Malvoyants 1 1 1 1 1

Age moyen 51,82 48,16 35,75 37 43,87 38,34 54,17 52,25

Age max 76 63 66 66 60 53 82 63

Age min 29 29 25 25 25 25 24 35

Effectif total 11 6 12 6 8 5 17 4

A l’écoute des groupes de parole, nous avons codé les points de vue évoqués selon 5 niveaux : ignoré (non évoqué), à peine suggéré (évoqué par un et non repris par les autres), discuté (a fait l’objet d’un débat contradictoire),

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unanime (a réuni l’assentiment de tous), fortement unanime (collectivement évoqué plusieurs fois). Ces données ont ensuite été réparties selon un ensemble ouvert d’hypothèses.

De façon générale toute situation considérée comme source de risque ou de danger sera contournée. Cela se traduira par la recherche d’un autre cheminement, le recours à l’assistance humaine (autres piétons, aide associative, personne familière) et perdant ainsi leur autonomie ou encore le renoncement à certains cheminements.

Résultats Répartie en 12 catégories que sont :

− Partage de la voirie (délimitation et matérialisation des aires)

− Aménagements ou mobiliers permanents

− Définitions des priorités entre usagers

− Incivilités

− Objets ou mobiliers temporaires

− Perception et prise d'informations pour la sécurité (sec), la localisation (loc), ou l'orientation (ori) 0 1

− Signalétique implicite (non dédiée)

− Signalétique explicite (dédiée)

− Signalétique automobile

− Utilisation des transports

− Panneaux de signalisation sur trottoir à hauteur

− Absence d'assistance humaine

Nous avons pu identifier 114 items dont 66 sont évoqués pour la ville difficile, 35 concernent la sécurité, 17 la localisation 19 l’orientation et 58 items non redondants pour la ville facile dont 16 pour la sécurité, 8 pour la localisation et 7 pour l’orientation.

Selon la même approche, nous avons pu mettre en relief les inquiétudes ou non dont nous avons extrait ci-dessous les principales concernant les aménagements « code de la rue ». Dans la représentation des PAM, une des craintes est la représentation qu’ont les autres usagers des nouvelles règles du code de la rue et des risques de velléités ou de difficultés de mise en oeuvre. Pour comprendre quelles sont les propriétés utiles et les rôles joués par les chaussées, les trottoirs et les marquages au sol pour les (propriétés et rôles) retrouver en l’absence ou en cas de modification de ces derniers (chaussées, trottoirs et marquages au sol) nous conduit à essayer d’extraire ces propriétés et ces rôles dans la synthèse qui suit plus précisément en prenant les quatre (4) thèmes-support de l’étude.

A ces thèmes, deux autres (gabarit limite d’obstacle du tramway et giratoire) ont été ajoutés, compte tenus de leur émergence et de leur importance dans les groupes de parole et ateliers ambulatoires.

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Vulnérabilité − Les DV hiérarchisent correctement et facilement l’échelle de Vulnérabilité

du plus faible au plus fort et donc l’échelle de responsabilité du plus fort au plus faible (GP).

− Même s'il y a renversement de la responsabilité en droit, dans les faits, les personnes déficientes visuelles ont majoritairement le sentiment qu’elles restent exposées à un risque de collision que « l’autre (piétons, cycles ou véhicules) » est seul à gérer (GP).

− L'inquiétude de ces personnes, c'est que les plus forts ne soient pas informés de leur responsabilité ou qu'ils ne partagent pas pleinement le principe de vulnérabilité relative (GP et AA).

− Les personnes se demandent comment elles peuvent savoir qu’elles entrent, sont dans, sortent d’une zone où s’applique le principe de vulnérabilité et donc peuvent se trouver sans le savoir dans des zones ou ce principe ne s’applique plus (GP et AA).

− Si elles intègrent bien le principe de vulnérabilité, elles pensent que d’autres usagers tels que les cyclistes peuvent moins bien le faire et préfèrent donc des zones distribuées et physiquement délimités que partagées (GP et AA).

Zone apaisée ; zone de rencontre (piétonne, 30…) − Les DV ressentent et manifestent l'insécurité par absence de trottoir

délimité (GP et AA).

− Les DV ressentent et manifestent des difficultés plus grandes de localisation et d'orientation par insuffisances d'obstacles repères ou de signalétique au sol (GP et AA).

− Les DV manifestent une difficulté de construction de l’espace et de localisation des rues, des bâtiments, des objets et des mobiliers urbains (effet similaire au jeu Colin Maillard) (GP et AA)

− L’association de surfaces planes et de délimitation par des potelets ne facilitent pas la construction d’une représentation de l’espace à proximité et donc l’anticipation nécessaire au déplacement (AA).

− L’exploitation d’une différenciation podotactile et/ou visuelle devrait pour être efficace s’appliquer à 3 niveaux :

− Le respect d’une constance de propriétés tactiles et visuelles pour de même zones ou limites de zones dans une même agglomération ou mieux encore sur l’ensemble des communes ;

− Un contraste de confort (sens ergonomique : n’entraînant pas de fatigue) et non un contraste au seuil de sensibilité perceptive ;

− La variété des revêtements (pavés, galets, grès…) devrait associer des fonctions de repérages ou de guidage à celle d’une esthétique minérale actuellement dominante.

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Zone cyclable et contre-sens cyclable − Pour les malvoyants sans canne, les cyclistes peuvent projeter qu'ils sont

vus et donc reporter la gestion du risque de collision sur le piéton (GP).

− Dans une situation de piste cyclable inversée par rapport aux voitures, l’attention du déficient visuel qui traverse peut être orientée par tropisme sonore sur les automobiles et leurs moteurs en masquant les cyclistes arrivant sur leur gauche (GP et AA).

− Pour les DV, les cyclistes sont souvent représentés comme des personnes passe-partout faisant preuve d'imprudence et cherchant en plus à maintenir leur élan aux dépens parfois de la sécurité des autres (GP).

− Les cyclistes n’ont pas d’enseignement du code de la route et peuvent avoir tous les âges, être plus ou moins expérimentés dans la conduite urbaine et ne se préoccupent pas suffisamment des risques de collision (GP).

− Les pistes cyclables sur le trottoir non matérialisées par un rebord et une ligne continue contrastée visuellement mettent en insécurité (GP et AA).

− Toutes les délimitations par plot et a fortiori à faible hauteur constituent une source potentielle de risque de chutes ou de chocs (GP et AA).

− Les marquages de couleur des pistes cyclables peuvent être interprétés par le chien guide comme un « rail » de guidage (AA)

Priorité du piéton à la traversée (droit au passage) − Le fait de pouvoir traverser partout contraint tout individu à saisir le

contexte spatial et temporel de sa situation à l'instant où il souhaite traverser, ce qui est difficile pour un aveugle (GP et AA).

− L'absence de zone spécifique de traversée et la possibilité de traverser partout « contractualise » la gestion du risque de collision entre les individus. Cela implique une négociation silencieuse d’anticipation visuelle réciproque des comportements (GP).

− La suppression des marquages de traversées et de délimitations de zones désorientent les chiens guides qui les utilisent comme rail de traversée ou de jalonnement. Ils (chiens) peuvent se trouver en injonction paradoxale (devoir traverser sans jamais trouver où) (AA).

− Les aménagements innovants parfois utilisés pour ralentir les véhicules ou pour en donner une plasticité rendent la construction mentale de la situation impossible pour les aveugles (GP et AA).

Tramway La combinaison de la présence du tramway dans les zones apaisées et

partagées sans délimitation ou matérialisation au sol du gabarit limite d’obstacle (GLO), l’insécurité (risque de collision) qu’elle soit réelle ou ressentie produit un « mal être » qui induit des stratégies de contournement des lieux ou de présence uniquement assisté.

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Rond point dont la circulation giratoire est prioritaire En l’absence de feux, ces ronds points induisant pour les véhicules une

accélération en sortie de celles-ci, rendent difficile la traversée pour les personnes déficientes visuelles qui la ressente comme une prise de risque.

Illustrations extraites de l’atelier ambulatoire

Figure 1. Large abaissé de trottoir et piste cyclable au même niveau

« Là, on traverse des rues et la ville est vraiment toute plate… Cette ville est très accessible pour les fauteuils roulants mais très compliquée pour les aveugles. » (Remarque de l'instructrice de locomotion)

Figure 2. Zones apaisées, rencontres, 30

Savez vous qu'on vient de faire une traversée ? « Non je savais pas et moi non plus »

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Figure 3. Pistes cyclables et doubles sens cyclables

Le chien prolonge les bandes blanches de traversée par la bande verte de piste cyclable en entraînant l'aveugle sur la piste cyclable et donc à 90° du chemin initialement prévu. Une large discuss ion s'engage pour savoir d'où doivent venir les cyclistes de la gauche ou de la droite. Pour les conducteurs la partie piste cyclable est prise pour un céder le passage, c'est donc un carrefour dangereux parce que les priorités sont difficiles à définir rapidement pour tous. Un vélo en double sens cyclable, est passé alors que tout le monde était orienté vers les véhicules dans l'autre sens, orientation induite par les bruits de moteurs. Le chien prend la piste cyclable comme guide.

Discussion Cette étude a permis de souligner d’une part, les percepts (sonores,

podotactiles) et les informations exploitées par les PAM pour leurs déplacements et les stratégies associées mis en œuvre (sécurité, localisation, orientation et information de contexte) et d’autre part, les difficultés rencontrées par rapport à certains aménagements existants (sentiment/réalité de prise de risque, perte de repères/guidages, représentation mentale appauvrie ou erronée).

Dans leurs mobilités urbaines, les personnes déficientes visuelles adoptent des stratégies adaptées à une infrastructure qu’elles ont pris l’habitude d’utiliser : cadre bâti, trottoir, chaussée, passage piéton, feux tricolores…

Nous avons pu évaluer les craintes manifestées lors des groupes de parole et observer la réalité de celles-ci, leurs atténuations ou leurs amplifications lors de l’atelier ambulatoire. Les cinq éléments - gestion du risque de collision, effet dalle avec aplanissement et homogénéisation podoctactile des matériaux, existence d’éléments saillants ponctuels sans valeur informative, suppression de la signalétique de traversée, espace occupé par le tramway lors de son passage, mal ou non matérialisé (gabarit limite d’obstacle, GLO) – ont paru être les composantes essentielles des craintes ou des difficultés exposées. En effet, ces cinq éléments produisent conjointement des effets d’incertitudes, d’insécurité, de difficultés à se représenter l’espace et à s’orienter.

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En élargissant visuellement et pragmatiquement l’espace, il est apparu que les nouvelles organisations de la voirie, introduites depuis quelques années, produisent un appauvrissement de l’information nécessaire à l’identification et à la représentation des lieux, à l’orientation en termes de trajectoire et de parcours.

Afin de répondre aux objectifs du « code de la rue », des recommandations pour les déplacements des PAM sont proposés ici qui visent à veiller à la sécurité, (ré)enrichir la prise d’information pour la localisation et l’information d’activités, enfin établir des stratégies d’orientation.

Des recommandations techniques devraient être rapidement élaborées et diffusées pour discriminer les surfaces dévolues aux piétons (en dehors des aires piétonnes) des surfaces où circulent les véhicules. Dans des aménagements où dominent des composants statiques et minéraux, il faudrait rechercher une meilleure valorisation des matériaux de revêtement afin qu’ils soient porteurs d'informations ou facilitateurs dans l'orientation et/ou la représentation mentale de l'espace urbain et de sa distribution. Enfin, l'exploitation des technologies de l'information et de la communication (TIC) au déploiement encore embryonnaire d'équipements combinant affichages visuels et diffusions sonores instanciées pourrait être un vecteur de ré-enrichissement de l'information et tout particulièrement d'informations de sécurité ou « logistique ».

Références CNT (juin 2005). Une voirie pour tous : sécurité et cohabitation sur la voie

publique au-delà des conflits d’usage, rapport.

Arrêté royal du 1er décembre 1975 portant Règlement général sur la Police de la circulation routière et de l’usage de la voie publique. Belgique (M.B. du 9-12-1975, A.R. 4.4.2003, art. 1er ; entrée en vigueur : 1.1.2004).

Certu (1992). Guide zone 30 - Méthodologie et recommandations. Lyon.

Michaud V. (2006) Pour l’ajout d’un « code de la rue » à notre code de la route. Club des villes cyclables, Paris.

Commission des communautés européennes, Bruxelles (octobre 2007). Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à la protection des piétons et autres usagers vulnérables de la route: sec 2007, 1244 et 1245.

Lagache, E. (2005). « Vous avez dit: « zone 30... » et les chiens guides, alors ?... » Le magazine des chiens guides d'aveugles, juin, pp 10-13.

Propositions des associations pour le code de la rue, concernant particulièrement les piétons (dont personnes handicapées et plus largement PMR). 24 08 2006, Coliac, Paris.

The Guide Dogs for the Blind Association (2006). Shared Surface Street Design Research Project the Issues: Report of Focus Groups. Hillfields, Burghfield Common, Reading RG7 3YG.

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Peigné, H. (2004). Une voirie pour tous, Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d'usage. Restitution des travaux du groupe « partage de la voirie ». CNT, Paris

Schmoeker, J., Qudds, M., Noland, R., Bell, M. (2005). Estimating Trip Generation of Elderly and Disabled People: Analysis of London data Transportation Research.

Uzan G., Seck M. (2008). Difficultés des personnes aveugles et mal-voyantes sur certains cheminements en ville: analyse des besoins et recommandations. Rapport de recherche pour le Certu.

Wolff M., Cabon P., Uzan G., Nelson J., Couix S. (oct. 2006). Déplacement urbain de personnes non-voyantes: étude multi-factorielle des difficultés et apport d'une nouvelle interface pour le recueil des données, Ergo-IA 11-13. Biarritz.

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Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier

Vincent Boucher, Fabrice Fournela, Florian Greffier Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d’Angers 23 avenue de l’Amiral Chauvin, 49136 Les Ponts de Cé Cedex, France [email protected] Sandrine Gaymard, Victor Nzobounsana, Thibaud Agbotsoka Université d’Angers, Laboratoire de Psychologie Processus de Pensée et Interventions (PPI) UPRES EA2646, Université d’Angers 11 boulevard Lavoisier, 49045 Angers Cedex 01 [email protected]

Résumé – Cet article présente les résultats obtenus dans le cadre d’une étude exploratoire visant à déterminer la « visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier »26. Nous nous intéressons à la perception physique et psychosociale du piéton à partir de films issus de scènes routières et visualisés par des conducteurs. Des mesures physiques ont été combinées à une analyse d’entretiens. Nous avons utilisé l’analyse des corrélations canoniques robuste pour étudier le lien entre les deux groupes de données et leurs proximités avec les films. Les résultats montrent qu’il existe une corrélation significative mais, dans la représentation graphique, le « piéton physique » (en termes de saillance) n’est pas proche du «piéton psychosocial» rappelant que le discours des usagers intègre d’autres types de variables (attentes, émotions, motivations).

Mots-clés : perception physique et psychologique, conducteur, piéton, analyse des corrélations canoniques robuste

Contexte de l’étude et ressources mobilisées Bien que le nombre de morts ait fortement diminué sur les routes françaises,

les statistiques 2008 montrent une forte augmentation des accidents impliquant des piétons, notamment en région parisienne (+37,8 %). C’est pourquoi la Fondation Sécurité Routière a défini cette problématique comme un des axes prioritaires de recherche.

Dans le cadre de ses actions de sécurité routière, l’équipe Vision du Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d’Angers (LRPCA) s’intéresse depuis de nombreuses années à la visibilité des objets constituant

26 Titre du projet financé par la Fondation Sécurité Routière.

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l’environnement routier. En effet, la vision est le premier sens mobilisé par l’automobiliste pour conduire son véhicule. Il semble donc primordial de caractériser l’environnement visuel du conducteur afin de mettre en place des stratégies et des recommandations cohérentes en matière de sécurité routière.

Le LRPCA s’attache ainsi à examiner les interactions visuelles entre les objets composant l’environnement routier et le comportement du conducteur. Certains de ces objets, comme les signalisations horizontales (marquages) et verticales (panneaux), vont participer à la réalisation du parcours, à la définition et l’anticipation des trajectoires. D’autres objets seront des éléments perturbateurs et/ou de cohabitation dans l’espace routier (autres véhicules motorisés, cyclistes, piétons). Dans ce cadre, le piéton est un « objet » tout particulier, non seulement par sa fréquence d’apparition dans la tâche de conduite et le nombre d’interactions qu’il suscite avec le conducteur mais également par sa vulnérabilité. La perception du piéton est donc une thématique de recherche à part entière du LRPCA.

Le laboratoire de psychologie de l’université d’Angers s’intéresse aux aspects représentationnels et normatifs de la conduite. Dans le champ de la psychologie sociale, les recherches menées entre 2003 et 2006 auprès de différents groupes d’usagers, ont porté sur la perception des normes et les conditions d’applications de celles-ci. Ces travaux mettent l’accent sur deux systèmes de normes, le système de normes légales (code de la route) et le système de normes sociales. La logique des usagers s’intègre dans le système de normes sociales dont le fonctionnement est avant tout conditionnel (Gaymard, 2007, 2009).

Ainsi, dans le cadre du projet VIPPER (Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier) financé par la Fondation sécurité routière, le LRPCA s’est associé au Laboratoire de psychologie de l’université d’Angers pour étudier précisément les mécanismes en compétition dans la perception du piéton par le conducteur (Boucher & Gaymard, 2009). Cette notion de compétition dans l’approche choisie, s’appuie sur le fait que le piéton est une entité indissociable de l’environnement dans lequel il évolue, sous le regard ou non du conducteur. Bien plus qu’une simple mesure physique (luminance, couleurs, contraste, saillance, etc.), la perception du piéton s’intègre dans une problématique psychosociale qui va influencer la prise en compte de celui-ci dans la tâche de conduite. Les études menées ont ainsi pour but de construire un modèle de perception du piéton intégrant des paramètres physiques et des données psychosociales, en considérant les interactions et la hiérarchisation de ces informations dans le processus de perception.

Méthodologie et population S’agissant d’évaluer la perception physique et la visibilité psychosociale des

piétons dans l’environnement routier, différents outils sont sollicités. Le premier d’entre eux, développé au LRPCA, est le système « Cyclope » qui est un véhicule équipé d’un « œil électronique » (Boucher, Greffier & Fournela, 2008). L’architecture de Cyclope est basée sur une caméra numérique disposant de propriétés proches de celles de l’œil humain en termes de sensibilité spectrale.

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Elle est placée dans l’axe de vision du conducteur, à bord du véhicule, et permet d’enregistrer des images photométriques (mesures de luminance) et colorimétriques (mesures de chrominance). Les luminances et les chrominances étant les grandeurs physiques auxquelles est sensible l’œil humain, Cyclope permet donc d’enregistrer des images étroitement représentatives de la perception visuelle du conducteur. Ces images servent ensuite à alimenter des modèles de description des images. Ce sont alors les outils d’interprétation des informations physiques qui rentrent en jeu. Deux modèles sont principalement utilisés au LRPCA. Le premier est un modèle basé sur l’évaluation du contraste en luminance d’un objet sur son fond (Adrian, 1989). Il permet de calculer le niveau de visibilité d’un objet et d’en déduire la probabilité qu’a cet objet d’être vu par le conducteur. Le second est un modèle de saillance attentionnelle qui permet d’évaluer la capacité d’un objet à attirer le regard du conducteur. Il est basé sur les travaux qui traitent de la saillance ascendante (ou « bottom-up ») (Brémond & Deugnier, 2006 ; Itti, Koch, & Niebur, 1998). Partant des résultats fournis par ce modèle, le LRPCA s’efforce de l’adapter à la tâche particulière de conduite. Les contraintes identifiées nécessitant l’adaptation du modèle sont le caractère dynamique de la tâche d’observation et la variation de l’étendue du champ de vision du conducteur. Pour tenir compte de ces aspects, le LRPCA a adjoint au modèle un facteur correctif basé sur des données de flot optique (Horn & Schunk, 1981). Cette première adaptation permet de prendre en compte le caractère dynamique de la perception d’un conducteur, que ce soit sa propre dynamique (véhicule en mouvement), mais également celle des objets dans l’environnement routier (autres véhicules, piétons, etc.). C’est ce modèle de saillance ascendante qui a été utilisé dans les résultats présentés ici.

Cependant, ce piéton évolue dans un environnement particulier, parmi d’autres objets susceptibles d’avoir un impact sur l’attention du conducteur. Ainsi, la visibilité intrinsèque du piéton doit être examinée en prenant en considération la complexité de la scène dans laquelle il évolue et le contexte psychosocial dans lequel se trouve le conducteur. D’autres outils doivent donc être utilisés afin d’enrichir la compréhension de l’objet « piéton ». Dans le champ d’étude des représentations sociales, la diversité des approches méthodologiques nous permet d’appréhender la complexité des situations sociales. L’étude du discours des usagers de la route peut mettre en exergue les sentiments et les ressentis du conducteur confronté à une situation interactive spécifique ; c’est ici que réside la visibilité psychosociale.

La méthodologie expérimentale mise en place afin de trouver des liens entre saillance ascendante et visibilité psychosociale a reposé sur l’audition de conducteurs auxquels ont été présentées des séquences vidéo enregistrées avec Cyclope. Ces séquences ont été choisies pour offrir une certaine représentativité de situations routières contenant des piétons et auxquelles les conducteurs sont confrontés quasi quotidiennement (conduite en ville, zones de travaux, abords d’une gare, sortie d’école, etc.). Onze conducteurs parisiens (5 jeunes et 6 expérimentés) recrutés par annonce électronique ont ainsi été auditionnés au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées de Paris. Les séquences ont été projetées dans une salle noire équipée d’un projecteur et d’un écran calibré permettant d’immerger le sujet dans des conditions

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Piéton : voir et être vu

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représentatives de la conduite. Dix scènes routières étaient visualisées par les sujets durant la passation (temps global de passation : environ 12mn). Afin de recueillir le ressenti des conducteurs devant les scènes face aux conditions de circulation présentes, nous avons enregistré leurs propos. Pour chacune de ces scènes, ils répondaient à une consigne spécifique : « Vous allez voir une scène routière, nous vous demandons de vous concentrer car vous ne la verrez qu’une fois. Que retenez-vous de cette scène, qu’est ce qu’elle vous inspire et pourquoi ?…». Leurs réponses ont ensuite été retranscrites afin de permettre une catégorisation du discours (sentiment de dangerosité, de vigilance, sentiment que les usagers/la signalisation sont adaptés (légitimes) ou inadaptés (illégitimes) etc.).

Le protocole de traitement en saillance visuelle des films a consisté, dans un premier temps, à extraire de chaque film une image par ½ seconde. Puis chaque image extraite est passée au filtre du modèle de saillance. Nous obtenons ainsi une série d’objets identifiés par le modèle comme saillants. Nous avons choisi de ne retenir que 5 objets par images. Ensuite, chaque objet est répertorié en fonction de sa catégorie : Piéton, vélo, véhicules, signalisation, autre.

Nous avons d’abord effectué une analyse sur les variables physiques, puis sur les variables psychosociales pour proposer ensuite d’examiner les corrélations canoniques robustes (Hotteling, 1936 ; Leurgans, Moyeed & Silverman, 1993 ; Vinod, 1976)27 entre les deux groupes de mesures. Cette méthode a été initialement proposée par Hotteling en 1936 et intitulée « Analyse des corrélations canoniques simple ». Il s’avère que cette méthode pose des problèmes de stabilité numérique (lorsque les variables sont très corrélées dans un groupe, la méthode n’offre pas de bons résultats numériques). D’où l’utilisation d’une version modifiée appelée « Analyse des corrélations canoniques robuste » (ACCR) (Vinod, 1976) qui consiste à remplacer les matrices de corrélations initiales par des matrices de corrélations robustes afin de rendre stables les résultats numériques. Avec cette méthode, nous voulons d’une part, mesurer et caractériser les liaisons linéaires qui existent entre les deux groupes de données (physiques et psychosociales) et d’autre part, mettre en évidence la proximité qu’il y a entre les deux groupes de données et les films.

Résultats Analyse physique des films

Nous avons fait une analyse factorielle des correspondances (AFC) (Benzecri, 1980, 1992) du tableau de contingences croisant la variable « cibles vues » avec la variable « films ». Le lecteur pourra trouver en annexe une courte description du contenu de chacun des films.

Les cibles « saillantes » (pointées par le modèle de saillance puis précisées de façon sémantique manuellement) sont de 9 types :

27 Nous avons utilisé le logiciel R qui est la version gratuite du logiciel S+ (version commercialisée) (Becker, Chambers & Wilks, 1988).

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Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier

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Piétons sur le trottoir Piétons sur la chaussée Vélos légitimes

Vélos illégitimes Voitures en circulation Voitures en stationnement légitime

Voitures en stationnement illégitime

Signalisation permanente (panneau directionnel)

Signalisation temporaire / travaux

Dans les analyses, chaque cible « saillante » est considérée comme une variable. La classification légitime/illégitime s’appuie sur le respect des règles du code de la route.

Les résultats obtenus à l’aide de l’AFC du tableau des données croisant les cibles « saillantes » et les 10 films montrent qu’il y a un lien entre les 2 variables (χ2 = 1033,64 ; ddl = 72 ; P < 0,001). La carte factorielle (figure 1, axe 1 = 35,25 % d’inertie ; axe 2 = 23,96 %) présente un regroupement des films et des cibles en 3 classes homogènes :

− Classe 1 : signalisation permanente et voitures en circulation sont associées aux films 2, 5, et 6 ;

− Classe 2 : signalisation temporaire, piétons sur la chaussée et vélos légitimes sont associés aux films 1, 3, 4 et 7 ;

− Classe 3 : piétons sur le trottoir, vélos illégitimes, voitures en stationnement (légitime/illégitime) sont associés aux films 8, 9 et 10.

Figure 1. Analyse factorielle sur les variables physiques

Analyse psychosociale des films Nous avons fait une analyse factorielle des correspondances du tableau de

contingences croisant la variable « psychosociale » et la variable « films ». A partir de la retranscription des impressions et ressentis des sujets exprimés en

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Piéton : voir et être vu

312 © Les collections de l’INRETS

visionnant les films nous avons isolé 14 thématiques renvoyant à des variables psychosociales qui ont été centrées réduites et à partir desquelles nous avons calculé des fréquences :

Légitimité du piéton Non légitimité du piéton Légitimité des voitures

Non légitimité des voitures Non légitimité des vélos Approbation à l’égard du conducteur

Vigilance Sentiment neutre Enervement

Courtoisie Vitesse excessive Dangerosité

Sentiment d’encombrement Signalisation non légitime

La variable légitime/non légitime renvoie à la perception que les sujets ont sur un positionnement ou un comportement adapté ou inadapté.

Les résultats obtenus à l’aide de l’AFC montrent qu’il y a un lien entre les 2 variables (χ2 = 148,8 ; ddl = 117 ; p < 0,001). La carte factorielle (Figure 2, axe 1 = 29,29 % d’inertie ; axe 2 = 25,75 %) présente un regroupement des films et des variables psychosociales en 3 classes homogènes :

− Classe 1 : l’approbation à l’égard du conducteur, la courtoisie, l’insensibilité, la vigilance et la perception légitime du piéton sont associés aux films 1, 3, 6 et 10 ;

− Classe 2 : la dangerosité, la non légitimité du piéton, la non légitimité de la signalisation, l’énervement, la vitesse excessive et la non légitimité du conducteur sont associés aux films 2, 4, 5, 7 et 8 ;

− Classe 3 : les sentiments d’encombrement, de non légitimité des voitures et des vélos sont associés au film 9.

Analyse des corrélations canoniques entre les variables physiques et les variables psychosociales

Afin d’analyser les relations entre les 2 groupes : variables physiques et variables psychosociales, nous avons effectué une analyse des corrélations canoniques robuste (ACCR). Cette analyse a révélé une bonne corrélation entre les deux types de variables (les 4 premières corrélations canoniques sont supérieures à 0,9).

La carte factorielle obtenue à partir du deuxième plan factoriel (axe 1 et axe 3, figure 3) permet de dégager quatre groupes de descripteurs, chacun associé à un groupe de films.

Le premier groupe comprenant les films 4, 5 et 8, fait apparaître un lien entre les variables psychosociales » non légitimité du conducteur », « non légitimité de la signalisation », et la variable physique « piétons sur la chaussée ». Quand la saillance met l’accent sur les piétons qui traversent (essentiellement sur les passages protégés), le regard psychosocial relève l’inadaptation de la signalisation et critique le conducteur.

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Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier

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Figure 2. Analyse factorielle des variables psychosociales

Figure 3. Analyse des corrélations canoniques robuste

Le deuxième groupe comprenant le film 6 comporte uniquement les variables

psychosociales « piéton légitime », « sentiment neutre », « courtoisie » et « approbation à l’égard du conducteur ». Dans un environnement clair avec des ressentis positifs, il n’y a pas d’élément physique corrélé. Le troisième groupe

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Piéton : voir et être vu

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rassemble les films 1, 3, 9 et 10 et montre que les variables psycho-sociales » encombrement», « non légitimité des voitures », « non légitimité du vélo » et « vigilance » sont bien corrélées avec les variables physiques « voitures en stationnement » (légitime et illégitime), « voitures en circulation » et « vélos illégitimes ». Un environnement complexe est corrélé avec des ressentis négatifs (sentiment d’encombrement, de vigilance). Le dernier groupe qui rassemble les films 7 et 2 (ce dernier ayant une contribution moindre) montre un lien entre les variables psychosociales « non légitimité du piéton », « vitesse excessive » et « dangerosité » et la variable physique « signalisation temporaire ». Ces quatre groupes renvoient ainsi à la perception d’un sentiment d’insécurité et de dangerosité quand le conducteur est confronté à un environnement complexe et encombré (groupes 1, 3 et 4) et à la perception d’un sentiment de sécurité quand l’environnement est dégagé, que le piéton est sur le passage protégé et qu’il est courtois (groupe 2).

Les réponses des sujets indiquent que le piéton est considéré différemment suivant la complexité de l’environnement routier auquel est soumis le conducteur. Ainsi, dans une scène fortement encombrée visuellement, les piétons sont intégrés dans un environnement associé au danger. L’information « piéton » s’inscrit parmi une multitude d’autres stimuli qui doivent également être traités. Le nombre d’informations soumis semble orienter les conducteurs vers la sécurité immédiate. Dans une scène dégagée, la perception du piéton prend une dimension véritablement sociale. L’attention du conducteur peut se focaliser sur lui et ses caractéristiques, et il s’intéresse alors de près à son comportement et ses attitudes.

Conclusion A partir des différents films sélectionnés et proposés dans cette étude, nous

nous intéressons à la perception physique et psychosociale du piéton. Nous observons une corrélation élevée entre les données physiques et les données psychosociales. Du point de vue de la proximité, nous constatons que l’objet « piéton » apparaît soit avec les mesures de saillance soit dans le discours et le ressenti des conducteurs mais pas simultanément. Ainsi, nous avons une bonne corrélation, mais force est de constater que lorsque le piéton ressort comme saillant, le discours des usagers se focalise sur l’environnement routier et d’autres éléments de la scène. Inversement, lorsque les conducteurs évoquent dans leurs discours le piéton dans un environnement adapté (légitime) ou pas (non légitime), ce n’est pas un élément prépondérant de la scène du point de vue de la saillance. Ce n’est pas le cas des autres cibles comme la voiture ou le vélo qui ressortent simultanément comme saillants et dans le discours des usagers. Nous attribuons la différence concernant le traitement des cibles à leur signification dans l’interaction. En effet, il est clair que les attitudes et les comportements des piétons comparativement aux autres cibles suscitent plus de réactions émotionnelles chez les conducteurs ; cette richesse ne pouvant pas se traduire en caractéristiques physiques. Ainsi, Gaymard, Agbotsoka et Nzobounsana (2009) mettent en évidence la composante émotionnelle des représentations sociales dans des situations d’interactions spécifiques conducteurs/piétons : le piéton est susceptible d’accentuer l’agressivité du conducteur ou de générer des sentiments positifs s’il est courtois.

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Visibilité psychophysique des piétons dans l’environnement routier

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Nous constatons que le ressenti à l’égard des piétons est fortement dépendant de l’environnement routier (zone piétonne, encombrée ou dégagée). Or, cet aspect de complexité n’est pas pris en compte aujourd’hui dans les variables physiques. Nous nous attacherons donc par la suite à définir un indice de complexité d’une scène prenant en compte la multiplicité des objets faisant partie de l’environnement.

Compte tenu du faible échantillon de sujets auditionnés et de scènes proposées, il apparaît important de valider ces premiers résultats en élargissant le champ d’étude (plus de sujets, plus de scénarii).

Références Adrian, W. (1989). Visibility of targets : Model for calculation. Lighting research

and technologies.

Becker, R. A., Chambers, J. M., & Wilks, A. R. (1988). The New S Language. Wadsworth & Brooks/Cole.

Benzecri, J.-P. (1980). L'analyse des données tome 2 : l'analyse des correspondances, Paris : Bordas

Benzecri, J.-P. (1992). Correspondence Analysis Handbook, New-York : Dekker.

Boucher, V., Greffier, F., & Fournela, F. (2008). High speed acquisition system of photo-colorimetric images to record and to model the human vision signal. Proceedings of SPIE Optics + photonics, paper 7073-67, San Diego, USA.

Boucher, V., & Gaymard, S. (2009). Visibilité et représentation sociale : comment prévenir la vulnérabilité du piéton ? Communication orale présentée lors de la journée d’étude « Sécurité routière : Education et Prévention ». CPER10, Université d’Angers, MSH, Laboratoire de psychologie.

Brémond, R., & Deugnier, M. (2006). Saliency of road signs in urban areas, Actes du congrès Vision in Vehicles, Dublin.

Gaymard, S. (2007). La représentation de la conduite chez des jeunes conducteurs: Une étude de la conditionnalité routière. Recherche Transports Sécurité, 97, 339-359.

Gaymard, S. (2009). Norms in social representations : two studies with french young drivers. European Journal of Psychology Applied to Legal Context, 1(2), 165-181.

Gaymard, S., Agbotsoka, T., & Nsobounsana, V. (2009). La représentation des interactions conducteurs/piétons : une approche des émotions. Actes du Colloque ADRIPS 2009 : Journées thématiques « Emotions en psychologie sociale ». Université Paris Ouest Nanterre La Défense.

Greenacre, M.J. (1993) Correspondence Analysis in Practice. London : Academic Press.

Horn, B. & Schunk, B. (1981). Determining optical flow. Artificial Intelligence, Vol. 17, 185-201.

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Piéton : voir et être vu

316 © Les collections de l’INRETS

Hotelling H. (1936). Relations between two sets of variables. Biometrika, 28, 321–327.

Itti, L., Koch, C., & Niebur, E. (1998). A Model of Saliency-Based Visual Attention for Rapid Scene Analysis. IEEE Transactions on Pattern Analysis and Machine Intelligence, 20(11), 1254-1259.

Leurgans, S.E., Moyeed, R.A. & Silverman, D.W. (1993), Canonical correlation analysis when the data are curves. Journal of Royal Statistical Society : Series B, 55,725-740.

Vinod, H.D. (1976), Canonical ridge and econometrics of joined production. Journal of Econometrics, 6, 129-137.

Annexe : lexique des films Film 1 : le conducteur suit un vélo et une voiture dans une rue encombrée

avec des travaux, des voitures stationnées sur le trottoir, quelques piétons se promènent sur les trottoirs et l’un d’entre eux traverse au milieu de la chaussée.

Film 2 : le conducteur est dans un espace dégagé et aborde un rond point. Un vélo y circule. La scène présente quelques voitures dont une est en stationnement dans une voie de bus. Un piéton traverse le rond point.

Film 3 : le conducteur est dans une rue encombrée (voitures en stationnement, zone de travaux, camion en stationnement gênant, multiples piétons dont un en gilet fluo).

Film 4 : le conducteur est arrêté devant un passage piéton avec un panneau interdiction de stationner en plein milieu de la route. Plusieurs piétons traversent sur le passage, l’un d’eux marche à côté de son vélo, un autre piéton s’y arrête pour discuter.

Film 5 : le conducteur s’engage dans un rond point où circulent une voiture et un camion. Un piéton traverse alors dans un angle mort, puis s’excuse. Un camion de pompier démarre ensuite devant le véhicule du conducteur.

Film 6 : le conducteur suit une voiture puis s’arrête devant un passage protégé dans un espace dégagé pour laisser traverser une dame âgée qui remercie d’un geste de la main.

Film 7 : le conducteur se trouve dans une zone surchargée de travaux. Deux piétons s’engagent sans vraiment regarder et un véhicule sort de la droite et s’engage.

Film 8 : le conducteur s’arrête dans une zone piétonne où deux véhicules sont garés (stationnement illégitime) et où déambulent de nombreux piétons et un vélo.

Film 9 : le conducteur suit une voiture et s’engage dans une rue encombrée avec des véhicules mal garés, une sortie d’école avec de nombreux enfants et un jeune cycliste à contresens.

Film 10 : ce film se déroule dans la continuité du film 9. Il n’y a cependant ni voiture mal garée ni vélo.

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Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton

Mohamed Meskali, Claudine Nachtergaële, Catherine Berthelon INRETS, Département mécanismes d’accidents Chemin de la Croix-Blanche, 13300 Salon de Provence, France [email protected]

Résumé – Afin de lutter contre la sur implication des jeunes conducteurs dans les accidents, la France a mis en place une possibilité de conduire à partir de 16 ans, accompagné d'un adulte. Afin d'estimer si cet apprentissage précoce permettait aux conducteurs novices d'adopter un comportement plus proche de celui des conducteurs expérimentés que celui des conducteurs novices ayant suivi un apprentissage traditionnel à la conduite, nous avons confronté ces trois groupes de conducteurs à une simulation de scénario d'accident. Ce scénario impliquait un piéton, usager considéré comme particulièrement vulnérable, et reproduisait une situation prototypique d'accident. Les résultats obtenus permettent une analyse fine des statégies adoptées et mettent en évidence quelques comportements différenciés en fonction de l'expérience de conduite. Des scénarios de ce type pourraient être utilisés dans le cadre de l'apprentissage à la conduite afin que les conducteurs novices soient confrontés à une gamme de situation rarement rencontrée au cours de l'apprentissage lui même. Un autre aspect opérationnel de la mise en image de ce type de situations serait de sensibiliser les piétons aux risques pris lors de traversée de voiries urbaines lorsqu'ils sont susceptibles de ne pas être vus par les autres usagers.

Mots-clés : simulateur de conduite, expérience, scénario urbain

Introduction Les piétons constituent une classe d'usagers particulièrement vulnérables

en termes d’accidentologie. La France compte, en 2007, 16 % d’accidents corporels et 11 % d'accidents mortels impliquant un piéton et un véhicule motorisé (augmentation de 4,9 % par rapport à 2006). Ces accidents ont généralement lieu en milieu urbain ce qui souligne les problèmes posés par le partage d'un même espace par divers type d'usagers.

Par ailleurs, l’interaction entre usagers est souvent complexe, difficile à gérer par les jeunes conducteurs. Dans cette population, le risque élevé d'implication dans un accident est affecté par nombre de facteurs : prise de risque, consommation d’alcool, distraction, fatigue, etc. (Ferguson, 2003 ; Hedlund et al.,

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Piéton : voir et être vu

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2006 ; Underwood, 2007 ; Turner et al., 2004). Il est toutefois démontré que les compétences de conduite s’améliorent avec l’âge et la pratique, ce qui confère aux conducteurs expérimentés une meilleure capacité à gérer des situations inattendues. Cette capacité de gestion implique un traitement cognitif élaboré avec une amélioration de la perception de l’environnement (Leung et Starmer, 2005 ; Underwood et al., 2003), de la prise d’information visuelle (Berthelon et al., 1995 ; Deery, 1999 ; Underwood, 2007) et de la coordination motrice (Ranney, 1994). D’autres facteurs peuvent aussi influencer le comportement des conducteurs débutants, tels le manque de mise en œuvre d’opérations mentales complexes (Higelé et Hernja, 2008) et le sexe (Monárrez-Espino et al., 2006). L’impact de l’entraînement et de la pratique sur leur comportement a par ailleurs été largement établi (Chapman et al. 2002 ; Fisher et al., 2002 ; Hall et West, 1996 ; Mayhew et al., 2003).

Afin de limiter l'implication des jeunes conducteurs dans les accidents, en 1988, la France a mis en place un programme officiel d’apprentissage anticipé à la conduite (AAC). Après une formation en auto école et l'obtention de l'examen théorique relatif au code de la route, les apprentis sont autorisés à conduire dès l'âge de 16 ans sous la supervision d'un adule. Un minimum de 3000 km parcourus et de 18 ans permet de passer l’examen pratique nécessaire à l'obtention du permis de conduire définitif. La pratique supplémentaire sous tendue par cette formation anticipée pourrait avoir un effet positif sur le comportement. Le bilan semble actuellement être positif compte tenu du taux de réussite élevé lors de la première présentation à l'examen mais, à notre connaissance, il n'existe pas d'évaluation objective des modifications comportementales qu'elle entraîne.

Une première évaluation de l’impact de l’apprentissage anticipé sur le comportement objectif de conducteurs débutants, a récemment été menée par Berthelon et al (2008). L’objectif du présent travail est complémentaire. Il consiste à compléter nos connaissances sur l'évaluation des compétences de jeunes conducteurs ayant suivi un apprentissage anticipé comparativement à celles de jeunes conducteurs ayant suivi un apprentissage traditionnel et à celles de conducteurs expérimentés. Etant donné que les jeunes conducteurs de sexe masculin sont les plus représentés dans les statistiques d'accident, nous avons choisi, dans ce travail, de n'étudier que le comportement de conducteurs de ce sexe.

Matériel et méthode Participants

Trois groupes de conducteurs de sexe masculin ont participé à l'expérience : conducteurs expérimentés ayant un permis de conduire depuis au moins 3 ans (EXP : N = 12, âge = 23-30 ans), conducteurs débutants ayant suivi une formation anticipée à la conduite (DCA : N = 12 ; âge = 18-20 ans), conducteurs débutants ayant suivi une formation traditionnelle à la conduite (DCT : N = 12 ; âge = 18-20 ans). Aucun des débutants ne possédait le permis de conduire définitif depuis plus d'un mois.

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Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton

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Dispositif expérimental et procédure L’expérience a été réalisée sur un simulateur de conduite à base fixe SIM²-

INRETS muni d’une base de donnée d’objets ARCHISIM. Les images, générées à une fréquence d’environ 30 Hz, sont projetées sur un écran à l’aide de trois vidéo projecteur (H : 150° ; V : 49° ; voir Fig. 1) . La fréquence d’acquisition des différents signaux (position, vitesse, accélération…) est de 30 Hz.

Figure 1. Le simulateur utilisé pour l'expérience

Le piéton surgit alors que le participant va croiser sa trajectoire 2,4 secondes plus tard.

La tâche des participants consistait à évoluer dans un circuit urbain dans lequel étaient introduits aléatoirement cinq scénarios d'accident dont un scénario impliquant un piéton. La durée du circuit était de 8 minutes environ, la consigne était de circuler à une vitesse de 50 km/h et de suivre les panneaux directionnels indiquant le centre-ville. Une séance d'entraînement précédait l'expérience proprement dite, elle avait pour but la prise en main des commandes du simulateur.

Les scénarios ont été implémentés avec les données d’Études Détaillées d’Accidents INRETS/MA, qui constituent des situations de référence. Dans le scénario présenté ici, un piéton initialement masqué par un bus stationné à droite de la chaussée traversait brusquement la chaussée alors que le conducteur arrivait de sa gauche (Fig. 1). Lorsque le piéton apparaissait dans le champ de vision du conducteur, celui ci se trouvait à un temps de 2,4 s du point de croisement de sa trajectoire et de celle du piéton. Cette configuration ne restait effective que si le conducteur n'effectuait aucune action pour éviter le piéton (freinage ou évitement par déport latéral).

Variables dépendantes et statistiques Les variables étudiées étaient : les stratégies globales des conducteurs

(évitement ou collision), le temps mis pour appuyer sur la pédale de frein et la durée de cet appuie, l'évolution des vitesses et positions latérales en fonction du temps.

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Piéton : voir et être vu

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Le traitement des variables s'est fait par des algorithmes de filtrage (Butterworth), de lissage et de détection de collisions. Selon le type et la nature de la variable analysée des tests t de Student et des ANOVA à mesures répétées pour échantillons indépendants suivi du test de Schéffe ont été utilisés.

Résultats du scénario piéton Confrontés à la présence d'un piéton traversant la chaussée de la droite

vers la gauche, tous les conducteurs ralentissent ; 30 % d'entre eux avaient déjà le pied sur la pédale de frein avant l’apparition du piéton, 56 % ont freiné suite à son apparition et 14 % n’ont pas freiné. Les conducteurs qui ont freiné (6 DCA, 6 DCT et 8 EXP) ont des temps moyens de réponse (m = 0,8 s) et une durée d’appui sur la pédale de frein (m = 0,9 s) statistiquement équivalents quel que soit leur expérience de conduite. La vitesse moyenne pratiquée est équivalente quel que soit le groupe et tous les conducteurs ont atteint une vitesse minimale 0,5 seconde avant que leur trajectoire ne croise celle du piéton.

Pour la majorité des participants (N = 32) la décélération se fait sur une trajectoire globalement rectiligne, qui se poursuit par un léger déport vers la droite de la chaussée après le point de croisement des trajectoires. Un effet d'interaction entre le temps et le groupe indique d'une part que au moment ou le piéton est visible les conducteurs DCT circulent 28 cm plus à droite de la chaussée que les conducteurs des deux autres groupes, et d'autre part que le déport vers la droite n'est significatif que pour les groupes DCA et EXP (fig. 2).

Seul 11 % des conducteurs ont une stratégie d'évitement du piéton par la gauche (1 DCA, 1 EXP et 2 DCT) et l'un d'entre eux (DCT) percute le piéton. Leur manœuvre de déport est initiée 0,5 seconde avant que leur trajectoire ne croise celle du piéton, à un moment ou leur vitesse minimale est également inférieure à celles des autres participants.

Discussion et conclusions Trois groupes de conducteurs ont été confrontés, sur simulateur de

conduite, à un scénario dans lequel un piéton masqué par un bus traverse brusquement la chaussée devant eux. Le comportement de conducteurs débutants ayant suivi un apprentissage anticipé à la conduite a été comparé à celui de conducteurs débutants ayant suivi une formation traditionnelle à la conduite et à celui de conducteurs expérimentés.

L’analyse de différents paramètres comportementaux ne permet pas de différencier nettement les 3 groupes. Tous les conducteurs décélèrent pendant 2,5 s avec ou sans freinage. Alors que la majorité d'entre eux conservent une trajectoire rectiligne pendant ces 2,5 s, puis se déportent légèrement vers la droite de la chaussée, 4 conducteurs ont déjà entamé une manœuvre de déport vers la gauche de la chaussée c'est à dire dans la direction prise par le piéton. Cette manœuvre, relevée pour 3 débutants, pourrait correspondre à un manque d'anticipation concernant la dynamique de la situation (Berthelon et al., 1995). En effet, la manœuvre de déport vers la gauche ne serait réellement adaptée que si le piéton avait interrompu son déplacement. Cette inadéquation manœuvre/

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Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton

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situation entraîne d'ailleurs un choc avec le piéton pour un conducteur DCT.

Figure 2. Évolution des positions latérales en fonction du temps pour les 3 groupes de conducteurs ainsi que pour les quatre conducteurs

ayant évité le piéton par la gauche

150

170

190

210

230

250

270

290

310

330

T0 T3 T5

Temps (s)

posi

tion

laté

rale

(cm

)

DCA

DCT

EXP

Gauche

Les valeurs moyennes sont données à T0 (le piéton est visible), à T3 (moment où la trajectoire des conducteurs croise celle du piéton) et à T5 (fin du scénario).

D'autre part, la stratégie adoptée par la majorité des conducteurs EXP et DCA se caractérise par le fait qu'au moment où leur trajectoire croise celle du piéton, ils commencent à se déporter légèrement sur la droite de la chaussée, contrairement aux conducteurs DCT dont la trajectoire reste rectiligne. Ceci est probablement le reflet d'habiletés supérieures des conducteurs DCA et EXP et confirme des résultats antérieurs. La pratique supplémentaire sous tendue par un apprentissage anticipé à la conduite pourrait ainsi favoriser l'acquisition d'un certain nombre d'habiletés nécessaires à une conduite mieux maîtrisée

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Piéton : voir et être vu

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(Berthelon et al., 2008 ; Groeger et Clegg, 1997 ; Sagberg et Bjørnskau, 2006 ; Williams et Mayhew, 2008 ; Groeger et Banks, 2007).

Notons cependant que les différences comportementales relevées entre les trois groupes de conducteurs sont relativement ténues et se manifestent principalement à travers la forme de leur trajectoire lorsqu'ils perçoivent le piéton. Malgré ces réserves, le fait qu'un conducteur DCT ait percuté le piéton souligne le caractère accidentogène du scénario mis en scène ainsi que l'effet de surprise provoqué par cette situation peu fréquemment rencontrée lors de l'apprentissage et la pratique de la conduite. L'intérêt du simulateur de conduite est soulevé en ce qui concerne la sensibilisation et la formation des conducteurs aux situations complexes et aux situations rarement rencontrée en situation naturelle.

Un autre aspect opérationnel de la mise en image de ce type de situations serait de sensibiliser les piétons aux risques pris lors de traversée de voiries urbaines lorsqu'ils sont susceptibles de ne pas être vus par les autres usagers.

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Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton

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Quelles recherches dans la PFI COPIE ?

Une problématique commune mais complexe

La plateforme intégratrice (PFI) COPIE était à l’origine un groupe de travail issus de 4 Unités de Recherches de l’INRETS dont l'objectif était de rassembler une communauté de chercheurs issus de disciplines relevant aussi bien des Sciences Pour l'Ingénieur (SPI) que des Sciences de l'Homme et de la Société (SHS), d'offrir un espace de diffusion de leurs travaux de recherches, de confronter les différentes approches utilisées, de discuter autour de problématiques communes. L’objet de recherche qui fédère cette PFI est le comportement du piéton dans son environnement.

Un déplacement se compose, a minima, d’un motif, d’une origine et d’une destination. Les déplacements en milieux urbains représentent des cas complexes d'interaction ; spécialement des interactions entre les usagers des différents modes de transport (piéton, cycliste, conducteur de deux roues et de voiture, de bus...) ; elles-mêmes situées dans des environnements variés et dynamiques (infrastructure, trafic, règles de circulation...). Marcher c’est faire des pas, s’arrêter, repartir, prélever des informations et prendre des décisions dans un environnement urbain et sur un trottoir, une chaussée, dans un couloir… dans des espaces réservés au déplacement à pied ou à partager avec d’autres modes de transport, lors des traversées de rue par exemple.

Les différents chercheurs sont à peu près d’accord sur un découpage de l’action en niveaux stratégique et tactique. Le premier est relatif au choix de l’itinéraire dans la ville et ses réseaux (orientation, traversée…). Le deuxième est relatif aux décisions en matière de traversée de rue.

Une grande partie de la complexité de la modélisation vient des interactions. En premier lieu avec l’environnement urbain et l’infrastructure urbaine, en deuxième lieu avec les usagers motorisés (automobilistes, chauffeurs de bus de poids-lourds, cyclomotoristes et motocyclistes) et cyclistes avec lesquels il faut négocier le passage ou partager l’espace, en troisième lieu avec les autres piétons qui peuvent générer un comportement plus collectif qu’individuel. Intervient aussi le rôle d’une autorité régulatrice centrale, ici le Code de la route, qui s’applique à tous les usagers de l’espace routier et qui est interprété par les acteurs avec divers filtres qui s’imposent avec plus ou moins de force via un phénomène d’institution ou de norme sociale.

L’autre partie de la complexité vient des caractéristiques du piéton. Les capacités cognitives et physiques jouent un grand rôle dans la performance qui consiste à se déplacer dans la ville et surtout à traverser les voies, particulièrement lorsque le sujet est très jeune ou très âgé. La phase

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d’apprentissage fait l’objet d’une recherche particulière en caractérisant le rôle des parents dans l’apprentissage de la « règle » et celui de la formation en général en harmonie avec le développement moteur, intellectuel et social de l’enfant.

Pour les chercheurs impliqués dans cette PFI, qu’ils viennent des SHS ou des SPI, qu’ils cherchent à appréhender l’activité du piéton ou à la modéliser, il s’agit toujours de comprendre comment le piéton choisi son trajet ou prend la décision de traverser et, plus particulièrement, saisir quels sont les critères de décision utilisés par le piéton, c'est-à-dire pourquoi il prend cette décision là et pas une autre.

Des thématiques de recherche guidées par l’action de sécurité

Le déplacement dans la ville est dangereux. L’environnement est hostile et le piéton est vulnérable spécialement aux collisions avec un véhicule en mouvement. Toutes les activités du piéton doivent intégrer une dimension risque d’accident. A partir des modèles de comportement piéton, on peut développer une analyse du risque sous forme d’arbre des causes et des conséquences en décrivant la façon dont les actions peuvent échouer suite à des défaillances malgré les barrières de sécurité conçus pour le système de déplacement urbain. L’analyse des accidents peut renseigner sur les scenarios d’accidents et les jeux de causes qui conduisent à la collision et aux blessures. Toutes les recherches qui sont fédérées sous COPIE se réfèrent à l’action de sécurité routière et plus largement au développement durable, listons par exemple :

− la prise en compte du piéton dans la gestion du trafic en carrefour ;

− l’évaluation de l’exposition au risque piéton en milieu urbain ;

− le développement d’un simulateur piéton enfant pour la formation ;

− le développement de simulations multi-acteurs (véhicules, piéton...) pour l’aménagement et l’exploitation de la circulation ;

− l’apprentissage des règles chez l’enfant piéton.

Entre juin 2004 et novembre 2009, les séminaires de la PFI ont permis de connaître les travaux autour du piéton développés par plusieurs UR de l’INRETS : MA, MSIS, GARIG, le LVMT, le LBA, le LESCOT, le LPC, le LEOST, le GRETIA ; et par certains de nos partenaires universitaires : le LCPC-DESE, les Universités de Valenciennes, Lille 1, Paris IV, Pau, Budapest et Athènes.

La plate-forme intégratrice COPIE, devenue en 2009 Plate-forme d’intégration interdisciplinaire, a déjà débouché sur des projets de recherche pluridisciplinaires autour du piéton, et compte poursuivre son chemin, vers une meilleure mise en commun des connaissances issues des différentes disciplines présentes à l’INRETS et à l’extérieur, et vers une meilleure compréhension de l’activité du piéton dans son environnement.

Son travail est à mettre en relation, au plan international, avec les travaux du groupe de recherche européen COST 358 (Pedestrian Quality Needs) et du

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Apprentissage de la conduite et simulation d'accident piéton

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groupe PUSH (Pedestrian safety, Urban Space and Health) du Forum International des Transports de l’OCDE, qui remettront tous deux leur travaux lors de la 11e conférence internationale Walk 21 qui se tiendra conjointement avec le 23e congrès international ICTCT (International Co-operations on Theories and Concepts in Traffic safety) à La Haye en novembre 2010.

Dans le contexte de la préconisation d’un retour à des modes plus doux de transport en termes d’impacts environnementaux – mais aussi, rajouterons-nous, en termes de politique de santé publique et de mode de déplacements favorisant l’activité physique –, les recherches et les actions en faveur d’un environnement favorable au piéton semblent avoir à nouveau de l’avenir.

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Fiche bibliographique

Unité de recherche

MA, LEPSIS

Projet n°

ACTES INRETS

Réf. : A127

Titre Le piéton : nouvelles connaissances, nouvelles pratiques et besoins de recherche Sous-titre 2e colloque francophone de la plate-forme intégratrice COPIE, novembre 2009, Lyon

Langue Français

Coordination scientifique Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet

Rattachement ext.

Nom adresse financeur, co-éditeur N° contrat, conv.

Direction scientifique INRETS CGDD, MEDDEM DSCR, MEDDEM Fondation sécurité routière

Date de publication Septembre 2010

Résumé Les nouveaux enjeux de la marche imposent une meilleure compréhension de cette activité, de son ancrage dans les modes de vie et de ses rapports à l’environnement urbain. Cet ouvrage examine les comportements des piétons, les facteurs contraignant la marche et les éléments de vulnérabilité. Ils mettent en lumière les aménagements urbains qui permettraient d’améliorer l’accessibilité et de rendre à l’espace public les conditions nécessaires à la cohabitation des différents modes de déplacement. Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui planifient les transports en ville et leurs infrastructures, les urbanistes, les personnes œuvrant dans le secteur de la sécurité routière et celles concernés par la mobilité des usagers plus vulnérables.

Mots clés accidentologie, aménagement, interaction, mobilité, modélisation, piéton, politiques publiques, psychologie, sociologie, géographie

Nb de pages

330

Prix

85 euros

Bibliographie

Oui

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Publication data form

Research unit MA, LEPSIS

Projet n°

INRETS ACTES

Ref.: A127

Title Pedestrian : New knowledge, new practices and research needs Subtitle 2nd international francophone congress of the INRETS’ Integrative Plateform COPIE, November 2009, Lyon

Language French

Editor(s) Marie-Axelle Granié, Jean-Michel Auberlet

Affiliation

Sponsor, co-editor, name and address Scientific Direction of INRETS CGDD, MEDDEM

Contract, conv. N°

DSCR, MEDDEM Fondation Sécurité Routière

Publication date September 2010

Summary

The new stakes of walking involve a better understanding of this activity, of its anchorage in life styles and its relationships with urban environment. Chapters of this book examine pedestrian’s behaviours, elements restraining walking and factors of vulnerability. They highlight city planning which could improve accessibility and make public space safer and more convivial, both needed for all transport modes better coexist. This opus is aimed at all professionals who are interested with urban and transports planning, road safety, vulnerable road users’ mobility – as children or visual impaired pedestrians.

Keywords accidentology, city planning, interaction, mobility, modelling, pedestrian, public policy, psychology, sociology, geography

Nb of pages

330

Price 85 euros

Bibliography

Yes