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Le pont neuf Jean-François MAVEL Ce texte est un essai. J'essaie d'écrire ce qui n'a pas été décrit, j'essaie de transcrire le fruit d'une recherche. Celle-ci a débuté le 3 mai 1991 à Fribourg en Brisgau, lorsque j'ai appris les évènements que vous allez découvrir. Cette recherche, je l'ai poursuivie seul. Des rencontres m'ont fourni des témoignages, et des lectures, des traductions m'ont apporté des informations. Dans cet essai, ma démarche est celle d'un journaliste d'investigation qui reconstitue le déroulement d' une histoire effacée. Le texte que je vous adresse ne présente pas la référence de ses sources, je peux les rajouter. Il serait également possible d'illustrer le texte par des documents inédits, photographies et textes originaux. version corrigée le 8 juin 2015 et le 22 octobre 2015 léger ajout le 22 février 2016

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Le pont neuf Jean-François MAVEL

Ce texte est un essai.

J'essaie d'écrire ce qui n'a pas été décrit, j'essaie de transcrire le fruit d'une recherche.

Celle-ci a débuté le 3 mai 1991 à Fribourg en Brisgau, lorsque j'ai appris les évènements que vous allez découvrir.

Cette recherche, je l'ai poursuivie seul. Des rencontres m'ont fourni des témoignages, et des lectures, des traductions m'ont apporté des informations.

Dans cet essai, ma démarche est celle d'un journaliste d'investigation qui reconstitue le déroulement d' une histoire effacée.

Le texte que je vous adresse ne présente pas la référence de ses sources, je peux les rajouter.

Il serait également possible d'illustrer le texte par des documents inédits, photographies et textes originaux.

version corrigée le 8 juin 2015 et le 22 octobre 2015

léger ajout le 22 février 2016

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 2

mercredi 28 janvier 2015

Un mercredi de janvier, je présentais à une classe de première du lycée Michelet de

Montauban, l' idée que j'avais exposée en juillet devant l’Atelier d’Histoire de la

Realschule Lessing au bord de la Dreisam, à Fribourg à cinquante kilomètres à l’est de

Colmar, de l'autre cité du Rhin.

Je connaissais personnellement Daniel Datus l’enseignant qui me conviait à présenter le

résultat d'une investigation sur des évènements d'histoire. Je l’avais véritablement

découvert comme professeur d’histoire le 7 janvier 2015, le matin, où à Paris deux

hommes armés étaient entrés dans le local de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Dans la

salle de réunion du comité de rédaction, ils avaient, en pressant la détente de leurs

armes automatiques criblé de balles les corps de ceux qui participaient à cette assemblée

créative. Cabu avait été assassiné. Je l’avais connu par la lecture des aventures du Grand

Duduche, lycéen fantasque, lorsqu’elles paraissaient dans la revue Pilote.

En songeant à ce dessinateur dont je suivais depuis l’évolution au travers des dessins

que publiait la presse ; je m’étais rendu au rassemblement qui s’était organisé

spontanément en leur mémoire aux pieds de la Préfecture. À la dissolution de la

manifestation, Daniel m’avait présenté au cours d’un échange de vues, une collègue qui

enseignait l'Histoire dans le même établissement que lui. Quelques jours plus tard nous

nous étions retrouvés tous les trois et le principe de mon intervention dans un cours

d'instruction civique qu'il animait avait été retenu.

J’arrivais par l’entrée du Faubourg Lacapelle, le jour se levait, je patientais jusqu’à

l’arrivée du professeur Datus, puis je le suivis le long des deux grandes cours

rectangulaires du lycée Michelet. J’appris plus tard que l’une de ces deux cours se

nommait Adèle Kurtzweil, du nom d’une élève qui le 22 septembre 1940, avait fait en

classe de 4e B2, la première de ses deux rentrées scolaires au Lycée Michelet . Nous

arrivâmes jusqu’à un prolongement récent du lycée, construit autour d’une cour demi-

circulaire ; la salle de cours dans laquelle j’intervenais se situait au premier étage d’un

bâtiment, elle était équipée d’un système de vidéo projection moderne.

Les élèves de la classe de première étaient divisés en deux groupes, j’allais réaliser à

deux reprises le même exposé d’une heure. Mon propos serait illustré de documents

historiques parfois inédits en France.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 3

Je débutais la projection par une photographie d’identité d’Adèle, une photo fixée avec

soin par des rivets sur un sauf-conduit. Ce document administratif a été retrouvé dans

une valise laissée à Auvillar par son père au moment du départ. Dans la nuit du 1er au 2

septembre 1942, les gendarmes conduisirent Adèle et ses parents ainsi que 208 autres

internés du camp de Septfonds à la gare de Caussade où le convoi régional s’arrêta pour

les prendre et les amener à Drancy. Sept jours plus tard ils partaient vers Auschwitz où

ils furent gazés en arrivant.

Nous étions le mercredi 28 janvier 2015, lendemain des commémorations internationales

du 70e anniversaire de la libération de ce camp d’extermination par l’Armée Rouge. Pour

illustrer ce lieu d’élimination massive, j’avais choisi une représentation polonaise qui

indiquait sur une carte d’Europe les gares de départ où s’étaient formés les convois qui

avaient alimenté les chambres à gaz : Oslo, Hambourg, Brême, Westerbork, Haga,

Bruxelles, Drancy, Bobigny, Pithiviers, Augsburg, Lyon, Bolzano, Vérone, Fossoli di Carpi,

Rome, Zagreb, Budapest, Corfou, Belgrade, Thessalonique, Athènes, Rhodes, Cluj-

Napoca, Borislav, Lviv, Cracovie, Tarnow, Zamosc, Varsovie, Narva, Riga… . Des lignes

convergentes reliaient les points de départ à Auschwitz-Birkenau. L'itinéraire des

déportés pris à Caussade n'apparaissait sur l'infographie qu'à partir de Drancy.

Les deux parties de la classe allaient se succéder, après le déroulement à deux reprises

de la présentation , je me rendis compte que le temps m'avait manqué pour aller au

fond des choses et je décidais d'écrire ce que j'avais tenté de dire.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 4

L'idée de transporter des gens sur des milliers de kilomètres pour leur donner la mort

était l'aboutissement d'une pensée d'un parti politique le NSAPD, Nationalsozialistische

Deutsche Arbeiterpartei, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands plus connu

sous le nom de parti nazi.

Pour comprendre comment ce parti lointain allait provoquer des déportations à Caussade,

nous allons d'abord suivre sur fond d' évènements connus l'ascension de Josef Bürckel et

de Robert Heinrich Backfisch de la fin de la première guerre mondiale jusqu'a leur

nomination en 1940 comme gouverneur de Gau, voisins, le Gau était une division

territoriale du Reich allemand.

Josef Bürckel, Robert Heinrich Backfisch, l'ascension

Ils étaient originaires des territoires frontaliers avec la France, le premier venait du

Palatinat; le second était du Pays de Bade, au moment de son engagement dans le

mouvement national socialiste, il avait choisi de prendre le nom de famille de sa mère:

Wagner .

Lors de la Première Guerre mondiale, ils s’engagèrent tous les deux comme volontaires

dans l’infanterie allemande mus par la volonté de contribuer à la victoire. Ils furent

acheminés en train vers le lieu des combats et pendant des mois bravant le risque de

tomber gazé, transpercé par un projectile, déchiqueté par une bombe, ils participèrent

dans des régiments différents comme fantassins à l’inlassable carnage.

Après un tel apprentissage, ils en vinrent à considérer la destruction, la disparition,

l’anéantissement de l’ennemi comme l’objectif à atteindre dans un conflit. Lors de

l’armistice du 11 novembre 1918, ils se trouvèrent dans le camp des vaincus ; pour eux

comme pour la majorité des volontaires, c’était inacceptable ; seul des traîtres avaient pu

provoquer l’arrêt des combats.

En 1921, Adolf Hitler venait de transformer un groupuscule nationaliste et antisémite en

un mouvement politique dont l’objectif était de conquérir le pouvoir. L’année de sa

création, Josef Bürckel adhéra à ce parti qui exprimait avec force le refus de la défaite et

qui désignait clairement les traîtres à éliminer. Les démocrates, ils avaient fait cesser le

conflit, les communistes, ils avaient affaibli l’armée à l’arrière par leur tentative de

révolution et les juifs : leur complot international avait fait perdre la guerre à

l’Allemagne. Le Führer ouvrait une perspective de combats futurs à ceux qui voulaient

surmonter la défaite.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 5

En septembre 1923, Robert Wagner rejoignit également le parti. Il venait d’arriver à

Munich au moment où le gouvernement de la République de Weimar acceptait de

respecter les contraintes du "Diktat" de Versailles. Cette décision déclenchait

l’effervescence immédiate des mouvements nationalistes et dans ce climat politique

agité, il rencontrait Erich Ludendorff, Maréchal du Reich et également Adolph Hitler qui

souhaitait organiser une riposte rapide à la décision de la République. Deux mois après

son arrivée en Bavière, il prenait part en novembre, avec l’École d’Infanterie au putsch

initié par le chef du NSAPD. La tentative de prise de pouvoir à Munich permit au parti

nazi de se faire connaître dans toute l’Allemagne, l’échec du putsch amena le Führer en

prison où il écrivit "Mein Kampf", un texte qui allait devenir la référence des membres du

parti.

Josef Bürckel et Robert Wagner dans leur sud ouest natal allaient s’impliquer dans

l’ensemble des actions du NSAPD pour conquérir le pouvoir. Ils abhorraient la République

de Weimar et la démocratie, ils restaient prêts à prendre part personnellement aux

actions violentes, aux agressions physiques destinées à éliminer les ennemis du

mouvement. Cependant ils avaient admis la stratégie du guide qui proposait tout en

augmentant la puissance du mouvement nazi de composer avec le système politique de

la République de Weimar. Ils se préparaient à saisir l’opportunité d’accéder aux

commandes du Reich car seule la prise du pouvoir permettrait d’imposer leurs vues à

tous. Robert Wagner obtint avec sept pour cent des voix un mandat au parlement local,

gagnant ainsi une immunité qui lui permettait de participer aux exactions des SA -

Sturmabteilung : Sections d’Assauts - l’organisation paramilitaire du parti, sans craindre

de poursuites judiciaires.

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devint le Chancelier d’Allemagne. Les nationaux

socialistes mirent fin à la République, incendièrent le Reichstag, supprimèrent les partis

politiques et ouvrirent les premiers camps de concentration pour éliminer les opposants.

Pour priver les juifs de ressources : ils mirent en place les interdictions professionnelles

et organisèrent les boycotts. L’année suivante, début août 1934, le Maréchal Président

Hindenburg décédait, le Führer devint Chancelier du Reich.

Le 5 septembre 1934, à Nuremberg, le chef suprême du parti prenait la parole au

congrès de son mouvement qu’il définissait comme " la grande réunion spirituelle de

compagnons d’armes" devant les caméras d’une propagandiste zélée.

Elle filmait en gros plan les visages des nouveaux maîtres de l’Allemagne admiratifs du

discours de leur guide. Une figure émergeait à la tête du NSAPD: Heinrich Luitpold

Himmler. Son ascension fulgurante avait débuté cinq ans auparavant; en prenant la

direction des SS - Schutzstaffel : Escadron de protection - un groupe de près de trois

cents hommes qui assurait la protection personnelle d'Hitler lors des réunions publiques.

A partir de ce groupe réduit, il constitua un corps paramilitaire séparé des sections

d'assaut dont il dépendait jusqu'alors. Cet ordre noir comptait lors du congrès plus de

deux cent mille membres.

Un mois avant ce sixième congrès du parti nazi, lors de la nuit des longs couteaux, l'

escadron de protection avait éliminé physiquement le chef des SA et le haut

commandement de cette organisation qu'ils accusaient de vouloir trahir le Führer.

Himmler était devenu proche d'Hitler, il disposait des moyens pour transformer les SS,

en un corps d'élite chargé de missions multiples pour imposer leur conception totalitaire

de l'action politique .

"Sieg heil ! Sieg heil ! Sieg heil !" scandaient ensemble les congressistes de Nuremberg:

« saluons la victoire ! ». Le pouvoir absolu était entre les mains, des fanatiques de la

première heure persuadés d'appartenir à la race des seigneurs, des aryens. Par une

brutalité sans limite et une excellente organisation, Heinrich Luitpold et ses SS

imposeraient la vision de l'ordre racial, désignant certaines comme inférieures et des

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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comportements comme déviants; eux autoproclamés supérieurs, se chargeraient

d'éliminer ceux qui n'étaient pas à la hauteur de leur vision du monde.

Les têtes du mouvement étaient désormais en place avec la volonté de mettre la société

au pli. Le mouvement avait essaimé en une multitude d’organisations. Elle encadraient

les corps de métiers, les corps sociaux indispensables pour atteindre les objectifs du parti

: organisation de juristes, d’étudiants, de femmes, de médecins, d’infirmières de

fonctionnaires, de techniciens. Une attention particulière était portée aux organisations

de jeunes garçons constitueraient les forces armées du pays, et à celles jeunes filles

destinées à accompagner les efforts des guerriers.

L’opposition avait été réduite à néant, les moyens d’exprimer une pensée divergente

détruits. Robert Wagner devint le Gauleiter du Pays de Bade, sur son territoire, il exerçait

son autorité et mettait en application la politique totalitaire du Reich.

Josef Bürckel avait une dimension politique. Il était capable de mettre sur pied des

initiatives: le ministère de la propagande avait promu le récepteur radio du peuple ; celui

de l’industrie: la voiture du peuple. Il assura la promotion de la boisson du peuple en

donnant une ampleur national socialiste à la route des vins qui traversait le Palatinat.

Dans son fief frontalier, il occupait des postes de commandement dans la hiérarchie des

sections d’assaut, des SS et d'une organisation qui coordonnait l’action d’unités

motorisées de combat, il fut chargé d’intégrer la Sarre au Reich allemand.

Lorsqu’ils avaient décidé en février 1936 de remilitariser la Ruhr, les hauts dignitaires du

régime nazi avaient craint que cette violation du traité de Versailles provoque une

réaction militaire internationale. Il ne s’était rien passé. Ils s’enhardirent et dès la fin du

mois de juillet, ils formèrent la légion Condor pour soutenir le soulèvement du Général

Franco qui demandait de l’aide pour lutter contre l’Espagne républicaine. Dans

l’engagement de cette unité spéciale composée de volontaires de l’infanterie motorisée,

de l’artillerie, d'unités blindées; les aviateurs équipés d’avions de reconnaissance, de

chasseurs, de bombardiers apportèrent aux franquistes l’aide décisive pour maîtriser le

ciel. L’intervention des forces armées du Reich hors de ses frontières n’entraîna pas de

représailles, l’étape suivante était désormais l’expansion du territoire : l’annexion de

l’Autriche.

Anschluss

Vu de Berlin, les pays européens paraissaient incapables d’engager leurs forces militaires

pour défendre l’indépendance de l’Autriche dont seul Mussolini garantissait encore la

souveraineté. Au cours de l’hiver 37, le rapprochement entre nazis et fascistes levait la

menace d’une intervention protectrice de l’armée du Duce. Le Reich décidait d’envahir

son voisin. Jusqu’au bout Kurt Schuschnigg le chancelier autrichien tenta de s’opposer à

l’Anschluss, mais l’Autriche n’était pas de taille à lutter contre l’armée puissante qui

menaçait de pénétrer sur son territoire. Devant la menace d’un affrontement armé, le 11

mars dans une intervention radio diffusée, il appelait l’armée autrichienne à renoncer à

toute tentative de résistance. Lorsque les militaires de l’armée du Reich se présentèrent

aux postes frontières du pays le lendemain, des officiers autrichiens vinrent se joindre à

eux pour lever les barrières.

Josef Bürckel depuis l'arrivée au pouvoir du NSAPD a démontré ses capacités

d'organisateur. Il s'est particulièrement illustré dans son talent d'intégrateur avec la

Sarre qu'il venait de rattacher au Reich; cette capacité allait être mise à contribution

dans le cadre de l'annexion à venir.

Le 13 mars 1938, le Führer suivit la troupe ; après un passage à Braunau son village

natal, il entra dans Linz pour y recevoir un accueil enthousiaste. Le lendemain, il

reprenait une route qui passait devant le village de Mauthausen et ses carrières de

granit. Un cortège composé de voitures puissantes roulait vers la capitale autrichienne et

longeait le cours du Danube, le temps était ensoleillé.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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Le programme du jour prévoyait triomphe et détente. Le lendemain, dans la capitale du

Pays des Montagnes, au balcon du plus grand palais de la Hofburg, devant une foule

immense massée sur la place des héros, il signifierait dans une courte allocution

l’absorption de l’Autriche par le Reich.

Avec la nuit la brutalité vint. Les juifs furent contraints de laver le pavé des inscriptions

qui s’opposaient à l’Anschluss. La famille Ziegler s’apprêtait à ouvrir un magasin

d’alimentation dans le centre-ville de Vienne, tout était prêt, Gustav Ziegler décidait

d’aller voir le film catastrophe de John Ford "The Hurricane" qui passait dans un cinéma

du centre-ville. Sa mère tenta de le dissuader. Au sortir de la projection, il croisa un

cortège avec drapeaux nazis, tambours et flambeaux ; il se dirigeait vers le centre-ville

en reprenant un chant SA qui débutait par "Quand le sang juif gicle du couteau".

Les messages de haine, les comportements barbares avaient franchi une frontière qui

n’existait déjà plus.

Josef Bürckel fut alors nommé à Vienne commissaire pour la réunification de l’Autriche

avec le Reich, afin de concrétiser l’intégration politique, économique et culturelle du

nouveau territoire annexé. Sa première mission fut d’organiser un scrutin qui

confirmerait la réunification par la voie des urnes. Pour assurer le succès de la

consultation, il était accompagné de quarante mille membres des forces de sécurité

venus éliminer les opposants politiques potentiels dont les nazis autrichiens avaient

fourni les listes. Ils furent arrêtés, internés, incarcérés ou déportés dans les camps de

Bavière.

Le départ de la famille Kurtzweil

Le 10 avril 1938, il n’y eut pas de surprise, avec 0,25 pour cent d’opposition, l’unification

était validée. Josef Bürckel aimait rouler, comme la majorité des dignitaires en place

dans des limousines puissantes. La sienne était ornée d’une croix gammée de la largeur

de la calandre, de couronnes et d’une plaque d’immatriculation "Ostmark 10438",

Ostmark était devenu le nouveau nom de l’Autriche.

Les mesures antisémites mises en place au cours des cinq dernières années en

Allemagne s’appliquaient soudain aux 7 territoires qui composaient l’ancienne Autriche.

Les menaces que représentait l’application de cette législation, le cortège de violences

qui accompagnait ce bouleversement épouvantaient une communauté que personne

désormais n’était en mesure de défendre. Josef Bürckel contribua à la mise en place d’un

dispositif chargé d’accélérer l’émigration des populations qui disposaient d’un visa . Les

candidats au départ, s’ils acceptaient de céder l’ensemble de leurs biens, se voyaient

accorder un visa de sortie. Dès le 24 avril, était publié un texte de loi qui obligeait

chaque foyer de confession juive à faire une déclaration de fortune mentionnant

l’ensemble des biens possédés.

Nous retrouvons en Ostmark la famille Kurtzweil qui vivait paisiblement à Graz, au sud-

est de Vienne; une photographie dans la valise oubliée d'Auvillar montrait Adèle

participant à une cueuillette de légumes dans le jardin potager familial.

Mi-juin, Bruno Kurtzweil recevait l’ordonnance du ministère de la justice du Reich, section

autrichienne qui lui imposait d’interrompre l’exercice de sa fonction d’avocat. La famille

Kurtzweil se trouvait dès lors sans ressources et prenait rapidement la décision de quitter

le pays. Le 6 juillet, Bruno Kurtzweil déposait son formulaire de déclaration de fortune ;

le même jour s’ouvrait à Évian la conférence internationale destinée à faciliter l’accueil

dans le monde des juifs qui fuyaient le nazisme. Cette conférence se concluait dix jours

plus tard par le discours d’Henry Beranger : "La France est heureuse d’avoir pu montrer,

dans le beau cadre harmonieux de la montagne et du lac, qu’elle était en mesure, par la

fidélité de ses institutions républicaines et l’ordre public de sa démocratie, de recevoir

toutes les nations du monde et de leur assurer, dans la plus parfaite tranquillité

matérielle et morale, un asile pour les délibérations gouvernementales en vue de la paix

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 8

de l’indépendance de toutes les patries, de la liberté de tous les citoyens du monde.". La

réunion internationale prévue pour trouver des offres d’accueil aux candidats à l’exil ne

débouchait sur aucune proposition capable de répondre à l’urgence des besoins.

Le 8 août, le transfert de quelques centaines de prisonniers permettait le début de la

mise en place du camp de concentration de Mauthausen. L’extraction puis le transport de

blocs de granit, l'acheminement le long d’un escalier de 186 marches des lourds

morceaux de minerai seraient les moyens d’élimination des opposants internés dans ce

camp. De hauts remparts donneraient à ce lieu l'allure d’une forteresse médiévale, ils

détourneraient les yeux indiscrets ou sensibles de l’observation des moyens de

liquidation par le travail.

Le 9 août, les démarches de la famille Kurtzweil pour partir, prenaient un caractère

officiel, leur demande d’un visa d’entrée en France était prise en compte; le 20 août,

Josef Bürckel prenait la direction de l’organisme chargé de l’émigration juive.

Le 6 septembre les comptes en banque de Bruno et Gisèle Kurtzweil étaient bloqués,

Le 24 septembre la famille obtenait ses passeports, le 28, elle recevait le visa du contrôle

financier, une condition indispensable pour avoir le droit de quitter le pays. Le premier

octobre les Kurtzweil quittaient enfin l'Autriche, ils arrivaient à Zurich en Suisse, une

quinzaine de jours d'attente serait nécessaire avant d' arriver enfin à Paris.

Les propagandistes antisémites nazis avaient montré les visages d’épouvante du juif

instigateur des guerres, prolongateur des conflits, acteur d’un même complot ourdi au

niveau mondial ; communisme, capitalisme deux expressions du complot juif. Le juif était

une sorte de termite qui dévorait l’Europe, un champignon verdâtre et vénéneux. Ces

caricatures trouvaient place en première page l’hebdomadaire "Der Stürmer", l’éditeur de

cette publication pour être lu gratuitement par tous et particulièrement par les jeunes

lecteurs avait développé des panneaux d’affichage vitrés qui protégeaient le papier des

intempéries et attirait l’œil par un cadre peint qui contenait des slogans "les juifs sont

notre malheur" ou "sans solution de la question juive pas de libération du peuple

allemand".

Le Reich nazi après avoir défini juridiquement, le fait d’être juif, l’avait criminalisé. À

Karlsruhe, le fichage systématique des membres de la communauté juive était entrepris,

chaque fiche minutieusement établie contenait la photographie anthropométrique et

l’ensemble des informations collectées. Elle permettait d’identifier et de localiser la

personne fichée, de pourchasser l’ensemble des membres de la communauté juive

comme des criminels.

En Ostmark, nouvel espace du Reich, six mois avaient suffi pour déraciner la famille

Kurtzweil de la ville où elle vivait; pour un nazi engagé comme Josef Bürckel l'expérience

autrichienne était riche d'enseignements.

Tout se précipitait en cette fin d'année 38; le 30 septembre, les accords de Munich avait

démantelé la Tchécoslovaquie ouvrant au Reich la perspective d’un prochain

agrandissement. Le lendemain le président du Conseil de la République française Édouard

Daladier dans un discours diffusé sur les ondes de Radio Paris déclarait que ces

arrangements "étaient indispensables au maintien de la paix en Europe". Ils permettaient

cependant le jour même aux troupes allemandes d’envahir la bande frontalière du

territoire tchèque peuplée par une population germanophone, et de chasser les juifs et

les tchèques qui y demeuraient.

Nuit de cristal

Les coups de feu tirés à Paris par Herschel Grynszpan sur Ernst Von Rath, allaient

constituer le déclencheur d' une vague violente qui se répandit jusqu’aux plus petits

villages. Le tireur était juif, pendant deux jours d’agonie, l’état de santé de la victime fut

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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suivi par les journalistes de la radio allemande qui retransmirent de manière alarmante

chaque bulletin de santé du secrétaire de l’ambassade. Chaque foyer possesseur de la

radio du peuple était tenu en haleine sur le territoire national . Les commentaires émis

sur les ondes accréditaient à la thèse d’un complot juif dont Grynszpan était le bras

armé.

Après l’explosion de haine en Ostmark à l’occasion de l’Anschluss, après l’échec de la

conférence d’Évian qui fermait toute perspective d’accueil aux communautés juives

persécutées en Europe, après les accords de Munich qui enlevait au Reich toute crainte

d'une intervention étrangère; le dernier soupir de Von Rath donna aux responsables du

mouvement national socialiste un prétexte pour déclencher sur le territoire du Grand

Reich une opération coordonnée dont la brutalité allait dépasser d’un cran encore celle

déjà atteinte.

À Fränkisch-Crumbach, dans la nuit, des hommes ouvrirent la porte d’une maison à

coups de hache, ils entrèrent à l’intérieur et saccagèrent le mobilier ; Gustav, handicapé,

fut précipité en bas des escaliers dans son fauteuil roulant, ils frappèrent Ida vieille dame

qui n’avait plus ses esprits; le chef de famille fut conduit en déportation et sa femme

hébétée contemplait le désastre.

Ailleurs les vitrines des magasins furent brisées, les échoppes, les logements dévastés,

les lieux de culte incendiés. À Fribourg, Julius Bloch fut obligé d’assister à l’incendie de la

synagogue dont il présidait le consistoire; les pompiers présents sur les lieux la

laissèrent brûler sans intervenir. En Ostmark, dans les villes récemment absorbées par le

Reich : Vienne, Klagenfurt, Linz, Graz, Salzburg, Innsbruck, il y eut 27 meurtres. Les

internements de membres de la communauté juive eurent lieu aux camps de Dachau et

de Sachsenhausen principalement.

Le régime totalitaire au lendemain des violences qu’il avait provoquées, infligea une

amende exorbitante à la communauté juive victime des actes de terreur.

La nuit de Cristal du 10 novembre 1938 entraina un mouvement de départ sans

précédent en Allemagne. Ceux qui le pouvaient prirent la décision de partir. Les

formalités étaient longues, les procédures compliquées n’aboutissaient pas, beaucoup de

pays délivraient des visas au compte-gouttes. Les candidats à l’exil prirent la direction du

Canada, des États Unis, de l’Argentine, du Brésil, de la Bolivie, de l’Uruguay, du Royaume

Uni, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Norvège, de la Suède, de la Pologne, de la

Slovaquie, de la Hongrie, de la Yougoslavie, de l’Italie, de la Suisse, de la France, de

l’Espagne, du Portugal, de l’Afrique du Sud, de la Palestine, de Syrie, de Shanghai, du

Japon, de l’Australie.

Une dizaine de milliers d’enfants juifs allemands, tchèques, ou polonais bénéficièrent d’un

élan de générosité venu d'outre-Manche. Les Britanniques déclenchaient le 15 novembre

1938 une opération de sauvetage qui permit aux jeunes de quitter l’Europe continentale

et de rejoindre des îles qui les accueillaient avec bienveillance. Parmi eux, Richard Levi

de Frisenheim, élève de la Realschule Lessing et Hedi Epstein une jeune fille de Fribourg

qu’une photographie prise lors du 75 ème anniversaire de sa grand-mère Lina montrait

souriante, entourée d’une famille nombreuse et joyeuse.

Le départ de la famille Friedländer

L'année 1939 ressemblait à celle qui l’avait précédée. Emil Hacha président d’une

Tchécoslovaquie privée du territoire des Sudètes où se trouvait la ligne des défenses

militaires du pays fut contraint, comme Kurt Schuschnigg le chancelier autrichien un an

auparavant, de capituler sans combattre. Alors que la Slovaquie venait de prendre son

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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indépendance, il était sommé de choisir entre l’acceptation de l’occupation allemande et

la liquidation totale de la Bohème Moravie, le bombardement de Prague et la mise à mort

de millier de tchèques ; il décidait de remettre en bonne foi le sort de la Nation de l’État

Tchèque entre les mains du Führer allemand.

Le lendemain 15 mars, à 6 heures du matin, il neigeait lorsque les colonnes motorisées

allemandes entrèrent dans le pays. Le 8e régiment de Silésie à Mistek en Moravie du

nord s’opposa par la force à l’armée du Reich. Après les unités régulières, les SS et la

Gestapo, la "Geheime Staatspolizei", c’est-à-dire la « Police secrète d’État » pénétrèrent

dans ce pays pour installer les services chargés d'éliminer ceux qui n’étaient pas acquis

au nazisme et ceux qui représentaient les races jugées inférieures.

La famille Friedländer décida de partir de Prague sans attendre l'installation des unités

spéciales. Ils prirent le train de la gare Woodrow Wilson en direction de la gare de l’Est à

Paris. Les premières nuits , ils descendirent à l’hôtel Montholon, puis ils séjournèrent

dans un endroit misérable avant de trouver un logement convenable. Elli Friedländer

suivit des cours d’esthéticienne à Paris, comme Gisèle Kurtzweil.

14 juillet 1939

Dès le début du soulèvement militaire du Général Franco les nazis allemands lui

apportèrent le soutien militaire qu'il demandait. La pronunciamiento de cet officier

contre la République était une démarche estimable pour les dignitaires du Reich.

L'Espagne en guerre civile offrait un terrain d'application pour tester, développer et

appliquer les tactiques de la guerre de mouvement. Les bombardements en piqué toutes

sirènes hurlantes des stukas furent testés contre une République que la France n'avait

pas osé armer. Les stratèges allemands voyaient d'un œil favorable l'installation d'un

régime dictatorial partenaire en Méditerranée, au sud des Pyrénées.

La rupture du front de Catalogne provoquait l'exode de centaines de milliers de réfugiés

espagnols civils et militaires . Des familles entières prenaient le chemin de l'exil. Ils

affluaient aux postes frontières pour se réfugier en France. Les vaincus de la guerre civile

déferlaient sur le territoire, le premier souci des autorités françaises fut de leur retirer les

armes dès le franchissement de la frontière. Le 184ème régiment d'artillerie lourde

stationné à Valence dans la Drome fut appelé pour être prêt à intervenir, pour parer à

toute éventualité.

Pour absorber les arrivants désarmés, une multitude de lieux de détention furent mis en

place dans le sud-ouest , Argeles, Rivesaltes, Collioure, le Vernet, Noé, Bram, Le

Récebedou, Brens, Agde, St Cyprien, Septfonds, Rieucros…

Les Ponts et Chaussées du département des Basses Pyrénées construisirent en un temps

record le camp de Gurs du 15 mars au 25 avril 1939, le centre d’accueil des réfugiés

offrait une capacité d'hébergement de 18 000 places. Ils photographiaient

méticuleusement l’avancée rapide du chantier de construction des baraquements. Ce

camp allait maintenir en détention les Espagnols républicains, les aviateurs de l’armée

républicaine espagnole mais également ceux qui étaient venus du monde entier en

Espagne pour défendre la République : français, irlandais, italiens, soviétiques,

allemands, autrichiens, suisses, suédois, britanniques, hongrois, belges, polonais,

néerlandais, tchécoslovaques, américains, roumains, cubains, bulgares, mexicains,

yougoslaves, canadiens, estoniens, grecs, chypriotes.

Le 14 juillet 1939, la France célébrait le 150e anniversaire de la prise de la Bastille. En ce

jour de célébration de la liberté, l'égalité et de la fraternité, les hommes, internés qui

avaient combattu pour la République Espagnole, défilèrent prisonniers à l’intérieur du

camp, devant Maurice Gustave Gamelin, général considéré encore à l'époque comme

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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l'un des meilleurs en activité. Le mois précédent , le 6 juin, la Légion Condor victorieuse

avait paradé dans les rues de la capitale du grand Reich national-socialiste.

Les Friedländer assistèrent à Paris au défilé des chars d’assaut de l’armée française. Ils

gardaient l’amertume d’avoir vu leur pays abandonné au Reich allemand pour

sauvegarder temporairement la paix, alors que les envahisseurs récupéraient en armes,

dans leur ancien pays, de quoi équiper quarante-cinq divisions.

La déclaration de guerre

Le 23 août, coup de tonnerre : la Grande Allemagne et l’Union Soviétique signaient un

pacte de non-agression et se partageaient la Pologne.

Depuis leur arrivée au pouvoir les nazis se préparaient à un affrontement armé; leur

effort colossal se déclinait dans tous les domaines de l'activité militaire. Les industries

d'armement produisaient à plein régime, pour tous les corps d'armée des équipements

et des armements innovateurs, des munitions. Au niveau du développement tactique et

stratégique priorité avait été donné à la maitrise du déploiement des engins motorisés

roulants, volants ou blindés. Les démonstrations de force qui se déroulaient lors des

rassemblements nazis, montraient la motivation des troupes, leur discipline, leur envie

d'en découdre. Les défilés gigantesques impressionnaient les observateurs militaires

étrangers; depuis l'intervention en Espagne, l'annexion de l'Autriche, l'invasion de la

Bohème Moravie, aucune armée n'avait encore osé affronter militairement les armées du

Reich.

Le premier septembre à 4 h 45, l’armée allemande envahissait la Pologne qui opposait à

l'avancée rapide des unités blindées soutenue par l'aviation la résistance désespérée de

sa cavalerie. Le 3 septembre la Grande Bretagne, puis la France déclaraient la guerre à

l’Allemagne sans intervenir dans l'affrontement militaire comme l'attendait les Polonais.

Les troupes françaises détruisaient le 12 octobre le pont qui reliait la France à

l’Allemagne entre Breisach am Rhein et Neuf Brisach. Bruno Kurtzweil, comme les autres

ressortissants du Grand Reich, fut arrêté à Paris et conduit au stade de Colombes, avant

d’être interné au camp des étrangers de Meslay du Maine en Mayenne.

L’armée rouge envahissait la Pologne Orientale.

Nisko

Le déclenchement du conflit armé, l’envahissement de la Pologne offraient de nouvelles

perspectives à ceux qui, au sommet du Reich, cherchaient à résoudre ce qu’il nommait :"

la question juive".

Ils envisagèrent de concentrer des populations d’israélites en Pologne, dans une zone

proche de la ligne de démarcation qui séparait la zone d’occupation soviétique de

l’allemande. La haute hiérarchie des SS participait au projet, elle choisissait un territoire

à 200 km à l’est de Cracovie, à l'intérieur duquel ils prévoyaient de concentrer un million

de déportés .

Ils décidèrent d’envoyer des hommes aptes au travail physique vers Nisko pour

construire un ensemble de baraquements destiné à interner les constructeurs de la

réserve juive. À Vienne, Josef Bürckel allait contribuer à l’organisation du premier

transport qui quittait la gare d’Aspang avec 912 hommes, le 20 octobre 1939. Cet essai

fut un fiasco dans lequel des déportés périrent, certains furent ramenés à Vienne,

d’autres réussirent à passer du côté soviétique. Le projet fut rapidement abandonné à la

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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fin du mois d’octobre; sa réalisation provoquait des conflits entre les hiérarques de

l'organisation SS.

Les difficultés de créer des structures d’internement adaptée à leurs besoins croissant, le

souci d'isoler rapidement les juifs de la population polonaise amenèrent les nazis à créer

des ghettos. Il s’agissait de constituer dans les villes des quartiers fermés réservés aux

juifs et d’obliger les membres de leur communauté à y vivre dans des conditions

misérables. La surpopulation, l’absence de ressources, les conditions sanitaires

déplorables entraînaient de nombreux décès chez les habitants sous alimentés. Le 20

avril, le premier ghetto fut mis en place à Lodz, au centre de la Pologne au sud ouest de

Varsovie.

Guerres

Après avoir envahi le Danemark et la Norvège à partir du nord de son territoire, ,

l’Allemagne déclenchait le 10 mai 1940 une offensive vers l'ouest, en direction des Pays

Bas, la Belgique, le Luxembourg avant de pénétrer en France.

Le 14 mai les ressortissants des puissances ennemies furent appelés à rejoindre des lieux

de rassemblement à Paris, les femmes le vélodrome d'hiver , les hommes le stade

Buffalo, les premières furent ensuite transférées à Gurs, les seconds à Rivesaltes. De

nombreuses personnes engagées contre le régime nazi, comme Anna Arendt, philosophe

allemande se retrouvèrent derrière les barbelés pyrénéens. Les femmes du département

de la Moselle mariées à des allemands et leurs enfants furent arrêtés et conduits dans ce

camp.

La guerre entraîna la déroute de l’armée française. Le Généralissime Maurice Gustave

Gamelin était imperméable à la compréhension des dernières innovations stratégiques

utilisées par l'armée allemande en Pologne. Par manque de clairvoyance, il n'anticipa pas

la traversée rapide des Ardennes par des troupes mobiles qui percèrent ses lignes à

Sedan. Le 17 mai, il était démis de ses fonctions

Le 14 juin, les troupes allemandes entraient dans Paris; le 17 juin, le maréchal Pétain

devenu Président du Conseil annonçait la cessation des combats ; le 22 juin 1940 le

général Huntziger et le maréchal Keitel signaient la convention d’armistice franco-

allemande.

Le printemps 1940 révélait l'efficacité du rouleau compresseur militaire, la crainte qu'il

inspirait était justifiée. Le Reich nazi, ajoutait aux troupes conventionnelles engagées

contre les armées adverses, l'intervention des SS . Cette organisation complexe

poursuivait des objectifs spécifiques comme l'élimination de tout individu pratiquant une

opposition, une résistance ou appartenant à un groupe racial ennemi.

Après leurs interventions policières en Autriche et dans le Protectorat de Bohème

Moravie, l'invasion de la Pologne permettait l'entrée en action des Einsatzgruppen, des

unités mobile de tuerie spécialisées dans la réalisation des massacres commis

aveuglément pour terroriser les populations. Sous leur direction, des déportés venus de

Sachsenhausen débutèrent en mai 1940, les travaux de construction du camp

d’Auschwitz au sud de la Pologne.

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Josef Bürckel, Robert Wagner

Au milieu de l'été 1940, Josef Bürckel quittait l’Ostmark, il revenait dans son fief du

Palatinat pour gouverner le Gau du Westmark. Il prenait la direction politique et

administrative de cette nouvelle entité territoriale qui réunissait le Palatinat, la Sarre et le

département français de la Moselle qu’il devait intégrer dans l’empire allemand. Robert

Wagner gouvernait le Pays de Bade, il se voyait chargé de germaniser l’Alsace.

Les deux vétérans nazis de la première heure sur les territoires où ils avaient effectué

l’essentiel de leur carrière politique au sein du NSAPD, avait atteint après 22 années

d'engagement le sommet de leur ascension politique. Ils avaient vu l'Allemagne vaincue

se relever, il la voyait après quelque mois de guerre dominer une partie de l'Europe. Ils

avaient mis fin à la démocratie, ils avaient chassé les démocrates, pourchassé les

communistes, ils allaient s’associer pour éliminer totalement de leur territoire la

population juive. Les interdictions professionnelles, les mesures de boycott, les violences

physiques, les destructions d’édifices religieux, les brimades, les internements avaient

entrainé des vagues de départ. Il restait encore au Palatinat, en Sarre, au Pays de Bade

près de sept mille membres de la communauté juive; ils allaient ensemble les éliminer

jusqu'au dernier.

La construction des camps en Europe Centrale prenait plus de temps que prévu. Le 12

octobre en Pologne le ghetto de Varsovie était constitué, de plus petits apparaissaient

Białystok, Częstochowa, Kielce, Cracovie, Lublin, Lwów, Radom ; les nazis choisissaient

certains ghetto pour implanter des ateliers de confection des vêtements pour leurs

troupes. De la place pour des milliers d'arrivants, il n'y en avait pas.

La commission Ernst Kundt

C'est alors qu'une commission de contrôle fut formée pour se rendre en zone non

occupée pour effectuer une inspection. Elle était dirigée par un badois de Karlsruhe :

Ernst Kundt membre du parti nazi depuis 1933. La commission allemande d’armistice le

choisit pour les liens privilégiés qu'il entretenait avec la Gestapo. Du 27 juillet au 3

septembre 1940, sa mission officielle fut de recenser les ressortissants allemands

internés dans le but de libérer les sympathisants du national-socialisme isolés et de

récupérer les opposants pour les ramener en Allemagne.

Kundt visita 31 camps, 16 prisons, 10 hôpitaux et il découvrit une infrastructure

concentrationnaire que la Troisième République avait mise en place pour accueillir les

républicains espagnols . Composée de nombreux lieux de détention, elle était desservie

par un réseau ferroviaire en parfait état de fonctionnement.

La France vaincue disposait de places dans ses camps comme le montrait le rapport

d’Ernst Kundt. De plus elle venait d’adopter une législation antisémite qui prévoyait

l’internement des indésirables. Pour finir, les Pyrénées derrière lesquelles se trouvaient

les amis franquistes d'Hitler, constitueraient un rempart contre une évasion, ou une

libération intempestive.

Expulsions

Que se passerait-il si les deux Gauleiter expulsaient des milliers d’israélites de leur

territoire vers les territoires non occupés des voisins français ?

Dans le contexte d'une collaboration qui se mettait en place au sommet des deux États

l'acceptation des expulsés et leur internement par la France était envisageable. Les

autorités du pays chercheraient des places d’hébergements disponibles, elles les

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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trouveraient car elles existaient. Le Führer et le Maréchal vainqueur de Verdun allaient se

rencontrer prochainement; la Reichbahn, la société de Chemin de Fer du Reich allemand

prévoyait de passer une commande à la SNCF de 285 locomotives de type BR 44.

Un projet d'expulsion, prit effectivement corps. Souccot approchait, cette fête religieuse

réunissait chez elles les familles juives. Comment trouver meilleur moment? Cette date

s'imposa pour mener l'opération. Josef Bürckel, Robert Wagner voulaient chasser la

totalité des membres de la communauté juive, ils allaient organiser méthodiquement la

rafle avec l'ensemble des chefs des services compétents dans 138 communes du Pays de

Bade, 93 du Palatinat, 17 de Sarre.

En Sarre dans les villes et villages suivants : Illingen, Merchweiler, Homburg, Ottweiler,

Neunkirchen, Nalbach, Saarwellingen, Merzig, Brotdorf, Saarbrücken, Siersburg,

Differten, St. Wendel, Tholey, St. Ingbert, Höcherberg, Wiebelskirchen.

Dans le Palatinat dans les villes et villages suivants : Ludwigshafen, Speyer, Mutterstadt,

Kaiserslautern, Frankenthal, Landau, Neustadt, Bad Dürkheim, Zweibrücken,

Glanmünchweiler, Edenkoben, Rockenhausen, Neuhofen, Oberhausen,

Kirchheimbolanden, Obermoschel, Winnweiler, Höheinöd, Kirchheim, Lambsheim,

Rheingönheim, Niederhochstadt, Schifferstadt, Weisenheim, Fußgönheim, Geinsheim,

Iggelheim, Landstuhl, Steinbach, Ulmet, Wachenheim, Dirmstein, Germersheim,

Großbockenheim, Schwegenheim, Teschenmoschel, Billigheim, Gommersheim, Konken,

Waldfischbach, Alsenz, Gaugrehweiler, Ingenheim, Kusel, Lingenfeld, Neuhemsbach,

Odernheim, Steinbach, Albisheim, Altdorf, Altenbamberg, Bergzabern, Deidesheim,

Dielkirchen, Dreisen, Ellerstadt, Gauersheim, Haßloch, Hessheim, Kleinbockenheim,

Meckenheim, Mußbach, Thaleischweiler, Arzheim, Brücken, Erlenbach, Essingen,

Herschberg, Klingenmünster, Lachen, Maikammer, Münchweiler, Neuleiningen,

Niedermoschel, Odenbach, Roxheim, Ruchheim, Saalstadt, Venningen, Wallhalben,

Weisenheim, Ebernburg, Edesheim, Grünstadt, Hochspeyer, Leimersheim, Oggersheim,

Marnheim, Niederkirchen, Oberlustadt, Pirmasens, Sembach, Schneebergerhof.

En Pays de Bade dans les villes et villages suivants : Mannheim, Karslruhe, Freiburg,

Heidelberg, Pforzheim, Gailingen, Baden-Baden, Konstanz, Offenburg, Bruchsal,

Emmendingen, Lörrach, Weinheim, Breisach, Krippenheim, Rastatt, Wiesloch, Ladenburg,

Sulzburg, Bühl, Lichtenau, Weingarten, Kehl, Tauberbischofsheim, Philippsburg,

Sennfeld, Walldorf, Lahr, Malsch, Hemsbach, Neidenstein, Nonnenweier, Bretten,

Hardheim, Hoffenheim, Randegg, Eberbach, Großeicholzheim, Kuppenheim, Wertheim,

Bodersweier, Kleineicholzheim, Malsch, Eichstetten, Schmieheim, Baiertal, Külsheim,

Mosbach, Grötzingen, Königheim, Neckarzimmern, Schluchtern, Wenkheim, Altdorf,

Diersburg, Neckarbischofsheim, Villingen, Wollenberg, Billigheim, Königsbach, Walldürn,

Ettlingen, Flehingen, Friesenheim, Gengenbach, Gernsbach, Rust, Schopfheim,

Adelsheim, Berwangen, Ittlingen, Sandhausen, Strümpfelbrunn, Binau, Gemmingen,

Grünsfeld, Ilvesheim, Rheinbischofsheim, Wangen, Ettenheim, Freudenberg,

Gondelsheim, Grombach, Hainstadt, Hockenheim, Ihringen, Jöhlingen, Sindolsheim,

Sinsheim, Bad Rappenau, Bödigheim, Buchen, Durbach, Lützelsachsen, Schwetzingen,

Tiengen, Untergrombach, Waibstadt, Eberstadt, Eppingen, Hörden, Leimen, Mingolsheim,

Nußloch, Obergimpern, Odenheim, Badenweiler, Graben, Haslach, Heinsheim, Kenzingen,

Meckesheim, Merchingen, Messelhausen, Triberg, Achern, Dertingen, Hilzingen, Kirchen

bei Lörrach, Muggensturm, Östringen, Rohrbach, Stebbach, Stein, Waldshut,

Zwingenberg, Appenweier, Bohlingen, Geisingen, Heidelsheim, Impfingen,

Langenbrücken, Nordrach, Radolfzell, Reilingen, Riedöschingen, Saig, Zell im Wiesental.

Le 22 octobre, l'opération était lancée, le secret était resté absolu, aucune information

n'avait filtré. L'organisation avait été minutieuse, soigneusement planifiée, chaque action

locale était synchronisée avec les impératifs de la constitution des convois ferroviaires.

Les témoignages directs des victimes sont rares. En Uruguay, en 2001, René Dreifuss, 56

ans découvrit en rangeant les affaires de sa mère qui venait de décéder, une boîte.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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Elle contenait un récit de son père Max sur l'expulsion de ses parents et sur les

évènements qui allaient suivre. De toute son existence René n'avait entendu un mot de

cette histoire. Ce texte serait publié le samedi 8 Novembre 2003 par "BZ" diminutif

employé par les lecteurs pour désigner Badische Zeitung, journal de Fribourg.

Max et Irma Dreifuss s'étaient mariés en 1937, ils habitaient à Fribourg, rue Belfort. Ils

avaient décidé de quitter l'Allemagne, leurs démarches pour émigrer en Uruguay étaient

accomplies, un visa leur avait été accordé. Le 22 octobre 1940, ils venaient de terminer à

Karlsruhe les formalités d'un départ prévu en novembre. Max Dreifuss, prenait son petit-

déjeuner avec son épouse et ses beaux-parents à Eichstetten, lorsque des coups furent

frappés à la porte, ils ouvrirent et le scénario, qui se répéta chez tous les expulsés,

débuta.

Deux policiers entraient dans le logement et ils signifiaient leur expulsion aux occupants ;

ils avaient un délai d'une heure pour préparer leurs valises, prendre 100 reichsmark; ils

devaient signer la cession de tous leurs biens au Reich et donner les clefs de leur

logement en partant. Protester était inutile, ils devaient se dépêcher de quitter le lieu où

leur famille vivait parfois depuis plusieurs générations.

Les nazis étaient particulièrement fiers de leur entreprise. Dans les villes et villages des

photographes, des cameramen fixaient sur des pellicules la sortie dans la rue des

expulsés.

Lörrach, 22 octobre, un grand nombre d'enfants du voisinage aux regards scrutateurs se

déployaient derrière deux SS qui balisaient le chemin des expulsés de la porte principale de l’immeuble vers le camion bâché qui les attendait. Dans le bâtiment voisin, une famille se tenait sur son balcon, elle contemplait ce spectacle. Soudain à la rue, avec pour uniques biens désormais les bagages bouclés à la hâte, les expulsés, obligés de partir vers un destin inconnu gardaient contenance. Pour la première fois des familles entières étaient délogées; l'ordre brutal s'exécutait sans violence visible, le désespoir des partants n'était pas exprimé, il était tu. Il n'y avait pas de tentative de fuite, l'effet de surprise était total, ils n'avaient ni reçu ni perçu de

signes avant coureur.

Gailingen , 22 octobre, un village frontalier avec la Suisse où, au début des années trente, la moitié de la population avait été de religion juive. Une queue s’était formée devant un des camions qui conduirait les expulsés à la gare; ils montaient avec difficultés sur la plateforme

arrière du véhicule bâché, chargés de tout ce qu'ils avaient pu prendre. Dans la file d’attente en dernière position une maman observait attentivement la montée de ceux qui la précédaient, elle tenait son garçon à la main, lui regardait en arrière. Plus loin des villageois assistaient à la scène, dans le groupe des spectateurs, une mère tenait son bébé dans les bras.

A Ludwigshafen, 22 octobre, devant le camion affecté au transport, au milieu de personnes âgées qui rassemblaient leurs bagages posés sur le sol, apparaissait la silhouette droite et frêle d'Hans Kahn, il se détachait du groupe par sa jeunesse, son regard absorbé par l'observation d'un détail au loin et un visage qui reflétait une infinie tristesse.

A Karlsruhe, 22 octobre, au numéro 2 de la rue Schubert, Anne Rose Wolf et Sofia sa mère

furent raflées. Anne Rose écolière à l'école Lidell était sportive, membre du Turnclub Karlsruhe; en l'absence d'un professeur d'éducation physique qualifié, elle assurait dans

l'établissement scolaire l'instruction sportive; son anniversaire approchait, dans huit jours elle allait avoir quinze ans, un an de plus qu'Hans Kahn. La famille Altmann, Ruth, éducatrice de jeunes enfants, Jacob négociant en vin et spiritueux et leurs six enfants Meta, Bella, Maier, Benjamin, Sarah et Paula furent pris à leur domicile.

A Fränkisch-Crumbach, dans la maison familiale Michel et Féodora Oppenheimer furent raflés avec leurs parents Margerete et Moritz.

A Mannheim, 1984 membres de la communauté furent pris, parmi eux la famille Krämer, Frieda

et Marcus et leurs enfants Irène et Helmut.

Déplacement

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Max Dreifuss dans son témoignage écrivait à propos du départ d’Eichstetten :"Après des heures

d’une angoissante attente, on nous conduisit, par camion, dans la soirée, avec d’autres habitants juifs du village vers la gare de Karlsruhe. Là-bas, ce fut un spectacle d’une indescriptible abomination. Des centaines de nos semblables se tenaient dans la rue, deux vieilles femmes en fauteuil roulant, des vieillards avec des baluchons sur le dos, des femmes avec des enfants et de

vieux parents, tous s’agitant avec des regards effrayés. Qu’allait-on faire de nous ?"

Sept convois furent formés, ils traversèrent le Rhin sur le pont ferroviaire entre Breisach

am Rhein et Neuf Brisach qui avait été remis en service après une reconstruction rapide.

Robert Wagner fut le premier à annoncer la nouvelle: il n’y avait plus de juifs en Pays de

Bade, il était le premier Gauleiter à obtenir un tel résultat sur un territoire du Reich .

A Mulhouse, un arrêt fut organisé pour effectuer le change en francs des reichsmark

qu'ils avaient été autorisés à prendre. Les gardes armés menaçants qui effectuaient le

change, confisquaient les sommes qui dépassaient le montant autorisé et tentaient de

voler les bijoux. Une soupe chaude copieuse fut ensuite servie.

Josef Bürckel et Robert Wagner n’avaient informé personne en France de l’envoi des six

mille cinq cent trente-huit enfants, femmes, hommes, vieillards apatrides; en effet les

expulsés avaient été déchus de leur nationalité. A Chalon sur Saône, lieu de

franchissement de la ligne de démarcation qui séparait la zone occupée de l’autre, les

autorités françaises furent placées devant une arrivée massive non annoncée et elles

refusèrent tout d’abord le passage aux convois. Une attente interminable débuta dans les

wagons de troisième classe plongés dans la pénombre, les gardes allemands interdisaient

aux passagers entassés dans les voitures de relever les rideaux qui obturaient les

fenêtres. Les convois immobilisés par l'interdiction de passer bloquaient le trafic normal ,

une décision devait être prise.

France non occupée

Les nazis après le fichage de chaque membre de la communauté juive , après

l'établissement de listes où ils apparaissaient tous, pénétrèrent le jour de Souccot chez

chacun d'eux pour les dépouiller de leurs biens, puis ils les expulsèrent de leur logement,

les amenèrent dans des gares, les firent monter dans des trains spéciaux en direction

de la France non occupée. Ils laissèrent des gardes allemands pour les surveiller.

Que firent les personnes confrontées au problème de l'arrivée non annoncée de plus de

six mille personnes sur le territoire français? Elles en référèrent aux autorités

compétentes qui élevèrent de manière vigoureuse une protestation officielle en direction

du Reich. La qualité des passagers: juifs allemands depuis peu apatrides les rendaient

indésirables; en vertu de la loi, il était possible de les interner. Pour des raisons

humanitaires et pour libérer les voies de chemin de fer, ordre fut donné de laisser entrer

les sept convois bondés. Le remplacement des militaires allemands par des Français pour

surveiller les compartiments permit aux passagers d'ouvrir les rideaux des fenêtres

latérales des wagons.

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Les locomotives marquèrent une halte à Lyon; dans la précipitation du départ, peu de

personnes contraintes à ce déplacement imposé par la force n'avaient pensé à prendre

des quoi se désaltérer. Rien n'avait été prévu pour les ravitailler. Lors de l'arrêt, le

manque d'eau amena les passagers à quémander des boissons à ceux qui se trouvaient

sur le quai. Ils furent peu nombreux à avoir pu étancher leur soif lorsque les trains

repartirent en direction de Toulouse . La décision avait été prise par les autorités

françaises de les envoyer vers la plaque tournante des Pyrénées, la gare Matabiau . Ils

poursuivraient vers la gare d'Oloron Sainte-Marie qui était proche du camp de Gurs,

dont la capacité d'hébergement permettrait d'absorber cette arrivée massive d'expulsés .

L'arrivée des convois au terminus était décrite dans le témoignage de Max Dreifuss

préalablement cité, paru dans "BZ" en 2003, . Max restituait dans son texte la

perception sensible d' homme précis. Entraîné dans le basculement de sa communauté

dans le néant, il évitait de sombrer dans le désespoir et tentait d' adopter une attitude

positive.

Tout le monde descend !

"Tout le monde descend ! ". Nous rassemblâmes nos affaires puis nous descendîmes. Il

pleuvait des cordes et nous dûmes attendre devant la gare jusqu'à ce que tout le monde

soit à peu près en ordre. Les gardes mobiles français, avec des camions, certains

ouverts, d’autres fermés, nous attendaient. L’embarquement dans des camions d’accès

difficile débuta aussitôt ; vieilles grands-mères, vieillards et enfants tout fut jeté comme

des paquets dans les camions. Certains couchés, d’autres assis ou debout ; le trajet était

long d'environ 14 km, sous l’orage et la pluie battante. Tout notre courage s’effondrait.

Que nous réservait-on ? Où nous conduisait-on ? Sur chaque visage, on pouvait lire

l’indicible : « Maintenant tout est fini ! ».

Après un virage dans cet environnement montagneux, apparut à nos yeux un camp

constitué d’innombrables baraques : le Camp de Gurs. Nous nous demandions quel genre

de camp de travail ce pouvait être. Soudain, un ordre : « Les hommes, descendez ! Les

hommes uniquement ! ». Ma femme et moi nous nous regardions en cherchant de l’aide.

Les hommes à peine descendus, le camion, chargé des femmes, se remit en route. Nous,

les hommes, étions debout sous la pluie battante. Devant nous, à gauche et à droite, des

baraques entourées de barbelés. Les gardes mobiles nous conduisirent derrière ses

barbelés, dans les baraques. Ce que nous vîmes nous démoralisa encore davantage : il y

avait des dortoirs vides, comparables à de grandes niches pour chiens, mesurant environ

30 mètres de long sur 4 à 5 mètres de large. Nous devions nous choisir une place ;

bientôt, notre baraque fut remplie d’environ 60 hommes âgés de 20 à 85 ans venant de

tous les coins du Pays de Bade et du Palatinat. Peu à peu, les 25 baraques se

remplissaient avec des êtres humains qui, il y a encore trois jours, vivaient

tranquillement chez eux. Nous étions internés. Se plaindre ne servait à rien. Nous nous

rendîmes tout de suite compte qu’à partir de maintenant, seuls le travail et notre vie en

communauté pouvaient nous sauver.

Qu’est-ce que le camp de Gurs ? Des baraquements composés de 14 îlots de 27 baraques

chacun, chaque baraque contenant 60 personnes serrées les unes contre les autres. Les

baraques se trouvent en rase campagne, construites sur de la terre glaise et entourées

d’un environnement montagneux. Environ trente kilomètres plus loin, au sud, s’étend la

chaîne des Pyrénées avec des sommets enneigés. Ce lieu était notre nouveau domicile où

nous étions parqués derrière des barbelés, comme des animaux.

Le lendemain, sur ordre du commandement du camp, une direction composée de

détenus fut mise en place pour chaque îlot. Cette direction d’îlot avait seule le droit de

faire part au commandement des requêtes émises. Nous manquions de tout, de matelas,

de couvertures, de traversins, et surtout de cuisinières dans les cuisines des îlots. Il n’y

avait rien ; seulement d’immenses baraques traversées par les cinglantes tempêtes de

Biscaye.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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En sortant des baraques, on s’enfonçait à hauteur de chevilles dans une boue de glaise

collante, et certains de nos compagnons d’infortune devaient être tirés de cette boue

lorsqu’ils n’étaient pas en mesure de s’en sortir seuls. Les quelques habits que nous

possédions se détérioraient d’autant plus.

L’alimentation était à l’image du camp : matin café, midi soupe, le soir thé ou café et, de

temps en temps, soupe aux vermicelles. Pendant des mois ce fut notre ration

quotidienne. De plus, on distribuait environ 2 kg et demi de provisions par jour, pour 7

détenus. Aussi longtemps que chacun eut ces provisions, tout se passa bien. Ensuite la

disette s’installa. Chacun put mesurer ce que signifie la prière à Dieu : « Donnez-nous

aujourd’hui notre pain de chaque jour ». Chaque miette, que ce soit de pain, de fromage,

ou d’autre chose, même si elle était tombée dans la boue, était nettoyée avec soin puis

mangée ou conservée.

Où étaient passés les femmes et les enfants ? Nous savions qu’ils se trouvaient aussi

dans des baraques que nous espérions en meilleur état, mais notre déception fut grande.

Lorsque les premiers d’entre nous visitèrent les baraques des femmes, un profond

désarroi nous prit car leurs conditions étaient pires : les îlots des femmes étaient encore

plus sales et les baraques dans un état encore pire que les nôtres. Femmes et enfants

étaient à peine capables de traverser l’épaisse couche de boue. Je revis pour la première

fois des parentes et des amies, salies, avec des visages aux traits cernés.

Nous ne pouvions parler à nos femmes, que surveillés par des gardes mobiles, derrière

des barbelés, et seulement pendant cinq ou dix minutes maximum. Un coup de sifflet

strident, et nous étions chassés sans ménagement. C’était là notre au revoir. Chaque

jour amenait de nouvelles recommandations, de nouveaux ordres, mais aucune

amélioration de nos conditions de vie. Dans notre îlot, des officiers français effectuaient

un appel chaque matin à huit heures, mais par chance, après quelques minutes, c’était

terminé. Dans l’ensemble, on peut reconnaître aux pelotons de surveillance française une

certaine compréhension de notre situation.

La direction de l’îlot décida d’une sorte de règlement intérieur dictatorial pour prévenir

des maladies, en composant avec le manque d’installation sanitaire. Mais un jour notre

moral fut sapé par la rumeur selon laquelle d’autres îlots étaient contaminés par une

épidémie. On nous appela pour les premiers enterrements et bientôt, devait naître une

nouvelle communauté juive, mais une communauté de la mort pour laquelle fut ouvert

un cimetière sur la commune de Gurs. Jour après jour, le nombre d’enterrements

augmenta. Certains jours, il y avait 13, 17 et même jusqu'à 21 inhumations. Ce qui s’est

déroulé là de tristesse et de désespoir humain ne peut être mesuré que par ceux-là

mêmes qui l’ont vécu. Lors de ces enterrements massifs, il arriva que l’on apprît, sur la

tombe d’un proche, que d’autres parents allaient être aussi inhumés. Des parents âgés

perdirent leur descendance, des enfants devinrent orphelins. 800 à 1000 Juifs du Pays de

Bade et du Palatinat regagnèrent leur dernière demeure dans des assemblages hâtifs de

planches qui comportaient de larges fentes, loin de leur ancienne patrie. Il n’y eut bientôt

plus de baraques où une ou plusieurs personnes ne disent la prière Kaddish pour un

proche. Mi-janvier, l’épidémie baissa d’intensité et la mortalité diminua à nouveau.

Malgré cette situation pitoyable, on trouvait du courage et de l’énergie pour se redresser.

Lorsque l’on vit que notre détention allait durer, des baraques scolaires furent

aménagées pour que les enfants suivent une éducation. Des enseignants bénévoles

instruisaient, sans livres, aussi bien que possible. En même temps, les autorités du camp

permirent aux enfants des sorties journalières dans les environs du camp. C’était, pour

nous, derrière les barbelés, une joie de voir les enfants marcher, chantant leurs chansons

dans les rues du camp. Avec le temps, on aménagea aussi une baraque de la culture,

dans laquelle on parlait politique, judaïsme, économie, pour rendre notre existence plus

supportable. La Chanukka débuta dignement et, quelques fêtes amenant de la joie,

comme les anniversaires et les noces d’or, eurent lieu. Deux Bar-Mizwas furent célébrées

dans des conditions inhabituelles.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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Il y avait aussi des baraques pour malades ; lorsque je pénétrai la première fois dans

celle de notre îlot, je fus tellement ébranlé par son état misérable que je ne pouvais me

calmer. Les malades gisaient avec leurs habits, manteaux, chapeaux et bonnets sur la

tête, sur des châssis en bois, renforcés par des fils métalliques et recouverts de paille.

Pitoyables, ils avaient besoin d’aide, de médicaments et de remèdes qui ne pouvaient

leur être accordés que peu ou pas du tout. Chaque patient se rendait avec répugnance

dans cette baraque, appelée infirmerie.

Le travail dévoué des médecins et des infirmières ne doit pas être oublié. Dans ces

conditions précaires, ils œuvraient bénévolement, jour et nuit, à tenter de soulager tant

de douleurs. Il faut rendre hommage à l’énergie obstinée de ces hommes et également

celle des comités d’aide qui, en procurant des médicaments, des couvertures, de la

nourriture, permirent une réorganisation de l’infirmerie.

Avec le temps, arrivèrent les premiers colis contenant des cadeaux et de l’argent. Ceux

qui en recevaient pouvaient se procurer les articles de première nécessité à la cantine de

l’îlot qui s’était créée entre-temps. Dans les autres îlots, se trouvaient des réfugiés

espagnols qui nous procuraient de la nourriture, à des prix d’ailleurs pratiquement

inabordables. Seul un petit nombre pouvait s’approvisionner à cette source. Après un

certain temps, cette aide fut interrompue à cause du rationnement qui se mit en place en

France. A la place de cela, nous eûmes droit, dans nos baraques, à une invasion de rats

et de souris. A mon départ du camp de Gurs, beaucoup de détenus m’ont demandé, au

cas où j’arriverais outre-atlantique, de ne pas les abandonner et d’alerter les comités

d’aide sur la situation épouvantable qui régnait dans le camp. Chaque somme d’argent,

chaque paquet apporte un souffle, une lueur d’espérance à ceux qui sont encore à Gurs

ou dans d’autres camps et c’est un devoir pour celui qui y compte un parent ou un

proche de l’aider, avant qu’il ne soit trop tard."

Le Secrétaire Général de l'Ambassade de la République d’Uruguay à Vichy récupéra au

Consulat Général d’Uruguay à Hambourg le dossier d’émigration des Dreifuss qui était

complet, puis il engagea avec succès les démarches qui permirent au couple interné

d'être de nouveau libres . Au printemps 1941, ils quittèrent le camp de Gurs, c'est à ce

moment- là qu'il rédigea son témoignage. Il le rangea dans une boîte. A qui aurait-il pu

le confier? Qui aurait pu diffuser les informations qu'il contenait pour qu'elles arrivent

jusqu'à la famille Kurtzweil pour les alerter d'un danger? Etait-il déjà trop tard? Pendant

le temps où les mille tombes se creusaient au cimetière du camp de Gurs, un chantier

avançait à grand pas en Pologne: celui Auschwitz.

Bilan provisoire

Quatre mois après le lancement de leur opération Josef Bürckel et Robert Wagner

pouvaient tirer un bilan provisoire satisfaisant des suites de cette expérience d'expulsion.

La vigoureuse protestation émise par les autorités françaises concernait seulement

l'absence de concertation au moment de l'envoi de trains bondés en zone non occupée.

La manière dont étaient traités les membres de la communauté juive n'était pas l'objet

de critiques. Ils avaient été internés comme indésirables sans autre forme de procès.

Dans ce lieu d'internement les femmes furent séparées des hommes et les mères des

enfants. Les baraques étaient en mauvais état, les conditions d'hygiène minimales, la

nourriture insuffisante et de qualité médiocre, la privation de liberté, l'âge avancé de

certains, l'absence de perspective , la soudaineté de ce changement abrupte de vie

provoquèrent une hécatombe parmi les internés de Gurs. Les décès en nombre n'avaient

provoqué aucune réaction notable, ceux qui possédaient l'information ne l'avaient pas

rendue publique.

Aspet

Pour les autorités françaises, il convenait d'éloigner des enfants et d'endiguer la vague de

décès; elles géraient la situation avec peu de moyen sans la moindre volonté

exterminatrice. Le préfet de Pau offrit aux organisations d'aide présentes au camp des

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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possibilités d' hébergement à Aspet. Des parents acceptèrent cette séparation, ils

confièrent leurs descendants à l'Œuvre de Secours aux Enfants dans l'espoir qu'ils

connaissent de meilleures conditions de vie que celles qu'ils subissaient au camp.

Le 27 février 1941, un groupe de 48 d'enfants qui comprenait Michel Oppenheimer fut

acheminé à la Maison des Pupilles de la Nation d'Aspet en Haute Garonne. Henri Couvot,

le directeur de l'établissement se chargea d'organiser la vie de ses nouveaux

pensionnaires en réglant les questions d'intendance au quotidien et en trouvant les

moyens de dispenser un enseignement à des écoliers qui ne parlaient pas un mot de

français en arrivant . Les enfants connurent à Aspet une vie d'enfants, d'écoliers, de

pensionnaires. Ils entretenaient avec leurs parents internés une correspondance assidue.

Pour éviter la mortalité due aux rudes conditions climatiques, à l'état sanitaire du camp,

des transferts furent organisés pour une partie des internés vers des établissements

mieux situés et en meilleur état . Ces déplacements, les améliorations des conditions

d'internement firent chuter le nombre de décès. La situation était stabilisée dans

l'attente d'une autre solution.

Vers la solution finale

Theodor Dannecker, nazi et SS depuis le début des années 30, avait été nommé à la fin

de l'été à Paris. Chargé des questions juives à la direction de la Gestapo, il veillait

particulièrement à la mise en place d'un fichier juif par la police française, préalable

indispensable pour envisager une action d'envergure; il veillait au sort expulsés qui

restaient internés dans les camps des Pyrénées.

Le 28 juillet 1941, Bruno Kurtzweil répondait au recensement des juifs en France par

lettre recommandée, récépissé n°517-2, envoyée au Commissariat de Police de

Montauban .

Le 31 juillet, Goering, Maréchal du Reich de la Grande Allemagne s'adressa à Heydrich

Chef de la Police de Sécurité pour formuler une demande expresse. Le Reich allemand

poursuivait sa croissance en Europe , le temps était venu de poser la solution finale de la

question juive en termes concrets, en mesures pratiques. Il attendait en réponse, un

plan d'ensemble.

La solution finale telle qu'elle était envisagée par les hauts dignitaires placés au sommet

de l'Etat nazi signifiait l'élimination physique pure et simple de tous les membres des

communautés juives d'Europe. Les SS cherchèrent les moyens pour réaliser un

assassinat de masse à une échelle continentale.

Le 3 septembre, ils procédèrent à des tests scientifiques pour mesurer l'efficacité du gaz

Zyklon B comme moyen d'extermination rapide. A Auschwitz, ils choisirent des

prisonniers soviétiques comme cobayes pour pratiquer des essais validant l'efficacité du

produit. Les essais furent concluants.

Babi Yar

De septembre à octobre les unités de tuerie mobile testèrent différents moyens

techniques, mais ils pratiquèrent surtout l'exécution par arme à feu. Les 29 et 30

septembre la violence barbare atteint son paroxysme. Les nazis et leurs collaborateurs

ukrainiens rassemblèrent à Kiev ceux qu'ils souhaitaient éliminer, il s'agissait

principalement des populations juives. Une fois réunis, ils furent contraints de quitter la

ville à pied par des rues jonchées des corps sans vie de marcheurs sommairement

abattus.

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Ils prirent la direction de Babi Yar: un ravin profond autour d'une colline. Au bord du

chemin se massait par endroits une foule de spectateurs ricanant du spectacle. Les

exterminateurs avaient choisi ce lieu au relief particulier pour pratiquer une exécution de

masse : les victimes devaient se dévêtir, s'aligner au bord du précipice, les bourreaux

faisaient feu, les corps chutaient alors dans la fosse commune naturelle ; ils étaient

remplacés par un nouveau groupe qui se mettait en place pour l'exécution. Plus de

trente-trois mille morts en deux jours.

Le même carnage se produisit dans d'autres villes, Vinnitsa, Litin, Uman, Nikolaiev,

Jdanov, Dniepropetrovsk, Kremenshug, Odessa... , des bourreaux marquèrent des signes

d'épuisement, des exécuteurs ne purent poursuivre cette activité.

Début octobre, la deuxième tranche du chantier du camp d'Auschwitz-Birkenau était

ouverte à la construction.

La nasse

Sur une carte historique du continent européen de l'année 1942 qui montrait les zones

occupées par des armées hitlériennes, la zone de France libre est l'une rare où la

soldatesque nazie est absente. Cette caractéristique rendait cette zone attractive pour

ceux qui fuyaient ce régime . Elle n'était pas sans danger, un franchissement réussi de

la ligne de démarcation vers la zone non occupée ne garantissait pas la liberté. Un

contrôlé d'identité réalisé par les forces de l'ordre française pouvait les conduire derrière

les barbelés d'un des nombreux camps d'internement qui constellaient le territoire. Ils regorgeaient de détenus.

Julius Bloch présidait le Conseil de la Synagogue de Fribourg, après l' expulsion, avec

les membres de sa communauté, des autres communautés du Pays de Bade, de Sarre,

du Palatinat, ils avait abouti à Gurs. Après l'hécatombe, ils avaient inauguré cette nasse

constituée d'une nébuleuse de camps où les internés étaient transférés de l'un à l'autre

pour des raisons sanitaires, disciplinaires ou logistiques. Julius était au bord de la

Garonne, entre le pont Saint Michel et le Pont Neuf dans les baraquements du camp du

Cours Dillon où se trouvaient bon nombre de médecins de l'armée républicaine

espagnole. Le 13 octobre 1941, Julius était au cœur de Toulouse, au bord de la Garonne,

lorsqu'il perdit la vie.

La solution finale

Le 22 janvier 1942, à Berlin, la conférence de Wansee dirigée par Heydrich ,détaillait la

réalisation technique d'une décision déjà prise : la déportation des juifs d'Europe vers

l'Est et leur extermination.

A Montauban, Bruno Kurtzweil se soumettait au second recensement de la population

juive, le 20 février la Police Régionale d'Etat lui remettait une attestation d' inscription de

sa famille. Il avait appris cette nouvelle exigence par la copie d'un article de presse qu'il

avait reçu. L'ancien avocat de Graz avait un respect scrupuleux de la légalité que rien

n'entamait; il pensait bien faire en donnant les coordonnées de sa famille aux policiers

qui alimentaient leurs fichiers. Il avait reçu en janvier du Mexique des nouvelles positives

qui garantissaient à sa demande de visa une réponse positive. La préfecture du Tarn et

Garonne avait délivré pour lui, son épouse et à sa fille le sauf-conduit n° 281 tenant lieu

de passeport pour se rendre là-bas; il ne pouvait pas se permettre de devenir un hors la

loi.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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Le 14 avril, l'Amiral François Darlan, chef du gouvernement faisait savoir à la Direction

Politique des Affaires Etrangères : "qu'il avait décidé de transférer en Algérie un nombre

important d'israélites étrangers se trouvant actuellement en zone libre... Dès à présent

j'envisage le départ des israélites allemands, autrichiens, tchécoslovaques, hongrois, bulgares, roumains et réfugiés russes."

A Paris, au siège de la Gestapo, cette nouvelle provoquait la stupeur de Theodor

Dannecker : elle signifiait le transfert vers l'autre rive de la Méditerranée des expulsés-

internés de l'opération Bürckel-Wagner, ce déplacement était envisagé par le chef du

gouvernement français; il était visiblement mal informé des intentions prochaines du Reich allemand.

Cette décision resta sans suite, quatre jours après sa formulation un nouveau cabinet ministériel était formé le 18 avril.

Le secrétaire général à la police

Fils d'un honorable notable après de brillantes études au lycée de garçon, il conquit avec

succès sa licence en droit et ses titres pour le doctorat à la Faculté de Toulouse. Il fit

ensuite du journalisme sportif et se distingua par la netteté et la vigueur de son style et

la hardiesse de ses idées. Il était chef de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne lors des

inondations de mars 1930: Sa courageuse intervention dans le sauvetage des sinistrés lui

valut sa promotion dans l'ordre de la Légion d'honneur et d'être appelé au ministère de

l’intérieur. Il poursuivit sa brillante carrière comme directeur au Ministère de l'agriculture.

Il avait été délégué au plan d'aménagement de la région parisienne et avait été chargé

du fichier central à la Sûreté générale. Il fut successivement: sous-préfet, secrétaire

général , préfet et enfin préfet régional. Cette rapide et brillante carrière administrative

l'avait préparé à la lourde mission qui venait de lui être confiée.

Nommé le 22 avril, le secrétaire général à la police rencontrait le 5 mai Reinhard

Heydrich. Reinhard devenu le Gouverneur du Protectorat de Bohème Moravie, gardait

de très hautes fonctions dans le commandement SS , il était venu à Paris pour détailler

les mesures à mettre en œuvre en France dans le cadre de la solution finale. Un accord

fut conclu pour la collaboration de la police française en zones occupée et non occupée.

Un mois plus tard Heydrich était à Prague, en référence à sa cruauté la ville le

surnommait "Le bourreau". Par une belle matinée ensoleillée, il se rendait au siège de la

Gestapo, la capote de sa limousine était relevée. Deux hommes l'attendaient pour

l'abattre; l'arme automatique du tireur s'enraya, le second lança un engin explosif dans

le véhicule qui explosa blessant gravement le chef de la Police de Sécurité . Les SS se

lancèrent furieusement à la recherche des auteurs de l'attentat, lançant des actions de

représailles démesurées et sauvages destinées à terroriser la population.

Le bourreau de Prague, promoteur de la solution finale succomba à ses blessures le 4

juin. Sa disparition ne remit pas en cause les décisions prises antérieurement à Paris.

Le capitaine SS Theodor Danneker et son adjoint Ernst Heinrichsohn quittèrent la

capitale du 11 au 19 juillet 1942. Ils visitèrent différents camps d’internement : Fort

Barraux, près de Grenoble, les Milles près d’Aix en Provence, Rivesaltes près de

Perpignan, et Gurs. Le chef du camp de Gurs, transmit au préfet des Basses Pyrénées

dans un rapport de sa visite : “il nous a informé qu’il allait faire transférer tous les juifs

du camp de Gurs vers l’est de l’Europe”. Les officiers nazis étaient absents à Paris, le 16

juillet; plus de treize mille femmes, hommes, enfants furent raflés, conduits au

Vélodrome d'hiver, puis à Drancy et pour finir, partirent en convoi pour Auschwitz , lieu

d'extermination devenu opérationnel.

Les Friedländer préparaient leurs valises ; Elli et Jan souhaitaient franchir la frontière

franco-suisse dans la région de Saint-Gingolph . Ils avaient trouvé à leur fils une place

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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au sein d'une institution religieuse protectrice qui offrait à Pavel une place dans un

internat, il serait à l'abri des rafles. Elli bouclait les bagages, leur séparation approchait.

Jan leur communiqua une information : les troupes hitlériennes venaient de pénétrer à

Stalingrad.

Le 5 août , le secrétaire général à la police communiquait au Préfet Régional ces

instructions : "Vous informe qu'israélites allemands, autrichiens, tchécoslovaques,

polonais, estoniens, lituaniens, lettons, dantzigois, sarrois, soviétiques et réfugiés russes

entrés postérieurement au premier janvier 1936.... seront transportés en zone occupée

avant le 15 septembre ."

Le 15 août, par un télégramme officiel très secret n°2.576 C.R., avec une copie du

message transmise aux préfets des départements concernés, il adressait au Préfet

Régional les détails sur la formation de nouveaux convois d'israélites.

Il invitait le Commissariat de lutte contre le Chômage à établir des listes de partants qui

seront communiquées aux préfectures avant le 17 août ; les noms et les adresses des

familles des individus listés seront joints. Ces familles seront comprises dans les

opérations générales de regroupement prévues pour une date ultérieure.

Les consignes étaient claires, elles allaient être exécutées.

Le 26 août, La famille Kurtzweil est amenée au camp de Septfonds avec les trois autres

familles juives assignées à Auvillar. A Varennes le même jour, la brigade de Villebrumier

arrête d’abord Walter et Lily Moses à leur domicile chez Pierre Chaubard, Hélène la fille,

et Pierre le jeune fils de quatorze ans, qui occupent une chambre au rez-de-chaussée de

la grande maison de madame Brégal. Peu après, à la sortie du village, juste avant le

monument aux morts, ils embarquent les trois sœurs Galanty.

La première étape du plan de départ se mettait en route. L'existence d'un camp qui

permettait aux brigades de gendarmerie d'effectuer à leur rythme leur mission dans

chaque village du département à partir des listes qui avaient été établies grâce au

recensement. La différence notable avec les opérations menées par les Gauleiter Bürckel

était que le secret des opérations n'était pas absolu, un petit nombre fut prévenu, il

réussit à fuir le village. Les gendarmes n'étaient pas animés de haine raciale, ils

obéissaient aux ordres. Il revinrent à Varennes le 11 septembre pour arrêter Bernard

Lewald et sa femme Sarah qui avaient échappé à la première rafle.

Les convois régionaux

Sur les quais de la gare d' Oloron Sainte Marie, comme à Rivesaltes, ceux qui étaient

arrivés du Pays de Bade, de Sarre, du Palatinat en wagons voyageurs repartaient dans

des convois régionaux composés de wagons à bestiaux. Lorsqu'ils étaient partis de

Lörrach, Gailingen, Ludwigshafen, Offenburg... des photographes se pressaient pour

immortaliser leur départ. A Rivesaltes, seuls quelques clichés furent pris à la sauvette par

un américain Tracy Strong. Une photographie floue permet de visualiser le départ vers la

mort des internés du camp.

Dans un chaleur de fin d'été, un groupe attendait à l'intérieur du camp, le plus souvent

ils étaient debout, certains portaient des tenues légères et claires, la plupart portaient

des vêtements sombres qui paraissaient lourds et chauds , leurs têtes étaient couvertes

par des foulards, des casquettes et des chapeaux.

Dans les wagons, certains tentaient d'adresser un dernier message qu'ils jetaient sur les

voies à destination de leurs proches. Les quakers longeaient les rails à la recherche de

ces ultimes signes de vie, puis tentaient de les faire parvenir à leurs destinataires.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

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La maman d'Hedi, l'enfant souriante qui avait été accueillie par les britanniques aux

lendemains de la nuit de cristal , se trouvait dans un convoi . Elle avait écrit un texte au

crayon rapidement sur un rectangle de papier:" Ma chère Hedi sur le trajet vers l'est, de

Montauban, je t'adresse encore beaucoup de profondes salutations d'adieu. Ta chère

maman 4 septembre 1942". A la gare de Villebourbon, elle jeta ce message qui arriva à

destination.

Les parents de Richard Levi étaient du voyage, Alfred et Brunhilde avaient écrit des

camps de Gurs et de Rivesaltes 98 lettres à leur fils. Richard habitait à Horsham au sud

de Londres, au 20 Gladstone Road, il reçut la dernière lettre postée par son père. Elle

portait le cachet de la Poste de Mont Louis - Pyrénées Orientales. Interné au camp du

village Alfred était affecté aux travaux de terrassement d'un chantier pour la construction

d'un barrage.

Il y avait également Hans Kahn de Ludwigshafen, il avait seize ans. Il y avait Margarete

et Moritz les parents de Michel Oppenheimer.

Dans la nuit du 1 au 2 septembre avec des camions réquisitionnés par les gendarmes à

des entreprises fruitières, 211 internés du camp de Septfonds furent conduits à la gare

de Caussade. Le convoi régional qui s'arrêta à Caussade pour prendre Adèle Kurtzweil ,

sa famille et les autres provenait-il de Rivesaltes ou d'Oloron Sainte-Marie? La

destination finale était la même pour tous.

Jan et Elli Friedländer arrêtés lors de leur tentative de passage en Suisse furent internés

à Rivesaltes. Bruno Kurtzweil respectait scrupuleusement la légalité; Jan Friedländer

gardait confiance dans le Pays des Droits de l'Homme . La veille de son départ, il espérait

encore qu'une intervention ministérielle le sauverait de la déportation, il télégraphiait:

"Sans intervention ministère intérieur, notre prochain départ inévitable Amitié de Jan

Friedländer, 3548 Rivesaltes, îlot K".

Frieda et Irène Krämer sa fille étaient dans ce même îlot K lorsqu'il avait été séparé en

plusieurs parties en prévision des départs pour Drancy. Cette famille originaire de

Mannheim avait été envoyée de Gurs à Rivesaltes. Irène et son frère Helmut reçurent

des Eclaireurs Israélites de France présents dans le camp une proposition: rejoindre

Charry, près de Moissac. Les parents leur permirent de partir, malgré la douleur de ce

départ de leurs enfants vers l'inconnu.

Le 5 octobre 1942, Jan Friedländer écrivit un dernier message dans le train qui

l'emmenait avec sa femme Elli en Allemagne. Il informait une amie qu'elle allait recevoir

d'un représentant des Quakers une somme d'argent et un bracelet qu'il lui avait confié;

elle recevrait d'une dame un classeur avec des timbres. "Gardez tout pour le petit et

acceptez, pour la dernière fois, nos remerciements infinis et nos vœux les plus

chaleureux pour vous et votre famille toute entière. N'abandonnez pas le petit...."

Le dernier mot, une pensée à son fils. Songea-t-il pendant le long voyage au moment de

leur séparation, lorsqu'il avait évoqué l'entrée des troupes allemandes à Stalingrad?

Pendant que le convoi roulait, là bas, la glace commençait imperceptiblement à prendre

sur la Volga. Lorsque le gel aurait complètement pris la surface du fleuve la contre-

attaque de l'armée rouge débuterait. Elle infligerait une retentissante défaite aux armées

du Führer, ce fut le signal de la contre offensive , le commencement de la chute du

régime nazi.

Lorsque Jan lança son message sur la voie, le IIIème Reich nazi était à son apogée:

sans qu' un seul soldat allemand ou un membre des SS soit présent la France livrait en

silence des enfants, des femmes, des hommes parce qu'ils étaient juifs

Lorsque Jan lança son message sur la voie, à l'autre bout du chemin les Kurtzweil avaient

cessé de vivre.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 25

Que restait-il des communautés du Pays de Bade, du Palatinat et de Sarre qui comptait

parmi les plus ancienne d’Allemagne , leur présence remontait parfois au treizième siècle

comme à Baden-Baden où elle est attestée dès 1267? Il restait les orphelins d'Aspet,

Hedi en Angleterre, Richard Levi à Horsham au sud de Londres, les Dreifuss en Uruguay

et quelques poignées d'autres disséminés dans le monde.

Il restait la famille Krämer , Frieda et Marcus Irène et Helmut, par des chemins différents

ils s' étaient tous sortis des camps.

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 26

Pont neuf

13 janvier 1943

Un Commissaire de Police de Toulouse nommé Jean Phillipe écrivait une lettre de

démission adressée au Commissaire Central et à l’Intendant Régional de Police. Il

refusait de persécuter des israélites, il refusait d'envoyer les ouvriers français au service

du travail obligatoire en Allemagne.

Son courrier de démission fut transmis à la Gestapo, la Police secrète d’État Allemande

opérait depuis novembre dans tout le territoire français, elle possédait une expérience

redoutable dans la recherche des résistants en fuite. Elle localisa Jean Phillipe dans le

département du Tarn et Garonne et organisa son arrestation à Beaumont de Lomagne le

28 janvier.

Envoyé en Allemagne à Fribourg, un tribunal militaire le condamna à être fusillé. Il fut

exécuté à Karlsruhe le 1er avril 1944.

28 juillet 2014

Je présentais le destin de Jean Philippe aux élèves de l’Atelier d’Histoire de la Realschule

Lessing au bord de la Dreisam, à Fribourg.

Ils étaient prêts avec leur professeur Rosita Dienst Demuth à s'investir dans la création

d'un lien avec un classe française autour de l'histoire de Jean Phillipe.

28 janvier 2015

J'exposais à des lycéens de Montauban l' histoire effacée des six mille cinq cent trente-

huit anonymes qui furent expulsés, déplacés, internés puis déportés.

Je concluais par l'évocation du geste de Jean Philippe, un des rares à s'être déclaré

hostile aux persécutions lorsqu'elles étaient en train de se dérouler. En lien avec cet acte,

je terminais par la proposition de créer un lien avec l'Atelier fribourgeois .

L'invitation resta sans réponse. Je décidais alors de rédiger cette histoire pour la porter à

la connaissance d'un plus grand nombre.

Jeudi 21 mai 2015

Je reformulais ma demande : " Existe-il une classe de lycée, de collège qui souhaiterait

établir une relation durable avec l'Atelier d'Histoire de Fribourg autour du souvenir de

Jean Phillipe ?

Lundi 8 février 2016

Je rencontrais Laure MEZIERE à Saint Antonin Noble Val, elle décidait de créer un Club

d'Histoire pour échanger avec l'Atelier de Fribourg.

Samedi 28 mai 2016

L'atelier d'Histoire de Fribourg arrivait à la gare de Caussade pour rencontrer le Club

d'Histoire de Saint Antonin Noble Val. La décision de planter un arbre dans la cours du

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Le pont neuf - 8 juin 2015

Jean-François MAVEL Page 27

collège de Fribourg le Lundi 28 novembre 2016 en hommage à Jean PHILLIPE et a deux

résistants fribourgeois anti nazi était prise.

( à suivre )