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Le père Peyriguère - Numilog · le brouhaha des distributions de vêtements, le dialogue avec le Christ se poursuit : « Le travail devient entrevue avec Dieu, entretien avec notre

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LE PÈRE

PEYRIGUÈRE

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DU MÊME AUTEUR

Ton prochain comme toi-même : Joseph Véniat (1910-1953)

Éditions Ouvrières

AUX MÊMES ÉDITIONS

ALBERT PEYRIGUÈRE

Le temps de Nazareth (Présentation de Michel Lafon)

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MICHEL LAFON

LE PÈRE PEYRIGUÈRE

Nouvelle édition remaniée

ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris V I

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La photo du Père Peyriguère figurant sur la couverture est du Dr Delanoë, les deux autres portraits du Père à l'intérieur du livre sont de M. Léon. Les autres photos sont des photos Scoupe - La Vie catholique illustrée.

NIHIL OBSTAT

ARRAS, LE 28 DÉCEMBRE 1 9 6 2 E. MARISSAL, CENS. DEP.

IMPRIMATUR

ARRAS, LE 1 JANVIER 1 9 6 3 GÉRARD HUYGHE, EP.

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous les pays.

© 1963, Éditions du Seuil.

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C'est nous qui tuons nos morts en les oubliant et en n'étant plus aux écoutes des hautes consignes qu'ils nous laissèrent par leur vie.

ALBERT PEYRIGUÈRE Lettre du 12 juin 1939

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DIALOGUES DANS L'ERMITAGE

Les modestes bâtiments de l'ermitage, accroupis parmi les arbres et la verdure, ressemblent aux maisons de terre qui les entourent : nobles haillons couvrant leur dénuement, des tôles s'étalent sur les toits plats, retenues par quelques gros cailloux.

En s'installant à El Kbab, le P. Peyriguère s'est fixé sur le flanc de la montagne, à l'écart du village, mais le village est venu à lui : les maisons grimpent à l'assaut et cernent de toutes parts l'ermitage. Séparé et assiégé : mystérieux symbolisme des contradictions d'une vocation exceptionnelle. N'a-t-il pas rêvé de solitude ?

« J'étais venu à El Kbab, pour y mener une vie d'ermite et de contemplatif... »

N'est-ce point aussi sa volonté apostolique qui l'a conduit sur cette montagne ? Témoin de l'Invisible et adorateur du Seigneur Jésus, oui, mais témoin parmi les hommes, devenu l'un d'eux comme sa maison est l'une d'entre les leurs. Séparé de son milieu d'origine pour devenir l'un de ces montagnards, partageant leur pauvreté et parlant leur langue. Et pourtant séparé d'eux aussi, par sa foi : ces non-chrétiens prient, mais la petite lampe qui brille dans la chapelle de l'ermitage marque le fossé invisiblement dressé entre lui et ceux qu'il aime

1. Lettre à une religieuse, 16 mai 1934.

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tendrement, qu'il accueille à toute heure, qu'il soigne chaque jour. Mais alors, un ermite, qui laisse toute la journée sa porte

ouverte, est-ce bien encore un ermite ? Malicieux, le Père pose la question :

« On continuera à m'appeler l'ermite d'El Kbab. Et c'est vrai, si être ermite c'est n'être jamais s e u l »

« Pauvre ermite d'El Kbab! Pas un instant il n'est seul du

matin au soir. Son silence : oui, sans interruption, à sa porte l'on frappe et on appelle « Marabout ». Heureusement qu'il y a la nuit. Que c'est bon de ressembler à notre Christ : le jour, des pauvres et des malades; la nuit, la rencontre et les entre- tiens avec le P è r e »

Alors, fut-il ermite ? Je ne sais... En tout cas, si vous voulez continuer à parler de l'ermitage d'El Kbab, sachez bien qu'il ne ressembla en rien aux silencieuses solitudes du désert : pen- dant trente ans s'y nouèrent d'incessants dialogues.

La solitude de l'ermite d'El Kbab se situe ailleurs : il est

seul parce qu'il est pionnier. « ... Je sais par quoi le missionnaire est le plus grand, c'est

en ce qu'il est s e u l » Ayant quitté les rivages familiers des vieux pays chrétiens,

il porte « le poids écrasant d'être à lui tout seul toute une chrétienté ». « Il est le premier-né de ceux qui naîtront dans les siècles. »

2. Lettre à Mlle D., 28 mars 1937. 3. Lettre à Mlle D., 18 mai 1934. Le P. de Foucauld aussi, à

Béni-Abbès comme à Tamanrasset, fut un ermite très dérangé. « L'on frappe à ma porte au moins dix fois par heure, plutôt plus que moins, des pauvres, des malades, des passants... » Œuvres spirituelles, Antho- logie, Éd. du Seuil, p. 689.

4. Lettre à Mlle D., 1 août 1932.

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Les dialogues dans l'ermitage : puissent ces pages vous en révé- ler la richesse, puisse leur écho retentir jusque dans votre vie !

Mais avec qui parle donc cet « ermite qui n'est jamais seul et qui ne se tait jamais » ?

D'abord, avec les pauvres et les malades dont le défilé ne s'interrompt guère. Oh ! les multiples conversations où tant de misères physiques et morales viennent se raconter et attendre la parole ou le geste réconfortant. Échange fraternel : « Tu es notre marabout », lui dit-on, en insistant sur le possessif : il n'est plus étranger. Échange véritable : lui aussi reçoit, apprend, au contact de ces foules d'enfants affamés et déguenillés.

Et puis, des hôtes de plus en plus nombreux montent à l'ermitage, hôtes d'une journée ou de plusieurs semaines : pèle- rinage où l'on vient puiser des raisons d'espérer ou cure de désintoxication au sortir de l'agitation moderne. En ces longs entretiens, bien sûr, il y a échange. Qu'il est à l'écoute le vieil ermite, qu'il reste jeune avec son interlocuteur :

« Il faudrait nous parler... c'est-à-dire être présents l'un à l'autre, l'un en face de l'autre, l'un à côté de l'autre... pou- voir nous parler, ou peut-être mieux encore, pouvoir nous taire ensemble5. »

Bien d'autres, attirés par l'idéal d'El Kbab, ne peuvent mon- ter jusqu'à l'ermitage : séminaristes et jeunes prêtres, religieuses, intellectuels ou fonctionnaires à la recherche d'une orientation, chrétiens et chrétiennes donnés totalement à l'œuvre d'El

5. Lettre à Michel Lafon, 17 juin 1946.

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Kbab. Pour eux tous, la correspondance viendra fixer sur le papier les moments du dialogue avec celui qui se voulait « l'homme du message ».

Des pauvres et des malades, des enfants et des vieilles fem- mes; des chrétiens et des musulmans, des prêtres et des foyers, et même des journalistes; et encore des correspondants dispersés dans le monde; des religieuses et des malades tissant autour d'El Kbab les silencieux échanges de la prière et de l'immo- lation : la foule immense des interlocuteurs défile... Mais les paroles qui retentissent ne sont-elles pas les mêmes pendant trente années ? Comme en ces danses berbères où, toute la nuit, on s'enivre du même refrain inlassablement chanté, le P. Peyriguère répète les mêmes thèmes, avec des nuances nouvelles ou des accents nouveaux. Il exprime ce dont il vit depuis le début avec une indomptable ténacité :

« Cette messe, je la dis tout seul mais je ne suis pas tout seul... Je suis, à moi tout seul, tout le Corps Mystique priant et immolé... »

« Il n'y a qu'une chose de vraie et de bonne : la volonté du Maître. C'est de Le servir de la manière qu'il choisit d'être servi par nous... »

Sans cesse l'enthousiasme et l'émerveillement se renouvel- lent, et les cris de joie des dernières années sont aussi neufs qu'aux premiers jours. Cette fidélité au message sans cesse redit révèle la survivance de la flamme des premières années sacer- dotales, reflet vivant posé sur ce cœur d'apôtre par l'éternelle jeunesse de l'Église.

Chaque jour, cependant, un dialogue se prolonge plus long- temps que les autres : celui de la chapelle. Plusieurs heures, la nuit, il se poursuit silencieux, coupé parfois d'exclamations

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ou de chants. Ce qui se dit pendant cette prière, le Père nous le découvre un peu dans ses confidences et ses écrits : car tout l'idéal missionnaire qu'il s'efforce d'exprimer pour les autres, il l'a longuement vécu et prié auparavant. Tel article ou telle lettre apporte, tout brûlant, l'écho de ces entretiens nocturnes.

Multiplicité des rencontres et dispersion des dialogues ? Oh, non! Malgré les apparences il y a continuité entre le dispensaire et la chapelle : la rencontre avec le Christ bien-aimé ne se produit pas qu'au pied de l'autel. En chaque malade, le P. Pey- riguère retrouve le Christ : « Je Le vois, je Le touche. » Dans le brouhaha des distributions de vêtements, le dialogue avec le Christ se poursuit : « Le travail devient entrevue avec Dieu, entretien avec notre Christ. »

Alors, faut-il conclure qu'un seul dialogue se poursuit dans l'ermitage : celui avec le Christ Jésus ? En cet unique dia- logue réside vraiment l'unité de toute une vie où semble abo- lie la frontière entre action et contemplation, où le Christ Jésus demeure le seul compagnon avec lequel le vieil ermite indé- pendant ait pu s'entendre pendant trente ans. Le seul malade, le seul pauvre, le seul ami sans cesse présent, oui, c'est le Christ Jésus. Beaucoup appellent, beaucoup frappent à la porte, mais c'est toujours Lui qui entre et toujours Lui qui reste.

Cette conscience d'une Présence essentielle, éclipsant toutes les autres, n'empêche pas d'accueillir chaque homme avec un infini respect et une merveilleuse délicatesse, soucieuse de tout ce qui est unique en chacun. Respecter et aimer les petits : refrain chanté, prié, vécu au long des jours! Loin de nous rendre impassibles, comme la foi nous rend plus humains! Loin d'étouffer notre cœur, comme l'amour du Christ le puri- fie et l'épanouit :

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« La belle simplicité chrétienne qui est si humaine n'est pas au point de départ pour les âmes qui se mettent en mar- che vers la perfection, mais au point d'arrivée. Que Notre- Seigneur est humain, qu'il est humain à fond, terriblement humain, splendidement humain ! »

Dans l'ermitage, à travers les scènes colorées et pittores- ques, à travers les éclats de voix et les rires, à travers les regards et les silences, le Christ Jésus ne se montre-t-il pas dans ce prêtre ? « Prêcher l'Évangile en silence... Crier l'Évan- gile par toute sa vie... », exigeait le P. de Foucauld. La bonté de ce marabout chrétien, sa pauvreté, sa persévérance dans la prière, cela ne résonne-t-il pas comme un cri ?

« Ai-je assez montré la grandeur de Jésus et sa tendresse de telle sorte que des nostalgies de Lui aient été plantées dans les â m e s ?... »

Tout un peuple n'a-t-il pas rencontré le Christ ? Quelque dialogue peut-être s'ébauche avec Lui dans le secret des cœurs. C'est le mystère de Dieu, et c'est le destin du pionnier de ne pas le connaître : « Il ne fait que semer sans voir la moisson. »

« A mesure que nous nous éloignons de la date où nous furent enlevés ceux qui nous sont chers, insensiblement, nous les sentons moins absents : ils nous sont plus présents, ils sont tout près de nous. Il ne nous manque que de les voir, mais ils sont tellement à nous. Ils nous reviennent, ils nous sont redonnés, ils se mêlent à notre vie de chaque instant... »

6. Lettre à Mlle D., 11 août 1939. 7. Lettre à Mlle D., 2 janvier 1945. 8. Lettre à Mlle D., 11 août 1936.

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Depuis la mort de l'ermite d'El Kbab, quelques années ont passé : pourtant, il me semble l'entendre encore. Quand nous nous agenouillons dans la chapelle, il me semble qu'il est là, lui aussi : il y a vécu tellement d'heures! Auprès de sa tombe couverte de violettes, je lui pose des questions. Et quand je relis ses lettres, il me parle. Peut-être faut-il élargir le cercle des auditeurs ? Peut-être faut-il qu'un livre permette de rendre à nouveau vivants les dialogues qui ont animé l'ermitage ?

Dans les pages qui suivent, le plus possible c'est le P. Pey- riguère qui parle : extraits de ses lettres ou propos que j'avais notés au jour le jour. Plus tard peut-être, certains de ses manuscrits seront-ils publiés. Mais l'œuvre qu'il avait rêvé de faire paraître, il n'a pu la mener à bien. Sa vie, elle, fut menée par les chemins que le Seigneur a choisis... Peut-être a-t-Il jugé que l'ermite d'El Kbab nous parlerait davantage par sa vie que par ses livres ?

Écrire une biographie du P. Peyriguère ou mettre au point un ouvrage critique me semble prématuré. A travers une pre- mière esquisse de la personnalité du Père, je cherche plutôt à ressusciter une présence dans toute sa densité : que quel- qu'un se dresse à nouveau et qu'à nouveau il nous parle.

Par successives approches, un peu par cercles concentriques, allant du plus extérieur, avec quelques croquis pris sur le vif, vers le plus intérieur, vers l'essentiel, je m'efforce de décou- vrir un peu du mystère unique de cette personne Et puis, en

9. Au point de départ de plusieurs chapitres, on retrouvera mes articles, publiés peu après la mort du Père, dans Faits et Idées, les Mardis de Dar-el-Salam, Jesus-Caritas, etc.

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communiant avec elle, du dispensaire à la chapelle, nous ren- contrerons le Christ Jésus. Car, par tous les chemins de sa vie et de son message, c'est au Christ Jésus que le P. Peyri- guère nous conduit et c'est avec Lui seul que finalement nous dialoguerons :

« Mon rôle, c'est de vous « montrer » le Christ, de vous pousser vers Lui, de vous Le faire rencontrer, de vous Le faire trouver... Et quand votre âme L'a trouvé, que je dispa- raisse, que je me taise et que Lui seul vous p a r l e »

10. Lettre à Mlle D., 3 avril 1932.

Cette nouvelle édition comporte, outre un certain nombre d'additions et de corrections de détail, un chapitre premier complètement remanié.

M. L., mars 1967

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ABRÉVIATIONS :

M. C. : Le Maroc catholique, revue mensuelle du Vicariat apostoli- que de Rabat, ayant paru jusqu'en 1948.

Lettre à D. : Lettre à Mlle D. et à « la Ruche » de Bordeaux. Lettre à M. L. : Lettre à Michel Lafon. Lettre à R. : Lettre à une religieuse.

T. N. : Le Temps de Nazareth (recueil d'études et d'articles du P. Peyriguère, éditions du Seuil, 1964).

Ap. : L'Apôtre sous le gourbi (fragments d'un roman autobiogra- phique inédit).

E 1 : Laissez-vous saisir par le Christ (éditions du Centurion, 1962). E 2 : Par les chemins que Dieu choisit (éditions du Centurion,

1965). E 3 : Une vie qui crie l'Evangile (éditions du Centurion, 1967).

NOTA BENE : Les points de suspension, fréquents dans les textes cités, ne signalent pas forcément des coupures : c'est un procédé cher au P. Peyriguère où, comme chez le P. de Foucauld, se trahit son lyrisme.

Si parfois, je me suis permis telle ou telle coupure, je ne l'ai pas indiquée, n'ayant pas l'intention, dans ces pages, de faire œuvre scientifique.

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CHAPITRE PREMIER

LES CHEMINS INATTENDUS

« Jusqu'ici, le bon Dieu a tout dirigé par les chemins les plus inattendus vers la réalisation de mon rêve. » (Lettre, 1939)

« Savez-vous que la Vierge de Lourdes et moi, nous som- mes des « compatriotes ». Je suis né pas très loin de Lourdes 1 »

Avec cette note d'humour, le P. Peyriguère aime évoquer le petit village pyrénéen de sa naissance. A Trébons, près de Bagnères-de-Bigorre, les maisons aux toits d'ardoise rayonnent autour de la vieille église : à ses fonts baptismaux surmontés d'un saint Jean-Baptiste en bois, le deuxième enfant Peyri- guère est baptisé le 30 septembre 1883, deux jours après sa naissance. S'il reçoit les prénoms de Jean et de Marie, il ne sera connu plus tard que sous celui d'Albert. Le père, homme de devoir, est menuisier. La mère, née Marie Bayle, a la piété et la profondeur de ces paysannes qu'admirera tou- jours le P. Peyriguère. A ses yeux, jusqu'à la fin, elle incar- nera la femme, l'absence de sœurs et une adolescence pré- servée ayant singulièrement limité son horizon féminin.

« Ma mère était à peu près de l'âge de Bernadette et elle me disait souvent quelle fierté avait été pour les jeunes de sa génération qu'une d'entre elles eût été choisie par la Vierge.

1. Lettre à l'abbé D. (non datée : 1931 ?).

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Ma pauvre mère avait passé toute son enfance et sa jeunesse à peine à quelques kilomètres de Lourdes et avait vécu, de très près, toute la merveilleuse épopée »

C'est pourtant loin de Lourdes, auprès d'un autre sanctuaire marial, qu'Albert Peyriguère passe son enfance : auprès de Notre-Dame de Talence, dans la banlieue de Bordeaux, où se fixe sa famille. Bien des années plus tard, il évoquera son père qui part au travail, grelottant de fièvre : « Il faut bien que les enfants mangent à midi », répond celui-ci à sa femme qui veut le retenir. Il dira aussi toute la dignité et le sérieux de sa mère, « une vraie sainte », faisant des ménages et deve- nant la confidente de ses patronnes. Le dimanche, pendant que sèche l'unique « bleu » de travail du père, les deux garçons vont servir la messe. De ces années de petit prolétaire, Albert Peyriguère gardera toute sa vie une ardente passion pour la justice.

Après des études brillantes à l'école des Frères et au petit séminaire, le jeune Albert entre au grand séminaire de Bor- deaux. Il est ordonné prêtre le 8 décembre 1906. Sa voca- tion sacerdotale est une ligne droite sans « histoire » : dès son enfance, il sait qu'il sera prêtre. Bien des fois, je l'en- tendrai me répéter avec simplicité : « Le bon Dieu m'a fait la grâce de ne jamais douter de ma vocation. »

Vingt-cinq ans plus tard, il songe à ce premier « 8 décem- bre », et son cœur déborde de joie :

« Au bout de vingt-cinq ans de sacerdoce, si c'était à refaire, on se redonnerait avec le même enthousiasme. Et même, sa-

2. Lettre du 21 août (1930 ?).

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chant ce que je sais par ma propre vie et par la vie des autres, on se donnerait encore avec plus d'enthousiasme.

« Au bout de vingt-cinq ans, me voici, dans mon petit ermitage, le plus heureux des hommes, ne désirant rien ni n'attendant rien... que le ciel seulement, mon pauvre cœur écrasé de tant de joie et de tant d'honneur qui m'est venu du Maître par cette vocation magnifique. Tant de joie et tant d'honneur qu'Il m'a fait attendre plus de vingt ans : il était écrit que ce serait presque le cadeau du bon Dieu pour mes noces d'argent sacerdotales »

Mais à l'aube de son sacerdoce, à quoi songe-t-il ? Des expé- riences d'apostolat auprès des apaches ou des petits mitrons le font rêver à quelque chose comme « prêtre-ouvrier », avant la lettre.

Adepte enthousiaste du Sillon, quelles batailles d'éloquence il soutint au séminaire contre ceux de ses confrères partisans de l'Action française ! Le Supérieur, très libéral, avait permis aux grands « théologiens » de lire et de se passer l'Éveil démo- cratique. Marc Sangnier fit lui-même une causerie au séminaire : « Ce fut une sorte de méditation à haute voix sur l'Eucharistie. »

Si quelques années plus tard, dès la condamnation, la soumission du jeune prêtre fut totale, il n'a pas moins été profondément marqué par cette influence :

« Il a certes souffert des incompréhensions et des condam- nations, mais jamais une critique de l'épiscopat et encore moins de Rome. Il avait pour l'Église un attachement filial, touchant — et que j'étais tenté de trouver trop indulgent,

3. Lettre à D., 29 novembre 1931. Cela fait un peu plus de trois ans que le Père vit à El Kbab. E 3, pp. 285-286.

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mais c'est lui qui voyait juste. Au séminaire parfois on le trouvait trop idéaliste, trop optimiste, trop confiant. Mais sur ce point encore, c'est lui qui voyait juste car il avait un ferme bon sens qui, en plus de sa foi profonde, l'a toujours g u i d é »

Plutôt que des préoccupations sociales de l'abbé Peyriguère, ses supérieurs tiennent compte de sa valeur intellectuelle. Il est d'abord nommé, auprès de l'abbé Torchard, à l'école Gratry, de Bordeaux, externat de lycéens. Puis il part à l'Institut catho- lique de Paris où il obtient la licence ès lettres. (Juillet 1909.)

« Sa vais-je que, lorsque le bon Dieu m'envoyait deux ans à l'Institut catholique de Paris, c'était le chemin pour aller à El Kbab... que ma vie d'El Kbab aurait besoin que j'aie fait ce séjour à P a r i s »

L'étudiant s'enrichit des multiples courants de pensée qui animent le Paris d'avant 1914 : il se joint aux fervents qui vont écouter Bergson. Certaines occasions permettent aux Bor- delais de Paris de se réunir. Le P. Peyriguère garda en parti- culier le souvenir d'un déjeuner à l'hôtel Lutétia, près de l'Institut catholique, auquel il prit part avec son ami l'abbé Pi- nardel et Valléry-Radot, animateur des Cahiers de l'Amitié de France, où se trouvaient François Mauriac, André Lafon alors surveillant à Sainte-Croix de Neuilly, André Lamandé, poète aussi et originaire de Blaye, et quelques autres. Est-ce de cette époque que date l'estime du P. Peyriguère pour l'auteur du

4. Témoignage de l'abbé Pinardel, professeur au Collège Sainte- Croix de Neuilly, qui fut, avec l'abbé Damoran, son ami intime au séminaire des Carmes.

5. Lettre à M. L., 14 février 1946. 6. Il devait devenir, à la trappe de Bricquebec, le P. Irénée, auteur

d'une importante étude sur saint Bernard.

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Nœud de vipères ? Toujours est-il que, plus que le roman- cier, il admirera en lui un témoin courageux du christianisme dans les luttes de notre temps. Un demi-siècle plus tard, avec quelle joie lira-t-il à haute voix le « Bloc-Notes » hebdo- madaire.

Un de ses amis du séminaire des Carmes brosse ainsi le portrait du Peyriguère de ces années parisiennes :

« Ce qui domine pour moi, c'est le contraste entre l'origine modeste du P. Peyriguère (dont il parlait volontiers) et sa nature toute de noblesse et de grandeur. « Pey » (comme nous l'appelions) avait instinctivement des réactions de « sei- gneur » ; jamais je n'ai vu en lui la moindre mesquinerie, le moindre calcul... Il était tout naturellement sur les som- mets, dans sa façon de vivre et de juger.

... Un autre trait : sa tendresse profonde et éclairée pour son frère qu'il avait fait venir à Paris pour parfaire sa forma- tion professionnelle. Il le traitait et le guidait comme une maman... Il y avait en lui des réserves d'affection qui ne demandaient qu'à s'épanouir »

Avec acharnement, l'abbé Peyriguère prépare sa thèse de doctorat sur « Saint Bernard et le mouvement mystique au XII siècle. » Mais, rappelé dans son diocèse, il doit brusquement interrompre son travail. Le cœur déchiré, il rentre à Bordeaux, où il est nommé professeur au petit séminaire du Pont-de-la- Maye. Le cardinal Andrieu avait-il conscience du terrible sacri- fice qu'il exigeait ainsi du jeune abbé ? Toujours est-il que, par la suite, il ne contrariera plus les appels successifs de sa vocation

7. Abbé Pinardel.

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Le Père Peyriguère « Je n'ai pas arrêté de faire de la contem- plation » déclarait le Père Peyriguère après une journée occupée à soigner des centaines de malades affluant de partout vers son petit dispensaire de la montagne marocaine. Car en eux, c'est Jésus qu'il soignait : « Je le vois, je le touche. » Ainsi, au long de trente années, s'est déroulée la vie de ce disciple du Père de Foucauld que tout le monde appelait « l'ermite d'El Kbab », partagée entre les soins aux malades, les travaux intellectuels, la prière de jour et de nuit. Quand il mourut le 26 avril 1959, les Berbères du Moyen Atlas marocain chantèrent inlassablement :

Où vais-je aller, ô ma mère, Je suis comme un orphelin, ... Il est mort le marabout. C'est le malheur du pauvre.

Nul ne pouvait mieux nous rendre pré- sente cette vie que le Père Michel Lafon, disciple du Père Peyriguère, continuateur de son œuvre à El Kbab, et qui, outre sa connaissance des écrits du Père, pour la plupart inédits, nous apporte le témoignage direct de celui qui a vu et entendu.

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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

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