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HAL Id: halshs-00669014 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00669014 Submitted on 10 Feb 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. ”Le prologue du Quart Livre (1552) : une sagesse et ses complications” Tristan Vigliano To cite this version: Tristan Vigliano. ”Le prologue du Quart Livre (1552): une sagesse et ses complications”. Le Verger, Cornucopia, 2012, 19 p. <halshs-00669014>

Le prologue du Quart Livre (1552) : une sagesse et ses ... · PDF fileRabelais dans l ’épître ... dont nous savons pourtant depuis le dizain liminaire du Gargantua, qu’il est

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  • HAL Id: halshs-00669014https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00669014

    Submitted on 10 Feb 2012

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    Le prologue du Quart Livre (1552) : une sagesse et sescomplications

    Tristan Vigliano

    To cite this version:Tristan Vigliano. Le prologue du Quart Livre (1552) : une sagesse et ses complications. Le Verger,Cornucopia, 2012, 19 p.

    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00669014https://hal.archives-ouvertes.fr

  • LE PROLOGUE DU QUART LIVRE (1552) :

    UNE SAGESSE ET SES COMPLICATIONS1

    Tristan VIGLIANO (U. Lumire Lyon 2 / UMR 5037)

    Sed veluti pueris

    Il nest pas facile dentrer dans le prologue du Quart Livre. La dfinition du pantagrulisme ou lloge de la mediocrit aure semblent indiquer au lecteur quil y trouvera certaines clefs pour comprendre la sagesse et lthique rabelaisiennes. Mais les nombreux dtours du texte, qui fuit de toutes parts, en compliquent { lenvi le commentaire. La rflexion quon propose ici tait, { lorigine, destine aux agrgatifs des Universits Lyon 2 et Lyon 3. Il sagissait dexpliquer le prologue, aussi clairement que possible, par la mise en vidence de ses enjeux principaux et par la prsentation des diffrentes lectures critiques. Ces lectures sont souvent divergentes, et les tudiants peuvent quelquefois sy perdre. Ils peuvent galement tre tents de choisir, par commodit, telle voie interprtative plutt que telle autre : un Rabelais vanglique contre un Rabelais ludique, par exemple. On aimerait leur donner les moyens de penser une synthse entre ces diffrentes voies, qui ne sexcluent pas ncessairement. Cest une manire, pour nous, de vrifier la validit, mais aussi lefficacit pdagogique, de propositions avances ailleurs2.

    Le dernier temps de la dmonstration dveloppe une analyse la fois plus gnrale et plus engage, dont on vitera de se servir dans un cadre trop strictement acadmique. Il sadresse un peu par ruse, que le lecteur soit averti ! aux curieux qui voudraient interroger la catchse rabelaisienne. Notre deuxime partie, sachevant sur lide dune mortification littraire, fournit dj les lments de ce dpassement dialectique auquel invitent les exercices universitaires : les plus prudents sen tiendront l{.

    1. LA SAGESSE PANTAGRULIQUE DU PROLOGUE

    1.1. Une dfinition

    Le prologue du Quart Livre ne donne pas seulement voir un pantagrulisme en acte, il ne se contente pas den faire lloge, il propose une dfinition de cette vertu, dont nous devons faire preuve pour le comprendre : vous entendez que cest certaine gayet desprict conficte en mespris des choses fortuites (p. 887)3. Cest le joyeux contentement du chrtien, qui se fonde sur Dieu seul, et non pas sur les idoles vnres par le monde : la chair, la gloire, largent, qui ne peuvent que passer, sur lesquelles il na pas de prise et que rencontreront les personnages du Quart Livre dans la plupart de leurs escales. On peut en effet lire le Quart Livre comme le roman de lidoltrie.

    La dfinition du pantagrulisme parat relever dune forme de stocisme chrtien. Pour les stociens, lhomme ne peut se confier aux biens extrieurs, qui doivent rester { ses yeux indiffrents . Le dterminant indfini, certaine gayet , nous avertit cependant de ne pas la ramener trop vite un dogme trop prcis4. Il apporte en outre une nuance qui semble

    1 Article prsent dans la revue lectronique Le Verger (Bouquet 1, janvier 2012).

    2 Dans ce mme but pdagogique, on souligne les notions et ides importantes, quil faut connatre ou discuter.

    3 Le texte est cit dans ldition de Jean Card, Grard Defaux et Michel Simonin (Franois Rabelais, Les Cinq Livres,

    La Pochothque, Le Livre de Poche , 1994). 4 Sur la dfinition du pantagrulisme et son rapport problmatique au stocisme chrtien : Claude La Charit,

    Rabelais et le De contemptu rerum fortuitarum (1520) de Bud , RHLF, n 3, juillet septembre 2008, p. 515-527.

  • suggrer que toute gaiet nest pas souhaitable. Le pantagrulisme contraste videmment avec limpuissance { rire dont font preuve les agelastes (p. 877), auxquels vient de sattaquer Rabelais dans lptre ddicatoire { Odet de Chtillon. Mais il nest pas { proprement parler le rire, dont nous savons pourtant depuis le dizain liminaire du Gargantua, quil est le propre de lhomme : dailleurs, on voit rarement Pantagruel rire. Peut-tre parce que ce nest plus le lieu, dans ce Quart Livre obsd par le mal, sous toutes ces formes : le Christ non plus ne rit pas. Peut-tre aussi parce que le rire et mme la gaiet courent le risque de la dmesure : voir, au chapitre XVII, les morts soudaines de Philomenes et Zeuxis, tus dune excessive guayet desprit , force de rire (p. 991). Notre prologue fait justement lloge de la mediocrit , cest--dire de la mesure5.

    En dfinissant ainsi le pantagrulisme quil requiert de son lecteur, Rabelais sinspire de Guillaume Bud et de son trait De contemptu mundi et rerum fortuitarum. Il fait proclamation dhumanisme et de fidlit envers une figure tutlaire importante, qui la soutenu quand il tait moine franciscain et que les suprieurs de son ordre lempchaient de lire : Bud, en 1552, est mort depuis douze ans. Le prologue comporte plusieurs hommages de cette sorte, certains beaucoup plus explicites encore. On pense en particulier { lloge du juriste Andr Tiraqueau, tant humain, tant debonnaire et equitable (p. 889), ou aux louanges de Chinon, ville insigne, ville noble, ville antique, voyre premiere du monde, scelon le jugement et assertion des plus doctes Massorethz (p. 903). Tous ces hommages, comme celui que rend ensuite le texte Guillaume Du Bellay (p. 1029), valent signature. Ils contribuent de surcrot { llaboration dune gographie auctoriale, symbolique ou non, dont la permanence corrige les instabilits topographiques du Quart Livre. Enfin, ces marques de fidlit convient le lecteur dans une forme dintimit et montrent par lexemple que le pantagrulisme est aussi une thique, fonde sur lamour et sur la bienveillance. De ce dernier point, la structure du prologue tmoigne son tour.

    1.2. Le pantagrulisme comme thique vanglique

    Edwin Duval a montr quil procdait en effet par embotements successifs6. On laisse de ct, provisoirement, le discours de Priape sur la cogne (l. 221-267). On simplifie en outre le schma, notamment aux deux extrmits de commencement et de fin. Lorganisation qui se dgage est clairement concentrique et elle met en vidence une thique de type vanglique :

    Pantagrulisme et loge de la mdiocrit [1-70] (2 exemples de Zache et du Fils du Prophte) Couillatris perd sa cogne [90-116] Jupiter et lactualit internationale [117-132] La dispute de Rameau et Galland [132-144] La fable du chien et du renard [173-190] La dispute de Rameau et Galland [190-207] Jupiter et lactualit internationale [206-220] Couillatris retrouve sa cogne, les Francs Gontiers sont punis [268-318]

    Pantagrulisme et loge de la mdiocrit [356-405] (2 contre-exemples des belistrandiers et des Gnois)

    proximit immdiate du centre se trouve la querelle des dialecticiens Pierre Galland et Pierre Ramus, devenu Rameau par drision. La dispute qui les anime ici est ce point haineuse quelle ne permet aucune rconciliation : Jupiter ne sait comment la rsoudre. Ils allument couilloniquement le feu de faction, simulte, sectes couilloniques, et partialit entre les ocieux escholiers , parce quils ont oubli lenseignement de lvangile. Peut-tre y a-t-il, dans cette accumulation, une variation sur la premire ptre de saint Paul Timothe, VI, 3-5, qui comporte sur le mme sujet un rythme assez semblable :

    Une seule rserve : le stocisme ne se rduit pas { un idal dapathie, puisquil accepte les bonnes passions, eupatheiai, dont laffection et la gaiet pantagruliques peuvent faire partie. 5 Sur le rire librateur et ses limites dans luvre de Rabelais, le Quart Livre notamment : Daniel Mnager, La

    Renaissance et le rire, Paris, PUF, 1995, p. 162-170. La retenue de Pantagruel ressort dautant mieux quelle vole en clats dans le dernier chapitre seulement : voyant Panurge qui sest conchi, il ne se peut contenir de rire (p. 1213). 6 Edwin Duval, The Design of Rabelaiss Quart Livre de Pantagruel, Genve, Droz, ER XXXVI, 1998, p. 52.

  • Si quelquun enseigne autre chose et ne reste pas attach { de saines paroles, celles de Notre Seigneur Jsus Christ, et { la doctrine conforme { la pit, cest un tre aveugl par lorgueil, un ignorant en mal de questions oiseuses et de querelles de mots ; de l{ viennent lenvie, la discorde, les outrages, les soupons malveillants, les disputes interminables de gens { lesprit corrompu [trad. Bible de Jrusalem].

    Le rcit des actualits internationales qui encadre cette dispute toutes sortes de guerres auxquelles Jupiter a d mettre un terme tablit par contamination des niveaux un lien entre les petites disputes savantes et des conflits autrement meurtriers, mais qui trouvent en elles leur origine : cette connexion est clairement mise en vidence par un humaniste contemporain de Rabelais comme lespagnol Jean-Louis Vivs7. Au niveau infrieur, cest--dire au centre exact de la structure, cette haine