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lntroduction PROTOCOLE ET POU'l"QUE : FORMES, RITUELS, PRESEANCES Yves Déloye, Claudine Haroche, OlivÎCr lhl "Au\ grandeun d'élabl i>semenl nous (... ) devon. des respects .. em.nt, c'''''t l dire "",uinu utéricu r •• qui doivent être nb.nmoins •• len la r.ison. d'une recenlUl iua nce intérieure de la justice de cet ordre, mail qui ne no u" font pu concevoir quelque qualité réelle en que nous honorons de ecUe .one ( ... ) C'ut une lottise el une bu"e .... d'csprit que de leur ",fuser ces devoirs .. :' (Po"cal). Pourquoi s'intéresser au protocole? Des considérations conjoncturelles certes y invitent. Telle cette déconcertante déclaration du gouvernement nommé en mai 1995 qui annonce la suppression des avions du GLAM ct encore la réduction des cortèges accompagnant les voitures officielles, soulignant même que désormais les ministres -comme tout ciloycn- seraient tenus de s'arrêtcr au;>;: feux rouges. Rappelons aussi qu'avant leur entrée en fonction, Ics présidents de la République annoncent une simplification du protocole. Intention vite abandonnée après leur investiture, Le général de Gaulle s'était lui gardé de faire de telles promesses : en 1944, il déplorait que ses contemporains aient perdu "le goût de l'antique déférence", "le respect des règles d'autrefois" ; il tenait, en effet. le protocole pour "l'expression de l'ordre dans la République", Il faut encore se souvenir du président Mitterrand qui à l'aube de son premier septennat. témoignait d'une attention vigilante à l'endroit du protocole, insistant pour que soit disjointe sa fonction de sa personnc. VacJav Havel, quant à lui, dans un entretien récent fait observer que ce qui séduit dans Il

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lntroduction

PROTOCOLE ET POU'l"QUE : FORMES, RITUELS, PRESEANCES

Yves Déloye, Claudine Haroche, OlivÎCr lhl

"Au\ grandeun d'élabli>semenl nous ( ... ) devon. des respects d·~t.blj .. em.nt, c'''''t l dire "",uinu c~rémonie. utéricu r • • qui doivent être nb.nmoins accomp.gn~CI , •• len la r.ison. d'une recenlUl iuance intérieure de la justice de cet ordre, mail qui ne no u" font pu concevoir quelque qualité réelle en ceU~ que nous honorons de ecUe .one ( ... ) C'ut une l ottise el une bu"e .... d'csprit que de leur ",fuser ces devoirs .. :' (Po"cal).

Pourquoi s'intéresser au protocole? Des considérations conjoncturelles certes y invitent. Telle cette déconcertante déclaration du gouvernement nommé en mai 1995 qui annonce la suppression des avions du GLAM ct encore la réduction des cortèges accompagnant les voitures officielles, soulignant même que désormais les ministres -comme tout ciloycn- seraient tenus de s'arrêtcr au;>;: feux rouges. Rappelons aussi qu'avant leur entrée en fonction, Ics présidents de la République annoncent une simplification du protocole. Intention vite abandonnée après leur investiture, Le général de Gaulle s'était lui gardé de faire de telles promesses : en 1944, il dép lorait que ses contemporains aient perdu "le goût de l'antique déférence", "le respect des règles d'autrefois" ; il tenait, en effet. le protocole pour "l'expression de l'ordre dans la République", Il faut encore se souvenir du président Mitterrand qui à l'aube de son premier septennat. témoignait d'une attention vigilante à l'endroit du protocole, insistant pour que soit disjointe sa fonction de sa personnc. VacJav Havel, quant à lui, dans un entretien récent fait observer que ce qui séd uit dans

Il

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l'exercice de la magistrature suprême, c'est sans doute moins le pouvoir, que ce dont il s 'accompagne: les limousines, les cortèges, les belles demeures, les banquets, les cérémonies. le protocole.

D'autres rdÎsons invitent à s'arrêter sur la question du protocole. Avec l'apparition de l'État. des règlcs -dont les origincs sont ensevelies depuis des sièclcs- sont venues classer et répartir les sujeL'i et les corps. lors des cérémonies. Par là , le protocole instaure, préserve un ordre visible. Il entend imposer le respect et l'obéissance notamment à l'endroit de celui qui se trouve ~au dessus des autres" , le chef, l'empereur, le roi, le président. De multiples édits, o rdonnances, mémoires en révèlent l' importance; ainsi l'édit d ' Henri U accordant la préséance aux princes du sang, ainsi encore l'ordonnance par laquelle Henri III crée la charge de Grand maître des cérémonies en 1585. Cet ordre de préséance entend fi xer la place de chacun selon sa condition, son mng, sa fonction. Le protocole semble fondamentalement mû par celle quête d ' harmonie comme par ceUe volonté de pacification, Cedant arma togoe. Dans le même temps. cette hiérarchie a été à l'origine de nombrcux conflits. L' histoire de l'étiquette et du protocole est jalonnée d'i~cidents où se laissent devi ner les contours d'enjeux politiques majeurs.

C 'est pourquoi. le protocole n ' a cessé de retenir J'anenlion. Pascal, Tocqueville, Durkheim. Mauss ou Simmellui ont consacré des passages étonnants. D'autres auteurs, peu connus, scribes de régimes disparus ou pontifes d'un code oublié, ont attaché leur nom à des maximes ct des recueils officiels. Constantin Porphyrogénète, pour l'é liquette bYl.antine, avcc le Livre des cérémonies, un ouvrage qui expose la codificalion du cérémonial impérial jusque dans les détails les plus infimes . afin que ftl e pou voir impérial [apparaissel plus majestueux, grandit en prestige, et par là même, (fasse) l'admir3lion e t des étrangers ct de nos propres sujelsft , L' Empereur, soucieux d'ordre, de dignité, de splendeur, déclarait la nécessité de "parler de chaque cérémonie pour dire comment e t selon quelles règles il faut l'exécuter et l'accomplir- I. De même, les ouvrages de la Renaissance sur les manières des cours princières, Cortegiano de Balthazar Cas tiglione ( 1528), Galoleo de Giovanni della Casa (1588), le..>; miroirs des princes consacrés à la form:ltÎon momie et politique des rois témoignent d'un souci constant: développer, chez le Prince, la contenance, la majesté, la gravité qui sied h un monarque. Il faut encore se souven ir de ces auteurs qui , dans leurs écrits, consignent un vaste savoi r s ur les cérémonies: Du Tille t, Recueil des roys de France, leur courOllne el maison ( 1580), Du Chesne. Antiquitez et recherches de la grandeur et

l. C. l'orphy'''g~n. ' e, Lnre <lez CirinlOlUU, P~ros, Le. lldl c.< I.ell "" . 1935. LIvre 1 p~f.cc. p 1

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Maje,~tt des roys de France (1609), Théodore Godefroy . enfin, l'auteur du Ceremonial de Fronce (1619).

HONORER CERTAINS ÉTATS

Tocqueville s ' est longuement inte rrogé sur la question des ronnes dans leurs rapports aux systèmes politiques, qu'i l faill e entendre par ce lenne les manières, la politesse, ou les cérémonies. Sa thèse centrale: "la tendance démocratique consiste à aller au fond des choses sans faire attention à la forme". Faut-il , dnns ce conslal, apercevoir ulle reaction à l'importance de l'étiquette ou encore de la civilité de cour sous. l'Ancien Régime? Un rejel dcs signes extérieurs qui indiquent e t souhgnent la naissance, la condition, le rang? Peul·être même un refus de l'hypocrisie, de la dissimulation au profil de la transparence de l'authenticité et de la sincérité? Le constat revêt l'allure d'une scnt~nce pour Tocqueville: "( ... ) on peut dire que l'effet de la démocratie n'est point précisément de donner aux hommes certaines manières, mais d'empêcher qu'ils n'aient des manières"2. Même les formes considérées co~me nécessaires sont aisément tenues pour superficielles, fausses VOlTe mensongères. Que l'on songe 11 celles qui structurent ct mellent ~e ~ '~rdre ; à celles qui imposent des égards dans les mpports entre mdivldus; à celles qui ne pouvantle..'i supprimer, voi lent la cruauté et la violence du lien entre hommes el États.

On l'aura compris: la queslioll du protocole amène 11 suivre différentes approches, à mêler les sièc les, les cultures, à explorer les espaces proches e t lointains . Un nom s'cst imposé à nous dans celle rénexion : celui de Mauss. Il en a guidé la démarche el inspiré les chemi~ements . ~n 1?09, ! 'anthroro.logue, co~sacran~ un texle .superbe à la pnère, consuléralt qu une théone de la pnère él:1lt nécessaire à qui voulait comprendre "le sennent, le contrat solennel, les tournures de phrases requises par l'étiquette, qu ' il s'agisse de chefs, de rois, de cours OU de parlements, les appellations de la politesse". En'fe la courtoisie, les cérémonies, le protocole, les lois juridiques ct politiques. Mauss apercevait une con tinuité. "C'est surtout à décrire que s'attache J' his~orien. Il ne recherch~ ni les principes ni les lois. fi expose Cil quoi conSiste le système de pnères dans telle ou telle reli gion. il n'étudie ni Wle espèce de prières. ni la prière en général. Les rapports qu'il établit entre les faits sont essentiellement, sinon excl usivement d'ordre

2. A. de Tocqueville, D~ la dI",ouati~ en ),mlriq~, l'ari •. J. Vrin , 19'Xl, p. 185.

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chronologique. Il délennine moins des causes que des antœédcnts"3. La recommandation a été entendue: cet ouvrage s'est efforcé de consacrer au pourquoi ct pas seu lement au comment.

Aulre fig ure éclair • .IOte, fondatrice: Pascal. Il y a plus de trois siècles, le philosophe, plaidant pour son utilité, invitait à réOéchir sur l' importance du cérémonial: "Que l'on a bien fait de dîs lÎnguer les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités intérieures. C .. ) Qui passera de nous deux? Qui cédera la place à l'autre 7", s' interrogeait· il. "Le moins habile 7 Mais je suis aussi habile que lui". Il en concluait : " II faudra se b.1Urc sur cela", ajoutant CIlCOrc "il a quatre laquais, el je n'en ai qu'un: cela est visible; il n'y a qu 'à compter. C'est à moi à céder, et je suis un sot si je le conteste". De là le philosophe concluait à la venu d'ordre de l' étiquette ct du protocole. "Nous voilà en paix par cc moyen"4. L'ordre imposé par le protocole répondait aux attentes du philosophe: celles d' un ordre soc ial rendu vertueux par une géométrie indiscutable, celles d' un monde de passions enfin réconcilié avec les ex igences de la raison. Ces pages résonnen t encore co mme une invitation à méditer sur le rapport entre les apparences, l'ordre elles qualités authentiques dcs hommes. Elles nous invitent encore à élucider le mppon du pouvoir à la pompe, à l'appardt, à nous interroger sur les fondernenlS des cérémonies, leur rôle dans le protocole. Le philosophe distinguait ainsi "grandeurs d'établissement" et "grandeurs naturelles". Il établissa it une dirférence dans le respect qui leur est attac hée. disjoignant l'estime due aux hommes qui la méritent par leurs qualités, des témoignages de déférence IOule extérieure. Or, les "grandeurs d'établissement" sont précisément celles que l'on discerne et honore dans le protocole: elles "dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec t'J ison devoir honorer certains états et y attacher certai ns respects. ( ... ) Il n'esl pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime; mais "il eSI nécessaire que je vous salue. ( ... ) Si vous êtes duc et honnêle homme, je rendrai ce que je dois à l' une et à l'aulre de ces qualités. ( ... ) Je ne vous refuser.t.i point les cérémonies que mérile votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d' honnête homme. Mais si VOus étiez duc sans être honnête homme, je vous ferah encore j ustice; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit"s.

3. M. Mau ••. "L. pri~"," (1909). "'produit da". M. M."",. Oeu",,~ (klit ~ pot v. K.",dy). !Orne l , "'.e. f"nction •• ""i. I~, du •• cr.!", Plri., Minuit. 1%8. p . 362 .t 368.

4. l'allCol,l'tttSUSlur 1" poli"·9ue, l'. ri. , Ri .. ge, 1992, p. 37. ~. Ibid., "2e di~ou ... our 1. ""ndit;"" de. grands" (1660) , p. 111·112.

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RITUALISER LE POUVOIR

Le protocole est ainsi un ordre, un mode de répart ition des corps, un dispositif contribuant à mettre en scène le pouvoir politique. L'h istorien, le politiste, J'anthropologue, le juriste peuvent à son propos retrouver des questions foodarnentales. Le protocole s'efforce d'éc~r r arbitraire ct l'aléatoire pour figer une hiérarchie par des règles ~ ~Ienséance. Il classe, partage, hiérarchise : il rassemble, agrège, IIlsh~ue. Comment ces règles peuvent-elles lier les corps. les sujcts, les citoyens à une communauté politique 7

Au XVIIe s iècle, le Dictionnaire Universel d 'A ntoine Furetière mppelJe que le teone "protocole ~ désigne un "fonnulaire de plusieurs actes de justice pour instruire les novices en la pratique". C'est également le ~regiSlre relié de notaires, où ils doivent écrire tOutes les mi.nutes ~e leurs actes à la su ite les unes des autres, afin qu'clics ne SOient polll~ perdues. changées ni altérées". C'est enfin "cc lui qu'on appelle malllienant le souffleur, qui est derrière celui qui parle en public, pour lui suggérer ce q u'il doit dire, au cas où la mémoire lui manque". Ainsi défi ni, le mol "protocole" suggère un sens aujourd 'hui encore essentiel: gamntir la cont.inuité , préserver la mémo ire des inst itutions politiques. Parce qu'i l fixe la liste des "rangs el des préséances", la hiér:.trehie des fonctions politiques, parce qu' il rappelle à chacun la place qUI est la sienne, les gestes qu ' il doit accomplir. parce qu'il justifie la diSlfibution des corps dans l'espace politique, parce qu'il règle le mouvcment ct le rythme des cérémonies, le protocole garantit l'expression de l'ordre en politique.

L 'enjeu de la codification des règles protocolaires apparaît dans le Ceremonial de France (1619) de Théodore Godefroy: "fi xer li jamais par un ordre visible la hiér.trchie invisible de l'Ordre propre à chaque société". Considéré comme l'auteur du premier traité de protocole en France, T. Godefroy établit la proximité qui existe entre "prolocolle" et "ceremonial". Temle que définissait ainsi A. Furet ière: "li vre où est contenu l'ordre des cérémoniesM

Dès cette époque, le protocole fait partie des textes qui énoncent les fonnes .du pouvoi~. Il en expose le fondement ntualisé qu'elles entendent IIls taurer. A toutes les époques, "il y a un céré monial politique chargé de ~ns qu'il appartient à l'historien de déceler et qui c~ns~ituc l ' ~n des aspects les plus importunts dc J'histoire politique"6. Amsl le RI/uel en lisage da/IS lOI/{ J'empire des Quins ( 1759), regroupe+i1 so us le term e "protocole" des élément s qui ne correspondent pas exactement à Îa définition occidentnlc du Icnnc. D'où

6 .• J.I..eG~ff, "L'his!"i,.., politi~ue . eil.oIle tuujou ... l'épin. d""."le d~ j'hi ' t"i", ·1"(1971 ). dAna L ,,,,,,,,na,,. mM .... ,,,!. l'aris. G.llim. rd, 1985. p. 341.

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la nécessité d'étudier d'abord l'ensemble des rituels d'Étal dont la finalité est religieuse, à la différence de la Fr.mce de l'Ancien régime où le souci majeur, s&:ulier est d'exhiber la majesté du pouvoir politique. Refusant de confondre protocole codifié et pratique protocolaire , l'observateur soulignera l'importance des usages cIontle protocole fait l'objet. la diversité des significations dont il se voit revêtu. Le regard se fait ici interprétatif au sens où l'entend Clifford Geertz. Ainsi au Xxe s iècle. l'Inde connaît une situation originale: la politique du protocole du Bri/ish Raj s 'inscrit dans un jeu d'innuences complexes entre les cultures indienne el britannique. En adoptant certains tr.uts du protocole de l'empire moghol , les autorités britanniques entendent légitimer leur domination sur l'Inde. La transposition des règles protocolaires dans le contexte colonial fail alors naître de nouvelles règles protocolaires.

LE GOUVERNEMENT PROTOCOLAIRE

L'apprentissage, l'incorporation des sentiments el des émotions qu'entend inculquer le protocole contraint acteurs et spcctat~urs à certains gestes, à certaines postures, à certains mouvements, à certains silences. Le protocole s'efforce de gouverner en profonde ur comportements et sen timents : il renforce valeurs. croyances et conventions légitimam I"autorité politique.

Dans le même temps, le protocole est le lieu de multiples querelles symboliques qui ont pour objet le pouvoir: le rang assi~né, la place occupée, la position assise ou debout, la hauteur du Siège attribué, la distance qui éloigne ou, au contraire, rapproclle de l'autorité politique cemra1e sont autant d'enjeux symboliques détenninants. C'est ici que les querelles de préséances prennent leur sens: parce que la civilisation des moeurs a, en partie. pacifié les relations socirues et politiques, le langage protocolaire autorise une expression domestiquée de connilS qui ne parviennent guère à remettre en cause l'ordre recherché. L'ordre du protocole sc modifie néanmoins sous J' influence de certains faits historiques. C'est l'émergence puis l'affirmation de l'État qui ont véritablement contribué au développement de la fonction politique du protocole.

À cela une raison simple: chaque État établit des classements protocolaires qui définissent l'ordre d'entrée et de déplacement, les positions respectives des représentants du pouvoir. La vocation du protocole est de composer un tableau hiérarchique , une image prévisible, émouvante e t digne d'éloges. Comment s'établit cellC

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slmclUre hiérarchisée? Par une répartition solennelle des places et des rangs. Plusieurs contributions à ce livre tentent de monlfer qu'une sc ience des proportions et de la perspective est alors invoquée pour introduire cette majesté dans le fonctionnement de l'appareil d'État. Ainsi, lorsque Louis XIV s'installe à la cour de Versailles, meUant fin 1'1 la longue itinérance du pouvoir monarchique. toute une série de portraits gagne les principales villes du royaume. Leur mission vise à faire oublier une absence. Peintes ou sculptées, toutes ces eFfigies serviront !li magnifier le visage du roi comme à sacraliser te corps de la royauté. Avec l'apparition d'une bureaucratie d'État, un lei ordre hiérarchique se transfonne pour se muer en une véritable "mise en ra ngs des positions de pouvoir". Confirmé par la loi, fixé dans ses moindres détails, le protocole reflète ct reforce la spécialisation et la t:Cntr::.tIismion du pouvoir. Au point de relever, avec le développement (Ic l'Elat-nation, d'une forme publique de coercition. celle qui organise un Iype impersonnel de contrôle entre les di vers corps de fOHClionnaires. Ses propriétés semblent, au moment de la rédaction du lIteret de messidor an XII, proprement vertigineuses: ramener une vaste étcndue à une échelle réduite, donner à voir le mouvement sous une lorme statique, permettre à chaque service d'être apparent ct différent, gouverner les conduites par des statuts et des honneurs.

Le xxe siècle continuera à y recourir comme à un véritable ou til de gouvernement. Qu'il ait pour bul de renforcer la suprém,lIie d'un chef charismatique sur une foule ou de conforter la primauté de l' inst itution présidentielle, l'organisation de l'État s'y réfère directement pour établir son autonomie. Dans ces deux cas, c'est un subtil dosage dc distance et de proximité, d'expression et de retenue qui gouverne les émotions. li s'agit tantôt de consacrer la figure d'un ~cher' qui . sous les HV:llÎons, s'offre au contact fus ionnel du peuple, lantôt de rendre fa milière ulle lointaine magistrature par Ic déploiement réglé d'ullc visite d'État. Cependant, des grandes messes fascistes, théâtralisant la silhouclle du Duce, aux sobres poignées de main des déplacements du président Mitterrand, un même fil invisible parcourt le protocole et le pouvoir: montrer la hauteur et la différence, signifier le rapprochement cl la distance.

Pour instaurer la domination, pour en imposer le respect. pour clllfCtcnÎf la loyauté el l'obéissance, le protocole, par des préceptes, des directives ou des manuels, distingue, récompense, subordonne • . ~anctionne. Bref, il recourt à un ensemble de relations d'autorité qu'il contribue, en retour, à renforcer. Le protocole invile à l'obéissance politique, que Guizot désignait comme "un gouvernement des cspriL<;", œ lui qui exige d'abord une maîtrise des corps el des postures. JI s'agit, en quelque sorte, de soumetlTe les conduites à des formes, de délimiter un espace d'actions ct de représentations au sein duquel les signes de la

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reconnaissance précèdent ct prolongent les distinctions sociales. C'est en ce sens que le protocole penne! de comprendre la morphologie du pouvoir. Dans les études rassemblées ici , on s'est donc efforcé de retrouver cette histoire des profondeurs politiques qu'évoque Jacques Le Goff, histoire remarque-t-il "partie de l'extérieur. des signes des symboles du pouvoirH7•

7. Ibid., p. 339.

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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos...................................................................... 7 Liste des auteurs.. .......................................... . ...... . ............. 9

Introduction Protocole et politique: fonnes, ritucls, préséances

Yves Dé/oye. Claudine Haroche el Olivier thL.................... 1 1

Première partie

LE POUVOIR DU PROTOCOLE

Chapitre 1 Le pouvoir de la forme, Pour une approche psycho-anthropologiquc du protocole

Pierre Ansarl. .......... .... ..... ............... ..... ......... .. .... .... 21

Chapitre 2 Perspectives psychanalyLiqucs et rituels politiqucs

Eug~1/e Enriquez ....................... ........ .... .. .. .. ... .. .. 33

Chapitre 3 Le protocole ou l'ombre du pouvoir politique. Sociologie historique de l'obéissance politique en France

Yves Dé/oye ....... . 47

Deuxième partie

LE TEMPS ET L'ESPACE DU PROTOCOLE

Chapitre 4 Les éléments religieux dans les rituels d'Étai cn Chine au XIXc sÎècle

Marianne Baslid-BruguUre.... .............. 69

Chapitre 5 La politique des rites publics et du protocole de J'Empire britannique des IlxIes

Max-Jean Zins SI

Chapitre 6 Curiali/as ou la fonction politique des bonnes manières (Xie_XIIIe siècles)

Daniela Romagnoli ..... ................................................... 107

Chapitre 7 Le protocole de la découpe et du partage de la viande (XIIC_XVe siècles)

Cris/iano Gro//aneiii ............................ ........................... 125

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TroÎsÎème partie

LE PROTOCOLE À L'ÉPOQUE MODERNE (Xlve·XVllie SltCLES)

Cbapitre 8 Le cérémonial des modernes ct le triomphe des anciens. Modèles ct pratiques de la Renaissance à Rome

A.medeo Quondam ........... ............................ ........ ... ... ...... 145

Chapitre 9 Penser les règles du cérémonial dans la pcemière moiti~ du XVIIe siècle. Les incertitudes de l'érudit Théodore Godefroy

Mjch~/e FoStl ....... ......... ..................... ........ ........ ........... 155

ChapUre 10 La reconstruction des rituels politiques au siècle de Louis XIV

Peur Burle .................................................................... 171

Chapitre 11 Protocole et imagerie royale en Fr.mce : les cérémonies d'action de grâce pour la guérison de Louis XIV en 1687 et les inaugurations de statues royales sous Louis XIV et Louis XV

Girard SabaIÎt r ........................... ...... ............. ................. 185

Chapilre 12 L'ordre dans les corps : gestes, postures, mouvements. Éléments pour une anthropologie politique des préséances (XVie-XVIIe siècles)

Claudine Haroche ........................................................... 2[3

Qualrième partie

LE PROTOCOLE CONTEMPORAIN (XIXe_X xe SIÈCLES)

Chapitre 13 Les mngs du pouvoir. Régimes de préséances ct bureaucratie d'État dans la Fr:mce des XIXe el XXc siècles

Olivier lhl.. ................................................................... 233

Chapitre 14 Le Président en voyage: rapprochement physique et distanciation IXUlOColaire

Nicolas MariOl ............................................................... 263

Chap itre 15 Les cérémonies fascistes: le Duu et les masses

Emilio Gril/Ut.. .. .. . .......... .. .... . ......... .... ...... 281

Chapitre 16 Le protocole vécu ou rhomme qui est là

Bernard Moreau .............. .... .......................................... .. 297

Chapitre 17 Le Hballet" diplomatique. Sur quelques usages du protocole dans les relations franco- indiennes Meredilh KinSslon ... ............................ ............. ... .... ..... .... ... 309

Cbapitre 18 Les incertitudes protocolaires en Afrique noire

Jean-Pascal Daloz .... .. .

Cbapitre 19 Regard sur un rite d'institution: le protocole et la décentralisation

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Pierre Male/ ............................... ..... ............. ......... ........ . 34 1