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Le Putsch des généraux 21 - 26 avril 1961 « Les généraux Challe, Jouhaud et Zeller (…) en liaison étroite avec le général Salan, ont pris le pouvoir à Alger. L’armée a la situation bien en main (...) Vive l’armée ! Vive la France ! L’Algérie française n’est pas morte. Il n’y a pas, il n’y aura pas, il n’y aura jamais d’Algérie indépendante. 1 » Par ces quelques phrases radiodiffusées le 22 avril 1961 au matin, les généraux en retraite Maurice Challe, Edmond Jouhaud et André Zeller, en liaison étroite avec le général Raoul Salan, justifient leur coup de force et tentent de légitimer leur action. Ce que l’on appellera plus tard « le putsch des généraux » est officialisé. Le divorce entre une partie de l’armée et le gouvernement français est consommé. Ce coup d’éclat, rare dans l’histoire de la tradition militaire française, se pose en rupture totale avec la politique algérienne menée par le général de Gaulle depuis septembre 1959. En effet, le « droit des Algériens à l’autodétermination » évoqué par le général de Gaulle dans son discours du 16 septembre 1959 est devenu une réalité politique aux lendemains du référendum du 8 janvier 1961. La large victoire du « Oui » ouvre en effet la voie de l’indépendance algérienne après sept années de guerre. Dans ce contexte tendu, la stratégie politique du général de Gaulle qui laisse entrevoir une solution négociée entre la France et le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) s’oppose, frontalement, à la conception d’une partie de l’armée française qui pose, comme préalable à toute discussion, le maintien de l’Algérie française. Le putsch des généraux symbolise donc ce moment de rupture. Mais comment en est-on arrivé là ? Et comment expliquer l’échec patent de cette prise de pouvoir ? Cinquante ans plus tard, cet épisode résonne comme un acte désespéré, mené par une poignée d’anciens officiers qui se sentent trahis par le pouvoir en place 2 . 1 Extrait du communiqué radiodiffusé à la population au moment de la prise de la ville par les putschistes dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 2 Photo n°1 : ALG 60-117 R59, Le général de Gaulle en visite dans la région d’Alger, 6/03/1960, opérateur : Antoine 1

Le Putsch des généraux 21 - 26 avril 1961archives.ecpad.fr/wp-content/uploads/2011/03/putsch_généraux.pdf · Cinquante ans plus tard, cet épisode résonne comme un acte désespéré,

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Le Putsch des généraux 21 - 26 avril 1961

« Les généraux Challe, Jouhaud et Zeller (…) en liaison étroite avec le général Salan, ont pris le pouvoir à Alger. L’armée a la situation bien en main (...) Vive l’armée ! Vive la France ! L’Algérie française n’est pas morte. Il n’y a pas, il n’y aura pas, il n’y aura jamais d’Algérie indépendante.1 » Par ces quelques phrases radiodiffusées le 22 avril 1961 au matin, les généraux en retraite Maurice Challe, Edmond Jouhaud et André Zeller, en liaison étroite avec le général Raoul Salan, justifient leur coup de force et tentent de légitimer leur action. Ce que l’on appellera plus tard « le putsch des généraux » est officialisé. Le divorce entre une partie de l’armée et le gouvernement français est consommé. Ce coup d’éclat, rare dans l’histoire de la tradition militaire française, se pose en rupture totale avec la politique algérienne menée par le général de Gaulle depuis septembre 1959. En effet, le « droit des Algériens à l’autodétermination » évoqué par le général de Gaulle dans son discours du 16 septembre 1959 est devenu une réalité politique aux lendemains du référendum du 8 janvier 1961. La large victoire du « Oui » ouvre en effet la voie de l’indépendance algérienne après sept années de guerre. Dans ce contexte tendu, la stratégie politique du général de Gaulle qui laisse entrevoir une solution négociée entre la France et le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) s’oppose, frontalement, à la conception d’une partie de l’armée française qui pose, comme préalable à toute discussion, le maintien de l’Algérie française. Le putsch des généraux symbolise donc ce moment de rupture. Mais comment en est-on arrivé là ? Et comment expliquer l’échec patent de cette prise de pouvoir ? Cinquante ans plus tard, cet épisode résonne comme un acte désespéré, mené par une poignée d’anciens officiers qui se sentent trahis par le pouvoir en place2.

1 Extrait du communiqué radiodiffusé à la population au moment de la prise de la ville par les putschistes dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 2 Photo n°1 : ALG 60-117 R59, Le général de Gaulle en visite dans la région d’Alger, 6/03/1960, opérateur : Antoine

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I. Aux origines du putsch Sur le plan stratégique, il apparaît clairement que le règlement de la question algérienne passe de plus en plus par une solution politique négociée entre la France et les nationalistes algériens. > Le temps des discours politiques En moins de deux ans, la présence française en Algérie est devenue, au fil des discours, une certitude de moins en moins évidente à percevoir dans les visions du général de Gaulle. Si le propos est nuancé et habilement teinté d’ambigüité, le fond de la question n’échappe pas aux militaires et à l’opinion publique des Français d’Algérie. La mise à feu - 16 septembre 1959 : le général de Gaulle évoque « le droit des Algériens à l’autodétermination ». - 24 janvier - 1er février 1960 : Semaine des barricades à Alger3 La conséquence de cette première rupture idéologique se fait ressentir dans l’opinion publique des Français d’Algérie. C’est bien de la rue que débute la Semaine des barricades qui symbolise le premier temps fort de la radicalisation des partisans de l’Algérie française. Les leadeurs civils4 profitent d’une relative « passivité » du côté de l’armée d’Algérie pour mener à bien une action de guérilla urbaine pendant près d’une semaine. - 5 mars 1960 : à l’occasion d’une nouvelle tournée en Algérie, le général de Gaulle veut croire en une « Algérie algérienne liée à la France ». - 30 mars 1960 : malgré ses succès militaires et sa fidélité au cours de la crise des Barricades, le général Maurice Challe qui avait succédé au général Raoul Salan au mois de décembre 1958, aux côté de Paul Delouvrier, est démis de ses fonctions de commandant en chef en Algérie. Une évolution politique progressive - 5 septembre 1960 : le général de Gaulle déclare que « L’Algérie algérienne est en route ». - 4 novembre 1960 : le général de Gaulle parle d’une « République algérienne qui existera un jour, mais n’a encore jamais existé ». - 23 novembre : Paul Delouvrier, instigateur du Plan de Constantine, est remplacé par Jean Morin comme délégué général du gouvernement en Algérie. - Décembre 1960 : au cours du voyage du général de Gaulle en Algérie, des manifestations populaires violentes en faveur de l’Algérie française ou de l’indépendance Algérienne ont lieu dans plusieurs villes du pays.

3 Voir le dossier thématique « La semaine des barricades, Alger, 24 janvier-1er février 1960 » sur www.ecpad.fr 4 On citera pour mémoire Joseph Ortiz, Pierre Lagaillarde ou encore Jean-Jacques Susini.

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-Photo n°2 Onze mois après la Semaine des barricades, les partisans de l’Algérie française manifestent violemment cette fois-ci dans la casbah. Des scènes d’émeutes urbaines se multiplient pendant

plusieurs jours. Le vent tourne. Cette forme de « contestation populaire » radicale illustre le caractère instable et fluctuant du rapport de force politique. ALG 60-404 G41 Les manifestants rue Michelet à Alger. 9/12/1960, opérateur : Vignal, Claude

La recherche d’une légitimation populaire en faveur d’une solution politique, pacifique et négociée - 8 janvier 1961 : 75% des Français répondent « Oui » au référendum relatif au droit à l’autodétermination du peuple algérien. - Photos n° 3 et 4

ALG 61-11 R4 ALG 61-10 R5 Le référendum à Oran. Bureau de vote dans la casbah (boulevard du Télemly). 8/01/1961, opérateur : Vignal, Claude 8/01/1961, opérateur : Flandrois, Marc

Ce vote est capital. En effet, le discours prononcé par le général de Gaulle à l’occasion du référendum est sans ambigüité sur le devenir de l’Algérie en cas d’adhésion massive puisqu’il précise que « la réponse positive de notre peuple au référendum prendra aussi le caractère d’un appel à la fin des combats et à une pacifique confrontation (…). Le « Oui » franc et

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massif (…) offrira à l’Algérie la chance d’un avenir libre »5. À ce sujet, l’article premier du projet de loi du n°61-44 du 14 janvier 19616 parle de lui-même puisqu’il précise que : « Dès que les conditions de la sécurité en Algérie permettront d’y rétablir le plein exercice des libertés publiques, les populations algériennes feront connaître, par la voie d’une consultation au suffrage direct et universel, le destin politique qu’elles choisiront par rapport à la République française ». L’une des conséquences directes est la reprise des négociations avec le GPRA et l’annonce, le 30 mars, des futurs « pourparlers d’Evian ». Le 11 avril, le général de Gaulle envisage même, pour la première fois, un « État algérien souverain ». On connaît le résultat du référendum du 1er juillet 19627. > La genèse du putsch : une réalité complexe

Dans le même temps, une partie des cadres militaires réagit violemment aux inclinaisons indépendantistes qui transparaissent dès les premiers discours du général de Gaulle. La première fronde apparaît au cours de la Semaine des barricades, sous l’impulsion de plusieurs colonels qui soutiennent ouvertement le mouvement frontiste. Ce « soviet des colonels », désigné ainsi par le Premier ministre Michel Debré, est composé, entre autres, du colonel Antoine Argoud. Ce dernier se fait le porte-parole d’une partie de l’armée lorsqu’il déclare ouvertement au Premier ministre, alors en visite expresse à Alger qu’« Il n’est pas question de tirer, vous ne pouvez pas tirer sur des Français qui crient « vive l’Algérie française » (…). Il faut transformer l’autodétermination. Il faut revenir sur l’autodétermination. [Si le général de Gaulle refuse] il faudra que le général Challe essaie lui-même de prendre l’affaire à son compte. [Et si le général Challe refuse] Monsieur le Premier ministre, à ce moment-là, ce sera l’affaire des colonels, quels que soient leurs noms 8 ». Pour une fraction de l’armée française, l’autodétermination est inenvisageable, inconcevable. D’autres solutions peuvent exister, mais la France doit conserver un rôle de premier plan dans le destin de l’Algérie. S’ils ne s’opposent pas à l’intégration des populations musulmanes, celle-ci ne peut se faire que dans une Algérie française. L’épisode de la Semaine des barricades porte en lui les prémices du putsch des généraux.

En réalité, plusieurs fronts de dissidences vont progressivement se mettre en place et commencer à se réunir entre 1960 et 1961. Ils vont jouer un rôle plus ou moins important dans l’organisation, la mise en place et le déroulement du putsch. Des contacts de plus en plus fréquents sont pris entre Alger, Paris et Madrid. C’est ainsi que, au fur et à mesure des rencontres et des discussions, l’idée d’une action d’envergure telle que celle du 13 mai 1958, finit par rencontrer l’adhésion d’une grande partie de ces groupes. S’ils ont parfois des désaccords sur la manière de procéder, tous s’entendent tous sur un point : le respect de la parole donnée dans le maintien de l’Algérie française. Ce n’est donc pas un hasard si la majorité des personnalités qui composent ces groupes d’influence ont, pour la plupart, exercé (ou exercent encore) des responsabilités politiques et militaires de premier plan tout au long de la guerre d’Algérie.

5 Extrait de l’allocution du général de Gaulle prononcée le 20 décembre 1960 in Pierre Vallaud, La guerre d’Algérie II. 1958-1962 La marche à l’indépendance, éditions Acropole, 2005, pp.68-69 6 Article premier du projet de loi « concernant l’autodétermination de populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ». 7 Référendum d’autodétermination en Algérie ratifié par 99,72% de votes en faveur du « Oui ». 8 Yves Courrière, La guerre d’Algérie Tome 2 : 1957-1962, Fayard, 2001, p.533

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Parmi eux, le colonel Hervé de Blignières9, secondé par le lieutenant Roger Degueldre, participe activement à l’unification des intentions en véritable conjuration. Les liaisons entre les anciens colonels des Barricades et des membres du Comité de Vincennes10 se multiplient. Par ailleurs, dans le contexte d’une trêve unilatérale entre la France et le FLN qui semble se profiler dès le début de l’année 1961, plusieurs cadres d’active alors en service en Algérie font part de leurs préoccupations aux groupes métropolitains et se disent prêts à une action d’envergure. Une tendance forte se dessine également en Espagne, autour du général Raoul Salan qui entend interpréter un rôle d’opposition de premier plan à la politique menée par le général de Gaulle. Salan s’est d’ailleurs rapproché des nationalistes en fuite Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde qui viennent de fonder l’OAS (Organisation armée secrète)11. Les plus actifs, au sein de ces groupes, qui envisagent également une action armée conjointe en métropole12, sont les anciens colonels d’Algérie parmi lesquels figurent les noms d’Antoine Argoud, de Joseph Broizat, de Jean Gardes, de Pierre Château-Jobert, de Charles Lacheroy ou encore d’Yves Godard. Mais pour unifier les différentes tendances, les colonels ont besoin d’un chef unique qui rassemble largement. Plusieurs personnalités sont approchées, mais c’est celle du général Challe qui fait rapidement consensus. Ce dernier a donné sa démission au mois de janvier 1961 et vient justement de rejoindre « un groupe réunissant des civils et des militaires [qui] s’était formé à Paris. Il comptait, parmi ses participants réguliers : Georges Bidault, Jacques Soustelle, Marc Lauriol, Robert Lacoste, Max Lejeune, le général Zeller, l’ancien patron de l’armée de terre redevenu civil, ainsi que le général Valluy, prédécesseur de Challe à Fontainebleau. (…). Deux fois par semaine le petit groupe se réunissait et étudiait la conjoncture13 ». Le général Challe y expose ses vues sur le devenir de l’Algérie et rencontre l’adhésion d’une grande partie des conjurés. Devant ses réticences à mener une importante action armée en Algérie, le général Jouhaud tente de le convaincre des bienfondés et des soutiens d’une grande partie des régiments « prestigieux » encore en service en Algérie. C’est le discours du général de Gaulle du 12 avril14 qui achève de convaincre le général Challe : il accepte finalement de prendre la tête de la conjuration et d’imposer par la force l’abandon de la politique d’autodétermination. Ses principaux adjoints seront le général Zeller et le général Jouhaud. L’état-major du putsch, composé de Jouhaud, Gardy, Godard, Lacheroy, Broizat et Sergent, se retrouve réuni au complet le 20 avril en Algérie et se prépare à l’action.

9 « C’est le colonel de Blignières qui rétablit les liens entre Argoud et Gardes à Metz, Broizat à Châlons-sur-Marne, Godard à Nevers, Dufour en Forêt-Noire, Lacheroy à l’École militaire. Des contacts sont même pris à l’étranger, en Allemagne, en Espagne, en Afrique du Sud et, naturellement, avec des milieux politiques français, indépendants ou radicaux. On dresse même la liste d’un haut-commissariat où figureraient Pinay, Monnerville, Arrighi, Max Lejeune, Cogny, Pisani. Bientôt, le « soviet des colonels » tient même ses assises à l’École militaire où le colonel Lacheroy a ses entrées, tandis que, Degueldre, l’ombre du colonel de Blignières, sillonne l’Algérie en tenue d’officier aviateur ». Philippe Masson, A la recherche d’un général, In Historia magazine, La guerre d’Algérie, n° 331 Préparation du putsch des généraux, Tallandier, 1973, p.2660 10 Fondé par Jacques Soustelle au mois de juin 1960. Le comité rassemble plusieurs centaines de personnalités qui souhaitent le maintien de l’Algérie française 11 L’Organisation armée secrète est créée le 11 février 1960. 12 Les généraux Jacques Faure et Paul Gardy ainsi que le colonel de Blignières étaient favorables à une action en métropole. Le général Challe, mis à la tête de la conjuration refusera cette option. 13 Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.775 14 Discours dans lequel le général de Gaulle déclare à un journaliste que « la France considérerait avec le plus grand sang froid une solution telle que l’Algérie cessât d’appartenir à son domaine… ».

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II. Le déroulement du putsch - Samedi 22 avril 1961 : de l’ombre à la lumière

> 2h45 : La prise d’Alger Les conjurés se sont assurés le soutien de plusieurs régiments « prestigieux » cantonnés en Algérie. Ceux-ci attendent le feu vert pour passer à l’exécution du plan d’action mis en place par le capitaine Baÿt.15 Ainsi, c’est dans la nuit du 21 au 22 avril que le 1er Régiment étranger de parachutistes, dont le commandement par intérim est assuré par Hélie Denoix de Saint Marc, s’empare, en quelques heures, des principaux points stratégiques de la ville d’Alger. Le 1er REP est activement soutenu dans cette entreprise par le groupe de commandos parachutistes de réserve encadré par le commandant Georges Robin. -Photo n°5 ALG 61-52 R1 Le général Gambiez (à gauche) serre la main au général de Saint-Hillier. 17/02/1961, opérateur : Flandrois, Marc

De leur côté, les autorités civiles et militaires de l’Algérie passent la soirée au Palais d’Été à Alger, chez le Gouverneur général Morin lorsque plusieurs sources leurs signalent au même moment la mise en mouvement du 1er REP. Malgré les alertes répétées des renseignements généraux au sujet d’un possible coup d’État sur Alger par une partie des anciens cadres militaires, le général Fernand Gambiez, commandant en chef des forces armées, juge l’évènement invraisemblable. C’est avec le responsable de la 10e DP (Division parachutiste), le général de Saint-Hillier, qu’il décide de se rendre au

cantonnement du 1er REP, à Zéralda (région d’Alger), afin de juger sur place de la situation. Leur surprise est de taille lorsqu’ils croisent la route du 1er REP à proximité d’Alger et que le régiment refuse d’obéir aux ordres du général Gambiez qui s’est porté au-devant du convoi. À cette occasion, un lieutenant aurait déclaré au général Gambiez « Vous n’êtes plus rien. Nous n’avons rien à faire de vos ordres. Challe et Zeller sont arrivés. C’est à eux que nous obéissons.16». Plus que la stupeur, c’est l’effarement qui domine alors les deux hommes. Et

15 « Capitaine du corps d’armée d’Alger, officier de réserve en situation d’activité (…) a soigneusement préparé la prise d’Alger en 19 objectifs. Une petite merveille de concision et de précision (…) En moins d’une heure, les centres nerveux de la capitale doivent être neutralisés. Délégation générale, état-major interarmées, corps d’armée d’Alger, PC de la zone et des deux secteurs d’Alger, radiodiffusion et télévision, centre des transmissions, palais d’Été, aérodromes, commissariat central, domiciles des principaux hauts-fonctionnaires et chefs militaires. » Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.803 16 Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.811

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pour cause, le général de Saint-Hillier vient de dîner avec Hélie Denoix de Saint Marc, commandant par intérim du 1er REP17. Alger tombe et plusieurs hauts responsables civils et militaires parmi lesquels figurent les généraux Fernand Gambiez et Adolphe Vézinet (responsable du corps d’armée d’Alger), le délégué général Jean Morin et même le ministre des transports Robert Buron, alors de passage à Alger, sont arrêtés au cours de la nuit. La première phase du putsch s’achève conformément au scénario prévu. Les généraux rebelles peuvent reprendre du service.

> 7h00 : Une voix s’élève C’est par la radio que la population algérienne apprend, au petit matin, que les généraux Maurice Challe, Edmond Jouhaud et André Zeller, en liaison étroite avec le général Raoul Salan, ont décrété l’état de siège et pris le pouvoir à Alger afin de « garder l’Algérie dans la souveraineté française ». En écho au discours du général de Gaulle prononcé le 12 avril18, ils dénoncent l’action du gouvernement français et l’abandon progressif de l’Algérie19. Le 22 avril, trois généraux sur quatre sont physiquement présents à Alger L’homme de tête > Maurice Challe :

-Photo n° 6 Le général Challe remplace le général Salan en Algérie au poste de commandant en chef des forces armées le 12 décembre 1958. Il réorganise l’armée et met en place une vaste offensive militaire20 contre l’ALN (Armée de libération nationale). Malgré les succès militaires et sa gestion de la crise des Barricades, le général Challe est remplacé par le général Crépin au mois de mars 1960. Il devient alors commandant en chef des forces alliées Centre Europe, poste duquel il démissionne en décembre 1960. C’est à cette époque qu’il s’implique aux côtés de personnalités opposées à l’autodétermination et qu’il expose ses théories. C’est lui que les conjurés désirent mettre à la tête du putsch et, malgré ses hésitations, il accepte mener le coup d’État en Alg

de érie aux côtés des

généraux Jouhaud et Zeller.

teur : Berges, Yves-Guy

ALG 58-578 R2 Portrait du général Maurice Challe. 26/11/1958, opéra

17 Le lieutenant-colonel Guiraud qui commande le 1er REP à cette époque est en permission. 18 Discours dans lequel le général de Gaulle déclare à un journaliste que « la France considérerait avec le plus grand sang froid une solution telle que l’Algérie cessât d’appartenir à son domaine… ». 19 « (…) Un gouvernement d’abandon nous apprenait successivement l’Algérie française, l’Algérie dans la France, l’Algérie algérienne, l’Algérie indépendante associée à la France. Il s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion (…) » 20 Le plan Challe commence au mois de février 1959 et affaiblit considérablement les forces vives de l’ALN

7

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le ouvement insurrectionnel.

ande en Algérie au

4/04/1961, opérateurs : Vignal, Claude ; Flandrois, Marc ; Grimaud ; Fauche

é Zeller -Photo n° 8

lgérie décidée par le ent de l’époque.

ndre son poste à la demande du général de

e d’autodétermination menée par le

très activement

dministratives au moment de la

rs : Vignal, Claude ; Flandrois, Marc ; Grimaud ; Fauche

> Edmond Jo -Photo n° 7

Le général Jouhaud a commandé la 5e région aérienne en Algérie en 1957 avad’état-major de l’armée de l’air. Il est l’un des principaux acteurs du 13 mai 1958 acôtés du général Sades forces arm En désaccord avec la politique algérienne mle général de Gaulle, il demanddisponibilité en octobre 1960. C’est lui qui parvient à convaincre le général Chalde prendre la tête du m Le général Challe le nomme responsable de l’information et de la propagcours de la préparation du putsch.

ALG 61-131 R32 Le général Jouhaud sur le forum d’Alger. 2

> Marie-Andr

l’armée de terre lorsqu’il démissionne en février 1956 pour marquer son profond désaccord avec ladiminution des effectifs en A

Le général Zeller est chef d’état-major de

gouvernem Au lendemain des journées de mai 1958, il acceptede repreGaulle. Ce fervent défenseur de l’Algérie française est mis en retraite en 1959 et ne cache pas son opposition avec la politiquchef de l’État. Homme de conviction, il participeà la mise en œuvre du coup d’État. Le général Challe le charge des questions logistiques et aprise d’Alger.

ALG 61-131 R40 Le général Zeller sur 24/04/1961, opérateu

le forum d’Alger.

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L’associé exilé

avril,

arasiter la bonne marche des opérations.

24/04/1961, opérateurs : Vignal, Claude ; Flandrois, Marc ; Grimaud ; Fauche

le lus tard possible, après que la situation générale sera stabilisée du côté de la prise d'Alger.

complexes. Mais le résultat est là : le 22 avril au matin, armée a pris le pouvoir à Alger.

ais Alger n’est pas l’Algérie.

rapidement que, pour beaucoup de responsables, le pas à franchir

er et Gardy la délicate mission de convaincre les récalcitrants du Constantinois et de l’Oranie.

>Raoul Salan La participation du général Salan au putsch est résolument un choix politique. En effet, le libellé de l’annonce radiodiffusée le 22 avril au matin parle de lui-même : si le coup d’état se fait « en liaison étroite » avec le général Salan, ce dernier n’arrive à Alger que le 23soit le lendemain du coup de force. C’est que Challe désire ardemment que l’opération reste dans les mains des militaires. Or ce dernier estime que les accointances que le général Salan entretient, en Espagne, avec les nationalistes réfugiés Susini et Lagaillarde, sont susceptibles de p

-Photo n° 9 ALG 61-131 R41

Le général Salan sur le forum d’Alger.

De fait, si l’association entre Challe, Jouhaud et Zeller d’un côté, et le général Salan et les nationalistes de l’autre côté est inéluctable21, celle-ci doit se faire, dans l’esprit de Challe, p La conjuration finale mise en place à Alger et la mise en œuvre du coup d’État résultent donc d’associations politico-militaires l’ M Un nombre significatif de hauts cadres militaires ne soutient pas les putschistes dans leur entreprise. Challe comprendrisque d’être trop difficile. Il confie donc aux généraux Zell

21 « Il était pourtant clair qu’à quelques jours du Grand Coup, il faudrait compter avec Salan. Son arrivée à Alger était inévitable. Il s’y précipiterait dès l’annonce du putsch (…). Il fallait donc le tenir à l’écart jusqu’à la prise en main complète de l’armée d’Algérie.» In Yves Courrière, La guerre d’Algérie, T IV Les feux du désespoir, SGED, Paris, 2000, p.1702

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> Paris s’agite : « C’est une question de trois jours »22 C’est le Premier ministre Michel Debré qui avertit le général de Gaulle de la situation. Ce dernier décide d’envoyer sur place le chef d’état-major de la Défense nationale, le général Jean Olié, et le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe, afin de se rendre compte de la ituation.

-Photos n° 10, 11 et 12

s

ALG 61-145 R2 ALG 61-145 R3 Le général d'armée Jean Olié au Gouvernement général à Alger. Louis Joxe au Gouvernement général à Alger.

gaullistes de la zone Oranaise d’éta

one Oranaise par le général Gardy

néral de la zone.

s s’être

ssurés de la fidélité des principaux cadres de la région.

la caserne d’Orléans (Alger) 3/04/1962, opérateur : Nicaise

d’entrevoir des failles dans l’organisation générale du putsch en cours d’exécution en Algérie.

27/04/1961, opérateurs : Vignal, Claude 7/04/1961, opérateurs : Vignal, Claude

Les renseignements qui leurs parviennent d’Algérie rassurent les deux hommes sur la situation globale de l’Ouest algérien. En effet, le général de Pouilly, responsable du corps d’armée d’Oran les assure de sa fidélité. Les deux hommes conseillent aux responsables

blir un PC à Tlemcen, à la frontière marocaine afin de mettre une distance sereine entre eux et Oran (cet éloignement stratégique va favoriser l’échec de la prise de contrôle de la zenvoyé par Challe). Ils décident ensuite de se rendre directement dans le Constantinois afin d’envisager l’état géIls y découvrent une situation critique. A Télergma (Constantinois), les deux hommes échappentmême de justesse à des parachutistes de la 10e DP venus les arrêter. Ils se replient alors à Bône23 où ils bénéficient du soutien sans faille du général CharlesAilleret. Ils regagnent Paris le 23 avril aprèa

ALG 62-89 R5 Le général Ailleret fait ses adieux à 2

Ce voyage éclair permet aux deux hommes

22 Le général de Gaulle à Jacques Foccart, le 22 avril au matin, in Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.823 23 Aujourd’hui Annaba (constantinois)

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Dans le même temps, en métropole, les autorités françaises dirigées par Roger Frey24, font arrêter plusieurs personnalités étroitement mêlées à la conspiration, dont le général Faure. Il est dorénavant impossible pour les conjurés de prolonger le coup de force sur Paris. A 17h, le conseil des ministres décide de décréter l’état d’urgence et précise que les responsables militaires du putsch seront traduits devant la justice militaire. - Dimanche 23 avril 1961

> Le temps des doutes Si beaucoup de cadres militaires soutiennent les conjurés dans les faits, il n’en est pas de même dans les actes. Conformément aux renseignements recueillis par la mission Olié-Joxe, la zone Oranaise est loin d’être acquise au putsch. Et pour cause, les défections de dernière minute et les attentistes prudents se révèlent beaucoup plus nombreux que prévu. Des divisions idéologiques importantes se font sentir au sein de l’armée d’Algérie, partagée entre ses attentes réelles de voir l’Algérie française perdurer au-delà des choix du gouvernement, et son devoir de réserve et d’obéissance au chef des armées. Dans ce contexte, le général Challe s’inquiète d’apprendre le dimanche soir qu’aucun officier général du corps d’armée d’Oran ne s’est rallié aux putschistes. Le général Gardy échoue à Oran, mais le général Zeller réussit à retourner le général Gouraud25 à Constantine. -Photos n° 13 et 14

ALG 61-133 R2 ALG 56-43 R15 Arrivée du général Zeller à Constantine. Portrait du général Gouraud (région d’Alger) 23/04/1961, opérateur : Grassart 10-14/04/1956, opérateur : inconnu

24 Il est à cette époque Ministre délégué auprès du Premier ministre Michel Debré. 25 Le cas du général Gouraud est emblématique. Son attitude tout au long du putsch symbolise bien le doute et le cas de conscience qui habitent plusieurs officiers supérieurs, déchirés entres leurs convictions personnelles et leur devoir de soldat. Le 22 avril, le responsable du corps d’armée de Constantine assure le général Challe de son soutien avant de se raviser, un peu plus tard, au téléphone. Après avoir reçu la délégation Olié-Joxe dans la journée, le général Gouraud demande même officiellement à ses troupes de ne pas suivre les putschistes. Le lendemain, 23 avril, le général Zeller venu le rencontrer personnellement parvient à lui faire changer une nouvelle fois d’avis, mais ses troupes ne le suivent pas.

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Malheureusement pour les putschistes, le revirement du général Gouraud ne suffit pas à entraîner les officiers du corps d’armée de Constantine, qui refusent majoritairement de participer au putsch. Au final les représentants de Challe ne parviendront pas à faire basculer l’Oranais et le Constantinois. À Alger, le général Raoul Salan, tenu à l’écart depuis le début, arrive et rejoint officiellement le putsch. Un conseil supérieur de l’Algérie dans lequel « Challe assure le commandement en chef, Jouhaud est chargé de la logistique et de la propagande, Zeller de la vie économique et des finances et Salan de l’action sur l’administration et la population »26 est créé. On l’a vu, le général Salan, n’arrive que le 23 avril en début d’après-midi au quartier Rignot. Il est venu avec Jean-Jacques Susini. Avec ces deux hommes, c’est la branche des« ultras » de l’OAS qui s’invite au putsch des généraux. Challe rappelle à Salan qu’il n’est pas question de mêler les civils au mouvement. Le général Challe décide d’associer les généraux Salan et Jouhaud27 sur les questions relatives aux contacts avec la population.

- Photo n° 15 ALG 61-132 R5 Le général Salan au quartier Rignot (Alger). 24/04/1961, opérateur : Vignal, Claude

26 Jacques Frémaux, Le putsch des généraux : le film des évènements, in Guerre d’Algérie magazine, n°14, décembre-janvier-février 2009, pp.18-19 27 Si le duo fonctionne mal dans les premiers temps, les deux hommes basculent ensemble dans la clandestinité après le putsch et dirigent l’état-major de l’OAS pour l’Algérie.

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> Le discours du général de Gaulle

Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamiento28 militaire…»

que commence le discours radio-télévisé prononcé par le général de Gaulle

la République s’adresse

oute à ces hommes-là, en attendant de les réduire ».

eux-ci ont pris le parti des dissidents

tution qui lui permet de se saisir des pleins pouvoirs.

Le gén 01-02/10/1958, opérateur : inconnu

qui l’ont rgement entendu, va être déterminant dans le règlement final du putsch en Algérie.

populaire et fait garder plusieurs oints stratégiques de la capitale par des unités de l’armée.

« C’est par ces motsle 23 avril à 20h. Fort d’une légitimité populaire confirmée après le référendum du 8 janvier relatif à l’autodétermination en Algérie, le président deune fois encore à la nation. Il condamne fermement ce « quarteron de généraux en retraite (…) » appuyé par « un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques » avant d’ordonner que « tous les moyens soient employés pour barrer lar Dans cette optique, le général de Gaulle ordonne expressément aux soldats d’Algérie de désobéir formellement aux ordres émanant de leurs supérieurs lorsque cd’Alger. Par ailleurs, le président de la République décide d’appliquer l’article 1629 de la Consti

- Photo n° 16 ALG 58-478 R39

éral de Gaulle à Tiaret (région d’Oran).

Ce discours, prononcé sur un ton volontairement dramatique, provoque en métropole une importante adhésion populaire. Par ailleurs, son impact sur les soldats du contingent, la Dans le prolongement de la déclaration du général de Gaulle, le Premier ministre Michel Debré intervient à son tour plus tard dans la soirée. Il évoque sérieusement la possibilité d’un débarquement d’unités parachutistes sur Paris et le prolongement du coup d’État sur le territoire national. Il en appelle lui aussi à la mobilisationp

28 Pronunciamiento : Acte par lequel un chef militaire ou un groupe d’officiers déclare son refus d’obéir au gouvernement ; tout coup d’État organisé ou favorisé par l’armée. In Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la Langue Française, 1992, p.1546 29 Article 16 : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel (…) »

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- Lundi 24 avril 1961

> Le chant du cygne

’à Paris un vaste mouvement de

la population algéroise. Un rendez-vous est fixé sur le forum d’Alger

putschistes au balcon du

pulation d’Alger de les

lcon, les déclarations se veulent olennelles30 :

faut pour que Algérie reste une terre française ».

e, la France ne peut pas se passer de

A24/04/1961, opérateur : Vignal, Claude

demande ».

erment de lgérie à la France ».

rnement général (Alger). 4/04/1961, opérateur : Vignal, Claude

À Alger, la situation s’enlise du côté des insurgés alors qusoutien populaire au général de Gaulle déferle dans les rues. L’état-major du général Challe, les colonels en tête, estime que les généraux doivent s’adresser à leur tour à le même jour à 18h30. C’est une foule évaluée à 100 000 personnes qui est venue acclamer les Gouvernement général. Tour à tour, les généraux Challe, Zeller, Salan et Jouhaud exhortent la posoutenir dans leur combat. Depuis le bas - Challe : « Voici ceux qui sont venus avec vous pour se battre, souffrir et mourir s’il le l’ - Zeller : « Je suis venu de France pour rejoindre mes amis et parce que je pense que si l’Algérie a besoin de la Francl’Algérie ».

-Photo n° 17 ALG 61-131 R19

rrivée des généraux sur le Forum d’Alger.

- Jouhaud : « Nous avons acclamé la France, nous avons acclamé l’Algérie, je vous d’acclamer l’armée… - Salan : « Nous nous retrouvons ici, sur cette place où ensemble nous avons fait le sgarder l’A

-Photo n° 18 ALG 61-132 R13

es généraux prennent la parole au GouveL2

30 Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.863

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La foule toute acquise aux généraux ovationne largement chacune des interventions. Mais l’unité affichée au cours de cette communion n’est qu’une façade. En effet, la situation en Oranie et dans le Constantinois est au point mort. Dans les coulisses des divergences stratégiques commencent à apparaître entre les quatre généraux. Malgré les défections militaires de plus en plus nombreuses, le général Challe reste sourd aux injonctions des nationalistes qui souhaitent agir et actionner leurs milices. Il est également résolument contre une intervention aéroportée sur la métropole. Au soir du troisième jour, la situation générale en Algérie n’a guère évolué et Challe ne maîtrise en définitive que la zone algéroise. Les putschistes se sentent isolés. > Le rôle des appelés

Parallèlement à cet enlisement généralisé, une grande agitation règne chez les appelés du contingent. Le discours prononcé la veille par le général de Gaulle a été largement entendu par les soldats et des soulèvements ont lieu dans plusieurs casernes. C’est ainsi que l’on rapporte à l’état-major des putschistes que « le général Bigeot, patron de l’aviation en Algérie, voit ses bases de la Mitidja en état d’insurrection »31.

-Photo n° 19 ALG 61-135 R3 Des militaires refusent de reprendre le travail sous la direction d’un officier qui n’est pas resté fidèle au gouvernement. 26/04/1961, opérateur : Flandrois, Marc

C’est que le général de Gaulle a bien senti le rôle que peuvent jouer les appelés du contingent. Pris dans une tourmente qui les dépasse et une guerre qu’ils ne souhaitent pas ou plus mener, le général de Gaulle compte implicitement sur eux pour, sinon gangréner, au moins paralyser et ralentir durement le coup d’État. L’idée est de mettre à mal le mouvement en cours depuis la base. Le résultat ne se fait pas attendre.

-Photo n° 20 ALG 61-136 R3

Les élèves officiers de Cherchell devant le Gouvernement général à Alger. 26/04/1961, opérateur : Grassart

31 Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.861

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III. Le dénouement - Mardi 25 avril 1961 : la fin des illusions Le coup ne prend pas, et le général Challe en est bien conscient. Le putsch n’évolue pas, pire, la situation d’enlisement dans laquelle se trouvent les généraux ne fait qu’empirer d’heure en heure. L’Algérie n’a pas basculé comme prévu dans les premières heures du coup d’État et les marges de manœuvre des conjurés se réduisent considérablement au fur et à mesure que le temps passe. L’isolement des putschistes est réel et la journée du 25 avril ne fait que confirmer la tendance générale. Alger vacille, les soldats expriment leur amertume et la situation militaire reste figée dans l’Oranais et le Constantinois. Le constat d’échec s’impose au général Challe qui prend sa décision à la mi-journée. Il souhaite mettre fin à cette triste aventure, veut se livrer aux autorités et entend assumer l’entière responsabilité de l’affaire. Dans un sursaut d’orgueil, les généraux Zeller, Jouhaud et Salan se refusent à cette solution et tentent même une dernière action en mobilisant les civils. Mais il est déjà trop tard, c’est la débâcle à Alger. A 22h, les parachutistes commencent à se retirer alors que la ville est investie par les forces de l’ordre. Les généraux Challe, Jouhaud et Salan se replient sur Zéralda avec le 1er REP. De son côté, le général Zeller préfère disparaitre anonymement dans la foule. - Mercredi 26 avril : la reddition de Challe C’est depuis le cantonnement du 1er REP que les généraux Salan et Jouhaud choisissent de passer dans la clandestinité afin de rejoindre l’OAS et de poursuivre le combat32. Hélie Denoix de Saint Marc, le commandant séditieux du 1er REP, négocie le lendemain la reddition du général Challe. Le 26 avril au soir, Maurice Challe est emprisonné à la prison de la Santé à Paris. Il est rejoint quelques jours plus tard par André Zeller qui s’est constitué prisonnier le 6 mai.

-Photos n° 21, 22 et 23 ALG 61-136 R2, R12 et R6 À Alger, les troupes du contingent réoccupent les bâtiments publics. 26/04/1961, opérateur : Grassart 32 « Les deux généraux entrent dans la clandestinité aux côtés de Gardy, Gardes, Godard, Sergent et Degueldre (…) Argoud et Lacheroy se réfugient en Espagne. (…). Perquisitions et expulsions du sol algérien frappent les Européens suspects de sympathie avec les putschistes, eux-mêmes sévèrement punis. Les trois régiments impliqués (le 1er REP, les 14e et 18e RCP) sont dissous. Les commandos de l’air et le groupement des commandos de parachutistes connaissent le même sort. La tenue Léopard disparaît. Plus de 200 officiers sont mis aux arrêts de rigueur (…) » In Pierre Vallaud, La guerre d’Algérie II. 1958-1962 La marche à l’indépendance, éditions Acropole, 2005, pp.78-79

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Le temps des sanctions a sonné. Plusieurs régiments qui ont participé à la mise en œuvre du coup d’État sont dissouts et un nombre important d’officiers est mis aux arrêts ou bien encore muté hors d’Algérie. -Photo n° 24

La dissolution du 1er REP est un symbole fort, voulu par le chef de l’État, au lendemain de l’échec du putsch. « Ce 27 avril 1961, 1 200 bérets verts, entassés dans leurs camions, 1 200 hommes partagés entre la colère et le chagrin, clament, en traversant une dernière fois leur bonne ville de Zéralda, le refrain sur lequel Edith Piaf fait fredonner tout Paris… Non ! Ils ne regrettent rien. Et si c’était à refaire, ils recommenceraient (…) 33» ALG 61-146 R6 Les militaires du 1er REP quittent Zéralda (région d’Alger). 27/04/1961, opérateur : inconnu

Le même jour, l’état-major de Paris débarque à Maison Blanche (région d’Alger). On reconnaît ici le général Jean Olié, chef d’état-major de la Défense nationale et Louis Joxe le ministre des Affaires algériennes, qui sont de retour trois jours après leur passage éclair en Algérie. Ils sont venus réorganiser et remettre en ordre les pouvoirs publics et militaires en Algérie. Les conséquences immédiates du putsch sont importantes et « l’armée française sort brisée de la crise qu’elle vient de traverser34 ». Deux conceptions politiques de l’Algérie se sont affrontées au cours de ces quatre jours et cinq nuits d’avril 1961. C’est la vision politique défendue par le général de Gaulle qui sort renforcée et confortée de cet épisode si particulier de la guerre d’Algérie.

-Photo n° 25 ALG 61-139 R26

Arrivée de l'état-major de Paris à Maison Blanche (région d’Alger). 27/04/1961, opérateur : Grimaud

33 Pierre-Albert Lambert, Les dramatiques adieux des « bérets verts » du 1er REP à Zéralda, in Historia Magazine, La guerre d’Algérie, n°95 pp.2732-2733 34 Yves Courrière, op.cit., Fayard, 2001, p.871

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IV. Epilogue

Le putsch des généraux véhicule une symbolique forte dans l’histoire de la guerre d’Algérie. L’immixtion de la sphère politique dans l’appréhension militaire du conflit a provoqué l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire militaire française de ces 50 dernières années. Comment ces générations de généraux et d’officiers supérieurs ont-t-elles pu en arriver à ces extrémités, à se placer à ce point en dehors du cadre légal et de leur devoir d’obéissance ? Paradoxalement, « pour justifier leur rébellion contre l’autorité de l’État, peu conforme à la tradition militaire française, les conjurés se réfèrent à l’exemple qu’a donné de Gaulle lui-même en 1940 en refusant d’accepter l’armistice négocié par un gouvernement formellement légal, mais proclamé illégitime, et en continuant le combat.35 » Pour les généraux Salan et Jouhaud, le combat continue dans la clandestinité au travers de l’Organisation armée secrète qu’ils dirigent aux lendemains du putsch raté36. Une grande partie des insurgés les imite dans le choix de cette radicalité. Les condamnations des principaux acteurs de la sédition ne se font pas attendre. Au final, « 220 officiers sont relevés de leur commandement, 114 traduits en justice, 83 condamnés (…) les généraux Challe et Zeller sont condamnés à 15 ans de réclusion37 (…) le général Gouraud à sept ans. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc est condamné à 10 ans de réclusion38 ». Les mises à l’écart ou les démissions sont également très nombreuses à cette période39 et les dissolutions des 14e et 18e RCP, du groupement des commandos de l’Air et surtout du 1er REP laissent des traces. La prise d’Alger en quelques heures et presque sans violence (la seule victime du coup d’État du 21 avril est Pierre Brillant, maréchal des logis du Train) n’a été possible que grâce à la relative passivité des forces de l’ordre qui « laissent » faire les choses ou montrent peu de résistance. Paradoxalement, c’est cette même passivité, ce que l’on qualifiera plus tard d’« attentisme prudent » de la part des principaux cadres de l’armée d’Algérie qui a précipité l’échec du putsch des généraux. Le général de Gaulle sort très renforcé de cet épisode qui lui laisse les mains libres pour mener à bien les négociations qui déboucheront, moins d’un an après, sur les Accords d’Evian. -Photo n° 26 ALG 61-132 R17 Les généraux Zeller, Jouhaud, Salan et Challe sur le forum d’Alger 24/04/1961, opérateur : Vignal, Claude

35 Jacques Frémaux, Le putsch des généraux : Les comploteurs, in Guerre d’Algérie magazine, n°14, décembre-janvier-février 2009, p.10 36Edmond Jouhaud est arrêté le 26 mars 1962 à Oran et Raoul Salan le 20 avril 1962 à Alger. 37 Les généraux Challe, Zeller, Salan et Jouhaud sont graciés en 1966 et amnistiés en 1968. 38 Jacques Frémaux, ibidem, p.27 39 Par ailleurs, un certain nombre d’officiers, hostiles à la politique du gouvernement, ou pour protester contre les mesures qui frappent leurs camarades, choisissent de mettre fin à leur carrière. D’autres, que le pouvoir juge peu sûrs, sont encouragés à bénéficier de mesures de dégagement des cadres. Pierre Messmer évalue à 500 ou 600 le nombre d’officiers qui, plus ou moins spontanément, quittent ainsi ‘une armée qui les a déçus’. (…) Le chiffre total des officiers partis à titres divers représente environ un millier de cadres, environ 3% du total des officiers d’active de l’armée française, et sans doute une proportion plus grande pour l’Algérie. Jacques Frémaux, ibidem, pp.28 et 29

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