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Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2001 ; 49 : 419-27 C 2001 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&e&s Article original Le regard dam les troubles des interactions prkoces P. Mazet*, D. Rabain, M. Martin, G. Downing, I? Marie, F. Couetoux, J. Wendland, E, Aidane Rc~u Ie 3 aoCit 2001 ; acceptt; le 26 septembre 2001 L’interet actuel au champ du regard dans le domaine de la clinique du bebe et du developpement precoce est lie a plusieurs travaux d’orientations diverses, qui ont contribue au renouvellement de&if des points de vue, notamment grace a I’apport de la perspective interactionniste. Cette evolu- tion est d’abord rapidement rappelee. Puis trois situations cliniques sont d&rites, permettant d’aborder et d’approfond~r le domaine des pe~urbations du regard au sein des troubles interactifs precoces. Trois elements de discussion sont ensuite envisages : les rapports entre vue et regard - la place de I’interaction imaginaire et fantasmatique dans ces troubles precoces du regard et de I’echange de regards - la signification pronostique de tels troubles. L’interet d’interventions therapeu- tiques adaptees a l’ensemble de la situation interactionnelle et relationnelle est enfin souligne. 0 2001 editions scientifiques et medicales Elsevier SAS interactions prkoces I representations internes I regard I troubles du regard I troubles de Mchange de regards Summary - Interest of gaze in early interactive disorders. The current interest on the issue of gaze in the clinicai and early developmenfa~ fields is related to many studies of different perspectives which have contributed to the renewal of decisive opinions particularly thanks to the interactionist point of view. This evolution will first be recollected. Three clin- ical situations will then be described so as to approach and enquire the field of gaze distortions in the midst of early interactive disorders. Three main points wilf then be discussed: the relationship between gaze and the act of hooking - the situation of ~magina~ and fantasmafic inieractions in these ear/y disorders of gaze and gaze exchanges - the prognostic sjgnifjcance of such disorders The advan- tage of well-founded therapeutic interventions adapted to the whole of the relational and interactional situation will be underlined. 0 2001 t?ditions scientifiques et medicales Elsevier SAS disorders of gaze exchange I early interactions I gaze I gaze distortions I internal representations L’interet actuel renouvelC au champ du regard dans tions diverses, qui ont contribue au renouvellement le domaine de la clinique de l’enfance, notamment decisif des points de vue. 11 apparait interessant dans celui du bebe, des interactions et du developpe- d’evoquer rapidement cette evolution marquee, entre ment precoces est lie A plusieurs travaux d’orienta- autres, par I’apport de la perspective interactionniste.

Le regard dans les troubles des interactions précoces

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Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2001 ; 49 : 419-27 C 2001 Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits r&e&s

Article original

Le regard dam les troubles des interactions prkoces

P. Mazet*, D. Rabain, M. Martin, G. Downing, I? Marie, F. Couetoux, J. Wendland, E, Aidane

Rc~u Ie 3 aoCit 2001 ; acceptt; le 26 septembre 2001

L’interet actuel au champ du regard dans le domaine de la clinique du bebe et du developpement precoce est lie a plusieurs travaux d’orientations diverses, qui ont contribue au renouvellement de&if des points de vue, notamment grace a I’apport de la perspective interactionniste. Cette evolu- tion est d’abord rapidement rappelee. Puis trois situations cliniques sont d&rites, permettant d’aborder et d’approfond~r le domaine des pe~urbations du regard au sein des troubles interactifs precoces. Trois elements de discussion sont ensuite envisages : les rapports entre vue et regard - la place de I’interaction imaginaire et fantasmatique dans ces troubles precoces du regard et de I’echange de regards - la signification pronostique de tels troubles. L’interet d’interventions therapeu- tiques adaptees a l’ensemble de la situation interactionnelle et relationnelle est enfin souligne. 0 2001 editions scientifiques et medicales Elsevier SAS

interactions prkoces I representations internes I regard I troubles du regard I troubles de Mchange de regards

Summary - Interest of gaze in early interactive disorders. The current interest on the issue of gaze in the clinicai and early developmenfa~ fields is related to many studies of different perspectives which have contributed to the renewal of decisive opinions particularly thanks to the interactionist point of view. This evolution will first be recollected. Three clin- ical situations will then be described so as to approach and enquire the field of gaze distortions in the midst of early interactive disorders. Three main points wilf then be discussed: the relationship between gaze and the act of hooking - the situation of ~magina~ and fantasmafic inieractions in these ear/y disorders of gaze and gaze exchanges - the prognostic sjgnifjcance of such disorders The advan- tage of well-founded therapeutic interventions adapted to the whole of the relational and interactional situation will be underlined. 0 2001 t?ditions scientifiques et medicales Elsevier SAS

disorders of gaze exchange I early interactions I gaze I gaze distortions I internal representations

L’interet actuel renouvelC au champ du regard dans tions diverses, qui ont contribue au renouvellement le domaine de la clinique de l’enfance, notamment decisif des points de vue. 11 apparait interessant dans celui du bebe, des interactions et du developpe- d’evoquer rapidement cette evolution marquee, entre ment precoces est lie A plusieurs travaux d’orienta- autres, par I’apport de la perspective interactionniste.

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LE REGARD, LE VISAGE, LE MIROIR LE REGARD DANS L’INTERACTION

L’int&& au regard du bebe et du jeune enfant est en effet reste longtemps centre sur ce qu’il apporte & cc demier dans son regard sur soi, la connaissance de soi, les processus de constitution du soi et de la personnalite, a travers des perspectives diverses, celle de psychologues du developpement comme II. Wallon ou R, Zazzo dans leurs travaux sur l’expe- rience du miroir, ou celle de travaux psychanaly- tiques qui apres avoir mis I’accent, avec S. Freud, sur la dimension de plaisir relic & la vue et d’erotisation eventuelle du regard, se sont interesds, par exemple a travers J. Lacan, a l’experience du miroir dans l’experience de soi, et dans une certaine mesure a travers D.W. Winnicott qui, dans son remarquable article sur (< Le role du miroir, de ia mere et de la famille dans le d~veloppement de l’enfant H [ 191, souligne la place G du visage de la mere comme precurseur du miroir 1). C’est ici toute la problema- tique de I’image de soi, du soi, et de l’organisation narcissique qui est en jeu.

11 est d’ailleurs interessant d’evoquer la les remarques de D.W. Winnieott ri propos de Francis Bacon, le grand peintre anglais, reprenant la reflexion d’un critique d’art : e Regarder un tableau de Francis Bacon, c’est regarder dans un miroir et y voir ses propres afflictions, ses propres craintes, soli- tude, Cchec, humiliation, vieillesse, mort, catas- trophe innommee et menacante 0. Pour Winnicott, dans sa peinture, Bacon se voit lui-meme dans le visage de sa mere, mais avec une torsion en lui ou en elle qui rend fous, et lui et nous. (< Bacon regardant les visages, me semble douloureusement chercher 5 etre vu )), se referant au sentiment d’exister que cela procure. Le d&sir de l’artiste de mettre ses toiles sous verre permet aux gens qui les regardent de ne pas seulement voir le tableau, mais de se voir eux- memes.

Les travaux les plus &cents mettent I’accent sur les comp~tences visuelles du bebe et sur l’interet de leur evolution, mais aussi sur l’impo~ance du contact ceil Ljl ceil [IS], du regard mutuel, et de man&e plus gene- rale, sur le regard dans l’interaction.

Les apports dans ce domaine sont effet essentiels, qu’il s’agisse des observations des cliniciens s’occu- pant de bebes et de parents, des chercheurs (cf par exemple le succes du paradigme du s~~~~-~~ce de Cohn et Tronick) en mat&e d’interactions precoces, de premieres conduites de communication, d’atten- tion conjointe, et ce qui conceme la mise en place chez le jeune enfant d’une theorie de l’esprit [ 11.

N’est-ce pas des les premieres interactions entre le bebe et la mere que le regard trouve sa place, centrale. Combien de meres nous disent qu’elles se sont senties meres lorsqu’elles ont vu leur bCbC les regarder pour la premiere fois. Tres r~cemment, la mere d’un bebe premature qui n’avait pu accrocher le regard de son bCbC qu’ii la fin du premier mois, evoquait le malaise et le sentiment de flottement qui Ctait Ie sien pendant les premieres semaines avant cet Cchange de regard essentiel pour elle, On voit bien la que le regard est un ClCment d~te~inant de la rencontre intersubjective entre une mere et un bCbC.

LE REGARD DANS LES TROUBLES INTERACTIFS PRlkOCES

Que voit le b&be, selon Winnicott, quand il se toume vers le visage de sa mere preoccupee ?. 11 regard le visage de sa mere, mais ce n’est plus lui- meme qu’il y voit, le visage de la mere n’est plus un miroir. La menace de chaos se precise et le bCbC organise son retrait ou ne regarde rien, sinon pour percevoir le visage de la m&e. Ainsi, si le regard de la mere ne repond pas, le miroir devient alors une chose qu’on peut regarder mais dans lequel on ne peut pas se regarder,

Voir et Ctre vu est certes a la base du sentiment d’exister du bebe mais Ie regard va au-deli de ce qu’il apporte pour le bCbC dans la mise en place et le d~veloppem~nt de son sens de soi [ 131.

11 n’est gubre utile d’insister ici sur I’int&& pr~ventif du rep&age des troubles interactifs precoces, dans la mesure oti on sait bien maintenant qu’ils peuvent etre precurseurs d’une evolution psychopathologique ulterieure et que des interventions adequates peuvent etre particulierement efficaces. 11 y a lieu par contre de souligner toute l’utilite de l’elargissement du champ des interactions par les cliniciens de la petite enfance, d’orientation psychodynamique quand ils prennent en compte Ies aspects inter et intra- psychiques [S, 7,9, IO, 141. L’abord des trois dimen- sions comportementale, affective et fantasmatique des interactions s’applique IS de man&e particulie- rement pertinente tant au niveau de l’observation des modalites du regard et de d’cchange de regards, de leurs di~cult~s, de l’eventuel evitement du regard de I’un des deux partenaires par exemple, que de la prise en consideration du contenu affectif et emotionnel en meme temps que de la dimension inter et intrasubjective. Regarder permet, d’un certain point de vue, d’entrer en contact et, de man&e m&a- phorique, de pCnCtrer dans la t&e de l’autre et dans

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ses pen&es. Ne dit-on pas que le regard est la fenetre de I’ame ?

TROIS SITUATIONS CLINIQUES

L’abord ici de cette clinique du regard dans les inter- actions prkcoces s’appuie sur notre pratique. En effet, accueils et obse~ations th~~peutiques, consul- tations th~rapeutiques et therapies b&es parents, psychotherapies parents-bCb6 sont pratiquks quoti- diennement au sein de I’UnitC Petite Enfance (du 12e a~ondissement de Paris) rattachCe au service de psychiatric de l’enfant et de I’adolescent de la Salp& trikre.

C’est g travers trois situations cliniques que nous allons le faire en nous aidant de plusieurs sCquences video prises au win de 1’unitC dans ces trois cas, dont la prise en charge se situe d&s la naissance pour la premi&e, et d&s la grossesse pour les deux autres. Nous proposons pour chaque cas une vignette biographique et cfinique b&e suivie d’une analyse macroscopique et microscopique de l’inte~ction en face B face.

1” observation clinique : Ma81

Lorsque nous rencontrons la maman k la mater&C B jS, elle est quasi stuporeuse. Elle a le regard fixe et tragique, comme rno~i~~e. Elle parle peu, & voix basse, plutcit kticente. Elle a juste quelques regards furtifs en direction du berceau oh dort le bCbC. Elle a peur de se trouver seule avec lui quand son mari ira travailler. L’Cquipe de la mater&i: est t&s mobiliske par elle et l’entoure depuis Ia naissance et elle note cependant qu’elle prodigue co~e~tement des soins au bkbC. La m&e proteste en disant que G c’est d’instinct H mais qu’elle ne ressent rien. Le p&e de l’enfant, p&sent, l’encourage et la rassure sur ses capacitks et comp~ten~es 6 s’occuper du bCbC. 11 s’agit du premier enfant du couple ; la grossesse est dksirke mais & 6 semaines de grossesse, Mme S. est hospitalisee pour idCes suicidaires. EIle est alors suivie r~guli~rement par une psychiatre, l’kquipe de la mater&d et une psychologue haptonome qui l’aide ti renforcer son sentiment non per$u d’emblke d’&re enceinte. Elle ne peut cependant imaginer qu’elle attend un bCbC, ne peut pas se reprksenter I’enfant. Son mari est prCsent tout au long de la gros- sesse et lors de l’accouchement. Cette m&e se sent coupable des sursauts et des clonies du bCbC que nous observons dans le berceau, secondaires au sevrage d’un traitement antid~presse~ qu’elle rece- vait au tours de la grossesse. Elk ne peut allaiter son

bCbti?. La mhe et son b&b6 viennent dans Iknit& quotidiennement en accueil individuel, le plus souvent accompagnks du p&e, le matin pendant 2 6 3 heures, ainsi qu’en accueil spkcifique une fois par semaine. Les activitk proposCes par l’auxiliaire de pwkiculture sont adaptCes aux rythmes du bCbC, g ses temps de repos et de sommeil, qui sont autant de temps de &cupCration pour la m&e, adapt& dgale- ment au temps des biberons, des soins corporels, du change et du bain qui permettent de travailler les Cchanges et la r&iprocitk Lors des consultations au sein de I’unitC, elle dit que G son bkb6 lui provoque une peur qu’il n’aime pas sa in&e k), comme elle- m&me ne s’est pas sentie aimCe par sa propre m&-e. Plus le bCb4 pleure, plus elle se sent incompkente et dans le dCsarroi. Parfois, chez elle quand elle est seule, elle en a mart-e ; elle ne le supporte plus quand il crie tout le temps. Elle a peur de transmettre son Bnervement au bCb6 et a des pen&es t&s agressives ri son Ggard. Elle nous parle de ses angoisses de ne pas le ~omprendre. Elle affirme ne pas avoir de plaisir li s’occuper de lui.

O~~e~~t~o~s des interactions lors de 1 %rccueii i~di~idue~~ar ~‘a~i~iaire~u~ricultrice La m&e ne cherche pas le regard de son b6bC et ne voit pas qu’il la regarde. Elle-meme ne le regarde pas et s’en inqui~te, pensant que c’est pour cela qu’il met sa tete t&s en arrike et se cambre dans ses bras. Elle prkise que G lorsqu’elle le voit, elle ne le regarde pas F), elle fuit son regard. Plus tard, croisant Ie regard de son fils, elle exprime une forte Cmotion mais sans pouvoir donner suite. Dans la relation corporelle non verbale, elle a un bon contact et un bon timing corporel, ses gestes sont doux, spontank et adkquats. Elle est attentive au confort du bCbC, caresse son front et ses mains, mais elle ne lui parle pas. Parfois seulement, elle le nomme ou prononce quelques mots d’une voix chuchotCe. Lorsque le bBbC pleure, elle fait des grimaces et se sent agresske. Elle vit son bCb6 comme un in&us, elle a peur d’&re violente avec lui, de (< lui faire du ma1 moralement H car elle se sent envahie de pen&es Ggatives pour lui. Elle s’efforce de ne pas lui montrer son bnervement, ce qui 1’6puise, en particulier quand elle est seule, sinon il va lui en vouloir. Parfois chez elle, dit-elle, elle craque et donne des coups de pied dans le maxi- cosi ou bien elle le secoue, ayant du ma1 & se contrijler. Elle a l’impression que le bCb& s’inquitite pour elle. A la maison, il pleure d6s qu’elle le quitte, ce qui fait qu’elle le garde dans ses bras, meme quand le b&b4 est fatiguC. Dans I’unitC, elle n’anti- cipe pas si le biberon est trop chaud, mais elle s’inqui6te d&s que l’enfant ne le finit pas. Elle peut

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aussi tenir un discours paradoxal, etre rejetante et dire au bebe alors age de 2 mois qui se met a pleurer : a Tu n’avais qu’a boire tout le biberon avant, main- tenant c’est trop tard, c’est comme ga B. Elle ne prepare pas son fils aux transitions et aux soins necessaires en lui parlant et en nommant ce qu’il fait, comme si le simple fait d’etre la suffisait. Des qu’il pleure, elle lui colle la tetine. Lors de la t&e, elle lui enfonce le biberon mCme s’il proteste. S’il ne fait pas son rot, c’est elle qui est en cause et elle soupire.

Vers 4-5 semaines, apres plusieurs accueils a l’unite, on peut observer a un moment que la recipro- cite dans les Cchanges est initiee par le bCbC avec un sourire. 11 s’ensuit de tres beaux echanges que la mere initie a son tour et auxquels le bCbC repond. Lors du bain, l’auxiliaire de puericulture lui fait remarquer la delicatesse de ses mouvements et la douceur de ses gestes lorsqu’elle s&he son fils bien instalk! au chaud. Elle sourit de plaisir lorsque cares- sant le talon de son fils, celui-ci met ses doigts de pied en &entail, comme elle quand son mari lui massait les jambes pendant la grossesse. Elle trouve qu’il lui ressemble et est admirative devant les mains grandes ouvertes du bebe. 11 s’ensuit de longs moments de regard reciproque.

Analyse microscopique de l’interaction

Dam la I” skquence vidko, & 6 semaines, on note 1 ‘~vitement act~d~ regard. La mere chuchote a son bebe qui lui repond sans la regarder. On note peu de tension sur le visage du bebe, des mouvements de bouche, des mouvements de sourire et des jeux de bouche reciproques. I1 n’y a pas de reaction corpo- relle alors qu’avant le bCbC se cambrait, la tete en arriere pendant l’interaction. La mere chuchote toujours et n’augmente pas son niveau de stimula- tion Ensuite, une &ape supplementaire apparait dans l’interaction ou le contact visuel est Ctabli dans la reciprocite, le bCbC regarde sa mere en fermant la bouche, il est peu expressif; puis il y a une repara- tion de i’interaction par le regard, l’echange est rythme par des affects positifs et la reciprocite dans les Cchanges puisqu’il sourit avec une augmentation dans I’intensite du contact du moment agreable. La mere n’anticipe pas ce mouvement, le bCbC quitte le regard de sa mere mais reste toujours present et disponible. Seul le premier temps de la reparation interactive est done realise au tours de cette sequence (dans les echanges de regard, $a ne tient pas) : au debut de l’interaction, le contact est Ctabli par un jeu reciproque avec la bouche, stimule par la caresse de la mere ; puis la dyade se regarde dans un &change ~hmique et d’affect positif; ii la regarde

bien, il est content. La mere soutient un bon rythme mais elle ne permet pas a l’excitation de monter d’un cran (ce qui serait ici le deuxieme temps de la repa- ration) ; elle garde pendant tout ce temps une voix chuchotee. Lorsque le temps pour l’auto-regulation est realise, le bCbC interrompt le contact. Dans cette (< reparation interactive B, selon l’expression d’Ed Tronick [ 191, le bebe a ouvert un cercle de commu- nication avec sa mere et le termine,

Z,w-s de la 2’ skqguence (le biberon dans CC l’alveole )) a 8 semaines), on note que l’echange corporel non verbal, la mere avec ses bras donne un mouvement rythmique a la tetee. Si le niveau de l’excitation augmente pour la mere, il lui est diIIicile de s’ajuster au niveau de tension de son enfant qui est habituelle- ment plutot engage a un niveau plus bas de controle de ses emotions et de son niveau d’activation ; c’est difficile pour elle quand it pleure. Dans cette sequence, un ~omportem~nt d’a~~ersio~ du bkbbe’ par Ee regard se manifeste a plusieurs reprises ; sa tete est tour&e vers le visage de la mere mais pas les yeux qui regardent au dessus. On observe aussi des oscillations dans l’etat d’dveil du bebe. Nous avons observe dans l’unite que lorsque le bebe augmente son activite, il y a peu de reaction de sa mere, peu de mobilisation de son visage qui semble eviter quelque chose dans le contact. Peut-6tre dans ce comporte- ment d’aversion, le bebe n’aime pas ce qu’il voit dans le regard de sa mere ou alors il reagit a ce qu’il ressent comme zme obtrusion.

2” observation clinique : Candice

11 s’agit d’une mere celibataire de 34 ans qui consulte a l’unite des le 6’ mois de grossesse. Elle a trouve nos coordonnees dans une maternit& ou elle se fait suivre. ,Le couple s’est &pare a l’annonce de la gros- sesse. A 20 ans, elle a subi une IVG, puis a eu des relations episodiques avant de rencontrer le p&e de son enfant. Fille unique, elle-meme a et& maltraitee dans son enfance par sa mere et elle a peur de repro- duire cette relation ; elle a aussi CtC, dit-elle, (( battue par les mats et les regards 3.

Le premier rendez-vous de consultation aprbs la naissance a lieu quand sa Iille a 5 semaines. Mme G. se sent debordee ; tout va trop vite ; elle a trop de chases dans sa t&e, en particulier l’image de sa mere qui souffre d’un cancer. Elle choisit d’allaiter sa lille bien qu’apres avoir Cte operee des seins a l’adoles- cence, elle ait peu de lait. Les t&es sont longues et penibles, elles durent entre 2 et 3 heures et se font sans plaisir.

Le regard dans les troubles des interactions prkoces 423

Observation des interactions 3” et # sequences : l’enfant a 6 mois

Son style interactif est paradoxal et elle ne montre pas d’empathie pour son enfant. La relation est faite de distance corporelle et affective. Elle parle peu a sa filie ou d’une man&e detachee et peu adaptCe.

Quand elle allaite, elle dit s’ennuyer, parfois s’allonge et lit un livre ou r&pond au telephone. Elle presse et masse ses seins pendant l’allaitement. Le sein semble intrusif, vide, elle parle de ses seins (( cacahdtes )) ; la t&e est suivie d’un biberon systdmatique. Le holding n’est pas bon, elle tient sa fille a distance, ce qui lui occasionne des douleurs dans le dos, comme si celle-ci Ctait un support pour elle, elle la manipule comme une poupee, comme un objet. Elle rapporte un r&e d’un bCbC Cnorme, enva- hissant. Notre impression concernant l’enfant est celle d’un bCbC devitalise. Mme G. est excedee quand sa fille a besoin d’elle. Si elle n’est pas disponib~e, elle la Iaisse pleurer et peut nous dire : t< elle me fait i-ire, c ‘est a~usa~t de s ‘occuper d’elle x). Elle reconnait pourtant ses mouvements intemes sadiques et agressifs, et rit quand sa fille manque de s’ktouffer. Une autre fois, elle retire le sein a sa fille et lui met le doigt dans sa bouche pour l’eprouver dans son d&sir et sa force de teter. Elle rapporte un r&e air elle bat sa tille, comme elle-m&me a Cte battue par sa mere. Elle semble reproduire la violence et la maltraitance qu’elle a subies elle- meme, en mettant sa tille en position d’insecurite, la mettant en danger. Elle tient un discours tres narcis- sique ou elle parait se vider ; ses propos sont peu cohkents, faits d’associations libres, et entrecoupes de rires nerveux. Elle nous dit ne rien 6prouver lorsqu’elle se &pare de sa fille et quand elle la confie a une amie, elle l’oublie aussitbt. Ce b6bC subit un vkitable deni de ses propres besoins et se montre Cteinte et passive. Nous sentons une grande detresse dans le corps et le regard de ce bebe. I1 semble que sa mere expulse en elle la partie traumatique d’elle- mbme. Dans la sequence video que nous allons decrire, la mere n’a pas de regard reflexif ou refle- chissant sur sa fille. Celle-ci parait absente et ne se voit pas dans le regard de sa mere,

La maman est installee dans la meme position que la maman de T., au sol, & genoux, devant son enfant. Elle essaie de jouer avec sa fille : elle empile des cubes sur son ventre ; Candice gazouille mais sa mere ne comprend pas ses vocalises. Mme G. est tres vite de nouveau captee par la conversation des adultes ; elle ne peut pas parler a sa fille. Elle ne peut pas la regarder longtemps, semble un peu absente, se caresse le visage, baille ; elle n’est pas avec sa fille. Elle regarde I’autre mere au second plan comme dans un miroir, sa fille est egalement tournee vers l’autre dyade ; ensuite l’enfant semble s’engager vers sa mere mais elle n’a pas de reponse.

On observe a plusieurs moments que l’enfant tente d’initier l’interaction, de s’engager avec sa mere mais celle-ci ne la voit pas. Lorsque enfin, en fin de sequence, elle l’engage dans le croisement des regards, il n’y a pas d’echange, le regard parait fig& sans expression d’affect de plaisir.

Au tours d’une autre sequence, nous pouvons observer ce que produit le rapprochement corporel entre Candice et sa m&e : - lorsque la mere s’assoit dans la chauffeuse avec sa fille dans les bras, elle sent sa fille la cogner, d’oti un petit cri de la part de la mere, puis un mouvement de recul ; - puis il y a un petit moment d’echange visuel positif; la mere s’est un peu animee mais elle rit. Le bebe en profite aussitcit pour regarder sa mere lui sourire mais tres vite celle-ci detoume la tete ; -la maman regarde sa fille mais celle-ci baisse la tete (la nuque n’a plus de tonicite), la maman le perqoit, la rapproche contre elle, I’enfant alors se tend en art-i&e et s’eloigne ; - la maman reste penchee sur sa fille, elle est pensive, elfe est preoccupee.

Observations sur le regard dans le cadre de la psychothCrapie m&e-Mb&

ha&se microscopique

I” et 2” s.@uences : l’enfant a 2 mois. Nous sommes t&s impressionnes par le visage de cette mere, absente, et Ie visage de son bkbe, gel6 et perdu. Elle n’apporte pas de soutien au corps de son bebt et la maintient de maniere paradoxale : la main droite lui caressant la t&e, tandis que I’autre lui tient le cou d’une man&e inquietante (double mouvement dissocie).

Au tours de la psychotherapie mere-b&be, comrnencee lorsque Candice a 8 mois, Mme G. parle peu 6 peu de sa difficulte a regarder sa fille, ce qui Cquivaut pour elle g la reconnaitre comme sa fille et g se voir en tant que mere. Elle parle aussi de ses conduites maltrai- tantes B son Cgard, pendant ses 4 premiers mois de vie (plusieurs fois elle l’a jetee au lit, t’a secouee et un jour lui a donne un coup de poing sur le dos). Elle explique : a c’est plus ~aturel pour- moi d’&-e ~~~hante avec ~a~d~~e que ~entille ; it fa~~ait que je passe par lb pour savoir ce qu’est d’Ptre ci I’autre place, de celui qui tape D ; on pourrait dire : a de

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celui qui regarde un enfant en train d’&e tapd (( . Plus tard, elle dit K je prkf&-e voir Candice dans les bras de quelqu ‘un d’autre, comme la je peux la voic je rkalise H. Elle raconte alors un r&e ou elle voit sa fille mourir, sa t&e tombant en arriere et se cognant contre du bois, puis elle, demande l’autopsie. On comprend bien les pensees agressives dont cette mere est envahie et on remarque le soutien fragile de la tete de Candice lorsqu’elle est sur les genoux de sa mere.

Mme G. dit que sa tille ne la regarde pas et qu’elle- meme a du ma1 a regarder et a etre regardee. Le regard dans son histoire a toujours et6 vehicule d’indifference, de reprobation ou de malveillance. Sa propre mere a eu seulement des regards de degotit ou de mechancete envers elle, alors que son pere ne l’a jamais regardee. Le regard de son p&e, elle le cherche toujours, H c’est l’estime de mon ptre que je cherche dans ce regard D. Mme G. est aussi indiffe- rente au regard de sa fille ; elle ne voit pas que Candice la regarde lorsqu’elle quitte la piece pour chauffer un biberon, depart que la mere n’annonce pas a sa tille. Elle ne comprend pas non plus pourquoi Candice, a 9 mois, commence a vouloir se mettre debout et s’etonne quand on lui dit que Candice commence a decouvrir le monde autrement, d’un autre point de vue ; la mere ne peut pas s’imaginer a sa place. Elle ne la regarde pas et ne peut pas non plus regarder le monde a travers les yeux de sa fille.

Lors d’une sequence enregistree en video, Mme G. voit que sa fille regarde la Porte et dit : (( Qu’est-ce que tu regardes ? il y a qui derrikre la Porte ? il y a un m&chant loup derri&e la Porte ? ! (elle approche son visage de celui de Candice, rit et la secoue un peu avec ses bras) ; puis dit : cc c’est maman le m&chant loup ! D. En visionnant la bande video avec la thera- peute, Mme G. dit avoir voulu ranimer sa fille qui, depuis ses premiers jours de vie, a toujours eu ce regard triste. Mais que verrait Candice dans les yeux de sa mere ?

Face a cette carence narcissique demesuree et a ce passe de souffrances, Mme G. semble nous dire qu’elle ne regardera Candice que lorsqu’on l’aura suffisamment regardee, d’abord en tant qu’enfant en souffrance, puis en tant que femme et mere. Le feed- back video en compagnie de la therapeute se redle alors un outil precieux dans ce travail de construction d’une image possible de mere.

3” observation clinique : Diego

Sa mere de 28 ans est adressee a l’unite par une association de jeunes adultes qui s’occupe d’elle depuis qu’elle est enceinte de 3 mois. Elle a deja eu quatre IVG et decide cette fois-ci de poursuivre sa grossesse. Elle est abandonnee par le p&-e depuis l’annonce de la grossesse. Elle se dit confuse, debordee par trop de souvenirs dans sa t&e. Elle n’arrete pas de pleurer, est angoissee et insomniaque. Elle nous parait tres desorganisee. Elle a un passe traumatique majeur avec des antecedents de mal- traitance ; elle a perdu sa mere jeune, n’a pas connu son p&e. Elle est placee en foyer puis ,en famille d’accueil. Elle est la 11’ de 13 enfants. A l’adoles- cence, elle est suivie par une psychologue puis par une association de jeunes adultes qui la prendra en charge pour son logement et son insertion.

Lors de la grossesse, elle se sent en danger, a des idees suicidaires, est angoissee de se retrouver seule chez elle et a peur de faire du ma1 a son bCbC quand il sera la. Elle se dit incapable de s’occuper d’un bebe, surtout si celui-ci pleure trop. Elle risque de s’enerver, a peur de ne pas s’en sortir seule et de faire n’importe quoi. Elle a Cgalement peur de ne pas l’aimer, mais peur aussi qu’on le kidnappe. Elle nous previent que s’il n’a pas un poids normal, elle va le refi.tser d’autant que lors de la grossesse, on diagnos- tique un oligo-amnios. Lors de la naissance, elle refuse une hospitalisation mere-bebe, trouve son bebe calme et veut s’en occuper seule sinon cela voudrait dire qu’elle en est incapable. Le service de la matemite est massivement investi et elle promet d’y retoumer si cela ne va pas, ce qu’elle fera a plusieurs reprises. Quand son tils a 15 jours, elle n’en peut plus, ne dot-t pas et retoume a la matemite ; son enfant va Ctre place en pouponniere pendant une semaine puis le juge lui (( rend son enfant )) car elle le r&lame : il lui manque trop, elle veut son bebe. Nous revoyons la mere avec son bebe a l’unite quand celui-ci est age de quelques semaines. Elle est plutot dans un &at euphorique et l’existence de son bCb6 parait l’organiser. Mais l’interaction qu’elle a avec lui nous preoccupe beaucoup ; elle montre des comportements fusionnels et intrusifs avec des propos excitants et negatifs sur lui. Mais la note affective reste positive malgre des representations devalorisantes de son enfant. Nous craignons beau- coup qu’elle se desorganise, avec des risques de maltraitance et de discontinuite de la relation avec son enfant quand elle est seule, et nous constatons une difficult6 a tenir compte des besoins fondamen- taux de son fils. Nous preconisons alors une now-ice

Le regard dam les troubles des interactions prCcoces 425

pour garder l’enfant le jour et Cventuellement la nuit pour vivre une relation qui nous paraft plus tolerable. Le programme th~rapeutique sera le suivant : therapie mere-bebe avec une guidance developpe- mentaie associee a des visites a domicile si cela est necessaire. Le reseau perinatal est active avec travailleuse familiale et puericultrice a domicile.

Analyse microscopique de la s&quence vidbo

Nous constatons que le bebe la regarde quand elle ne le regarde pas et qu’elle est intrusive quand elle le regarde : le bebe se detourne le plus souvent, comme l’a bien decrit D. Stern, a propos d’un type de H faux pas dans la danse H de l’interaction, a savoir G la mere qui poursuit son bCbC qui s’esquive )) [I 7 : - elle excite et sollicite beaucoup trop Ie bebe, ne lui permettant pas de trouver en sa mere une figure parexcitante ; - elle est intrusive et poursuit le regard de son bCbC pour qu’il la regarde, ce qui empeche le bCbC de se reguler ; - suite a notre intervention, un espace dans le face a face sera amenage, beaucoup plus tolerable pour l’enfant qui pow-a alors s’engager de faGon beau- coup plus harmonieuse, avec de belles vocalisations et de beaux echanges reciproques. Cependant elle sollicite son enfant a un niveau de d~veloppement beaucoup trop ClevC que celui-ci ne peut pas suivre. Elle veut qu’il l’embrasse, elle veut qu’il la regarde.

DISCUSSION

Plusieurs points rapidement evoques ou plus longue- ment abordes lors des remarques introductives et des trois situations cliniques meriteraient d’etre discutes. Nous n’allons pouvoir le faire ici que pour trois d’entre eux.

La vue et le regard

Revenir ici sur ce qui est du registre de la vue et de celui du regard n’est evidemment pas necessaire : voir implique la perception sensorielle automatique de l’image alors que regarder presuppose l’utilisa- tion active de la capacite perceptuelle - la notion d’intentionnalite y est done prtsente. A cet Cgard, il faut souligner ici le travail clinique de P. Campbell [3] rapporte dans son article sur G L’enfant qui voit mais ne regarde pas H et les remarques qu’il fait a ce sujet tant k propos de demandes de consultation de parents, de m&es plus p~i~uli~rement, en terme de troubles de la vue de leur bebe, que de la comprehen- sion des troubles precoces du regard.

Mais en meme temps, ii y a lieu de souligner ies consequences sur les troubles des interactions au niveau du regard en cas de troubles reels de la vue du bebe, dont le diagnostic est loin d’fttre fait precoce- ment. uar exemnle lors de troubles de la refraction [S]. ’ x ‘

Le regard et I’interaction imaginaire et fantasmatique

Dans la clinique de la petite enfance, 21 l’unite Petite Enfance Vivaldi, pour Cvaluer, nous Ccoutons les meres et nous regardons les bCbCs. L’observation du bebe, c’est l’ecoute du bebe. Notre regard est le support de notre evaluation et nous evaluons entre autres les regards : - du bebe sur sa mere, sur l’accueillante, sur les objets qui lui sont presentes, sur son environnement ; - de la mere sur son bebe, sur les activites, les mouvements de son bebe, sur les autres bebes.

11 nous importe de reperer les regards mutuels, les moments d’attention conjointe, les regards qui se dirigent ensemble a l’initiative du bCb$ de la mere. Au fil des seances d’accueil, de la prise en charge, nous reperons les reprises et progressions Cvolutives des bCbCs sur le plan du d~veloppement psycho- moteur et notons : a il m’a regard6 aujourd’hui >>, (( il regarde ce qu’il fait >), (4 ii a regard6 tel autre enfant )>, << quand sa mere est revenue, il l’a regardee et a souri )>, G je l’ai rencontre, j’ai rencontre son regard )), le regard qui signe une rencontre, une naissance psychique.

Mais au-dela de ce premier aspect, c’est la particu- larite de ce que g&r&e chez ses parents la naissance d’un bebe, et notamment leur (( effusion projective )> selon l’expression de B. Cramer qui est evaluer. Autour du nouveau-n& on peut entendre les proches discourir sur les ressemblances de ce bebe avec des personnes des generations precedentes. Tout cela entre en resonance avec les projections parentales sur le bebe. A la naissance, le bCbC est un inconnu, un &ranger, objet insolite. Les representations qui le rattachent a des imagos parentales positives, a des images d’un passe heureux des parents ou de grands- parents aimants sont des identifications structurantes pour le bebe. Mais pour des meres au passe carence, au vecu chaotique, qui sont souffert de separations precoces, les images parentales sont negatives ; les representations peuvent alors &r-e alienantes pour le bebe.

Ainsi, nous pouvons observer en clinique les m~canismes de defense qui vont se mettre en ceuvre quand les diffrcultes surgissent. Dans le tours

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normal de l’apres naissance, on peut dire en termes kleiniens que les identifications projetees sont rein- trojectees dans le psychisme maternel, ce qui est necessaire a l’acds au bCbC reel. Pour les meres qui ont eu une enfance chargee de traumatismes, une facon pour elles de se defendre des retours des images internes du passe est de s’identitier totale- ment au bebe, de l’assimiler : le bCbC est une minia- ture d’elles-memes, une duplication, dans une relation msionnelle, occasion d’une renarcissisation de la mere, d’une tentative de protection du bCbC de l’impact destructeur des images du passe, dans l’annulation des differences de generation. La confrontation avec sa propre enfance reveillee par cette naissance, par le fait de devenir mere, va plonger d’autres meres dans des depressions impor- tantes qui voient se developper de facon concomi- tante chez le bCbC des manifestations pathologiques qui ont et6 bien d&rites par Selma Fraiberg [7] : Evitement du regard de la mere, habite par les fantomes de son passe, reaction de gel des relations, immobilisme, inhibition.

Ces images internes, reactivees par le bCbC et ses caracteristiques singulieres feraient obstacle a cet echange de regards decrit plus haut par D.W. Winni- cott [ 191 et repris par la formule de S. Lebovici du (( bebe qui voit sa mere en train de le regarder H [lo]. Les images internes presentent alors un Ccran aux perceptions des images externes de la realite. Dans notre clinique, le bCbC voit alors sa mere envahie par une pensee occupee a un autre que lui.

Une mere, en regardant ses enfants, voyait ses fret-e et seur schizophrenes. Elle pensait que Dieu la punissait d’avoir voulu les fuir. Une autre mere disait que quand elle regardait son bebe repu, elle revoyait son pere sous l’emprise de l’alcool. B. Cramer et F. Palacio-Espasa [5] ont bien decrit toutes ces projections alienantes pour le b&be. Et on peut penser que l’evitement du regard si bien observe chez les bebes a pour effet d’eviter cette rencontre ou le regard que leur Porte leur mere est empli d’effroi et d’angoisse d’y retrouver un autre qui reactualise une histoire lourde et difficile a assimiler, une histoire traumatique. C’est alors le bebe qui reactualise une scene traumatique. Le bCb6 percoit en regardant sa mere les emotions traduites aussi par des messages corporels, affects lies a des representations internes.

bebe. Le vecu des caracteristiques du bebe va pouvoir alors s’elaborer. La mere prend alors cons- cience de l’envahissement de ses images internes sur sa perception actuelle de son bebe. Nous pouvons ainsi &outer et contenir les angoisses matemelles, detoxiquer les elements qui l’envahissent de son passe et de son present. Ceci pet-met de mettre en place un espace relaxant pour le bCbC ou le thera- peute fait &ran aux projections parentales, jouant un role pare-excitant pour le b&be. Le travail consiste en un decollage des differentes projections matemelles sur le bCbC qui va passer du bCbC fantasmatique et imaginaire au bCbC reel. Le bCbC lui-meme considere dans son alterite de sujet va aider sa mere a le perce- voir dans sa difference et a desamorcer des processus alienants.

La signification pronostique des troubles du regard dans les troubles des interactions prkoces

11 apparait bien que la clinique du regard que nous avons essay6 de preciser est caracterisee par un pronostic qui est directement lie a la qualite du fonc- tionnement de la dyade, a la nature des interactions et de la mise en place des relations entre les deux partenaires.

L’interpretation d’un trouble du regard n’a de sens que rapporte a la dynamique interactionnelle et aux representations que les parents se font du bebe, que le bCbC se fait des parents, avec en toile de fond bien entendu, toute l’histoire des parents du bCbC et de leurs relations.

Mais en meme temps, on connait bien toute la complexite des facteurs presents dans la genese des troubles des interactions precoces, que ces facteurs se situent du c&C du bebe, du tote des parents ou soient le produit de leur rencontre. 11 n’est Cvidem- ment pas besoin d’evoquer la le modele bio-psycho- social qui nous oblige a resituer toutes les expe- riences interactionnelles et relationnelles au sein des facteurs neuro-biologiques et socio-culturels. A cet Cgard, il y a lieu de rappeler que de tres importantes regles culturelles et sociales gouvement le regard dans les situations de la vie quotidienne et dans les echanges entre une mere et un bebe.

Et en effet, en clinique, il est important d’etre a Quoiqu’il en soit, il n’a plus tours le temps oh un l’ecoute des associations des meres quand elles trouble du regard persistant entre une mere et un evoquent des caracteristiques du bCbC : (( vu-t-i1 e^tre bebe pouvait avoir une signification essentiellement chauve ? 1) nous demandait une mere ; (( pourquoi ?, pejorative, par exemple annonciatrice d’un trouble y a-t-i1 des chauves duns votre entourage ? )). (( Oui, autistique, comme le travail de Massie [l l] par son p&-e M. Cette maman vivait dans la terreur de ce ailleurs tres remarquable a pu le laisser penser a une pere menacant et voyait ce pbre en regardant son certaine epoque. Nous savons maintenant a quel

Le regard dans ies troubies des interactions prkoces 427

point des troubles interactifs precoces, notamment du regard, persistants et durables, peuvent tout a fait etre amend& dans des interventions thcrapeutiques precoces adaptees.

CONCLUSION

Pour conclure, c’est sur cette derni&re note plutot optimiste que nous allons insister dans la mesure oti au fur et a mesure du d~veloppement des modalites d’inte~ention th~rapeutique en cette periode peri- natale, now avons pu observer les effets souvent tres favorables de telles inte~entions, a condition qu’il y ait la place dans celles-ci a une comprehension, au- dela des interactions concretes et comportementales, de la dimension affective et emotionnelle mais aussi imaginaire et fantasmatique des interactions, le champ du regard nous permettant precisCment de souligner d’une certaine man&e la pertinence de cette prise en consideration.

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