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LE RÉGIME DES CULTES EN BELGIQUE ET AU PORTUGAL : DE L’APPROCHE SÉCURITAIRE À L’APPROCHE ÉGALITAIRE Pistes de réflexion pour une modification législative Par Yannick THIELS et Inès WOUTERS, avocats au Barreau de Bruxelles Introduction Depuis quelques années déjà, le paysage religieux belge s’est, faut-il l’admettre, considérablement modifié : tassement du religieux traditionnel, naissance d’un «religieux à la carte» 1 immigration, globalisation, implantation de nouveaux mouvements religieux, conversions, … sont autant de réalités sociales auxquelles l’Etat doit faire face. Face à ces situations nouvelles, force est de constater que le système belge a relativement peu changé ces deux derniers siècles. Etonnamment, l’innovante Constitution belge de 1831 ainsi que les diverses normes législatives et réglementaires relatives au fait religieux se sont, au fil des années, peu adaptées à ces nombreux changements 2 3 1 Cité par R. Lemieux et E.-M. Meunier, «Du religieux en émergence», Sociologie et sociétés, ol. XXV, n° 1, printemps 1993, p. 128. 2 Pour un aperçu — non exhaustif — des principaux textes normatifs relatifs u fait religieux n Belgique, consultez la liste dressée par le Centre européen de documentation sur les institutions eligieuses de l’Università degli Studi Roma Tre : http://host.uniroma3.it/progetti/cedir/ edir/Belgio.htm ainsi que : L.-L. Christians et P. De Pooter, Code belge droit et religion, ruxelles, Bruylant, 2005. 3 Pour un même constat mais relatif cette fois à l’anachronisme du régime des ultes du oint de vue, notamment, de la fédéralisation, voy. : F. Amez, «Un spect oublié de la réforme e l’état : Le régime des cultes», J.T., 2002, pp. 529 et s. MH/03/document.doc

Le régime des cultes en Belgique et au Portugal

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LE RÉGIME DES CULTES EN BELGIQUE ET AU PORTUGAL :DE L’APPROCHE SÉCURITAIRE À L’APPROCHE ÉGALITAIREPistes de réflexion pour une modification législative

Par Yannick THIELS et Inès WOUTERS, avocats au Barreau de Bruxelles

Introduction

Depuis quelques années déjà, le paysage religieux belge s’est, faut-il l’admettre, considérablement modifié : tassement du religieux traditionnel, naissance d’un «religieux à la carte» 1immigration, globalisation, implantation de nouveaux mouvements religieux, conversions,… sont autant de réalités sociales auxquelles l’Etat doit faire face.

Face à ces situations nouvelles, force est de constater que le système belge a relativement peu changé ces deux derniers siècles.

Etonnamment, l’innovante Constitution belge de 1831 ainsi que les diverses normes législatives et réglementaires relatives au fait religieux se sont, au fil des années, peu adaptées à ces nombreux changements 2 3

Répondant aux préoccupations laïques de l’époque, les premières normes nationales se sont uniquement attelées à séparer l’Etat de l’Eglise, tout en permettant la liberté de culte aux minorités religieuses de l’époque, dans un strict souci de neutralité et de respect de la liberté de religion. Si cette volonté de neutralité et de respect de la liberté de religion continue à demeurer une des assises d’une société pluraliste4, les moyens utilisés au 19e siècle pour y arriver sont devenus insuffisants.

1 Cité par R. Lemieux et E.-M. Meunier, «Du religieux en émergence», Sociologie et sociétés, ol. XXV, n° 1, printemps 1993, p. 128.2 Pour un aperçu — non exhaustif — des principaux textes normatifs relatifs u fait religieux n Belgique, consultez la liste dressée par le Centre européen de documentation sur les institutions eligieuses de l’Università degli Studi Roma Tre : http://host.uniroma3.it/progetti/cedir/ edir/Belgio.htm ainsi que : L.-L. Christians et P. De Pooter, Code belge droit et religion, ruxelles, Bruylant, 2005.3 Pour un même constat mais relatif cette fois à l’anachronisme du régime des ultes du oint de vue, notamment, de la fédéralisation, voy. : F. Amez, «Un spect oublié de la réforme e l’état : Le régime des cultes», J.T., 2002, pp. 529 et s.4 Cour eur. D.H., arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, §31.

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C’est particulièrement — mais pas uniquement — face au problème dit «sectaire» que la législation belge a montré ses limites. Suite à la peur populaire provoquée par des événements tragiques5, la Belgique, à l’image de la France 6, a adopté une attitude qu’on pourrait qualifier de «sécuritaire» 7 à l’égard des nouveaux mouvements religieux.

Diverses condamnations s’ensuivirent inévitablement, cette attitude allant à l’encontre des libertés fondamentales 8.

Il faut pourtant admettre, avec regret, que cette attitude sécuritaire demeure parfois encore la norme en matière. Si la réaction politique face à certains événements tragiques d’il y a plus de dix ans se comprenait, la sagesse devrait commander, à terme, d’en arriver à un apaisement des relations entre l’Etat et les nouveaux mouvements religieux.

5 (5) Les affaires dites du Temple du Peuple (1978) et de l’Ordre du Temple Solaire (1994 et1995) sont souvent considérées comme les éléments ayant mis en marche la lutte anti-sectes; voy. notamment : N. Luca, «Quelles politiques face aux sectes? La singularité française», Critique internationale, n° 17, octobre 2002, pp. 106 et 118.6 (6) Voy. : H. De Cordes, «L’État belge face aux dérives sectaires», C.H. CRISP, 2006, pp. 11et s.; N. Luca, op. cit., Critique internationale, n° 17, octobre 2002, pp. 105 et s.7 (7) Voy. également l’analyse effectuée par Rik Torfs, professeur à la Katholieke UniversiteitLeuven qui distingua trois modèles d’attitudes possibles à l’égard du phénomène sectaire. Premièrement, le modèle de confiance où prédomine la liberté de religion et où le droit en vigueur est considéré comme suffisant pour répondre aux problèmes éventuels. Deuxièmement, le modèle de vigilance qui tente de trouver un équilibre entre la protection de la liberté religieuse et la protection de la société. Troisièmement, le modèle de scepticisme structurel qui se méfie d’amblée du phénomène religieux. Selon l’auteur, c’est vers ce troisième modèle, difficilement compatible avec la liberté de religion, que tend la Belgique depuis les travaux de la Commission d’enquête sur les sectes (R. Torfs, «Synthèse des travaux», in : X, (sous la dir. de F. Messner), Les ‘sectes’ et le droit en France, Paris, P.U.F., 1999, pp. 301 et s).8 (8) Voy. notamment : Bruxelles, 28 juin 2005, J.T., 2005, pp. 598 et s. et observations de M.-F. Rigaux, «La responsabilité de l’Etat pour une faute commise par une commission d’enquête parlementaire» (notez que ledit arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles fut cassé par un arrêt rendu le 1er juin 2006 par la Cour de cassation. Bien que l’immunité parlementaire empêcha,en cassation, la condamnation du pouvoir législatif pour ses propos tenus lors de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes, il n’empêche que le caractère fautif desdits propos fut bel et bien relevé dans la décision de la Cour d’appel du 28 juin 2006; voy. : Cass., 1er juin 2006 et obs. de Y. Thiels et I. Wouters, «La responsabilité des pouvoirs publics : Le pouvoir législatif mis en cause : révolution ou simple évolution?», J.L.M.B., 2006, pp. 1524 et s.); Bruxelles, 7 décembre 2006, (inédit relatif à l’annulation du refus d’octroi de visa au Révérend Moon); Bruxelles, 12 juin 2006, obs. de P. Herbots, «Hof van beroep tikt sektenadviescentrum op de vingers», Juristenkrant, 2006, liv. 133, p. 7 (l’arrêt est relatif à une condamnation de l’Etat belge pour cause d’avis du C.I.A.O.S.N. à l’encontre de l’A.S.B.L. «Sahaja Yoga België». et peut aussi être consulté sur le site : www.ciaosn.be; Bruxelles, 7 avril 2006 (inédit relatif à une condamnation de la Communauté française pour avoir injustement qualifié l’anthroposophie de «secte dangereuse»);… Voy. également en ce sens : R. Gutiérrez, «Sectes. Un bilan, après dix ans de lutte. La loi anti-gourous se fait attendre», Le Soir, 3 mai 2007, p. 6.

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Or, un bref examen des dix dernières années de gestion des nouveaux mouvements religieux permet de se rendre compte que l’approche sécuritaire n’a pas apporté ce que l’on en espérait. Elle n’a finalement apporté que batailles et condamnations juridiques, stigmatisations religieuses d’individus et de groupements, condamnations politiques de la part de nations plus ouvertes sur le plan religieux9ou d’organisations internationales10 et ce, sans qu’aucun fléchissement de ce religieux émergent n’ait pu réellement être observé.

En conséquence, il nous semble qu’il conviendrait d’aborder la réalité sociale religieuse sous un angle résolument plus pacifique et pluraliste11 .

9 Voy. notamment : International Helsinki Federation for Human Rights, Report to the OSCE Supplementary Human Dimension Meeting on Freedom of Religion, Vienne, 22 mars 1999; D. Decherf, «Les Etats-Unis au secours des ‘droits de l’homme religieux’», Critique internationale, n° 15, avril 2002, pp. 15 et s.; N. Luca, op. cit., Critique internationale, n° 17, octobre 2002,p. 107.10 Voy., à titre purement exemplatif, les divers rapports émis par «Human Rights WithoutFrontiers» à l’encontre de la Belgique en matière de discrimination religieuse (www.hrwf.net).11 (11) Récente illustration de ce manque de respect des cultes non reconnus, le 19 octobre 2008, la police a, dans le cadre du démantèlement d’un réseau de trafic d’êtres humains, investi le temple sikh de Vilvoorde et ce, sans montrer le moindre égard pour la cérémonie religieuse exceptionnelle qui s’y tenait. Il va sans dire que cette intervention a profondément choqué cette communauté, suscitant par là diverses réactions d’indignation. Voy. : notamment : «Pour l’adoption d’une politique cohérente et adaptée au sujet des minorités religieuses — Carte blanche», Le Soir, 18 novembre 2008. C’est également cette situation qui incita Alain Destexhe à adresser une demande d’explication relative aux «sectes» et à «la liberté de culte» au ministre de la Justice et dont la substance fut de demander les différences qui sont censées exister entre cultes «reconnus» et «non reconnus», à mettre en exergue les iniquités qui découlent de la différence qui est faite dans la pratique entre «religions» et «sectes» depuis la rédaction du rapport d’enquête parlementaire sur les sectes et à demander comment éviter toute discrimination religieuse, particulièrement au vu des mises à l’index internationales dont la Belgique fut l’objet en cette matière. Il fut répondu à cette question le 8 janvier 2009 (Demande d’explications de M. Alain Destexhe au ministre de la Justice sur «les sectes et la liberté de culte», Ann. parl., Sén., sess. ord. 2008-2009, séance du jeudi 8 janvier 2009, nº 4-637, pp. 49-52) par Bernard Clerfayt, secrétaire d’État à laModernisation du Service public fédéral Finances, à la Fiscalité environnementale et à la Lutte contre la fraude fiscale, adjoint au ministre des Finances, en les termes suivant : «Je vous lis la réponse du ministre de la Justice. (…) La reconnaissance des cultes en Belgique a comme but principal le financement de ces cultes. Au niveau fédéral cela implique le payement des traitements et des pensions des ministres des cultes reconnus, alors qu’au niveau régional, le financement porte sur le déficit des entités locales — paroisses, communautés — et des interventions diverses concernant l’entretien et la construction des édifices consacrés aux cultes. La définition d’un lieu de culte relève de la compétence interne d’un culte, qu’il soit reconnu ou non. Il n’appartient donc pas aux autorités de s’immiscer dans cette matière. (…) La loi du 2 juin 1998 portant création d’un Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles et d’une Cellule administrative de coordination en matière de lutte contre les organisations sectaires nuisibles vise uniquement ces dernières, lesquelles sont définies à l’article 2. Hormis cette définition, la reconnaissance d’un culte ne porte aucune connotation d’appréciation sur les cultes non reconnus; les cultes ont la possibilité de demander cette reconnaissance mais ce n’est pas une obligation» (c’est nous qui soulignons).

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La situation actuelle paraît, en tout cas, le commander.

A cet égard la loi portugaise sur la liberté religieuse du 22 juin 2001 — que nous examinerons infra — nous semble présenter un modèle intéressant 12Il s’agit, certes, d’une loi récente et qui semble encore poser des difficultés pratiques d’application — notamment en raison du poids historique et social de la religion catholique —. Il reste toutefois intéressant de l’examiner, dans une perspective de droit comparé, cette loi offrant des pistes d’investigation et de réflexion pour une amélioration du régime belge des cultes.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, un bref rappel du régime belge et de ses écueils nous semble nécessaire.

I. — Le régime des cultes en Belgique

Bien qu’étant le fruit d’une longue évolution historique et sociologique, le traitement du phénomène religieux belge par les pouvoirs publics nous apparaît globalement non adapté. En effet, divers aspects de la gestion des cultes — que nous examinerons ci-dessous — nous semblent demeurer les conséquences directes des réflexions normatives du 19e siècle, raison pour laquelle des réformes de fond devraient être engagées en la matière.

A. — La reconnaissance des cultes

Comme on le sait, la Constitution belge se contente de traiter des libertés individuelles et collectives de religion ainsi que de la liberté organisationnelle des communautés confessionnelles. L’article 19 prévoit ainsi que : «[l]a liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés», tandis que l’article 21 précise notamment que : «[l]’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque (…)».

12 L’intitulé exact de la loi est : «Lei da Liberdade Religiosa. Lei n.o 16/2001 de 22 deJunho». Cette loi est accessible en portugais et en anglais à l’adresse : http://host.uniroma3.it/progetti/cedir/cedir/Portogallo.htm.

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Quant à la reconnaissance des cultes, seul l’article 24 en fait brièvement mention, le Constituant ayant ainsi laissé au législateur l’opportunité de ce choix délicat 13.

Une partie de la doctrine qualifia d’ailleurs ce choix effectué par le législateur de choix de pure «opportunité» 14.

Dès lors, aux fins d’une clarification et dans un souci d’égalité de traitement des nouvelles demandes de reconnaissance, Stijn Bex posa à la Ministre de la Justice une question relative aux critères de reconnaissance des cultes 15. La Ministre de la Justice répondit que ces «critères [étaient] examinés à l’occasion de l’introduction d’un dossier de reconnaissance. Au cas où le dossier répond aux critères, un projet de loi portant reconnaissance de ce culte est introduit au Parlement, à qui il revient de décider de cette reconnaissance. Si un avis négatif est intervenu et qu’il a été porté à la connaissance, une possibilité de recours est ouverte devant le Conseil d’Etat.

Selon la jurisprudence du SPF Justice, les critères auxquels doit satisfaire un culte pour être légalement reconnu sont les suivants :1. avoir suffisamment d’adeptes (plusieurs dizaines de milliers);2. être structuré;3. être établi dans le pays depuis suffisamment longtemps (plusieurs décennies);4. représenter un intérêt social;5. ne développer aucune activité qui pourrait aller à l’encontre de l’ordre social»16.

La Ministre dévoila également son intention de réfléchir quant à l’opportunité de consacrer légalement ces critères.

13 Notons qu’à ce jour, la Belgique a reconnu sept confessions religieuses et philosophique : les cultes catholique (1802), protestant (1802), israélite (1808), anglican (1870), islamique (1974), orthodoxe (1985) et la laïcité organisée (1993) (les dates de reconnaissance peuvent varier selon le critère considéré). Quant au bouddhisme, une demande de reconnaissance comme «philosophie non confessionnelle» fut introduite, le 20 mars 2006, par l’Union Bouddhique belge, rien ne semblant s’opposer à sa reconnaissance, le Conseil des ministres ayant d’ailleurs marqué son accord de principe sur l’avant-projet de loi présenté par la ministre de la Justice. L’Arrêté royal du 20 novembre 2008 portant réglementation relative à l’octroi de subsides à l’association sans but lucratif «Union bouddhique belge» — «Boeddhistische Unie van België» octroya d’ailleurs un subside à ladite association en considérant celui-ci comme une «étape préparatoire» visant «à opérer la structuration du Bouddhisme» en Belgique et ce, avant sa reconnaissance légale.14 Voy. notamment : F. Amez, op. cit., J.T., 2002, pp. 529 et s.15 Question n° 130 de M. Stijn Bex du 8 janvier 2004, Q.R., Ch. repr., sess. ord. 2003-2004, n° 20, pp. 2843 et s.; www.lachambre.be/QRVA/pdf/51/51K0020.pdf.16 (Voy. également : C.E., 12 janv. 1994, Rev. gén. dr., 1994, p. 115.

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Cette liste de critères, qu’ils soient consacrés légalement ou non, pose toutefois différentes questions.

Si les trois premiers critères relèvent d’éléments objectifs, ce n’est pas le cas des deux derniers. Qu’est-ce que l’«intérêt social»? Dès que l’Etat commence à statuer sur l’«intérêt social» d’une religion, ne risque-t-on pas de glisser vers un domaine qui serait celui de la validité ou de la valeur d’un culte? Or, les principes mêmes de la laïcité et du pluralisme s’opposent à ce que l’Etat décide du degré de validité d’une religion.

Quand y a-t-il activité qui «pourrait» aller à l’encontre de l’ordre social? Suffit-il d’un risque pour limiter l’accès à la reconnaissance ou faut-il une véritable condamnation préalable? Suffit-il qu’un membre isolé d’un culte ait été condamné pour empêcher la reconnaissance dudit culte ou faut-il un nombre conséquent de condamnations en proportion de l’importance du groupement et en rapport direct avec ladite religion 17?

On peut par ailleurs se demander dans quelle mesure les trois critères objectifs se justifient. En quoi la condition du nombre de plusieurs dizaines de milliers d’adeptes se justifie-t-elle 18? Le pluralisme n’a-t-il pas intérêt à voir les cultes minoritaires reconnus avec davantage de facilités?

17 Voy. à cet égard : l’audition de Didier Leschi, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur de France, devant la «commission d’enquête parlementaire relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et morale des mineurs»; http://www.lcpan.fr/. Pour rappel, pour être une religion officielle en France, une association cultuelle doit réunir deux conditions : exercer exclusivement un culte et ne pas porter atteinte à l’ordre public. Devant ladite commission, Didier Leschi a estimé qu’à défaut d’avoir reçu un nombre significatif de dossiers convaincants ou de faits précis susceptibles d’entraîner poursuites et interdictions, il ne pouvait pas être affirmé qu’une atteinte à l’ordre public en découlait, de telle sorte que le mouvement concerné — les Témoins de Jéhovah de France en l’espèce — s’était vu reconnaître le statut d’association cultuelle. Cette approche, respectueuse de la présomption d’innocence, nous semble devoir être suivie en Belgique relativement à la reconnaissance officielle des religions.18 Le rapport du département d’Etat des Etats-Unis relatif à la liberté religieuse dans le monde de 2008 estimait effectivement à 10,800 le nombre d’anglicans (dont le culte est considéré comme reconnu) en Belgique (http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2008/108437.htm), ce qui constitue un nombre similaire ou inférieur à certaines minorités religieuses non reconnues.

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La condition d’existence depuis plusieurs décennies pose des problèmes du point de vue des religions étrangères dites historiques, parfois établies depuis moins longtemps chez nous mais dont les adeptes affluent à la suite de flux migratoires 19.

La procédure actuelle de reconnaissance des cultes, au même titre que d’autres aspects de la gestion des cultes — que nous examinerons ci-dessous —, nous semble donc présenter, à l’heure actuelle, des déficiences graves dont le traitement nécessiterait une réflexion approfondie.

B. — Les notions de «cultes», de «religions» et de «sectes»

Le régime actuel laisse supposer aux yeux du public non averti que seuls les cultes «reconnus» jouiraient de la protection de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. Or justement une telle distinction irait à l’encontre des principes de ces dernières, aucune distinction n’étant faite ni ne pouvant être faite entre les religions reconnues et les autres.

Le système de la reconnaissance laisse en effet supposer aux yeux du public qu’il y aurait d’une part les «religions reconnues» et, d’autre part, toutes les autres, qui, dans l’ensemble, ont été cataloguées de «sectes» 20qui ne pourraient invoquer en leur faveur les dispositions de la Constitution et de la Convention européenne.

19 Notons néanmoins que, du point de vue de la Convention européenne des droits de l’homme, si l’article 9 prohibe l’existence d’une religion d’Etat (voy. : R. Ergec, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 207, n° 259;J.A. Frowein, «Article 9, §1er» in : X, La Convention européenne des droits de l’homme (sous la direction de L.-E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert), Paris, Economica, 1995, p. 354), l’existence d’une Eglise d’Etat n’est pas en opposition avec l’article 9, pour autant que les individus n’aient pas l’obligation d’en devenir membres. En conséquence, le droit de la convention européenne semble donc admettre, en l’état actuel des choses, le régime de reconnaissance des cultes tel qu’il existe en Belgique et ce, en dépit des difficultés qu’il pose.20 (20) Voy., à cet égard, la liste qui — bien que non avalisée par le Parlement — fut annexée au rapport de la commission d’enquêté parlementaire et qui fut fréquemment présentée au «grand public» comme une liste officielle des sectes (Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems (Partie 2), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/8, pp. 228 et s.).

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Or, il n’existe, à ce jour, aucune définition des notions de «religion», de «culte», et de «secte». Il existe certes les notions de «cultes reconnus» et d’«organisations sectaires nuisibles» 21, mais celles-ci n’aident pas à faire la distinction entre une «religion» ou un «culte», d’une part, et une «secte», d’autre part 22.

Cette difficulté n’avait d’ailleurs pas échappé aux rédacteurs du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes qui dans l’introduction au rapport ont souligné : «[L]a commission n’ignore pas l’usage abusif, fait dans le langage courant, du terme «secte». Est trop souvent qualifié de secte, et pas toujours de manière innocente, tout groupe dont les membres ont un comportement bizarre, anormal, voire simplement inhabituel dans leurs croyances, leur façon de se soigner, leur comportement sexuel ou social, voire dans leur façon de dépenser leur argent.» 23. La commission reconnaît par ailleurs que, dans le sens premier, «la «secte» est en soi respectable et traduit simplement un usage normal de la liberté religieuse et d’association garantie par nos droit fondamentaux (…). Il est clair que pour la commission d’enquête, les «sectes» ou «nouveaux mouvements religieux» ne constituent pas en soi un danger et ne sont pas a priori nuisibles. La lecture des conclusions de la commission et de la liste publiée ne peut se faire qu’en ayant à l’esprit ce principe essentiel» 24.

21 L’article 2 de la loi du 2 juin 1998 portant création d’un Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles et d’une Cellule administrative de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles prévoit, en effet, que : «[p]our l’application de la présente loi, on entend par organisation sectaire nuisible, tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine. Le caractère nuisible d’un groupement sectaire est examiné sur base des principes contenus dans la Constitution, les lois, décrets et ordonnances et les conventions internationales de sauvegarde des droits de l’homme ratifiées par la Belgique». L’article 8 de la loi organique des services de renseignement et de sécurité du 30 novembre 1998 définit également l’organisation sectaire nuisible comme : «tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine».22 I. Wouters, Religions et sectes : une distinction improbable, http://ines-wouters-avocat. skynetblogs.be/.23 Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems (Partie 1), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/7, p. 5.24 Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems (Partie 2), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/8, pp. 99-100.

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Ce qui poserait danger seraient donc les «organisations sectaires nuisibles». Selon la commission, serait une «secte nuisible» le «groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageable, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine» 25.

A cet égard, la commission attire l’attention sur les dangers d’une stigmatisation hâtive tendant à confondre les notions de «secte» et d’«organisation sectaire nuisible» en les termes suivant : «[d]’autres part, suite aux exactions parfois criminelles de certaines associations, le terme secte est devenu porteur de la notion de danger. La commission tient à dénoncer tout amalgame, qu’il soit volontaire ou non, entre des associations dangereuses, d’une part, et des comportements simplement atypiques, d’autre part. Il n’y a donc jamais eu de la part de la commission de volonté de normalisation des comportements ni de moralisation quelconque. C’est dans cet esprit que le rapport doit être lu et compris» 26.

Sous peine de se livrer à une discrimination prohibée, il convient de traiter de façon égale tous les groupements à caractère philosophique et religieux. Il ne pourrait donc être question d’ériger en infraction ce qui n’est pas visé par le Code pénal.

Il n’existe donc aucune distinction entre une «secte» et une «religion». Par ailleurs, la «liste des sectes», annexée au rapport de la commission, n’a pas été approuvée par le Parlement. Cette liste n’a donc aucune valeur légale 27. Il n’en reste pas moins qu’aux yeux du public, de certaines administrations, voire

25 Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems (Partie 2), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/8, p. 100.26 Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête parMM. Duquesne et Willems (Partie 1), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/7, p. 5.27 La Cour européenne a d’ailleurs précisé, dans une affaire relative au rapport d’une commission d’enquête parlementaire française sur les sectes, «qu’un rapport parlementaire n’a aucun effet juridique et ne peut servir de fondement à aucune action pénale ou administrative» (Cour eur. D.H., décision Fédération Chrétienne des Témoins de Jehovah de France c. France du 6 novembre 2001, p. 14). Pour plus d’explications à cet égard, voy. : Y. Thiels, «La liberté religieuse en Belgique. Quelques réflexions sur la commission d’enquête parlementaire sur les sectes et la Convention européenne des droits de l’homme», Annuaire International des droits de l’homme, 2007, vol. 2, pp. 502 et s.

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même de certaines juridictions 28, elle apparaît comme une liste prétendument «officielle» des «sectes» et que le terme «secte» se confond alors avec celui d’«organisation sectaire nuisible».

Or, dans sa décision du 7 décembre 2006, la Cour d’appel de Bruxelles a rappelé qu’«[u]n mouvement religieux, même lorsqu’il est susceptible d’être qualifié de secte, jouit donc en principe du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, garantis par l’article 9 de la C.E.D.H.» 29, confirmant par là même le contenu du rapport de la commission qui relevait, comme souligné ci-dessus, que «la «secte» est en soi respectable et traduit simplement un usage normal de la liberté religieuse et d’association garantie par nos droit fondamentaux» 30.

28 De façon assez étonnante, dans une affaire relative à une garde d’enfant, la 17e chambre du Tribunal de la jeunesse de Charleroi a ainsi estimé, par rapport aux témoins de Jéhovah «(…) qu’il est de notoriété publique qu’il s’agit, en réalité, d’une secte qui est, donc, hors la loi» tout en en tirant, à titre provisionnel, des conséquences quant à la garde de l’enfant puisque la garde fut refusée à la mère témoin de Jéhovah sur base de sa seule appartenance religieuse dans l’attente d’une étude sociale (Trib. jeun. Charleroi, 27 juin 2006 (inédit)). Il apparaît qu’une telle décision est totalement attentatoire aux libertés fondamentales les plus évidentes (dont celle dont disposent les parents d’éduquer leurs enfants en fonction de leurs convictions philosophiques propres; voy. notamment en ce sens : l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne, l’article II-74, §3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les articles 5, 14 et 30 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant) et contraire au principe de laïcité qui demande qu’un Etat ne statue pas sur la validité d’une religion quelconque. Cette décision fut réformée en appel, où la Cour d’appel de Mons rappela que «[l]’appartenance d’un parent à une religion, en l’occurrence ici, celle des témoins de Jéhovah, ne peut justifier à elle seule que ce parent soit privé du droit d’élever et d’éduquer ses enfants, s’il n’est pas démontré que cette pratique religieuse porte en l’espèce préjudice à l’enfant ou est contraire à son intérêt» (Mons, 9 juillet 2007 (inédit, n° 2006/JE/135)). Dans une autre affaire, la même 17e chambre du Tribunal de la jeunesse de Charleroi considéra, à nouveau relativement aux témoins de Jéhovah, «(…) qu’il est de notoriété publique qu’il s’agit (…) d’une secte qui est, donc, hors la loi» tout en octroyant la garde à la mère témoin de Jéhovah mais en lui faisant interdiction «de fréquenter le temple des témoins de Jéhovah avec [sa fille] sous peine d’une astreinte de 100 A par infraction constatée avec une maximum de 2000 A» (Trib. jeun. Charleroi, 20 février 2008 (inédit)). Cette fois encore, la Cour d’appel de Mons mit ce jugement à néant en considérant que «la fréquentation du temple des Témoins de Jéhovah, à raison d’un dimanche sur deux, à l’occasion des week-ends passés chez [la mère] ne paraît pas de nature à conduire à un quelconque endoctrinement (…)», la Cour estimant dès lors ne pas pouvoir faire siennes «ni les appréhensions [du père], ni la motivation du premier juge» (Mons, 10 décembre 2008 (inédit, n° 2008/JE/67)). Dans ces deux affaires, une enquête sociale fut ordonnée par rapport aux capacités éducatives des deux parents. Une telle approche au «cas par cas» nous semble respectueuse de la jurisprudence européenne qui estima discriminatoire le refus d’octroi de la garde d’enfant sur base de la seule appartenance religieuse et ce, sans avoir eu égard aux circonstances propres à l’espèce (Cour eur. D.H., arrêt Hoffmann c. Autriche du 23 juin 1993; Cour eur. D.H., arrêt Palau-Martinez c. France du 16 décembre 2003).29 Bruxelles (affaire family Federation for World Peace and unification c. Etat belge),7 décembre 2006, p. 21 (inédit).30 Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes,

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On doit bien conclure, à l’heure actuelle, que la distinction entre un «culte» ou une «religion», d’une part, et une «secte», d’autre part, ne repose sur aucune disposition légale et que toute tentative en ce sens sera nécessairement discriminatoire. Cette distinction repose, dès lors, sur un jugement de valeur, à savoir sur une discrimination, incompatible tant avec la Constitution qu’avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Le régime actuel permet toutefois l’émergence et le maintien de ces distinctions totalement arbitraires et artificielles alors que celles-ci constituent des violations des normes en vigueur. Ces distinctions discriminatoires devraient donc pousser l’Etat à repenser en profondeur sa politique en matière de minorités religieuses.

C. — Les perspectives

1. L’objectivisation du contrôle

1.1. La neutralité du critère de contrôleSi le contrôle des mouvements religieux peut apparaître légitime aux yeux de beaucoup, il relèverait de la plus stricte application du droit à la non-discrimination de contrôler lesdits mouvements sur la base de critères objectifs et non sur la base de listes préétablies 31.

Des études récentes recommandent également l’application d’un contrôle des «dérives sectaires» en lieu et place du contrôle des «sectes» 32. Ce critère neutre — pour autant qu’il soit utilisé sans référence à l’ancien — présenterait l’avantage qu’il s’appliquerait à tous les mouvements religieux sans discrimination, y compris aux cultes reconnus. Toutefois, ceci risque de

particulièrement les mineurs d’âge, Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems (Partie 2), Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, 313/8, p. 99.31 En dépit de l’avertissement de la commission d’enquête précisant que l’énumération des groupements cités dans la liste ne constitue «ni une prise de position ni un jugement de valeur de la part de la commission» et que «le fait pour un mouvement d’y figurer (…) ne signifie pas que pour la commission, il soit une secte, et a fortiori qu’il soit dangereux» (voy. le rappel effectué à cet égard par H. De Cordes, «Sectes : les recommandations de la commission sont largement restées lettre morte», Le Soir du 3 mai 2007, p. 22), il faut bien reconnaître que cette liste a souvent servi de base aux médias, voire aux juridictions (voy. supra relativement aux décisions de la 17e chambre du Tribunal de la jeunesse de Charleroi des 27 juin 2006 et 20 février 2008) pour incriminer l’un ou l’autre mouvement.32 C. Buxant, S. Casalfiore, L.-L. Christians, J.-M. Jaspard et V. Saroglou, «Idées et perspectives. Redéfinir les indices de dérive sectaire? Un regard psychologique au croisement des sciences des religions», Ann. Dr., vol. 64, 2004, n° 4, pp. 530 et s.; L.-L. Christians,«Critériologie psychologique des dérives sectaires : vers une première évaluation juridique», Ann.Dr., vol. 64, 2004, n° 4, pp. 561 et s.

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provoquer des difficultés, compte tenu de la sphère d’influence politique plus importante des mouvements dits «historiques» 33.

L’application d’un critère neutre présenterait également l’avantage non négligeable de donner aux milliers d’adeptes des minorités de conviction un sentiment de justice, d’intégration et de compréhension 34. Conformément aux enseignements de la Cour européenne 35et comme le dit l’adage de droit anglais, «Justice must not only be done, it must also be seen to be done».

1.2. Le contrôle et les instances européennes

Il nous apparaît explicite que les instances européennes ont souvent considéré le contrôle sur les minorités de conviction comme une sorte de «voie médiane» à emprunter face aux différences d’approche entre les divers partenaires européens en la matière. En effet, là où certains s’inquiétèrent des émouvants suicides collectifs du milieu des années 1990 pour prôner une approche ultra sécuritaire, d’autres prônaient la liberté religieuse absolue et l’absence de tout contrôle sur les libertés individuelles. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans ses recommandations 1178 et 1412, déconseilla, dès lors, l’adoption de législations nationales restreignant la liberté des sectes tout en préconisant l’adoption de lois destinées à encadrer leurs activités et à informer le public 36.

Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle estima, certes, ne pas avoir le pouvoir de statuer quant à «la légitimité de la lutte menée contre certains mouvements qualifiés de «secte», ni sur ses modalités», mais elle précisa néanmoins que «certaines dérives contraires aux valeurs qui sous tendent la Convention peuvent justifier le recours à des mesures spécifiques de la part des Etats membres» 37. Néanmoins, la «lutte anti-secte» elle-même e 33 Pour un essai intéressant en la matière, voy. néanmoins : C. Buxant, S. Casalfiore, L.-L.Christians, J.-M. Jaspard et V. Saroglou, op. cit., Ann. Dr., vol. 64, 2004, n° 4, pp. 530 et s.34 Les propos de Didier Leschi, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur de France, nous semblent, à cet égard, fort révélateurs d’une certaine réalité. Ce dernier estima qu’à force de «stigmatiser» les minorités de conviction, cette violence là pourrait effectivement conduire à «des troubles à l’ordre public, ou pour le moins à des manifestations d’intolérance à l’égard de l’une des libertés les plus fondamentales de tout homme et de tout citoyen : la liberté de conscience». Emmanuel Lemieux, fit référence, relativement à cette question, à la notion de «talibans de la laïcité» en désignant des députés de la Commission d’enquête française sur les sectes; E. Lemieux, «Témoins de Jéhovah. La cinquième religion de France», Le nouvel Economiste, n° 1364, 2-8 novembre 2006; http://www.nouveleconomiste.fr/1364/1364-jehovah.html.35 Voy. : Cour eur. Dr. H., arrêt Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991 qui exige non seulement qu’il n’y ait pas de violation des droits des parties, mais encore qu’il n’y ait pas apparence de violation.36 Pour un aperçu exhaustif des recommandations 1178 du 5 février 1992 et 1412 du 22 juin 1999, voy. : http://www.assembly.coe.int/.37 Cour eur. Dr. H., arrêt Paturel c. France du 22 décembre 2005, §31.

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pourrait nullement se faire en violation des mêmes principes qui sous tendent la Convention européenne, en ce compris le principe de la présomption d’innocence. La Cour souligna effectivement, à cet égard,«l’importance du choix des termes par les agents de l’Etat dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction» 38

Force est de constater qu’en Belgique, ce principe est loin d’être respecté, certains groupes catalogués de «sectes» faisant l’objet de véritables campagnes de stigmatisation et de dénigrement, notamment par certaines autorités publiques, tels que le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles 39et la Communauté française 40.

1.3. Le «sectarisme» de la «lutte anti-secte»

Au-delà de la question de la légitimité ou de l’intérêt de ce contrôle, il convient d’avoir à l’esprit que la politique menée à l’égard des mouvements qualifiés de «sectes» amène, en pratique, des dizaines de milliers d’individus dont les choix religieux divergent de la majorité à se sentir injustement stigmatisés et rejetés dans leur individualité et leur spécificité. Ces personnes se trouvent dès lors «sectarisées» bien malgré elles, créant, par là même, le problème que l’on entend pourtant combattre. C’est en effet cette stigmatisation et ce rejet qui risquent bien de créer un sentiment de rupture injustifié avec la société.

De plus, la jurisprudence montre que la politique adoptée à l’heure actuelle entraîne des condamnations de l’Etat belge lorsque le groupe stigmatisé décide de porter l’affaire devant les tribunaux 41 42.

38 Voy. : Cour eur. D.H., arrêt Daktaras c. Lituanie du 10 octobre 2000, §41.39 Voy. notamment : Bruxelles, 12 juin 2006, obs. de P. Herbots, «Hof van beroep tikt sektenadviescentrum op de vingers», Juristenkrant, 2006, liv. 133, p. 7.40 (Voy. notamment : Bruxelles, 7 avril 2006 (inédit).41 Pour un constat des condamnations récentes de l’autorité publique, voy. : R. Gutiérrez,«Sectes. Un bilan, après dix ans de lutte. La loi anti-gourous se fait attendre», Le Soir, 3 mai 2007, p. 6; voy. supra pour une illustration des décisions condamnant l’Etat belge dans le cadr de son traitement des minorités de conviction.42 I. Wouters, «Le centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles : analyse critique d’une politique incohérente et inadaptée». http://ines-wouters-avocat.skynetblogs.be.

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2. Le traitement égalitaire de toutes les convictions

Dans l’objectif d’éviter tout type de discrimination, il conviendrait de traiter toutes les convictions, qu’elles soient minoritaires ou non, qu’elles bénéficient du statut de religion reconnue ou non, selon des critères généraux et objectivement établis.

Ce nivellement tendant à l’égalité de traitement pourrait s’effectuer de deux manières : soit en établissant des conditions générales permettant à tout mouvement de conviction d’acquérir une reconnaissance officielle, soit en adoptant une attitude vigilante vis-à-vis de tous les mouvements de conviction. Bien que ces deux solutions constituent deux extrêmes, de nombreuses variantes sont envisageables, mais une solution s’orientant davantage dans le sens de la première nous paraît, de loin, la plus souhaitable.

Un autre aspect qui, selon nous, nécessiterait un traitement égalitaire est le financement des cultes. Prônant toujours une vision conservatrice des cultes, ce financement se répartit actuellement entre les cultes reconnus et les institutions de la laïcité. Cette méthode, qui ne tient pas compte de la diversification de l’offre religieuse, présente pour principal désavantage le fait qu’une partie substantielle de la population pourrait avoir le sentiment de payer des taxes au profit de cultes dont les services ne les atteignent pas ou dont elle pourrait légitimement douter de l’intérêt public collectif. Face à cette situation, diverses solutions ont déjà été envisagées : la renonciation à tout financement public — rendant dès lors les cultes responsables de leur propre financement — et l’impôt «philosophiquement dédicacé» sont les plus couramment envisagées.

Cette dernière proposition nous paraît présenter divers avantages tels que la mise en adéquation du financement des cultes au nombre de personnes en réelle attente de leurs services, la transparence qui en résultera dans le chef des mouvements gratifiés de l’impôt par rapport à leurs adeptes ou partisans et la responsabilisation des citoyens quant à cette question 43.

43 F. Dassetto, «Fin de la loi du financement des cultes?», La Libre Belgique, 28 mars 2006, p. 31.

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Néanmoins, pour que cette solution soit valable du point de vue du droit à la non discrimination, il nous semble toutefois évident que la possibilité du bénéfice de l’attribution de cet impôt devrait être ouverte à tous les cultes (ou associations laïques) selon des conditions objectives non orientées 44.

3. La prise en compte des évolutions sociologiques

A l’image de la France du début du 19e siècle 45, la Belgique de 1831, très majoritairement catholique, ne comptait que quelques minorités protestantes, juives ou de personnes sans religions. En conséquence, le système institutionnel, fort marqué par la dichotomie «cléricaux — anticléricaux» 46, ne traita que peu des questions des minorités religieuses.

C’est donc fort logiquement, qu’au fil des années, s’installa, en matière de reconnaissance des cultes, une situation de «non-droit» qui devenait de moins en moins adaptée face à l’émergence de nouveaux mouvements religieux.

Comme nous le verrons plus tard, certains Etats européens commencèrent à sortir de cette ancienne dichotomie pour prôner une approche plus pluraliste sur cette question. A défaut pour la Belgique de suivre cet exemple, cette dernière risque fort de se mettre, à terme, en porte-à-faux par rapport à ses diverses obligations internationales.

A y regarder de plus près, l’observateur attentif du droit belge pourrait, en effet, avoir parfois l’impression que la liberté religieuse tend à devenir une liberté qui n’est garantie que de manière strictement «individuelle» et dans la seule sphère privée. Or, comme l’a rappelé récemment la Cour européenne des droits de l’homme, «si l’organisation de la vie de la communauté [religieuse] n’était pas protégée par l’article 9 de la Convention, tous les autres aspects de la liberté de religion de l’individu s’en trouveraient fragilisés.» 47.

44 Il convient également de souligner l’intéressante proposition consistant à ouvrir le droit à la perception de cet impôt «philosophiquement dédicacé» à diverses institutions philanthropiques puisqu’il apparaît raisonnable de penser que les diverses associations à qui pourrait éventuellement bénéficier cet impôt ne pourront jamais être représentatives de l’intégralité des opinions de la population; voy. : F. Dassetto, «Fin de la loi du financement des cultes?», La Libre Belgique, 28 mars 2006, p. 31.45 F. Castres Saint-Marin-Drumont, «Le droit et le fait religieux dans un système laïc», in : X., Droit et religion, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 35 et s.46 L. Van Ypersele, «Sus au cléricalisme! La caricature anticléricale au XIXe siècle», in X., Le choc des libertés. L’Église en Luxembourg de Pie VII à Léon XIII (1800-1880), Bastogne, Musée en Piconrue, 2001, pp. 75-83.47 Cour eur. D.H., arrêt Hassan et Tchaouch c. Bulgarie du 26 octobre 2000, §62.

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Il est donc urgent que le législateur belge adopte de nouvelles mesures relatives au statut des cultes en Belgique de façon à adapter l’ancien prescrit législatif et constitutionnel aux nouvelles conditions sociologiques et culturelles.

C’est à cet égard que le régime des cultes portugais présente des caractéristiques intéressantes qu’il conviendrait de prendre en compte.

II. — Le régime des cultes au Portugal

A. — L’ancien système et les raisons de sa remise en cause

Dès 1940, sous la dictature de Salazar, un Concordat dont l’article 1er affirme que la République reconnaît la personnalité morale de l’Église catholique fut établi entre le Portugal et le Saint Siège 48.

En dépit de l’affirmation de principe de la séparation des Églises et de l’État proclamée par la Constitution de 1976 et la loi du 21 août 1971 dite relative à la liberté religieuse, ce concordat de 1940 demeura en vigueur tandis que les autres communautés religieuses, non catholiques, n’eurent jamais l’occasion de signer de tels accords.

Quant à la loi n° 4 du 21 août 1971, elle affirmait, de plus, le statut spécial de l’Église catholique tout en prévoyant la reconnaissance des communautés religieuses pouvant se prévaloir d’au moins 500 fidèles identifiés, majeurs et domiciliés au Portugal. Cette reconnaissance permettait de conférer aux dites communautés religieuses le statut de personnalité morale.

Dans la pratique toutefois, nombre de communautés religieuses relevaient du régime général des associations et ne bénéficiaient dès lors pas des mêmes avantages fiscaux que l’Eglise catholique 49.

Cette différence de traitement entre l’Église catholique et les autres communautés religieuses fut de plus en plus critiquée. En effet, comme cela fut souligné, «le principe de la neutralité de l’Etat signifie sa «non-identification» religieuse et idéologique-normative (…). C’est une conséquence de la généralité de la loi et de l’Etat et du principe de l’égalité» 50.

48 Voy. le site du Sénat français pour un aperçu de législation comparée : http:// www.senat.fr/lc/lc93/lc938.html.49 Pour un aperçu plus exhaustif de cette discrimination fiscale, voy. : J. de Sousa e Brito,«La situation juridique des Eglises et des communautés religieuses minoritaires au Portugal», in X., The Legal Status of Religious Minorities in the Countries of the European Union, Proceedings of the Meeting, Thessaloniki, November 19-20, 1993, Milan, Ed. Giuffrè, 1994, pp. 244 et s.

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Le Portugal, au même titre que la Belgique, est un pays au passé et à la population majoritairement catholique. Toutefois, lors des dernières décennies, nombre de convictions minoritaires s’y sont implantées ou développées, créant par ce fait même, un besoin d’adaptation de la loi à la réalité sociologique 51. C’est donc fort logiquement qu’il fut allégué que «l’égalité exige (…) que toutes les confessions puissent accéder également aux privilèges accordés à l’une d’entre elles, si elles veulent s’en prévaloir» 52. En conséquence, le processus législatif fut donc enclenché dans l’objectif de mettre fin à cette forme de discrimination de fait 53.

B. — Le nouveau régime des cultes : un système à «étages»

L’aboutissement de cette mise en chantier du régime portugais des cultes fut l’élaboration de la loi portugaise sur la liberté religieuse du 22 juin 2001 54.Cette loi, tout en restant, sous de nombreux aspects, l’objet de nombreuses critiques, présente néanmoins quelques aspects intéressants qu’il convient d’examiner.

Tout d’abord, le système portugais présente cet avantage qu’il établit des listes de conditions objectives non orientées permettant de bénéficier d’un statut officiel.

Ensuite, et c’est le plus intéressant à notre avis, cette loi ne contient aucune définition de la notion de religion et d’Eglise, chaque groupe restant libre de se définir comme Eglise ou non et d’adopter le mode de fonctionnement qui lui convient.

Enfin, une autre caractéristique de la loi portugaise sur la liberté religieuse du 22 juin 2001 est qu’elle met en place quatre types de statuts officiels 55, sur

50 J. de Sousa e Brito, «Le régime constitutionnel des religions au Portugal», in X., The Constitutionnal Status of Churches in the European Union Countries, Proceedings of the Meeting, University of Paris XI, November 18-19, 1994, Milan, Ed. Giuffrè, 1995, p. 231. 51 Voy. : V. Canas, «State and Church in Portugal», in X., State and Church in the European Union (G. Robbers (ed.)), Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1996, p. 259.52 J. de Sousa e Brito, op. cit., in X., The Legal Status of Religious Minorities in the Countries of the European Union, Proceedings of the Meeting, Thessaloniki, November 19-20, 1993, Milan, Ed. Giuffrè, 1994, p.237.53 J.A. Teles Pereira, «New Religious Movements in Portugal : Legal Aspects», in X.,New Religious Movements and the Law in the European Union, Proceedings of the Meeting, Lisbon, Universidade Moderna, November 8-9, 1997, Milan, Ed. Giuffrè, 1999, pp. 315 et s.54 Il convient de noter que les citations de cette loi portugaise sur la liberté religieuse du 22 juin 2001 émanent d’une traduction libre.55 Cette classification prend en compte les statuts suivants : celui de «simple personne collective de droit civil», celui de «communauté religieuse «enregistrée»», celui de «communauté religieuses «établie»» ainsi que le statut concordataire spécifique dont bénéficie l’Eglise catholique.

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base de critères objectifs. A chaque statut officiel correspond un certain nombre de conditions à remplir et permettant de bénéficier de ce statut. Plus les conditions sont élevées, plus les avantages du statut officiel sont importants.

Il convient donc d’examiner brièvement ces dits statuts officiels, leurs conditions d’octroi ainsi que les avantages en résultant.

1. Les simples personnes collectives de droit civil

L’article 63 de la loi du 22 juin 2001 prévoit que les confessions religieuses et associations religieuses non catholiques existantes inscrites dans le registre du Ministère de la Justice seront automatiquement inscrites au registre national des personnes collectives, à défaut pour elles de faire une démarche spécifique, dans les trois ans, en vue de se faire reconnaître un autre statut spécifique prévu par la nouvelle loi. Ce registre vise toutes les associations collectives, y compris les associations non religieuses 56.

Conformément à l’article 44, elles bénéficieront des normes du Code civil valant pour les personnes collectives privées, sauf en ce qui concerne leurs activités religieuses. Ce régime s’applique aussi aux nouvelles associations religieuses nées après l’adoption de la loi et qui ne feraient aucune démarche spécifique.

2. La conversion en une personne collective religieuse

Toute association ayant des activités religieuses peut demander sa conversion en une «personne collective religieuse» au sens des articles 33 et suivants de la loi du 22 juin 2001. On distingue deux catégories de reconnaissance parmi ces personnes collectives religieuses.

2.1. Les communautés religieuses «enregistrées»

Les articles 34 à 36 établissent les conditions d’inscription de ces communautés religieuses. Ces communautés peuvent très bien être purement locales, régionales, nationales ou avoir une étendue supranationale mais ayant une organisation représentative de croyants résidents dans le territoire national portugais.

Un ensemble de conditions doivent être remplies, dont notamment un nom distinctif, un acte constitutif, un siège, une description du mode de fonctionnement et du mode de désignation des chefs religieux. De plus, le groupe doit fournir une description sommaire des principaux points de sa doctrine, de sa pratique religieuse ainsi que des droits et devoirs des croyants par rapport à la communauté religieuse concernée ainsi qu’une preuve de sa

56 Ce registre correspond grosso modo au registre des A.S.B.L. en Belgique.

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présence sociale organisée, de sa pratique religieuse et de sa durée de vie au Portugal 57.

Il est important de souligner que la décision de devenir une communauté religieuse enregistrée appartient aux groupes qui le désirent. L’Etat n’a aucun pouvoir d’appréciation ou d’intervention dans la décision qu’un groupe a de devenir une communauté religieuse enregistrée. L’Etat ne pourrait refuser cet enregistrement au motif par exemple que l’organisation aurait un mode de fonctionnement non démocratique. Chaque groupe reste libre de se définir comme il l’entend, la seule condition étant une transparence supplémentaire qui leur est demandée quant à leurs croyances et leur mode de fonctionnement, sous réserve des limites constitutionnelles de la liberté religieuse 58.

Dès leur inscription, ces communautés religieuses peuvent bénéficier de divers avantages tels que la possibilité pour les ministres du culte de ces communautés : d’un service militaire particulier ou de l’objection de conscience (article 17), de refuser d’intervenir comme juré (article 18),… Divers droits collectifs à la liberté religieuse leurs sont également reconnus, dont le pouvoir organisationnel de reconnaissance et de création de communautés religieuses régionales ou locales (article 22) et le droit d’être entendu relativement aux questions d’urbanisme touchant à l’affectation de l’espace à des fins religieuses là où elles ont une présence sociale organisée (article 28).

Parmi ces droits collectifs, certains sont également assortis de la condition supplémentaire de représentativité du culte : pour l’organisation d’un enseignement religieux particulier dans les écoles publiques (article 24) ou pour l’octroi d’un temps d’émission religieuse auprès des servicespublics de radio ou de télévision (article 25).

L’inscription peut être refusée, d’après l’article 39, en cas de violation des limites constitutionnelles de la liberté religieuse 59. En cas de refus d’enregistrement sur cette base, le mouvement garde le droit d’exister, sans, pour autant, être catalogué de «secte» ou de «nuisible».

57 Il convient également de préciser que la loi prévoit l’inscription des communautés religieuses régionales ou locales dans l’éventualité où ces dernières ne se seraient pas vues reconnaître par la communauté religieuse nationale58 Voy. l’exposé sur l’article 39, INFRA.59 (59) A titre purement exemplatif, notons que cette loi est fondée, notamment, sur la liberté individuelle de culte qui comprend, évidemment, le droit de changer de religion. L’impossibilité totale pour un adepte de quitter librement un groupement religieux serait, dès lors, une telle violation des limites constitutionnelles de la liberté religieuse. Pour plus de renseignements sur cette notion, voy. : Y. Thiels, «L’excommunication. Une liberté religieuse controversée», obs. sous : Cass., 18 déc. 2008, J.L.M.B., 2009, pp. 678 et s.

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Ledit mouvement n’aura simplement pas accès aux avantages énumérés ci- dessus. En effet, ce mouvement religieux ne perdra pas son statut de «simple personne collective de droit civil» et pourra donc librement exercer des activités religieuses, en cas de violation des règles constitutionnelles et légales, mais ne pourra pas bénéficier de ce stade de reconnaissance. Toutefois, ce mouvement se fera, le cas échéant, condamner sur base du droit commun, la liberté religieuse ne pouvant être invoquée pour se soustraire à la loi et à la Constitution portugaise. L’Etat portugais garderait donc le droit de remettre en cause certaines pratiques spécifiques jugées illégales, sans pour autant remettre en cause l’existence même du mouvement.

2.2. Les communautés religieuses «établies»

Le stade supérieur de reconnaissance, prévu par l’article 37, s’adresse aux «communautés religieuses inscrites» qui peuvent justifier de leur représentativité au Portugal, d’un minimum de trente ans de présence sociale au Portugal ou de plus de soixante ans à l’étranger et ce, après avoir entendu la Commission sur la Liberté Religieuse.

Ces communautés religieuses «établies» bénéficient notamment des divers «privilèges» que sont : la possibilité de signer des accords avec l’Etat sur des matières d’intérêt commun (articles 45 et s.), la participation à la désignation de représentants de la «Commission pour la Liberté Religieuse» (article 56), la reconnaissance d’effets civils aux mariages célébrés religieusement par leurs ministres du culte (article 19), la possibilité d’opter pour l’application du Décret-Loi 20/90 permettant notamment des exemptions de T.V.A. (article 65),…

3. Le concordat avec l’Eglise catholique

Enfin, conformément à l’article 58 de la loi du 22 juin 2001, le concordat avec l’Eglise catholique établi entre l’Etat et le Saint Siège du 7 mai 1940 et les protocoles ajoutés le 15 février 1975 ainsi que toutes les législations appliquées à l’Eglise catholique demeurent. Ce même article 58 précise donc que le contenu de cette loi portugaise sur la liberté religieuse du 22 juin 2001 ne lui est donc pas appliqué, sauf en cas d’accord entre l’Etat et l’Eglise catholique, ou par rémission de la loi. Il convient de souligner qu’un nouveau concordat fut signé en date du 18 mai 2004 60.

On s’en doutera, c’est cette partie, porteuse d’une forme d’inégalité, qui demeure la plus contestée.

60 Ce concordat est disponible à l’adresse : http://host.uniroma3.it/progetti/cedir/cedir/Lexdoc/ Pt_Conc-04.pdf (en italien et en portugais).

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Conclusion

La loi portugaise des cultes présente les traits généraux d’un régime moderne et égalitaire des cultes.

Les avantages d’un régime des cultes «à étages» nous apparaissent nombreux.

Premièrement, il présente toutes les caractéristiques de l’objectivité dont le caractère indispensable dans un système laïc de gestion des cultes ne nous semble plus devoir être à démontrer.

Deuxièmement, il permet aux diverses convictions d’exercer leur propre liberté en leur permettant de faire le choix de l’«étage» qu’elles désirent atteindre, les incitant, par ce fait, à une plus grande intégration.

Troisièmement, cela permettrait à des milliers de personnes aux convictions philosophiques minoritaires de se sentir en plus grande adéquation avec la société, permettant dès lors une intégration plus réussie au sein de la société civile.

L’observateur attentif objectera que ce type de régime des cultes reste malgré tout susceptible de dérives : les conditions d’octroi d’un statut religieux pourraient être orientées en faveur des seules religions déjà reconnues, une crainte non justifiée de violation de l’ordre public ou encore des violations tout à fait occasionnelles de ce dernier pourraient être invoquées pour refuser l’octroi d’un statut à l’une ou l’autre minorité de conviction,…

Si ces remarques nous semblent exactes, il n’empêche que ces écueils pourraient être évités par l’octroi de conditions générales bien cantonnées. Les modalités exactes de la loi portugaise, c’est-à-dire principalement les conditions et avantages qui résulteraient de l’octroi d’un statut religieux, peuvent à notre avis aisément être modifiées aux fins de les adapter aux particularismes locaux et à l’évolution des exigences supranationales valant en matière de droits de l’homme.

En définitive, seule une attitude pluraliste respectant les acquis centenaires d’une laïcité bien comprise nous semble de nature à permettre la pacification de la situation tout en tenant compte des craintes légitimes de dérives religieuses et du nécessaire respect des droits des individus de convictions différentes.

Cette attitude doit prévaloir quel que soit le régime légal adopté, car en définitive c’est elle qui va déterminer le cours des événements.

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Nous pensons que la Belgique, en n’adoptant pas de dispositions légales appropriées en la matière, pourrait engager sa responsabilité, à terme, visà- vis des groupes religieux et de leurs membres.

Bruxelles, décembre 2008

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