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1- Introduction
« Mon but est de vous donner quelques outils de réflexion autour de la représentation du réel au cinéma : vous allez
accompagner des groupes de jeunes gens dans leur découverte du cinéma et celle-ci passe nécessairement par une
connaissance de ce qui a déjà été fait, donc de l’histoire du cinéma. On va se pencher là-dessus en survolant les 100 ans
de création d’images.
Et puis, puisque tout ce qui touche la création est éminemment subjectif, je vais vous montrer comment différents
réalisateurs ont pu nous donner sur le réel des points de vue tout à fait différents ; nous allons en étudier plusieurs.
La question de point de vue est fondamentale quand on s’intéresse aux images : c’est une question qui peut paraître
théorique mais qui est, en vérité, très pratique. C’est à la fois où est-ce qu’on met la caméra, qu’est-ce qu’on filme, qu’est-
ce qu’on montre, qu’est-ce qu’on ne montre pas, qu’est-ce qu’on cache, qu’est-ce qu’on dit, qu’est-ce qu’on fait dire,
qu’est-ce qu’on fait sentir, avec la lumière, avec la musique... Le point de vue au cinéma, qui est une notion assez difficile à
comprendre, c’est donc au fond, on va le voir, ce qui va lier une sensation (une esthétique) à un sens (une éthique).
Pour finir, je vous expliquerai comment j’envisage mon travail dans les ateliers que j’ai pu encadrer (et je vais vous montrer
le résultat d’un de ces ateliers).
2- Qu’est-ce que le réel ?
Pour commencer, je crois que s’intéresser à la notion de réel au cinéma doit d’abord nous faire nous pencher sur la
question du réel tout court. Vaste notion, philosophique, presque… Qu’est-ce que le réel ?
Est-ce synonyme de « quotidien » ? De « établi » ? De « évident » ? De « incontestable » ? De « vrai » ?
Certainement. Mais on va aussi voir que c’est certainement plus compliqué.
Posons nous alors la question du contraire : le contraire du réel, ce serait quoi ? L’irréel ? L’imaginaire ? L’artificiel ? Le rêve
? le virtuel ? Le faux ?
Moi, je ne suis pas sûr… Mais disons pour l’instant que ce qui s’oppose au réel, puisqu’on va s’intéresser au cinéma, c’est
la fiction.
Je vous propose une définition du réel. On peut dire : le réel, c’est ce qui résiste. Par exemple, cette table est réelle parce
que quand je pose ma main dessus, elle exerce une force en retour, une force de résistance qui empêche ma main de
passer au travers…
Mais alors, si on fait maintenant le tour de ce qui résiste, on a bien sûr la table, le mur, tout ce qui est concret, les autres
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LE RÉEL
En théorie
AuteurLE RÉEL ET LE FAUX AU CINÉMA : UN ÉTRANGE RAPPORT
Olivier Séror
Date
11 décembre 2009, centre socioculturel d’Etouvie, Amiens
Descriptif
Éléments de synthèse de la formation organisée dans le cadre de "Passeurs d'images" consacrée au réel et proposant une
réflexion sur la représentation du réel, le point de vue, le cinéma documentaire, l'évolution du rapport aux images, la
propagande, le commentaire...
êtres humains, etc.
On a aussi d’autres choses : mon propre désir est réel lui aussi, puisqu’il résiste au monde ambiant, il me fait me lever le
matin, il me fait me battre toute la journée pour que le monde, mon monde ressemble à ce que je souhaite. Ce que je rêve
d’être, et pour lequel je me bats, ça aussi, c’est le réel.
On voit que la notion de réel devient plus compliquée, plus intéressante aussi, parce que tout à coup du rêve, de l’artifice,
de l’imaginaire, du faux entre dans la définition du réel.
3- Au cinéma : le réel est reconstitué
On oppose à la fiction, une catégorie de programmes appelés documentaires.
Littré - Documentaire : « qui a un caractère de document »
Document : « Chose qui enseigne ou renseigne »
Le documentaire serait donc du côté de l’information ou du côté de la science historique voire de la science tout court.
Au 19ème siècle, Adolphe Thiers, évoque cette conception de l’historicité : « être simplement vrai, être ce que sont les
choses elles-mêmes, n’être rien de plus qu’elles, n’être rien que par elles, comme elles, autant qu’elles. »
C’est le rêve du discours scientifique sur l’histoire : une transparence parfaite entre le langage, nettoyé de ses artifices
rhétoriques, et le réel. Cette transparence, le cinéma semble la réaliser. Ce rêve du 19ème siècle, le cinéma semble
l’accomplir : la reproduction fidèle, mécanique (et donc non corrompue par la subjectivité de l’œil humain). On peut croire
que dans le documentaire, les événements sont là pour eux-mêmes, que nous voyons la réalité elle-même.
Mais cela suppose que les vérités historiques existent par elles-mêmes, contrairement aux autres qu’il faudrait découvrir.
Or, le fait historique lui-même est une construction de l’esprit.
En littérature comme au cinéma, la construction d’un monde, qu’il soit fictionnel ou non fictionnel, est avant tout une
construction littéraire. Ce sont les mêmes codes de narration qui bien souvent s’appliquent à l’un ou à l’autre.
Le cinéma est certes une machine d’enregistrement mais le réel est forcément reconstitué. Pensé en termes esthétiques,
idéologiques, conceptuels, etc. (angle, cadrage, montage, commentaire, etc. c’est ce qu’on appelle le point de vue). Ce qui
est grave aujourd’hui c’est que le reportage télévisé tend à se confondre, pour beaucoup de gens, de plus en plus avec le
réel. Quelquefois, il prend même la place du réel, il transforme le réel. On y reviendra (fin du point 4.4)
4- Histoire du cinéma : l’évolution du rapport aux images
Mais il nous faut maintenant revenir en arrière pour étudier, depuis un peu plus de 100 ans que le cinéma existe, l’évolution
du cinéma et son rapport au réel.
4.1 - Les ancêtres du cinéma
Le cinéma est d’abord conçu comme un outil scientifique : Edward Muybridge qui invente une méthode pour filmer les 24
attitudes du galop d’un cheval (1882), Etienne Jules Marey, qui crée peut-être la première caméra avec son fusil
photographique pour suivre le vol d’un oiseau. Puis il crée la caméra chronophotographique.
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Dans son travail sur la décomposition du mouvement, il expérimente les premiers ralentis à 50/60 images seconde.
Ces gens ne voyaient pas dans le cinéma un spectacle et encore moins un art, ils étaient des scientifiques. Pourtant
comment ne pas voir l’incroyable beauté plastique de leurs œuvres, le travail incroyable sur la décomposition du
mouvement : il y a là l’origine du cinéma documentaire et expérimental.
C’est Demeny, l’assistant de Marey puis Lumière qui décide de faire de cet outil un vecteur de spectacle. Il y a donc dès le
début une circulation entre document (scientifique ou autre) et œuvre d’art. Ce qu’exemplifiera à merveille Jean Rouch.
Le paradoxe, chez Marey ou d’autres, c’est qu’un excès de réalisme conduit tout simplement à l’abstraction.
4.2 - Le cinéma des premiers temps : 1895, Lumière vs Mélies
Et à peu près dès ce moment-là, se développent les problématiques qui vont irriguer le documentaire pendant tout le
siècle. On y revient toujours : Lumière contre Méliès. Lumière et les fameuses vues Lumière. Comme une photographie en
mouvement.
Extraits : Sortie d’usine. Arrivée d’un train. Démolition d’un mur.
Des opérateurs envoyés dans le monde entier pour ramener des images pittoresques ou banales, mais qui d’une certaine
façon circonscrivent le réel à une image, une idée : chaque pays, chaque événement est transmissible par une image, par
un plan fixe, généralement construit selon le même cahier des charges : le cadre légèrement décentré, la profondeur de
champ, l’action unique, l’anonymat des figures… Et pourtant, on sent déjà chez quelques opérateurs le goût de
l’expérimentation, de filmer le mouvement, de simples éléments plastiques et mobiles : les ondulations de la fumée, etc.
Chaque détail devient un événement.
À l’opposé, Georges Méliès, qui vient du cabaret, développe un versant fictionnel du cinéma. Tradition du théâtre et du
cabaret, acteurs, effets spéciaux…
Depuis lors, on ne cesse d’opposer les deux tendances : Lumière et Méliès. Puisqu’on s’intéresse au réel, c’est la piste
Lumière que nous allons suivre, mais pour découvrir que la frontière entre les deux n’est peut-être pas aussi claire qu’on
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peut le croire.
J’avance un peu dans le temps : nous sommes dans les années 20. Quand l’art du muet est à son apogée. Le cinéma est
un langage à part entière.
4.3 - Les premiers documentaires : Flaherty vs Vertov
Robert Flaherty (né en 1884) fut d’abord prospecteur dans le nord canadien. Des quatre expéditions sur la côte de la baie
de l’Hudson, il avait ramené un millier de photos consacrées aux Inuits.
Robert Flaherty part dans le grand nord canadien tourner Nanouk l’Esquimau (1922), un documentaire sur la vie d’un
pêcheur esquimau. Quand il revient, le matériau (25000 mètres de film) qu’il a tourné pendant des semaines brûle en salle
de montage. Flaherty (qui pour des raisons économiques ne peut se permettre un nouveau et onéreux tournage
documentaire) repart sur les lieux du tournage et reconstitue avec les esquimaux ce qu’il avait tourné de manière
documentaire. Les esquimaux (Nanouk en tête) interprètent pour la caméra les gestes de leur quotidien. Notamment la
chasse évidemment. C’est non seulement un film admirable mais un document unique sur la vie des esquimaux dans les
années 20. Peut-être le premier documentaire.
C’est en même temps une conception très américaine du monde. On y décrit un individu en lutte pour survivre face à une
nature hostile. C’est un hommage à un mode de vie authentique et non dégradé par la civilisation (thème cher à Flaherty)
mais aussi une œuvre profondément individualiste.
Extrait : Nanouk l’Esquimau. Chapitre 11. La pêche au phoque.
André Bazin, théoricien du réalisme au cinéma, fait du cinéma de Flaherty le point de départ d’une généalogie réaliste :
Flaherty, Stroheim, Murnau, Renoir, Rossellini.
La théorie ontologique du réalisme selon Bazin : transparence, voire disparition du montage, profondeur de champ, lien
fétiche entre l’image photographiée et le réel… plan long = respect de l’authenticité documentaire.
Quelques formules de Bazin tirées de l’article « Montage Interdit » (Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1985, pp. 59-
61).
L’axiome esthétique : « Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs
facteurs de l’action, le montage est interdit. »
« Il serait inconcevable que la fameuse scène de la chasse au phoque de Nanouk ne nous montre pas, dans le même plan,
le chasseur, le trou, puis le phoque. Mais il n’importe nullement que le reste de la séquence soit découpé au gré du metteur
en scène. Il faut seulement que l’unité spatiale de l’événement soit respectée au moment où la rupture transformerait la
réalité en sa simple représentation imaginaire. »
« Le réalisme réside ici dans l’homogénéité de l’espace. On voit donc qu’il est des cas où, loin de constituer l’essence du
cinéma, le montage en est la négation. La même scène, selon qu’elle est traitée par le montage ou en plan d’ensemble,
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peut n’être que de la mauvaise littérature ou devenir du grand cinéma.»
Le cinéma de Flaherty va créer une mode très prolifique dans le courant des années 20, celle du cinéma d’exploration, qui
reprend les principes de Flaherty en ajoutant au spectaculaire et à l’exotisme une dose de fiction ou de romance et qui se
renverseront dans le domaine de la pure fiction avec deux films devenus célèbres : Les Chasses du Comte Zarroff de
Ernest B. Schoedsack, Irving Pichel (1932) et King Kong de Ernest B. Schoedsack, Merian C. Cooper (1933).
A l’inverse de Flaherty, Dziga Vertov, cinéaste de l’avant-garde russe, qui se refuse à toucher au réel. Il se refuse aussi à
toute forme de narration : le cinéma bourgeois est issu de la littérature et du théâtre, il faut inventer un cinéma
révolutionnaire qui se détache de la psychologie mais nous montre une nouvelle vision du monde.
Pour lui, la caméra est un œil/machine qui voit mieux que l’œil humain : théorie du « ciné-œil ». Filmer le plus
objectivement possible donc et à l’insu de ce que l’on filme (« la vie à l’improviste »). Vertov rêvait d’un cinéma où l’on
filmerait la vie de tous les jours dans le monde entier qui serait monté et projeté au quotidien (presque une idée de la
télévision moderne). Mais en définitive, c’est un cinéma hautement personnel, un cinéma du point de vue documenté
(Vigo).
Pourtant en salle de montage il se permet tous les effets de montage, les surimpressions, etc.
Vertov a commencé comme monteur, contrairement à ses deux frères, tous deux opérateurs, il s’intéresse peu à la prise de
vue. Il a créé et monté des magazines d’actualités : Kino-nidielia (« ciné-hebdo ») et Kino-pravda (« ciné-Pravda » ou « ciné-
vérité », le supplément cinématographique du journal la Pravda).
Extrait : L’homme à la Caméra, 1929. Chapitre 12-14 et 29.
La vie s’interrompt, la vie reprend par l’opération magique du montage. Vertov montre bien que la réalisation d’un film est
une construction personnelle, l’élaboration d’un point de vue sur le réel. Les images enregistrées dans la vie, sont un
matériau qui sert à établir un discours sur le monde. L’homme à la caméra est à la fois un document sur la vie
quotidienne à Leningrad, un poème cinématographique, un hymne au modernisme et évidemment à la Révolution (les
cinéastes soviétiques prennent encore à l’époque fait et cause pour la Révolution) et un discours pédagogique sur la
fabrication d’un film. Cinéaste omniprésent et omnipotent (scène finale).
Deux conceptions du monde qui s’opposent : vision américaine (Flaherty), l’individu est au centre. Vision soviétique
(marxiste) : le réel est un système complexe fait par la multitude et la multiplicité des individus. (On prélève les images au
réel et on les organise comme on veut : le montage).
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4.4 - Le documentaire instrumentalisé. La propagande.
Dans les années 30 et 40, le documentaire sera de plus en plus instrumentalisé au service de la propagande.
Extrait : Le Triomphe de la volonté (1935) de Leni Riefenstahl, chapitre 10.
Leni Riefenstahl est d’abord danseuse puis devient, dans les années 20, actrice de film de montagne (genre alors en vogue
qui préfigure, peut-être à son insu, de nombreux éléments de l’idéologie nazie). Elle en réalise elle-même un, La Lumière
Bleue (1932) puis, dès 1933 et l’arrivée des Nazis au pouvoir, se met au service d’Hitler. Le Triomphe de la Volonté
documente le dixième congrès du Parti Nazi en septembre 1934 à Nuremberg. Le but du congrès était de faire connaître la
nouvelle direction du parti au peuple allemand et aux membres du parti. Le film est diffusé en mars 1935.
Ce Film de propagande se donne à voir comme un documentaire. Un documentaire qui aurait eu des moyens
hollywoodiens : multi caméra,18 opérateurs, 4 équipes de prise de son, ascenseur de trente mètres au-dessus de la
tribune, travellings linéaires et circulaires, etc..
Mais surtout, il faut savoir que tout, lors du congrès avait été pensé en vue de sa captation par Hitler et Riefenstahl :
scénographie, déplacement, etc. Tout était mis en scène en vue d’impressionner les foules présentes mais surtout celles
qui verraient le film. C’est certes un document, mais il est difficile de parler ici de documentaire, tant l’événement lui-même
à été conçu pour être filmé. La fonction du film n’est pas d’informer sur l’événement mais de transmettre la fascination
pour le leader, fascination que la réalisatrice éprouve de toute évidence.
Deux citations contradictoires de Leni Riefenstahl : « Le film ne contient aucune scène reconstituée. Tout y est vrai. Et il ne
comporte aucun commentaire tendancieux, pour la bonne raison qu’il ne comporte pas de commentaire du tout. C’est de
l’histoire, un pur film historique. Je précise : c’est un film-vérité. Il reflète la vérité de ce qu’était, en 1934, l’histoire. C’est
donc un document, pas un film de propagande. » (ITW. In Cahiers du cinéma, sept, 1965)
Or, « Les préparatifs du congrès furent établis conjointement aux travaux préliminaires du film, c’est à dire que l’événement
fut organisé de manière spectaculaire non seulement en tant que réunion populaire mais aussi de manière à fournir la
matière d’un film de propagande… tout a été déterminé en fonction de la caméra. » (Cité in Paul Virillio, Guerre et cinéma,
ed. Cahiers du cinéma)
C’est un film unique, même s’il a eu une énorme descendance : observez la façon dont sont filmés aujourd’hui les
meetings politiques mais également les concerts de rock dans les stades avec une foule qui vénère unanimement ses
idoles. Rapport de domination, de supériorité, etc. Glorification des grands hommes. Évidemment tout show politique est
une mise en scène, mais là il s’agit d’une mise en scène destinée à être filmée, architecturée, pensée en terme de place
de caméras, de découpage, de montage, etc.
Le film n’est en rien un document objectif sur l’événement, il vise à emporter la conviction du spectateur. Le point de vue
de l’auteur est clairement la magnification du pouvoir, le culte de la personnalité et l’adoubement de la foule.
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• Autre problème : la question du commentaire
1930. Arrivée du son : subordination de l’image au commentaire : dérive vers la pédagogie et la propagande.
Subordination de l’invention formelle à l’utilité (éduquer les masses). Or l’invention formelle n’est pas qu’un jeu de formes,
elle est toujours un moyen d’appréhender le réel dans sa complexité. Il ne suffit pas de faire tourner sa caméra pour y faire
rentrer la réalité, il faut élaborer des stratégies de captations, des dispositifs d’enregistrement : on l’a vu dès les débuts du
cinéma.
En subordonnant la forme à la fonction, le cinéma ne devient plus que la courroie de transmission de l’idéologie dominante
et non plus une exploration du réel dans sa complexité et surtout dans ses contradictions. Le film documentaire n’est plus
la recherche d’une vérité (que l’on découvre ou que l’on fabrique dans le processus de recherche) mais l’imposition d’une
certitude (donc une idéologie).
Extrait : Lettre de Sibérie, Chris Marker, 1958.
Même sans la moindre volonté de falsification, avec le plus d’honnêteté possible on crée du faux, c’est un problème de
méthode.
Dans Lettre de Sibérie de Chris Marker, le sens naît de la collusion de trois commentaires : aucun ne peut prétendre au
vrai. La vérité est ici construite par le spectateur qui crée des ponts, des liens et construit lui-même le sens qui est celui
d’une complexité du réel. On ne peut pas le réduire à une formule.
Comme l’a écrit André Bazin (Le Cinéma Français de la Libération à la Nouvelle Vague, Paris, Cahiers du Cinéma, 1998),
c’est un « essai à la fois historique et politique encore qu’écrit par un poète ». « Le montage horizontal. » : « Ici l’image ne
renvoie pas à ce qui la précède ou a ce qui la suit, mais latéralement en quelque sorte à ce qui est dit. » « Le montage se
fait de l’oreille à l’œil. » « Par rapport à certaines réalités, l’impartialité est une illusion. » « L’opération à laquelle nous
venons d’assister est donc exactement dialectique, elle a consisté à envoyer sur la même image trois faisceaux intellectuels
et à en recevoir l’écho. »
La force de Marker est de n’être pas dupe lui-même de ses propres procédés : on l’a vu, il interroge déjà sa méthode en la
critiquant. Par ce procédé simple et intelligent, Marker fait retomber le doute sur l’ensemble de son film, voire de son
œuvre antérieure : chacune des scènes filmées ne pourrait-elle pas être relue de la même manière ? En fait tout le sens
est dans le commentaire. Les images ne disent rien, elles ne font qu’illustrer le commentaire qui est tout le contenu du
film.
• Le lien avec les actualités contemporaines à la télévision
Bazin parle de films de propagande des années 40-50 :
« Le principe de ce genre de documentaires consiste essentiellement à prêter aux images la structure logique du discours
et au discours lui-même la crédibilité et l’évidence de l’image photographique. Le spectateur a l’illusion d’assister à une
démonstration visuelle quand ce n’est en réalité qu’une suite de faits équivoques ne tenant que par le ciment des mots qui
les accompagnent. L’essentiel du film n’est pas dans ce qui est projeté mais dans la bande son ». André Bazin
« Je ne dénie ni la justesse des arguments ni le droit que les bonnes personnes ont d’essayer de nous convaincre, mais
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seulement l’honnêteté de la méthode utilisée. Ces films qui commencent avec un a priori favorable, celui de l’emploi de la
logique, de la raison et de l’évidence des faits reposent en réalité sur une grave confusion des valeurs, sur la manipulation
de la psychologie, de la crédulité et de la perception. »
Tant et si bien que dans l’immédiat après-guerre, les jeunes cinéastes italiens (néo-réalisme, Rossellini, Visconti, Antonioni),
américains (documentaires de l’École de New York) ou français (Franju, Rouch, Resnais, Marker, Varda…) durent inventer
de nouvelles relations entre prises de vue et voix, de nouveaux dispositifs d’interlocution avec le spectateur à travers les
images pour ne plus faire de celui-ci l’otage d’évidences préfabriquées vendant le monde tel quel.
4.5 - Les années 50, l’école française du court métrage documentaire.
Le cinéma de propagande au lieu de révéler la vérité du monde est venu faire écran à la réalité de l’horreur : Auschwitz et
Hiroshima. Les cinéastes français de l’après-guerre (et en Italie les néo-réalistes) vont chacun à leur façon réinterroger le
rapport de l’image au commentaire et le rapport du cinéma à l’histoire. Au triomphalisme, à la certitude propagandiste, on
substitue le doute, le questionnement, la déstabilisation du sens et du spectateur.
Le 20 décembre 1953 va se constituer le groupe des 30 pour défendre et illustrer le court-métrage documentaire (on
compte parmi eux : Resnais, Marker, Varda, Franju, Demy, Painlevé, etc. dont plusieurs d’entre eux feront leur premier long-
métrage à la fin des années 50). « L’école française du court-métrage se distingue par son style, par sa tenue, par
l’ambition de ses sujets »)
La caractéristique principale de ces films c’est qu’ils sont rarement pris sur le vif. Ce sont des films très scénarisés, très
écrits. La difficulté de tourner en son direct dans des conditions documentaires (pas de matériel léger) font que ces films
utilisent abondamment le commentaire (ainsi le commentaire va devenir une création littéraire à part entière : Cayrol pour
Nuit et Brouillard, Queneau pour Le Chant du Styrène, Marker pour Les Statues, Toute la Mémoire du Monde), et
font appel à des compositeurs de musique.
Le commentaire ne vient plus donner un sens aux images, le sens naît du conflit, de la relation entre l’image et le
commentaire.
Un sens qui prend son origine dans la catastrophe qui vient de se produire (Nuit et Brouillard, Guernica, Hiroshima
mon amour) ou telle qu’elle se perpétue (Le Chant du Styrène, Le Sang des bêtes, Les Statues meurent aussi).
Extrait : Le Sang des bêtes, Georges Franju (1948).
Chez Georges Franju, l’horreur est tapie au sein même du réel ; elle n’est pas, comme dans les actualités, liée à la
catastrophe, à l’accident qui nous permet confortablement de constater qu’il n’arrive qu’aux autres. Montrer que la
violence, l’horreur sont inhérentes au réel, cela est véritablement terrifiant.
« Tout objet — le plus banal et le plus quotidien — décolle de sa fonction pour entrer dans un nouveau réseau de relations
qui fait saillir l’anormal du normal. L’image se charge d’une signification ressentie avec anxiété du fait d’une organisation
inédite du thème de cette image. » (Franju).
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Le projet de Georges Franju est un projet de déstabilisation du sens. De la béance provoquée par la surprise, le décalage,
naît la conscience de la complexité du réel, de sa richesse, de sa poésie, mais aussi de la violence, de l’horreur qui est
tapie en lui. Pourtant, malgré sa dureté, le film ne recèle aucun jugement, au contraire, il montre ce meurtre comme un
travail qui doit être accompli.
Georges Franju ne réalise que des documentaires (Hôtel des Invalides, 1952) jusqu’en 1959 année où il va passer à la
fiction avec Les Yeux sans visage (1959) et La Tête contre les Murs. Ce qui est intéressant dans les fictions de Franju
c’est que ce sont essentiellement des films fantastiques, voire horrifiques où comme dans ses documentaires, l’horreur naît
du quotidien. Du réalisme fantastique.
4.6 - Conclusion temporaire
On a fait la démonstration que l’objectivité au cinéma n’existe pas, que le réel se met en scène, non seulement comme un
spectacle devant la caméra, mais aussi avec les moyens techniques propres au cinéma : le cadre, le montage, le
commentaire, la musique…
Il n’y a pas de cinéma sans manipulation. Au cinéma, chaque réalisateur va nous proposer une vision du réel, sa vision.
C’est subjectif, et ça ne peut pas être autrement. Le cinéma, même documentaire, est une représentation. Il permet de
faire ressentir des perceptions du monde via sa représentation. C’est à la fois magnifique et dangereux. L’un ne va pas
sans l’autre. Et chacun va inventer sa propre éthique en fonction de son esthétique. C’est à dire va jouer de tous ces
éléments que le cinéma met à sa disposition pour faire de la mise en scène. C’est ça, le point de vue.
5 – Élever le réel à la puissance du faux
On va maintenant s’intéresser à des cas très particuliers de films et de cinéastes. Nous allons nous intéresser à des
cinéastes qui, tout en continuant à s’intéresser au réel, et même à s’ancrer dans le réel, vont cesser de prétendre au vrai, à
la découverte d’une vérité, même subjective, pour nous poser des questions sur le réel, au point de nous amener à redéfinir
la notion de réel…
Les films dont je vais vous parler maintenant, et les auteurs qui les ont réalisés, m’intéressent tout particulièrement parce
qu’ils inventent un nouveau mode de narration : ils vont substituer la puissance du faux à la forme du vrai. Ils abandonnent
la recherche de la vérité au profit du faux et de sa puissance artistique et créatrice.
Ce sont des films dans lesquels on ne sait en fait jamais très bien si on est dans une fiction ou un documentaire. Ils
interrogent à la fois le réel et le cinéma, chacun à sa manière, pour des résultats à chaque fois, bien sûr très différents.
Encore une fois ce sont des exemples…
5.1 - Plot Point de Nicolas Provost (2008)
Nicolas Provost est un jeune réalisateur belge contemporain qui a commencé à faire des vidéos expérimentales et qui
revisite la grammaire du cinéma classique Hollywoodien en l’appliquant à des situations quotidiennes documentaires. Ici,
Times Square à New York.
Extrait du film : Plot Point de Nicolas Provost.
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Interview du réalisateur :
- L’origine de Plot Point ?
« Pour Plot Point, l’idée de base était de suivre les flics de New York comme dans l’émission de télé-réalité Cops et de
mélanger fiction et réalité. J’ai fait une demande auprès du New York Police Department, car je voulais que les policiers
soient mes comédiens. Le commissaire s’est montré très intéressé, mais l’autorisation officielle n’est jamais arrivée. J’ai
recentré le projet sur des prises de vue en caméra cachée à Times Square en parvenant à rester à peu près invisible. Seuls
deux policiers et un vendeur de journaux m’ont démasqué ! »
- Pourquoi New York ?
« C’est une ville qui fait partie de notre inconscient, on se croit dans un décor de cinéma. Ce qui m’intéresse, c’est de jouer
avec les codes et la mémoire du cinéma en me fondant sur un matériel pré-existant que j’ai moi-même créé. Plot Point
est né de ces heures de rushes accumulés, que j’ai ensuite montés en respectant minutieusement les règles du cinéma
classique : exposition, montée progressive, « plot point » (le nœud de l’intrigue, là où le spectateur comprend quelles
aventures le héros doit affronter), climax et sentiment de résolution. Au montage, je m’attache à suivre cette ligne
émotionnelle, qui remonte aux tragédies antiques. »
- Quelle importance accordez-vous au son ?
« Bien sûr, le travail sonore est très important, il représente 50% du processus. J’ai constitué une banque de données
sonore (des sons comme des musiques de films), qui me permet de relire aussi le cinéma, à ma manière. Je mélange des
extraits de « scores » classiques et de séries télé, je redécoupe et réagence le tout. Ce que je veux, c’est toucher les gens,
émotionnellement et intellectuellement, par ce questionnement du cinéma. »
5.2 - Zelig de Woody Allen (1983)
Woody Allen est un acteur et réalisateur américain de comédie, qui personnifie peut-être aujourd’hui le mieux la comédie
juive new-yorkaise.
En tant que réalisateur, Woody Allen opte d'abord pour un style burlesque et satirique, et le grand public voit en lui un petit
bonhomme à lunettes d'une épouvantable maladresse. Il s'imposera toutefois grâce à des œuvres plus personnelles,
teintées de mélancolie, mais toujours pleines d'autodérision, comme Manhattan ou Annie Hall.
La dimension purement comique de ses films s’enrichit souvent d’une réflexion sur la création artistique. Au fil des années,
quelque chose de plus en plus noir transparaît derrière ses comédies.
En 1983, il réalise ce film, Zelig, l’histoire, dans les années trente, d’un homme, Leonard Zelig qui relève d'un cas peu
ordinaire. Obèse, boxeur ou écrivain, il prend l'apparence de tous ceux qu'il côtoie, comme un homme-caméléon. Eudora,
en psychanalysant Leonard, découvre que celui-ci souffre d'un cruel besoin d'amour.
C’est un faux documentaire. C’est donc une fiction, mais qui va prendre la forme d’un documentaire. C’est le contraire de
l’exemple précédent : là on va appliquer à une fiction, les codes et les tics du film documentaire.
Extrait du film : 11 minutes (le début)
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Un film-caméléon pour un homme-caméléon :
Comment le cinéma construit-il une fausse réalité ? Dans Zelig, Woody Allen reconstitue un fait divers fictif censé avoir
ému la planète dans les années 1920-1930. Le film est construit comme un collage de fausses images d’actualité, de
photos de journaux et d’images récentes d’interviews, pour donner l’impression d’un documentaire historique. La séquence
commentée use de multiples natures d’images : actualités anciennes, interviews, faux film d’époque, pour accréditer l’idée
que non seulement Zelig a existé, avec ses propriétés hors du commun, mais qu’il fut aussi un phénomène de mode
mondial. On remarquera à la fois la précision des parodies, les coupures de registres stylistiques, et le ton neutre, objectif,
de la démonstration, qui contraste avec le caractère invraisemblable du référent.
Le film est aussi une autodérision de la figure du comique juif New Yorkais et de son ego disproportionné, qui rêve à la fois
de devenir Monsieur tout le monde et ne peut pas s’empêcher de se placer au centre de tous les regards.
5.3 - Orson Welles et ses descendants
On pourrait aussi parler de faux documentaires qui, eux, jouent la carte du vrai, c’est à dire tentent au maximum à se faire
passer pour vrai, soit pour saisir le spectateur d’effroi, comme par exemple cette émission de télévision Belge qui a
annoncé avec le plus grand sérieux il y a quelques mois que la Flandre faisant sécession.
Ou les documentaires de ce grand artiste qu’est Peter Watkins, comme La Bombe (1966), ou Punishment Park (1971),
tous deux de faux documentaires sur des événements catastrophiques qui arriveraient. Ces films sont comme des œuvres
d’anticipation qui jouent sur les codes du « vrai » au cinéma ou à la télévision pour réveiller les consciences.
Cette méthode, le premier a l’avoir utilisé, c’est Orson Welles, qui en 1938 fait une émission de radio à partir de La Guerre
des mondes de HG Wells, tellement crédible qu’elle a provoqué des mouvements de panique à travers tous les États-Unis.
On est là à la frontière de la farce et d’un processus artistique et philosophique très sophistiqué qui remet en question la
notion de vérité, d’identité… Et Orson Welles, dans son travail, n’a jamais cessé de jouer de cette notion de FAUSSAIRE. Le
faussaire devient le personnage principal de son cinéma : il fabrique l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. Il suscite
les alternatives indécidables, les différences inexplicables entre le vrai et le faux et par là même impose une puissance du
faux, par opposition à toute forme de vrai.
Car il n’y a pas de faussaire unique, et, si le faussaire dévoile quelque chose, c’est l’existence derrière lui d’un autre
faussaire, fut-il l'État, les grandes puissances, etc. « Même l’homme véridique finit par comprendre qu’il n’a jamais cessé
de mentir » disait Nietzsche.
Et Orson Welles, dans son travail n’a jamais cessé de faire écho à cette très belle phrase de Rimbaud : « Je est un autre ».
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5.4 - le cinéma de Jean Rouch
Jean Rouch est à l’origine ethnographe au Musée de l’Homme à Paris. Il va proposer dès la fin des années 50 un cinéma
ethnographique qui est d’abord un moyen de consigner, de documenter des pratiques locales, notamment en Afrique
(traditions, danses, etc). On pourrait croire qu’il s’agit là d’un cinéma profondément ancré dans le réel. Mais on va voir
comment, à sa manière, Rouch va être amené, au contact de population qu’il filme, à remplacer lui aussi l’équation
Moi = Moi par une forme de « Je est un autre ».
Extrait : Les Maîtres fous de Jean Rouch (54-55).
Les Maîtres fous est un film emblématique sur la relation du colonisé au colonisateur. La transe devient ici un moyen
d’exorciser, d’évacuer la violence d’une vie comprise comme anormale. En se réappropriant et en détournant les gestes du
colon, les membres de la secte rendent la vie quotidienne supportable. C’est un modèle d’observation sans jugement,
réalisé avec les moyens du bord. La transe d’abord comprise par le spectateur comme une anormalité effrayante nous est
ensuite présentée comme le seul moyen pour ces hommes et ces femmes de supporter la soi disant normalité de la vie
quotidienne.
Extrait : Moi, un noir de Jean Rouch (1958).
Dans Moi un Noir (1958), Rouch demande à ses protagonistes de se post-synchroniser eux-mêmes en improvisant dans
l’auditorium. Le renversement est total. Le blanc, le colon, l’ethnologue, le scientifique quelle que soit sa place ou sa bonne
volonté est toujours en position de supériorité par rapport au sujet filmé dont il saura expliquer et décrire les coutumes, les
faits et geste. En demandant à son personnage de se doubler lui-même, Rouch rend la parole au colonisé, il n’en fait plus
un objet d’étude mais un sujet à la fois agissant, mais aussi indiscernable, indécidable, entre réel et fiction. Il les montre en
train de se « délirer », avec leur noms improbables tirés des films glamour américains (Dorothy Lamour, Lemmy Caution…).
Ils se réinventent une identité.
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Gilles Deleuze à propos de Jean Rouch :
« Ce qui s’oppose à la fiction, ce n’est pas le réel, ce n’est pas la vérité qui est toujours celle des maîtres ou des
colonisateurs, c’est la fonction fabulatrice de celui qui n’a rien, de celui qui subit. En tant qu’elle donne au faux la
puissance qui en fait une MEMOIRE, une LEGENDE, un MONSTRE. »
6 – Mon expérience des ateliers
Je veux en arriver à vous expliquer comment j’aborde les ateliers. Nous avons 3, 5, 10 jours pour faire un film : écriture,
tournage et montage compris. Il faut faire connaissance avec les participants très vite et établir un rapport de confiance tel
que je puisse les guider là où je veux.
Là où je veux, ça veut dire quoi ? Parce qu’en fait, ce que je vais essayer de faire, moi, n’est pas très éloigné de la
démarche de Jean Rouch : partir du réel, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils aiment, de ce qu’ils craignent, de ce qu’ils savent
faire (musique, danse, sport, etc.) pour élever cette réalité à la puissance du faux.
Mon travail n’est certainement pas d’imposer une histoire et même s’il faut parfois être ferme, pour tenir la barque, ce que
je veux être, moi, c’est un vecteur, de leur délire à eux. Je dis « délire » exprès, pas au sens « FUN », mais vraiment
comment ils se délirent eux, comment ils se voient, même en super-héros, en personnage de fiction, en footballer… peu
importe.
Au final, j’espère les capter eux, autant dans le réel que dans leurs rêves, pour faire un portrait global, complet du petit
groupe.
Je cherche à ce qu’ils parlent d’eux, chacun individuellement, mais pour réussir à dire « Je est un autre ». La question est
de trouver cet autre.
Le cinéma, pour moi, se fait autant avec le réel, qu’avec les rêves et les peurs, parce que les rêves et les peurs sont réels.
Ce que je cherche à saisir, ce n’est pas l'IDENTITÉ du personnage, réel ou fictif (l’identité est un concept inventé par les
services de police). C’est le DEVENIR du personnage réel quand il se met lui-même à « fictionner », quand il entre en
flagrant délit de légender, et contribue ainsi à l’invention de son groupe, de son monde. De son peuple.
Je prends les personnages réels comme intercesseurs. Je ne cherche pas à imposer mes fictions mais que je les
remplace par leurs propres fabulations. Je cherche moi aussi, et à ma toute petite échelle, à donner à ces fabulations une
figure de « légende ».
Alors cela passe par le fait de leur donner des leçons d’improvisation. Il faut faire attention au mot IMPROVISATION, parce
qu’on peut vite croire qu’improviser, c’est faire n’importe quoi. Mais c’est tout le contraire, improviser, c’est tout le contraire
de n’importe quoi. C’est très précis. D’abord, ça doit être nourri, d’expériences vécues, de souvenirs. Il faut trouver une
situation très simple, tirée du quotidien… « Je cherche à éviter la punition » ou « Je veux trouver le numéro de tel d’une
fille »… Il y a donc une SITUATION. Ensuite, chaque personnage (le plus simple : 2) va avoir un BUT, simple et précis. Et
pour réussir son BUT, va se donner tout une série de MOYENS, à définir précisément avant l’improvisation.
Conclusion
Comment représenter le réel ?
Certainement pas via une présentation objective, impossible et toujours mensongère.
En assumant une subjectivité, donc. Comment MOI je perçois le réel.
Et peut-être même, en jouant avec le faux… avec le masque, l’imaginaire, les rêves et les peurs, pour montrer que le réel,
ce n’est pas une vérité qui préexisterait à la perception que j’en ai, mais une dynamique, dans laquelle nous sommes tous
impliqués. Une dynamique créatrice.
Bibliographie :
- Gilles DELEUZE, « Les puissances du faux », in Cinéma 2, L’Image-temps, Paris, Les éditions de minuit, 1985.
- François NINEY, « L’épreuve du réel à l’écran », Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, De Boeck
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Université, 2000.
- André BAZIN, « Qu’est-ce que le cinéma », Paris, Cerf, 1958.
- André BAZIN, « Le cinéma français de la libération à la nouvelle vague », Textes réunis et préfacés par Jean NARBONI,
Les Cahiers du cinéma, 1998.
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