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Annales Pharmaceutiques Françaises (2013) 71, 326—329 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Le remboursement conditionnel : un outil pour réduire les incertitudes sur la valeur des médicaments et renforcer leur évaluation continue Conditional reimbursement: A tool to reduce uncertainty relating the value of medicines and reinforce their continuous evaluation in real-life J.-N. Bail GlaxoSmithKline France, 100, route Versailles, 78160 Marly-Le-Roi, France Rec ¸u le 31 juillet 2013 ; accepté le 2 aoˆ ut 2013 Disponible sur Internet le 4 septembre 2013 MOTS CLÉS Médicament ; Innovation ; Valeur ; Prix ; Incertitude ; Remboursement conditionnel ; Accord Résumé Pour lever les incertitudes inhérentes à l’arrivée des nouveaux médicaments et à leur prise en charge collective, un mécanisme de remboursement conditionnel est proposé, assortis de recommandations relatives aux conditions de mise en œuvre dans des cas limités, permettant d’assurer le juste accès des patients aux innovations thérapeutiques, dans des conditions économiques optimales et révisables. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.pharma.2013.08.001. Cet article reprend la communication de l’auteur au 8 e séminaire interuniversitaire Descartes-Berkeley d’économie de la santé, mai 2013, Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] 0003-4509/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pharma.2013.08.006

Le remboursement conditionnel : un outil pour réduire les incertitudes sur la valeur des médicaments et renforcer leur évaluation continue

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J.-N. Bail

GlaxoSmithKline France, 100, route Versailles, 78160 Marly-Le-Roi, France

Recu le 31 juillet 2013 ; accepté le 2 aout 2013Disponible sur Internet le 4 septembre 2013

MOTS CLÉSMédicament ;Innovation ;Valeur ;

Résumé Pour lever les incertitudes inhérentes à l’arrivée des nouveaux médicaments et àleur prise en charge collective, un mécanisme de remboursement conditionnel est proposé,assortis de recommandations relatives aux conditions de mise en œuvre dans des cas limités,permettant d’assurer le juste accès des patients aux innovations thérapeutiques, dans des

Prix ; conditions économiques optimales et révisables.

Incertitude ;Remboursementconditionnel ;Accord

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.pharma.2013.08.001.� Cet article reprend la communication de l’auteur au 8e séminaire interuniversitaire Descartes-Berkeley d’économie de la santé, mai 2013,aris, France.

Adresse e-mail : [email protected]

003-4509/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.pharma.2013.08.006

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Le remboursement conditionnel 327

KEYWORDSMedicine;Innovation;Value;Price;Uncertainty;ConditionalReimbursement;Agreement

Summary In order to alleviate the inherent uncertainty that comes with the market accessand public funding of new health products, a conditional reimbursement mechanism is proposed.The latter is circumscribed by recommendations regarding its implementation in limited casesin order to allow for a fair access of patients to therapeutic innovations, within economicconditions both optimum and reviewable.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Introduction

Lorsqu’un nouveau médicament sollicite son rembourse-ment, les autorités de santé sont confrontées à une doubleincertitude, quand bien même les exigences de l’obtentionde l’AMM sont remplies :

D’une part, le ratio bénéfice-risque du médicament peut,dans la vraie vie, se révéler différent de celui évalué sur labase des études d’enregistrement (sans préjuger des cri-tères de cette évaluation) :• le passage de quelques centaines ou milliers de patients

traités en études cliniques à plusieurs millions en vieréelle peut faire apparaître des effets indésirables nondétectés au cours du développement, ainsi que révélerdes dimensions de valeur thérapeutique nouvelles ;

• l’usage effectif du médicament par les prescripteurs etles patients peut s’écarter du cadre dans lequel le médi-cament a été développé par l’industriel et autorisé parles autorités d’enregistrement, concernant notammentles recommandations cliniques et d’usage, l’indication, lapopulation cible, la place dans la stratégie thérapeutique,l’observance, . . .

D’autre part, la valeur pour la collectivité, mesurableuniquement dans les conditions de la vie réelle, se situedans un contexte d’incertitude alors même que des fondspublics sont engagés.

Les autorités souhaitent donc légitimement disposerd’un niveau suffisant de certitudes, permettant l’accèsdes patients au progrès thérapeutique sans les exposer àdes risques ou engager des dépenses non justifiées. Ellesdoivent donc garantir un processus décisionnel à même deconcilier en outre la protection et la sécurité du patientet le principe éthique de ne pas lui faire perdre dechance. Ce processus doit également intégrer le fait quel’évaluation des ratios bénéfice-risque individuel et col-lectif peuvent différer en termes d’intensité, et éviter latentation de n’autoriser que des produits apportant unevaleur ajoutée thérapeutique par rapport aux stratégiesexistantes, avec l’élargissement des options thérapeutiquesà des alternatives non inférieures devant, par dispositionréglementaire en France, générer des économies pour lacollectivité.

De récents exemples ont montré que les certitudes rela-

tives au ratio bénéfice-risque doivent effectivement êtrerenforcées, ce qui est d’ores et déjà engagé au travers desmesures prises aux niveaux européen et national : la cla-rification et l’objectivation des critères d’évaluation de la

alance bénéfice-risque au niveau de l’AMM, la mise en place’études de sécurité et d’efficacité obligatoires en post-MM avec l’objectif de procéder à une évaluation continuee la balance bénéfice-risque en vie réelle, ou encore le ren-orcement des règles et des systèmes de pharmacovigilancet la systématisation des PGR.

En outre, l’exigence de progrès thérapeutique démon-ré pour accéder au marché et à la prise en charge para collectivité pose dans certains cas un double problème,ans préjuger de l’impact technique sur les plans de déve-oppement clinique et plus particulièrement la complexitéu choix de comparateurs actifs, lorsqu’il en existe : d’uneart le risque de renonciation à une option alternativeont l’efficacité est globalement équivalente, mais quieut permettre d’obtenir une meilleure réponse thérapeu-ique pour certains patients et/ou un profil de toléranceifférent ; d’autre part la renonciation implicite à des éco-omies potentielles prévues par la réglementation associées

la mise sur le marché d’un produit sans valeur ajoutéeeconnue, faisant ainsi l’impasse sur le potentiel de valeurédico-économique du produit.Les autorités ont d’ores et déjà pris la mesure de ces évo-

utions, tant au niveau européen que national. Au niveauuropéen, une analyse de l’existant a été initiée sous’égide de la Commission européenne. Le groupe de travailultidisciplinaire où sont représentés gouvernements, clini-

iens, patients et industriels a ainsi entrepris la collecte et’analyse des différents schémas de contrats de partage deisques qui sont utilisés pour conditionner l’accès dans lesifférents États-membres.

En France, le CEPS dans ses rapports pour 2010 [1] et 20112] a indiqué avoir « accepté de donner leur chance à desédicaments dont l’évaluation ne permettait a priori pase justifier le prix demandé, mais à des conditions très exi-eantes » et a précisé ces conditions en vue de conclure de

véritables contrats de partage de risques [qui] pourraienttre envisagés lorsqu’un médicament se présente avec uneocumentation clinique telle que l’attribution d’une ASMRlevée ne se justifie pas alors même que son améliorationotentielle est peut-être importante » :l’avantage attendu ne peut pas être apporté dans lesétudes cliniques préalables à l’AMM, le recours à la miseen évidence de l’avantage nécessitant une évaluation enpratique réelle ;

l’avantage doit être décisif et de préférence en termed’intérêt de santé publique ;l’étude post-AMM mise en œuvre doit permettre de tran-cher sans ambiguïté ;
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l’industriel doit s’engager dans le contrat à assumer lerisque financier d’un éventuel échec de la démonstration.

Il apparaît ainsi désormais approprié de proposer desispositions concrètes et pragmatiques permettant deépondre à ces attentes pour mieux mesurer la valeurt construire progressivement davantage de certitudes sur’efficience réelle des nouveaux produits. De tels méca-ismes seraient actionnés uniquement lorsque certainesonditions précises le justifieraient, et notamment desoutes sur la transposabilité des résultats cliniques en vieéelle, la nécessité de mieux préciser la population cibleermettant d’optimiser l’efficience du produit (par exempleur la base d’un test encore en cours développement), desonnées incomplètes dans un contexte de besoin thérapeu-ique important, l’absence d’étude comparative, faute deomparateur dans l’indication, ou dans le cadre de plans deéveloppement clinique concus à un moment où les alterna-ives n’étaient pas encore disponibles, ou encore le besoine réduire les incertitudes sur la valeur médico-économiqueéelle d’un produit, dans un contexte d’enveloppe finan-ière potentiellement significative.

La mise en œuvre de telles dispositions pourrait’articuler autour de trois grands axes :

au moment de la primo-inscription, un remboursementconditionnel serait accordé à un produit présentantpotentiellement soit une meilleure balance bénéfice-risque, soit un profil de tolérance différent par rapportaux comparateurs, soit une équivalence par rapport auxtraitements existants, assortie d’un prix initial inférieuraux alternatives, conditionné à la production d’évidencescomplémentaires exhaustivement précisées dans l’avis deremboursement conditionnel ;l’industriel s’engagerait, sur la base d’un contrat-cadrecollectif associant les autorités, les organismes payeurset les industriels, à mettre à disposition, dans un délai dedeux à trois ans suivant la mise sur le marché, les donnéesobjectives, assises sur une méthodologie robuste, parta-gée et acceptée, permettant de mesurer, en vie réelle,dans une indication donnée et pour une (ou des) popu-lation(s) fixée(s), d’une part la balance bénéfice-risquerelative, en cohérence avec les exigences du CHMP entermes d’études comparatives post-commercialisation,d’autre part la pertinence de l’usage effectif du pro-duit (respect des recommandations et de la populationcible, observance, part de l’usage hors AMM. . .), notam-ment par rapport à celui initialement envisagé ; et enfinle cas échéant la valeur médico-économique effective, envie réelle, du produit ;sur la base des données générées en post-inscription,l’évaluation de la valeur ajoutée pour la collectivité seraitconduite, permettant aux autorités de se prononcer surles conditions liées à la primo-inscription, et d’ajusteréventuellement le prix du médicament en conséquence,en cohérence avec le prix des médicaments ou des straté-gies thérapeutiques alternatives. Cet ajustement du prixpourrait être potentiellement effectué à la hausse ou à labaisse, et s’appliquerait, en fonction des accords conclus,

rétroactivement sur la période entre la mise sur le marchéet la mise à disposition des résultats de cette évaluation,dans l’objectif de garantir à la collectivité d’avoir engagéla juste dépense pendant cette période transitoire.

J.-N. Bail

La mise en œuvre de telles dispositions appellerait à cetade les pré-requis suivants :

déterminer les instances qui pourraient être parties pre-nantes à de tels accords : EMA, notamment pour le voletbénéfice-risque en vie réelle et valeur ajoutée thérapeu-tique en aval de l’AMM, et afin de faire levier sur desétudes internationales, Autorités de santé et de priseen charge au niveau national (Commission de la trans-parence, HAS, CEPS, DSS, DGS, DGOS) pour la prise encompte des spécificités des systèmes de santé et des pra-tiques médicales, des traitements de référence, et enfinles organismes payeurs et des représentants des patients ;s’assurer, grâce à un cadrage conventionnel, de la cohé-rence de l’action et des décisions de ces différentesinstances, entre niveau européen et niveau national, etau sein du niveau national, entre instances en charge res-pectivement de l’AMM et de son maintien, de l’évaluationmédico-économique, de la décision de prise en charge, duprix.

Par exemple, en France, les mécanismes convention-nels existants pourraient être étendus à d’autres acteursque le CEPS afin de disposer d’un cadre contractuelspécifique concernant la HAS (pour l’évaluation) et laCNAMTS (pour les données de suivi en vie réelle, selondes modalités à définir). Les textes réglementaires ou lescontrats-cadre correspondants pourraient être prévus parune disposition législative spécifique.

Au niveau européen, un cadre conventionnel pourraitégalement être mis en place afin d’assurer une cohérencedes travaux de suivi en vie réelle menés dans différentsÉtats-membres et d’optimiser les investissements corres-pondants à ces travaux potentiellement longs et coûteux ;dans ce cadre conventionnel, tous les acteurs impliqués(autorités, payeurs, représentants des patients, indus-triels) devraient avoir la possibilité de proposer de telsmécanismes pour un produit donné (idéalement en amontdes étapes de l’accès au marché), avec un engage-ment de principe des acteurs d’examiner ces propositionset d’engager leurs meilleurs efforts pour aboutir à unaccord ;les principes et méthodologies de mesure en vie réelle(en particulier les critères de performance individuels oupopulationnels, mesurés à court, moyen ou long terme. . .)devraient être précisés afin qu’ils soient assis sur untronc commun d’études post-AMM au niveau européen,voire international, non seulement pour bénéficier d’unebase patients élargie, mais aussi pour permettre d’allerdans le sens de la convergence de l’équité dans l’accèsaux soins pour tous les patient de l’UE. Ces principesméthodologiques devraient être compatibles avec lesusages cliniques et les systèmes de santé et de protec-tion sociale des différents pays, et devraient égalementfixer d’emblée les critères et seuils de déclenchement desdifférentes décisions d’ajustement envisagées ;tous les acteurs devraient enfin accepter la mise en œuvredes conséquences possibles de la réévaluation : sortie dupérimètre remboursable pour une indication ou un pro-duit, évolutions des recommandations pouvant conduire

à l’élargissement ou la réduction des populations-ciblesprises en charge, évolution du prix à la hausse ou à labaisse, mise en œuvre ou suppression des remises quan-titatives, etc.
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annuel 2010 Final.pdf [contrôlé juin 2013].[2] Rapport d’activité du comité économique des produits de

santé pour 2011, http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/RapportActivite CEPS Final 2011-2.pdf [contrôlé juin 2013].

Le remboursement conditionnel

Conclusion

À ce stade des discussions d’ores et déjà engagées aveccertains acteurs, et sur la base de l’initiation de certainespratiques intégrant des éléments de réflexions ci-dessus, lapoursuite du dialogue s’avère plus que jamais nécessaireentre toutes les parties prenantes, en faveur d’un accèsrapide, efficient et juste des patients francais et européensaux innovations.

Déclaration d’intérêts

Vice-président, laboratoire GlaxoSmithKline France,l’auteur s’exprime à titre personnel et déclare ne pas avoirde conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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éférences

1] Rapport d’activité du comité économique des produitsde santé pour 2010, www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport