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1
REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Université Larbi Ben M’Hidi * Oum El Bouaghi *
Faculté des Lettres et des Langues
Département De Français
Mémoire de Master
Thème :
Présenté par :
ZERARA Asma
Sous la direction de :
Mr : BOULAHBAL Karim
Devant le jury :
Président : FOUDI Sabrina
Rapporteur : BOULAHBAL Karim
Examinateur: BOUCHENE Karima
Promotion : 2013-2014
Le rôle de la langue dans l’appartenance identitaire
compliquée de Leila Sebbar dans
« JE NE PARLE PAS LA LANGUE DE MON PERE »
2
Dédicaces
Tout d’abord je remercie mon DIEU pour m’avoir donné la capacité et la force de
terminer ce modeste travail de recherche.
Je dédie ce mémoire à celle qui m’a donné la vie, le symbole de la tendresse, celle qui
s’est sacrifiée pour mon bonheur et ma réussite, à la prunelle de mes yeux, ma mère….
A mon père, l’école de mon enfance et mon ombre durant toutes ces années d’études,
celui qui a veillé toute sa vie à m’encourager et me protéger, que DIEU te garde pour
moi….
Quoi que fasse, je ne pourrais jamais vous récompenser pour les grands sacrifices que
vous avez faits et continuez de le faire pour moi, et aucune dédicace ne saurait
exprimer le profond amour que je porte pour vous….
A mes adorables sœurs : Amira et Amel que j’aime tant, et que j’essaye de suivre leur
pas dans le même domaine de recherche.
A mon seul et unique frère Walid et sa femme Karima.
A ma moitie, mon amie de cœur, ma confidente et mon autre moi Yasmine….. Ton
optimisme, ta joie de vivre, et ta bonne humeur ont fait de nos dix années d’amitié la
plus belle période de ma vie, que dieu te garde et te récompense parce que tu mérites
que le meilleur de cette vie.
A toutes personnes que j’aime, Je vous dédie ce travail.
3
Remerciements
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à mon directeur de recherche Mr Karim
Boulahbal pour ses conseils éclairés, et pour le temps qu’il a consacré à mon travail
malgré son emploi du temps chargé.
Je remercie aussi mes enseignants de licence du département de français de
l’université de Mentouri Constantine, ainsi que tous mes enseignants de Master de
L’université de Oum El Bouagui, c’est grâce à eux que je suis arrivée là.
Un grand merci aux membres de jury pour avoir accepter de juger ce travail de
recherche.
4
« Je suis née dans une maison où la langue de France est la Langue. La langue arabe
n'a pas droit de maison ni d'école. Mon père garde la langue de sa mère dans une
terre obscure, interdite, qu'il garde de la langue séductrice. Pas de rivalité entre l'une
et l'autre. L'ombre de la langue arabe la préserve. Comme s'il devait taire une langue
secrète, clandestine, mon père fait silence. La langue de mon père est maudite ? C'est
ce que je crois quand je franchis la clôture et parce que c'est la guerre. Mon père
m'aurait protégée du diable ? Les filles de la colonie me le disent, l'autre langue, la
sournoise, la félonne, langue de l'enfer sous terre, la langue de mon père est maudite
et avec elle son peuple, pas sa terre conquise, la terre est française, la langue
algérienne » (1)
_______________________________________________________________________
(1)-L’ombre de la langue. Nouvelle parue dans L'ombre - A sombra, p. 135- 136, Sigila, revue transdisciplinaire Franco-portugaise sur le secret, automne hiver 2005, Gris-France.
5
Sommaire
Introduction …………………………………………
Première partie :
La double appartenance et l’écriture chez Leila Sebbar.
Chapitre1 : La double appartenance de Leila Sebbar .
1-1-L’appartenance compliquée de l’écrivaine. ………………..
1-2-Une écrivaine d’exil……………………………………………………
Chapitre2 : L’écriture chez Leila Sebbar.
2-1-L’écriture autobiographique chez Leila Sebbar…………………..
2-2-L’écriture : Un moyen d’échapper à la solitude…………………
Deuxième partie : L’autobiographie et l’autofiction.
1-1- L’autobiographie…………………………………
1- 2 -L’autofiction………………………………………...
6
Troisième partie :
Le silence du père et de la langue
Chapitre1 : Le père et la langue paternelle.
1-1-Le silence du père……………………………………………
1-2-L’exil de la langue du père………………………………..
Chapitre2 : La langue maternelle.
2-1-Le français, langue citadelle…………………………………..
2-2-Le français, langue d’accueil et de
communication……………………………………………………………
Conclusion………………...…………………………………………..
Bibliographie…………...………………………………………………
Sitographie…………………..……………………………………………
Résumés
7
Introduction
8
Introduction
En 1979, préfaçant le roman de Yamina Mechakra, « La Grotte éclatée », Kateb
Yacine eut cette phrase choc restée à la postérité et devenue frontispice de tout
travail sur la littérature féminine algérienne : « Actuellement, en Algérie, une femme
qui écrit vaut son pesant de poudre ».
Après des débuts timides et hésitants au siècle écoulé, les écrivaines
algériennes d'expression française, sont en train de s'imposer sur le plan
international, où elles sont de plus en plus présentes...
Et la littérature algérienne féminine d'expression française a vu trois générations,
chacune d’elles traitait des thèmes différents selon les circonstances de vie.
Nous allons parler directement de la troisième génération qui avait comme
thématique principale l’exil, avec des interrogations sur la question du métissage.
La raison de cet exil, est le grand déplacement des immigrations postcoloniales, ce
dernier qui va déclencher tout un processus de mise en question du concept de
l’identité.
L’identité devient alors un thème privilégié chez les écrivains vivant dans l’entre deux,
qui se sentent obligés d’adopter les cultures, et dans le cas de Leila Sebbar la langue
aussi de l’autre.
Afin d’atteindre notre objectif, nous nous sommes permis d’explorer des pans de la
vie de l’écrivaine, ce qui nous permettra d’adhérer à son choix d’un écrit
autobiographique dans « Je ne parle pas la langue de mon père ».
9
Leïla Sebbar est Née le 19 novembre 1941 à Aflou (hauts plateaux), d’un père
algérien (républicain musulman) et d’une mère française, tous deux Instituteurs de
français dans l’école de la république. Elle quitte l’Algérie à ses dix-huit ans pour Aix-
en–Provence et Paris, où elle fait des études supérieurs en Lettres.
Elle enseigne dans un lycée parisien et collabore à diverses revues, dont Les Temps
Modernes, La Quinzaine Littéraire, La Lettre Internationale, Sans Frontière,
L’Actualité de l’Émigration. Elle collabore depuis plusieurs années au Panorama de
France-Culture.
Elle publie des essais, dont « On tue les petites filles » (Paris, Stock, 1978) ; des
romans et récits : « La Seine était rouge » (Thierry Magnier, Paris, octobre 1961) ; «Le
pédophile et la maman » (Stock, Paris 1980); « Fatima ou les Algériennes au square »
(récit ; 1981) ; « Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux Verts » (roman ;1982) ; « Le
Chinois vert d’Afrique » (roman : 1984) ; « Parle mon fils parle à ta mère » (récit;
1984) ; « Les carnets de Shérazade » (roman ; 1985) ; J.H. cherche âme sœur (roman ;
1987) ; « Le fou de Shérazade » (1991) Paris, chez Stock. « Lettres parisiennes, avec
Nancy Huston » (autopsie de l’exil ; Paris, Barrault, 1986, J’ai lu, 1999). Leïla Sebbar a
également publié plusieurs textes de nouvelles et de notes d’essayiste.
« Ses écrits, pour certains autobiographiques, sont le fil qui recoud la déchirure entre
l’Algérie et la France »(1).
Elle centre son travail de recherche sur les représentations du « bon nègre » dans la
littérature coloniale du XVIIIe siècle et sur l'éducation des filles au XIXe siècle.
______________________________________________________________________
1 ACHOUR. Christiane, Anthologie de la littérature algérienne de langue française, Bordas. Paris. Janvier 1990, p. 302-303.
10
Leïla Sebbar est l'auteure de nombreux essais, nouvelles et romans. Ses livres
mettent en scène les croisements d'amour et de violence des rives nord et sud de la
Méditerranée, Orient/Occident, Maghreb/France.
Elle a notamment publié:
« Nouvelles de la guerre d'Algérie, trente ans après », Nouvelles (Le Monde éditions,
Paris 1992); « Le silence des rives » (Stock, Paris, 1993, Prix Kateb Yacine) ; « Algérie,
textes et dessins inédits pour l'Algérie » (Le Fennec, Casablanca, 1995) ; « La jeune
fille au balcon », Seuil, coll. Point Virgule, 2001. « Soldats », nouvelles (Seuil, 1996) ;
Elle a dirigé des recueils de récits d’enfance, dont « Une enfance algérienne »
Gallimard, coll. Folio, 1997) ;
« Une enfance outremer » (Seuil, 2001) ;
« Une enfance d’ailleurs, 17 écrivains racontent » (Belfond, 1993, « J’ai lu », 2002) ;
« Femmes d’Afrique du Nord, cartes postales » (1885-1930) avec Jean-
Michel Belorgey (Bleu autour, 2002) ;
« Je ne parle pas la langue de mon père » (Julliard, Paris, 2003) ;
« Mes Algéries en France, carnet de voyage »(Bleu autour, 2004. Sept
filles, Thierry Magnier, Paris, 2003) ;
« Les Algériens au café »(Al Manar, Neuilly/Seine, 2003) ;
« Isabelle l’Algérien » (Al Manar, Neuilly/Seine, 2005) ;
« Les femmes au bain » (bleu autour, 2006) ;
« Mon père » (Chèvres feuilles, Montpellier, 2007).
Ses œuvres sont traversées par les thèmes de l'identité, de l'exil, de la mémoire, de la
langue et de la guerre.
Après avoir donné quelques éléments biographiques de l’auteur permettant de
mieux la connaitre, nous allons passer au corpus.
11
L’édition consultée est celle de 2003.
Leila Sebbar est le fruit d’un mariage mixte entre un père d’origine
algérienne, et une mère française, tous deux instituteurs dans la même langue.
Le père de l’écrivaine n’a pas seulement adopté la langue de sa femme, mais aussi le
mode de vie, on parlait exclusivement le français à la maison, on s’habillait à la
française aussi avec des mini jupes, ce qui les différenciait des autres filles du village,
mais aussi ce qui les attiraient des insultes lancées en arabe par les garçons du
quartier ,une grossièreté et une vulgarité qu’elles n’avaient jamais touché chez leurs
servantes Aicha et Fatima, ni d’ailleurs chez leur tantes paternelles qu’elles visitaient
avec leur père.
Donc le père a pris la décision de nier sa langue maternelle qui est l’arabe, mais aussi
de ne jamais répondre aux questions de sa fille concernant son passé, ce qui a
déclenché le thème principal abordé qui est le silence de la langue et du père.
Leila Sebbar fait de la langue l’un des thèmes principaux de ses récits, d’ailleurs dans
notre corpus elle l’aborde dés le titre, et elle termine son récit Je ne parle pas la
langue de mon père avec une remarque bien précise :
« Je n'apprendrai pas la langue de mon père.
Je veux l'entendre, au hasard de mes pérégrinations. Entendre la
voix de l'étranger bien-aimé, la voix de la terre et du corps de mon père
que j'écris dans la langue de ma mère. »
En lisant ce passage nous avons l’impression que Leila Sebbar rejette, voir même
renie la langue de son père et de son pays natal là ou elle a passé dix huit ans, ce qui
explique la relation ambigüe qu’entretient l’écrivaine avec l’arabe qu’elle refuse qu’il
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soit réduit à un simple outil de communication, car elle veut l’entendre et l’apprécier
pour son cote mélodieux.
Leila Sebbar parle des deux langues dans ce livre, Si le français est la langue de l’école
et du colonisateur, ensuite devenue sa langue de l'écriture et la seule langue qu'elle
parle, l'arabe est la langue de l'émotion et de la terre algérienne dont elle est exilée.
Je ne parle pas la langue de mon père, ce récit aux fortes empreintes
autobiographiques est une sorte de méditation sur son identité compliquée et ses
doubles racines, et Leila Sebbar fait appel à ses souvenirs d’enfance et plonge dans
son imagination pour nous raconter une période passée en Algérie, Une Algérie
troublée par le colonisateur, une colonie française.
D’ailleurs à l’époque le nom du père figurait sur la liste noire de L’OAS, car son statut
d’enseignant de la langue française le mettait dans une catégorie que le colonisateur
voulait éliminer à tout prix, ce que Leila Sebbar a appris bien après.
Ce livre est d'abord et avant tout une sorte d’hommage pour le père, car si l’écrivaine
dédie l'ouvrage « à ma mère, à mon frère et à mes sœurs, à mes fils », et écarte son
père c’est parce qu’il est présent partout dans le livre.
Et pour compléter son travail de mémoire, Leila Sebbar n’a pas hésité à inventer des
personnages (fils de Aicha et de Fatima), des rencontres et des conversations qui
auraient pu avoir lieu. Chose qu’elle n’avait pas nié et qu’elle avait dénoncé à la fin du
livre.
Leila Sebbar se trouve dans une situation délicate, car elle n’a jamais pu se
situer par rapport à son identité de fracture, une identité qui s’est développée entre
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son origine algérienne arabe musulmane, et entre l’exil en France là ou elle a senti ce
dernier dans ses trois dimensions : géographique, son exil par rapport à son père et
surtout l’exil par rapport à la langue du père. Ce dernier a fait de la langue arabe le
thème le plus récurrent et le plus abordé dans ses récits, cette langue mystère qu’elle
ne retenait d’elle que les sons, à cet effet nous avons eu la conviction qu’il était
pertinent de nous lancer dans ce travail de recherche dans le rôle de la langue
paternelle dans la construction identitaire de Leila Sebbar dans « Je ne parle pas la
langue de mon père ».
Et pour parvenir à cet objectif nous nous sommes, alors, posé les questions
suivantes :
« Je ne parle pas la langue de mon père » est le titre du roman de Sebbar, il révèle
que la langue est centrale dans ce récit, mais pourquoi cette forme négative du titre ?
Tous les sept autres chapitres portent des épigraphes différentes, toutes mises à la
forme négative portant à la fois sur la langue et les relations familiales, de là nous
nous demandons pourquoi une telle organisation de la part de l’écrivaine ?
La langue joue un rôle important par rapport à l’identité et elle est abordée dés le
titre, pourquoi ce besoin constant de parler de la langue de son père qu’elle a passé
toute son enfance avec lui ? Et est ce que cette période n’est pas suffisante pour elle
d’apprendre la langue de son pays natal ?
L’importance de la langue traverse tout le récit et porte Leila Sebbar à se plaindre de
cet isolement imposé par le choix de son père, qu’est ce qui a poussé le père à éviter
l’usage de l’arabe avec ses enfants ?
La langue est un symbole d’identité, les individus s’en servent pour affirmer
leur identité en fonction de la langue qu’ils parlent, Leila Sebbar révèle dés le
titre du roman que la langue était un obstacle pour elle pour construire son
14
identité. De là notre problématique qui se pose est le rôle et l’importance de la
langue de son père pour lui donner un sens de l’appartenance identitaire dans
« je ne parle pas la langue de mon père », une appartenance qui émane d’un
croisement entre les deux rives de la méditerranée. Dans ce registre, pourquoi
le père a écarté l’usage de la langue arabe avec ses enfants ?
Pour pouvoir trouver des réponses concrètes à ces questions, nous avons
émis les hypothèses suivantes :
Nous pensons que le titre du récit est venu de cette manière pour confirmer que la
langue arabe était si proche de l’écrivaine qui l’écoutait souvent, mais ne pouvait pas
la comprendre.
L’organisation des chapitres est venue au fur et à mesure que l’écrivaine racontait,
son enfance d’abord au village de Hennaya, ensuite en se remémorant des
événements et des personnages rencontrés en Algérie.
Nous avons l’impression que l’écrivaine ne cherchait pas à la comprendre d’ailleurs
car huit ans passées en Algérie sont suffisante pour apprendre n’importe qu’elle
autre langue.
La mère est française, nous suggérons que peut être c’est par rapport à elle que le
père a pris cette décision de ne pas parler sa langue et de ne pas l’apprendre à ses
enfants, c’est comme une sorte de fascination par cette femme venue de France.
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Dans notre travail de recherche sur Je ne parle pas la langue de mon père,
cette importante œuvre de Leila Sebbar qui représente un travail vital de mémoire
pour elle, nous allons tenter d’éclaircir le point de sa complexité identitaire, et le rôle
du père et de sa langue dans cette complexité.
Notre travail comporte trois parties alors, dans la première partie intitulé La double
appartenance et l’écriture chez Leila Sebbar.
Nous avons abordé deux thèmes récurrents dans cette œuvre à travers deux
chapitres qui sont : l’appartenance compliquée de l’écrivaine liée à son exil en France,
et l’écriture autobiographique chez L’écrivaine, une écriture qui a servi de moyen
pour échapper à sa solitude et pour exprimer sa nostalgie vis-à-vis de son pays natal,
de son père, et de la langue du père.
La deuxième partie est théorique ; elle convoque les outils nécessaires à notre
analyse, Ainsi nous avons dans un premier temps fait référence à
L’autobiographie selon Philippe Lejeune et Gérard Genette, Par la suite la référence à
l’autofiction selon Doubrovsky et Ph Gasparini.
Nous avons essayé de comprendre et d’expliquer si cette fiction inventée par Leila
Sebbar, est juste une pure imagination, ou bien un idéal qu’elle aurait voulu que ce
soit vrai.
La troisième partie enfin, est consacrée à l’analyse textuelle. L’intitulé de cette partie
est Le silence du père et de la langue, dans le premier chapitre consacré au père et à
son silence nous avons essayé d’éclaircir les raisons de ce silence et l’impact de ce
silence sur l’écrivaine. Le deuxième chapitre est consacré à la langue maternelle, la
langue française, une langue de beauté qui a servi de carapace pour les filles de la
française pendant la période passée en Algérie, ensuite qui a servi de moyen de
communication et d’écriture en exil.
16
PREMIERE PARTIE
La double appartenance et l’écriture chez Leila
Sebbar
17
Chapitre I
1-1 L’appartenance compliquée de l’écrivaine
Nous pourrons présenter une biographie de Leïla Sebbar en utilisant le titre d'un
article qu'elle a donné à la revue Intersignes (printemps 1991) : "Le corps de mon père
dans la langue de ma mère". Elle y explique qu'elle est "la fille d'un Arabe et d'une
Française, ce qui, soit pendant la colonisation, c'est-à-dire pour l'Algérie jusqu'en
1962, soit après l'indépendance de ce pays devenu un Etat nationaliste et musulman,
représente une situation complexe, sinon conflictuelle".
Leïla Sebbar est née en Algérie à Aflou le 19 novembre 1941 pendant la colonisation,
d’un père algérien et d’une mère française, tous deux instituteurs. Adolescente, et
citoyenne française par sa mère, elle quitte l'Algérie indépendante pour la France en
1963.
Aujourd'hui, quand nous lui demandons comment elle se situe en tant qu'écrivain,
Leïla Sebbar a bien du mal à répondre. Elle n'est ni écrivaine algérienne, ni écrivaine
maghrébine de langue française, puisque le français est sa langue maternelle, ni
écrivaine "beur", puisqu'elle n'a pas vécu l'immigration. Alors elle répond écrivain
français.
« Je suis dans une situation un peu particulière, ni beure, ni maghrébine, ni tout à fait
française. Je n’échapperai pas à la division biologique d’où je suis née. Rien, je le sais,
ne préviendra jamais, n’abolira la rupture première, essentielle : mon père arabe, ma
mère française, mon père musulman, ma mère chrétienne, mon père citadin d’une
ville maritime, ma mère terrienne à l’intérieur de la France » (1)
______________________________________________________________________
1- M. Laronde. Autour du roman beur. Immigration et identité, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 166.in Introduction
18
Elle affirme que : « C’est en écrivant des lettres sur l’exil lors d’un échange avec mon amie Nancy
Huston que j’ai réfléchi à cette notion d’exil, aux exils multiples, à cette situation
particulière, singulière, qui me constitue. Je dois préciser avant tout que je suis le
Produit de deux exils : l’exil géographique de ma mère : de la Dordogne à une école
des Hauts Plateaux en Algérie, […]. L’exil de mon père, linguistique, culturel, politique :
de l’arabe maternel à la langue française (qu’il enseigne…) ; de la religion musulmane
qu’il n’a jamais abandonnée, à la mission laïque qu’il s’est assignée dans l’école de la
République française […] ; de la culture arabo-musulmane qu’il reçoit de sa famille et
à l’école coranique, à la culture française classique et moderne […] J’hérite donc d’un
double exil, l’exil paternel problématique, l’exil maternel qui ne souffre pas du poids
de la colonie comme celui de mon père . »(1)
Les écrits de notre écrivaine n’arrêtent pas d’examiner et de parler des liens qui
existent entre l’Algérie et la France, la relation entre les deux cultures et les deux
langues ,Leila Sebbar revient toujours sur son histoire, que ce soit dans « Je ne parle
pas la langue de mon père », ou bien dans d’autres livres autobiographiques dont
nous allons citer brièvement dans cette partie, pour nous parler de son père ,de sa
mère, de sa famille, et aussi de l’Algérie .
Leïla Sebbar est une enseignante, journaliste, et écrivaine dont la plupart de ses
livres entrent dans la rubrique du « roman », Notre écrivaine est considérée
généralement comme française car le français est sa langue maternelle.
Au cours de ses études supérieures de lettres à Paris, elle a mené des recherches sur
la littérature coloniale au dix-huitième siècle et sur l'éducation des filles au dix-
neuvième.
1-Leila Sebbar, « l’exil en héritage », cité in
19
« Je suis une femme dans l’exil, c’est-à-dire à la lisière, frontalière ; en position de
franc-tireur, à l’écart, au bord toujours, d’un côté et de l’autre, en déséquilibre
permanent. Un déséquilibre qui aujourd’hui …me fait exister, me fait écrire. »(1)
A travers ce chapitre, nous nous attacherons à expliquer la quête identitaire
effectuée par le personnage principal et l’auteur de notre roman Leila Sebbar. Cette
quête est un mouvement qui ne s’arrête pas car pour trouver son identité l’individu
ne doit pas cesser de la chercher et de fonder une nouvelle identité, et pour notre
écrivaine le moyen de sa recherche c’est l’écriture.
Nous pouvons reconnaître dans le livre de Leïla Sebbar deux principales, qui
s’entrecroisent, Il s'agit d'une part de la condition de la femme dans une société,
arabe, musulmane, et surtout qui endurait la colonisation française.
(Aicha et Fatima, mais aussi les sœurs de son père), d’autre part l’exil qui est le thème
le plus abordé dans le livre, et l’écrivaine a traité ce concept dans ses trois
dimensions : l’exil par rapport à son père, l’exil par rapport à la langue de son père, et
l’exil géographique, ce que nous allons essayer d’expliquer ultérieurement.
L’identité c’est naitre avec une nationalité, mais cette identité que nous avons
aujourd’hui, n’a pas été toujours là, nous l’avons acquise au fil de notre vécu dans la
société .Et pour pouvoir analyser le roman sous « l’aspect de l’identité » il nous faut
d’abord éclairer la notion : « L’identité apparaît au premier regard comme une
donnée substantielle (tout ce qui me constitue dans ma singularité, tous les attributs
qui me définissent), elle se révèle à l’analyse davantage comme un processus
dynamique que tendent à concilier les dimensions contradictoires qui concourent à la
construction de soi et à son évolution.»(2)
1- Leïla, Sebbar. Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil, avec Nancy Huston, 1986
2- Edmond Marc, Psychologie de l’identité soi et le groupe, Belgique, DUNOD, 2005, p. 3
20
Le concept d’identité peut être associé à l'ensemble des changements et des actions
par lequel l’individu ou bien la personne se différencie d’une autre, Cependant
l’identité, c’est elle qui nous rend à la fois semblable et différents des autres.
Donc c’est le résultat de deux aspects contradictoires : notre différence et notre
similitude avec les autres individus d’une même société, ça veut dire que notre
identité que nous avons aujourd’hui, c’est nous que nous l’avons gagné et construite,
ce qui veut dire que nous l’avons acquise au fil de notre vécu dans la société.
C’est ce travail là que Leila Sebbar tente de nous faire comprendre dans ses œuvres ;
pour elle écrire, c’est lui donner une identité c'est-à-dire une mémoire algérienne
qu’elle tente de fabriquer et dont elle retrouve cette complexité.
Le roman a un protagoniste qui est d’origine mixte à cause de ses parents (père
algérien-mère française), qui a vécu dix huit ans en Algérie ensuite qui est partie
s’installer en France jusqu’aujourd’hui, et qui a connu deux langues différentes qui
sont : l’arabe et le français, donc tout cela la Place dans une position ambiguë, de là
nous pouvons remarquer que Le sentiment de ne pas appartenir imprègne le roman.
Dans Je ne parle pas la langue de mon père la narratrice raconte son enfance en
Algérie où la famille mène une vie française. On parle exclusivement le français à la
maison, et les petites filles de la famille Sebbar qui sont notre écrivaine et sa sœur
portaient des jupes courtes, jugées trop courtes par les gens musulmans qui les
entouraient.
Elles sont devenues des « filles de la citadelle hermétique que leur mère, la Française,
habillait trop court à la manière des Nazaréens dévergondés » (p 41).
Donc, elles n’étaient pas tout à fait des filles comme les autres filles algériennes
qu’elles rencontraient dans la cours de l’école.
21
Par les yeux de Fatima et Aicha, «…je n’aurais pas pu écrire cette histoire avec
d’autres prénoms, pour moi c’est Aicha et Fatima depuis toujours et c’était impossible
pour moi que je les dénomme »(1) , Ces bonnes qui travaillent chez les Sebbar, la
narratrice les décrit comme « des êtres de légende, attachants parce qu’ils son
étranges, insaisissables, en même temps familiers parce qu’ils peuvent rire et pleurer
avec les gestes des êtres humains » p( 60-61).
Ces jupes trop courtes ont causé beaucoup de problèmes au filles du directeur (notre
écrivaine et ses sœurs) sous forme de harcèlements.« …Les petites filles étrangères
qu’on insultait à distance, les filles du directeur qu’on n’approchait pas »(p 36),cette
scène qui se répétait toujours à la sortie des filles de l’école ,nous allons revenir tout
à l’heur sur ce point pour parler du silence du père face à ce harcèlement vis-à-vis de
ses filles, mais aussi pour parler de la langue dont les garçons prononçait et dont les
filles ne comprenait pas (l’arabe).
Leïla vit donc dans le monde français que le foyer, cette « citadelle
hermétique »constitue, et nous avons remarqué que l’isolement des filles est imposé
en quelque sorte par leur père, ce père qui apparaît comme le seul lien à la culture et
au pays qui est après tout leur pays natal. Il représente la culture algérienne de
laquelle notre écrivaine est coupée, et la langue arabe qu’elle ne maîtrise pas aussi.
Donc « Je ne parle pas la langue de mon père » ,ce récit aux fortes empreintes
autobiographiques ou l’écrivaine fait appel à ses souvenirs d’enfance et plonge dans
son imagination, pour enfin s’attarder sur une période bien précise pour nous
raconter une période de sa vie passée en Algérie .
______________________________________________________________________
1-Entretient DE TANIA TERVONEN, en février 2003, je ne parle pas la langue de mon père, Leila Sebbar.
22
1-2 Une écrivaine d’exil :
Leïla Sebbar est certes en exil où qu’elle aille, parce qu’elle a hérité de l’exil du père
et de la mère, et l’exil reste le lieu de tous les manques.
Les auteures maghrébines de langue française sont très sensibles à la langue, (ce qui
est le cas de notre écrivaine), parce qu’elles grandissent dans une région
géographique où il y a une langue dominante qui n’est pas la leur et dans le cas de
notre écrivaine c’est le français.
C’est le vécu de Leila Sebbar qui détermine le sentiment d’exil, celui-ci remonte à
l’enfance de notre écrivaine, et à l’isolement imposé par le père instituteur dans
l’école des garçons indigènes.
Et c’est dans «Leïla Sebbar Lettres parisiennes : autopsie de l'exil »(1), cet échange
épistolaire entre Nancy Houston et Leïla Sebbar, deux femmes qui se sont écrit en
français, de Paris à Paris. La première vient du Canada, la seconde, d'Algérie.
Leur sujet principal était l’exil dans un pays étranger et la vie de tous les jours avec
une nationalité différente. Nous avons deux femmes, d’une part notre écrivaine qui
avait le mal du pays, avec un coté pessimiste, et de l’autre coté la canadienne qui ne
se sentait pas en exil et qui avait beaucoup d’optimisme.
« Deux femmes s’écrivent (……..)Décident de s’écrire des lettres d’exil » (p5).
L’école du village de Hennaya, prés de Tlemcen était le lieu « fondateur » (p79),
comme le rappelle Leila Sebbar. Mais à Paris, c’est le sentiment d’être exilée qui a
motivé notre écrivaine et a fait naitre en elle le désir de l’écriture. L’écrivaine
explique aussi que l’exil lui a permis d’observer et de comprendre plus.
______________________________________________________________________
(1)Lettres parisiennes : Autopsie de l’exil, écrit en collaboration avec Nancy Huston, Barrault, 1986, J’ai lu, 1999.
23
L’auteur de notre roman est le produit non seulement de l’exil géographique (Algérie
France), mais aussi d’un exil paternel, ce dernier qui a mené à plusieurs autres exils :
exil linguistique-culturel-de religion…
De là nous pouvons constater que ces multiples exils sont la raison principale de sa
production littéraire.
Leila Sebbar sait qu’elle est en exil du pays de son enfance, de l’ouest algérien, ou elle
n’a jamais voulu retourner dans un premier temps ; mais c’est cet exil qui l’a construit
et l’a constitué, et cela Sebbar l’a bien comprise, elle le dit souvent d’ailleurs, que
l’exil n’est pas seulement le lieu de tous les manques, c’est aussi le lieu de tous les
possibles :
« Quand je dis : « J’ai besoin d’être séparée de l’Algérie, j’ai besoin d’être séparée de
la langue de mon père - pour écrire ! -, je veux dire que c’est pour cette raison que je
n’apprends pas l’arabe, et c’est pour cette raison, je pense, que je ne vais pas là où je
veux profondément aller, en Algérie. J’ai le sentiment que si j’allais dans ces endroits-
là, où je ne suis pas allée encore, je n’écrirais plus. Je ne suis pas sûre de ça ; mais<
c’est ce que je crois. (Longue pause) C’est l’absence, c’est l’exil qui me fait écrire, et si
l’absence, et si l’exil n’est plus là – si j’apprends la langue de mon père – j’ai plus
besoin d’écrire. Quand je peux aller en Algérie comme je le désire, cela signifierait que
je n’écrirais plus et que je n’ai plus rien à écrire – et à dire ! Ça, ça arrivera si je peux
aller en Algérie suivant mon propre désir< et dans les lieux d’enfance. »(1)
______________________________________________________________________
(1)- Sebbar, Geyss « L’utopie de l’écriture. Entretien avec Leïla Sebbar ». Paris, le 27 septembre 2007
24
Leïla Sebbar est certes en exil où qu’elle aille, parce que l’exil s’hérite, et notre
écrivaine l’a hérité de l’exil du père et de la mère. L’exil est le lieu de tous les
manques, Mais elle a compris que l’exil est aussi le lieu de tous les possibles. Et
qu’elle a besoin des manques, des non-dits, des blancs pour écrire : « Il faut que je
fasse attention, parce que parfois j’ai peur que ce travail de d’aller comme ça au plus
près du réel arrête l’inspiration empêche la fiction. Parfois, ça me fait peur. »(1)
L’exil et la migration sont le résultat évident de l’écriture, ce qui est le cas de
plusieurs autres écrivaines maghrébines comme : Assia Djebbar dans « L’Amour, la
fantasia »(2), Malika Mokeddem dans « La Transe des insoumis »(3), et Nina Bouraoui dans
« Garçon manqué »(4).
Notre identité est formée principalement à partir de notre origine géographique, et
notre milieu social, or pour une personne exilée(le cas de notre écrivaine), la situation
devient plus compliquée, car en plus du lieu d’origine s’ajoute le lieu du déplacement
géographique étranger (la France dans le cas de Leila Sebbar), une autre vie, une
société différente, une religion différente, mais surtout une mentalité très
différente….
______________________________________________________________________
1- Sebbar, Geyss « L’utopie de l’écriture, Interview avec Leïla Sebbar ». Paris, le 27 septembre 2007.
2- Assia Djebbar, L'Amour, la fantasia, roman, Paris, 1985.
3- Malika Mokeddem, La Transe des insoumis, Paris, Grasset, 2003.
4- Nina Bouraoui, Garçon Manqué, Paris, Stock, 2000.
25
2-1 L’ECRITURE AUTOBIOGRAPHIQUE CHEZ LEILA SEBBAR :
L’objet de notre étude « je ne parle pas la langue de mon père »est un récit
autobiographique, la romancière écrit que ce résumé biographique « [permet] de ne
Pas se perdre dans les méandres de la mémoire » (p 9), mais ce n’est ni le seul ni le
premier livre autobiographique de Leila Sebbar.
Déjà dans « Le silence des rives » (1993) (1), le nom de la mère apparaissait “toujours
lié à un concept linguistique – langue, mots - pour bien mettre en évidence
l’importance de cette maternité fondatrice de l’écrit”:(2)
«Qui me dira les mots de ma mère?
Et qui parlera la langue de ma terre à mon oreille, dans le silence de l’autre rive?»(3)
Ce livre qui est considéré comme une très belle parabole sur l’exil et la mémoire, ou
l’écrivaine ne donne aucun prénom aux personnages mais c’est plutôt : la mère –le
père et la sœur.
C’est l’histoire de ces femmes qui sont restées au bled attendant des maris qu’elles
n’ont pas choisis, elles attendent le mari qui viendra un jour pour réparer la demeure
qui s’est effondrée pendant leur absence.
C’est l’histoire aussi de ces maris qui sont partis chercher une vie meilleure pour eux
et pour leur famille de l’autre côté de la mer, mais malgré la promesse faite à la
mère, à l’épouse, ils ne sont jamais revenus pour consolider la maison et rassembler
la famille.
______________________________________________________________________
(1) L. Sebbar, Le silence des rives, Paris, Stock, 1993.
(2) S. D. Ménager, “Sur la forme du roman de Leila Sebbar: Le silence des rives”, in Etudes francophones, vol XII, 2,
p. 56.
(3) L. Sebbar, Le silence des rives, Paris, Stock, 1993, p. 53.
26
Tandis que dans « Le fou de Shérazade » (1994) (1), le troisième volet d’une trilogie
qui a la forme d’un roman d’initiation, le personnage principal découvrait
tardivement le sens phonétique de son propre nom en langue arabe:
- Vous ne m’avez pas dit votre nom.
- Shérazade
- Shéhérazade. Mais pourquoi le prononcez-vous à la française? Vous perdez la syllabe
la plus suave, la plus orientale...
Shérazade regarde la vielle dame, stupéfaite. Jamais on ne lui a ainsi parlé de son
nom, de la syllabe perdue...(2)
« Le fou de Shérazade » appartient à une série de trois récits d’aventures pour
suivre le parcours d’une adolescente. Le premier, « Shérazade, 17 ans, brune,
frisée, les yeux verts »(3) , retrace dans un registre à la fois drôle, extravagant et
réaliste, les dérives et les aventures d’une fille qui veut s’évader de la banlieue, et
ses rencontres dans Paris. Cette jeune fille insoumise et rebelle qui trainait dans la
ville et dont l’un de ses endroits préférés étaient les bibliothèques, et côtoie les
univers les plus sombres (drogue, prostitution) à la recherche de son identité et de
sa liberté.
Ses aventures se poursuivent avec « Les carnets de Shérazade »(4), (même éditeur,
1985) où elle trace à travers la France sa propre géographie lyrique et amoureuse
et invente, au fil de ses cahiers, une terre nouvelle à la croisée de l’Occident et de
l’Orient.
___________________________________________________________________
(1) L. Sebbar, Le fou de Shérazade, Paris, Stock, 1994.
(2) L. Sebbar, Le fou de Shérazade, Paris, Stock, 1994, pp. 163-164.
(3)L .Sebbar, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, Paris, Stock, 1982.
(4)L .SEBBAR, Les carnets de Shérazade, Paris, Stock, 1985.
27
Mis à part les livres de Leila Sebbar que nous venons de citer, nous devons parler
d’autres écrits de la romancière qui partagent les mêmes idées de notre corpus :
Tout d’abord deux recueils de nouvelles : « La jeune fille au balcon »(1),
et « Soldats »(2) , le premier recueil parle tour à tour des deux lieux de narration que
sont l’Algérie et la France et s’attache à montrer les liens qu’entretiennent les enfants
d’immigrés avec les autres à travers la différence des deux cultures, Des rencontres à
la fois difficiles et enrichissantes.
Les sept récits du second recueil parlent, quant à eux, d’enfants guerriers projetés
dans une situation qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils ne maîtrisent pas étant confrontés à
tous les malheurs qu’entraîne la guerre : mort, exode, famine, etc.
Nous pouvons constater que la perte de la langue et de la culture de son père sont
toujours là à pousser l’écrivaine dans le sens de l’écriture pour mieux comprendre,
donc avant le récit autobiographique « Je ne parle pas la langue de mon père »(3),
Leila Sebbar produit « Si je parle la langue de ma mère » (4) ,publié dix ans avant ,ce
livre est un symbole du trouble que Sebbar ressent envers la difficulté de son identité
contradictoire ,ou elle nous raconte sa propre expérience à travers une interrogation
et une méditation sur le nom propre, et son influence sur l’identité culturelle.
Nous trouvons aussi dans « L’arabe comme un chant secret »(5), un témoignage très
personnel et très émouvant sur son attachement à la question qui se pose toujours et
qui est : comment vivre séparée de la langue de son père, l’Arabe ?
______________________________________________________________________
(1) La jeune fille au balcon, Editions du Seuil, coll. Points Virgule, 2001.
(2) Soldats, Edition du Seuil, coll. Fictions, 1999.
(3) Je ne parle pas la langue de mon père, Editions Julliard, 2003.
(4) Si je parle la langue de ma mère, Les temps modernes, 1978.
(5) L’arabe comme un chant secret, Bleu autour, 2007, 2010.
28
Ce livre regroupe plusieurs textes de l'auteure sur un même thème, de beaux textes
sur le rôle de la langue, de la double culture interdite, du colonialisme, de
"l'intégration" ou plutôt de la désintégration de la culture d'origine, du non-dit avec
le père, de la colère de la mère face à ce reproche de l'avoir coupée de ses racines, de
la famille de son père...
À travers six textes courts, Leïla Sebbar réfléchit sur sa condition de femme écrivaine
et s’interroge sur le manque de la « non transmission » de l’arabe, la langue du père.
Nous pouvons constater que les thèmes abordés dans ce livre se ressemblent
beaucoup avec ceux de notre livre, « Je ne parle pas la langue de mon père », ou
Leila Sebbar parle du père instituteur, de la langue française, et que dans cette même
langue le père communiquait avec sa femme et ses enfants.
Notre dernier exemple sur l’écriture autobiographique de Leila Sebbar sera son livre
publié en1984 intitulé, «Parle mon fils, parle à ta mère »(2), ce monologue d’une
mère originaire du Maghreb mais installée en France dans une banlieue , face à son
fils venu lui rendre visite après de longs voyages, Par amour pour lui, elle lui parle de
la vie, de son père, de ce qu’elle voudrait lui transmettre, de la femme qu’il lui
faudrait, Sa cousine qui semble parfaite selon elle.
Leïla Sebbar a écrit de nombreux ouvrages sur le thème de l’Algérie, de l’exil, de
l’identité …
D’après tous ces exemples que nous venons de citer dans ce chapitre, nous pouvons
constater que le manque ou bien la difficulté de communication au sein de la famille,
entre parents et enfants est présente avec une force frappante, le silence de la
langue aussi, tout cela est caractérisée par une écriture autobiographique de la part
de Leila Sebbar.
______________________________________________________________________
(1) L, Sebbar, Parle mon fils, parle à ta mère, Stock, 1984.
29
2-2 L’écriture : un moyen d’échapper à la solitude :
À travers ce travail de mémoire et de construction identitaire, Leïla Sebbar, parle
souvent de l’enfance, ce moment fondateur qui construit ou détruit l’adulte dans
l’avenir. Son écriture est ainsi adressée aux lecteurs qui sauront être sensible à ces
questions à la fois singulières et universelles, et encore plus ces adolescents issus de
l’immigration qui retrouvent dans ses récits leur propre histoire, leur double culture.
Sa formation à l’école française lui a donné envie comme à beaucoup d’autres
auteures maghrébines, de s’inventer une identité complexe tenant compte de sa
situation entre deux univers différents et deux langues.
Donc comme nous l’avons déjà dit, que l’écriture de Leila Sebbar thématise son
identité, cette identité qui se nourrit d’un entre deux-culturel, et linguistique
permanent, et cette problématique (linguistique et culturelle) est le fruit logique de
ses origines mixtes, et c’est elle qui a déclenché la création et l’inspiration chez notre
écrivaine.
L’exemple le plus identique avec notre écrivaine dans la sphère de la littérature
franco-algérienne, est celui d’Assia Djebbar (1936) ; elle aussi témoigne dans
beaucoup de ses livres de ses propres enjeux identitaires, qui rend compte de la
complexité.
En lisant les livres de Leila Sebbar, que ce soit «Je ne parle pas la langue de mon
père », ou autre, une marque de son écriture apparait constamment ; la présence
des points de suspension dans ses citations, « Je ne le saurai pas, je connais la
sournoiserie du silence, qui simule l’oubli avec quelle constance …. »(p42),
« Si un jour …mais jamais elle n’aurait habillé ainsi sa fille….la honte sur la famille…. »
(p61), chez Sebbar, c’est pour exprimer le besoin de revenir maintes fois sur le même
sujet, ainsi que pour évoquer ses doubles origines.
30
Leila Sebbar commence son livre par une page remplie de dates qui marquent
quelques événements importants dans la vie de son père, Cette liste de dates semble
regrouper les seules choses dont la narratrice est sûre.
Cela est Dû au silence du père donc, Leïla doit s’imaginer le reste. Sebbar écrit que ce
résumé biographique « [permet] de ne pas se perdre dans les méandres de la
mémoire » (p 9). Mais quelle mémoire ?
Le thème de la mémoire tient une grande place, aussi bien dans le récit : Je ne parle
pas la langue de mon père, que dans la majorité des écrits de Leila Sebbar. Nous nous
interrogeons alors sur le rôle de cette mémoire ….
« On ne voit pas les femmes dans la cour fermée, il faudrait aller sur la terrasse, mais
cette école, je crois, avait été bâtie sans terrasse,… » (p : 14), ici Leila Sebbar
commence à se remémorer de son enfance, et nous comprenons que son recours à
sa mémoire qui a fait qu’elle se permet de raconter cette partie de sa vie.
« Mon père riait, en arabe, avec des hommes inconnus. Ce qu’ils se racontaient les
faisait rire, je ne savais pas, je ne saurai pas ce qu’ils se disaient alors… » (p : 19),
Toujours en comptant sur sa mémoire, l’écrivaine nous raconte une scène qui s’est
passée avec son père entrain de dialoguer avec un inconnu.
La mémoire apparaît alors comme le point central et la base du récit, et sans elle le
récit n’aurait pas eu lieu, Donc l’écriture comme la remémoration, sont toutes deux le
moyen pour une création et une production littéraire qui aident notre écrivaine à non
seulement raconter sa vie et exprimer ses sentiments, mais aussi se remémorer des
moments et de personnes qui l’inspirent à écrire et devenir la personne qu’elle est
aujourd’hui. De ce fait, le je, à la fin du récit avoue : « Un travail de mémoire qui s’est
imposé à moi, vital ».
31
Leila Sebbar aborde dans son écriture d’autres sujets importants dont nous nous
pencherons pour mieux comprendre sa thématique.
Le premier sujet à part les sujets que nous avons cité précédemment (l’identité
complexe, le père et la langue), l’écrivaine parle de « la guerre », ce concept que
l’écrivaine a enduré personnellement durant ses années passées en Algérie, qui est
bien évidemment la colonisation française.
Donc pour mieux comprendre la guerre et la situation des algériens à cette époque,
l’écrivaine a donné plusieurs voix aux personnages du livre, par exemple au fils de
Fatima la servante de la famille, ce dernier qui voulait tuer le maitre d’école qui
enseignait la langue de l’ennemi, et qui le considérait comme un traitre (le père de
l’écrivaine), et d’une autre part à sa mère, Fatima qui était analphabète mais qui
n’admettait pas l’attitude de son fils.
Le deuxième sujet auquel Sebbar donne une place dans sa production littéraire sont
les femmes, les femmes algériennes ou maghrébines en général, Le fils de Fatima que
l’écrivaine ne lui a donné aucun nom, parle par exemple des deux femmes dont il se
souvient dans « l’histoire des grands résistants de l’Histoire [dont] il a retenu deux
femmes : une chrétienne, une musulmane, une Lorraine et une Kabyle, Jeanne d’Arc et
Lalla Fathma N’Soumer » (p 86).
De cette manière, Sebbar inscrit les femmes dans l’histoire de la résistance et change
l’image populaire ; que seulement des hommes deviennent des héros et des grands
résistants. Dans ce même passage (P86), ce sont deux femmes de différentes origines
et de différentes croyances qui sont mentionnées ; une chrétienne de la France et
une musulmane d’Algérie.
Cela pour nous passer le message que la résistance et le courage dépassent les
frontières de la nationalité et de religion.
32
Pour une femme maghrébine, ce qui est le cas de notre écrivaine, le fait de prendre la
plume est très difficile, car son écriture sera chargée de parler de tous les interdits et
des tabous qui existent dans une société.
Cette action d’essayer de bouleverser la société, ou bien détruire ce que les autres
voient un équilibre, nécessite un courage de la part de l’écrivaine.
Dans ce contexte Leila Sebbar affirme :
« Je veux dire que dans l’Histoire coloniale et dans mon histoire en Algérie, où j’ai vécu
jusqu’à l’âge de 18 ans, où j’ai vécu la guerre, il y a tellement de blanc... de blanc, je
veux dire, des choses non-dites, que je n’aurai jamais sues et que je ne saurai jamais,
que j’ai besoin d’écrire sur ce blanc-là. »(1)
L’apprentissage de l’écriture ne serait possible sans la sensibilité des auteurs qui
veulent la pratiquer, mais elle reste une utopie, un nul part, car…
« L’écriture désinstalle, dématernise, déterritorialise, arrache à l’enracinement,
creuse un écart, rend visible la perte, la castration symbolique, le manque. L’écriture
serait trajet, parcours, cette objectivation qui viendrait à tout instant rappeler qu’il y a
de la perte, qu’on n’écrit jamais que dans cette perte, que rien ne viendra combler le
manque, mais que l’acte d’écrire, l’impossibilité d’écrire dans l’écriture même est la
tentative toujours déçue et toujours recommencée de déjouer la perte, l’apprivoiser,
la mettre à distance ; la tentative de saturer, de suturer tout en sachant que l’on ne
peut y arriver. Ecrire c’est toujours jouer, déjouer la mort, la filiation, le roman
familial, l’Histoire. »(2)
______________________________________________________________________
(1) Leïla Sebbar, « l’interview avec Roswitha Geyss », Paris, le 16 mai 2005.
(2) Robin, Régine, « Le Deuil de l’origine: une langue en trop, la langue en moins ». Paris, Kimé, 2003.
33
DEUXIEME PARTIE
Aspects théoriques
34
1-1 L’autobiographie :
Le livre est une quête de vérité et de mémoire d’enfance, l’écrivaine rend hommage à
son père et raconte son enfance et ses années passées en Algérie donc c’est un récit
autobiographique, et c’est la première chose que nous pouvons remarquer en lisant
le titre du livre.
« Je ne parle pas la langue de mon père », le titre est plus que révélateur du contenu
du récit donc Leila Sebbar se positionne dés le début comme locutrice parlante,
l’utilisation du pronom personnel « Je », et le pronom possessif « Mon », et ce que
nous allons découvrir par la suite est que la romancière est entrain de parler de son
enfance à elle et de son vrai père.
Rien qu’en regardant le titre qu’elle a choisi pour son livre, nous pouvons sentir tout
de suite le sentiment du manque, un blanc dans sa vie qu’elle voudrait et souhaiterait
tant combler, ce manque et cette perte de la langue du père, une langue si proche
qui était là ,comme elle l’a clairement déclaré : « on peut perdre quelque chose mais
qui était là »(1)
Donc Leila Sebbar s’implique dans son récit dés le titre, par la suite avec la dédicace :
A ma mère
A mon frère
A mes fils
L’absence du père dans la dédicace soit captivante dés le départ le récit en question
est avant tout un hommage au père, à l’étranger bien aimé.
______________________________________________________________________
(1)- Le Jeune Indépendant. Leila Sebbar, l’exilée du paysage de l’enfance (en ligne) le 8 mai 2003. Site:/ Dz Lit- Leila Sebbar
.htm.
35
Ensuite par les dates qu’elle donne pour mieux comprendre la situation d’elle et de sa
famille, mais aussi de l’Algérie qui était un pays colonisé à l’époque.
L’auteur ne cache pas ses sentiments et les dévoile au grand jour, et dans les
premières pages Leila Sebbar s’est sentie obligée de raconter la vérité donc le livre
est un récit autobiographique.
Comme nous l’avons déjà signalé que notre livre est une autobiographie ce qui nous
pousse à donner la définition la plus générale de l’autobiographie donnée par
Philippe Lejeune dans son ouvrage, « Le pacte autobiographique »(1) :
« Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre
Existence, lorsque elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur
L’histoire de sa personnalité »(2)
L’autobiographie est donc un récit dans lequel la vie du narrateur est racontée et
façonnée pour donner une signification à son existence.
Dans ce récit Le pacte autobiographique de Lejeune est établi ; en effet l’identité
auteur, narrateur, personnage est respectée. Et l’auteur nous a raconté
Chronologiquement des événements de sa propre vie, de son enfance, de façon
naturelle en se référant à sa propre mémoire.
_____________________________________________________________________
(1)Le pacte autobiographique. Nouvelles éditions augmentées, P. Lejeune, édition du Seuil, Paris,
1975, 1996.
(2) Ibid., p : 14.
36
Dans je ne parle pas la langue de mon père, l’identité du narrateur,
Personnage principal, est marquée par l’emploi de la première personne le « JE », ce
qui est le cas dés le titre d’ailleurs.
Donc comme nous l’avons déjà précisé que dans ce récit, Leila Sebbar, est l’auteur, le
narrateur et le personnage principal, et c’est ce que Philippe Lejeune, s’inspirant de
Figures III (1) de Gérard Genette Appelle « la narration auto diégétique ».
Se référant à Gérard Genette et en définissant le statut du narrateur à la fois
par son niveau narratif et par sa relation à l’histoire, nous serions face à un
statut extra diégétique-homo diégétique ; où comme dans Je ne parle pas la
langue de mon père, le narrateur au premier degré raconte sa propre histoire.
L’acte extra diégétique, étant selon G.Genette :
« Tout événement raconté par un récit est à un niveau diégétique
immédiatement supérieur à celui où se situe l’acte narratif producteur de ce
récit, (…) un acte accompli à un premier niveau, que l’on dira extra diégétique » (2).
Ce dernier tient à confirmer la différence entre l’autobiographie et le roman
autobiographique, La différence selon lui, réside dans le pacte autobiographique, où
l’identité du personnage principal renvoie à celle de l’auteur/narrateur, et dont le
nom figure sur la couverture de l’œuvre.
______________________________________________________________________
(1) Figures III, Gérard Genette, édition du Seuil, Paris, 1972.
37
Ce récit est divisé en six parties. Dans la première partie, la narratrice
Commence par la fin du récit là où s'arrête l'histoire de sa famille, au clos-Salembier,
Elle parle des instituteurs fidèles à la république, ceux qui étaient formés à l'école
Normale de Bouzaréah. Dans l'Histoire de l'Algérie, ces instituteurs furent liquidés
Par la révolution, parmi eux figurait le nom de Mouloud Feraoun.
En effet Leila Sebbar évoque d’une manière brève, la situation délicate que son père
vivait à l’époque, tout en s’appuyant sur une date référentielle, celle de l’assassinat
de Mouloud Feraoun.
« …Mouloud Feraoun, l’ami instituteur et écrivain, avait été assassiné avec
D’autres (le 15 mars 1962), au fond de la classe contre le mur, Feraoun le
Pacifique… » (1)
L'auteure de ce récit fait des allers et retours entre le passé et le présent, se
remémorant des scènes passées au petit village près de Tlemcen, d’Hennaya, tout en
parlant des coups de téléphone donnés à son père et de ses interminables
questionnements sur l'Histoire de l'Algérie.
Ensuite, l’auteure reprend presque dans sa quasi intégralité l’une des nombreuses
conversations téléphoniques avec son père, sur son silence, ce silence porteur de
différentes significations, et que nous avons repris à maintes reprises dans ce travail
de recherche.
_____________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P11
38
« Il dira : ((Alors ma fille, comment ça va ?les enfants…)) j’interromprai, grossière, je le
sais seulement aujourd’hui, j’ai compris trop tard que ce protocole oriental, j’aurais du
le respecter, (…) je ne laisse pas mon père achever la chaîne familiale :
((Je voudrais savoir…-Qu’est ce que tu veux savoir encore ?...Pourquoi tu veux savoir
t out ça ? A quoi ça sert ? Il faut oublier…oublier quoi Tu dis qu’il faut oublier et tu ne
veux pas dire quoi… Non ma fille, non…laisse, oublie tout ça…ce n’est pas la peine… »
(1)
Cette conversation téléphonique nous donne plus d’informations sur le silence
tant évoqué dans notre travail, sur la barrière que le père mettait entre lui et sa fille,
et combien cela était significatif aux yeux de l’auteure.
La narratrice évoque, aussi, la résistance du jeune Français Maurice Audin
à côté des Algériens, elle relate les peurs de la guerre.
« Maurice Audin, il a vingt cinq ans, il ne sait pas qu’il sera arrêté, torturé, liquidé,
dans une villa secrète du Grand Alger, du coté du Clos-Salembier ? » (2)
D’autres points peuvent aussi compléter notre analyse de l’aspect autobiographique
dans une grande partie de notre récit.
Dans ce registre, les indices que nous pouvons citer comme éléments
Autobiographiques, sont par conséquent, la relation que le texte entretient avec
son para texte.
______________________________________________________________________
(1) -Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P12.
(2) -Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P24.
39
Après que nous avons défini l’autobiographie et que nous avons essayé d’appliquer
cette théorie sur notre récit, nous allons passer à une autre forme de biographie, qui
elle aussi, est sur le point de devenir un genre à part entière, Il s’agit de l’autofiction.
Cette dernière est une vérité transfigurée, une vérité transformée. Selon Philippe
Lejeune il existe deux attitudes totalement opposées face à la mémoire, qui sont : La
Construction imaginaire et l’invention.
Philippe Lejeune développe ses idées en ces termes :
« L’hostilité et l’agacement qui entourent l’autobiographie authentique sont d’autant
plus grands en France, qu’un certain nombre d’écrivains campent, si je puis dire,
illégalement sur son territoire. Ils mobilisent en le faisant savoir, leur expérience
personnelle, parfois sous leur propre nom, et jouent ainsi avec la curiosité et la
crédulité du lecteur, mais baptisent roman ces textes où ils s’arrangent comme ils
veulent avec la vérité. Cette zone mixte, est très fréquentée, très vivante et sans doute
comme tous les lieux de métissage, très propice à la création (…) » (1).
______________________________________________________________________
(1) Ibid., p : 44.
40
1-2 L’autofiction :
Le terme autofiction, a été crée par Serge Doubrovsky(1), Il apparaît pour la
Première fois en 1977, dans son roman : Fils (2).
Le terme en lui-même a été forgé sur celui de l’autobiographie, mais s’oppose au
genre autobiographique.
« L’autofiction, c’est la fiction que j’ai décidé, en tant qu’écrivain de me donner à moi-
même et par moi-même, en y incorporant au sens plein du terme, l’expérience de
l’analyse, non point seulement dans la thématique, mais dans la production du texte
»(3).
Mais, à la différence de l’autobiographie, dont les événements sont censés être
Réels ; l’autofiction présente d’entrée de jeu les faits relatés comme fictifs.
L’auteur/narrateur, se trouve au même niveau qu’un romancier qui écrit une
Fiction.
C’est ainsi que, Serge Doubrovsky, explique le glissement de l’autobiographie
Vers l’autofiction, et ce terme s’applique donc à une catégorie d’autobiographie qui
avait dévié de son sens. La vérité se situerait entre le roman et l’autobiographie,
entre une vie réelle et une autre imaginaire.
______________________________________________________________________
(1)Serge Doubrovsky. Études romanesques 2. Modernité, fiction, déconstruction. (éd. J. Bessière) Paris : Lettres Modernes, 1977. (2) S. Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977.
(3) Ibid.
41
Selon S. Doubrovsky, dans une autofiction ;
« Il faut qu’il y ait, comme pour l’autobiographie, selon la catégorisation de
Philippe Lejeune, identité nominale entre le personnage, le narrateur et
L’auteur » (1).
Pour S. Doubrovsky, dans l’autofiction le narrateur doit séduire le lecteur, et c’est ce
travail de séduction qui va pousser ce dernier à imaginer et vivre avec l’histoire.
Mais d’où vient ce désir de séduction ? Pourquoi l’auteur veut il séduire son lecteur
plutôt que de l’éduquer ? Il ajoute quant à cette relation
écrivain/lecteur
« (…) il y a donc aussi, un aspect sadique de lecture, de mon écriture, parce
que mes ennuis, mes angoisses et ma persécution, mes histoires, je te les
refile. Il y a une certaine agressivité et, et en même temps un certain masochisme. Il
y a les deux à la fois, parce que les coups que l’on donne d’une part, on les
reçoit aussi. (…) alors le rapport écrivain/lecteur, mon rapport au lecteur est
un rapport très complexe, c’est un rapport sadomasochiste.
Il faut offrir beaucoup de soi même et s’exposer à des réactions hostiles, mais en
même temps c’est une sorte d’emprise que d’avoir une écriture qui joue sur les mots
et tend donc à capter l’esprit de qui veut bien se mettre en route dans cette écriture. Il
n’y a pas de distance. Mon écriture n’est pas une écriture qui laisse au lecteur une
distance par rapport au texte. Si c’est réussi, le lecteur doit se laisser emporter (…) »
(2).
______________________________________________________________________
(1) S.Doubrovsky, autobiographie/vérité/psychanalyse, in : Autobiographiques chez Corneille à Sartre, Paris, puf, coll, perspectives critiques, 1988, p : 70. (2)L’écriture ayant parmi ses fonctions le rôle d’apprentissage, de formation du lecteur (les œuvres de J.J.Rousseau au dix-huitième siècle
42
Cette citation peut s’appliquer à bien des égards aux œuvres de Leila Sebbar,
Car elle éprouve dans notre récit et même dans d’autres écrits autobiographiques un
besoin de séduction.
Dans ce récit autobiographique, l'auteure mélange entre le réel et l'imaginaire, car la
première partie est autobiographique, et la deuxième est autofictionnelle.
Son réel laisse toujours place aux interrogations alors que l'imaginaire ne suppose
rien, il est utilisé pour combler ce que la réalité n'a pas pu révéler. Le réel est, à
chaque fois, interrogé alors que l'imaginaire est toujours signalé.
Ä la fin du récit, l'auteure se voit obligée de dire toute la vérité rien que la vérité, et
dénonce avoir inventé des évènements et des personnages de son imagination :
« Mon père n'a pas fait le pèlerinage à la Mecque. Il n'a pas revu le pays natal. Il n'a
pas parlé la langue de sa mère avec le fils de Fatima. Il n'a jamais rencontré le jeune
homme à la prison d'Orléans ville ni au vieux Ténès » (1)
Leila Sebbar s’est sentie obligée d’inventer un imaginaire, cela pour elle est une
manière de combler les vides de l'histoire et de lui supposer des suites.
La narratrice nous a raconte une scène où son père était en prison, et qu’il avait
rencontre le fils de Fatima, il lui a appris à lire et à écrire la langue de l'école, mais à
la fin L'auteure s’est sentie obligée de dire la vérité à la fin.
« Si celui à qui mon père a appris à lire et à écrire le français en prison, à Orléans ville,
est le fils de Fatima, je ne peux l'affirmer, ni mon père à qui je ne l'ai pas demandé et
qui n'a pas dévoilé son identité… jusqu'à sa mort. Mais je peux, rien ne me l'interdit,
de même le souci de dire toute la vérité, rien que la vérité…raconter qu'il n'est mort
en prison et qu'il a cherché son frère partout en France. »(2)
______________________________________________________________________
(1) Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P124.
(2) Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P91-92.
43
Nous pouvons dire que Leïla Sebbar a respecté le pacte autobiographique
, et l'une des règles qu'elle a respectée est celle de dire la vérité bien que son récit ne
manque pas de scènes imaginaires. La deuxième règle est que les trois instances à
savoir le moi comme auteur, le moi comme narrateur et le moi comme personnage,
ne font qu'un.
Le pronom personnel « JE » renvoie à la narratrice, qui est l'auteur et le personnage
en même temps, et le nom de l'auteur est ouvertement signalé, que ce soit sur la
couverture du livre ou dans le récit pour qu’il n’y ait point de doute là- dessus.
Ainsi, ce récit est un voyage qui veut faire la lumière sur un passé que le père a caché
à sa fille et que cette dernière essaye de trouver des réponses à ses questions à
travers son écriture.
Nous pouvons dire que Leila Sebbar a bien manipulé la flexibilité de la littérature, car
avant tout, elle est romancière. Alors, pour répondre aux questions que son père a
toujours niées, elle se sert de sa mémoire mais aussi de son imagination, et la fiction
lui a servi de remplir les lacunes du souvenir.
Et à partir de l’histoire réelle, et des personnages authentiques également, Leila
Sebbar s’est fabriquée une fiction,
Ainsi, l’autofiction se présente comme élément complémentaire figurant dans
Notre récit en question, « Je ne parle pas la langue de mon père ».
Philippe Lejeune, donne la mission de détecter ou identifier ce genre au lecteur,
Le lecteur va donc jouer à son tour, un rôle important dans la classification ou
l’identification de l’autofiction. En ces termes, Il précise son idée :
44
« Pour que le lecteur envisage une narration apparemment autobiographique
Comme une fiction, comme une autofiction, il faut qu’il perçoive l’histoire comme
impossible ou incompatible avec une information qu’il possède déjà »(1).
Dans son ouvrage « Est-il je ? »(2), Roman autobiographique et autofictionnel,
Philippe Gasparini affirme que chaque lecteur est différent d’un autre, cette
différence ou particularité, s’explique par les croyances, la lecture et surtout par
mettre chaque évènement dans son contexte.
Dans notre travail de recherche, les critères avancés par les théoriciens cités ci-dessus
nous démontrent pertinemment l’aspect de l’autofiction en juxtaposition bien sûr
avec l’autobiographie.
De ce fait, l’auteure s’est fabriqué toute une histoire, permettant à son père et au fils
de Fatima de vivre des moments vraisemblables. Puisant dans ces faits réels, elle
comble ce vide que le père n’a jamais voulu dévoiler, et que la mémoire n’a pu garder
au fil des années.
A la fin nous pouvons dire que Les frontières entre la fiction et l’autobiographie sont
souvent brouillées, à tel point que certains critiques suggèrent que la fiction pourrait
atteindre plus de vérité dans un récit que l’autobiographie.
« Seule la fiction ne meurt pas, elle entrouvre sur la vie d’un homme une porte
Dérobée, par où il se glisse, en dehors de tout contrôle, son âme inconnue »(3)
_____________________________________________________________________
(1) Philippe Lejeune, Moi aussi, Paris, Editions du Seuil, coll., Poétique, 1986, p : 65.
(2) Est il je? Roman autobiographique et autofiction, Ph. Gasparini, Seuil 2004.
(3) François Mauriac, commencement d’une vie, dans : Ecrits intimes, La platine, Paris, 1953, p : 14.
45
TROISIEME PARTIE
Le silence du père et de la langue
46
1-1Le silence du père (L’étranger bien-aimé) (1) :
Leïla Sebbar évoque son père dans la plupart de ses écrits…un homme calme
respecté, un maître d’école, mais surtout un homme mystérieux et silencieux.
Son père, que l’on saura de son physique que ses yeux bleus, « Le bleu des yeux de
mon père durcit… » (2), Veut instruire les garçons « indigènes », il veut les aider à
s’émanciper.
Dans ce même contexte Leila Sebbar insiste sur ses origines modestes :
« L’instituteur du bled, le maître indigène formé avec d'autres fils des pauvres et des
fils de colons à (La Bouzaréah) d'Alger, l'unique et fameuse École normale
d'instituteurs de la colonie »(3)
Musulman libéral, marié à une Française chrétienne, il construit dans la maison
d’école une « petite République française », une République idéale :
« La petite France des instituteurs laïques, mon père et ma mère, est dirigée de main
de maître pour devenir intra-muros une République idéale où s’exercent, au nom de la
justice, de l’égalité, de la fraternité, les lois de l’apprentissage scolaire dans les livres
de la France, la langue de la France, la géographie et l’histoire de la France. Ma mère
nous élève en petites filles de la République française, dans sa langue, dans ses livres,
elle nous transmet un savoir universel, une langue unique. » (4)
Nous pouvons dire que c’est le silence du père, qui a fait parler Leila Sebbar, car elle
veut comprendre à l’aide de ses écrits la raison et les évènements que le père ne
voulait pas dire ; c’est un « désir nécessairement insatisfait de retrouver le
Père par les mots de l'Autre » (5).
(1)Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P125.
(2)Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, P29
(3) Leïla SEBBAR, « La Moustiquaire », Paris, J'ai lu, 2002, p. 200
(4) Leila Sebbar, « L’arabe comme un chant secret », P 42.
(5) Ibid.
47
Leila Sebbar voulait tout savoir sur l’Algérie et son histoire, son pays natal colonisé à
l’époque, et le livre commence par une discussion entre Leila qui était à Paris, et son
père à Nice, alors elle l’appelait au téléphone et insiste après tout ce temps pour que
son père lui raconte les évènements qu’elle ignore « Je ne peux plus le lui demander,
lui téléphoner, de Paris à Nice, plusieurs fois par jour pour savoir, quelques décennies
plus tard, ce qu’il n’a pas dit, parce qu’il ne parlait pas de ce qui pouvait faire souffrir,
il pensait qu’il fallait oublier, ne pas rappeler la peine, encore et encore…. »(1),
Le père n’a pas envie de parler et donner des réponses à sa fille, pour éviter qu’elle
souffre, et surtout pour qu’elle puisse oublier.
Ensuite l’auteur nous raconte l’une de ses discussions téléphoniques avec son père :
« Il dira : ((Alors ma fille, comment ça va ?les enfants…)) j’interromprai, grossière, je le
sais seulement aujourd’hui, j’ai compris trop tard que ce protocole oriental, j’aurais du
le respecter, (…) je ne laisse pas mon père achever la chaîne familiale :
((Je voudrais savoir…-Qu’est ce que tu veux savoir encore ?...Pourquoi tu veux savoir
tout ça ? A quoi ça sert ? Il faut oublier…oublier quoi Tu dis qu’il faut oublier et tu ne
veux pas dire quoi… Non ma fille, non…laisse, oublie tout ça…ce n’est pas la peine… »
(2).
Donc à partir de cet appel téléphonique, nous pouvons comprendre dés le début le
silence du père, et qui va être évoqué tout au long de notre livre, et va être la raison
principale de l’écriture de notre écrivaine.
Leila veut savoir, comprendre, elle veut que son père lui donne des réponses mais le
père refuse toujours malgré l’insistance de sa fille.
___________________________________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 12.
(2)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 12.
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Le père silencieux, mystérieux, cachait beaucoup de choses et d’histoires, mais pour
lui tout ça n’était pas très important, pas autant que sa fille de toute manière :
« …écoute ma fille, si je pensais que c’est important, je te répondrais …Alors qu’est ce
que tu veux savoir ? –Tout… Mon père rit. » (1).
Le silence du père, ou encore la communication limitée entre le père et sa fille, sont
représentés dans le discours à travers le dialogue sans cesse interrompu entre le père
et la fille : des questions qui restent sans réponses à propos de ces années-là :
Nous pouvons dire que la situation de l’Algérie (la Guerre), et même à la fin des
années 1962, beaucoup d’intellectuels du pays ont préféré de garder le silence
concernant le sujet, et ne pas évoquer le passé même à leur propre famille.
L’extrait suivant nous donnera plus de détails sur les raisons qui ont poussé monsieur
Sebbar à garder le silence pendant plusieurs années :
« Mon père serait instituteur. Je ne sais pas, je ne saurai pas s’il se demandait ce que
ses enfants auraient aimé entendre de l’autre histoire. L’interdit de la colonie, mon
père le fait sien, que ses enfants ne connaissent pas l’inquiétude, qu’ils ne se
tourmentent pas d’une prochaine guerre de terre, de sang, de langue. Son silence les
protège. C’est ce qu’il pense et, depuis que des enfants lui sont nés corps et langues
divisés, il en est ainsi, il doit en être ainsi, jusqu’à la prochaine génération des enfants,
étrangers au-delà des mers, hors de lui, à qui il a parlé dans la langue de l’exil,
l’unique désormais, avec l’accent et la voix et le rire ou la colère de sa terre absente,
abandonnée. Interdite ? »(2).
Dans ce passage, nous avons compris que le raison principale, pour laquelle le père a
gardé le silence, c’est surtout pour protéger sa famille et ses enfants.
_________________________________________________________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 13.
(2)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 22.
49
Donc pour le père de Leila, la meilleure façon de protéger ses filles, c’est de garder le
silence, et rompre le lien avec le passé, son pays, et la langue de son pays (Sujet que
nous allons aborder dans le prochain chapitre), choix fait par le père, que la fille a du
mal à l’accepter même après toutes ces années.
Tout au long de ses discours, Leila Sebbar n’a pas cessé d’exprimer sa souffrance et sa
douleur par rapport au manque de communication avec son père, et au silence de ce
père, silence qui a causé plusieurs conséquences à toute une famille déracinée de sa
culture et de ses traditions.
Sebbar continue de nous décrire ses tentatives de rompre le silence de son père à
propos de l’histoire algérienne collective et personnelle,
« Ne reste pas là, sur le balcon.-Pourquoi ?-C’est dangereux.-Dangereux ?-Tu
m’écoutes ?ne reste pas là .Il commence à faire nuit.-A cause de la nuit ?-Tu sais
pourquoi, alors ne pose pas toujours des questions, je ne veux pas te voir là, C’est
tout.» (1), mais elle ne va pas réussir à faire parler son père de cette période violente
de son pays.
Comme nous l’avons dit, le père gardait le silence, tout en prenant le choix de ne pas
parler la langue arabe (jugée trop vulgaire pour lui), pour protéger et préserver sa
progéniture :
« Ce qu’il sait du vieux quartier de l’enfance, de la cour carrée au figuier, un
Jasmin pousse le long du mur, de l’école coranique, du marabout ancestral,
Des fêtes et des deuils, du mouton égorgé et des garçons circoncis, de la
Révolte silencieuse qui s’organise, il ne dit rien » (2).
______________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 20.
(2)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 21.
50
Leïla nous raconte une scène, ou elle et ses sœurs sont exposées aux harcèlements
des garçons arabes dans la rue quand elles sortent de la maison pour aller à l’école,
elles prenaient chaque jour le chemin qui menait d’une école à l’autre:
D’un côté, l’école où logeait la famille Sebbar, une école pour garçons arabes dont le
père était le directeur et la mère une enseignante; de l’autre côté, l’école fréquentée
par les trois filles Sebbar, une école pour les françaises de la colonie.
La raison pou laquelle les gamins suivaient à distance les trois filles du directeur
d’école était que ces écolières portaient des jupes courtes, et se distinguaient des
petites filles arabes du quartier ; Les souvenirs des mots criés par les garçons
demeurent longtemps chez Leïla ; « elles entendaient les mots orduriers, les seuls
qu’elles retiendraient, scellés dans un coin de la mémoire, dans une chambre noire de
la citadelle » (1).
Dans cette partie là, l’écrivaine nous parle de son silence à elle et à ses sœurs, ces
dernières ne comprenaient pas la langue, et ne pouvaient pas répondre pour se
défendre, elles essayaient d’échapper aux pierres jetées par les garçons, mais les
filles ne réussissent pas à éviter les cris et les mots. Elles deviennent « asphyxiées,
étourdies par la violence répétée du verbe arabe, le verbe du sexe » (2).
La cause principale de tout cela est la langue arabe qui lui revient en forme d’insultes
lancées par les garçons arabes du quartier. (Sujet que nous allons aborder dans le
prochain chapitre).
______________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 41.
(2)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 42.
51
Et même dans la couverture, nous constatons facilement que le silence du père est le
thème récurrent de Leila Sebbar ;
« Mon père, l'Algérien, le maître d'école, ne m'a pas appris la langue de son
Peuple. Il ne m'a pas parlé la langue de sa terre, de sa mère. Il s'est tenu loin dans le
silence. De son roman familial algérien, je n'ai rien su. Mon père est mort. Après
toutes ces années d'exil, d'histoires racontées, écrites pour découvrir, comprendre ce
qui n'a pas été dit, c'est par les femmes et les hommes de son peuple, qui parlaient sa
langue, que je tente d'approcher mon père, l'étranger bien-aimé. Un travail de
mémoire qui s'est imposé à moi, vital. » (1).
De nombreux textes de Leïla Sebbar mettent en scène son père et son silence, dont
nous pouvons citer: « Je ne parle pas la langue de mon père »(2), « Le silence des
rives »(3), « Si je ne parle pas la langue de mon père » (4),
De là, nous avons l’impression que Leila Sebbar est entrain de faire une enquête sur
le passé du père et les raisons de son silence, ce n’est plus une question de
remémoration
___________________________________________________________________________________________
(1)Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père »,Quatrième de couverture
(2) Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Julliard, 2003
(3) Leila Sebbar, «Le silence des rives », Paris, Stock, 1993.
(4)Leila Sebbar, « Si je ne parle pas la langue de mon père », voies de pères, voix de filles, quinze Femmes écrivains parlent de leur père, Maren Sell et Cie, 1988.
52
Nous tenons aussi à souligner que le refus du père de parler avec ses enfants de son
pays et de sa culture, et son silence acharné, n’étaient pas juste pour protéger sa
famille de la guerre, mais pour se protéger lui même, car il ne voulait plus évoquer
ses souvenirs de guerre d’indépendance, car en 1957, il est incarcéré à la prison
d’Orléans ville. Mais il ne parle jamais de cette période tragique avec sa fille, et cache
ses souvenirs avec le silence bien sur :
« Mon père ne répond pas à mes questions, lui dans cette guerre, la liste noire, la
prison à Orléans ville, les menaces, sa femme seule, cherchant les amis, les appuis
pour les autorisations de visite et, après, le train, les interrogatoires militaires, trop
courtois, ils ne demandaient pas une collaboration, mais elle, une Française, une
institutrice, instruite, elle devrait voir clair (…) » (1).
Effectivement dans ce récit, le père était un maitre d’école, mais aussi un combattant
contre l’ennemi que L’OAS et les autorités françaises poursuivait :
« … mon père n’avait rien à craindre, au moment même ou peut être, ces hommes des
maisons pauvres lui apprenaient que L’OAS sillonnait les quartiers arabes… »(2).
A partir de tout ce que nous venons d’analyser, nous pouvons comprendre que Leila
Sebbar a présenté son père sous trois aspects :
-Un maitre d’école respecté par tout le monde,-un père silencieux, énigmatique et
mystérieux, - un combattant contre l’ennemi français.
___________________________________________________________________________________________
(1) Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 28
(2) Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 19
53
1-2 L’exil de la langue du père :
Dans le cadre de ce chapitre, nous proposons d’étudier les rapports que Leïla Sebbar
entretient avec l’arabe, la langue de son père, à cet égard nous pouvons donner une
définition à la langue et son rôle par rapport à l’identité :
« La langue joue un rôle important quant à l’identité. Les signes linguistiques sont
nécessaires pour la cohésion sociale d’un groupe, et c’est le groupe qui ensemble crée
les sens donné aux signes. On peut donc regarder la langue comme idéologique,
plutôt qu’objective) (1)
De là nous pouvons comprendre que la langue est essentielle pour comprendre la
culture, donc si le langage manque, nous n’avons plus de culture, et Ceci est le cas
dans le roman de notre analyse.
« Je ne parle pas la langue de mon père ». Le titre du roman de Sebbar nous révèle
que la langue est centrale dans la problématique de l’intrigue. La phrase ouvre aussi
le premier chapitre. Tous les sept chapitres portent des épigraphes différentes, les
autres étant:
« Mon père ne m’a pas appris la langue de sa mère », (P33)
« Je n’ai pas parlé la langue d’Aïcha et de Fatima », (P49)
« Mon père ne m’a pas appris la langue des femmes de son peuple », (P59)
« Je n’ai pas appris la langue de mon père », (P79)
« Je ne parle pas la langue des sœurs de mon père », (P105)
« Je n’apprendrai pas la langue de mon père ». (P125)
Nous avons remarqué que Ces phrases sont toutes mises à la forme négative, portent
sur à la fois la langue et les relations familiales.
______________________________________________________________________
1-Loomba, p. 35.
54
Et ce manque de la langue arabe chez Leïla l’a éloignée non seulement de son père,
mais aussi de la famille de ce dernier, sa grande mère paternelle et ses tantes. La
raison principale de ce manque est que Le père a épousé une femme d’une autre
langue et d’une autre culture :
« Mais les enfants, ses enfants, nés sur sa terre à lui, de son corps infidèle, il a rompu
la lignée, ses enfants nés dans la langue de leur mère,… » (1).
Leila Sebbar a compris que c’est « l’arabe », sa langue paternelle qui la sépare de sa
terre et de sa culture, « Mon père, avec lui, nous séparait de sa terre, de la langue de
sa terre. Pourtant tout autour de l’école c’était l’arabe. Les murs n’étaient pas si
épais... » (2), Et pour la narratrice la maison des Sebbar semble presque une prison,
qui les sépare de la culture des gens qui l’entourent,
Sebbar parle parfois de ses tantes paternelles et de sa grand-mère comme « les
sœurs de mon père » et « la mère de mon père » (dans les épigraphes), et Cela
semble nous montrer sa distance vis-à-vis des tantes et de la grand-mère, cette
distance qui vient de la difficulté et l’impuissance de se comprendre. Leïla qui ne
parle pas l’arabe, et qui ne le comprend pas aussi, ce qui rend son père le seul
contact avec elles, «Mon père a parlé en arabe avec sa mère, ses sœurs, ma mère suit
sans comprendre, mon père traduit pour sa femme, les femmes de sa famille. »(3)
Comme la narratrice le dénonce tout au long du rèçit, (et dans ses autres écrits aussi),
La langue est importante pour donner un sens de l’appartenance, parce qu’elle
constitue une manière de communiquer, mais également parce que la langue est
porteuse de culture et de traditions.
______________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 20.
(2)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 42.
(3)- Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 106.
55
La narratrice songe que peut-être, si elle avait parlé et compris l’arabe, le père lui
aurait raconté des choses dont il n’a jamais parlé. « Dans sa langue, il aurait dit ce
qu’il ne dit pas dans la langue étrangère, il aurait parlé à ses enfants de ce qu’il tait, il
aurait raconté ce qu’il n’a pas raconté,…. »(1).
Donc l’auteur aborde la langue à partir du titre comme nous l’avons dit, la langue du
père qui est l’arabe et que l’écrivaine ne comprenait pas, elle l’entendait seulement,
« Mon père était calme, il parlait avec les pères de ses élèves, des voisins, dans sa
langue, près de nous, les mots n’étaient pas les mots de la colère, ils pouvaient être
joyeux, je le sentais parce que mon père riait doucement en parlant, complice,
comme avec un frère. Je ne comprenais pas la langue de mon père, je l’entendais,
dépourvue de sens, et je savais, à la voix, que mon père n’avait rien à craindre (...) » (2).
Contrairement au français qui n’était pas seulement la langue de l’école mais aussi la
langue d’adoption du père instituteur de la langue française, et la langue de la mère
qui était institutrice dans sa propre langue. (Sujet que nous allons aborder dans le
prochain chapitre).
Leïla Sebbar considère la langue arabe, que son père ne lui a pas apprise, comme un
moyen de s’approcher de son origine perdue, Ce sont les femmes et les hommes qui
ont croisé la vie de son père, qui parlent sa langue, qu’elle questionne, et c’est
derrière le silence de la langue et du père qu’elle cherche son identité :
______________________________________________________________________
(1)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 21.
(2)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, page18-19.
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« Après toutes ces années d’exil, d’histoires racontées, écrites pour découvrir,
comprendre ce qui n’a pas été dit, c’est par les femmes et les hommes de son peuple,
qui parlaient sa langue, que je tente d’approcher mon père, l’étranger bien-aimé » (1)
Leïla Sebbar, qui n’a pas appris la langue de son père, l’arabe parlé, reste pourtant
hantée par cette langue, qui devient comme un « chant secret »(2) pour elle, C’est vrai
qu’elle a vu de L’arabe de la violence et de la brutalité, la langue des garçons arabes
qui l’insultaient, mais c’est aussi la langue du pays, du père, une langue qu’elle
n’apprendrai jamais, et ce que Leila a écrit en dernier n’est pas juste un constat, mais
aussi une déclaration.
Nous pouvons dire que l’incompréhension de la langue chez Leila Sebbar, est liée à sa
fascination et son attachement à cette langue inconnue qui la considère comme une
langue de beauté, car elle était fascinée par les voix des femmes qu’elle entendait
tard le soir sur le balcon, mais qu’elle ne pouvait pas comprendre :
« Les femmes se parlaient dans le soir, fort, toujours. Je les entendais. Des voix
sonores, violentes, les enfants tardaient pour l’eau, le pain... les mères attendaient, ils
désobéissaient et les coups ne les corrigeaient pas. Plus loin, il y avait moins de
colère, les femmes parlaient entre elles, les enfants n’étaient pas là, les petits, tout
petits contre leurs corps, tranquilles, heureux, alors elles bavardaient et du balcon les
voix paraissaient douces, jeunes, rieuses. Bientôt ce serait l’heure des hommes, je les
Entendrais à peine, des murmures. » (3)
__________________________________________________________________
(1)-- Leïla Sebbar, « Leïla Sebbar et la langue du père », in http://www.tunisia-today.com/archives
(2)-Leila Sebbar, « L’arabe comme un chant secret », Bleu autour, 2007, 2010.
(3)-Leila Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », Page 19-20
57
Le père de la romancière ne représentait pas seulement le coté algérien ou
méditerranéen pour elle, mais c’était aussi le seule lien avec la langue et la culture
inconnue de son pays natal, ce père qui n’a pas appris sa langue à son fils et à ses
trois filles, et qui a pris le choix de les enfermer dans la citadelle de la langue
maternelle, langue du colonisateur et de l’ennemi. Choix que Leila Sebbar n’a pas
compris, d’ailleurs elle a passé toute sa vie à chercher des réponses à travers ses
écrits, auprès de son père, mais aussi auprès des femmes et des hommes de son
peuple.
Le 22 novembre 2006, Leïla Sebbar, avec Toby Garfitt comme président de séance, à
la MFO et avec un public nombreux. Elle avait choisi elle-même le thème et le titre de
la séance, « L'exil de la langue du père, l'arabe », qui font référence au rapport
particulier qu'elle entretient avec la langue arabe. La conversation ne s'est cependant
pas limitée à ce sujet : Leïla Sebbar a également évoqué les notions du conflit et de
l'exil.
Le choix pris par le père, avait-il une relation avec sa femme française, qui a tout
laissé derrière elle en quittant son pays pour vivre à cotés de l’homme qu’elle aime ?
Sujet que nous allons essayer d’analyser dans notre prochain chapitre…
58
2-1 Le Français, langue citadelle :
Dans ce chapitre nous allons aborder la relation que Leila Sebbar entretient avec la
langue française pendant la période de son enfance jusqu’à son adolescence passée
en Algérie (dix huit ans).
Leila Sebbar entretient une relation paradoxale avec la langue de sa mère ;
D’une part c’est une langue qui l’a éloigné et séparé de ses origines , de son pays, et
de la langue de son pays, et d’une autre part c’est la langue qui l’a protégé et qui a
servi de carapace pour elle et sa famille.
Avant de commencer notre analyse, nous voulons d’abord expliquer le mot
« citadelle » utilisé par Leila Sebbar pour expliquer sa relation avec sa langue
maternelle.
Le synonyme du mot « citadelle » est Carapace, et dans le dictionnaire de
l’Encyclopédie Encarta, le mot carapace signifie : une solide défense qui isole une
personne des autres en la protégeant. Partant de cette définition, nous nous
interrogeons sur les raisons qui ont amené notre écrivaine à faire usage du mot
carapace dans son discours. Suite à cela, il nous faudra déterminer ce que
représentait la langue française pour l’énonciatrice, au temps de son enfance passée
en Algérie (dix huit ans).
Dans Je ne parle pas langue de mon père, Leila Sebbar essaye de nous expliquer et de
donner des réponses à ce sujet :
« Nous portions, mes sœurs et moi, en carapace, la citadelle de la langue de ma mère,
la langue unique, la belle langue de la France, avec ses hauts murs opaques
qu’aucune meurtrière ne fendait(…) »(1)
______________________________________________________________________
(1)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 3
59
Cette « citadelle de la langue française » les protégeait ses sœurs et elle tant qu’elles
sont dans la maison d’école, elles se sentent en sécurité totale, et la scène des
insultes des garçons arabes que nous avons abordés précédemment ne se produira
plus tant que ces derniers ne peuvent plus les toucher.
C’est vrai que les garçons n’osaient pas vraiment toucher les filles ou les blesser,
« Sachant que le sang ne coulerait pas, qu’ils n’oseraient pas blesser réellement l’une
ou l’autre, comme si nous étions précieuses (…) »(1), mais une fois que Leila et ses
sœurs franchissent le seuil de la citadelle, elles se sentaient étrangères à cause de la
langue qu’elles ne pouvaient pas comprendre, et la langue de la France devient une
langue Protectrice…
Leïla Sebbar se demande :
« Citadelle invincible, qui la protégeait ? La République ? La Colonie ? La France ? », (2)
La raison de cette question revient au pays même (La France), ce dernier qui a
implanté sa langue en Algérie à cause de la colonisation, et l’a privilégié en
interdisant l’arabe dans les écoles algériennes, ce qui fait que l’arabe et le français
entretiennent une relation de rivalité continue.
Donc les filles de la française qui étaient enfermées dans « la citadelle de la langue
française », elles contemplaient attentivement les garçons et les filles arabes, mais
toujours sans oser s’approcher l’un de l’autre, le seul contact que la famille Sebbar
entretenait avec des individus arabes est celle avec les deux bonnes « Aïcha et
Fatima » évoquées avec tendresse par l’écrivaine.
Leila et ses sœurs avaient beaucoup de livres, « elles avaient des livres, beaucoup de
livres avec des dessins, des couleurs,… »(3),
______________________________________________________________________
(1)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 39 (2)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, page40.
(3)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 74
60
Chose normale vu qu’elles étaient les filles du maitre d’école, et de l’institutrice
française, Leila aimait lire à Fatima à haute voix, cette dernière qui l’écoutait
attentivement, « C’est ainsi que Fatima, l’analphabète, apprenait le français. »(1),
Donc le français est la langue qui a bercé l’enfance de l’écrivaine.
Certes à l’époque la langue française était La langue du colonisateur, mais pour Leila
c’était la langue de sa mère, la langue de l’école, aussi la langue d’adoption de son
père qui s’exprimait qu’en français non seulement avec sa femme française, mais
aussi avec ses enfants qui a préféré ne pas leur apprendre sa langue à lui pour les
protéger.
La langue française n’était pas juste la langue de l’école, mais pour l’écrivaine qui a
grandi dans un environnement familial francophone c’était la langue avec laquelle la
famille communiquait …ce choix imposé par le père avait un lien direct avec son
épouse française, dont il ne voulait pas parler une langue qu’elle ne pouvait pas
comprendre(sa langue à lui),et en même temps il voulait parler sa langue, mais qui
était aussi la langue de la France, le pays de l’ennemi et du colonisateur certes, mais
aussi la langue du plus fort et du dominant.
D’ailleurs Leila le sait et elle le dénonce dans ses écrits :
« Mon père m'a placée volontairement du côté de ma mère, du côté du vainqueur, du
dominant, du côté de la France en Algérie, de l'Algérie française dans sa langue et
dans ses livres, obstinément. Répondant au désir de mon père, je n'ai pas appris sa
langue et je dis, j'écris que je ne l'apprendrai pas. Il a donné à ma mère l'hospitalité
dans sa terre et ma mère lui a donné l'hospitalité dans sa langue ». (2)
______________________________________________________________________
(1)-Ibid., p 74
(2)-Leila Sebbar, « L’arabe comme un chant secret », Bleu autour, P85.
61
Le choix pris par le père pouvait être considéré ou vu Comme une trahison vis-à-vis
du pays colonisé par l’ennemi français, mais aussi vis à vis du peuple de ce pays,
quant au père de Leila Sebbar ce choix était une sorte de protection et de résistance,
mais sa fille elle ne cesse de penser et de se poser cette question :
« Mon père n'a pas offert la langue de sa mère à ses enfants. Il m'a séparée
Volontairement, l'histoire coloniale n'est pas la seule raison de ce geste de
Rétention. Je dis à nouveau, j'écris qu'il a ainsi résisté, nous plaçant à l'écart,
Hors de danger. Quel danger ? Il a tenu la langue arabe loin de moi, pas
Seulement dans sa maison, loin pour la préserver, se préserver. De nous, ses
Enfants ? De sa femme, ma mère française ? Pour ne pas trahir ? »(1)
Difficile pour l’écrivaine mais aussi pour nous de répondre à cette question, et
d’essayer d’éclaircie la situation…
En épousant la femme, le père a adopté sa langue par amour, mais aussi ce dernier se
sentait obligé de lui rendre la faveur de tout laisser derrière elle en se mariant avec
lui et en s’installant en Algérie :
« Mon père ne savait pas ce que j’apprends aujourd’hui, longtemps après, ou le
savait-il et il n’en disait rien, il parlait peu. Peut être la langue étrangère l’a-t-elle
séparé des mots qu’il aurait choisis pour nous, ses enfants. A sa femme, il parle, dans
la langue de la France, sa langue à elle, je les entends depuis la véranda, derrière la
fenêtre au verre granuleux, opaque, de la salle d’eau. Ils peuvent tout se dire, ils se
disent tout, c’est ce que je pense alors. Elle a quitté pour lui les rivières et les collines
douces, la terre qui donne le blé, la vigne, le tabac et les noix, les chênes centenaires,
des bois et des bois de châtaigniers, elle est sa femme et sa langue est sa langue,
lorsqu’il parle avec elle.» (2)
______________________________________________________________________
(1)- Ibid., p.110.
(2)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 20-21.
62
2-2 Le français, langue d’accueil et d’écriture :
Alors que dans le chapitre précédent nous avons parler de la langue française comme
langue protectrice et qui a servi de carapace pour Leila et ses sœurs pendant la
période de dix huit ans qu’elle a passé en Algérie, dans ce chapitre là nous allons
aborder la langue française par un autre angle ,celui de sa relation avec Leila Sebbar
en exil.
« Je n’apprendrai pas la langue de mon père. Je veux l’entendre, au hasard de mes pérégrinations. Entendre la voix de l’étranger
bien-aimé, la voix de la terre et du corps de mon père que j’écris dans la langue de ma
mère. »(1)
C’est l’extrait par lequel Leila Sebbar a clôturé son récit, par cette négation l’écrivaine
veut passer le message : que oui l’arabe est le moteur de son écriture, mais elle ne va
pas l’apprendre, et l’écriture donc sera dans « la belle langue de France ».
C’est dans cette langue que Leila a écrit son histoire, son passé et son présent, elle va
parler de ce qui la torture …son identité fracturée et l’ignorance de ses origines.
Ce qui va la pousser à se réconcilier avec son sentiment d’exil, et va se sentir libre et
dépendante par ses écrits.
« Leïla Sebbar est certes en exil où qu’elle aille, parce que l’exil s’hérite, et elle a hérité
de l’exil du père et de la mère. L’exil est le lieu de tous les manques. Mais elle a
compris que l’exil est aussi le lieu de tous les possibles. Et qu’elle a besoin des
manques, des non-dits, des blancs pour écrire :
______________________________________________________________________
(1)- Leïla Sebbar, « Je ne parle pas la langue de mon père », 2003, p 125.
63
(Il faut que je fasse attention, parce que parfois j’ai peur que ce travail d’aller comme
ça au plus près du réel arrête l’inspiration ou empêche la fiction. Parfois, ça me fait
peur. ), Nous a-t-elle confié lors de notre deuxième rencontre à Paris en septembre
2007. »(1)
Donc c’est cette coupure langagière avec son pays natal qui l’a inspiré, et qui l’a
poussé à revenir infatigablement sur son passé, Leila Sebbar a grandi dans cette
langue, une belle langue… créatrice, avec laquelle elle pouvait parler de tout sans
avoir peur et sans tabous.
L’Algérie pour notre écrivaine est un pays étranger Et distant, et c’est grâce à la
langue de sa mère et de l’exil par la suite, qu’elle pouvait revenir sur ses origines et
ses racines.
Leila Sebbar ne parle pas la langue de son père, et s’est retrouvée obligée d’écrire en
langue française, sa langue maternelle, « Dans la langue de ma mère, j’écris des
romans avec de l’étranger »(2), mais aussi La langue qui lui a permis de dire et de
raconter son passé à elle, ainsi que l’histoire de son pays, et dans ce contexte elle
affirme :
« Je suis française, écrivain français de mère française et père algérien…, et les sujets
de mes livres ne sont pas mon identité, ils sont le signe, les signes de mon histoire de
croisée de métisse obsédée par la rencontre surréaliste de l’Autre et du Même, par le
croisement contre nature et lyrique de la terre et de la ville, de la science et de la
chair, de la tradition et de la modernité, de l’Orient et de l’Occident.»(3)
______________________________________________________________________
(1)- L’écriture « entre-les-langues » des auteures maghrébines de langue française et des auteures de « l’entre-des », page 83. (2-)Article paru dans La Nouvelle République. Par des livres, bâtir des ponts, 08 décembre 2005 par Maya Larguet. Site : /Dz Lit – Leïla Sebbar .htm (3)-Leïla, Sebbar. Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil, avec Nancy Huston, page134.
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Ainsi pour clore notre chapitre dans lequel nous avons parlé de la langue française
qui a été non seulement la langue protectrice et qui a servi de carapace pour la
romancière, mais aussi la seule langue de création et de communication pour Leila
Sebbar que ce soit pendant ses années passées en Algérie, ou bien en exil ou elle vit
jusqu’aujourd’hui ,et dans ce contexte elle écrit :
« D'abord, depuis le premier jour au monde et pour toujours, il y a la langue de ma
mère, la belle langue de France. Claire, lumineuse. Les mots de la lumière et des
Lumières. Je la parle, je l'écris, je l'aime. On m'apprend qu'elle dit, et elle seule, la
Justice, l'Égalité, la Fraternité. Pourquoi je ne le croirais pas ? Elle raconte des histoires
d'amour anciennes et nouvelles, les histoires que je lis dans les livres, il y a beaucoup
de livres, partout. Je vis les livres et le monde, les pays loin, au-delà des mers,
jusqu'aux terribles hivers du grand Nord. Du pays qui est le mien, je ne lis rien. Il
m'arrive de le voir, je ne suis pas sûre de le regarder, attentive aux seuls pays des
livres…. » (1)
Dans ce registre, Leila Sebbar continue de s’exprimer sur le même sujet :
« Le pays de ma naissance, le pays de mon père n'est pas le pays de mes livres, ceux
que je lis (plus tard, bien plus tard, j'écrirai et ce pays-là ne quittera plus mes livres. En
attendant…). Rien, ni les mots ni les pages, n'éclairent le pays de mon père. Pourtant
le ciel est bleu, la mer est bleue et le soleil. Mon père appartient à sa langue, la langue
absente qu'il retient. Mon père tient sa langue dans l'ombre. Elle ne parle pas, ne
chante pas, ne légende pas. Il laisse à l'autre langue un vaste territoire qu'elle
confisque pour l'occuper et le féconder … » (2)
_________________________________________________________________________________________________________________
(1)- Leïla Sebbar, « L’ombre de la langue », 2005, p 35
(2)- Leïla Sebbar, « L’ombre de la langue », 2005, p 35
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Ainsi, elle dit que :
« Je suis née dans une maison où la langue de France est la Langue. La langue arabe
n'a pas droit de maison ni d'école. Mon père garde la langue de sa mère dans une
terre obscure, interdite, qu'il garde de la langue séductrice. Pas de rivalité entre l'une
et l'autre. L'ombre de la langue arabe la préserve. Comme s'il devait taire une langue
secrète, clandestine, mon père fait silence. La langue de mon père est maudite ? C'est
ce que je crois quand je franchis la clôture et parce que c'est la guerre. Mon père
m'aurait protégée du diable ? Les filles de la colonie me le disent, l'autre langue, la
sournoise, la félonne, langue de l'enfer sous terre, la langue de mon père est maudite
et avec elle son peuple, pas sa terre conquise, la terre est française, la langue
algérienne.
Ainsi, la langue de ma mère, mon père l'aime, il aime ma mère, n'est pas la langue de
lumière porteuse de Justice, Égalité, Fraternité… » (1)
Ces passages résument bien le rapport qu’entretient l’auteur avec la langue française,
une langue qu’elle parle, qu’elle aime, qu’elle maîtrise ,Une langue dont elle est fière
car elle représente tout ce qui est clair et lumineux, la langue des lettres et des
sciences .
Donc c’est en français que notre écrivaine cherchait des réponses à ses questions
concernant l’absence de la langue de son père puisque ce dernier a choisi le silence
comme moyen de protéger ses enfants de la guerre d’indépendance, et essaye de
raconter l’histoire de son pays à partir des informations et des réponses qu’elle a pu
avoir des livres et du peuple de son père.
Chez Leila Sebbar la langue française n’est pas juste une langue parlée ou bien une
langue de communication, mais c’est aussi une langue d’écriture ou nous pouvons
66
trouver toute la beauté qu’une langue peut contenir, et c’est avec la langue de sa
mère que notre romancière a produit son œuvre autobiographique
« Je ne parle pas la langue de mon père », ou elle a abordé sa fabrication de son
identité complexe.
______________________________________________________________________
(1)- Leïla Sebbar, « L’ombre de la langue », 2005, p 36.
67
Conclusion
68
Conclusion :
L’intitulé de notre étude est le rôle et l’impact de la langue du père et du pays
natal de Leila Sebbar dans « Je ne parle pas la langue de mon père », cette absence de
langue qui est la cause principale de la complexité identitaire de l’écrivaine.
En premier lieu, nous nous sommes intéressés dans la première partie à
l’identité compliquée de l’écrivaine, cette dernière qui n’arrive pas elle même à se
situer par rapport à son identité, chose due à l’exil géographique que Leila Sebbar a
vécu à dix huit ans lors de son départ en France, l’exil de la langue car même quant
elle vivait à Hennaya avec sa famille, la langue arabe était interdite à la maison, ce
qui nous a poussé à poser la question suivante :est ce que cette décision prise par le
père a une relation directe avec sa femme française ou non?, la troisième forme
d’exil est celle par rapport à son père, cet étranger bien-aimé avec qui elle vivait sous
le même toit mais ne savait rien de sa vie, ni de l’histoire de son pays colonisé à
l’époque.
Ensuite dans le deuxième chapitre de cette partie nous avons essayé de parler de
l’écriture de Leila Sebbar, une écriture autobiographique dont elle évoque
généralement les même thèmes qui sont : le père la langue l’exil et l’identité, dans le
même contexte nous avons cité quelques autres œuvres autobiographiques de
l’écrivaine. Cette écriture autobiographique était une sorte de moyen pour elle
d’exprimer ses sentiments surtout durant son vécu en exil.
Dans la deuxième parie consacrée à l’outil théorique, nous avons défini les deux
notions de l’autobiographie et l’autofiction, tout en l’appliquant sur notre corpus,
dans ce récit le pacte autobiographique Lejeunien est établi, en effet l’identité
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auteur, narrateur, personnage est respectée, cela n’empêche la part que fait
l’autofiction dans le récit.
En dernier lieu, dans notre troisième partie nous avons analysé le silence du père,
et la relation de Leila Sebbar avec les deux langues : maternelles et paternelles.
Nous avons commencé avec le silence du père, un silence éternel, un silence qui a
commencé en Algérie quant Leila essayait de comprendre ce qui se passait en Algérie,
ensuite un silence à distance, ce que nous avons compris directement dés le début du
récit avec l’appel téléphonique entre le père et la fille.
Nous avons essayé d’expliquer que ce silence du père et même de sa langue était une
sorte de protection pour les filles, car le père voulait éloigner sa famille avec tous les
moyens de la violence et l’horreur de la guerre.
La langue française aussi est très présente dans le récit, nous avons expliqué qu’elle
n’était pas juste la langue de l’école et de la mère, mais aussi la langue d’adoption du
père, une langue qui a servi de carapace pour les filles du maitre d’école, la langue de
la beauté et de l’écriture pour Leila Sebbar.
Nous avons l’impression que ce récit autobiographique de Leila Sebbar était non
seulement un hommage pour le père (l’étranger bien-aimé), mais aussi une quête de
son appartenance identitaire et communautaire, un déchirement et un déracinement
que l’auteur ressent toujours en exil après tout ce temps.
Tout ce travail de recherche, et cette analyse nous mène vers une autre question qui
se pose par elle même, Cette privation de la langue du père, fut-elle une cause
directe qui fait de Leïla Sebbar une écrivaine de l'exil ? Et est ce qu’il Existe une autre
langue dans laquelle Leïla Sebbar peut écrire sa vie ?
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Résumé
Ce mémoire évoque une écrivaine franco-algérienne particulière par son statut
compliqué, et l’impossibilité de pouvoir la classer : française, algérienne ou autre
chose.
De ce fait notre travail consiste à démontrer les raisons de cette appartenance
identitaire fabriquée et complexe, et la réponse reste le silence du père, un silence
qui a fait de Leila Sebbar une écrivaine d’exil par excellence, et le silence de la langue
du père l’arabe, la langue de l’émotion et de la violence.
Notre récit « Je ne parle pas la langue de mon père », est un hommage pour le père,
que Leila Sebbar surnommait « l’étranger bien-aimé ».
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Summary
Our work evokes a special writer Franco-Algerian with a complicated status, and the
possibility to classify her: French, Algerian or other.
So our work is to demonstrate the reasons for this sense of belonging and made
complex, and the answer remains silent father, a silence that made Leila Sebbar a
writer in exile par excellence, and the silence of the language father Arabic, the
language of emotion and violence.
Our story "I do not speak the language of my father," is a tribute to the father, Leila
Sebbar nicknamed "abroad beloved."
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:صــــلخـم
هذه المذكرة تتناول كاتبة فرنسية جزائرية تكونت شخصيتها من وضعية خاصة
انية تصنيفها : فرنسية جزائريه أوأي تصنيف آخر. مك و معقدة وعدم إ
وانطلاقا من هذا سنتناول في بحثنا أسباب الانتماء المصطنع و المعقد ،
والجواب على هذا يبقى صمت الأب ، و هذا الصمت هو ما جعل" ليلى صبار"
كاتبة منفى بامتياز ، بالإضافة إلى صمت لغة الأب العربية ، لغة التأثر و
عنف. ال
" هي تكريم لهذا الأب، الذي كانت ليلى " أنا لا أتكلم لغة أبيقصة هذا الكتاب
".الغريب الحبيبصبار تطلق عليه اسم "
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Bibliographie
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Bibliographie
Œuvres de Leila Sebbar :
1- Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003.
2- Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil, écrit en collaboration avec Nancy
Huston, Barrault, 1986, J’ai lu, 1999.
3- Le silence des rives, Paris, Stock, 1993.
4- La jeune fille au balcon, Seuil, coll. Point Virgule, 2001.(Nouvelle)
5-L'ombre de la langue parue dans L'ombre - a sombra, Sigila,
Revue transdisciplinaire Franco-portugaise sur le secret, automne hiver 2005,
Gris-France.
6_L’arabe comme un chant secret, Bleu autour, 2007, 2010.
7- Si je parle la langue de ma mère, Les temps modernes, 1978.
8- Sherazade, Stock, 1982, 1984.
II-Ouvrages théoriques :
1-ACHOUR, Christiane. Anthologie de la littérature algérienne de langue
française, Bordas. Paris. Janvier 1990.
2- Doubrovsky Serge, Fils, Roman, Paris, Galilée, 1977.
75
3- Genette Gérard, Figures 3, Editions du Seuil, 1972.
4-LARONDE, Michel. Autour du roman beur : Immigration et identité. Paris,
L’Harmattan, 1993, coll. Critiques littéraires. Essai.
5- Lejeune Philippe, Le pacte autobiographique, Editions du Seuil, Paris,1975,
1996
6- Lejeune Philippe, Le pacte autobiographique 2, Signes de vie, Editions du
Seuil, Paris, 2005.
7- Lejeune Philippe, Moi aussi, Paris, Editions du Seuil, coll. Poétique,
1986.
Articles consacrés à Leila Sebbar :
1-BOUILLEZ, Jean-Pierre. Je ne parle pas la langue de mon père. TV5 le
09/01/2003.
2-L’exilée du paysage de l’enfance, article paru dans Le Jeune Indépendant le 8
mai 2003.
3-Par des livres, bâtir des ponts article paru dans La Nouvelle République le 08
décembre 2005 par Maya Larguet.
4-TERVONEN, Taina. Je ne parle pas la langue de mon père février 2003, publié
le 14/03/2003 sur Africultures site et la revue de référence des cultures
africaines.
76
Sitographie :
1-Le site de Leila Sebbar : http://clinet.swarthmore.edu/leila_sebbar/
2-www. E / Dz Lit- Leila Sebbar.htm
3-http://wwwafricultures.com
4- clicnet.swarthmore.edu/leila_Sebbar/recherche/denise_brahimi.htm.
5- www.limag.refer.org/volumes/Sebbar.htm.
6-Clicnet.swarthmore.edu/leila_sebbar/recherche/anne_obajtek.htm.
-7-www.fabula.com.
8-http://www.jstor.org/pss/393383
9-http://www.unsa-
education.org/modules.php?name=News&file=article&sid=746