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Pourquoi le roman québécois est-il si peu lu et reconnu à l’étranger, alors qu’à nous, il a tant à dire et paraît si précieux ? Qu’est-ce qui fait que même les œuvres les plus fortes de notre tradition romanesque ne réussissent à parler qu’à nous et à presque personne d’autre ? Et de quoi nous parlent-elles exactement, ces œuvres, dont ne parlent pascelles qui viennent d’ailleurs ? Bref, en quoi consiste la vraie singularité du roman québécois ?

Des Anciens Canadiens aux Histoires de déserteurs d’André Major, de Maria Chapdelaine et Trente arpents à Poussière sur la ville et Une saison dans la vie d’Emmanuel, sans oublier les œuvres de Gabrielle Roy, Réjean Ducharme, Hubert Aquin ou Jacques Poulin, ce que le roman québécois, à travers la diversité de ses formes et de ses sujets, a de toutà fait unique, constate Isabelle Daunais, c’est l’expérience existentielle particulière sur laquelle il repose et qu’il ne cesse d’illustrer et d’interroger inlassablement. Cette expérience, toujours renouvelée et cependant toujours la même quels que soient le contexte ou l’époque, c’est celle de l’impossibilité de toute aventure réelle dans un monde soumis au régime de l’idylle, c’est-à-dire un monde à l’abri du monde, préservé depuis toujours des conflits, des transformations, des risques et des surprises de l’Histoire. Comment, dans un monde pareil, le roman (qui depuis toujours se nourrit d’aventure) demeure-t-il possible ? Isabelle Daunais montre qu’il le demeure en continuant de faire ce que fait tout roman digne de ce nom : éclairer la réalité d’un tel monde, la suivre jusque dans ses derniers retranchements, afin « de nous éclairer sur nous-mêmes comme aucune autre forme de savoir ou de connaissance n’y parvient ».

Isabelle Daunais enseigne les lettres françaises à l’Université McGill, où elle dirige le groupe TSAR (« Travaux sur les ar ts du roman »). Elle a publié d’importantes études sur le roman (Frontière du roman, 2002 ; Les Grandes Disparitions, 2008) et un recueil d’essais intitulé Des ponts dans la brume (Boréal, 2008).

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ISBN 978-2-7646-2364-0

22,95 $17 e

isabelle daunais

le roman sans aventure

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Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) h2j 2l2

www.editionsboreal.qc.ca

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du même auteur

Flaubert et la scénographie romanesque, Nizet, 1993.

L’Art de la mesure ou l’invention de l’espace dans les récits d’Orient (xix e siècle), Presses universitaires de Vincennes / Presses de l’Uni-versité de Montréal, 1996.

Frontière du roman. Le personnage réaliste et ses fictions, Presses de l’Uni-versité de Montréal / Presses universitaires de Vincennes, 2002.

Des ponts dans la brume, Boréal, coll. «Papiers collés», 2008.

Les Grandes Disparitions. Essai sur la mémoire du roman, Presses univer-sitaires de Vincennes, 2008.

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Isabelle Daunais

Le Roman sans aventure

Boréal

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© Les Éditions du Boréal 2015

Dépôt légal: 1er trimestre 2015

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada: DimediaDiffusion et distribution en Europe: Volumen

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Daunais, Isabelle, 1963-

Le roman sans aventure

Comprend des références bibliographiques et un index

isbn 978-2-7646-2364-0

1. Roman québécois – Histoire et critique. I. Titre.

ps8199.5.q8d38 2015 c843.009 c2014-942568-6

ps9199.5.q8d38 2015

isbn papier 978-2-7646-2364-0

isbn pdf 978-2-7646-3364-9

isbn epub 978-2-7646-4364-8

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Introduction

L’un des traits les plus frappants de la production artistique québécoise, mais sur lequel, curieusement, personne ne s’est jamais penché, est la distinction très nette que connaissent dans leur rayonnement les arts «majeurs» que sont la litté-rature, la peinture, la musique, l’architecture, la philosophie d’un côté, et, de l’autre, les arts du spectacle que sont la chan-son, le cirque, la scénographie. Alors que les productions des arts du spectacle circulent avec succès sur toutes les scènes de la planète et qu’elles sont reconnues comme parfaitement en phase avec leur domaine (si elles n’en sont pas les modèles), les œuvres des arts majeurs ne sont pratiquement d’aucune incidence, ne sont considérées importantes ou marquantes par personne au sein de ce qu’on peut appeler avec Milan Kundera le «grand contexte1» ou le contexte supranational de ces arts.

À quoi tiennent cette différence et, surtout, cette anoma-lie? Car une telle absence de rayonnement, de la part des arts majeurs, est tout à fait singulière. Si on peut toujours la concevoir (et encore) pour des arts comme la poésie ou la peinture, qui par tradition ont des publics plus restreints

1. Milan Kundera, Le Rideau, dans Œuvre, tome II, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 2011, p. 968.

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et dont les moyens mêmes de rayonnement sont par consé-quent plus limités, elle est particulièrement étonnante pour cet art à la fois majeur et de grande circulation qu’est l’art du roman. Elle l’est d’autant plus que le roman, au Québec, n’a cessé au cours du dernier siècle, et plus particulièrement au cours des quatre ou cinq dernières décennies, de gagner en autonomie, en diversité, en inventivité. Et pourtant: dans le patrimoine des œuvres marquantes, des œuvres qui des-sinent un avant et un après (avant et après Balzac, avant et après Proust, avant et après Kafka, avant et après Faulkner) ou simplement qui se détachent comme des repères auxquels chacun peut se référer, le roman québécois est presque tota-lement, voire totalement absent. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’il n’y ait pas d’œuvres qui aient dépassé nos frontières ni qu’il n’y ait pas d’excellents romans au sein de notre «tra-dition». Seulement, aucune de ces œuvres n’a marqué dura-blement l’histoire générale du roman, aucune n’est devenue, pour les lecteurs du grand contexte de l’art romanesque, une œuvre éclairante pour la compréhension de l’aventure humaine.

Si la question se pose particulièrement pour le roman, ce n’est pas seulement parce que l’anomalie y est plus évidente ou plus spectaculaire qu’ailleurs. C’est aussi parce que le roman est la forme qui met elle-même en scène les termes de cette question. Son essence est de révéler et d’explorer la façon dont nous habitons le monde, dont nous l’affrontons et le concevons, dont il nous emporte. Mais encore faut-il accepter de suivre le roman dans cette question (et dans les réponses qu’il apporte), ce qui ne va pas de soi, puisqu’elle va à l’encontre de toutes nos habitudes critiques et peut-être plus encore de l’idée, à laquelle il est très difficile de ne pas être attaché, que nos œuvres romanesques, quelles qu’elles soient, sont aussi universelles que les autres.

Certes, nous sommes tout à fait conscients que notre roman ne rayonne guère au-delà de nos frontières. Mais force

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est de constater que les explications que nous avons mises au point au fil des ans restent étrangement superficielles, comme si elles avaient moins pour but de comprendre le phénomène que de le justifier. La littérature québécoise est jeune, aimons-nous ainsi à répéter. Cela est vrai, mais outre que d’autres littératures tout aussi jeunes se sont inscrites sans difficulté dans le grand contexte (les littératures américaine et latino-américaine, par exemple, ou celles de la décolonisation), une telle explication ne saurait être convoquée éternellement, sur-tout que l’institution littéraire est aussi forte au Québec qu’ailleurs (et même plus forte qu’en bien des endroits), l’écrivain québécois jouissant de tous les encouragements possibles et imaginables (bourses, prix, maisons d’édition à foison) pour le soutenir dans son métier et sa production.

Autre explication fréquemment citée: c’est le lot des petites littératures que de passer inaperçues et de constam-ment rester sous le boisseau. Sans doute, sauf que nombre de petites littératures ont permis ou, plus exactement, n’ont pas empêché la création d’œuvres majeures et décisives (qu’on pense à celles de Kafka, Fuentes ou Gombrowicz), immédiatement marquantes au sein de leur art. Nous raffi-nons alors l’explication: la littérature québécoise n’est pas une petite littérature comme les autres, elle est une petite littérature francophone; or chacun sait qu’une petite littéra-ture francophone a plus de mal à rayonner à partir de son centre naturel, à savoir la France, que toute autre petite litté-rature traduite dans ce même pays. Là encore, ce n’est pas faux; mais là encore, l’explication ne convainc qu’à moitié ou ne saurait tout expliquer, car on se dit que si une œuvre romanesque québécoise avait été vraiment importante, si elle avait été réellement apte à transformer l’art général du roman et à devenir un repère que l’on n’oublie pas, les réti-cences parisiennes n’auraient pas pu tenir éternellement ou alors cette œuvre aurait fini, pour rayonner, par emprunter d’autres chemins.

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Il n’est aucunement besoin, bien sûr, d’écrire des chefs-d’œuvre pour faire de bons romans. Et il ne s’agit pas de juger ici de la qualité ou de la valeur des œuvres en fonction de leur rayonnement. Mais il est remarquable que cette situa-tion propre au roman québécois, qui de façon systématique n’existe pas, ou pratiquement pas, au-delà de ses frontières, n’ait jamais été abordée comme un élément de ce qui le défi-nit et, par extension, de ce qui définit l’expérience québécoise du monde. On a beau en effet offrir toutes les explications institutionnelles ou politiques possibles et imaginables à cette absence d’influence et de rayonnement, on ne peut rai-sonnablement s’empêcher de se demander si quelque chose de plus fondamental ou de plus existentiel n’est pas en jeu dans ce roman qui reste de manière aussi continue, pour ne pas dire aussi résolue, en marge de l’histoire de son art, qui n’intéresse que ses lecteurs les plus familiers et ne trouve de sens qu’auprès d’eux, comme si ailleurs il devenait «illi-sible».

La question de cette marginalité se pose d’autant plus qu’a existé pendant longtemps au Québec une conscience sinon forte, du moins palpable du grand contexte, perçu comme un horizon lointain, certes, mais qu’on pouvait espé-rer atteindre un jour. Cette conscience s’exprimait sous la forme de l’attente. Une fois passée l’ère des débuts, une fois notre société entrée dans la modernité, une fois le métier d’écrivain reconnu, arriverait le moment, nous disions-nous, où surviendraient une, voire plusieurs «grandes œuvres» grâce auxquelles l’entrée de la littérature québécoise dans le vaste monde des lettres serait officialisée. Ce raisonnement misait sur l’idée que, les conditions d’une pratique soutenue de la littérature ayant été au Québec longtemps contraintes (bassin restreint d’écrivains, lectorat limité, censure du clergé), mais le mouvement des lettres étant comme pour toute chose celui du progrès, l’œuvre espérée devait forcé-ment apparaître un jour ou l’autre.

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La Révolution tranquille a été le grand moment de cette attente, son point culminant si l’on peut dire, l’époque four-nissant alors quantité d’œuvres de grande qualité et, mieux encore, «de rupture» (du moins est-ce ainsi qu’on les conce-vait), qui permettaient de croire que la véritable naissance du roman québécois avait enfin lieu. C’était l’époque où l’on semblait voir s’ouvrir de façon concrète les portes du grand contexte, avec la publication à Paris des œuvres de Réjean Ducharme, d’Anne Hébert, de Jacques Godbout, de Marie-Claire Blais et, surtout, avec le sentiment que des œuvres écrites au Québec pouvaient rivaliser avec n’importe quelles autres, comme le résume la célèbre exclamation du critique Jean Éthier-Blais à la parution de Prochain Épisode de Hubert Aquin: «Nous n’avons plus à chercher. Nous le tenons, notre grand écrivain. Mon Dieu, merci2», qui symbolise à elle seule toute l’intensité de l’attente.

Si la Révolution tranquille a marqué le point culminant de cette attente, c’est-à-dire de cette conscience du grand contexte, elle en a également marqué, en un retournement aussi curieux que soudain, l’abandon. Cet abandon s’ex-plique sans doute en partie par une sorte de résignation, puisqu’en dépit de leur percée aucune des œuvres alors célé-brées n’a donné lieu à une véritable installation du roman québécois dans le grand contexte. Mais il s’explique peut-être plus sûrement par le fait qu’au moment même où elle sem-blait enfin vouloir être récompensée, l’attente était en train de devenir, si elle ne l’était pas déjà devenue, une idée, une valeur, une attitude du passé. Alors que la maturité tant dési-rée semblait enfin atteinte, ce sur quoi les regards avaient été braqués pendant des décennies a cessé, en l’espace d’à peine quelques années, d’être désirable pour devenir dépassé, inu-tile, pour ne pas dire rétrograde. Ce retournement s’explique

2. Jean Éthier-Blais, Le Devoir, 13 novembre 1965.

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bien sûr par l’esprit même de la Révolution tranquille, dont les grands mots d’ordre de «commencement» et de «temps nouveaux» allaient à l’encontre du principe de longue durée auquel le grand contexte est rattaché par définition. Les écri-vains grâce auxquels ceux qui avaient attendu croyaient enfin possible de récolter les fruits de leur longue patience, loin de chercher à inscrire leurs œuvres dans le vaste héritage de leur art, s’efforçaient au contraire de rajeunir cet art, de le délester de tout ce qu’il contenait de passé (et du passé), de le libérer des contraintes qui pesaient sur lui. L’heure n’était plus à se conformer ou à tenter de se conformer à ce qui est attendu d’une grande œuvre, mais à lutter contre les «aliéna- tions» d’une telle attente et à contester les hiérarchies. Encore prononçable en 1965, le cri d’admiration de Jean Éthier-Blais était pratiquement impensable à peine quelques années plus tard, alors que Les Belles-Sœurs de Michel Trem-blay et «Speak White» de Michèle Lalonde devenaient les emblèmes d’une littérature émancipée qui refusait toute forme d’autorité (d’ailleurs, si cette phrase célèbre du cri-tique est restée dans les esprits, c’est moins pour sa valeur de «vérité», c’est-à-dire comme témoignage de l’importance de l’œuvre d’Aquin, que pour sa valeur de vestige, comme témoignage d’une façon ancienne de penser la littérature). Aux yeux des écrivains issus de la Révolution tranquille, la littérature québécoise «se faisait», pour reprendre l’expres-sion de Gilles Marcotte, et se faisait d’abord pour elle-même et par elle-même. L’attente était d’autant plus superflue et dépassée que le milieu littéraire était vivant comme jamais, animé par la création de nouvelles maisons d’édition, de pro-grammes de subventions, d’associations diverses – création elle-même mue et soutenue par cet affranchissement que constituait le fait de ne plus avoir à se soucier du grand contexte et de ses contraintes. Et il est vrai que la fin de l’at-tente avait indéniablement ses avantages, puisque cesser d’attendre (ou de rêver) une grande œuvre, c’était rendre

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légitimes toutes les œuvres, supprimer toute forme d’inhi-bition ou de retenue, bref, libérer la production pour le bon fonctionnement même du système.

Cette libération s’est en outre accompagnée d’une nou-velle activité qui, à bien des égards, s’est mise à remplacer l’attente: l’étude des œuvres et plus particulièrement leur étude savante. Favorisée par le développement des universi-tés, qui commençaient à mettre au point méthodes, théories et instruments de toutes sortes en plus de créer des pro-grammes qui lui étaient spécifiquement consacrés, l’étude professionnelle de la littérature québécoise devenait le moyen par lequel il était possible, même en l’absence de chefs-d’œuvre, de faire de cette littérature une littérature égale aux autres, aussi digne d’intérêt et aussi complexe que celles venues de traditions plus riches ou plus anciennes. Sous le pouvoir égalisateur du travail d’analyse, d’inventaire (qu’on pense au Dictionnaire des œuvres littéraires du Qué-bec) et de recherche, la littérature québécoise n’avait plus à dépendre de la survenue d’une quelconque œuvre grandiose pour se comparer aux autres; elle pouvait dès lors fournir tout ce qu’il fallait à la réflexion et à l’exégèse, à la condition toutefois que cette exégèse reste aussi proche que possible du petit contexte, qu’elle ne subisse pas, en d’autres mots, le poids de la comparaison avec le grand contexte. Or cette lecture était d’autant plus facile, et pour tout dire naturelle, que la littérature n’était alors pas seule à «se faire»; le Qué-bec aussi se faisait, s’inventait, s’autoanalysait, se penchait sur sa généalogie. En lançant travaux et chantiers, la critique s’est mise tout entière au service de cette réflexion: cessant de chercher à voir comment la littérature québécoise pouvait ou non produire de grandes œuvres, elle s’est mise à étudier la façon dont les œuvres témoignaient du développement et de la transformation de la société – et comment, en retour, la société expliquait le développement des œuvres. Devant la multiplicité et le renouveau des productions, devant la

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vigueur du milieu, devant l’abondance des analyses, la litté-rature québécoise ne pouvait plus être elle-même la cause de sa marginalité; cette cause se devait d’être extérieure, insti-tutionnelle, non pas le fait de failles ou de particularités indi-gènes, mais la faute du grand contexte lui-même, qu’on a alors fini par abandonner pour de bon comme horizon.

Il ne s’agit pas de dire que ces travaux d’inventaire et d’analyse ne sont pas pertinents, mais on peut se demander ce que nous avons perdu – pour la compréhension même de sa singularité et, encore une fois, de la singularité de notre expérience du monde – à ne plus penser le roman québécois dans le grand contexte de l’art romanesque. Certes, l’attente n’était pas un outil très efficace pour cette réflexion, puisque selon cette «méthode» la réponse était, par définition, toute trouvée: c’est parce que la littérature québécoise n’avait pas encore atteint sa pleine maturité qu’elle ne rayonnait pas. Mais cette explication, aussi sommaire fût-elle, permettait tout de même de sentir que c’était du côté des œuvres que le problème se posait, que c’était dans ce qu’elles ne parve-naient pas (encore) à faire que logeait le nœud de leur rap-port à leur art.

Évidemment, il ne suffit pas plus de dire que le roman québécois n’a rien de marquant à offrir que d’évacuer la question en nous convainquant – par foi, par désir, par péti-tion de principe – que ce roman nous éclaire sur l’aventure humaine avec la même force, la même pénétration et la même efficacité que le font les œuvres des autres littératures. Il ne s’agit ni d’accuser ni de défendre le roman québécois de quoi que ce soit, mais de comprendre ce que nous dit à son sujet, et au sujet du monde dont il est issu, cette marginalité qui est la sienne et ne le rend intéressant – et d’une certaine manière valable – que pour son public le plus immédiat. Autrement dit, il s’agit d’aborder la question justement comme une question. Et, comme pour toute question à laquelle il ne saurait y avoir de réponse assurée – mais ce sont

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là les seules questions qui comptent –, de tenter une hypo-thèse, en voyant jusqu’où elle peut nous mener.

Cette hypothèse, je l’énoncerai comme suit: si le roman québécois est sans valeur pour le grand contexte, s’il ne constitue un repère pour personne sauf ses lecteurs natifs, c’est parce que l’expérience du monde dont il rend compte est étrangère aux autres lecteurs, qu’elle ne correspond pour eux à rien de connu et, surtout, à rien de ce qu’il leur est possible ni même désirable de connaître. Cette expérience, c’est celle de l’absence d’aventure ou de l’impossibilité de l’aventure. Par aventure, je ne veux pas dire l’action et les péripéties propres à tout roman, et dont le roman québécois n’est pas moins pourvu qu’un autre, non plus que les quêtes et conquêtes de toutes sortes qu’entreprennent ses person-nages, mais le fait pour ces derniers d’être emportés dans une situation existentielle qui les dépasse et les transforme, et, par cette expérience, de révéler un aspect jusque-là inédit ou inexploré du monde. Tous les grands romans racontent une aventure, lancent dans le monde des personnages qui en rap-portent une perception ou une compréhension nouvelle par laquelle ce monde, par la suite, ne peut plus être vu de la même façon. Ce principe ne vaut pas seulement pour le roman, mais pour toutes les œuvres, quel que soit l’art dont elles relèvent, qui découvrent un aspect du monde qu’avant elles on ne voyait pas, ou qu’on ne voyait pas de la même façon. À la différence que le roman a ceci de particulier qu’il raconte ce qu’il découvre, qu’il en fait un événement vécu, une question offerte à la conscience même de ses person-nages. Or, dans le cas du roman québécois, aucune question, aucun événement n’ébranle assez le monde où vivent les per-sonnages pour leur offrir, au sens fort du terme, une aven-ture.

L’idée que le roman québécois soit sans aventure a déjà été esquissée par Gilles Marcotte à propos des œuvres de la Révolution tranquille, dont il relevait, dans son essai de 1976

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sur le «roman à l’imparfait», l’absence du temps «accom-pli» de l’action et de l’Histoire en marche au profit de celui, suspendu, de l’inachèvement. Ce temps de l’imparfait, pro-posait Marcotte, constituait une forme d’échec ou de dérive par rapport aux espoirs que le roman des décennies anté-rieures avait permis d’entretenir, l’expression d’une maturité sinon ratée, du moins reportée à plus tard alors même qu’on aurait pu croire, après les œuvres «réalistes» de Ringuet, de Gabrielle Roy, d’André Langevin, qu’elle était sur le point d’advenir:

Il s’est donc passé quelque chose que nous n’avions pas prévu et qu’aujourd’hui encore nous n’avons pas complè-tement assimilé. Le roman, au Québec, est plus abondant, plus riche, mieux écrit, plus habile dans ses jeux formels, qu’il ne l’a jamais été; d’autre part il semble plus éloigné que jamais de la tâche que nous lui avions confiée, de rendre compte, sur le mode de la «comédie humaine», des articu-lations essentielles de notre histoire collective3.

Le Roman à l’imparfait compte parmi les études les plus éclairantes qui ont été faites sur le roman québécois. Sa pers-picacité tient en bonne partie à ce que le temps nouveau de la Révolution tranquille y est observé non pas de l’intérieur, depuis la fin ou l’émancipation de l’attente, mais de l’exté-rieur, depuis le souvenir de l’attente ou, si l’on préfère, depuis le souvenir du grand contexte. C’est à travers ce souvenir que Marcotte voit que quelque chose ne s’est pas passé qui, en toute logique, aurait dû se passer; c’est parce qu’il n’a pas oublié le grand contexte du roman qu’il observe ce paradoxe, sinon cette anomalie: l’inventivité, l’habileté, le savoir-faire,

3. Gilles Marcotte, Le Roman à l’imparfait, Montréal, L’Hexagone, coll. «Typo», 1989, p. 11.

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en un mot, le «progrès», loin de rapprocher le roman qué-bécois de la grande comédie humaine, l’en a éloigné.

Mais le souvenir de l’attente est aussi ce qui empêche le critique de voir que cette anomalie n’en est pas vraiment une. Car, en dépit de ce qu’a pu donner à penser le roman des années antérieures, en particulier celui des années 1940 et 1950, de facture largement réaliste et donnant à lire par là un temps en apparence plus «parfait», construit, linéaire, ce n’est pas seulement au moment de la Révolution tranquille que le roman québécois est un roman à l’imparfait; ce n’est pas par une bifurcation de la trajectoire amorcée ou en inter-rompant son développement qu’il met en scène une durée immobile. C’est depuis ses débuts que l’imparfait est son temps de prédilection; c’est depuis ses origines qu’il raconte, à quelques rares exceptions près, la vie de personnages sus-pendus dans un temps qui se répète, sans apprentissage autre que celui qu’il leur est possible de prévoir, loin de toute forme d’aventure. Bref, c’est de façon continue et intrinsèque que notre roman est extérieur à la comédie humaine. En fait, si décalage il y a, il ne réside pas entre la tâche demandée (raconter une comédie humaine) et son exécution, mais entre la demande et la possibilité de l’exécuter. Vue depuis le grand contexte, l’absence d’aventure dans le roman québé-cois (que cette aventure soit balzacienne ou non) apparaît comme un manque ou comme une faille. Mais vue depuis l’expérience qui consiste à vivre dans cet espace qu’est le Québec (ou le Canada français), cette absence ne saurait être plus adéquate, plus étroitement liée à un lieu et à ce qu’on peut appeler une «condition», au point qu’elle ne peut être une expérience pour personne d’autre que ceux qui habitent ce lieu et sont liés à cette condition.

Qu’y a-t-il donc de singulier à vivre dans ce lieu du monde qu’est le Québec? Pourquoi échappons-nous ici à l’aventure et à la comédie humaine? Il n’y a évidemment pas de réponse simple à une telle question. Sans doute pouvons-

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nous expliquer plus ou moins objectivement en quoi le Qué-bec, par sa position historique et géographique, est à l’abri des grands combats et des grandes décisions de l’Histoire. Mais pour comprendre ce qu’est l’expérience de vivre, ou mieux: d’exister dans un monde abrité, c’est-à-dire pour répondre à la question de façon subjective – qui est, comme en toutes choses, la façon concrète dont nous faisons l’expé-rience du monde –, il faut partir de cette expérience elle-même, de la façon dont elle peut être existentiellement défi-nie et nommée. Dans L’Art du roman, Milan Kundera donne un nom à cette expérience ou, plus exactement, au monde qui accueille cette expérience: un «monde d’avant le pre-mier conflit; ou, en dehors des conflits; ou, avec des conflits qui ne sont que malentendus, donc faux conflits4». Et ce nom, c’est l’idylle. Ce terme, me semble-t-il, définit parfaite-ment l’expérience québécoise du monde. Car l’idylle ne désigne pas ici un univers pur et merveilleux, expurgé de tout souci, de toute adversité ou de tout malheur, mais, plus modestement et plus concrètement – et à la fois plus terri-blement –, l’état d’un monde pacifié, d’un monde sans com-bat, d’un monde qui se refuse à l’adversité.

L’idée que nous vivons au Québec dans un monde qui n’est pas adverse ne va évidemment pas de soi. Non seule-ment parce que nous avons l’habitude de définir la société québécoise comme une société menacée par ce qui l’entoure et par là amenée à lutter pour sa survie, mais aussi parce que l’expérience humaine en général est celle de l’adversité et du combat. Et parce que cette expérience est générale, juste-ment, parce qu’elle est celle que nous enseignent les grands récits (incluant les grands romans) aussi bien que toute l’his-toire du monde, nous croyons qu’elle est aussi la nôtre.

Or c’est précisément cette illusion que révèle, quand on

4. Milan Kundera, L’Art du roman, dans Œuvre, tome II, p. 720.

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le lit dans sa continuité, le roman québécois. Ce que montre ce roman, à toutes les époques et par-delà les catégories qui ont servi à le définir (roman du terroir, roman de la ville, roman de l’exil), c’est que l’idylle n’est pas pour ceux qui vivent au Québec un rêve ou un état temporaire des choses comme elle l’est là où le monde est adverse, mais la réalité même de leur existence. Alors que partout ailleurs la grande aventure humaine consiste à vivre dans un monde conflic-tuel, ironique ou paradoxal et à rêver, sous la forme d’une quête ou d’un idéal, l’ordre et l’apaisement, les personnages du roman québécois vivent dans un monde apaisé et rêvent, en les imaginant, en les imitant, en les appelant, le conflit et le combat. Commentant l’œuvre de Jacques Ferron, Michel Biron résume très bien ce renversement qui fait pour nous de l’aventure non pas ce qui arrive, mais ce qu’on cherche à faire advenir: «“J’écris et je refais la réalité de mon pays à mon gré”, écrit Ferron dans Le Saint-Élias. Telle est, formu-lée en quelques mots, la vision par excellence du romancier québécois. L’Histoire est moins un héritage avec lequel l’in-dividu doit se débattre qu’une réalité à inventer5.» Le monde de l’idylle, encore une fois, n’exclut ni les drames person- nels, ni les misères de la vie quotidienne, ni les ambitions déçues, ni quoi que ce soit qu’on rencontre dans une vie. Mais c’est un monde qui demeure en retrait de l’aventure ou, plus exactement, c’est un monde au sein duquel l’aventure reste lointaine et inatteignable.

C’est par ce renversement faisant de l’idylle un monde plein (ou permanent) et non pas un état transitoire que le roman québécois ne communique pas avec le reste de l’ex-périence humaine. Pour le commun des mortels, il est pos-sible de vivre momentanément dans une idylle; c’est

5. Michel Biron, Le Roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Boréal express», p. 16.

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d’ailleurs là sa fonction la plus courante: offrir, le temps d’une parenthèse, une forme de repos et d’oubli; ouvrir, au sein de la lutte ou de la course, une brèche où se réfugier tout en sachant que le tourbillon de l’Histoire et les incohérences du monde viendront bientôt la refermer. C’est, pourrait-on proposer, la raison pour laquelle le Québec n’a aucune peine et même excelle à faire rayonner ses arts du spectacle: ceux-ci sont par définition des arts de l’idylle, des arts d’un temps momentanément enchanté, de la suspension de la lutte, de l’oubli temporaire du monde, et chacun les reconnaît comme tels. Mais habiter constamment dans une idylle, être en tout temps à l’abri de l’Histoire, en tout temps dans l’absence de conflit (ou dans de faux conflits, ou dans des substituts de conflits) est une situation exceptionnelle. Elle est si excep-tionnelle et, à bien des égards, si irréelle qu’elle ne peut être, pour celui qui ne la connaît pas et sait pertinemment qu’il ne la connaîtra jamais, qu’une expérience inutile.

Sauf que cette expérience infiniment rare, c’est la nôtre. Elle est à la fois une chance et un malheur. Une chance, car qui ne rêverait de vivre loin des conflits et des combats, dans un monde à l’abri du monde? Un malheur, parce que celui qui vit ainsi est assuré, quoi qu’il fasse et quoi qu’il veuille, de ne jamais connaître que de fausses aventures ou des illusions d’aventure. Cette chance et ce malheur, le roman québécois nous les montre plus que toute autre forme d’art et mieux que n’importe quelle sociologie: en étant lui-même confronté au monde sans aventure qui est le nôtre, c’est en effet la dimension proprement existentielle de cette étrange condi-tion qu’il révèle.

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table des matières 221

Table des matières

Introduction 7

PREMIÈRE PARTIE • LA DÉCOUVERTE DE L’IDyLLE

Comment écrire un roman 23

Une découverte existentielle 52

Une étendue sans fin 68

DEUxIÈME PARTIE • LA CAUSE PERDUE DE L’AVENTURE

La modernisation de l’idylle 87

Un monde inatteignable 108

L’ennui comme seul ennemi 122

TROISIÈME PARTIE • LA TRANQUILLITÉ EN HÉRITAGE

Vivre en retrait du monde 147

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Le jeu de la fausse aventure 161

La normalisation de l’idylle 182

Le point de butée 196

Conclusion 210

Index des œuvres 219

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crédits et remerciements

Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour leurs activités d’édition et remercient le Conseil des arts du Canada pour son soutien financier.

Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.

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mise en pages et typographie: les éditions du boréal

achevé d’imprimer en janvier 2015 sur les presses de l’imprimerie gauvin

à gatineau (québec).

Ce livre a été imprimé sur du papier 100% postconsommation,

traité sans chlore, certifié ÉcoLogo

et fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz.

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Pourquoi le roman québécois est-il si peu lu et reconnu à l’étranger, alors qu’à nous, il a tant à dire et paraît si précieux ? Qu’est-ce qui fait que même les œuvres les plus fortes de notre tradition romanesque ne réussissent à parler qu’à nous et à presque personne d’autre ? Et de quoi nous parlent-elles exactement, ces œuvres, dont ne parlent pascelles qui viennent d’ailleurs ? Bref, en quoi consiste la vraie singularité du roman québécois ?

Des Anciens Canadiens aux Histoires de déserteurs d’André Major, de Maria Chapdelaine et Trente arpents à Poussière sur la ville et Une saison dans la vie d’Emmanuel, sans oublier les œuvres de Gabrielle Roy, Réjean Ducharme, Hubert Aquin ou Jacques Poulin, ce que le roman québécois, à travers la diversité de ses formes et de ses sujets, a de toutà fait unique, constate Isabelle Daunais, c’est l’expérience existentielle particulière sur laquelle il repose et qu’il ne cesse d’illustrer et d’interroger inlassablement. Cette expérience, toujours renouvelée et cependant toujours la même quels que soient le contexte ou l’époque, c’est celle de l’impossibilité de toute aventure réelle dans un monde soumis au régime de l’idylle, c’est-à-dire un monde à l’abri du monde, préservé depuis toujours des conflits, des transformations, des risques et des surprises de l’Histoire. Comment, dans un monde pareil, le roman (qui depuis toujours se nourrit d’aventure) demeure-t-il possible ? Isabelle Daunais montre qu’il le demeure en continuant de faire ce que fait tout roman digne de ce nom : éclairer la réalité d’un tel monde, la suivre jusque dans ses derniers retranchements, afin « de nous éclairer sur nous-mêmes comme aucune autre forme de savoir ou de connaissance n’y parvient ».

Isabelle Daunais enseigne les lettres françaises à l’Université McGill, où elle dirige le groupe TSAR (« Travaux sur les ar ts du roman »). Elle a publié d’importantes études sur le roman (Frontière du roman, 2002 ; Les Grandes Disparitions, 2008) et un recueil d’essais intitulé Des ponts dans la brume (Boréal, 2008).

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