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Étroitement associé à la ville de Québec depuis sa fondation, le fleuve Saint- Laurent a connu d’importants changements au fil des siècles, conséquence du développement économique et des activités récréotouristiques. Porte-parole pour les dossiers transfrontaliers de l’eau à Nature Québec, Marc Hudon examine les principaux enjeux touchant le fleuve, et se fait promoteur de sa protection, de sa mise en valeur et de son développement viable. « À l’heure du réchauffement climatique, écrit-il, il est devenu impératif de mettre en place une nouvelle gouvernance de l’eau, qui fera une large place aux questions proprement locales, mais également aux enjeux transfrontaliers en lien avec la région des Grands Lacs. » Closely associated with Quebec City since the city’s foundation, over the centuries the St. Lawrence river has seen important changes as a result of economic development and recreational activities. Spokesperson for cross-border water issues at Nature Québec, Marc Hudon examines the main environmental challenges the river faces, and suggests ways to ensure its protection and its viable development. “At this juncture as we confront climate change,” he writes, “it is imperative that we put into place a new regime to govern water, to address local issues, but also transborder matters in connection with to the Great Lakes region.” POLICY OPTIONS JULY-AUGUST 2008 61 C omme plusieurs, j’ai parfois tenté d’imaginer l’im- portance qu’a pu avoir le Saint-Laurent pour les peuples amérindiens vivant ici avant l’arrivée des premiers Européens ainsi que pour ses derniers par la suite ; j’ai tenté d’imaginer l’abondance et la diversité que la nature avait alors à offrir. Malgré tous les obstacles, nos ancêtres tenaces sont par- venus à s’implanter graduellement sur un endroit particulier près du fleuve et à créer un établissement permanent, qui est devenu la ville moderne que nous connaissons aujourd’hui. Quatre cents ans plus tard, le Saint-Laurent est toujours là, tout comme la ville de Québec, même si, indéniablement, il est plus âgé, traversant d’est en ouest le territoire du Québec pour pénétrer à l’intérieur du continent, longeant l’État de New York et traversant la frontière de l’Ontario jusqu’aux Grands Lacs. Ayant côtoyé ce majestueux cours d’eau à plusieurs reprises dans ma vie, c’est avec plaisir que je saisis l’occasion qui m’est offerte, pour le 400 e anniversaire de la Ville de Québec, de me faire le promoteur de sa protection, de sa mise en valeur et de son développement viable. Car bien que le Saint-Laurent ait été et demeure un élément géo- graphique spécifique du territoire québécois, il y reste, à mon sens, orphelin de cœur et de pensée. Les Québécois n’ont souvent qu’une perception limitée du Saint-Laurent, ne considérant que l’utilisation qu’ils en font, l’accès qu’il leur procure, les inconvénients ou les bien- faits que le fleuve leur apporte. Mais la question est bien plus complexe, et les principaux usages que nous en faisons (navi- gation commerciale, production hydroélectrique, eau potable, pêche, écosystèmes, récréotourisme, etc.), qui représentent des milliards de dollars en retombées économiques annuelles, appellent une approche plus globale, à plusieurs niveaux. En dépit des progrès réalisés au cours des dernières années, le Saint-Laurent souffre encore de nombreux pro- blèmes. À l’heure du réchauffement climatique, il est devenu impératif de mettre en place une nouvelle gouver- nance de l’eau, qui fera une large place aux questions pro- prement locales, mais également aux enjeux transfrontaliers en lien avec la région des Grands Lacs. M ême si le Saint-Laurent demeure bien vivant, conti- nue de servir à une multitude d’usages et de présen- ter une vaste biodiversité, le fleuve et ses rives ont beaucoup changé au fil des siècles, conséquence du développement économique et des activités récréotouristiques. Le creusage de la Voie maritime, les barrages hydroélec- triques, la régulation des eaux, les aménagements portu- LE SAINT-LAURENT : UN FLEUVE MILLÉNAIRE Marc Hudon

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Étroitement associé à la ville de Québec depuis sa fondation, le fleuve Saint-Laurent a connu d’importants changements au fil des siècles, conséquence dudéveloppement économique et des activités récréotouristiques. Porte-parolepour les dossiers transfrontaliers de l’eau à Nature Québec, Marc Hudonexamine les principaux enjeux touchant le fleuve, et se fait promoteur de saprotection, de sa mise en valeur et de son développement viable. « À l’heure duréchauffement climatique, écrit-il, il est devenu impératif de mettre en placeune nouvelle gouvernance de l’eau, qui fera une large place aux questionsproprement locales, mais également aux enjeux transfrontaliers en lien avec larégion des Grands Lacs. »

Closely associated with Quebec City since the city’s foundation, over the centuriesthe St. Lawrence river has seen important changes as a result of economicdevelopment and recreational activities. Spokesperson for cross-border water issuesat Nature Québec, Marc Hudon examines the main environmental challenges theriver faces, and suggests ways to ensure its protection and its viable development.“At this juncture as we confront climate change,” he writes, “it is imperative thatwe put into place a new regime to govern water, to address local issues, but alsotransborder matters in connection with to the Great Lakes region.”

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C omme plusieurs, j’ai parfois tenté d’imaginer l’im-portance qu’a pu avoir le Saint-Laurent pour lespeuples amérindiens vivant ici avant l’arrivée des

premiers Européens ainsi que pour ses derniers par la suite ;j’ai tenté d’imaginer l’abondance et la diversité que lanature avait alors à offrir.

Malgré tous les obstacles, nos ancêtres tenaces sont par-venus à s’implanter graduellement sur un endroit particulierprès du fleuve et à créer un établissement permanent, qui estdevenu la ville moderne que nous connaissons aujourd’hui.Quatre cents ans plus tard, le Saint-Laurent est toujours là,tout comme la ville de Québec, même si, indéniablement, ilest plus âgé, traversant d’est en ouest le territoire du Québecpour pénétrer à l’intérieur du continent, longeant l’État deNew York et traversant la frontière de l’Ontario jusqu’auxGrands Lacs.

Ayant côtoyé ce majestueux cours d’eau à plusieursreprises dans ma vie, c’est avec plaisir que je saisis l’occasionqui m’est offerte, pour le 400e anniversaire de la Ville deQuébec, de me faire le promoteur de sa protection, de samise en valeur et de son développement viable. Car bienque le Saint-Laurent ait été et demeure un élément géo-graphique spécifique du territoire québécois, il y reste, àmon sens, orphelin de cœur et de pensée.

Les Québécois n’ont souvent qu’une perception limitéedu Saint-Laurent, ne considérant que l’utilisation qu’ils enfont, l’accès qu’il leur procure, les inconvénients ou les bien-faits que le fleuve leur apporte. Mais la question est bien pluscomplexe, et les principaux usages que nous en faisons (navi-gation commerciale, production hydroélectrique, eau potable,pêche, écosystèmes, récréotourisme, etc.), qui représentent desmilliards de dollars en retombées économiques annuelles,appellent une approche plus globale, à plusieurs niveaux.

En dépit des progrès réalisés au cours des dernièresannées, le Saint-Laurent souffre encore de nombreux pro-blèmes. À l’heure du réchauffement climatique, il estdevenu impératif de mettre en place une nouvelle gouver-nance de l’eau, qui fera une large place aux questions pro-prement locales, mais également aux enjeux transfrontaliersen lien avec la région des Grands Lacs.

M ême si le Saint-Laurent demeure bien vivant, conti-nue de servir à une multitude d’usages et de présen-

ter une vaste biodiversité, le fleuve et ses rives ont beaucoupchangé au fil des siècles, conséquence du développementéconomique et des activités récréotouristiques.

Le creusage de la Voie maritime, les barrages hydroélec-triques, la régulation des eaux, les aménagements portu-

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aires, l’ère industrielle avec ses rejetstoxiques, l’érosion des berges et desîles, le rejet d’eaux usées non traitées,l’empiètement dans la plaine inon-dable, l’enrochement des rives àmaints endroits, le développementd’une activité agricole intense à prox-imité de ses tributaires, toutes cesinterventions s’accomplirent sur unelongue période et selon les lois dutemps — et bien souvent, sans grande

attention aux impacts environnemen-taux pour le fleuve et ses habitants.

Il aura fallu que les poissons com-mencent à flotter à l’envers, que lacouleur et l’odeur de l’eau répugnentet que les groupes environnementauxsonnent la fin de la récréation pourque les gouvernements, les villes et lesmunicipalités, l’industrie et lescitoyens prennent conscience collec-tivement des conséquences quasiirréversibles pour le fleuve s’ils nechangeaient pas leurs façons de faire.

S’ensuivirent, au début des années1990, des lois et des règlements plusstricts, des changements de comporte-ment et d’attitude, des plans d’action,de la concertation, des programmesd’assainissement, de l’éducation, de lar e c h e rche pour en arriver à restaurer lefleuve, à le réhabiliter et à le mettre envaleur tout en continuant de l’utiliser etde permettre davantage de développe-ment économique.

Nous pouvons dire qu’il y a, aujour-d’hui, une certaine prise en charge desactivités qui touchent le Saint-Laurent.À titre d’exemple : la voie navigable n’apas été agrandie depuis le projet de dra-gage des hauts-fonds du port deMontréal en 1997 ; on n’y effectue que

du dragage d’entretien afin de retirer duchenal de navigation et de certains portsles sédiments qu’apportent au fleuve lelac Ontario et les tributaires. La gestionde ces sédiments s’est améliorée.

Cette prise en charge s’exerce àdifférents niveaux. Le gouvernementfédéral, par une bonne douzaine deministères, « g è r e » et « e n t r e t i e n t » ,entre autres, la colonne d’eau, alorsque le gouvernement du Québec, par

presque autant de ministères, s’occupedu fond marin jusqu’à la ligne deshautes eaux. La gestion est partagéeaussi en ce qui concerne les ressourcesen poisson, le fédéral s’occupant despêches, et Québec des frayères. N’étantplus autorisées à rejeter l’eau polluéedans le fleuve, les industries égalementont commencé à changer leurs façonsde faire, ou ont déménagé ou choisi defermer leurs portes.

M algré tout, d’importants pro-blèmes demeurent. Par exem-

ple, bien que moins nombreuses quedans les Grands Lacs, des espèces exo-tiques envahissantes se sont établieschez nous, et des efforts sont faitsdepuis afin de minimiser les risquesd’introduction. Les municipalités, bienque dotées d’usines de traitementd’eau, ne peuvent pas toujours traiterefficacement les nouvelles sources depollution. Pour ce qui est du traite-ment adéquat des eaux usées munici-pales, plusieurs installations accusentdes problèmes de débordement lors defortes pluies, et la désinfection fait sou-vent défaut.

En ce qui concerne la pollution dif-fuse agricole, les agriculteurs ne ména-

gent pas leurs efforts pour s’ajuster auxnouvelles lois, malgré des coûts sub-stantiels. Entre autres, ils installent dessystèmes de rétention et de traitementde l’eau, mais la coupe à blanc desarbres en bordure des rivières sur lesterres agricoles facilite la migration dela pollution des eaux souterraines et desurface, qui contiennent encore desquantités importantes de pesticides etd’engrais et sont transportées dans les

tributaires alimentant leSaint-Laurent. De plus,l’érosion des berges et desîles continue de faire desravages. Et que dire des« squelettes orphelins » quidorment hors de vue dansles sédiments au fond duSaint-Laurent québécoissinon que le temps seul nerésoudra rien.

C ’est par complaisancecollective, statistiques

historiques à l’appui, que nous avonslaissé le Saint-Laurent à lui-même pen-dant longtemps. Tout le travail deréflexion et de mise en œuvre autourdu Saint-Laurent s’est effectué dans uncontexte bien particulier : celui dumythe tenace de l’abondance de l’eau.

O r, les variations climatiqueschangent la donne en ce qui concernela quantité et la qualité de l’eau dufleuve. En effet, en période hivernale,la disparition graduelle du couvert deglace fera en sorte d’accroître l’évapo-ration et donc la perte d’eau. De plus,la température de l’eau stagnante ous’écoulant lentement augmentera enété, et son taux d’oxygénation dimi-nuera, ce qui aura des réperc u s s i o n ssur toute la vie aquatique. Lorsque lesapports d’eau de l’amont dimi-nueront pour de très longues péri-odes, la qualité de l’eau,inévitablement, se détériorera, et lesusines de traitement qui ne pourronts’y ajuster produiront une eau d’uneodeur et d’un goût inhabituels.

Ces conséquences sont impor-tantes, et nous devrons donc : 1) sur-veiller la disponibilité, la conservationet la répartition de l’eau des Grands

En ce qui concerne la pollution diffuse agricole, lesagriculteurs ne ménagent pas leurs efforts pour s’ajuster auxnouvelles lois, malgré des coûts substantiels. Entre autres, ilsinstallent des systèmes de rétention et de traitement de l’eau,mais la coupe à blanc des arbres en bordure des rivières surles terres agricoles facilite la migration de la pollution deseaux souterraines et de surface, qui contiennent encore desquantités importantes de pesticides et d’engrais et sonttransportées dans les tributaires alimentant le Saint-Laurent.

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Lacs et du bassin du Saint-Laurent ; 2)suivre étroitement la quantité, la qua-lité et la disponibilité de l’eau à dif-férents endroits du bassin duSaint-Laurent ; 3) nous tenir informésdes besoins en eau grandissants de lapopulation du Midwest, qui n’hésitepas à lorgner vers les Grands Lacs pourson approvisionnement.

Si nous ne faisons pas nos devoirs,les conséquences risquent d’être gravesau niveau social, environnemental etéconomique pour la majorité de lapopulation du Québec, qui, pour prèsde 75 p. 100, vit le long des rives dusystème Saint-Laurent/Grands Lacs. Etla seule manière de se prémunir defaçon équitable, raisonnable et efficaceest d’agir avec diligence, comme nosvoisins en amont.

Cela signifie d’accorder la priorité,à très court terme, au Saint-Laurentafin de minimiser les impacts négatifscumulatifs sur les usages qu’il sup-porte. Bien entendu, le développementéconomique dans la région des Grands

Lacs et du Midwest ne s’est pas faitsans conséquences négatives. Toutesproportions gardées, c’est le même scé-nario qui s’est produit chez nous à l’èredu développement industriel.Cependant, en 2008, l’implication dela collectivité québécoise devient cru-ciale afin de compenser le poids poli-tique du Québec, qui se trouve face àhuit États américains des Grands Lacset à l’Ontario.

P a rce que nous ne sommes qu’unhabitant contre 6,5, nous devons fairela démonstration tangible et perma-nente que l’eau est une ressource pré-cieuse, fragile, que nous protégeons,c o n s e rvons et utilisons avec sagesse.Nous devons montrer que nousappuyons résolument les représen-tants du gouvernement du Québec àfaire valoir les points de vue essentielset les aspirations raisonnables duQuébec, dans un climat de respectmutuel et d’équité, tout au long dudifficile processus d’adaptation quinous attend.

H istoriquement, plusieurs initia-tives ont été prises et des pro-

grammes adoptés pour tenir compte del’aspect environnemental et de ladimension participative du public surles usages de l’eau. On peut penser auPlan Saint-Laurent, mis en place dès ledébut des années 1990, et l’ajout duprogramme de zones d’interv e n t i o nprioritaire, à l’Accord Canada-Ontariodans les années 1990 et les « areas ofprime concern », à l’Accord relatif à laqualité de l’eau des Grands Lacs, con-clu depuis 1978, ou encore aux Planssur les Océans et son programme dezones de protection marines. Cesquelques initiatives éparses, sans inter-dépendance, de même que plusieursautres, répondaient à des besoinsrégionaux dans le contexte climatiquede l’époque.

La nouvelle « gouvernance del’eau » devra examiner le Plan Saint-Laurent, l’approche par bassin versant,la gestion intégrée du Saint-Laurent etles initiatives en amont comme autant

Partis de La Rochelle, en France, le 8 mai, les premiers participants de la Grande Tr a v e r s é e approchent de Québec, empruntant commeChamplain il y a 400 ans le majestueux Saint-Laurent pour arriver, après 43 jours de voyage, « là où le fleuve se rétrécit » .

CP Photo

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d’éléments clés pour nous permettrede développer une vision et des actionsconcertées efficaces, assorties d’unecapacité d’ajustement et d’interaction.Les scénarios possibles découlant duréchauffement (tels de très bas ou detrès hauts niveaux d’eau, de fortespluies en hiver, pour des périodes pro-longées) exigent que nous réexami-nions nos façons de faire désuètes, quenous développions une vision partagéeet des méthodes de travail actualisées,et que nous tissions des liens étroitsavec toutes les parties concernées afind’informer et de collaborer efficace-ment avec les autorités et les popula-tions d’ici et de l’amont.

Ainsi, la façon de travailler deplusieurs directions régionales du gou-vernement fédéral devra être revue,même si elle a beaucoup évolué et queles responsabilités des diverses instancessont maintenant très différentes de cequ’elles étaient il y a 10 ou 15 ans. Àmon avis, le gouvernement fédéral, demanière très discrète, centralise beau-coup trop les pouvoirs décisionnels,l’expertise, les communications et laprise de décision à Ottawa et enOntario. Et cela ne concerne pas que leQuébec, mais toutes les provinces.

Historiquement, lesdirections régionalesfédérales d’ici étaient d’ar-dents défenseurs des intérêtslocaux et régionaux, etrevendiquaient beaucoupd’Ottawa pour subvenir auxbesoins spécifiques du Saint-Laurent (partie marine et flu-viale). Maintenant, lesdécisions concernant le fleuve sontprises à Burlington, en Ontario. De plus,les responsabilités des dirigeants dansces ministères chez nous ne se limitentplus aux besoins d’ici, mais leurs fonc-tions sont horizontales, c’est-à-dire queces personnes sont maintenant respon-sables de l’ensemble des régions duC a n a d a .

Plus spécifiquement, pour faireface aux défis qui nous attendent, legouvernement fédéral devrait : a) financer davantage la recherche et ledéveloppement en science de l’eau et

sur l’état de situation ; b) accroître leseffectifs en place afin de mieux répon-dre aux problèmes croissants ; c) aug-m e n t e r, dans la région des GrandsLacs, la participation des scientifiquesquébécois qui consacrent leursrecherches aux enjeux de l’eau d’ici eten lien avec les Grands Lacs ; d) validerles changements effectués aux pou-voirs et responsabilités des directionsrégionales en termes d’efficacité pourle Saint-Laurent ; e) laisser les scien-tifiques libres de s’exprimer publique-ment en tout temps ; et f) mettre del’avant les besoins régionaux au moinsautant que les priorités canadiennes.

D e son côté, le gouvernement duQuébec devrait faire davantage et

augmenter les budgets des ministèresqui travaillent sur l’eau et sur le Saint-Laurent. Cela servirait à assurer qu’il ya suffisamment de personnel tech-nique sur le terrain (il en manqueprésentement) pour veiller à ce que leslois soient appliquées, pour effectuer lesuivi et participer aux enjeux quirequièrent leur présence à long terme.Je pense à la régulation des eaux et leurimpact sur les usages, aux cas de pollu-tion, où les connaissances et l’expertise

des ministères sont importantes pouratténuer les impacts et informer lescitoyens en continu, etc.

Nous avons besoin : a) d’aug-menter le nombre de scientifiques dansplusieurs domaines pointus, notam-ment en hydraulicité, en modélisation,en biodiversité, en urbanisme, en sécu-rité civile, en études d’impact dudéplacement des populations. Danscette perspective, il est impératif dedévelopper de façon beaucoup plusstratégique nos connaissances de ce quise passe dans la région des Grands Lacs,

de nous tenir au courant des étudeseffectuées sur les impacts des change-ments climatiques et des réflexions encours sur la gouvernance de l’eau ; b)de mieux intégrer tous les ministèresconcernés de près ou de loin par leSaint-Laurent et ses tributaires ; c) d’ac-croître le nombre de représentantsbilingues « f o n c t i o n n e l s » dans les dif-férents ministères du gouvernement duQuébec traitant les dossiers de l’eau duSaint-Laurent et des Grands Lacs ; d)d’augmenter l’enseignement au collé-gial et à l’université sur le chemine-ment et l’hydraulicité de la voieSaint-Laurent/Grands Lacs, et sur sesliens intrinsèques avec notre économieet notre qualité de vie durable ; e) d’im-pliquer davantage la société civile.

T out comme Québec et Ottawa, lesélus des villes riveraines du Saint-

Laurent, et plus particulièrement deMontréal et de Québec, doivent inscrirecette question à l’agenda politique. Celaa f i n ; a) de mieux comprendre et suivrede près les enjeux transfrontaliers ; b)d’informer les municipalités riverainessur l’évolution des problèmes communset prendre note de leurs avis afin d’entenir compte dans les questions concer-

nant les Grands Lacs ; c) de développerles relations stratégiques avec les villessises près des Grands Lacs ; d) de prévoirles ressources humaines et financièresnécessaires afin de participer à l’Alliancedes villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, et aux forums et ateliers de tra-vail pertinents.

En fait, les villes riveraines duQuébec devraient s’unir et créer unef o rce de représentation sur le long termedans la région des Grands Lacs afin de,en parallèle aux efforts du gouverne-ment du Québec et des ONG environ-

En fait, les villes riveraines du Québec devraient s’unir et créerune force de représentation sur le long terme dans la régiondes Grands Lacs afin de, en parallèle aux efforts dugouvernement du Québec et des ONG environnementales,mieux faire comprendre leurs besoins et stimuler despartenariats indispensables pour un meilleur partage de l’eaudes Grands Lacs.

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nementales, mieux faire comprendreleurs besoins et stimuler des partenariatsindispensables pour maintenir unpartage égal de l’eau des Grands Lacs.

Même si la Ville de Québec setrouve en dehors de la zone officielled’influence de la régulation des eauxdu lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent, cette régulation risqued’avoir des conséquences négativespour la ville quadricentenaire et sesenvirons. Ainsi, le gonflement duniveau de l’Atlantique pourrait provo-

q u e r, entre autres, le mouvement versl’amont de « la ligne » des eaux salées,située maintenant à l’Île d’Orléans. Sice rehaussement se produit en mêmetemps que de faibles apports d’eaudouce du lac Ontario, la « l i g n e »risque fort de migrer davantage et decontaminer les prises d’eau de munic-ipalités comme Lévis, Ste-Foy, Cap-Rouge, etc. Il faut donc que les élusintègrent la nouvelle donne à leuréchiquier politique et à leur plan d’ac-tion afin de se préparer le mieux pos-sible aux changements qui risquentde se produire. Pour ce faire, des liensde travail étroits avec nos expertsquébécois, comme ceux d’Ouranos,qui sont des sources majeures d’infor-mation en temps réel, peuvent leurpermettre d’ajuster leur réflexion etvalider dans le temps les déductionscomme celles énoncées dans ce texte.

E n ce qui concerne l’usageéconomique le plus important du

système Saint-Laurent/Grands Lacs, lanavigation commerciale, il y a uneréflexion et un travail collectif àeffectuer pour raffiner la stratégie en

termes de développement durable de cesecteur d’activité. L’industrie, et c’esttout à son honneur, s’attèle à la tâche,en collaboration avec les différentsordres de gouvernement, afin de tenterde se prémunir le plus possible contreles impacts négatifs des variations cli-matiques. Mais la réflexion sur lesmeilleures façons de gérer les volumesd’eau disponibles du Saint-Laurent estdorénavant l’affaire de tous.

À titre d’exemple, dans le butd’établir une toute nouvelle base de

départ, dans un contexte dedéveloppement durable, pour le trans-port des marchandises dans le réseauSaint-Laurent/Grands Lacs, l’industriemaritime — forte de l’appui de la pop-ulation du bassin Saint-Laurent, del’Ontario et des États de l’amont —pourrait examiner la faisabilitéd’établir un réseau de transport mar-itime sans voie navigable (fin du dra-gage d’entretien), qui utiliserait desinfrastructures portuaires ciblées (portsnaturels en eau profonde) pour amenerles plus gros navires jusque dans legolfe et l’estuaire du Saint-Laurent et,pour la suite, ferait appel à un réseaude plus petits navires, ou de bargesconçues spécifiquement pour le trans-port de marchandises en conteneurs,dans la partie fluviale du fleuve et enamont sur les Grands Lacs.

Un tel exercice, réalisé dans la plusgrande transparence, amènerait l’in-dustrie et la population à faire deschoix éclairés et à décider conjointe-ment comment nous voulons, commesociété moderne, tenir compte de nosbesoins croissants tout en protégeantun plan d’eau vital et vivant.

Il faut rappeler que, si le niveau del’eau des Grands Lacs s’abaisse irrémé-diablement avec le réchauffement duclimat, les pressions politiques des po-pulations autour des Grands Lacs pourgarder l’eau pour elles deviendrontintenables. Dans ce contexte, si l’indus-trie maritime au Québec et sa com-posante internationale, dont les navirestransitent par le Saint-Laurent, insistentpour toujours utiliser les plus grosnavires possibles, elles risquent de per-dre face à ces pressions, car l’eau sera

destinée en priorité auxcitoyens. Par contre, si lastratégie de développementmise sur des technologies« d o u c e s » d’adaptation(barges et petits navires) etaffecte les plus gros naviresaux ports naturels en eauprofonde, le Saint-Laurentet sa partie fluviale saurontsoutenir l’industrie aumieux avec l’eau disponible.

L a prise de conscience des pro-blèmes actuels liés à cette

r e s s o u rce rare, l’anticipation desimpacts du réchauffement de laplanète et l’inquiétude à propos desdifférents usages de l’eau feront naîtrede nouvelles façons de faire, et la po-pulation doit se les approprier. Il fautaller ensemble vers la gestion intégrée,l’interdépendance, le partageéquitable, et investir massivementdans la R-D et l’éducation.

Le 400e anniversaire de la créationde la Ville de Québec est peut-êtrel’événement qui suscitera un éveil collec-tif de tous les Québécois, de leurs gou-vernements et de leurs élus, et de tous lessecteurs d’activité. Souhaitons que cettepériode de rétrospective soit l’occasionde confirmer que l’importance et l’influ-ence « m a g i q u e » que revêtait le Saint-Laurent aux yeux de nos ancêtres onts u rvécu aux 400 dernières années.

Marc Hudon est porte-parole des dossierstransfrontaliers de l’eau à NatureQuébec, un organisme non gouvernemen-tal voué à la protection de l’environ-nement. www.naturequebec.ca

L’industrie maritime pourrait examiner la faisabilité d’établirun réseau de transport maritime sans voie navigable (fin dudragage d’entretien), qui utiliserait des infrastructuresportuaires ciblées (ports naturels en eau profonde) pouramener les plus gros navires jusque dans le golfe et l’estuairedu Saint-Laurent et, pour la suite, ferait appel à un réseau deplus petits navires, ou de barges conçues spécifiquement pourle transport de marchandises en conteneurs, dans la partiefluviale du fleuve et en amont sur les Grands Lacs.