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Camenulae 11, octobre 2014 1 Mélanie LUCCIANO LE SENS DE LA MORT DE SOCRATE À ROME* Quid dicam de Socrate, cuius morti inlacrimare soleo Platonem legens 1 ? Que dire de Socrate dont la mort me bouleverse chaque fois que je lis Platon ? Poser la question du sens, comme nous invite à le faire le thème de ce colloque, en l’appliquant à Socrate, soulève de nombreuses pistes de réflexion. En effet, si l’on se réfère à la pratique philosophique de Socrate telle qu’en rend compte Platon, il semble bien que sa méthode se fonde justement sur la recherche du sens, à entendre dans l’acception de signification : le philosophe athénien apparaît comme celui qui fonde l’échange philosophique sur l’exercice de la définition, c’est-à-dire sur la recherche de la signification exacte des termes que l’on met en jeu dans la discussion, laquelle se conçoit alors comme une limite, une borne à donner au concept 2 , selon une méthode qui procède négativement, en écartant tour à tour les définitions jugées caduques. Toutefois, cette recherche sur l’essence des choses par la définition s’accompagne d’une autre pratique philosophique qui, elle, met en question de manière formelle, extérieure, le sens et le mode selon lequel on doit comprendre les propos de Socrate : il s’agit ici du phénomène bien connu de l’ironie socratique. Elle consiste justement à suspendre l’adhésion immédiate au sens commun et à entendre les paroles de Socrate dans une autre perspective 3 . Se développe donc, du fait de l’inconfort que procure cette pratique, un autre moyen de pousser à une recherche continue sur la signification et sur la compréhension. Le gouffre du sens, ouvert par la pratique de l’ironie socratique, peut conduire à une rupture de la communication, du fait d’un jeu sur les mots ou bien encore sur les registres, l’interlocuteur se demandant sans cesse si Socrate est sérieux, s’il plaisante ou encore s’il est simplement idiot 4 . * Nous voudrions remercier le Professeur Ermanno Malaspina pour ses remarques et ses conseils. Sauf indication contraire, les textes cités sont ceux de la Collection des Universités de France, dont nous corrigeons au besoin la traduction. 1. Cicéron, De natura deorum, III, 82. 2. Ainsi, si l’on s’intéresse au premier livre de la République de Platon, c’est le terme de justice qui est interrogé pour recevoir sa signification. La définition à énoncer se conçoit alors comme l’établissement d’une borne (ὅρος, borne, limite, d’où détermination du sens d’un mot) au champ d’application du concept. Platon, République, I, 331d : Οὐκ ἄρα οὗτος ὅρος ἐστὶν δικαιοσύνης, ἀληθῆ τε λέγειν καὶ ἂν λάβῃ τις ἀποδιδόναι. « Ce n’est donc pas une limite au terme de justice que de la faire consister à dire la vérité et à rendre ce qu’on a reçu ». 3. Ainsi, un peu plus loin dans le même livre I de la République (en 338 c-d), suite à la définition de Thrasymaque qui assimile la justice à l’intérêt du plus fort, Socrate demande s’il faut comprendre « fort » dans un sens physique : l’intérêt dominant serait alors celui du lutteur de pancrace ! La réaction de Thrasymaque ne se fait pas attendre ; l’attitude de Socrate, qui ne choisit pas la bonne acception du terme, crée une rupture du sens, en 338 d : Βδελυρὸς γὰρ εἶ, ἔφη, Σώκρατες, καὶ ταύτῃ ὑπολαμβάνεις ἂν κακουργήσαις μάλιστα τὸν λόγον. « Tu me dégoûtes, Socrate, dit-il ; tu prends les choses de manière à dénaturer totalement ma définition ». 4. Ainsi, pour clore cette lecture rapide de l’échange entre Socrate et Thrasymaque au premier livre de la République, il convient de noter que dans la dénonciation que fait le sophiste de la pratique de l’ironie socratique, il commence par accuser Socrate d’une feinte simplicité d’esprit (en 336 b-c : Τίς, ἔφη, ὑμᾶς

LE SENS DE LA MORT DE SOCRATE À ROME*

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    Mlanie Lucciano

    LE SENS DE LA MORT DE SOCRATE ROME*

    Quid dicam de Socrate, cuius morti inlacrimare soleo Platonem legens1 ?Que dire de Socrate dont la mort me bouleverse chaque fois que je lis Platon ?

    Poser la question du sens, comme nous invite le faire le thme de ce colloque, en lappliquant Socrate, soulve de nombreuses pistes de rflexion. En effet, si lon se rfre la pratique philosophique de Socrate telle quen rend compte Platon, il semble bien que sa mthode se fonde justement sur la recherche du sens, entendre dans lacception de signification : le philosophe athnien apparat comme celui qui fonde lchange philosophique sur lexercice de la dfinition, cest--dire sur la recherche de la signification exacte des termes que lon met en jeu dans la discussion, laquelle se conoit alors comme une limite, une borne donner au concept2, selon une mthode qui procde ngativement, en cartant tour tour les dfinitions juges caduques.

    Toutefois, cette recherche sur lessence des choses par la dfinition saccompagne dune autre pratique philosophique qui, elle, met en question de manire formelle, extrieure, le sens et le mode selon lequel on doit comprendre les propos de Socrate : il sagit ici du phnomne bien connu de lironie socratique. Elle consiste justement suspendre ladhsion immdiate au sens commun et entendre les paroles de Socrate dans une autre perspective3. Se dveloppe donc, du fait de linconfort que procure cette pratique, un autre moyen de pousser une recherche continue sur la signification et sur la comprhension. Le gouffre du sens, ouvert par la pratique de lironie socratique, peut conduire une rupture de la communication, du fait dun jeu sur les mots ou bien encore sur les registres, linterlocuteur se demandant sans cesse si Socrate est srieux, sil plaisante ou encore sil est simplement idiot4.

    * Nous voudrions remercier le Professeur Ermanno Malaspina pour ses remarques et ses conseils. Sauf indication contraire, les textes cits sont ceux de la Collection des Universits de France, dont nous corrigeons au besoin la traduction. 1. Cicron, De natura deorum, III, 82.2. Ainsi, si lon sintresse au premier livre de la Rpublique de Platon, cest le terme de justice qui est interrog pour recevoir sa signification. La dfinition noncer se conoit alors comme ltablissement dune borne (, borne, limite, do dtermination du sens dun mot) au champ dapplication du concept.Platon, Rpublique, I, 331d : , . Ce nest donc pas une limite au terme de justice que de la faire consister dire la vrit et rendre ce quon a reu .3. Ainsi, un peu plus loin dans le mme livre I de la Rpublique (en 338 c-d), suite la dfinition de Thrasymaque qui assimile la justice lintrt du plus fort, Socrate demande sil faut comprendre fort dans un sens physique : lintrt dominant serait alors celui du lutteur de pancrace ! La raction de Thrasymaque ne se fait pas attendre ; lattitude de Socrate, qui ne choisit pas la bonne acception du terme, cre une rupture du sens, en 338 d : , , , . Tu me dgotes, Socrate, dit-il ; tu prends les choses de manire dnaturer totalement ma dfinition .4. Ainsi, pour clore cette lecture rapide de lchange entre Socrate et Thrasymaque au premier livre de la Rpublique, il convient de noter que dans la dnonciation que fait le sophiste de la pratique de lironie socratique, il commence par accuser Socrate dune feinte simplicit desprit (en 336 b-c : , ,

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    Si lon peut donc sinterroger sur le sens accorder aux propos de Socrate, qui supposent une recherche et une exgse constantes, il faut nanmoins souligner que le problme ne sarrte pas l : linterrogation peut en effet se dplacer sur la propre personne de Socrate. De par son refus de lcriture, le philosophe athnien devient une nigme : nous sommes ainsi la recherche dun sens originel qui est toujours manquant. On ne peut donc pas apprhender Socrate, mais uniquement un reflet du philosophe athnien, travers le prisme constitu par les diffrents auteurs qui le mettent en scne. Ainsi, la figure socratique nest plus seulement porteuse dun sens qui renverrait uniquement Socrate, mais elle nous renseigne galement sur la personne qui utilise la figure du philosophe. Ainsi, la figure de Socrate acquiert donc son sens, cest--dire sa mise en ordre, par le recours de la personne qui dcrit, qui met scne ou encore qui parle la place de Socrate : nous en apprenons donc autant, si ce nest plus, sur le philosophe que sur lauteur qui le ressaisit. Au regard objectif, historique, que lon voudrait pouvoir porter sur Socrate se superpose galement un regard subjectif, celui de lauteur qui lvoque. La construction de limage du philosophe athnien tient alors la fois la manire concrte dont est prsent Socrate, mais galement au choix effectu en amont par lauteur en question dans ce que lon pourrait appeler la matire socratique .

    Dans le cadre de ltude de la rception latine du philosophe athnien laquelle se caractrise par sa dimension multiforme nous voudrions nous intresser lcho particulirement important que reoit un aspect bien prcis de la figure de Socrate, qui apparat comme un pisode essentiel dans la caractrisation du philosophe : son procs, qui conduit sa condamnation et son dcs. Limportance de la mort de Socrate chez les auteurs latins se lit la fois dans le nombre duvres abordant cette question et par le volume textuel accord cette thmatique, dans un laps de temps particulirement long, des premires attestations, chez Cicron, Boce et au-del5, dans des genres divers, du trait philosophique la posie lgiaque. Or, les diffrentes exgses actuelles nous conduisent lire dans le traitement de cet vnement fondateur de la philosophie la mme ambivalence que dans lapprhension du comportement du philosophe lui-mme. Ainsi, le choix de dfense fait par Socrate ou encore labsorption de la cigu ont pu tre analyss

    , ; ; quel verbiage, dit-il, vous amusez-vous depuis si longtemps, Socrate ? Pourquoi faites-vous les niais, et vous inclinez-vous alternativement lun devant lautre ? ). Par la suite, alors que le philosophe lassure du srieux de son entreprise (en 336 e, avec lemploi du terme ), Thrasymaque rpond par un clat de rire sardonique (en 337 a : K ).5. Lvocation de Socrate dans la Consolation de Philosophie est naturellement prpondrante puisque Boce, tout comme le philosophe athnien, se trouve emprisonn en attendant la mort, lissue dun procs dans lequel il na pu se dfendre. La mort de Socrate est alors voque par le personnage de Philosophie comme un vnement fondateur et exemplaire, propre donner un sens lexprience alors vcue par le prisonnier. Boce, Consolation de Philosophie, I, 3, 6-9 : Nonne apud ueteres quoque ante nostri Platonis aetatem magnum saepe certamen cum stultitiae temeritate certauimus eodemque superstite praeceptor eius Socrates iniustae uictoriam mortis me astante promeruit ? [] Quod si nec Anaxagorae fugam nec Socratis uenenum nec Zenonis tormenta, quoniam sunt peregrina, nouisti, at Canios, at Senecas, at Soranos quorum nec peruetusta nec incelebris memoria est, scire potuisti. Est-ce que chez les Anciens aussi, avant le temps de notre cher Platon, je nai pas souvent men un grand combat contre la sottise aveugle et, de son vivant, son matre Socrate na-t-il pas remport avec mon aide la victoire sur une mort injuste ? [] Et si tu ignores lexil dAnaxagore, le poison de Socrate et les tortures de Znon, puisque ce sont choses trangres, du moins les Canius, les Snque et les Soranus, dont le souvenir nest ni trs ancien ni obscur, tu pourrais les connatre. . Boce, La Consolation de Philosophie, d. C. Moreschini, trad. . Vanpeteghem, Paris, Le Livre de Poche, 2008.

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    de manire diffrente, jusqu tre interprts comme un suicide6, en dpit de linterdiction formule par le philosophe lui-mme au dbut du Phdon. Nous voudrions alors proposer quelques interprtations de lecture de la mort de Socrate, en analysant avant tout les textes de Cicron et de Snque, et en nous interrogeant sur le sens quaccordent les auteurs latins cet vnement, sur la manire dont ils sen servent, et sur ce quils veulent lui faire dire, pour tcher de comprendre la pluralit de sens que lon peut aujourdhui encore accorder la mort de Socrate.

    Donc Socrate eSt morteL

    Le syllogisme socratique

    Si lhistoricit de la mort de Socrate constitue un jalon fondamental dans lhistoire de la philosophie, qui trouve avec le philosophe athnien son premier martyr , il convient de noter, avec Nicole Loraux dans son chapitre Donc Socrate est immortel 7, qui inspire le titre du premier temps de cette rflexion, que le Phdon, par sa mise en scne de la mort de Socrate, entrane une rupture dans la reprsentation grecque de la mort et de limmortalit, en insistant de manire forte sur la dimension individuelle du dcs du philosophe, que ce dernier prpare tout au long de sa vie :

    Linnovation platonicienne [] consiste dplacer laccent du corps vers lme, dsormais immortelle. De lpope au monde civique, la mort tait laffaire de la socit des vivants ; avec Platon, lindividu philosophant entend se la rapproprier, parce quil est candidat au bienheureux statut de mort8.

    Ainsi, au modle du citoyen-soldat qui meurt pour sa cit, pris dans une double collectivit, celle des vivants, cest--dire ses concitoyens pour lesquels il se sacrifie, et celle des morts tombs avec lui au combat, Platon substitue un autre paradigme, celui du philosophe, lequel prend corps, pour les sicles venir, dans la personne de Socrate. Ce dernier devient donc lincarnation du philosophe mourant, puis, plus gnralement, de lhomme qui meurt.

    Ainsi, dans les traits de logique mdivale, qui se rclament de la tradition aristotlicienne, lexemple classique du syllogisme est rattach la mort de Socrate ; on le formule traditionnellement de la manire suivante :

    Tous les hommes sont mortels,Socrate est un homme,

    Donc, Socrate est mortel.

    6. Lacceptation de la condamnation et lattitude plus que mesure de Socrate dans sa prison ont pu conduire trs vite lanalyse de la mort du philosophe comme un suicide. Sur ce point, nous pouvons citer les conclusions, quelque peu htives, de R. G. Frey, Did Socrates Commit Suicide ? , Philosophy, 53, n 203, 1978, p. 106-108. 7. N. Loraux, Donc Socrate est immortel , Les expriences de Tirsias, Le fminin et lhomme grec, Paris, Gallimard, NRF Essais, 1989, p. 177-201.8. N. Loraux, Donc Socrate est immortel , p. 180.

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    Il convient de noter que cet exemple napparat jamais comme tel dans les textes dAristote et que, comme le montre Jan ukasiewicz, la forme mme de ce syllogisme (posant en premier lieu une prmisse Socrate est un homme qui est une proposition singulire) ne correspond pas lusage du systme syllogistique dAristote9. Lorsque le Stagirite utilise lexemple de Socrate dans lnonc de propositions logiques, il ne cite pas son caractre de mortel10, mais le fait quil soit musicien11, blanc ou savant12. Socrate est donc, comme Callias ou Clon13, utilis en tant quillustration singulire du genre humain, mais il semble que lassociation du philosophe athnien la mortalit relve plutt de lcole pripatticienne14. Le syllogisme dans la forme que nous connaissons et

    9. J. ukasiewicz, La syllogistique dAristote dans la perspective de la logique formelle moderne, prsentation, traduction et notes de Fr. Caujolle-Zaslawsky, Paris, Vrin, 2010 (publi originellement en anglais sous le titre Aristotles Syllogistic, Oxford, Oxford University Press, 1957), p. 31-33. Sur ce point, nous renvoyons galement R. Blanch et J. Dubucs, La logique et son histoire, Paris, Armand Colin, 19962, p. 46-48.10. Sur la conception de la mort chez Aristote, et son utilisation dans des exemples de logique, nous renvoyons D. Lanza, La morte esclusa , Quaderni di Storia, 11, 1980, p. 157-170. Il illustre ainsi une conception ambivalente de la mort et du mort pour le Stagirite, o cette dernire peut la fois tre dsire, mais galement extrieure lhomme, puisque le cadavre nest plus un homme que par homonymie, cest--dire quil nest plus quune copie ou une imitation de lhomme (p. 165-166). En ce sens, nous pouvons peut-tre comprendre pourquoi Aristote nutilise pas limage de Socrate mort ou mourant dans ses exemples de logique ; lidentification mme du philosophe son corps mourant, voire son me qui ne serait plus un principe de fonctionnalit structurante de ltre vivant serait problmatique.11. Cest le cas dans Aristote, Mtaphysique, 1018 a 4. 12. Nous retrouvons ces deux prdicats associs Socrate dans le De interpretatione, 10, 20 a 25-20 b 5.13. Nous pouvons citer par exemple le De interpretatione, 7, 17 a 39 pour Callias, ou encore les Premiers Analytiques, o les deux personnages sont utiliss, en I, 24, 43 a 25. 14. J. ukasiewicz, La syllogistique dAristote, p. 31 : Cet exemple [le syllogisme impliquant la mortalit de Socrate] semble tre trs ancien : une lgre diffrence prs animal au lieu de mortel il est dj cit par Sextus Empiricus comme un syllogisme pripatticien. Mais un syllogisme pripatticien nest pas ncessairement aristotlicien . La dnonciation de lusage du syllogisme pripatticien se retrouve chez Sextus Empiricus dans les Esquisses pyrrhoniennes, II, 164-165 : , , , , , , , . , , , , , . De mme aussi pour ce raisonnement : Socrate est un humain ; tout humain est un animal ; donc Socrate est un animal ; sil nest pas obvie de soi-mme que tout ce qui est humain est aussi animal, il ny aura pas accord sur la prmisse universelle, et nous ne laccorderons pas dans le raisonnement propos. Mais sil suit du fait dtre un tre humain le fait dtre effectivement un animal, et que pour cela lon tienne pour vraie la prmisse tout humain est un animal, en mme temps quon a dit que Socrate tait un humain il est impliqu du mme coup quil est aussi un animal, de sorte quil suffit de proposer ce raisonnement : Socrate est un humain, donc Socrate est un animal, et la prmisse tout humain est un animal est redondante. ; ainsi quen II, 195-196 : , , , , , [] , , , , , , , , , . La prmisse suivante : Tout humain est un animal est assure de manire inductive partir de cas particuliers ; en effet partir du fait que Socrate tant un humain est aussi un animal, et quil en est de mme pour Platon, Dion et chacun

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    qui a travers les sicles au point de conduire des jeux parodiques15, a t introduit au xive sicle par Guillaume dOckham pour qui le nom propre Socrate vaut le nom dun ensemble, linstar du terme homme 16.

    Pourtant, le caractre illustratif de la mortalit de Socrate se retrouve bien plus tt, dans le De fato de Cicron. Dans ce texte o lArpinate tudie, selon une conception stocienne, les rapports entre le sage et la providence divine, nous retrouvons, tout comme dans les traits de logique prcdemment voqus, lutilisation du thme de la mort de Socrate comme exemple dans le cadre de discussions qui nappellent pas forcment une rfrence au philosophe athnien. Pour lutter contre largument dit du raisonnement paresseux , qui conduirait les hommes ne plus agir partir du moment o ils sont persuads de linutilit de chaque action, leur destine tant fixe lavance, Cicron dveloppe lide chrysippenne de confatalit 17 : pour se produire, certains vnements impliquent ncessairement la ralisation dune autre action dont laccomplissement dpend de lindividu. Ainsi, la diffrence de la naissance ddipe qui implique obligatoirement des relations intimes entre ses parents, lexemple de la mort de Socrate illustre ici le cas dun vnement ncessaire, dont la ralisation nest soumise aucune condition :

    Simplex est : Morietur illo die Socrates ; huic, siue quid fecerit, siue non fecerit, finitus est moriendi dies18.

    On nonce un fait simple en disant : Socrate mourra tel jour . Quil fasse quelque chose ou non, le jour de sa mort est dtermin.

    Dans lexemple cicronien, la rfrence au philosophe athnien nimplique aucun lment caractrisant, comme la condamnation mort ou labsorption du poison. Ici le nom Socrate semble donc fonctionner comme un quivalent du terme gnral homme qui pourtant le subsume ; lensemble des individus est rduit un seul lment dans une

    des particuliers, on est davis quil peut tre assur que tout humain est un animal, de mme que si un seul cas particulier paraissait tre contraire aux autres, la prmisse universelle ne serait pas valide [] Quand donc ils disent : Tout humain est un animal, mais Socrate est un humain, donc Socrate est un animal, voulant partir de la prmisse universelle tout humain est un animal tablir la prmisse particulire donc Socrate est un animal, laquelle sert assurer la prmisse universelle selon le mode inductif, comme nous lavons suggr, ils tombent dans le raisonnement du diallle, puisquils assurent par induction la prmisse universelle travers chacun des cas particuliers, tout en concluant syllogistiquement chacun des cas particuliers de la prmisse universelle . Sexti Empirici Opera. Vol. I, d. H. Mutschmann, dition revue par I. Mau, Leipzig, Teubner, 1958. Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, trad. P. Pellegrin, Paris, ditions du Seuil, Points Essais, 1997.15. Cest Eugne Ionesco qui, dans sa pice Rhinocros, travestit une leon de logique en utilisant, de faon fautive, un syllogisme se rapportant Socrate, lacte I : Le Logicien (au Vieux Monsieur) : Autre syllogisme : Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat. Le Vieux Monsieur : Et il a quatre pattes. Cest vrai, jai un chat qui sappelle Socrate. Le Logicien : Vous voyez... [] Le Vieux Monsieur (au Logicien) : Socrate tait donc un chat ! Le Logicien (au Vieux Monsieur) : La logique vient de nous le rvler. . E. Ionesco, Thtre complet, dition prsente, tablie et annote par E. Jacquart, Paris, Gallimard, NRF, Pliade, 1991.16. D. Vernant, Introduction la philosophie de la logique, Bruxelles, Pierre Mardaga diteur, 1986, p. 29 ; I. M. Bocheski, A History of Formal Logic, d. & trad. I Thomas, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1961, p. 227-232.17. Sur ce concept et sur la relecture cicronienne de la thorie de Chrysippe, nous renvoyons P. L. Donini, Fato e volont umana in Crisippo , Atti della Accademia delle Scienze di Torino, 109, 1975, p. 187-230 ; A.J. Kleywegt, Fate, free will, and the text of Cicero , Mnemosyne, 26, 1973, p. 342-349.18. Cicron, De fato, 30.

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    relation de synecdoque. La rfrence Socrate a donc une porte gnrale, relation logique que Cicron passe sous silence car elle lui parat vidente logiquement : sil faut penser au genre humain dans la perspective de sa mortalit, cest limage du philosophe athnien qui vient automatiquement lesprit19. Il nest pas anodin dans ce cas de voir que la rfrence Socrate illustre le fait simplex, cest--dire celui qui est dtermin par la fatalit20, ce qui renforce encore lide dune association ncessaire entre Socrate et la mort.

    Automatisme de la rfrence la mort de Socrate

    Cet usage de la rfrence au philosophe athnien nous permet de nous rendre compte de la diffusion et du ressaisissement dont font preuve les auteurs latins par rapport aux sources grecques. Ainsi, Snque nous donne voir de multiples reprises lassociation concise entre le nom de Socrate et un seul terme celui de la prison ou de la cigu, selon un principe de gradation que nous voquerons plus loin , mettant donc en jeu des synecdoques, qui renvoie la totalit du corpus platonicien, cest--dire la condamnation considre comme injuste pour lApologie de Socrate ; la prison pour le Criton ou encore le poison pour le Phdon. Snque creuse alors sa rflexion sur sa source grecque dans le De constantia sapientis :

    Si iniuste, inquit, Socrates damnatus est, iniuriam accepit. Hoc loco intellegere nos oportet posse euenire ut faciat aliquis iniuriam mihi et ego non accipiam21.

    Si cest injustement, dis-tu, que Socrate a t condamn, il a subi une injustice . Ici, nous devons nous rendre compte quil peut arriver que quelquun commette une injustice envers moi et que pourtant je ne la reoive pas.

    Lintervention de son interlocuteur, que lon peut assimiler au ddicataire du trait, Annaeus Serenus, propose une lecture conforme son statut de stultus, ou plutt de jeune progrediens : puisque Socrate a t condamn mort pour ses pratiques philosophiques, les Athniens qui ont pris cette dcision lui ont fait du tort et lui ont donc fait subir un dommage. Snque prend alors le contre-pied de cette conception communment admise : les Athniens ont certes agi injustement envers Socrate (en le condamnant pour des motifs iniques), ce qui nimplique cependant pas que le philosophe, en tant que sapiens, ait subi une iniuria. Comme la notion de sagesse exclut celle de mal, la vertu nadmet en elle aucune perversit ; la perversit nest donc pas plus puissante que la vertu. Snque dissocie donc deux propositions qui pourraient tre conues comme faussement quivalentes : le fait que les Athniens se conduisent mal envers Socrate et le fait que le philosophe puisse ptir de ce comportement22.

    19. De la mme manire, au cours du mme paragraphe, lorsque Cicron voque lide dun sportif participant aux Jeux Olympiques lpreuve de la lutte, il pense Milon, exemple utilis comme celui ddipe pour illustrer lide de confatalit .20. Sur lide que le jour de la mort de Socrate est dtermin par le destin qui se manifeste par le songe prophtique du Criton (44 a-b), nous renvoyons Cicero : On Fate & Boethius : The Consolation of Philosophy, Edited with an Introduction, translations and commentaries by R.W. Sharples, Warminster, Aris & Phillips Ltd, 1991, p. 180.21. Snque, De constantia sapientis, VII, 3.22. En cela, sa rflexion sappuie clairement sur un passage de lApologie de Socrate de Platon, en 30 c-d : , , .

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    Le philosophe athnien est donc clairement utilis comme un exemplum permettant aux progredientes de combattre leur peur de la mort. Cette assimilation, ou plutt cette rduction de la figure socratique aux anecdotes concernant son procs et sa mort, est renforce stylistiquement par un procd dcriture des exempla de Snque, dj mis en lumire par R.G. Mayer23 : lutilisation de la liste dnumrations avec, dans les cas qui nous intressent, le rapprochement entre le nom du personnage et celui du terme auquel est il est assimil. Ainsi, Socrate apparat frquemment dans un groupe de personnages associant Caton dUtique, Marcus Atilius Regulus, Gaius Fabricius Luscinus ou encore Publius Rutilius Rufus ; ces exempla utiliss par Snque doivent permettre de combattre, selon un double procd daccumulation et de gradation, la crainte de ce que les hommes considrent comme des maux. En fonction de sa place dans la liste et donc de lintensit quentend confrer Snque son exemplum, Socrate est alors associ lemprisonnement ou la mort.

    Post haec exilium (non fuit innocentior filius tuus quam Rutilius), carcerem (non fuit sapientior quam Socrates), uoluntario uulnere transfixum pectus (non fuit sanctior quam Cato) : cum ista perspexeris, scies optime cum iis agi quos natura, quia illos hoc manebat uitae stipendium, cito in tutum recepit24.

    Ajoute aprs ces maux lexil (ton fils ntait pas plus intgre que Rutilius), la prison (il ntait pas plus sage que Socrate), le suicide en se transperant volontairement la poitrine (il ntait pas plus vertueux que Caton) : en observant de telles perspectives, tu verras que la nature se comporte bien envers ceux quelle met rapidement en lieu sr, pour leur pargner la ranon que la vie et exige deux.

    Idem facit fortuna : fortissimos sibi pares quaerit, quosdam fastidio transit. Contumacissimum quemque et rectissimum adgreditur, aduersus quem uim suam intendat : ignem experitur in Mucio, paupertatem in Fabricio, exilium in Rutilio, tormenta in Regulo, uenenum in Socrate, mortem in Catone. Magnum exemplum nisi mala fortuna non inuenit25.

    Ainsi fait la Fortune : elle prend pour rivaux les plus braves, et passe ddaigneusement devant les autres. Elle ne sattaque quaux plus rsolus et aux plus fiers, afin de dployer contre eux toute sa vigueur. Elle essaye le feu contre Mucius, la pauvret contre Fabricius, lexil contre Rutilius, la torture contre Regulus, le poison contre Socrate, le suicide contre Caton. Un grand exemple ne nat que de la mauvaise fortune.

    . . . , , . Je vous le dclare : si vous me condamnez mort, tant ce que je suis, ce nest pas moi que vous ferez le plus de tort, cest vous-mmes. Pour moi, ni Mltos, ni Anytos ne sauraient me nuire, si peu que ce soit. Comment le pourraient-ils ? Aucun homme de valeur, mon avis, ne peut tre ls par qui ne le vaut pas. Oh ! Sans doute, il est possible un accusateur de me faire mourir ou de mexiler ou de me priver de mes droits civiques. Et lui, peut-tre, ou quelquun autre, se dit que ce sont l de grands malheurs. Moi, je ne le pense pas ; et je considre comme bien plus fcheux de faire ce quil fait maintenant, quand il essaie de faire prir un homme injustement .23. R.G. Mayer, Roman historical Exempla in Seneca , Snque et la prose latine, Entretiens sur lAntiquit classique, Tome XXXVI, Genve, 1991, p.141-176, et plus particulirement p. 153-161.24. Snque, Ad Marciam de consolatione, XXII, 3. 25. Snque, De prouidentia, III, 4.

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    Pour les auteurs latins, la figure socratique semble donc se conjuguer avec les pisodes relatifs au procs, lemprisonnement et la mort du philosophe ; la manire dont ils associent Socrate ces diffrents moments montre la fois le caractre topique de cette assimilation et le degr de connaissance quils possdent de la figure du philosophe athnien, voire leur volont de diffusion du corpus socratique grec. Toutefois, la centralit que possde la pratique judiciaire Rome aussi bien dans la vie quotidienne que dans la littrature conduit les auteurs latins26, et tout particulirement Cicron, praticien du Forum lui-mme, effectuer une analyse plus pousse du procs de Socrate et de sa mort.

    La mort De Socrate : une Lecture phiLoSophique

    Cicron : la rcriture platonicienne

    Lorsque, dans le Laelius De amicitia, le personnage ponyme dresse une sorte de tombeau de son ami Scipion rcemment disparu, dans une tirade qui se rapproche la fois de lloge funbre et du discours de consolation, il affirme que Socrate, en accord avec les croyances du mos maiorum, sest toujours prononc en faveur de limmortalit de lme, lui qui pourtant refusait dexprimer clairement sa pense sur tels ou tels points :

    Plus apud me [] ualet [] eius qui Apollinis oraculo sapientissimus est iudicatus, qui non tum hoc, tum illud, ut in plerisque, sed idem semper, animos hominum esse diuinos iisque, cum ex corpore excessissent, reditum in caelum patere optimoque et iustissimo cuique expeditissimum27.

    Je suis plus sensible lautorit [] de celui que loracle dApollon a jug le plus sage et qui, bien loin de dire sur ce point tantt ceci tantt cela, comme il le faisait si souvent, a toujours soutenu que lme humaine est divine, quau jour o elle quitte le corps souvre devant elle la route qui la ramne au ciel et que ltre le meilleur et le plus juste a toujours la route la plus facile.

    Sur ce point, on assiste un inflchissement, ou plutt une gnralisation des propos tenus par Socrate dans les dialogues platoniciens ; en effet, si lon peut comprendre que dans le cadre dun discours consolatoire, lArpinate fasse plutt appel au Socrate du Phdre, qui affirme que toute me est immortelle28, il ne faut pas perdre de vue que

    26. En effet, on retrouve une dizaine de passages distincts chez Cicron et seize passages chez Snque qui abordent tel ou tel moment des dmls judiciaires et de la condamnation du philosophe athnien. Chez Cicron, ce thme est abord dans le De oratore, I, 227-233 ; Tusculanes, I, 97-100 ; Tusculanes, I, 102-104 ; De natura deorum, III, 82 ; De diuinatione, I, 52-53 ; De diuinatione, I, 122-124 ; Cato Maior, 77-78 ; De fato, 29-30. Chez Snque, il apparat dans la Consolation Marcia, XXII, 3 ; Consolation Helvia, XIII, 4 ; De tranquillitate animi, V, 1-4 ; De tranquillitate animi, XVI, 1-4 ; De constantia sapientis, VII, 2-4 ; De uita beata, XXVII-XXVIII ; De otio, VIII, 1-2 ; De prouidentia, III, 4-13 ; Lettres Lucilius, 13,14 ; Lettres Lucilius, 24, 3-9 ; Lettres Lucilius, 28, 7-8 ; Lettres Lucilius, 67, 6-8 ; Lettres Lucilius, 70, 8-9 ; Lettres Lucilius, 71, 16-17 ; Lettres Lucilius, 98,12-13 ; Lettres Lucilius, 104, 27-29.27. Cicron, Laelius De amicitia, 13. 28. Platon, Phdre, 245 c.

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    le philosophe athnien est celui qui propose, dans lApologie, la fameuse alternative socratique , selon laquelle la mort est soit lannihilation de toute sensation, soit le passage de lme dun lieu un autre29, raisonnement qui trouve dailleurs une fortune toute particulire dans les crits consolatoires et chez Cicron lui-mme30.

    Cest justement sur cette alternative, et plus gnralement sur les propos de Socrate sur la mort que Cicron rflchit dans le premier livre des Tusculanes ; il se demande si la mort peut tre considre comme un mal, question quil nonce au paragraphe 9 (Malum mihi uidetur esse mors), et propose alors une relecture du discours du philosophe athnien face ses juges. Linfluence des textes platoniciens sur lcriture du trait de lArpinate est manifeste, puisque, aprs avoir repris, en les reformulant et les analysant, de longs passages du Phdre et du Mnon dialogues qui comportent les arguments visant dmontrer limmortalit de lme, cest--dire son auto-motricit et sa facult de mmoire31 Cicron aborde les textes du Phdon et de lApologie de Socrate. Il est alors intressant de noter que cest lanalyse du Phdon qui est conduite dabord, au paragraphe 71, sur le mode du discours rapport. LArpinate nous cite en effet le discours de Socrate ses amis avant de boire la cigu : le caractre divin de lme y est alors affirm ; et les mes des philosophes et des hommes de bien, dtaches de linfluence pernicieuse du corps, rejoignent sans encombre leur point de dpart, le sjour des dieux. La mort est, dans ce cadre, vue comme un avantage. Le discours de Socrate ses juges, quant lui, suit de peu la dmonstration voque, et constitue un exercice de traduction, puisque, comme dans le texte platonicien, cest le philosophe lui-mme qui prend la parole au style direct :

    Vadit enim in eundem carcerem atque in eundem paucis post annis scyphum Socrates eodem scelere iudicum quo tyrannorum Theramenes. Quae est igitur eius oratio, qua facit eum Plato usum apud iudices iam morte multatum ? Magna me, inquit, spes tenet iudices, bene mihi euenire quod mittar ad mortem. Necesse est enim sit alterum de duobus, ut aut sensus omnino omnis mors auferat aut in alium quendam locum ex his locis morte migretur. Quam ob rem, siue sensus extinguitur morsque ei somno similis est qui non numquam etiam sine uicis somniorum placatissimam quietem adfert, di boni, quid lucri est emori ! aut quam multi dies reperiri possunt qui tali nocti anteponantur, cui si similis futura est perpetuitas omnis consequentis temporis, quis me beatior ? Sin uera sunt, quae dicuntur, migrationem esse mortem in eas oras, quas qui e uita excesserunt incolunt, id multo iam beatius est. Tene, cum ab iis qui se iudicum numero haberi uolunt euaseris, ad eos uenire, qui uere iudices appellentur, Minoem, Rhadamanthum, Aeacum, Triptolemum, conuenireque eos qui iuste et cum fide uixerint ! Haec peregrinatio mediocris uobis uideri potest ? Vt uero conloqui cum Orpheo, Musaeo, Homero, Hesiodo liceat, quanti tandem aestimatis ? Equidem saepe emori si fieri posset, uellem, ut ea quae dico mihi liceret inuisere. Quanta delectatione autem adficerer, cum Palamedem, cum Aiacem, cum alios iudicio iniquo circumuentos conuenirem ! Temptarem etiam summi regis qui maximas copias duxit ad Troiam, et Vlixi Sisyphique prudentiam, nec ob eam rem, cum haec exquirerem, sicut hic faciebam, capite damnarer. Ne uos quidem iudices ii, qui me absoluistis, mortem timueritis. Nec enim cuiquam bono mali quicquam euenire potest nec uiuo nec mortuo, nec umquam eius res a dis inmortalibus neglegentur, nec mihi ipsi hoc accidit fortuito. Nec uero ego iis, a quibus accusatus aut a quibus condemnatus sum habeo quod suscenseam, nisi quod mihi nocere

    29. Platon, Apologie de Socrate, 40 c.30. Sur lutilisation de lalternative socratique dans le cadre de la Consolatio cicronienne, nous renvoyons A. Setaioli, La vicenda dellanima nella Consolatio di Cicerone , Paideia, 54, 1999, p. 399-416.31. Il convient de noter que, dans le cadre de sa rcriture du texte platonicien, Cicron ninclut pas dans son texte la fameuse phrase du Phdre que nous voquions plus haut, en 245 c : .

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    se crediderunt. . Et haec quidem hoc modo ; nihil autem melius extremo : Sed tempus est, inquit, iam hinc abire me, ut moriar, uos, ut uitam agatis. Vtrum autem sit melius, di inmortales sciunt, hominem quidem scire arbitror neminem. Ne ego haud paulo hunc animum malim quam eorum omnium fortunas qui de hoc iudicauerunt32.

    Condamn par des juges aussi sclrats que lavaient t les tyrans, Socrate se rend la mme prison, il reprend la mme coupe qui a dj servi il y a quelques annes Thramne. Quel est donc son discours, celui o Platon le reprsente sadressant aux juges, alors quil est dj condamn mort ? Un grand espoir manime, juges, lespoir que cest pour moi un vnement heureux dtre envoy la mort. De deux choses lune en effet : ou bien la mort supprime tout fait tout sentiment, ou elle a pour consquence le passage des lieux o nous sommes certain autre lieu. Cest pourquoi, si le sentiment steint et si la mort est analogue ces sommeils qui parfois ne sont pas mme troubls par des visions de rve et nous procurent le repos le plus apaisant, dieux bons ! Quel bnfice cest de mourir et combien de jours peut-on trouver qui soient prfrables pareille mort ! Et si les temps qui se succdent indfiniment ressemblent cette nuit-l, quelle flicit plus grande que la mienne ! Si au contraire ce que lon dit est vrai, si la mort est un passage aux rgions habites par ceux qui ont quitt la vie, alors certes cest une flicit bien suprieure encore. Arriver, chapp des mains de gens qui ont la prtention de passer pour des juges, prs de ceux qui, eux, mritent le titre de juge, Minos, Rhadamanthe, aque, Triptolme, puis vous runir ceux qui ont vcu selon la justice et dans la loyaut, est-ce que ce voyage-l peut vous paratre sans intrt ? Et loccasion de vous entretenir avec Orphe, Muse, Homre, Hsiode, quel prix lestimez-vous donc ? Pour mon compte, jaurais voulu subir des morts frquentes, sil tait possible, pour avoir loccasion de visiter le sjour dont je parle. Mais quelle satisfaction naurais-je pas ressentie, quand jaurais abord Palamde, Ajax, les autres victimes dun jugement inique ? Jaurais mme mis lpreuve la sagesse du grand roi qui conduisit devant Troie une puissante arme, et aussi celle dUlysse et de Sisyphe, sans risquer, en posant ces questions ainsi que je le faisais ici, dtre condamn mort. Vous non plus, juges qui avaient t davis de mabsoudre, ne redoutez point la mort. Cest quen effet il ne peut rien arriver de mal tout honnte homme, ni dans la vie, ni dans la mort ; jamais les dieux immortels ne se dsintresseront de ces affaires, et ce qui marrive moi-mme aujourdhui nest pas leffet du hasard. Au reste, il ny a pas lieu pour moi den vouloir ceux qui mont accus ou condamn, si ce nest de ce quils se sont imagin quils me nuisaient . Tel est le ton de son discours, dont la fin est parfaitement belle : Mais il est temps de partir dici, moi pour mourir, vous pour vivre ; quant savoir laquelle des deux choses vaut le mieux, les dieux immortels le savent, mais dhomme qui le sache, je ne pense pas quil en existe aucun. . Oui, je prfrerais de beaucoup pour mon compte les sentiments de Socrate au destin de tous ceux qui le dclarrent coupable.

    Si, par les thmatiques voques, nous assistons alors une reprise assez fidle du texte de Platon par lalternative socratique entre la mort comme fin de toute sensation et la mort comme simple dplacement, le discours du philosophe qui culmine sur un appel aux juges, ses ultimes paroles propdeutiques force est de constater que la rcriture cicronienne inflchit le sens de la mort du philosophe. Tout dabord, en ce qui concerne lencadrement du discours, nous pouvons constater que la mort de Socrate est mise en parallle avec celle de Thramne, dont la modration dplaisait aux Trente qui le condamnrent boire la cigu en 404 av. J.C. Le rapprochement entre les deux hommes se fait par lattention porte par Cicron aux instruments dune justice qualifie dinique, la prison et la coupe, que partagent les deux condamns. Cette mise en rseau des deux condamns renforce la porte de largument de lArpinate, selon

    32. Cicron, Tusculanes, I, 97.

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    lequel la mort nest pas craindre comme le soulignent donc les exempla mais elle scarte, par lexplicitation du parallle entre Socrate et Thramne, de la mise en scne voulue par Platon telle que la dcrit Massimo Stella, o le philosophe fait seul figure darchtype de leffondrement dAthnes, de symbole dune priode33. Chez Cicron, nous notons donc un lger cart par rapport sa source grecque, une gnralisation de la perspective.

    De plus, linversion de lordre des uvres platoniciennes dans la relation de la fin de Socrate, cest--dire le fait que nous assistons la mort du philosophe, par la reprise du Phdon, avant dentendre son discours ses juges, bouleverse la perspective. Elle donne ainsi Cicron un argument supplmentaire pour soutenir la thse de limmortalit de lme ; lattitude de Socrate face ses juges se conoit en effet comme la justification pratique des thories prcdemment nonces : puisque lme est immortelle, la mort nest pas un mal, et Socrate peut aller la mort lesprit tranquille, mme sans lintervention de son daimn, absent du texte latin. Lalternative finale du texte, savoir sil vaut mieux vivre ou mourir, nen est pas vraiment une, comme le souligne lArpinate qui reprend la parole la fin du texte, comme pour mieux en donner la cl. Cette reprise par condensation du texte platonicien permet galement Cicron de respecter limage dun Socrate conforme aux principes de la Nouvelle Acadmie dont il se rclame : le philosophe suspend son jugement en refusant de trancher entre les deux versants de lalternative. Mais Cicron, dans sa construction de la rcriture des dialogues platoniciens34, peut concilier dans la figure quil donne de Socrate le doute fondamental et la conviction de la survie de lme aprs la mort. Lattitude de Socrate face ses juges devient donc largument ultime du caractre transcendant de lme ; dans lApologie de Socrate, laffirmation de la mort prochaine du philosophe pouvait presque apparatre comme un non-vnement, puisque Socrate continuera philosopher dans les Enfers : sa mort nest quune diffrence de localisation et le processus de sparation entre lme et le corps est gomm35. En revanche, dans la relecture quen donne Cicron, lacte fait sens : il est la dmonstration pratique de la dimension transcendante de lme humaine, puisque la mort du philosophe a dj t voque : cest donc presque une voix doutre-tombe qui tient les propos que nous

    33. M. Stella, Lillusion philosophique : la mort de Socrate sur la scne des dialogues platoniciens, Grenoble, ditions Jrme Million, 2006, p. 20-21 : travers lcriture platonicienne, la mort de Socrate devient essentiellement le fil rouge dune histoire plus vaste, dessinant les contours dune poque et dune socit teintes jamais et reloges, par lentremise de la cration potique, dans un thtre dombres imaginaires. [] dans la perspective platonicienne, le choix du deuil de Socrate comme archtype et repre temporel du scnario scriptural ne se justifie quau sein dun horizon plus large. Socrate est le masque dautres deuils. En effet, la fin terrible de Socrate nest que la consquence dune longue suite tourmente dvnements qui conduisirent la cit son effondrement, trente ans aprs le rgne de Pricls . 34. Il convient de ne pas perdre de vue la propre construction platonicienne qui, comme lcrit C. Gill dans The Death of Socrates , The Classical Quarterly, 23, 1, 1973, p. 25-28, transforme un vnement historique en la reprsentation dune ide philosophique.35. Comme le montre bien N. Loraux dans Donc Socrate est immortel , il est significatif que, lors de la mention du passage de lme du philosophe dans lHads, lme est alors perue selon des paradigmes corporels ; si lon existe, on doit bien exister quelque part. Comme elle lcrit p. 174 : laner philosophe a un corps. Plus exactement, il a du corps ; ou encore : il a besoin dun corps, ne serait-ce que pour sen sparer, par une pratique rflchie de lascse. , et p. 194 : Et si, aprs avoir dfini lHads comme le sjour des mes, Socrate y installe finalement les morts, cest que tout de lhomme passe idalement dans son me linstant de la mort : le mort na plus de corps, mais le corps nest plus rien .

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    pouvons lire ; la dfense du mode de vie socratique comme bienfait pour la cit passe au second plan, ainsi que la dimension ducative du discours, comme le prouve le fait que lallusion aux enfants de Socrate le philosophe confie en effet ses enfants la cit, en demandant quils reoivent une ducation socratique, soucieuse de dnoncer leurs vices36 est coupe par Cicron.

    La relecture stocienne de lexemplum socratique

    Lvnement constitu par la mort de Socrate, en ce quil lie thorie et vie philosophique, se voit donc attribuer une forte valeur dexemplarit : le philosophe devient, dans le cadre de la philosophie stocienne de Snque, le sapiens qui guide le progrediens sur la voie de la sagesse. Ainsi, la condamnation et la mise mort de Socrate permet aux hommes, qui se remmorent son exemple, de mieux vivre, en les librant de la passion constitue par la crainte de la mort, et des autres craintes en gnral, rejetes comme futiles face ce qua subi sans peur le philosophe athnien. Lenseignement et la mort de Socrate ne sont donc plus quune seule et mme chose, car la totalit du caractre, de ce qui constitue la personne, se trouve incarne et symbolise par le moment mme du trpas :

    Remoue existimationem hominum : dubia semper est et in partem utramque diuiditur. Remoue studia tota uita tractata : mors de te pronuntiatura est. Ita dico : disputationes et litterata conloquia et ex praeceptis sapientium uerba collecta et eruditus sermo non ostendunt uerum robur animi : est enim oratio etiam timidissimis audax. Quid egeris, tunc apparebit, cum animam ages. Accipio condicionem, non reformido iudicium37.

    Rejette lopinion des hommes, toujours incertaine et partage entre le pour et le contre ; rejette ces travaux poursuivis durant toute une existence. La mort va prononcer sur toi. Je le rpte : les disputes philosophiques, les conversations rudites, les collections de mots tirs des maximes des sages, un docte langage ne dmontrent pas la force de lme : les plus lches savent parler en hros. Si tu as ou non perdu ta peine, on le verra quand tu perdras la vie. Jaccepte la condition, je ne redoute pas le jugement.

    Il est alors particulirement intressant de noter que lon retrouve dans le texte snquen lide de jugement, qui sonne comme un cho de celui auquel fut soumis Socrate, avec une transposition cependant : il ne sagit plus du jugement judiciaire de la cit, ni mme celui que pourraient porter les instances philosophiques, riges en nouveaux juges ; le moment de la mort apparat la fois comme un rvlateur et une expression des valeurs individuelles, dans le cadre dun processus actif et non passif de communication avec les vivants38.

    Dans ce cadre, cest bien lexemplum de la mort de Socrate qui est appel par les Latins, de faon quasi-automatique comme le souligne lobjection de Lucilius, pour tablir la conduite tenir, pour servir de paradigme. Il est alors significatif de voir comment Rome se forge son propre exemplum socratique, travers le parallle qui est trac entre la figure du philosophe athnien et celle de Caton dUtique.

    36. Platon, Apologie de Socrate, 41 e.37. Snque, Lettres Lucilius, 26, 6.38. Sur ce point, nous renvoyons aux analyses de C. Edwards, Death in Ancient Rome, New Haven- Londres, Yale University Press, 2007, et plus particulirement aux pages 1-6.

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    Nec diu exempla quibus confirmeris colligenda sunt : omnis illa aetas tulit. [] In carcere Socrates disputauit et exire, cum essent qui promitterent fugam, noluit remansitque, ut duarum rerum grauissimarum hominibus metum demeret, mortis et carceris. [] Decantatae, inquis, in omnibus scholis fabulae istae sunt; iam mihi, cum ad contemnendam mortem uentum fuerit, Catonem narrabis. Quidni ego narrem ultima illa nocte Platonis librum legentem posito ad caput gladio ? Duo haec in rebus extremis instrumenta prospexerat, alterum ut uellet mori, alterum ut posset. Compositis ergo rebus, utcumque componi fractae atque ultimae poterant, id agendum existimauit ne cui Catonem aut occidere liceret aut seruare contingeret. Et stricto gladio quem usque in illum diem ab omni caede purum seruauerat, nihil, inquit, egisti, fortuna, omnibus conatibus meis obstando. Non pro mea adhuc sed pro patriae libertate pugnaui, nec agebam tanta pertinacia ut liber, sed ut inter liberos, uiuerem : nunc quoniam deploratae sunt res generis humani, Cato deducatur in tutum. Inpressit deinde mortiferum corpori uulnus ; quo obligato a medicis cum minus sanguinis haberet, minus uirium, animi idem, iam non tantum Caesari sed sibi iratus nudas in uulnus manus egit et generosum illum contemptoremque omnis potentiae spiritum non emisit sed eiecit39.

    Si, pour te fortifier, il te faut des exemples, ce sera vite fait de les recueillir : chaque sicle en a produit. [] En prison, Socrate disserte. Des amis lui promettent de le faire chap-per : il refuse et demeure, afin dter aux hommes la crainte des deux maux les plus re-douts, mort et prison. [] Ces histoires-l, dis-tu, sont des rengaines rabches dans toutes les coles. Quand on en sera au point suivant : le mpris de la mort, tu me conteras lhistoire de Caton . Et pourquoi ne le montrerais-je pas sa dernire nuit, lisant un livre de Platon, une pe sous son chevet ? Il stait mnag ces deux ressources dans cette extrmit : lune lui donnerait la volont, lautre la possibilit de mourir. Aprs avoir rgl ce qui pouvait ltre dans une situation compromise et dsespre, il regarda comme son devoir de nabandonner personne la libert de tuer Caton ou lhonneur de le sauver. Cest pourquoi, tirant son pe, quil avait conserve jusqu ce jour pure de toute effusion de sang : Tu nas rien gagn, scria-t-il, Fortune, topposer tous mes efforts. Je nai pas combattu jusquici pour ma libert propre, mais pour la libert de ma patrie. Je ne mobstinais pas ce point dans laction pour tre libre, mais pour vivre parmi des hommes libres. Puisquil ny a plus qu dsesprer du genre humain, il est temps de mettre Caton labri . Il frappe et se fait une blessure mortelle. Les mdecins bandent la plaie. Ayant moins de sang, moins de forces, avec autant de cur que jamais, irrit non plus contre Csar seul, mais contre lui-mme, il porte ses mains dsarmes sur la plaie, et cette me gnreuse contemptrice de toute tyrannie, il ne la rend pas, il la rejette.

    Nous ne citons ici quun seul exemple, mais le rapprochement entre les deux figures est constant chez Snque, puisquil napparat pas moins de quinze fois. Le parallle entre les morts des deux grands personnages a t souvent tudi40 ; outre le phnomne dadoubement philosophique qui se matrialise par le passage du livre, le Phdon, lpe41, Caton devient surtout un quasi sapiens qui affirme par son suicide sa libertas42, que lon pourrait rapprocher de lautarcie du sage stocien.

    39. Snque, Lettres Lucilius, 24, 3-9.40. Nous nous limitons ici donner quelques indications bibliographiques : M.T. Griffin, Philosophy, Cato, and Roman Suicide I-II , Greece and Rome, 33, 1, 1986, p. 64-77 et 33, 2, 1986, p. 192-202 ; M. Isnardi Parente, Socrate e Catone in Seneca : il filosofo e il politico , Seneca e il suo tempo, Rome, Salerno Editrice, 2000, p. 215-225.41. Ce point a dj t observ par M. von Albrecht, Sokrates bei Seneca , Sokrates-Studien, 5, Nachfolge und Eigenwege, d. H. Kessler, Kusterdingen, Die Graue Edition, 2001, p. 261-279.42. Sur ce point, nous renvoyons aux analyses de C. Edwards, Death in Ancient Rome, p. 86-112.

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    Le point le plus intressant est peut-tre lutilisation du calque dune mort socratique, en lappliquant un personnage qui, par son geste, contrevient pourtant un lment clairement exprim dans le Phdon, linterdiction du suicide43. Est mise en lumire ici la couleur stocienne que prend le rcit de la mort de Socrate, alors perue comme une forme de noble suicide44, reflet dune question qui fait dbat dans la socit romaine, dans le cadre dune rflexion philosophique45, ou encore littraire et mtaphorique chez les potes lgiaques, prts mourir damour. Cest dailleurs la teinte stocienne de la mise en scne de la mort de Socrate qui se retrouve galement chez les potes, comme chez Ovide :

    Sollicitoque bibas, Anyti doctissimus olimImperturbato quod bibit ore reus46.

    Bois en tremblant le breuvage que but jadis sans motion le docte accus dAnytos !

    Par la mention de lAnyti reus qui boit la cigu, Ovide condense de manire particulirement forte le procs et la mort de Socrate, en mettant laccent sur lattitude du philosophe lors du trpas. Le caractre exemplaire de Socrate, qui se lit sur le visage tranquille quil prsente la mort, est alli strictement sa sagesse, comme le souligne le superlatif doctissimus. Il rvle, suivant ici une thmatique physiognomonique dj prsente chez Cicron et Snque, la lutte constante que doit livrer le progrediens pour radiquer les maladies de lme que sont les passions, dont la crainte de la mort. Le rcit de la mort du philosophe athnien, rcrit et ressaisi, lui confre donc la dimension dun matre de philosophie universelle.

    miSe en queStion De La mort De Socrate : Le rejet De La rhtorique juDiciaire

    Si, comme nous lavons dit, la mort de Socrate devient une matrice pour comprendre et crer de nouvelles figures hroques romaines comme celle de Caton, il apparat nanmoins que cest justement lun des moments qui permet la relecture de la mort du philosophe athnien en un suicide son refus de se plier aux attentes de la rhtorique judiciaire qui soulve le plus de rserves de la part des auteurs latins, et plus particulirement de la part de Cicron. LArpinate rflchit plusieurs reprises au discours tenu par Socrate devant ses juges, tel quil nous est transmis par lApologie platonicienne. En ltat, la mort du philosophe constitue un vnement non assimilable la culture rpublicaine, o lloquence fait figure de pilier de la civilisation. La mfiance, voire la condamnation implicite de linutilit de la rhtorique pour dfendre lhomme

    43. Platon, Phdon, 67 d.44. Nous renvoyons ici M. Isnardi Parente, Socrate e Catone in Seneca : il filosofo e il politico , p. 215. Sur la question dune perception de la mort de Socrate comme un suicide, nous renvoyons la note no 6 de cet article. 45. Sur le traitement de la question de linterdit socratique du suicide chez Cicron, nous renvoyons T.D. Hill, Ambitiosa Mors, Suicide and Self in Roman Thought and Literature, New York-Londres, Routledge, 2004, p. 48-64.46. Ovide, Contre Ibis, v. 559-560.

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    de bien dont les actes suffisent prouver la valeur47, entre en contradiction avec la conception de la justice romaine telle quelle apparat chez un praticien de lloquence du Forum comme Cicron.

    En effet, si la condamnation des juges de Socrate semble parfaitement explicite de la part de Cicron, puisque ces derniers sont compars dans le texte prcdant aux tyrans qui se dfirent de Thramne, il convient de noter que la virulence de lArpinate ne porte en elle aucun aspect rvolutionnaire, aucune mise en question relle du systme judiciaire. En rintgrant explicitement, la diffrence de Platon dans le Phdon, la mort de Socrate dans le cadre des autres mises mort prcdentes Athnes, lavocat Cicron prend bien soin de prciser que la scne se droule en Grce, et il prcise, dans un texte du De officiis, que ce qui est valable pour un homme exceptionnel, Socrate, ne lest pas pour le commun des mortels, prenant dune certaine manire ses distances avec la figure du philosophe athnien :

    Illa enim ipsa praecepta sunt nec quemquam hoc errore duci oportet, ut, si quid Socrates aut Aristippus contra morem consuetudinemque ciuilem fecerint locutiue sint, idem sibi arbitretur licere ; magnis illi et diuinis bonis hanc licentiam assequebantur48.

    Il faut que personne ne soit entran par cette erreur de penser que ce que Socrate ou Aris-tippe ont pu faire ou dire lencontre de la coutume et de lhabitude de la cit, lui soit galement permis ; cest en vertu de leurs grandes et divines qualits que ces hommes parvenaient cette parfaite libert.

    Ainsi, si le jugement aboutissant la mort de Socrate est condamn comme un acte dinjustice, du fait des qualits du philosophe, il faut bien voir que cela ne saccompagne pas dune condamnation explicite de la justice, fut-t-elle athnienne. De la mme manire, Snque, dans le De prouidentia49, accusait ainsi la Fortune, forme incorporelle et anonyme, davoir accabl Socrate, comme si le contexte politique de la cit athnienne navait jamais exist.

    En effet, nous nous trouvons ici sur un point dachoppement de lanalyse latine du procs et de la mort de Socrate : lattitude du philosophe face ses juges nest pas acceptable dans le cadre judiciaire romain. Une autre analyse du procs et de la mort de Socrate est alors

    47. Sur lide de la vie comme tmoignage de vertu rendant inutile le discours judiciaire, nous pouvons penser ici un passage de lApologie de Socrate de Xnophon, qui justifie ainsi la du philosophe athnien, en 3 : , , ; ; ; . Ne faudrait-il donc pas, Socrate, que tu penses aussi ce que tu vas dire pour te dfendre ? Socrate lui rpondit tout dabord : Ne te semble-t-il donc pas que jai pass ma vie entire prparer ma dfense ? Comment cela ? demanda Hermogne. Parce que de toute ma vie je nai commis aucun acte injuste ; voil, je pense, la meilleure faon de prparer sa dfense .48. Cicron, De officiis, I, 148.49. Snque, De prouidentia, III, 4 : Idem facit fortuna : fortissimos sibi pares quaerit, quosdam fastidio transit. Contumacissimum quemque et rectissimum adgreditur, aduersus quem uim suam intendat : ignem experitur in Mucio, paupertatem in Fabricio, exilium in Rutilio, tormenta in Regulo, uenenum in Socrate, mortem in Catone. Magnum exemplum nisi mala fortuna non inuenit. Ainsi fait la Fortune : elle prend pour rivaux les plus braves, et passe ddaigneusement devant les autres. Elle ne sattaque quaux plus rsolus et aux plus fiers, afin de dployer contre eux toute sa vigueur. Elle essaye le feu contre Mucius, la pauvret contre Fabricius, lexil contre Rutilius, la torture contre Regulus, le poison contre Socrate, le suicide contre Caton. Un grand exemple ne nat que de la mauvaise fortune .

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    mene ; ainsi le livre I du De oratore dmontre le caractre non assimilable de Socrate, en superposant deux procs, celui de Rutilius Rufus, chevalier romain accus injustement de concussion en 92 av. J.C.50, qui refusa de se plier aux artifices rhtoriques attendus du plaidoyer judiciaire, et fut de fait condamn lexil, et celui du philosophe athnien, que Cicron dcrira dans les mmes termes non supplex dans les Tusculanes51. Le procd est dailleurs clair puisque Cicron relate la condamnation de Rutilius Rufus, mais ce sont les paroles de Socrate que nous entendons au style direct :

    Imitatus est homo Romanus et consularis ueterem illum Socratem, qui, cum omnium sapientissimus esset sanctissimeque uixisset, ita in iudicio capitis pro se ipse dixit, ut non supplex aut reus, sed magister aut dominus uideretur esse iudicum. [] Cuius responso iudices sic exarserunt, ut capitis hominem innocentissimum condemnarent. Qui quidem si absolutus esset, quod mehercule, etiam si nihil ad nos pertinet, tamen propter eius ingeni magnitudinem uellem, quonam modo istos philosophos ferre possemus, qui nunc, cum ille damnatus est nullam aliam ob culpam nisi propter dicendi inscientiam, tamen a se oportere dicunt peti praecepta dicendi52 ?

    Il imita ainsi, ce Romain, ce consulaire, lantique Socrate, Socrate, le plus sage des hommes, qui, aprs la vie la plus pure, dans un procs o il y allait de sa tte, se dfendit lui-mme de telle sorte, quil semblait non point un suppliant ou un accus, mais un prcepteur qui donne des leons : je me trompe, un matre qui donne des ordres ses juges. [] Sa rponse irrita tellement les juges que le plus innocent des hommes fut condamn mort. Mais sil et t absous (et par Hercule, quoique cela ne nous importe gure, je le voudrais tout de mme, par admiration pour ce grand gnie), ne seraient-elles pas devenues intolrables, les prtentions de tes philosophes, de ces gens qui aujourdhui encore, aprs que Socrate a succomb uniquement pour avoir manqu dloquence, osent venir nous dire que cest la philosophie quil faut aller demander les prceptes de lart oratoire ? Je ne dispute pas dailleurs avec eux pour savoir de quel ct se trouve le bien ou le vrai.

    Si la description de lattitude de Socrate, avec la reprise du terme de supplex, reste la mme que dans les Tusculanes, force est de constater que lanalyse est bien diffrente. Certes, dans le cadre du dialogue du De oratore, cest Antoine et non Cicron qui parle, mais lattitude de Socrate est dnonce : nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale o, bien que laccus soit innocent au plus haut point (hominem innocentissimum), sa condamnation est juge lgitime : il faut alors bien comprendre que

    50. Il sagit dun procs particulirement clbre dans lAntiquit : lensemble du dossier a t runi et analys par G.L. Hendrickson, The Memoirs of Rutilius Rufus , Classical Philology, 28-3, 1933, p. 153-175. Nous renvoyons galement E. Pais Lautobiografia ed il processo di P. Rutilio Rufo , Dalle guerre puniche a Cesare Augusto, T. I, Rome, Nardecchia, 1918, p. 35-83 et R. Kallet-Marx, The Trial of Rutilius Rufus , Phoenix, 44-2, 1990, p. 122-139.51. Cicron, Tusculanes, I, 71 : His et talibus rationibus adductus Socrates nec patronum quaesiuit ad iudicium capitis nec iudicibus supplex fuit adhibuitque liberam contumaciam a magnitudine animi ductam, non a superbia, et supremo uitae die de hoc ipso multa disseruit et paucis ante diebus, cum facile posset educi e custodia, noluit, et tum paene in manu iam mortiferum illud tenens poculum locutus ita est, ut non ad mortem trudi, uerum in caelum uideretur escendere. Ce sont ces arguments et dautres analogues qui dterminrent lattitude de Socrate dans un procs o il y allait de sa vie. Il ne se mit point en qute dun avocat, il ne supplia point les juges, mais le prit sur un ton libre et assur quinspirait la grandeur dme et non lorgueil. Le jour mme de sa mort, il dveloppa longuement le point qui justement nous occupe ; dj quelques jours auparavant, alors que la chose et t facile, il navait pas voulu quon le ft vader de sa prison, et, au moment o il allait prendre en mains la coupe fatale, cet instant dcisif, il parla, non point comme un homme que lon trane la mort, mais comme sil allait monter au ciel .52. Cicron, De oratore, I, 231-233.

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    Cicron ne traite plus ici du procs dun homme particulier, Socrate, mais du procs de la philosophie socratique qui refuse les artifices du langage assimils la sophistique. Socrate assume alors une dimension de symbole et doit par l tre condamn, puisquil incarne le discidium entre philosophie et rhtorique :

    Hinc discidium illud extitit quasi linguae atque cordis, absurdum sane et inutile et reprehendendum, ut alii nos sapere, alii dicere docerent53.

    Cest dalors que date cette sparation si importante je dirais volontiers entre la langue et le cur, sparation vraiment choquante, inutile, condamnable, qui imposa deux matres diffrents pour bien vivre et bien dire.

    La rflexion politique et juridique sur le procs et la mort de Socrate doit alors tre apprhende comme un moyen dinterroger les limites de lintgration du modle socratique Rome : lattitude, dont la justice est reconnue, du philosophe athnien face ses juges nest pas adaptable Rome, comme le prouve lexemple de Rutilius, mais si Socrate est de nouveau condamn dans le De oratore, cest bien parce quil incarne la possible suprmatie de la philosophie sur lloquence, proprement inacceptable pour les Latins, et pour Cicron au premier chef.

    La mort De Socrate : un DpaSSement eSthtique ?

    Comment alors dpasser lantinomie de la rception latine du procs et de la mort de Socrate, entre dimension philosophique exemplaire et rejet ? Cest probablement la rcriture constante du motif qui nous claire sur ce point : la mort de Socrate devient dans la littrature latine un vnement esthtique. Les auteurs proposent chacun leur interprtation de la mort du philosophe comme une scne picturale propre dgager le sublime de la figure socratique ; Cicron insiste sur ses derniers mots et le message adress lhumanit travers ses juges, Ovide condense au maximum sa description du philosophe, la rduisant quelques traits, mais cest sans doute chez Snque que la dimension esthtique de la mort de Socrate prend tout son sens :

    Cicuta magnum Socratem fecit. Catoni gladium adsertorem libertatis extorque : magnam partem detraxeris gloriae54.

    La cigu a grandi Socrate. Arrache des mains de Caton lpe qui va laffranchir : tu lui retires beaucoup de sa gloire.

    La mort de Socrate lui confre donc un statut de martyr de la philosophie, propre crer une lgende. En dcrivant dans la lettre 24 les morts de Socrate et de Caton de faon parallle un motif dj prsent chez Cicron , Snque fait de Caton une sorte de philosophe, hritier de Socrate, puisque ce dernier relit le Phdon avant de se donner la mort, mais il rflchit galement aux moyens de dfinir les caractres dune belle mort, selon des critres qui ne seraient plus seulement des critres guerriers. Limage

    53. Cicron, De oratore, III, 59-61.54. Snque, Lettres Lucilius, 13, 14.

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    de la mort de Socrate, tout particulirement lpoque impriale, est ncessaire pour penser, Rome, la possibilit dune mort qui atteint au sublime sans tre toutefois une mort militaire. On observe ainsi un transfert des caractristiques du militaire et du philosophe entre les figures de Socrate et de Caton : si Caton devient philosophe, Socrate fait de la cigu une arme pour se dlivrer dune sentence inique, lutter contre la fortune qui lcrase et gagner ainsi la gloire ; il acquiert alors une pithte, qui peut revtir une coloration militaire (magnum), et il est intressant de noter que Socrate, chez Snque, gagne la stature dun homme dtat, par les mentions chez le philosophe stocien de lopposition socratique aux Trente et au tyran Archlaos. partir dune mort infamante par condamnation, les auteurs latins construisent une mort sublime du philosophe athnien, qui constitue, elle, un exemple imiter et dpasser, comme le prouve le rcit de la mort de Snque par Tacite :

    Ille, interritus, poscit testamenti tabulas ; ac, denegante centurione, conuersus ad amicos, quando meritis eorum reffere gratiam prohiberetur, quod unum iam et tamen pulcherrimum habeat, imaginem uitae suae relinquere testatur ; cuis si memores essent, bonarum artium famam tam constantis amicitiae laturos. Simul lacrimas eorum, modo sermone, modo intentior, in modum coercentis, ad firmitudinem reuocat, rogitans ubi praecepta sapientiae, ubi tot per annos meditata ratio aduersum imminentia. [] Seneca interim, durante tractu et lentitudine mortis, Statium Annaeum, diu sibi amicitiae fide et arte medicinae probatum, orat prouisum pridem uenenum, quo damnati publico Atheniensium iudicio exstinguerentur [] Postremo stagnum calidae aquae introiit, respergens proximos seruorum, addita uoce libare se liquorem illum Ioui Liberatori55.

    Lui, sans se troubler, demande les tablettes de son testament ; et, sur le refus du centurion, se tournant vers ses amis, il atteste que, puisquon lempchait de reconnatre leurs services, il leur laissait le seul bien qui lui restt et dailleurs le plus beau, limage de sa vie ; sils en gardaient le souvenir, ils trouveraient dans le renom de vertu le fruit de leur inaltrable amiti. En mme temps, devant leurs larmes, tantt sur le ton dun entretien, tantt avec plus dautorit, la manire dun censeur, il les rappelle la fermet, leur demandant avec insistance o taient les prceptes de sagesse et la pense mdite pendant tant dannes pour faire face aux coups du sort. [] Cependant Snque, voyant lagonie se prolonger et la mort tarder, se tourne vers Statius Annaeus, quil tenait, par une longue exprience, pour un ami fidle et un habile mdecin, et le prie de lui donner le poison dont il stait pourvu depuis longtemps, celui quutilisaient les Athniens pour faire prir les condamns de droit public []. la fin, il entra dans un bain deau chaude en aspergeant les esclaves qui lentouraient et ajouta quil offrait cette libation Jupiter Librateur.

    La dimension esthtique de la mort du philosophe, rendue explicite par le terme dimago dans le cas de Snque, ouvre dans la voie une non-mort de Socrate, rapprocher peut-tre du rite des imagines : aux disciples innombrables du pre des philosophies hellnistiques , qui rendent vivante la philosophie socratique, se lient tous les artistes, prts sublimer, par la plume ou le pinceau56, le martyr de la philosophie.

    55. Tacite, Annales, XV, 62-64.56. La reprsentation picturale de la mort de Socrate est un motif que lon retrouve souvent, qui fleurit tout particulirement au xviie et au xviiie sicle. Nous pouvons ainsi citer les uvres de Jacques-Louis David, La mort de Socrate, 1787, conserve au Metropolitan Museum of Art de New York, de Charles Alphonse Dufresnoy (1611-1668), La Mort de Socrate, conserve la Galerie des Offices de Florence ; de Jean Franois Pierre Peyron, La Mort de Socrate, 1787, conserve au Statens Museum for Kunst de Copenhague, de Franois Boucher, La mort de Socrate, 1762, conserve au Muse de Tess au Mans, ou encore de Giambettino Cignaroli, La mort de Socrate, 1759, conserve au Szpmvszeti Mzeum

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