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8 forum 277 La constitution de la loi pénale et ses effets Il existe trois processus relatifs à la loi pénale : celui de la criminalisation primaire (processus d’élabo- ration de la loi pénale par le Parlement, les entre- preneurs de morale 1 ) ; celui de la criminalisation secondaire (application de la loi par les différentes agences pénales) et celui de la criminalisation ter- tiaire (l’exécution des sanctions prononcées, en référence au droit d’exécution des peines). Ainsi, le fait de criminaliser un comportement peut produire à son égard une forte désapproba- tion publique, laquelle n’existait pas auparavant (harcèlement sexuel, violence domestique) 2 . Pour Durkheim, « un acte est criminel quand il of- fense les états forts et définis de la conscience col- lective ». Nous ne le réprouvons pas parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons, il suscite l’indignation. Le crime est ainsi un construit social. Quant à la conscience col- lective, elle est la condition de possibilité du crime et de la peine. La loi pénale transmet un message à la population : à côté de l’interdit qu’elle érige, chaque condamna- tion exprime la désapprobation morale de la société à l’égard de l’acte commis. Il n’y a peine que quand il y a accord sur les valeurs morales. Le recours à la pénalité (ensemble des peines établies par la loi) a pour effet, à côté de la sanction infligée, de réaffir- mer et de renforcer la solidarité morale (par le biais du jugement des juridictions pénales). Ordre moral est ainsi synonyme de conscience collective. C’est ainsi que le désir passionné de vengeance est pris en charge par l’État, avec le principe de la pro- portionnalité entre acte commis et peine. Tout comme pour le crime, la peine en soi n’existe pas. Il existe des pratiques pénales particulières, des systèmes de peines. Le droit de punir 3 Pour appréhender le fondement du droit de punir et la réaction face à la délinquance, deux grandes justifications se distinguent : celle du rétributi- visme (Kant) et celle de l’utilitarisme (Beccaria et son ouvrage majeur : Des délits et des peines). Elles donnent toutes les deux naissance à la rationalité pénale moderne au XVIII e siècle 4 . Pour Kant, l’origine de la peine est de nature reli- gieuse. La peine à infliger doit être douloureuse, c’est le droit du souverain de punir celui qui lui est soumis. La peine est tournée vers le passé, vers l’acte commis. Elle a une fonction d’expiation et beaucoup moins de dissuasion. C’est la loi du talion. Punir est un devoir impératif, un devoir moral. Il faut faire souffrir celui qui a commis une Le sens de la peine Approche pénologique, historique et économique Le présent article s’inscrit dans le récent débat mené sur la fonction de la prison et de la peine d’emprisonnement (cf. forum n° 275, mars 2008). Il n’a pas pour objectif de reprendre les propos avancés, mais de situer les fonctions et les effets de la peine dans un contexte plus large. Il s’agit avant tout d’une approche pénologique, la pénologie étant la « jeune » science des peines. Nous verrons qu’au cours des derniers siècles, différentes peines furent envisagées et appliquées dans des contextes socioéconomiques bien précis. Nous montrerons aussi que la peine revêt également des logiques et justifications bien précises. Il s’agit ici de sa nature et de sa raison d’être. Les notions de responsabilité et d’irresponsabilité pénale ne seront pas abordées ici. Dan Biancalana est criminologue au service de probation (SCAS/Parquet général). Dan Biancalana Strafrecht

Le sens de la peine - Forum.lu · Le présent article s’inscrit dans le récent débat mené sur la fonction de la prison et de la peine d’emprisonnement (cf. forum n° 275, mars

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8 forum 277

La constitution de la loi pénale et ses effetsIlexistetroisprocessusrelatifsàlaloipénale:celuide la criminalisation primaire (processus d’élabo-rationdela loipénaleparleParlement, lesentre-preneurs de morale1) ; celui de la criminalisationsecondaire(applicationdelaloiparlesdifférentesagencespénales)etceluidelacriminalisationter-tiaire (l’exécution des sanctions prononcées, enréférenceaudroitd’exécutiondespeines).

Ainsi, le fait de criminaliser un comportementpeut produire à son égard une forte désapproba-tion publique, laquelle n’existait pas auparavant(harcèlementsexuel,violencedomestique)2.

PourDurkheim,«unacteestcriminelquandilof-fenselesétatsfortsetdéfinisdelaconsciencecol-lective».Nousneleréprouvonspasparcequ’ilestun crime, mais il est un crime parce que nous leréprouvons, il suscite l’indignation. Le crime estainsiunconstruitsocial.Quantàlaconsciencecol-lective,elleestlaconditiondepossibilitéducrimeetdelapeine.

Laloipénaletransmetunmessageàlapopulation:àcôtédel’interditqu’elleérige,chaquecondamna-tionexprimeladésapprobationmoraledelasociétéàl’égarddel’actecommis.Iln’yapeinequequandilyaaccordsurlesvaleursmorales.Lerecoursàlapénalité(ensembledespeinesétabliesparlaloi)apoureffet,àcôtédelasanctioninfligée,deréaffir-meretderenforcerlasolidaritémorale(parlebiais

dujugementdesjuridictionspénales).Ordremoralestainsisynonymedeconsciencecollective.

C’estainsiqueledésirpassionnédevengeanceestprisenchargeparl’État,avecleprincipedelapro-portionnalitéentreactecommisetpeine.

Toutcommepourlecrime,lapeineensoin’existepas. Il existe des pratiques pénales particulières,dessystèmesdepeines.

Le droit de punir3

Pourappréhender lefondementdudroitdepuniret laréactionfaceà ladélinquance,deuxgrandesjustifications se distinguent : celle du rétributi-visme(Kant)etcelledel’utilitarisme(Beccariaetsonouvragemajeur:Des délits et des peines).EllesdonnenttouteslesdeuxnaissanceàlarationalitépénalemoderneauXVIIIesiècle4.

PourKant, l’originedelapeineestdenaturereli-gieuse. La peine à infliger doit être douloureuse,c’est le droit du souverain de punir celui qui luiestsoumis.Lapeineesttournéeverslepassé,versl’acte commis. Elle a une fonction d’expiationet beaucoup moins de dissuasion. C’est la loi dutalion. Punir est un devoir impératif, un devoirmoral.Ilfautfairesouffrirceluiquiacommisune

Le sens de la peineApproche pénologique, historique et économique

Le présent article s’inscrit dans le récent débat mené sur la fonction de la prison et de la peine d’emprisonnement (cf. forum n° 275, mars 2008). Il n’a pas pour objectif de reprendre les propos avancés, mais de situer les fonctions et les effets de la peine dans un contexte plus large. Il s’agit avant tout d’une approche pénologique, la pénologie étant la « jeune » science des peines. Nous verrons qu’au cours des derniers siècles, différentes peines furent envisagées et appliquées dans des contextes socioéconomiques bien précis. Nous montrerons aussi que la peine revêt également des logiques et justifications bien précises. Il s’agit ici de sa nature et de sa raison d’être. Les notions de responsabilité et d’irresponsabilité pénale ne seront pas abordées ici.

Dan Biancalana est criminologue au service de probation (SCAS/Parquet général).

Dan Biancalana

Strafrecht

Juni 2008 9

infraction à la hauteur de la gravité de son acte.Il s’agit de combattre le mal par le mal. Contrai-rementàBeccaria,pourKant, lapeinen’apasdeconséquencepositive.

PourBeccaria, laviepsychiques’organiseàpartirdesensations.L’individuestdotéd’uneraisoncal-culatrice.Ilalacapacitéd’estimeretdecalculerleplaisiret la souffrancequidécoulentdesonacte.Parconséquent,ilchoisitlasolutionlaplusavan-tageuse.End’autrestermes,l’infracteurmesurelecoûtetlebénéficedesatransgression.Lafonctiondelapeineseraalorsdeprovoquerdanslechefdel’individuunedouleurmodérémentsupérieureauplaisirqu’ilaressentiencommettantsonacte.Lapeineviseainsi ladissuasionetégalement lapré-vention de nouvelles infractions. Elle est tournéevers l’avenir. L’utilité de la peine est de réformerl’individu. Les lois et tribunaux sont nécessairespour éviter que les individus retombent dans unétatdenature.

Dansleurapproche,lesutilitaristescommeBeccaria,voireBentham,étaientopposésàlacondamnationd’individusatteintsdecertainespathologiesmen-tales.C’esticiquesefondenotammentlathéoriedeladéfensesocialerepriseparA.Prinsetappro-fondieparP.GramaticaetM.Ancel.

Les effets de la peineLa peine a un effet dissuasif général (la craintede subir une sanction en cas de transgression dela loi)etuneffetdissuasifspécial(l’évitementdelarécidive).

Lapeinea également,nousvenonsde levoir,uneffet d’expiation et de dissuasion, mais aussi deneutralisationetd’incapacitation(miseàl’écartdujusticiableàtraversl’incarcération).Elleprendéga-lement en charge la prévention des actes de ven-geancede lavictime.Finalement, lapeineaaussiunelogiquederéadaptation.Ilvadesoiquediffé-rentespeinesvisentdifférentseffets5.

Àcôtédeseffets,Foucault,danssonouvrageSur-veiller et punir, s’est pour sa part clairement pro-noncésurlesensdelapeine:«lecitoyenestcenséavoiracceptéunefoispourtoutes,aveclesloisdelasociété,celle-làmêmequilerisquedepunir.Lecriminel apparaît donc comme un être juridique-mentparadoxal.Ilarompulepacte,ilestdoncl’en-nemidelasociététouteentière,maisilparticipeàlapunitionquis’exercesur lui.Lemoindrecrimeattaquelasociété;ettoutelasociété–ycomprislecriminelestprésentdanslamoindrepunition»6.

La peine et son contexte économique7 Dansleurouvrage Peine et structure sociale,RuscheetKirchheimer8ontétabliqu’ilexisteuneinfluencedes circonstances économiques sur le systèmepénal. Leur approche était donc plutôt de naturemarxiste et ils ont étudie le système pénal sous

l’angle du rapport de force entre la classe domi-nanteetlaclassedominée.

Ils constatent, à travers leurs analyses documen-taires,deuxélémentsparticuliers:

lerégimedespeinesdoitêtreconçudetellesortequelescoucheslesplusmenacéesdedevenircrimi-nellespréfèrentencorevégéterdansdesconditionsles plus misérables en liberté plutôt que sous lejougdelapeine.End’autrestermes,lecondamnédoit vivredansdes conditionspiresque cellesdelaclassesocialelaplusdéfavoriséenonincarcérée.C’estleprincipedelamoindreéligibilité,quivisela dissuasion et la crainte de se voir infliger unesanction.

au niveau du lien entre la sphère économiqueetlasphèrepénale,lesméthodesdespratiquespé-nalessontfonctiondelavaleurdelaviehumaine.Lavaleurdelaviehumainedanslaclassedominéeestfonctiondelavaleurdutravail.

Ces deux auteurs ont illustré ce deuxième pointen identifiant trois époques affichant différentespratiquesdepunition:lehautMoyenÂgeavecsespénitencesetamendes,remplacéesaucoursdubasMoyenÂgepar lespeinescorporelles et capitalesféroces, et substituées auXVIIe siècle à leur tourparlapeineprivativedeliberté.Cesmodificationsétaient essentiellement dues au changement desrapportssociauxetdelaformedelacriminalité.

Pénitences et amendesAudébutduMoyenÂge, ily avaitpour lespay-sanslapossibilitédes’installersurlesterreslibres.Laclassesocialeinférieureassistaitàunevéritablerépartition uniforme des richesses. Ses besoinsétaient satisfaits et son niveau de vie était bon.Enoutre,auvudecettesituation,larelationentreseigneurs et serfs était plutôt positive. Ainsi, lesinfractions contre la propriété n’étaient pas fré-quentes.Ledroitpénalmettaitl’accentsurlemain-tiendel’ordrepublic.Encasd’infraction,lecoupa-

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Strafrecht

Le crime est [...] un construit

social. Quant à la conscience collective, elle

est la condition de possibilité

du crime et de la peine.

(© Xeroid)

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blesevoyaitinfligeruneamendeouunepénitencepourempêcherlavengeancedelapartielésée.

Peines corporellesPour ladeuxièmeépoque, suiteà lacroissancedela population et au surpeuplement, deux classesdistinctesseconstituèrent:richesetpauvres,avecl’émergence d’un mode de production capitaliste.Destroublessociauxainsiquedesrévoltessema-nifestèrent. Les mendiants, voleurs et brigandsfirent rapidement apparition et provoquèrent unsentiment d’insécurité manifeste. Les infractionscontre lapropriétéet lespersonness’amplifiaientetl’amendetoutcommelapénitencen’étaientplusefficaces en tant que peines. Elles furent rempla-cées par la flagellation, la mutilation, le bûcher,lapendaison.Deschâtimentscorporelsdifférentsfurentd’ailleursappliquésenfonctiondelacatégo-riedel’infractionetdel’infracteur.Ceciétaituneconséquencedel’appauvrissementdesmasses.Despeinescruellesdevaient lesdissuaderdecommet-tre un crime. La mise à mort systématique étaitunmoyend’éliminerdessujetsconsidéréscommedangereux.

LesupplicedeDamien9reflètebiencesystèmedepeinecruelle:«àlaplacedeGrève,etsurunécha-faudquiyseradressé,tenailléauxmamelles,bras,cuissesetgrasdesjambes,samaindroitetenantenicellelecouteaudontilacommisleditparricide,brûléedefeudesoufre,etsurlesendroitsoùilseratenaillé,jetéduplombfondu,del’huilebouillante,delapoixrésinebrûlante,delacireetsoufrefonduet ensuite son corps tiré et démembré à quatrechevauxetsesmembresetcorpsconsumésaufeu,réduitsencendresetsescendresjetéesauvent».

Quantaubannissement–autresanction–,ilper-mettait au banni issu de la classe populaire deresterenvie,toutensachantque lapotence l’at-tendait dans sa ville de refuge. Pour les riches, lebannissement était par contre l’occasion d’entre-prendredesvoyagesd’étude,defaireducommerceàl’étranger.

LebasMoyenÂgefaitdoncétatd’unsystèmepé-nal où la main-d’œuvre et en l’occurrence la viehumaine avaient très peu de valeur. La popula-tionvivait continuellementdansuneatmosphèred’oppression.

La peine privative de libertéSuiteàlaguerredeTrenteAnsaveccommerésul-tat une réduction de la population, il y eut uneréellepénuriedemain-d’œuvre.Laforcedetravaildevintdenouveauprécieuse.Lesalaireetleniveaude vie des classes inférieures s’améliorèrent. Parailleurs,exterminerlescriminelsauraitétéécono-miquementdéraisonnable.Decefait,laprisonpritla place des châtiments corporels. Le détenu futdécouvert commeunêtre économiquementutile.Ils’agissaitd’exploiterrationnellementsaforcede

travail. Ainsi, mercantilisme et emprisonnementfaisaientbonménage.C’estainsiquelamaisondecorrection(précurseurdel’actuelsystèmepéniten-tiaire)s’implanta :elleétaità lafoisundépôtdemendicitéetunemaisondetravailforcéetd’ins-titution pénale10. Elle visait à faire travailler desindividusrécalcitrants(vagabonds,mendiantsva-lides,prostituées,fainéants).

Néanmoins, cette approche plus humaine dispa-rutavecl’apparitiondelamachinesesubstituantàl’homme.Leniveaudeviedelaclasseinférieurebaissadenouveauetlaprisoncessaderapporter.Faceàcetteabondancedemain-d’œuvrenonem-ployable, le retourauxpeinescruellesmédiévaless’annonça.Enprison,lanourritureetlesconditionsde détention (les coups et l’isolement cellulairefurent introduits) devinrent mauvaises. Consé-quencelogique:lesdétenusmouraientenmasse.

Pourtant,enparallèle,d’autresformesdepeinessedéveloppèrent:lesgalèresetladéportation.Dansson ouvrage L’Utopie, Thomas More avait avancéqu’il était peu judicieux d’exécuter les criminelsdanslamesureoùleurtravailavaituneutilitéplusgrande que leur mort. Ceux affectés aux galèresétaient considérés commeunemain-d’œuvrebonmarché.Lesgalèresetladéportationétaientd’ail-leurs plus proches du châtiment corporel que del’incarcération.

La déportation vers les colonies (anglaises, espa-gnolesetportugaises)étaitdueàlanécessitéd’unemain-d’œuvreabondanteetpeucoûteuse.Ils’agis-saitd’unemanièreefficacedese libérerdecrimi-nelsdangereux.Quantàcesderniers,ilsn’avaientplusrienàperdreettoutàygagner.

Ce développement du régime des peines fut da-vantageprésentenEuropequ’auxÉtats-Unisqui,avecune charité abondante,n’aidaientpas seule-ment les classes sociales les plus démunies, maisencourageaient davantage l’utilité économiquedudétenu.Demanièregénérale, lamain-d’œuvreétait tellement recherchée que même les vaguesd’immigrantsnepurentcomblercettedemande.Laprisonétaitunréelatelierdeproductionavecunetâchesupplémentaire:celledetransformerlecri-minelenmembreutilepourlasociété,encitoyenresponsable.

Évolution de la justice pénaleCesdifférentespratiquespénalesétaientappeléesàremplirdesfonctionsbienprécisesàdesmomentsdéterminés.

Dans ce contexte, l’application de la sanction etdoncl’exécutiondelapeineavaientégalementeulieudansunsystème judiciairebienprécis :celuidel’AncienRégimeetceluidesréformateurs.

- L’Ancien Régime

Durantcetteépoque,touteinfractionàlaloi(con-tre les biens et contre les personnes) est consi-

Strafrecht

La peine a un effet dissuasif général (la crainte de subir une sanction en cas de transgression de la loi) et un effet dissuasif spé-cial (l’évitement de la récidive).

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déréeavanttoutcommeuncrimedelèse-majesté.La peine appliquée vise ainsi à rétablir l’ordre, àréaffirmerlasouverainetéétatique.Lajusticeétaitrenduedefaçonarbitraireetimpitoyable.

À la personne lésée portant des séquelles, on nereconnaissait pas le statut de victime. Son sortpassait au second plan. Ce qui comptait, c’étaitderétablirlaloienfaisaientressentiraucoupablel’autoritédel’État.Seull’Étatavaitledroitd’utili-sersaforceenexerçantson«acharnement»surlecorpsducoupable.

Quant à la procédure judiciaire, l’instruction setenaitcertesàhuisclos,maissansréeldébatcon-tradictoire.Lesaveuxsefaisaientsuiteàdelongsprocédés de torture. Le prononcé du jugement etdelapeineainsiquesonexécutionavaientlieusurlaplace(centrale)publique.Lavisibilitédelapeinesur le corps du condamné (châtiment corporel)visaitladissuasionetl’intimidation.Ellecomptaitfaireressentiraupeuplelaforceétatiqueetalimen-taitlacrainteenverslepouvoirenplace.

L’exécution publique était un rituel d’affirmationdelapuissanceduroi.

- Les réformateurs et la naissance du droit criminel moderne

Avecl’avènementdudroitpénal,cesontlesgaran-ties procédurales qui sont mises en place11. Lesréformateurs condamnèrent la manière cruelle etinhumainederendrejusticeetplaidèrentpourunsystèmeéquitable.

En outre, en août 1789, la Déclaration des droitsdel’hommestipulaitque«nulhommenepeutêtreaccusé,arrêté,détenu,quedanslescasdéterminésparlaloi»12.

Grâceàcesrevendications,l’instructionjudiciairesedéroulaittoujoursàhuisclos,maissanstortureet avec la possibilité de défendre ses intérêts deprésumécoupable.Leprocèspénalentantquetel–aveclalecturedel’accusation,ledébatcontradic-toireetleprononcédelapeine–alieuautribunal(enunlieuinstituéetorganisé)etnonplussurlaplace publique. L’exécution de la peine s’effectueenprisonoudanslacommunauté.

Ledroitde lavictimefaitsonapparition.Lapro-cédurepénaleprévoitquelavictimepeutsecons-tituer partie civile et réclamer des dommages etintérêts. La confrontation entre l’auteur et « sa »victimealieu.

Lapeined’emprisonnementdevientlapeineprin-cipale.Cettedernière échappe aupublic. L’exécu-tionde lapeinen’estdoncplusunthéâtrepénal.Nous assistons à une généralisation de la peined’emprisonnement.

Ils’agitd’unpassage«d’unrégimespécialisédansl’art des sensations insupportables à un régimefondé plus spécifiquement sur une économie desdroitssuspendus»13.

La naissance de la prisonFoucault s’est intéressé de près à l’histoire de lagouvernementalité qu’il a définie comme étantl’histoiredel’artdeconduirelesconduites.

Danscecontexte,ils’estégalementpenchésurlanaissance de la prison. Il la considère comme unlieu d’apprentissage de la discipline et de tech-niques en vue de dresser le corps, de le rendredocile. Contrairement au châtiment corporel, lapeine d’emprisonnement ne vise plus à marquerle corps du condamné et à le détruire, mais à lecontrôler,àlemaîtriser.Laprisonestlacontinuitéd’un art de domestication du corps (déjà présentauseinde l’armée,deshôpitaux,desécoles…). Ils’agitd’uncontinuumdisciplinaire.

PourFoucault,lagouvernementaliténécessitetroiséléments:lecorps,lepouvoiretlesavoir.

Lecorpsestl’entitéviséeetfaçonnéeparlesinsti-tutionspolitiques,économiquesetpénalespourlerendreutileàl’État.Lepouvoiresttouteformedeconduitedesconduites,etlesavoirestl’ensembledessavoir-fairenécessairespourassujettirlecorps.

L’idée dégagée est celle du pouvoir qui s’exercemieuxsi lapopulationpénaleestconnue,d’où laprésencedetechniquespénalesmoinsbrutales.

Ainsi, ladiscipline (enprison) s’attacheà chaquegeste et mouvement du corps (dans le temps etdans l’espace). Elle est opérée par une supervi-sionininterrompue,unesurveillancequirepèrelamoindredéviance.

Pourrendrelecorpsutilesedéveloppentdoncdesdispositifs d’encadrement des individus pour lesrapprocherdelanorme:

lamanœuvre:l’efficacitédechaquegestedéployéestétudiée.L’horaireétablienprison(pourselever,secoucher,manger,travailler,étudier)sertàimpo-seraudétenudesgestesutilesetnormatifs;

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Strafrecht

Avec la naissance de la prison, c’est donc la

théorie de la pri-vation de liberté

qui remplace celle relative à la

souffrance.

12 forum 277Strafrecht

lesprocéduresd’examenetdeclassement:ellesserventàanalyserl’évolutiondudélinquantetper-mettentde constituerun savoir sur le détenu et,delà,unsavoircriminologique.

C’est dans cette optique que s’inscrit d’ailleursle modèle de prison appelé Panopticon (de J.Bentham), qui est conçu comme bâtiment circu-laire dont le centre est doté d’une tour occupéeparlesurveillantavecvuelibresurlescellules.

Cemodèle,àcôtédel’incapacitationclassiqueetdelamanufacture,aunatoutmajeur:ilciblel’inté-riorisationduregardenvuededisciplinerlecorpsdudétenu.Lecondamnésaitquelegardienpeutlesurveilleràtoutmoment,maislemêmecondamnénesaitpassilesurveillantlefaiteffectivement14.Ledétenuvitainsiconstammentavecl’idéed’êtresurveillésanslesavoireffectivement.

Cette conception de l’exécution de la peine n’estpas seulement diamétralement opposée au châti-mentcorporel,maismontreque lecorpsestsou-misàl’inspection.Ici,lapeineestcenséelaissersestracessurl’âmeetl’espritdel’individu(approchepluspsychologique)pourleréformer,aulieud’êtreappliquéedirectementsurlecorps.

Enimposantcettediscipline«devie»,l’objectifestcelui de la réhabilitation, de la resocialisation dudélinquant.Cetobjectif s’appuie sur « l’idéequ’ilexiste une convergence entre l’intérêt du délin-quantetceluidelasociété,letraitementdecelui-cipermettantdeprotégercelle-là»15.

Pour ce faire, deux types de traitement peuventêtreisolés:celuiàcaractèrenonthérapeutiqueetceluiàcaractèrethérapeutique.Lepremiersedis-tingueparlaformationscolaireetprofessionnelle.Le deuxième se compose de psychothérapies, im-poséesouproposées,aucondamnéenvuedecom-prendre sonpassageà l’acteetdecerner sespro-blèmespsychologiques.

Aveclanaissancedelaprison,c’estdonclathéoriedelaprivationdelibertéquiremplacecellerelativeàlasouffrance.Auniveaudelastigmatisationducondamné, nous assistons également à un glisse-mententre l’AncienRégimeet laRéforme:de la

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visibilitéde lapeine sur le corps àunautre typedevisibilitéqu’estlecasierjudiciaire.

Quantàlathéoriedelaréhabilitation,elleestdansunpremier stadeégalementaxée sur laprivationdelaliberté.Cen’estqu’àlasecondemoitiéduXXesièclequelaresocialisationfutconçueàl’extérieurdesmursd’institutionsferméesparlebiaisdesanc-tionsetd’un traitementenmilieuouvert16 (pro-bation, travaild’intérêtgénéral, surveillanceélec-tronique…). Toutefois, malgré le développementimportantd’alternativesà l’incarcération,pour laplupart,l’emprisonnementestsubsidiaire17encasdenon-respectdesconditionsouderécidive.

Pourcequiestdesditesalternatives,sanstropvou-loirl’approfondir,unenotionnouvellesedégage:le consentement. Le droit criminel prévoit, dansce contexte, de recourir au consentementdu jus-ticiable face à une peine précise à prononcer. Cedernier«accepte»ainsisapeineet«autorise»lejugeàlecondamneràunepeinequiviseàrendrele condamné responsable (de l’exécution de lapeine etde l’obligationmorale envers la société).Lecondamnédevientunesorte «d’allié »qui, entant que destinataire de la peine, l’a comprise etreconnaîtsonutilité.Onn’attenddeluiquedesetransformer.

1 La notion d’entrepreneurs de morale fut utilisée par H. Becker dans son ouvrage Outsiders, pour qualifier les personnes dont la mission consiste à aider à réformer les mœurs.2 X. Bebin, 2006, Pourquoi punir ? L’approche utilitariste de la peine, Paris, L’Harmattan, p. 56.3 C. Debuyst, F. Digneffe, A.P. Pires, 1998, Histoire des savoirs sur le crime & la peine . La rationalité pénale et la naissance de la crimino-logie, vol. 2, Bruxelles, Perspectives criminologiques, Éd. De Boeck, pp. 82-205.4 C. Debuyst, F. Digneffe, D. Kaminski et C. Parent, 2002, Essais sur le tragique et la rationalité pénale, Bruxelles, Éd. De Boeck, p. 31.5 La peine de mort table sur un effet d’expiation, de dissuasion et de neutralisation. Pour la peine d’emprisonnement, l’effet de ré-adaptation s’y ajoute. Les sanctions communautaires, elles, visent l’expiation, la dissuasion et la réadaptation (mais certainement pas la neutralisation et l’incapacitation).6 M. Foucault, 1975, Surveiller et punir . Naissance de la prison, Paris, Éd. Gallimard, p. 92.7 G. Rusche, O. Kirchheimer, 1994, Peine et structure sociale . Histoire et « Théorie critique » du système pénal, Paris, Éd. du Cerf, 400 p.8 Ces deux auteurs s’inscrivent dans le courant de l’École de Francfort.9 Foucault, op . cit ., p. 9. Foucault commence son ouvrage majeur en citant le supplice de Damien. Il décrit minutieusement, sur trois pages, le processus détaillé de cette atroce exécution publique.10 G. Rusche, O. Kirchheimer, op . cit ., p. 169.11 De nos jours, c’est le code pénal classique ainsi que le code d’instruction criminelle.12 Selon l’adage, nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege . P. Combessie, 2004, La sociologie de la prison, Paris, Repères, Éd. la Découverte, p. 9.13 M. Foucault, op . cit ., p. 18.14 Cette approche est aussi valable pour le système de vidéo-surveillance, qui est un art « moderne » de conduire les conduites.15 X. Bebin, op . cit ., p. 168.16 R. Dubé, J-F Cauchie, 2007, « Enjeux autour de l’évolution du droit criminel moderne », in Déviance et Société, 31, 4, p. 472.17 D. Kaminski, S. Snacken, M. van de Kerchove, 2007, « Mutations dans le champ des peines et de leur exécution », in Déviance et Société, 31, 4, p. 491.

(http://pointcommun.wordpress.com/2007/08/)