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solidaritéS 262 Cahiers émancipationS I l peut sembler étonnant qu’une élection dans un petit pays de moins de 12 millions d’habitant·e·s puisse susciter une si grande inquié- tude dans les ministères, de Berlin à Paris, ainsi qu’au QG de l’Union européenne à Bruxelles. Mais, comme l’écrivait le vieux Lénine, la solidité de la chaîne impérialiste se mesure à celle de son maillon le plus faible, et la Grèce répond certainement à cette définition. Pourquoi tant d’intérêt pour les élections grecques ? La crise en Grèce a émergé à la suite de la panique financière d’octobre 2008, quand le gouver- nement n’a plus été en mesure d’honorer le service de sa dette. La Commission européenne, bras exécutif de l’UE, est alors entrée en jeu, avec la Banque centrale européenne (BCE) et le Fond monétaire international (FMI), connus collectivement sous le nom de troïka. Ces entités ont été d’accord de participer à un plan de sauvetage du système financier grec, à condition que le gouvernement sabre les emplois et les salaires du secteur public, effectue des coupes claires dans les dépenses sociales et privatise des services gouvernementaux. Simultanément, les taxes régres- sives, qui frappaient déjà dure- ment les salarié·e·s, ont encore augmenté, les recettes de l’Etat sortant du pays pour le service de sa dette étrangère. Les promoteurs de l’austérité prétendaient que ces méthodes seraient efficaces, grâce à la di- minution des coûts salariaux en Grèce, pour – disaient-ils – re- lancer les investissements dans l’économie. Ça n’a pas marché. Le premier plan de sauvetage a dû être suivi d’un second. Et un troi- sième était encore en discussion quand le gouvernement conser- vateur d’Antonis Samaras s’est effondré en décembre dernier. Des fonds étaient nécessaires pour permettre au gouvernement grec de continuer à honorer le service de sa dette. Or, l’économie grecque a plongé comme jamais depuis la Grande dépression, tandis que le poids relatif de ses créances continuait à augmenter, atteignant 175 % de son PIB en 2013 et 168 % aujourd’hui. En 2012, le spectre de la sor- tie possible de la Grèce de l’euro, monnaie commune à 19 pays européens, a suscité des vagues de panique financière, alors que SYRIZA était à deux doigts de remporter les élections natio- nales. Certes, l’économie grecque reste assez petite à l’échelle euro- péenne, avec un PIB de 242 mil- liards de dollars en 2013, comparé aux 2100 milliards de l’Italie ou aux 1400 milliards de l’Espagne, pays également embourbés par une croissance anémique. Une panique bancaire en Grèce ou un défaut de paiement de la dette grecque aurait pu avoir un effet domino sur d’autres banques européennes et conduire les investisseurs à liquider leurs obligations d’Etat italiennes ou espagnoles, créant d’énormes problèmes pour ces pays. Plus récemment, l’économie grecque a connu une petite re- prise, à la suite de son effondre- ment catastrophique, dégageant ce qu’on appelle un excédent primaire, soit, dans le jargon I LE SENS DE NOTRE SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE GREC GRÈCE Au moment où nous bouclons ce numéro, la coalition de gauche radicale SYRIZA a remporté les élections parlementaires grecques du 25 janvier, ce qui lui donnera la possibilité de former un nouveau gouvernement qui s’oppose à l’agenda d’austérité catastrophique qui a plongé la Grèce dans une crise sociale et économique extrêmement sévère. Comment comprendre le succès politique de SYRIZA, et que signifierait sa victoire ? Nous reproduisons ici le point de vue d’un militant états-unien, animateur de la revue syndicale de gauche Labor Notes et membre de l’ISO (Organisation internationale socialiste). Stella Pekiaridi

Le sens de notre solidarité avec le peuple grec

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Au moment où nous bouclons ce numéro, la coalition de gauche radicale SYRIZA a remporté les élections parlementaires grecques du 25 janvier, ce qui lui donnera la possibilité de former un nouveau gouvernement qui s’oppose à l’agenda d’austérité catastrophique qui a plongé la Grèce dans une crise sociale et économique extrêmement sévère. Comment comprendre le succès politique de SYRIZA, et que signifierait sa victoire ? Nous reproduisons ici le point de vue d’un militant états-unien, animateur de la revue syndicale de gauche Labor Notes et membre de l’ISO (Organisation internationale socialiste).

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SI l peut sembler étonnant

qu’une élection dans un petit pays de moins de

12 millions d’habitant·e·s puisse susciter une si grande inquié-tude dans les ministères, de Berlin à Paris, ainsi qu’au QG de

l’Union européenne à Bruxelles. Mais, comme l’écrivait le vieux Lénine, la solidité de la chaîne impérialiste se mesure à celle de son maillon le plus faible, et la Grèce répond certainement à cette définition.

Pourquoi tant d’intérêt pour les élections grecques ?

La crise en Grèce a émergé à la suite de la panique financière

d’octobre 2008, quand le gouver-nement n’a plus été en mesure d’honorer le service de sa dette. La Commission européenne, bras exécutif de l’UE, est alors entrée en jeu, avec la Banque centrale européenne (BCE) et le Fond monétaire international (FMI), connus collectivement sous le nom de troïka. Ces entités ont été d’accord de participer à un plan de sauvetage du système financier grec, à condition que le gouvernement sabre les emplois et les salaires du secteur public, effectue des coupes claires dans les dépenses sociales et privatise des services gouvernementaux. Simultanément, les taxes régres-sives, qui frappaient déjà dure-ment les sa la rié·e·s, ont encore augmenté, les recettes de l’Etat sortant du pays pour le service de sa dette étrangère. Les promoteurs de l’austérité prétendaient que ces méthodes seraient efficaces, grâce à la di-minution des coûts salariaux en Grèce, pour – disaient-ils – re-lancer les investissements dans l’économie. Ça n’a pas marché. Le premier plan de sauvetage a dû être suivi d’un second. Et un troi-sième était encore en discussion quand le gouvernement conser-vateur d’Antonis Samaras s’est effondré en décembre dernier. Des fonds étaient nécessaires pour permettre au gouvernement grec de continuer à honorer le service de sa dette. Or, l’économie grecque a plongé comme jamais depuis la Grande dépression, tandis que le poids relatif de ses créances continuait à augmenter, atteignant 175 % de son PIB en 2013 et 168 % aujourd’hui. En 2012, le spectre de la sor-tie possible de la Grèce de l’euro, monnaie commune à 19 pays européens, a suscité des vagues de panique financière, alors que SYRIZA était à deux doigts de remporter les élections natio-nales. Certes, l’économie grecque reste assez petite à l’échelle euro-péenne, avec un PIB de 242 mil-liards de dollars en 2013, comparé aux 2100 milliards de l’Italie ou aux 1400 milliards de l’Espagne, pays également embourbés par une croissance anémique. Une panique bancaire en Grèce ou un défaut de paiement de la dette grecque aurait pu avoir un effet domino sur d’autres banques européennes et conduire les investisseurs à liquider leurs obligations d’Etat italiennes ou espagnoles, créant d’énormes problèmes pour ces pays. Plus récemment, l’économie grecque a connu une petite re-prise, à la suite de son effondre-ment catastrophique, dégageant ce qu’on appelle un excédent primaire, soit, dans le jargon

I

LE SENS DE NOTRE SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE GREC

GRÈCE

Au moment où nous bouclons ce numéro, la coalition de gauche radicale SYRIZA a remporté les élections parlementaires grecques du 25 janvier, ce qui lui donnera la possibilité de former un nouveau gouvernement qui s’oppose à l’agenda d’austérité catastrophique qui a plongé la Grèce dans une crise sociale et économique extrêmement sévère. Comment comprendre le succès politique de SYRIZA, et que signifierait sa victoire ? Nous reproduisons ici le point de vue d’un militant états-unien, animateur de la revue syndicale de gauche Labor Notes et membre de l’ISO (Organisation internationale socialiste).

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Sdes économistes, un surplus du budget avant payement de la dette. De leur côté, les banques européennes et leurs régulateurs à la Banque centrale européenne (BCE), prétendent maintenant qu’elles sont beaucoup plus saines et qu’elles ne sont plus en péril face à face à un Grexit, soit à une sortie éventuelle de la Grèce de l’euro. Mais on ne peut faire con-fiance aux banquiers. C’est la même clique qui affirmait qu’il n’y avait aucun problème, juste avant le krach financier de 2008. Etant donné l’interconnexion de la finance internationale, il n’y a pas moyen de savoir exac-tement de quelle manière les banques seraient touchées par les exigences de SYRIZA concer-nant la renégociation de la dette grecque. Il y a un autre gros souci pour les bureaucrates de l’UE et les boss des multinationales euro-péennes. C’est la possibilité que la Grèce serve de précédent pour d’autres pays en encourageant des oppositions de gauche aux politiques d’austérité qui ont vu les gouvernements, d’un bout à l’autre de l’UE, sabrer les budgets et tenter de faire payer les coûts de la crise économique aux tra-vail leurs·euses. Après plus de six ans de crise économique, la plupart des économies européennes sont stagnantes. Les retombées politiques ont frappé les partis en place, du centre gauche au centre droite – par exemple en France, avec le Front national qui a engrangé de gros succès électoraux dans un contexte de mécontentement par rapport au gouvernement PS de François Hollande. L’extrême droite et des groupes nationalistes dans d’autres pays ont aussi progressé dans de récentes élections en dé-signant comme bouc émissaires les im migré·e·s en général et les mu sul man·e·s en particulier. En Espagne, par contre, le parti de gauche Podemos, âgé d’à peine un an, a émergé comme le parti le plus populaire du pays, en phase avec la colère massive contre le gouvernement conser-vateur du Premier ministre Ma-riano Rajoy. Une victoire de SY-RIZA doperait les perspectives de Podemos et ranimerait la gauche à travers tout le continent. Comme puissance écono-mique majeure de l’UE, la classe capitaliste allemande et ses sou-tiens prétendent que la Grèce a causé sa propre crise en dissimu-lant les faiblesses de son écono-mie et en vivant « au- dessus de ses moyens ». Est-ce vrai ? En réalité, la crise grecque n’est autre que la forme extrême d’une crise

plus générale – au cœur de l’UE et au sein de celle-ci : celle de la tentative de la classe capitaliste allemande de piloter son organi-sation économique. La monnaie commune euro-péenne – l’euro – a été lancée en 1999. Les capitalistes allemands ont appuyé cette innovation qui consolidait le continent comme marché d’exportation pour les firmes allemandes et rationali-sait un système financier frag-menté, appuyé sur les plus grandes banques européennes, aux côtés de la BCE nouvelle-ment créée. Pourtant, comme monnaie, l’euro était plus faible que le Deutschmark antérieure-ment, ce qui rendait les exporta-tions allemandes moins chères à l’extérieur de l’UE. Or, la BCE n’a pas – et de loin – les pouvoirs de la Réserve fédérale US. Alors que la Fed peut simplement faire marcher la planche à billets pour cou-vrir les dettes du gouvernement US, la BCE ne peut le faire et les technocrates allemands s’y opposeraient d’ailleurs. Mais, si la BCE a peu de pouvoirs, les banques centrales des Etats européens en ont encore moins. Auparavant, un pays qui avait de grosses dettes baissait ses taux d’intérêt et dévaluait sa mon-naie, pour rendre son économie plus compétitive sur le marché mondial. Or, la Grèce, comme les autres pays de la zone euro, n’a pas cette possibilité du fait de l’accord qui règle leur parti-cipation à celle-ci. C’est donc l’austérité qui est censée conduire à une sorte de « dévaluation interne », soit à une baisse radicale du niveau de vie, censée relancer la crois-sance économique via des coûts de production plus bas, attrac-tifs pour de nouveaux investis-sements.

Quelle est la gravité de la crise économique et sociale actuelle de la Grèce ?

On connaît les récits d’horreur de l’effondre-ment social causé par

les guerres et invasions militaires dans des pays comme l’Irak, la République démocratique du Congo ou la Syrie… Pourtant, la Grèce a enduré des privations presque inimaginables sans au-cun conflit armé. Bien que l’économie grecque soit revenue à la croissance pour la première fois depuis six ans, en 2014, elle s’est vue réduite de 30 % dans ce laps de temps. En termes humains, cela représente des millions de vies ruinées et une génération entière de jeunes gens privée de toutes perspec-tives de vie stable et sûre. Selon des chercheurs du par-lement grec, quelques 2,5 mil-lions de personnes (sur un total de 11 millions) vivent sous le seuil de pauvreté, et 3,8 millions d’entre eux risquent de les re-joindre. Environ 26,6 % de la po-pulation est sans emploi et, pour la tranche d’âge des 15–24 ans, ce pourcentage atteint les 52 %. Les salaires ont baissé de 5 % par an-née chaque année depuis 2009. La pauvreté et le chomage ne constituent qu’une partie des souffrances de la classe ou-vrière grecque. Selon des cher-cheurs du magazine médical britannique The Lancet, environ 47 % des Grecs disent qu’ils ne peuvent pas accéder aux trai-tements médicaux dont ils ont besoin. L’éducation publique a été, elle aussi, attaquée : 33 % des coupes ont concerné ce sec-teur, de 2009 à 2013, et 14 % de

coupes supplémentaires ont été prévues d’ici à 2016. Des milliers d’enseigant·e·s ont perdu leur travail et le nombre d’élèves par classe a explosé. Au cours de ces derniers hivers, un grand nombre de personnes sont mortes d’empoisonnement au monoxyde de carbone à cause de l’utilisation de poêles à bois, et se chauffer est devenu une dé-pense inabordable pour des mil-lions de personnes. Un nombre incalculable de gens luttent pour s’adapter à un système de troc, of-frant leurs compétences et leurs services en échange d’autres ser-vices ou simplement pour de la nourriture. Il n’y a rien eu de tel dans le monde économiquement avancé depuis la Grande Dépres-sion des années 1930. Comment SYRIZA a-t-il pu sortir des marges de la gauche politique pour s’affirmer comme principal parti de Grèce ? Parce qu’il est l’expression d’un senti-ment de masse contre l’austérité, qui s’est affirmé dans les vagues successives de luttes populaires depuis 2008. Ces mouvements prennent racine dans des tradi-tions antérieures de résistance populaire. Pour comprendre pourquoi, il faut rappeler l’histoire grecque, faite d’intenses polarisations politiques au cours du 20e siècle. Dans les années 1930, la dictature militaire de Ioannis Metaxas a servi de prélude à l’occupation nazie-fasciste (Metaxas a tou-jours des ad mi ra teurs·trices). Après la Seconde Guerre mon-diale, le pays a explosé dans une guerre civile qui a dressé l’ex-trême droite contre la gauche – avec le Parti communiste (KKE selon ses initiales grecques) jouant un rôle prédominant dans la résistance. En 1967, une autre dictature militaire a soumis une nouvelle génération de gauche et

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Protestation contre la Dictature des Colonels (1973).

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de militants de la classe ouvrière à une répression meurtrière. Mais en 1974, un mouvement de pro-testation populaire et une vague de grèves ont renversé cette dic-tature et ouvert la porte à l’élec-tion d’un parti de centre-gauche, le PASOK [social-démocrate], en 1981. Le PASOK a conservé une base solide dans les syndicats, alors même qu’il modérait les revendi-cations populaires au nom de la stabilisation du capitalisme grec. De leur côté, après la dictature, les patrons ont été contraints de faire des concessions à la classe ouvrière, parmi celles-ci la réduction du temps de travail de 48 à 40 heures par semaine et l’introduction des congés payés. Contrairement à la plupart des pays d’Europe occidentale, la gauche et le mouvement ouvrier organisé grecs sont restés forts et influents après la chute de l’URSS en 1991, alors que, sur le plan in-ternational, la désorientation des partis communistes, les restruc-turations industrielles et les poli-tiques néolibérales pro- marché détruisaient les gros bastions syndicaux. Pourtant, la gauche grecque est restée fragmentée. Le PASOK, qui alternait au gouvernement avec le parti conservateur de la Nouvelle démocratie, conservait le soutien d’une grande partie des syndicats. De l’autre côté, le KKE est resté une vieille école de formation stalinienne, dédai-gnant toute politique de front unique avec les autres forces de la gauche et s’abstenant de toutes luttes qu’il ne contrôlait pas. Seule exception à cet isolement, la formation d’un bref gouverne-ment de coalition avec la Nou-velle démocratie, dans les années 1990, au nom d’une opposition à la corruption du PASOK. Au cours de la dernière dé-cennie, de nouveaux courants de la gauche grecque ont émer-gé d’une scission du KKE, des

mouvements altermondialistes du début des années 2000, des luttes syndicales ou pour les droits des immigrés. SYRIZA, un acronyme pour « Coalition radi-cale de la gauche », est ainsi de-venu le véhicule de ces courants, qui incluent les anciens mili-tants du KKE au sein du groupe Synaspismos, toujours la plus grande composante de SYRIZA, les mécontents du PASOK, ainsi que des trotskystes comme ceux de la Gauche ouvrière internatio-naliste (DEA). Le leader le plus connu de SYRIZA, Alexis Tsipras, a fait ses premières armes au sein de la jeunesse du KKE, avant de rejeter le sectarisme du parti et de s’organiser au sein de sa scission « eurocommuniste ». Pendant plusieurs années après sa formation, en 2004, SY-RIZA est resté relativement petit. Mais les explosions de grèves et de manifestations, depuis 2008, ont acquis une nouvelle audience à son programme radical et anti-austérité. Les partis dominants, le PASOK et la Nouvelle démo-cratie, avaient tous deux soute-nus le plan de sauvetage de la troïka FMI-BCE-EU. Depuis 2012, les deux partis ont gouverné en coalition pour empêcher SYRIZA d’arriver au pouvoir. C’est dans ce contexte que les tra vail leurs·euses, engagés de-puis quelques années dans des grèves générales et des mobili-sations populaires d’envergure, ont aujourd’hui placé leur force derrière SYRIZA, en en faisant la voix de la résistance popu-laire. En mai 2014, SYRIZA a rem-porté son plus grand nombre de voix aux élections européennes, étant proche du second parti le mieux élu du Parlement euro-péen. Il s’agissait de l’expression électorale d’années de batailles incluant 16 grèves générales et une série de luttes sociales de masse. Comme l’a dit Sotiris Mar-talis, membre de la DEA, et figure de l’aile gauche de SYRIZA, à la

suite des élections : « La crise po-litique et la montée de la gauche ne sont pas juste le produit de la crise économique mais aussi le résultat de deux ans de luttes acharnées des tra vail leurs·euses et des mouvements sociaux. C’est aussi le résultat de certains choix politiques. Ceci peut expliquer pourquoi les tra vail leurs·euses ont choisi SYRIZA comme ‘moyen’ d’expression et non la gauche dé-mocratique [scission du PASOK], le Parti communiste ou Antarsya [coalition d’extrême-gauche]. »

Le parti néonazi Aube dorée a subi une série d’arrestations après que ses voyous ont assassiné un musicien populaire. L’extrême droite constitue-t-elle toujours une menace en Grèce ?

L’ essor de SYRIZA a sa contrepartie à droite avec la montée d’Aube

dorée, qui a obtenu 6,9 % des voix et 18 sièges aux précédentes élec-tions parlementaires. Contrai-rement aux partis d’extrême-droite comme le Front national de Marine Le Pen, Aube dorée est une organisation clairement hitlérienne, de la croix gammée sur son insigne à ses redoutables attaques racistes contre les immigré·e·s. La popularité d’Aube dorée a décliné depuis que l’un de ses membres a tué le rappeur Pavlos Fyssas, et le gouvernement est passé de la tolérance vis-à-vis des néo-nazis a la répression de l’organisation et à l’arrestation de tous ses membres au parle-

ment. Mais Aube dorée peut ob-tenir des sièges dans le prochain parlement et va rester une force menaçante, en raison de ses connections bien connues avec l’establishment militaire et de droite. L’autoritarisme et le fas-cisme ont de profondes racines en Grèce, et ces néonazis vont continuer à se présenter comme l’alternative pour des gens pous-sés à bout par la crise.

Que signifierait une victoire de SYRIZA, pour le peuple grecque et pour la gauche en général ?

D es forces importantes de la gauche grecque – le KKE et la coalition

électorale d’extrême gauche ANTARSYA – prétendent que SYRIZA saisira l’opportunité de collaborer avec les milieux économiques capitalistes grecs. Panos Garganas, un activiste du Parti socialiste des travailleurs grec (SEK) membre d’ANTAR-SYA, a écrit que SYRIZA « est en train d’apaiser les banquiers tout en faisant appel aux électeurs ». Le KKE est encore plus direct, accusant SYRIZA d’être « la force de réserve du capitalisme ». C’est une erreur et une posi-tion sectaire. Il ne fait aucun doute que les capitalistes grecs et européens sont hostiles à SYRI-ZA, ainsi qu’à la classe prolétaire et aux forces populaires que ce parti représente. Le magazine The Economist, porte-parole des entrepreneurs européens, a exprimé l’espoir que ce qu’il considère comme de la modération et du profes-sionnalisme de la part de hauts représentants de SYRIZA rendra possible des inflexions limitées du remboursement de la dette de la Grèce et de l’austérité. Ainsi écrit-il récemment qu’une victoire de SYRIZA « ne sera pas nécessairement un désastre ». « Pourtant, l’establishment eu-ropéen a des raisons de se faire du souci », poursuit The Economist. En effet, la gauche de SYRIZA peut se battre contre tout com-promis, surtout que l’expiration du plan de sauvetage et de rem-boursement de la dette va surve-nir peu après l’élection. Malgré l’approche prudente décrite par The Economist, les employeurs utiliseront tous les moyens disponibles pour sabo-ter le gouvernement de SYRIZA dès le moment où celui-ci pren-dra ses fonctions. La classe capi-taliste contrôle l’appareil d’Etat,

Le parti fasciste Aube dorée (ici quelques dirigeants lors d’un rassemblement devant le parlement) s’est pratiquement maintenu aux élections législatives de 2015 avec 6,4 % des voix (17 sièges).

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quel que soit le gouvernement au pouvoir. Ainsi, SYRIZA sera mise sous pression pour arriver à un compromis concernant son programme qui inquiète large-ment l’élite bourgeoise capita-liste grecque. Pour survivre – sans parler de pouvoir lancer son pro-gramme anti-austérité – SYRIZA devra donc compter sur la mobi-lisation populaire et la lutte des tra vail leurs·euses. Les militants du KKE et d’AN-TARSYA pourraient et devraient jouer un rôle important dans la mobilisation pour la défense du programme de SYRIZA contre ce contrecoup inévitable. La plate-forme de gauche, influente au sein de SYRIZA – une tendance qui représente une part impor-tante des membres et des figures de proue du parti – est déjà en train de s’organiser contre tout recul sur le programme du parti. La lutte sur les lieux de travail et dans la rue sera un élément clé de ce combat. D’ailleurs, Tsipras a déjà clai-rement fait savoir qu’un gouver-nement de SYRIZA continuera à rembourser l’énorme dette gouvernementale grecque, alors même qu’un allègement de cette dernière est en négociation. Le programme du parti reste pour-tant résolument de gauche et conduira à une collision frontale avec les institutions et les grandes entreprises européennes. Ce programme inclut une réduction de cette dette – un défaut de paiement partiel négocié – pour les détenteurs d’obligations émises par le gou-vernement grec ; l’électricité gra-tuite pour les ménages les plus pauvres du pays ; des subven-tions pour la nourriture et les loyers ; un retour aux soins de santé gratuits ; un financement accru des retraites ; et un vaste programme de création d’em-plois. Pour payer tout cela, le gouvernement planifie de taxer les riches oligarques qui ont longtemps caché leurs richesses à l’étranger. « La coalition exige de la BCE et de l’Union européenne des choses qu’elles refuseront tout simplement (comme de financer son programme), écrit le journa-liste Mike Bird du Business Insi-der, ce qui signifie que pour la première fois il peut y avoir un Etat membre de l’UE qui refuse de suivre la politique européenne, représentant un défi considé-rable pour le continent ». Il n’y a aucun précédent his-torique récent à une victoire de SYRIZA en Europe – mais il est possible d’y voir certains paral-lèles avec l’élection du gouver-nement socialiste dirigé par Sal-vador Allende au Chili en 1970.

Dans les années qui ont suivi la Révolution russe, d’im-portants débats ont émergé concernant la perspective de tels développements au sein de l’Internationale commu-niste – l’alliance internationale des organisations révolution-naires formée dans le sillage de la révolution. Ces discussions se centraient autour de la ques-tion de savoir si les socialistes révolutionnaires devaient par-ticiper ou non à des gouverne-ments ouvriers – soit des gou-vernements de partis radicaux ou révolutionnaires à la gauche des partis sociaux-démocrates traditionnels. Les débats lors du Quatrième Congrès de l’Internationale com-muniste – dont les procès-ver-baux annotés ont été récemment réédités en anglais par Haymar-ket Books – portaient sur la

question suivante : comment les tra vail leurs·euses qui n’étaient pas encore prêts à prendre le pouvoir par des moyens révolu-tionnaires pouvaient néanmoins apporter leur soutien électo-ral aux partis ouvriers. Antonis Davanellos, une figure de proue du DEA et de la Plate-forme de gauche au sein de SYRIZA, a dé-battu de la pertinence de cette question dans la Grèce d’au-jourd’hui : Les objectifs du programme politique de SYRIZA doivent être liés – majoritairement ou exclusi-vement – aux besoins de la classe ouvrière et des classes populaires, et pas à de vagues concepts transversaux comme « le pays » ou la « reconstruction des capa-cités de production de l’écono-mie ». Ses alliances doivent se li-miter aux partis et organisations

de travailleurs, et non s’étendre à de plus

larges associations qui sacrifieront

l ’o r i e n t a t i o n sociopolitique

c l a i r e d u parti pour

des raisons d’efficacité parle-mentaire. Les perspectives d’un gouvernement de gauche doivent être comprises comme une étape transitoire vers la rupture socia-liste et non comme la destination finale qui « sauvera le pays ». La question clé étant celle-ci : que feront les partis de gauche au pouvoir pour mobiliser les luttes ouvrières contre une bu-reaucratie d’Etat et une classe capitaliste hostiles par des grèves, des occupations d’usines, des sit-in devant les ministères etc.? Ces luttes sont en effet essentielles pour fortifier l’orga-nisation révolutionnaire et celle de la classe ouvrière dans ce qui sera certainement une confron-tation avec les élites capitalistes sur des enjeux majeurs.

Quelle solidarité peut apporter la gauche internationale ?

L e gouvernement de SYRI-ZA aura à faire face non seulement aux patrons

grecs mais aussi à la classe capi-taliste internationale. A la veille des élections, la chancelière allemande Angela Merkel et d’autres chefs d’Etat européens cachent leur jeu. On peut donc s’attendre à un mé-lange de corruption et d’intimi-dation, dans l’espoir de diviser SYRIZA et de démoraliser sa base électorale. Selon ce scénario, une implosion du gouvernement de SYRIZA ramènerait la Nouvelle Démocratie triomphante au pou-voir, ce qui permettrait l’imposi-tion d’un programme d’austérité encore plus sévère. C’est pourquoi la solidarité internationale avec la gauche grecque et la défense du gou-vernement de SYRIZA est cru-ciale. De réunions publiques pour expliquer ce qui se passe à l’organisation de campagnes contre les gouvernements et les banquiers afin de protester contre les efforts visant à sai-gner la Grèce à blanc, la gauche jouera un rôle déterminant. Au moment où les principaux partis continuent à enjoindre les travailleurs·euses du monde en-tier de protéger les profits et les privilèges d’une infime minorité, la victoire de SYRIZA donnera une voix à l’alternative de gauche, ce dont nous avons besoin de toute urgence. 7

Lee Sustar 20 janvier 2015Traduction et titre de notre rédaction d’après SocialistWorker.orgΔΝΤ est l’acronyme de FMI en grec.

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