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86 d’acceptabilité par le grand public, dès lors qu’il s’agit de manipuler de très grandes quantités de gaz. Le stockage cryogénique à l’état liquide à 20 kelvin per- met d’augmenter la densité volumique de stockage. Néanmoins, la liquéfaction et le maintien à très basse température de l’hydrogène liquide entraînent des coûts énergétiques importants, supérieurs à 20 % du pouvoir calorifique 1 de l’hydrogène, réduisant ainsi la rentabilité d’un tel mode de stockage. Une autre solution consiste à stocker l’hydrogène à l’état solide en profitant de la propriété qu’ont certains composés d’absorber l’hydrogène de manière réversible lorsqu’ils sont exposés à une pression d’hydrogène (voir l’encadré 1). Les hydrures métalliques ainsi formés possè- dent une densité volumique de stockage supérieure à celle de l’hydrogène liquide. L’absorption de l’hydrogène est réalisée à pression modérée (de l’ordre de la dizaine de bars). De plus, la réaction de désorption étant endother- mique, elle est auto-limitante : en cas de fuite accidentelle, la température du réservoir chute rapidement jusqu’à la température d’équilibre, interrompant le dégagement d’hydrogène. Les hydrures apportent donc plus de sécu- rité et un encombrement réduit. 1. énergie libérée par un corps lors de sa combustion totale. Le stockage solide de l’hydrogène au service des énergies renouvelables Article proposé par : Patricia de Rango, [email protected] Daniel Fruchart, [email protected] Institut Néel, UPR 2940 CNRS et CRETA, UPS 2070, CNRS/UJF, Grenoble Philippe Marty, [email protected] Laboratoire des écoulements Géophysiques et Industriels, UMR 5519, UJF/Grenoble INP/CNRS, Grenoble Le développement de l’hydrogène en tant que nouveau vecteur d’énergie nécessite de pouvoir le stocker à grande échelle, dans des conditions d’encombrement, de coût énergétique et de sécurité acceptables. Une solution consiste à le stocker à l’état solide sous forme d’hydrure métallique. Un procédé de co-broyage de l’hydrure de magnésium avec un métal de transition a permis de développer des poudres nano-structurées très réactives, puis des matériaux composites performants en termes de comportements thermique et mécanique. Les réactions d’hydruration étant très fortement exothermiques, le développement de réservoirs performants impose une gestion thermique pointue, incluant si possible un couplage avec une source chaude ou bien la récupération de la chaleur dégagée lors de la réaction d’aborption. L ’augmentation de la part des énergies renouvelables intermittentes (photovoltaïque et éolien) dans la pro- duction d’électricité rend la gestion des réseaux élec- triques particulièrement complexe. Dans ce contexte, l’hydrogène, gaz trois fois plus énergétique que le pétrole à masse donnée, pourrait constituer un nouveau vecteur d’énergie par la conversion de l’électricité en hydrogène au moyen d’un électrolyseur puis sa restitution à la demande au moyen d’une pile à combustible (PAC) ou d’une turbine à gaz. Les PAC fonctionnent sur le principe inverse de l’électrolyse : l’oxydation du combustible (l’hy- drogène) produit de l’électricité, de l’eau et de la chaleur. Il s’agit donc d’un mode de production très propre, qui pourrait être utilisé en site isolé, comme poste de secours ou pour une meilleure gestion du réseau électrique. Un des verrous du développement de cette filière est le stockage de l’hydrogène qui est un gaz très léger et explo- sif. à l’heure actuelle, le mode de stockage à l’état gazeux sous la pression de 200 bars constitue la solution la plus répandue. Récemment des réservoirs dits « hyperbars », fonctionnant jusqu’à une pression de 700 bars, ont été développés. Cette pression permet d’atteindre une masse volumique d’hydrogène de 42 kg/m 3 . Cette solution est satisfaisante pour des applications faisant intervenir de faibles quantités d’hydrogène (quelques kilogrammes, par exemple pour l’automobile), mais pose des problèmes d’encombrement et de sécurité, ou tout au moins

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d’acceptabilité par le grand public, dès lors qu’il s’agit de manipuler de très grandes quantités de gaz.

Le stockage cryogénique à l’état liquide à 20 kelvin per-met d’augmenter la densité volumique de stockage. Néanmoins, la liquéfaction et le maintien à très basse température de l’hydrogène liquide entraînent des coûts énergétiques importants, supérieurs à 20 % du pouvoir calorifique1 de l’hydrogène, réduisant ainsi la rentabilité d’un tel mode de stockage.

Une autre solution consiste à stocker l’hydrogène à l’état solide en profitant de la propriété qu’ont certains composés d’absorber l’hydrogène de manière réversible lorsqu’ils sont exposés à une pression d’hydrogène (voir l’encadré 1). Les hydrures métalliques ainsi formés possè-dent une densité volumique de stockage supérieure à celle de l’hydrogène liquide. L’absorption de l’hydrogène est réalisée à pression modérée (de l’ordre de la dizaine de bars). De plus, la réaction de désorption étant endother-mique, elle est auto-limitante : en cas de fuite accidentelle, la température du réservoir chute rapidement jusqu’à la température d’équilibre, interrompant le dégagement d’hydrogène. Les hydrures apportent donc plus de sécu-rité et un encombrement réduit.

1. énergie libérée par un corps lors de sa combustion totale.

Le stockage solide de l’hydrogène au service des énergies renouvelables

Article proposé par :

Patricia de Rango, [email protected]

Daniel Fruchart, [email protected] Néel, UPR 2940 CNRS et CRETA, UPS 2070, CNRS/UJF, Grenoble

Philippe Marty, [email protected] des écoulements Géophysiques et Industriels, UMR 5519, UJF/Grenoble INP/CNRS, Grenoble

Le développement de l’hydrogène en tant que nouveau vecteur d’énergie nécessite de pouvoir le stocker à grande échelle, dans des conditions d’encombrement, de coût énergétique et de sécurité acceptables. Une solution consiste à le stocker à l’état solide sous forme d’hydrure métallique. Un procédé de co-broyage de l’hydrure de magnésium avec un métal de transition a permis de développer des poudres nano-structurées très réactives, puis des matériaux composites performants en termes de comportements thermique et mécanique. Les réactions d’hydruration étant très fortement exothermiques, le développement de réservoirs performants impose une gestion thermique pointue, incluant si possible un couplage avec une source chaude ou bien la récupération de la chaleur dégagée lors de la réaction d’aborption.

L’augmentation de la part des énergies renouvelables intermittentes (photovoltaïque et éolien) dans la pro-duction d’électricité rend la gestion des réseaux élec-

triques particulièrement complexe. Dans ce contexte, l’hydrogène, gaz trois fois plus énergétique que le pétrole à masse donnée, pourrait constituer un nouveau vecteur d’énergie par la conversion de l’électricité en hydrogène au moyen d’un électrolyseur puis sa restitution à la demande au moyen d’une pile à combustible (PAC) ou d’une turbine à gaz. Les PAC fonctionnent sur le principe inverse de l’électrolyse : l’oxydation du combustible (l’hy-drogène) produit de l’électricité, de l’eau et de la chaleur. Il s’agit donc d’un mode de production très propre, qui pourrait être utilisé en site isolé, comme poste de secours ou pour une meilleure gestion du réseau électrique.

Un des verrous du développement de cette filière est le stockage de l’hydrogène qui est un gaz très léger et explo-sif. à l’heure actuelle, le mode de stockage à l’état gazeux sous la pression de 200 bars constitue la solution la plus répandue. Récemment des réservoirs dits « hyperbars », fonctionnant jusqu’à une pression de 700 bars, ont été développés. Cette pression permet d’atteindre une masse volumique d’hydrogène de 42 kg/m3. Cette solution est satisfaisante pour des applications faisant intervenir de faibles quantités d’hydrogène (quelques kilogrammes, par exemple pour l’automobile), mais pose des problèmes d’encombrement et de sécurité, ou tout au moins

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Encadré 1

Les hydrures métalliques sont déjà employés à l’échelle industrielle pour stocker l’énergie dans les batte-ries nickel-hydrures. Leur utilisation pour le stockage réversible de l’hydrogène en est encore au stade de la recherche et du développement, et de nombreuses

équipes de par le monde s’attachent à élaborer de nou-veaux hydrures, plus performants en termes de capacité massique d’absorption. L’originalité des travaux menés à Grenoble repose sur une approche pluridisciplinaire qui permet d’aborder le stockage solide de l’hydrogène dans

Les hydrures métalliques

Les hydrures métalliques sont formés par réaction solide-gaz, à partir de certains métaux ou composés intermé-talliques susceptibles de former des liaisons réversibles avec l’hydrogène. La figure E1 présente de manière schématique le processus réactionnel, qui fait intervenir une première étape de dissociation des molécules d’hydrogène en surface, puis une seconde étape de diffusion des atomes d’hydrogène dans le métal. La formation d’un hydrure est une réaction fortement exothermique.

Les conditions d’équilibre thermodynamique entre un métal et son hydrure dépendent de la température, de la pression et de la composition en hydrogène du système. à une température donnée, ces conditions d’équilibre peuvent être tracées dans un diagramme Pression-Composition. La figure E2 correspond au cas idéal d’un système mono-hydrure. à faible pression d’hydrogène se forme une solu-tion solide, la phase α, dont la pression d’équilibre augmente avec le taux d’hydruration. Lorsque le taux de saturation de la phase α est atteint, une transition structurale conduit à la formation d’un hydrure de composition définie, la phase β. Cette transition se fait à pression constante : il y a coexis-tence des phases α et β sur un plateau d’équilibre. Au-delà, l’augmentation de pression conduit à la saturation de la phase β, qui est la phase privilégiée pour le stockage de l’hydrogène.

Bien que l’on observe généralement un phénomène d’hystérésis entre les isothermes d’absorption et de désorp-tion, la formation d’un hydrure métallique est une réaction réversible : en théorie, il suffit d’abaisser la pression d’hydro-gène à une valeur inférieure à la pression d’équilibre pour désorber l’hydrure.

La pression de plateau augmente avec la température. La détermination de la pression d’équilibre en fonction de la tem-pérature permet de représenter dans un diagramme Pression - Température les domaines d’absorption et de désorption (figure 5). à l’aide de la loi de Van’t Hoff qui décrit la relation entre la température et l’enthalpie libre de réaction, on calcule ensuite l’enthalpie et l’entropie standard de réaction, dont les valeurs sont caractéristiques de la stabilité de l’hydrure.

Parmi les nombreux hydrures métalliques conventionnels figurent le composé LaNi5H6, des alliages de type TiVCrHx, ainsi que l’hydrure de magnésium (tableau E1). Ces hydrures permettent d’atteindre des densités volumiques d’hydrogène supérieures à celle de l’hydrogène liquide. En revanche, le poids du métal induit une réduction importante de la capacité massique des hydrures et constitue actuellement le principal inconvénient qui leur soit reproché, notamment pour l’appli-cation automobile. Néanmoins, les densités énergétiques atteintes avec les hydrures restent très élevées (2,4 kWh/kg pour l’hydrure de magnésium). Les hydrures complexes tels

que LiBH4 présentent des capacités massiques plus élevées et suscitent beaucoup d’intérêt, mais ils posent des problèmes de cinétique et d’irréversibilité de la réaction de déshydrura-tion qui se produit en plusieurs étapes.

Densité volumique

(kg H2·m–3)

Densité gravimétrique (% massique)

Densité énergétique (kWh·kg–1)

H2 gaz (700bars) 62 100 33,3

H2 liquide 71 100 33,3

LaNi5H6 123 1,4 0,47

TiVCrHx 205 3,5 1,16

MgH2 106 7,6 2,4

LiBH4 122 18,3 6,1

Tableau E1 – Performances de stockage de l’hydrogène comprimé, liquide ou sous forme d’hydrure métallique.

Figure E1 – Dissociation de l’hydrogène en surface, diffusion dans le métal et formation de l’hydrure métallique.

Figure E2 – Courbe isotherme de pression d’hydrogène en fonction du degré d’hydruration.

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fin d’enregistrement et n’apparaît donc que dans une seconde étape. L’additif favorise la dissociation des molé-cules D2 ou H2, puis la diffusion de l’hydrogène à l’inté-rieur des grains de magnésium (figure 4).

L’analyse fondamentale du procédé de co-broyage nous a conduits à rechercher de nouveaux additifs parmi les alliages présentant une forte affinité avec l’hydrogène, et à tester des alliages de type Ti-V-Cr, étudiés par ailleurs en tant que matériaux de stockage à température ambiante.

Un matériau composite aux multiples avantages

Outre les cinétiques de réaction, un second facteur contribue à limiter le temps de chargement d’un réser-voir : l’élévation de température induite par la réac-tion d’hydruration du magnésium, très fortement

son ensemble, depuis la synthèse de matériaux nano-structurés et la compréhension des mécanismes d’hydru-ration, jusqu’à la conception de réservoirs pour des applications stationnaires ou mobiles.

L’hydrure de magnésium nanostructuré

L’hydrure de magnésium MgH2 figure parmi les hydrures réversibles les plus légers, avec une capacité massique de 7,6 %, correspondant à une densité énergé-tique de 2,4 kWh/kg. Le magnésium est par ailleurs un élément abondant, bon marché, recyclable et non pol-luant. Il constitue donc un matériau de choix pour le stockage réversible de l’hydrogène à pression modérée. Le magnésium présente néanmoins deux inconvénients auxquels nous avons dû remédier : les cinétiques d’ab-sorption et de désorption de l’hydrogène sont très lentes (plusieurs heures), et la thermodynamique impose d’opé-rer au-dessus de 300 °C et de savoir gérer les échanges thermiques liés à une forte enthalpie de réaction.

La cinétique d’absorption et de désorption de l’hydro-gène est une propriété extrinsèque, très fortement dépen-dante de la micro structure du matériau. Une investigation systématique du procédé de co-broyage de poudres de MgH2 avec des métaux de transition (vanadium, nio-bium...) a été menée à l’Institut Néel à Grenoble. L’optimisation du procédé a permis de développer des poudres composites très réactives, capables d’absorber l’hydrogène dès 150 °C, et en quelques minutes à 300 °C. à l’issue du co-broyage, les particules de poudre sont constituées d’une multitude de cristallites nanométriques favorisant une diffusion rapide de l’hydrogène (figure 1). Les particules de métaux de transition se trouvent réparties à la surface des grains d’hydrure. Les cinétiques d’absorp-tion mesurées à 240 °C, après co-broyage et pour différents taux de vanadium confirment l’efficacité des additifs intro-duits en faible proportion (figure 2). Les capacités mas-siques d’absorption restent inférieures à la valeur théorique de 7,6 % du fait de l’extrême lenteur des ciné-tiques en fin de réaction à 240 °C.

Le rôle initiateur des métaux de transition a été direc-tement mis en évidence in situ à l’Institut Laue Langevin (ILL Grenoble) par diffraction neutronique. Une poudre d’hydrure de magnésium co-broyée avec 5 % atomique de niobium a été préalablement désorbée, puis des séries de diagrammes de diffraction ont été enregistrés successive-ment au cours d’une réaction d’absorption sous 20 bars de deutérium (le deutérium doit être employé en substitu-tion à l’hydrogène pour éviter la diffusion incohérente de l’hydrogène par les neutrons, source de bruit dans le spectre de diffraction). Les enregistrements présentés dans la figure 3 montrent que le niobium forme très rapi-dement un deutérure NbD0.75, tandis que le magnésium métallique reste la phase majoritaire. Le deutérure de magnésium MgD2 commence tout juste à se former en

Figure 1 – Structuration nanométrique d’une poudre d’hydrure de magné-sium observée en microscopie électronique à transmission.

Figure 2 – Cinétiques d’absorption de l’hydrogène mesurées après co-broyage, pour des taux de vanadium incorporés compris entre 0 et 7 % atomique.

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Figure 3 – Diagrammes de diffraction neutronique enregistrés successivement au cours de l’hydru-ration d’une poudre co-broyée avec 5 % atomique de niobium. Un intervalle de 5 minutes sépare les diagrammes. Le diagramme initial, matérialisé en vert, montre la présence des pics associés au magnésium et au niobium. Durant l’intervalle de temps matérialisé en orange, on observe l’apparition des pics de diffraction associés à un deutérure de niobium, tandis que le magnésium métallique demeure la phase majoritaire. Les pics de diffraction associés à l’hydrure de magnésium commencent à apparaître en fin d’enregistrement.

Figure 4 – Schéma illustrant la dissociation de l’hydrogène à la surface des particules d’additif, puis sa diffusion au sein de l’hydrure de magnésium.

exothermique. L’enthalpie de réaction représente 30 % du pouvoir calorifique de l’hydrogène. Dans la pratique, lorsqu’on impose une pression d’hydrogène, le dégage-ment de chaleur induit une augmentation brutale de tem-pérature jusqu’à atteindre les conditions d’équilibre, pour lesquelles la réaction devient très lente (figure 5). Pour que l’absorption se poursuive, il est alors impératif d’évacuer la chaleur de réaction. Ceci s’avère d’autant plus délicat que les poudres d’hydrure de magnésium nanostructu-rées pos sèdent une très mauvaise conductivité thermique (de l’ordre de 0,3 W/m·K, contre 156 W/m·K pour le magnésium métallique).

Afin d’améliorer les échanges thermiques, un procédé de mise en forme de matériaux composites contenant du Graphite Expansé (GE) a été développé en collaboration avec le laboratoire PROMES/CNRS de Perpignan. Les compo-sites sont préparés par compression uniaxiale d’un mélange

de poudres activées de MgH2 et de GE. L’alignement des feuillets de graphite dans le plan perpendiculaire à l’axe de compaction (figure 6) permet d’augmenter très fortement la conductivité thermique radiale. Avec 10 % de GE, un gain de conductivité thermique d’un facteur 30 est obtenu par rapport à la poudre libre. De plus, l’augmentation de la conductivité radiale est proportionnelle à la quantité de GE introduite, de sorte qu’il est possible d’ajuster cette valeur en fonction des spécificités requises par l’application en termes de temps de chargement et de déchargement.

Outre la gestion thermique, la concep-tion des réservoirs d’hydrures métalliques pose des problèmes d’ordre mécanique. En effet, la différence de densité volumique entre un métal et son hydrure conduit lors de l’hydruration à une expansion des maté-riaux. En théorie, ce phénomène est réver-sible. Dans la pratique, au fur et à mesure des cycles, des contraintes mécaniques

Figure 5 – Temps caractéristique de réaction (absorption ou désorption de l’hydrogène) en fonction de la température et de la pression d’hydrogène.

Figure 6 – Observation de l’alignement des feuillets de GE perpendiculaire-ment à l’axe vertical de compression. Barre : 100 µm.

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d’un fluide caloporteur (huile synthétique). Cette concep-tion permet de simuler le couplage du réservoir à diffé-rentes sources chaudes telles qu’une pile à combustible de type SOFC (Solid Oxide Fuel Cell) fonctionnant à 800 °C, ou un système de co-génération de chaleur et d’électricité. D’une capacité de 7 000 normo-litre2 (Nl) d’hydrogène (10 kg de MgH2), ce réservoir permet de stocker l’équi-valent de 20 kWh, et de délivrer un débit d’hydrogène de 40Nl/min, ce qui est suffisant pour alimenter une pile à combustible de 3 kW. La densité énergétique calculée en prenant en compte le poids du réservoir et des auxiliaires est de 360 Wh/kg. à titre de comparaison, les batteries Li-ion les plus performantes possèdent une densité éner-gétique de l’ordre de 250 Wh/kg. Ce réservoir a été couplé

2. Volume ramené aux conditions normatives de 1 °C et 1 bar absolu.

importantes peuvent être générées sur les parois des réser-voirs, et remettre en cause leur intégrité, notamment lorsqu’il y a accumulation des particules les plus fines dans le bas des réservoirs. Dans le cas du magnésium, la forma-tion de l’hydrure s’accompagne d’une augmentation du volume de la maille cristallographique de 18 %. Cette dila-tation est en partie compensée dans nos matériaux compo-sites par une réduction de la porosité, de sorte que l’expansion macroscopique reste très inférieure à cette valeur. Néanmoins, une dilatation irréversible apparaît progressivement au fur et à mesure des cycles, du fait de mécanismes de recristallisation et de réarrangements microstructuraux. La mesure des contraintes mécaniques engendrées sur une paroi montre que ces contraintes se stabilisent après quelques dizaines de cycles d’hydrura-tion, et surtout que le GE limite fortement l’expansion volumique en jouant le rôle de matrice. Le procédé de com-paction permet également d’optimiser la densité volu-mique de stockage. Ainsi, un disque de 30 cm de diamètre et de 1 cm d’épaisseur contient l’équivalent de 500 litres d’hydrogène à pression atmosphérique et à température ambiante (voir figure 7). Enfin, l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques) a certifié la faible réactivité du matériau composite, ce qui limite les risques liés au caractère très pyrophorique de ces poudres.

Des réservoirs conçus comme des échangeurs thermiques

L’absorption et la désorption de 1 kg d’hydrogène nécessitent d’évacuer ou de fournir au système 10,4 kWh. La gestion des flux thermiques constitue donc la princi-pale difficulté à surmonter pour développer des réservoirs d’hydrure de magnésium performants en termes de temps de chargement et de débit d’hydrogène. Plusieurs prototypes de réservoirs instrumentés ont été conçus de manière à mieux appréhender leur comportement et à valider les codes de simulation numérique des échanges thermiques et des flux gazeux.

Ces réservoirs sont constitués d’un empilement de disques composites compactés avec du graphite naturel expansé. Des ailettes de cuivre sont insérées entre les disques de manière à favoriser les transferts thermiques (figure 8). Lors du chargement, la chaleur dégagée par la réaction conduit à une augmentation brutale de tempéra-ture jusqu’à la température d’équilibre correspondant à la pression appliquée (figure 9). Lorsque l’hydruration est achevée, le dégagement de chaleur est interrompu et la température redescend à la température de consigne. Le temps de chargement est directement corrélé à l’efficacité des échanges thermiques, qui constituent le facteur limi-tant de la réaction. Après remplissage, la densité volu-mique de stockage est équivalente à une pression gazeuse de 480 bars.

Dans le cadre du projet européen NessHy, un proto-type a été couplé à un régulateur thermique par le biais

Figure 7 – Disque composite de diamètre 30 cm, contenant l’équivalent de 500 litres d’hydrogène à pression atmosphérique.

Figure 8 – Enveloppe externe et partie interne du réservoir (à gauche), assem-blage des disques d’hydrure de magnésium compactés et des ailettes de cuivre (à droite). Les tubes verticaux assurent le refroidissement et le chauf-fage du réservoir. Pour éviter l’oxydation du magnésium, le chargement est réalisé à l’abri de l’air, en « sac à gants ».

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Encadré 2 Simulation numérique du comportement d’un réservoir

La simulation numérique des échanges thermiques et fluidiques nous a permis de mieux comprendre les méca-nismes couplés intervenant lors de l’hydruration de la poudre de magnésium. Ceci nécessite la résolution des équa-tions régissant la température et le champ de pression de l’hydrogène. Les transferts de chaleur sont pris en compte par la résolution d’une équation de transport :

ρ∂∂

λ       CpT

tV T T+ ⋅

= ⋅ (

�� � ��� �� � ���∇ ∇ ∇ ))+S (1)

dans laquelle V désigne le champ de vitesse de l’hydrogène, Cp sa chaleur spécifique et le terme S la source volumique de cha-leur apportée par le caractère exothermique de la réaction d’hydruration. Ce terme est proportionnel à la vitesse d’hydru-ration qui est une fonction de la pression d’équilibre, de la pression de gaz et de la température. Ce terme est déduit de résultats expérimentaux préalables effec-tués sur des échantillons de petite taille. Le terme de gauche de l’équation (1) traduit l’instationnarité du champ de température ainsi que le transport de la chaleur par l’écoulement d’hydrogène, tandis que le premier terme du membre de droite repré-sente la diffusion dans le milieu poreux dont la conductivité thermique anisotrope se présente sous la forme d’un tenseur λ( ). L’équation de la chaleur est résolue par la méthode des volumes finis (figure E3a). Une géométrie bidimensionnelle de révo-lution est préférée lorsque cela est possible afin d’éviter un calcul tridimensionnel.

La figure E3b correspond à un proces-sus de désorption après 25 minutes. Elle montre l’existence d’un front de réaction qui progresse depuis l’élément chauffant vers l’intérieur des disques compactés. La figure E4 montre l’évolution du volume d’hydrogène désorbé

Figure E3 b – Simulation numérique de la désorption d’un secteur de disque du réservoir de la figure 8 : à gauche le taux d’hydruration et à droite la vitesse de désorption. La désorption commence au voisinage de l’élément chauffant et se propage à travers le disque.

Figure E3 a – Représentation d’un secteur de disque d’hydrure de magné-sium. Maillage utilisé pour la simulation numérique et position des thermo-couples dont les enregistrements sont présentés en figure E4.

Figure E4 – Résultats numériques et expérimentaux montrant l’évolu-tion du volume d’hydrogène désorbé (en violet) et de la température en divers points du réservoir.

et des températures de plusieurs thermocouples placés au sein du réservoir. Un très bon accord est obtenu entre les simulations numériques et les résultats expérimentaux.

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Conclusions et perspectivesBien que l’hydrure de magnésium présente une tempé-

rature de désorption supérieure à 300 °C, notre recherche a démontré qu’il était possible d’envisager le développement de réservoirs à base de MgH2 grâce à une gestion thermique optimisée. L’augmentation du rendement énergétique des réservoirs grâce au stockage de la chaleur d’absorption dans un matériau à changement de phase constitue une avancée significative. Ce type de réservoir est bien adapté aux appli-cations stationnaires pour lesquelles le poids n’est pas le fac-teur prépondérant. Le couplage à une source de chaleur constitue une alternative intéressante pour des applications embarquées. Le couplage à une pile à combustible fonction-nant à 800 °C est en cours d’étude.

Notre savoir-faire a donné lieu en 2008 à la création de la société McPhy Energy qui se consacre à la production d’hydrures réversibles et à la conception de réservoirs, en s’appuyant sur les brevets développés conjointement par l’Institut Néel et le Consortium de Recherche pour l’émer-gence de Technologies Avancées, deux unités propres du CNRS, ainsi que le Laboratoire des écoulements Géophysiques et Industriels. Les dévelop pements envisa-gés concernent essentiellement les applications station-naires (stockage des énergies renouvelables intermittentes) et la production d’hydrogène marchand.

Les travaux s’orientent désormais vers la recherche de nouveaux hydrures métalliques dont la plus faible stabi-lité thermodynamique permettrait de désorber l’hydro-gène au voisinage de la température ambiante, en vue d’applications mobiles ou nomades. Par ailleurs, le pro-cédé de co-broyage avec des éléments d’addition s’avère particulièrement efficace pour rendre l’hydrure de magné-sium plus réactif. Il s’agit cependant d’un procédé coû-teux en temps et en énergie, et de nouveaux moyens de mise en forme nanostructurée par voies métallurgiques sont actuellement étudiées au laboratoire pour développer des procédés plus adaptés à une production de masse.

Pour en savoir PLus

S. Garrier, A. Chaise, P. de Rango, P. Marty, B. Delhomme, D. Fruchart, S. Miraglia, « MgH2 intermediate scale tank tests under various experimental conditions », Int. J. of Hydrogen Energy, 36(16), 9719-9726 (2011).

A. Chaise, P. de Rango, Ph. Marty, D. Fruchart, S. Miraglia, R. Olivès, S. Garrier, « Enhancement of hydrogen sorption in magnesium hydride using expanded natural graphite », Int. J. of Hydrogen Energy, 34(20), 8589-8596 (2009).

P. de Rango, A. Chaise, J. Charbonnier, D. Fruchart, M. Jehan, Ph. Marty, S. Miraglia, S. Rivoirard, N. Skrya-bina, « Nanostructured magnesium hydride for pilot tank development », Journal of alloys and compounds, 446-447, 52-57 (2007).

Ont également participé à ce travail : M. Baccia, A. Chaise, B. Delhomme, S. Garrier, S. Miraglia, E. Verloop, B. Zawilsky.

avec succès à une pile à combustible et a montré son apti-tude à adapter immédiatement le débit d’hydrogène aux variations de puissance.

La désorption de l’hydrogène par le magnésium étant fortement endothermique, elle nécessite un apport de chaleur important, représentant 30 % de l’énergie stockée. Avec le support de l’Institut Carnot et afin d’améliorer le rendement de stockage, nous avons étudié la possibilité de stocker la chaleur dégagée par la réaction d’absorption sous forme de chaleur latente de fusion, pour la restituer lors de l’étape de désorption. Le Matériau à Changement de Phase (MCP) retenu est un alliage à base de magné-sium et de zinc dont la composition eutectique est Mg0.72Zn0.28. Différentes compositions ternaires et qua-ternaires ont été testées dans le but d’augmenter la capa-cité du matériau à stocker la chaleur. Un réservoir avec une enceinte externe contenant l’alliage eutectique3 a été testé avec succès. Ce type de réservoir nécessite évidem-ment une isolation thermique très performante pour limi-ter les pertes par convection naturelle et augmenter le rendement de stockage. à l’échelle de cycles jour/nuit, et pour des installations de grande capacité, un rendement de stockage de l’ordre de 90 % semble tout à fait réaliste.

Les applications stationnaires envisagées imposent une durée de vie des réservoirs de plusieurs milliers de cycles. à terme, la fiabilité de nos réservoirs sera testée sur un grand nombre de cycles grâce à un dispositif de récu-pération et de recompression de l’hydrogène, en cours d’installation au laboratoire. Déjà, un réservoir de petite capacité a subi plus de 600 cycles, sans que la capacité massique de stockage ne soit significativement affectée. Au cours des premiers cycles, un mécanisme de recristal-lisation des grains de MgH2 induit une augmentation de la conductivité thermique et un gonflement des compo-sites améliorant l’efficacité des échanges thermiques, de sorte qu’on observe une réduction des temps de charge-ment au cours des premiers cycles.

3. Un eutectique est un mélange de deux corps purs qui fond et se soli-difie à température constante, et dont le point de fusion est inférieur à ceux de ses constituants.

Figure 9 – évolution du volume d’hydrogène absorbé et de la température mesurée dans le réservoir au cours d’un chargement réalisé sous 10 bars d’hydrogène.