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© Alain Garneau, 2020 Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme lieu de création intermédiatique Thèse Alain Garneau Doctorat en littérature et arts de la scène et de l'écran Philosophiæ doctor (Ph. D.) Québec, Canada

Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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Page 1: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

© Alain Garneau, 2020

Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme lieu de création intermédiatique

Thèse

Alain Garneau

Doctorat en littérature et arts de la scène et de l'écran

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

Page 2: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

ii

RÉSUMÉ

Cette recherche-création se divise en deux volets, un pratique et un théorique.

Le premier, Le temps n’est pas pour toujours (시간은 영원하지 않아 – Time’s

not forever), révèle d’abord les modalités de notre création intermédiatique

présentée à Séoul le 16 mai 2015. Le script original de ce spectacle, multilingue

et dont les thèmes principaux sont l’identité, le temps, la vitesse et la mémoire,

est alors exposé. Les laboratoires d’exploration effectués avec le collectif sud-

coréen In the B sont ensuite présentés afin de comprendre comment ils firent

progresser le travail et déceler la matière retenue de chacun d’entre eux pour

l’œuvre finale. Enfin, le processus d’écriture et les traces de notre création

permettent d’entrer au sein du développement pratique se produisant en

dialogue avec les notions théoriques.

Dans le deuxième, L’espace urbain comme lieu de création intermédiatique, les

productions médiatiques sur scène et en milieu urbain sont scrutées afin d’en

définir les pratiques et cerner les esthétiques qui les constituent. Également, il

s’agit de s’interroger sur le monde numérique et les raisons de sa révolution. Ces

tensions sont analysées en considérant leur intégration dans la société

intermédiatique ainsi que leur impact sur le citoyen et son environnement. La

création visuelle urbaine est finalement approchée en exposant comment sa

composition d’images et de sonorités est mise en espace dans la ville écranique.

Page 3: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

iii

ABSTRACT

This research-creation is divided into two parts, a practical and a theoretical.

The first one, Time’s not forever (시간은 영원하지 않아 – Le temps n’est pas

pour toujours), initially tells the modalities of our intermediatic creation

presented in Seoul on May 16th, 2015. The original script of this spectacle,

multilingual and whose main themes are identity, time, speed and memory, is

then shown. The exploration workshops done with the South Korean group In the

B are next displayed to understand how they advanced the work and identify the

material of each of them that was preserved for the final performance. Lastly,

the writing process and the traces of our creation allow us to discover the

practical development occurring in dialogue with the theoretical notions.

In the second part, Urban Space as a Place of intermediatic Creation, media

productions on stage and in urban areas are scrutinized in order to define their

practices and identify the aesthetics that constitute them. Also, it is necessary

to reflect on the digital world and the reasons for its revolution. These tensions

are analyzed by considering their integration into the intermediatic society as

well as their impact on the citizen and his environment. The visual urban creation

is finally grasped by unveiling how its composition of images and sounds is put

into space in the screen city.

Page 4: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

iv

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ................................................................................................................. ii

ABSTRACT ............................................................................................................ iii

TABLE DES MATIÈRES ....................................................................................... iv

LISTE DES ANNEXES ......................................................................................... vii

REMERCIEMENTS .............................................................................................. xii

INTRODUCTION .................................................................................................... 1

Objet d’étude et intermédiaticité ............................................................................. 2

Méthodologie de recherche-création ...................................................................... 7

Deux étapes : laboratoires d’exploration et création finale ............................... 16

Contextualisation du groupe In the B en Corée du Sud ..................................... 27

Plan de présentation ................................................................................................ 34

PARTIE I (VOLET PRATIQUE) : LE TEMPS N’EST PAS POUR TOUJOURS

(시간은 영원하지 않아 – TIME’S NOT FOREVER) ............................................. 37

1. Abrégé descriptif du spectacle ..................................................................... 37

2. Script du spectacle Le temps n’est pas pour toujours (16 mai 2015) ...... 39

2.1 Prologue .............................................................................................................. 39

2.2 I – 나중에 (Na-jung-e, Later / Someday – À un moment donné) .............. 44

2.3 II – 동안 (Dong-an, During / Now – Pendant) ............................................... 55

2.4 III – 마지막 (Ma-ji-mak, In the end / Finally – Enfin) .................................. 63

2.5 Épilogue ............................................................................................................... 69

3. Studios de recherche-création avec le collectif créatif In the B .............. 72

3.1 Studio 1 : It’s not a cinema #1, Lee Han Chul On Ruf (Juillet 2011) .......... 72

3.2 Création d’approche 1 : House is Not a Home (Juillet 2011) ...................... 79

3.3 Création d’approche 2 : You’re the answer (Juillet 2011) ........................... 85

3.4 Étude 1 : Turned Off the TV (Août 2011) ....................................................... 89

3.5 Studio 2 : Video Concerto No. 2 (Novembre 2011) ....................................... 91

3.6 Création d’approche 3 : International Finance Centre (Mars 2012) ........ 102

3.7 Création d’approche 4 : lMU (Avril 2012) ..................................................... 106

3.8 Étude 2 : Hard to be Humble (Mai 2012) ..................................................... 117

Page 5: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

v

3.9 Étude 3 : Video Concerto No. 3, Tom and Jerry Night (Juin 2012) ........... 120

3.10 Étude 4 : You Are Beautiful (Juillet 2012) .................................................. 124

3.11 Studio 3 : Séoulitude (Octobre 2012) ......................................................... 128

3.12 Création d’approche 5 : Lament (Février 2013) ........................................ 152

3.13 Étude 5 : Sound of Sound of Sound (Metro Hero) (Avril 2013) .............. 155

3.14 Étude 6 : At Most (Mai 2013) ....................................................................... 159

3.15 Création d’approche 6 : Octopus – Breaking News (Juillet 2013) .......... 163

3.16 Studio 4 : Rough Cut Nights – Goldberg Machine (Mars 2014) ............. 170

3.17 Retour sur les studios, les études et les créations d’approche .............. 178

4. Processus scriptural et ses traces (Avril 2011-Mai 2015) ....................... 181

4.1 L’image urbaine comme lieu de mémoire (Avril-Décembre 2011) ........... 181

4.2 Spectacle fusionnant temps, vitesse et espace (Hiver 2012) ................... 183

4.3 Collage de transports : Où allons-nous? (Juin-Juillet 2012) ..................... 187

4.4 Un vieil homme, des images, Bongo et des femmes (Août 2012) ............ 190

4.5 Atmosphères, surcharge et folie urbaine (Automne 2012) ....................... 196

4.6 Poursuite des dialogues et de la mise en espace (Hiver 2012-2013) ..... 198

4.7 Nouveaux textes et éléments d’inspiration (Printemps 2013) .................. 201

4.8 Temps, espace et trafic urbains (Printemps 2014) .................................... 202

4.9 Escale à San Francisco (Juin 2014) .............................................................. 205

4.10 Collecte de transports et machines au Québec (Juin-Octobre 2014) ... 206

4.11 Retour en Corée du Sud (Octobre 2014-Janvier 2015) ............................ 207

4.12 Vietnam, Thaïlande et Malaisie (Janvier-Avril 2015) ............................... 211

4.13 Retour à Séoul : choix finals (Avril-Mai 2015) .......................................... 218

4.14 Derniers changements et retraits (Avril-Mai 2015) ................................. 226

4.15 Lieu de représentation et publications (Mai 2015) .................................. 231

4.16 Retransmission en direct : public international (Mai 2015) .................... 236

PARTIE II (VOLET THÉORIQUE) : L’ESPACE URBAIN COMME LIEU DE

CRÉATION INTERMÉDIATIQUE ...................................................................... 239

1. L’art technologique et urbain ...................................................................... 239

1.1 Types de pratiques dans les productions médiatiques ............................. 239

1.2 Esthétiques artistiques et culturelles marquantes ..................................... 259

Page 6: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

vi

2. La société intermédiatique et son urbanisme numérique ....................... 280

2.1 Monde numérique et ses répercussions ...................................................... 280

2.2 Mise en espace de la création urbaine (images et sonorités) .................. 299

CONCLUSION .................................................................................................... 324

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................... 338

Page 7: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

vii

LISTE DES ANNEXES

(toutes déposées séparément)

Annexe 1 : Urbanisme, voyages, chamanisme (Théâtrologie II : Les nouveaux

langages de la scène), Université Laval (Hiver 2011); vidéo du laboratoire

d’exploration ................................................................................................................... 9

Annexe 2 : Le temps n’est pas pour toujours (16 mai 2015); vidéo et 130 photos

de notre création intermédiatique ............................................................................. 39

Annexe 3 : Studio 1 : It’s not a cinema #1, Lee Han Chul On Ruf (Juillet 2011); 1

vidéo et 20 photos de la préproduction, 5 vidéos ainsi que 10 photos de la

production ..................................................................................................................... 72

Annexe 4 : Miser, Kim GeoJi; vidéo-clip et 20 photos de la production .............. 78

Annexe 5 : It’s not a cinema #2, Kim GeoJi, Always Hungry; vidéo-clip de la

production ..................................................................................................................... 78

Annexe 6 : Création d’approche 1 : House is Not a Home (Juillet 2011); 2 vidéos

de la création et 9 chansons d’inspiration ............................................................... 79

Annexe 7 : Video Concerto for Something Analog No. 1; 1 photo de la

préproduction et vidéo de la production ................................................................... 79

Annexe 8 : Concours Theatre Architecture Competition (TAC), Organisation

Internationale des Scénographes, Techniciens et Architectes de Théâtre

(OISTAT); 2 pages extraites de documents promotionnels .................................. 80

Annexe 9 : Sur le concept du visage du fils de Dieu, Romeo Castellucci; 1 vidéo

et 5 photos de la préproduction ................................................................................. 82

Annexe 10 : Création d’approche 2 : You’re the answer (Juillet 2011); chanson,

paroles (coréen/anglais), 8 vidéos de la création ainsi que 5 vidéos d’inspiration

........................................................................................................................................ 85

Annexe 11 : Étude 1 : Turned Off the TV (Août 2011); 1 vidéo et 2 photos de la

préproduction, paroles (coréen/anglais) et vidéo-clip de la production ainsi que

8 vidéos d’inspiration et making-of ........................................................................... 89

Annexe 12 : First Day, Eco Bridge & Naul; vidéo-clip, 15 vidéos et 8 photos de la

production ..................................................................................................................... 91

Page 8: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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Annexe 13 : Studio 2 : Video Concerto No. 2 (Novembre 2011); 4 vidéos et 12

photos de la préproduction, 212 photos pour le montage visuel et 13 photos

(mouvements d’ouverture), affiche, vidéo, 4 chansons et 60 photos de la

production ainsi que 2 photos d’inspiration (costume), 15 photos d’inspiration

(gestes), 2 chansons et 2 vidéos d’inspiration ........................................................ 91

Annexe 14 : Festival international de jazz de Jarasum; vidéo et 3 photos de la

production ..................................................................................................................... 92

Annexe 15 : Création d’approche 3 : International Finance Centre (Mars 2012); 7

vidéos d’inspiration .................................................................................................... 102

Annexe 16 : Soul Live, BES; 2 vidéos et 7 photos de la production ................... 103

Annexe 17 : Chanel Korea, 20e anniversaire; 2 photos de chacune des 2 vidéos

promotionnelles .......................................................................................................... 103

Annexe 18 : Summer Night Jukebox, Everland; 1 vidéo de la production.......... 106

Annexe 19 : Création d’approche 4 : lMU (Avril 2012); 3 vidéos, 3 schémas et 1

liste d’éléments chorégraphiques de la création, 18 photos (3 de la Gare de Séoul

et 15 de poses) ainsi que 4 vidéos d’inspiration ................................................... 106

Annexe 20 : Video Concerto for Something Analog No. 4, Gare de Séoul; 1 vidéo

(Part 1 : Les Papillons) et 12 photos de la production ......................................... 114

Annexe 21 : Intervention fumée, Station Gangnam; 7 photos du projet............ 115

Annexe 22 : A dog hits a truck, These Things Happen (TTH); texte et 2 photos de

la publication .............................................................................................................. 116

Annexe 23 : Yes, Those Things Happened!; 42 photos de la publication ......... 116

Annexe 24 : Yes, Those Things Happened-Phase 2; 38 photos du projet en 2

versions chacune (originale et modifiée) ............................................................... 116

Annexe 25 : TTH #2, Exam Performance, EBS (Korea Educational Broadcasting

System); vidéo de la production .............................................................................. 117

Annexe 26 : Alain’s Writing class, EBS; 4 vidéos ainsi que 8 photos des

productions ................................................................................................................. 117

Annexe 27 : Étude 2 : Hard to be Humble (Mai 2012); paroles (coréen/anglais),

vidéo-clip et 60 photos de la production ................................................................ 117

Annexe 28 : Pursuing the Happiness, LeeSsang; vidéo-clip de la production . 120

Page 9: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

ix

Annexe 29 : Étude 3 : Video Concerto No. 3, Tom and Jerry Night (Juin 2012);

proposition du 4 mai 2012, liste des films de Tom et Jerry, notes et catégories

des notes pour montages audiovisuels, 20 photos de la préproduction, affiche

promotionnelle, 3 modèles de billets, 13 staff ID, plan de sol et fiche technique

de la salle ainsi que 5 vidéos et 20 photos de la production .............................. 120

Annexe 30 : Ouverture du Chanel Pop-up Store; 5 photos de la production .... 122

Annexe 31 : Tom and Jerry Night, Encore, Club KeuKeu; 20 affiches de films, 8

modèles de maillots, 3 vidéos et 15 photos de la production ............................. 124

Annexe 32 : Tom and Jerry Night 2014, Zagmachi; 1 vidéo de la production et

programme de la soirée ............................................................................................ 124

Annexe 33 : Étude 4 : You Are Beautiful (Juillet 2012); 1 vidéo d’une répétition,

chanson, paroles (coréen/anglais), vidéo et 10 photos de la production ainsi que

6 vidéos d’inspiration ................................................................................................. 124

Annexe 34 : Gentleman Korea; vidéo de la production ........................................ 125

Annexe 35 : Piri Set, Orchestre National de Corée; 3 chansons, 5 vidéos et 5

photos de la production ............................................................................................ 125

Annexe 36 : Ulala Session, Naver; vidéo de la production .................................. 127

Annexe 37 : Jang Yoon-Ju, Naver; 2 vidéos de la production .............................. 127

Annexe 38 : Steve Barakatt, Naver; 1 vidéo et 4 photos de la production ........ 127

Annexe 39 : Bulldog Mansion, Naver; 1 photo de la production ......................... 127

Annexe 40 : Oksang Dalbit, Naver; vidéo de la production.................................. 128

Annexe 41 : Studio 3 : Séoulitude (Octobre 2012); 3 vidéos de la préproduction,

vidéo et 20 photos de la production ainsi que 1 photo d’inspiration ................. 128

Annexe 42 : Belgitude; vidéo et 10 photos de la production ............................... 129

Annexe 43 : Par(t)is(i)annitude; 2 vidéos et 5 photos de la production ............ 130

Annexe 44 : Concert à Shanghai; 15 photos de la production ............................ 140

Annexe 45 : Genie Music, KT Corporation; 2 photos de la production .............. 146

Annexe 46 : October Rain, Yoon Gun; vidéo-clip de la production..................... 152

Annexe 47 : Création d’approche 5 : Lament (Février 2013); 18 photos (3 du

repérage, 9 des tests et 6 des tournages) et 3 vidéos de la création (1 des tests

et 1 de chacune des 2 versions) ainsi que 7 photos d’inspiration (costume) et 7

Page 10: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

x

chansons d’inspiration .............................................................................................. 152

Annexe 48 : Étude 5 : Sound of Sound of Sound (Metro Hero) (Avril 2013); 3

photos de la préproduction, 2 vidéos et 1 photo de la production ..................... 155

Annexe 49 : Communication V, Sungam Art Hall; 1 vidéo et 7 photos de la

production ................................................................................................................... 158

Annexe 50 : Étude 6 : At Most (Mai 2013); chanson (en 3 versions), paroles

(coréen/anglais), vidéo-clip et 20 photos de la production ................................ 159

Annexe 51 : Mixtape : Cinema, Olympus Hall; 2 affiches, 2 vidéos et 12 photos de

la production ............................................................................................................... 161

Annexe 52 : Mixtape : Cinema, LG Arts Center; 4 maquettes de décor, 4 affiches

et 4 photos de la production..................................................................................... 161

Annexe 53 : Timeless Gallery / Samsung UHD TV, Salon du Design vivant de

Séoul; 1 vidéo et 7 photos de la production ........................................................... 162

Annexe 54 : Tokyo Photographers’ Night, aA Design Museum; 5 photos de la

production ................................................................................................................... 162

Annexe 55 : Le Sacre du Printemps, Performance Group 153; 2 photos de la

production ................................................................................................................... 163

Annexe 56 : Peace and Piano Festival, Centre d’arts de Gyeonggi; affiche, 1 vidéo

et 6 photos de la production..................................................................................... 163

Annexe 57 : Création d’approche 6 : Octopus – Breaking News (Juillet 2013); 36

photos (28 du repérage, 2 du bassin et 6 du costume) et 1 vidéo de la création

...................................................................................................................................... 163

Annexe 58 : Angry Painter, Treefilm; 2 vidéos de la préproduction ainsi que 2

affiches, 2 vidéos et 18 photos de la production .................................................. 169

Annexe 59 : Studio 4 : Rough Cut Nights – Goldberg Machine (Mars 2014); 4

affiches, 1 vidéo et 22 photos de la production, 3 vidéos de présentation ainsi

que 1 photo et 2 vidéos d’inspiration ...................................................................... 170

Annexe 60 : Rock-Paper-Scissors, KOBA (Korea International Broadcast Audio &

Lighting Equipment Show) 2014; vidéo et 15 photos de la production ............. 177

Annexe 61 : Processus scriptural et ses traces (Avril 2011-Mai 2015); 226 photos,

12 vidéos, 8 sons et 2 chansons d’inspiration, 5 schémas de la scène, 7 photos

Page 11: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

xi

du lieu de représentation, 55 photos des publications, 3 vidéos des tests sur

Ustream et 2 versions du montage audiovisuel final ainsi que la dédicace de la

première et les textes retranchés ............................................................................ 181

Annexe 62 : In the B in Hong Kong; vidéo de la production ................................ 336

Annexe 63 : Bande démo; vidéo de notre portfolio ............................................... 336

Page 12: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

xii

REMERCIEMENTS

L’achèvement de cette étude doit beaucoup à notre directeur de thèse,

Monsieur Luis Thenon, et nous tenons à le remercier d’avoir dirigé cette

recherche-création. Nous lui sommes reconnaissant pour l’intérêt porté à notre

travail et la pertinence de ses recommandations.

Nos pensées chaleureuses se dirigent à l’avenant vers nos parents, dont le

soutien et l’affection de toujours sont extraordinaires et la générosité inégalable,

de même que nos grands-parents, à qui nous souhaitons le repos doux et les

retrouvailles merveilleuses, ainsi que nos précieux amis et l’amusante Tortue.

Pour finir, nous remercions tous ceux et celles ayant aussi concouru, de quelque

manière que ce soit, à l’élaboration et à la concrétisation de ce travail de

recherche doctoral.

Page 13: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

1

INTRODUCTION

L’espace urbain est devenu un lieu de prédilection pour les créations

médiatiques, à l’ère du numérique. Les projections jouent ainsi un rôle

prédominant dans les interventions artistiques conditionnées par l’espace de la

ville. Les écrans digitaux de la rue, des lieux publics, des transports et des

façades d’immeubles se multiplient et influencent de plus en plus notre

perception de l’environnement quotidien. Dans l’espace spectaculaire, ces

écrans deviennent une forme langagière portant des significations inédites. Dans

l’instantanéité de sa diffusion, l’image modifie le rapport de l’homme au monde

dans lequel l’espace urbain se recycle constamment, tout en favorisant la

création intermédiatique.

L’incorporation massive des écrans, tant dans les aires scéniques que dans les

espaces sociaux en milieu citadin, détient également une incidence

fondamentale sur le développement des esthétiques récentes. Dans la

reconfiguration de l’espace global, façonné et conditionné par la Toile, les écrans

deviennent un instrument de construction et de matérialisation d’un nouveau

paradigme interculturel dans lequel la création trouve un support et une

justification déterminant les dernières formes de l’art urbain.

Cette recherche-création en écriture et performance médiatiques a pour objectif

de nous amener à saisir les particularités de la création intermédiatique

Page 14: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

2

façonnée en milieu urbain. Le concept de création intermédiatique y est défini

en observant la manière dont celle-ci s’organise. Nous nous y intéressons aussi

aux événements artistiques se déroulant dans la ville afin d’en comprendre les

contraintes et les exigences.

Objet d’étude et intermédiaticité

Bruno Marzloff perçoit la ville comme un 5e écran : l’urbain comme média. Dans

Le 5e écran : les médias urbains dans la ville 2.0, il explique que le premier écran

dynamique dans l’histoire des technologies est public et extérieur. Il s’agit de la

grande toile du cinéma. Le deuxième est la télévision, écran collectif, mais plus

public, alors que le troisième est personnel et se partage déjà moins que la

télévision : l’ordinateur. Le quatrième est le téléphone mobile que l’on porte sur

soi, intime, qu’on ne partage pas, ou si peu, et qui nous accompagne partout.

Quant au cinquième, l’urbain comme média, Marzloff croit que les ondes, les

marques et les signes sur les façades et les mobiliers des monuments forment

le pouls de la ville que nous saisissons en temps réel et auquel nous pouvons

participer : « Le 5e écran est le système technologique qui permet le jeu de tous

ces écrans dans l’espace public1. » Il soutient que cet écran autorise l’urbain à

s’exprimer et qu’une multitude d’acteurs prennent et prendront appui sur ces

1 Bruno Marzloff, Le 5e écran : les médias urbains dans la ville 2.0, Limoges (France) : FYP, 2009,

p. 11.

Page 15: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

3

opportunités de dialogues pour communiquer. Grâce à cette implication, le

citoyen devient un média et bouleverse notre rapport à la ville devenue

numérique.

La fonction des écrans urbains ne se limite pas à la communication informative.

En plus de constituer un outil de diffusion de renseignements, ces écrans sont

un élément architectural et détiennent la capacité de devenir un fait artistique.

Dans l’élaboration d’un spectacle intermédiatique à l’âge numérique, notre sujet

d’étude, les conditions de la ville que Marzloff désigne comme 5e écran peuvent

être matière à création.

En analysant les caractéristiques de la culture numérique (à partir,

principalement, des concepts de Milad Doueihi), ainsi que ses spécificités au

sein des créations urbaines, nous réalisons aussi que les technologies du

numérique permettent de réinventer les lieux. La prolifération des écrans dans

la ville s’intègre donc au processus créatif. L’exploitation de l’image urbaine dans

cette profusion écranique, valorisation constituant notre objet d’étude, redéfinit

la conception artistique en multipliant les voies expressives et en créant une

structure communicative de superposition et de surabondance langagières.

Par le terme intermédiaticité, nous entendons l’approche conceptuelle diffusée

par Dick Higgins, à partir de son texte fondateur de 1966, Intermedia. Ce membre

du groupe Fluxus, dont l’un des premiers objectifs était de casser les barrières

entre les arts et le public, y annonce que l’intermédia fut observé dans le théâtre,

Page 16: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

4

les arts visuels, les happenings et certaines autres structures physiques2. Cette

notion consiste en l’amalgame d’activités interdisciplinaires se produisant entre

les genres. Elle trouve son origine dans tous les secteurs de l’art, dont elle

brouille les frontières et mixe les catégories.

L’intermédiaticité appartient à la contemporanéité et emploie les technologies

les plus récentes. Bertrand Clavez affirme que « l’art le plus intéressant est

nécessairement intermédiatique parce qu’il est l’image d’une société

entièrement neuve qui s’invente3. » Pour Éric Mechoulan, l’intermédialité est « un

métissage de médias d’ores et déjà différenciés [...] une hybridation des

pratiques artistiques. [...] un ensemble de codes médiatiques dont un média doit

toujours se dégager afin de parvenir à son autonomie4. »

Bértold Salas-Murillo soutient dans sa thèse De l’intermédialité à l’œuvre

lepagienne, et de l’œuvre lepagienne à l’intermédial : un parcours à double sens

à propos du théâtre et du cinéma de Robert Lepage que :

Les médias, par leur constante évolution et leurs fréquents échanges de

procédés et de matériaux les uns avec les autres, déterminent les rapports

2 Dick Higgins, Intermedia, in « Something else Newsletter », Volume 1, no 1 (February), New

York: Something Else Press, 1966.

3 Bertrand Clavez, Intermedia de Dick Higgins : un objet entre l’œuvre et le texte, conférence

effectuée lors du colloque « Esthétiques intermédias : approches historiques », Théâtre Paris-

Villette (Belgique), 10 juin 2006, <https ://sites.google.com/site/bertrandclavez/articles-

parus/intermedia>.

4 Éric Mechoulan, La synthèse d’Éric Mechoulan, conférence de clôture effectuée lors du

colloque « La nouvelle sphère médiatique », Musée d’art contemporain de Montréal : CRI, 2 au 6

mars 1999, <http ://cri.histart.umontreal.ca/cri/sphere1/conf-mechoulan.htm>.

Page 17: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

5

temporels et spatiaux, la perception du corps, les formes de présentation et de

représentation, les stratégies dramaturgiques, les principes de structuration et

de mise en place de mots, images et sons, enfin, les façons de percevoir et de

générer des sens culturels, sociaux et psychologiques5.

De manière complémentaire et schématisée, Salas-Murillo spécifie aussi que

l’intermédial constitue un trait du monde contemporain6.

Dans Esthétique des arts médiatiques : Prolifération des écrans/Proliferation of

screens, Hervé Fischer souligne que nous apprenons à voir le réel à travers les

images virtuelles et que l’écran fait office d’instrumentation, tel un outil, un

dispositif d’interaction entre la nature et nous. Multisensoriels, les écrans sont

des espaces cinématographiques et télévisuels, donc narratifs, et les artistes les

investissent comme espaces imaginaires7.

Doueihi, pour sa part, mentionne dans Pour un humanisme numérique que

« L’urbanisme virtuel est le site de la culture anthologique naissante [...] Il est

aussi le moteur de la réalité augmentée, cette Terre promise de la convergence

et de la mobilité, des mondes virtuels et des savoirs disponibles et accessibles8. »

5 Bértold Salas-Murillo, De l’intermédialité à l’œuvre lepagienne, et de l’œuvre lepagienne à

l’intermédial : un parcours à double sens à propos du théâtre et du cinéma de Robert Lepage,

Thèse (Ph. D.), Québec : Université Laval, 2017, p. 2.

6 Op. cit., p. 27.

7 Louise Poissant et Pierre Tremblay [dir.], Esthétique des arts médiatiques : Prolifération des

écrans/Proliferation of screens, Québec : Presses de l’Université du Québec, Collection

« Esthétique », 2008, p. 228-229.

8 Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris : Seuil, Collection « Librairie du XXIe

siècle », 2011, p. 17.

Page 18: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

6

Il ajoute que cet urbanisme virtuel « nous fait voir une réalité hybride : c’est

comme si tout devenait ou était en train de devenir information et que [...] c’était

le monde lui-même [...] qui devenait l’interface privilégiée9. » De la même façon

que Fischer associe écrans et espaces imaginaires, Doueihi avance aussi

que « la culture numérique a une poétique, traitant des mots, des images, des

expressions qui se transforment en agents de créations nouvelles, parfois

inédites, souvent des reprises et des reformulations dans le contexte nouveau

qu’est l’ère du numérique10. »

Dans notre ère de contamination écranique, les écrans et le réel s’entrecroisent

donc socioculturellement. L’écran parvient à assembler le texte, le son ainsi que

l’image et représente un espace, à la fois réceptacle physique et imaginaire, sans

limites à conquérir. Les sites Internet que nous fouillons restent en mouvement

et ne sont jamais complets, car de nouveaux liens s’y ajoutent sans cesse. Le

numérique n’a rien d’une utopie, il est notre réalité. Et cette invasion de la culture

numérique nous déroute. Dans le même ouvrage, Doueihi aborde le sujet ainsi :

« la culture numérique déconcerte. [...] elle risque de trivialiser l’humain, car

souvent elle semble sacrifier la réflexion, la maîtrise de soi, voire la sérénité, au

profit de l’accélération et de la nouvelle spatialité, de la rapidité et de l’efficacité

9 Ibid.

10 Op. cit., p. 31.

Page 19: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

7

immédiate11. » L’historien y proclame même un quatrième humanisme, celui du

siècle débutant : l’humanisme numérique. Celui-ci s’additionne aux trois

reconnus par Claude-Lévi Strauss : l’aristocratique de la Renaissance, le

bourgeois et exotique du XIXe siècle, ainsi que le démocratique du XXe siècle.

Bref, notre réalité est rendue numérique et reconnaît à des images d’écran une

nouvelle nature. La ville écranique est dès lors entrevue comme plateforme

d’innovation ouverte, programmable et modifiable par ses usagers. Dans la

réalisation d’une œuvre d’art contemporaine, l’utilisation de l’image citadine

engendre une composition énonciative d’excès et d’interférence. À l’instar de

l’intermédiaticité, elle augmente également les moyens suggestifs.

Méthodologie de recherche-création

Notre thèse se développe en suivant les propositions méthodologiques de la

recherche-création. Elle se décline dans une structure à deux parties. La

première partie est dédiée à l’œuvre de création ainsi qu’à nos studios

d’exploration, et la deuxième partie aborde le sujet théorique autour de la

création technologique dans l’urbain. L’ouvrage La recherche création : Pour une

compréhension de la recherche en pratique artistique, édité sous la direction de

Pierre Gosselin et Éric Le Coguiec, est une des importantes références

11 Op. cit., p. 163.

Page 20: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

8

théoriques de notre travail.

La création artistique en tant que lieu d’expression et où tout est toujours à

refaire représente, comme l’énonce Gosselin, une voie de développement

personnel pour l’artiste12. En aspirant à entendre et utiliser la ville en tant que

média et plateforme de dialogues, nous nous trouvons aussi en continuelle et

authentique découverte, de manière semblable à celle de Hanns Eisler. Dans son

essai Langhoff, Odette Aslan cite les mots d’Eisler comme suit :

Choisissez des textes et des sujets qui concernent beaucoup de gens. Faites un

véritable effort pour comprendre votre époque [...] Découvrez l’homme, l’homme

réel, découvrez le quotidien pour votre art, et peut-être alors vous redécouvrirez-

vous vous-même13.

Dans le contexte actuel de l’espace numérique comme environnement artistique,

l’espace urbain submergé d’écrans constitue un axe adéquat pour s’apprendre

et apprendre le monde, tout en participant à sa progression.

Sophia L. Burns conçoit que la méthode d’observation critique « se base sur une

démarche de recherche autoréflexive où le chercheur n’a pas peur de revenir sur

ses conditionnements et ses véritables motivations14. » Il existe une mise en

relation dynamique de l’objet artistique et de l’objet de théorisation. Ou, en

12 Pierre Gosselin et Éric Le Coguiec, La recherche création : Pour une compréhension de la

recherche en pratique artistique, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 22.

13 Odette Aslan, Langhoff, dans « Les voies de la création théâtrale : études », Volume XIX, Paris :

CNRS, Collection « Arts du spectacle », 1994, p. 16.

14 Op. cit., p. 60.

Page 21: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

9

d’autres mots : une cohabitation des volets pratique et théorique étant en lien

étroit. Le savoir disciplinaire émergeant de cette tactique d’introspection vise à

accroître nos compétences de chercheur et mettre en lumière les paramètres de

notre production artistique.

Dans cette recherche-création, afin de repérer nos phases d’évolution, réévaluer

nos objectifs et préciser nos intentions, nos observations pratiques sont

analysées à l’aide de notes d’ateliers et de réflexions. L’écriture des traces,

effectuée durant nos travaux de laboratoire, suit une structure permettant de

détailler les étapes clés de nos expériences. À ce sujet, au cours du séminaire

Théâtrologie II : Les nouveaux langages de la scène, suivi à l’Université Laval de

Québec en hiver 2011 et lors duquel fut réalisé le laboratoire d’exploration

Urbanisme, voyages, chamanisme15, notre directeur de recherche, Luis Thenon,

dirigeant aussi cet atelier de création, nous remit les notes suivantes sur les

traces :

Sommes-nous devant un document qui se veut un compte-rendu critique d’un

travail de recherche-création? Il nous semble primordial d’établir au préalable

quelques consignes éclairantes. Un travail de communication critique sur le

déroulement d’un travail de recherche-création devrait, en premier lieu, laisser

place à un système d’écriture tendant à codifier le déroulement de l’expérience

créatrice, selon les paramètres d’une communication capable de décrire un

modèle d’action. Ce modèle nécessite l’inclusion d’une manière de classifier les

traces, selon un ordre de primauté, pour conclure dans une possible

catégorisation des choix tels, qu’on puisse avoir accès, de façon méthodique, à

15 Annexe 1 (vidéo du laboratoire d’exploration).

Page 22: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

10

l’ensemble de ce choix ainsi qu’à leurs effets dans le système de signes de la

représentation artistique. D’autre part, devons-nous supposer que ce travail est

en fait une description du travail et des choix retenus pour la mise en scène du

texte dramatique sans paroles? Nous croyons qu’un travail de recherche-

création peut se justifier pleinement dans le sens d’une interaction déterminante

entre, d’une part le fait empirique, ici représenté par l’acte d’exploration,

d’écriture dramaturgique et de mise en scène (incluant la représentation

théâtrale) et, d’autre part, une réflexion sur l’expérience. Mais cela exige que

cette réflexion soit clairement définie et que le développement du sujet énoncé

garde en tout temps un rapport critique avec la création théâtrale proposée.

Ces principes furent appliqués à cette étape de notre thèse. Les traces, exposées

dans le dernier chapitre de notre volet pratique, révèlent donc les constantes

interférences entre nos créations et nos réflexions, ou encore, le dialogue

permanent entre nos explorations et nos observations. Il s’agit de justifier nos

choix et circonscrire les enjeux de notre travail de conception.

Yvonne Laflamme souligne l’apport de la philosophie orientale à la réflexion sur

les limites de la pensée classique. Sa conclusion est que « l’acquisition d’une

culture dépassant les frontières de sa propre pratique artistique est essentielle

pour l’artiste en recherche création 16 . » Ce que nous réussissons à obtenir

représente un moyen de percevoir nos activités artistiques. Diane Laurier déclare

pareillement que « l’artiste devient le principal chercheur de sa propre démarche

artistique [...] l’expérience personnelle devient une voie de compréhension du

travail créateur17. »

16 Op. cit., p. 76.

17 Ibid.

Page 23: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

11

En menant notre étude en Corée du Sud, endroit choisi comme territoire

d’exploration par l’entremise de studios de recherche-création, notre situation

était justement cette dernière : en Orient, au sein d’une tout autre culture et tout

ce qu’elle implique comme différences, divergences et obligations à découvrir et

appréhender. Notre champ de spécialisation étant l’écriture et les créations

médiatiques à l’âge de la culture numérique, la mégapole de vingt-cinq millions

d’habitants de Séoul (서울시18), incluant sa région métropolitaine (수도권19),

s’avérait un endroit de prédilection pour notre cheminement de recherche. Cette

ville, capitale de la République de Corée (대한민국20), est une des plus efficaces

au monde en matière de technologies de l’information et de la communication.

En prenant notre démarche de conception artistique ainsi que notre expérience

créatrice au sein du groupe In the B [인더비 21 , collectif en arts visuels et

performances médiatiques (Visual & Performing Arts Group) fondé en 2010 par

Chiehwan Sung (지환성) et Kyunghwan Jin (경환진)] basé à Séoul, nous nous

sommes interrogé sur les écrans urbains dans la création intermédiatique et le

rôle de l’image dans celle-ci. Au long de ces laboratoires d’exploration, l’écriture

intermédiatique fut considérée, à l’instar de Thenon, tel qu’il le conceptualise

18 Seoul Si, en romanisation.

19 Sudogwon, en romanisation.

20 Dae Han Min Guk, en romanisation.

21 In Deo Bi, en romanisation.

Page 24: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

12

dans La inscripción intermedial en el texto postdramático, comme processus

technique de stratification intégrant des écritures et des médiums interférents

et indissociables de l’idée créatrice initiale plutôt que formant une simple somme

ou une alternance22.

Nos expérimentations tinrent aussi compte de cette conclusion de Marzloff :

Derrière le concept du 5e écran, il y a les items physiques et immatériels que tout

le monde voit ou comprend : des réseaux de communication, des objets

communicants et leurs écrans qui émettent, qui hébergent, qui reçoivent des

données, des ordres, des informations, des images, des sons. Ce sont autant

d’échos de la ville, des pulsations, des injonctions ou des conseils de ceux qui

l’animent et la gouvernent, et des réactions de ceux qui la vivent au quotidien23.

Nos studios produisirent des résultats témoignant des particularités propres à la

création intermédiatique urbaine en Corée du Sud. Dans la continuité de ces

derniers, nous avons développé les thèmes et écrit le scénario de notre création

spectaculaire. Parmi les composantes de celle-ci, mentionnons la ville comme

scène, la mise en espace et l’entrecroisement des langues comme matière de

création. Une attention particulière fut portée à la manipulation des images et

des sonorités. Surtout à celles du trafic et de l’univers urbains étant en lien

rapproché avec notre principal territoire de découverte, Séoul et sa région

métropolitaine.

22 Luis Thenon, La inscripción intermedial en el texto postdramático, en « ESCENA. Revista de

las artes », Volumen 76, no 2 (enero-junio), Costa Rica: Instituto de Investigaciones en Arte (IIArte)

de la Facultad de Bellas Artes de la Universidad de Costa Rica, 2017, p. 138.

23 Op. cit., p. 87.

Page 25: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

13

Afin de consolider notre processus rédactionnel, nous avons donc suivi le guide

de compréhension de la recherche en pratique artistique de Gosselin et Le

Coguiec. Celui-ci nous aida à vérifier la véracité des fondements relatifs à notre

problématique d’exploitation et d’intégration du 5e écran dans la création

intermédiatique, tout en en fortifiant les aspects saillants.

Permettons-nous de nuancer la pensée de Burns, qui est persuadée que « Nous

sommes pionniers parce qu’il n’existe pas de modèles antérieurs à cette

discipline; elle n’a pas encore d’histoire 24 . » S’il est vrai que lors de la

présentation de cet ouvrage, ce type d’approche méthodologique était

relativement nouveau dans le champ académique, de nombreux autres

théoriciens et praticiens des arts se sont jadis intéressés avec pertinence au

statut de l’artiste et ses enjeux, ainsi qu’à la création comme expression de notre

contemporanéité.

Tel est le cas des futuristes, des dadaïstes et des surréalistes. Déjà au début du

siècle dernier, ils examinaient, remettaient en cause et revendiquaient

esthétiquement et plastiquement le culte à l’imagination, les mécanismes

psychiques du fonctionnement réel de la pensée ainsi que l’autoréflexivité de

l’art. Plus que des mouvements, ces derniers étaient devenus un art de vivre,

laissant à la postérité une vaste documentation écrite, visuelle et auditive de

24 Op. cit., p. 59.

Page 26: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

14

leurs idées et de leurs expérimentations.

Les deux Manifestes du surréalisme d’André Breton, ainsi que Manifestes DADA

surréalistes de Georges Sebbag, abordent l’art en tant que manifestation de

notre vie actuelle, les principes de l’écriture automatique, dada comme état

d’esprit et libre-pensée artistique, le collage de fragments de phrases et l’appel

à l’action collective. Dans un article de Breton inclus dans l’ouvrage de Sebbag,

nous lisons que « Le désir de comprendre [...] a ceci de commun avec les autres

désirs que pour durer il demande à être incomplètement insatisfait25. » Aussi à

ce moment, on avait conscience de l’aspect éternel de notre quête à la

connaissance et on formulait qu’elle avait besoin de cet inaccomplissement pour

croître.

Marcel Duchamp s’interrogea aussi sur les responsabilités de l’artiste et la

nature de l’œuvre d’art. Dans Le processus créatif, il affirme que tout art,

mauvais ou bon, reste de l’art au même titre qu’une émotion bonne ou mauvaise

demeure une émotion, et qu’il faut considérer deux facteurs importants en

création, l’artiste et le spectateur26. Peu importe la qualité de nos expériences

artistiques, tout ce matériel fut de facto utilisable. De plus, devenir spectateur

25 Georges Sebbag, Manifestes DADA surréalistes, Paris : Jean-Michel Place, 2005, p 92.

26 Maria Popova, The Creative Act: Marcel Duchamp’s 1957 Classic, Read by the Artist Himself,

in « Brain Pickings », blog, New York, August 23rd, 2012, <http://www.brainpickings.org/index.ph

p/2012/08/23/the-creative-act-marcel-duchamp-1957/>.

Page 27: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

15

de notre démarche par l’introspection nous plaça dans une position

complémentaire à celle d’acteur.

Les essais de Clement Greenberg nous incitèrent à développer et maintenir cette

rigueur intellectuelle qu’il démontra dans ses analyses des pratiques de l’avant-

garde de son temps. Ses comptes rendus nous permirent de mieux contextualiser

notre raisonnement inventif afin de théoriser notre méthodologie convoquée.

Dans Art et culture : essais critiques, on apprend qu’il croit en la nécessité de

l’honnêteté en art et que celle-ci est indissociable du talent27. Cela rejoint les

propos de Burns sur le chercheur praticien n’ayant crainte de réévaluer son

apprentissage et ses réels objectifs.

Dans Traiter de recherche création en art : entre la quête d’un territoire et la

singularité des parcours, on nous présente le discours de Christian Bégin.

D’après lui, le doctorat est un savoir-faire au-delà des disciplines et représente

« l’étape la plus exigeante sur le plan de l’engagement intellectuel dans le

contexte scolaire28. » Nous estimons toutefois avoir avantage à examiner nos

pratiques. Même si la critique peut être perçue négativement, elle demeure un

facteur constructif et évolutif dans l’articulation des échanges sur les modes de

27 Clement Greenberg, Art and culture: critical essays, Boston: Beacon Press, 1961, p. 146.

28 Monik Bruneau et André Villeneuve [dir.], Traiter de recherche création en art : entre la quête

d’un territoire et la singularité des parcours, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2007,

p. 375.

Page 28: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

16

savoir-faire.

Les fruits de ces études ne couvrent ni en totalité ni avec exactitude notre

problématique amalgamant la ville comme écran et le milieu urbain comme

espace de création interdisciplinaire à l’ère du numérique. En tout cas, pas dans

le cadre d’une recherche-création en contexte académique universitaire, et

encore moins venant d’un Occidental en Orient, ou plus spécialement d’un

Québécois chez les Coréens du Sud. En ce sens, nous nous démarquons des

modèles préexistants, et tout reste à faire sur ce parcours.

Avant de délimiter le contexte de la scène sud-coréenne avec lequel notre

démarche est mise en relation, il convient de préciser les différentes phases

progressives de notre travail (d’une part, des laboratoires de recherche, et

d’autre part, notre propre création).

Deux étapes : laboratoires d’exploration et création finale

En premier lieu, quatre studios de recherche-création ainsi que six études29 et

six créations d’approche 30 intégrant des vidéo-clips, des installations, des

performances médiatiques et des happenings avec le collectif créatif In the B,

29 Par étude, nous entendons une création complétée, mais dont les répercussions furent moins

importantes que celles d’un studio.

30 Par création d’approche, nous entendons une création non complétée, mais dont la démarche,

presque achevée, nous approcha artistiquement de notre but.

Page 29: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

17

entre juillet 2011 et mars 2014. En faisant la conception et la réalisation de vidéo-

clips, ou encore en dirigeant, mettant en jeu, tournant et produisant des

performances, des spectacles et des happenings, il nous était plus envisageable

de vérifier et mettre en contexte les propositions théoriques énoncées

précédemment. Parmi celles-ci, soulignons le 5e écran de Marzloff et

l’humanisme numérique de Doueihi.

Les compétences des trois autres membres principaux du groupe In the B

[Chiehwan, président, ingénieur logiciel et diplômé en Mathématiques à

l’Université Nationale de Séoul; ainsi que Kyunghwan et Namjo Kim (남조김),

maîtres en Arts du spectacle vivant à finalité européenne], de même que celles

des collaborateurs circonstanciels, nourrirent notre cheminement. Le processus

créatif de la compagnie, établie en 2010, s’avérait similaire au nôtre quant à sa

recherche esthétique et son rapport avec les surfaces écraniques. Dans ses

productions, le collectif traite des idées extraordinaires réformant les concepts

aisément conçus et acceptés. Selon ses membres, toute pensée exceptionnelle

est envisageable et peut être mise à exécution dans tout espace ou sur toute

scène. En ce sens, In the B réalise en arts scéniques les imaginations qui sont

imaginables dans la vie réelle. La vision et l’expertise des deux fondateurs

Chiehwan et Kyunghwan, ainsi que celles de Namjo, qui se joignit à l’équipe

comme nous en 2011, stimulèrent donc également nos réflexions et poussèrent

ces dernières à un degré plus avancé.

Page 30: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

18

En tant qu’auteur, acteur, metteur en scène, réalisateur, clown et producteur,

aussi bien dans le domaine du cinéma que dans celui du théâtre, notre fonction

au sein du groupe In the B était, selon les besoins et les intentions de chacun

des projets, de participer activement à l’élaboration et à l’exécution de ces

derniers. Plus spécifiquement, nous portions une attention spéciale à la qualité

de la fable et de sa mise en espace, à la justesse du jeu des acteurs, ainsi qu’à

l’esthétique générale des œuvres et des corps à l’écran ou sur scène. Notre

double statut d’écrivain et de poète, jumelé à nos connaissances en langues

étrangères ainsi qu’à notre maîtrise en Arts du spectacle vivant obtenue

conjointement à Bruxelles, à Copenhague et à Paris dans le cadre du programme

Erasmus Mundus, nous conférait en outre la responsabilité de développer des

thèmes et composer des textes, parfois en plusieurs langues, tant pour les

productions du collectif que pour la promotion de ses activités artistiques et

culturelles. Pour cette thèse, nous avons choisi d’étudier surtout les créations où

notre rôle décisionnel fut de premier plan. Celles-ci figurent dans le troisième

chapitre de notre partie pratique sous forme de laboratoires d’expérimentation,

effectués notamment en projetant des images sur les espaces de représentation

dans la ville, l’écran urbain.

La conceptualisation des procédés techniques utilisés lors de ces derniers

bénéficia pareillement des travaux d’Anne Cauquelin. En énonçant dans Les

théories de l’art, relativement aux pratiques, que « les artistes se livrent aussi à

Page 31: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

19

l’exercice d’une pratique théorisée, nourrie des commentaires venus de tous ces

horizons31 », elle souligne la place centrale qu’occupe l’ensemble des angles de

vue, tantôt homogènes, tantôt hétérogènes, dans la formulation théorique

conformément aux circonstances de leur réalisation. Cauquelin ajoute que

« L’œuvre “en soi” [...] se dit œuvre au travers de la condition d’une mise en

forme [...] Hors du site, que la théorie a construit et que les théorisations

maintiennent vivant, elle n’est rien32. » Nul ne doit donc être réticent à faire des

erreurs, ou mauvais choix, car durant une recherche-création il s’agit de se

découvrir soi-même dans un aller-retour entre la pratique et la théorie.

La réflexion sur l’art étant essentielle pour nous, établissons un parallèle entre

notre démarche et le concept du fab lab. Dans Fab Lab - L’avant-garde de la

nouvelle révolution industrielle, Fabien Eychenne s’intéresse à la révolution

numérique et la fabrication numérique ainsi qu’à l’histoire et la typologie du fab

lab. Il définit le fab lab comme « plateforme de prototypage rapide d’objets

physiques, intelligents ou non 33 ». L’auteur relate que « Le premier fab lab

émerge au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le cadre du

laboratoire interdisciplinaire Center for Bits and Atoms (CBA) fondé, en 2001, par

31 Anne Cauquelin, Les théories de l’art, Paris : Presses universitaires de France, Collection « Que

sais-je? », 2010, p. 7. 32 Op. cit., p. 9.

33 Fabien Eychenne, Fab Lab - L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle, Limoges : Fyp

éditions, 2012, p. 9.

Page 32: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

20

la National Science Foundation (NSF)34. »

Son appellation est une abréviation de FABrication LABoratory, et sa mission est

de rendre accessibles ses outils et ses processus de fabrication numérique grâce

à son réseau international de laboratoires. Il s’adresse aux artistes, designers,

inventeurs, entrepreneurs et étudiants, qu’il met en relation et dont il permet le

partage d’expérience et de savoir. Dans le même ouvrage, Eychenne synthétise

l’apprentissage qui s’y fait : « Apprendre en pratiquant, en faisant des erreurs, en

favorisant l’entraide font partie des méthodes d’apprentissage développées dans

les fab labs35 . » Le réseau se développe mondialement en s’adaptant et en

utilisant les spécificités culturelles, techniques, économiques et sociales des

localités où il se trouve. Dans le genre du fab lab, l’atmosphère et les conditions

de l’environnement de travail où plusieurs membres du groupe In the B

échangeaient leurs idées avec motivation et générosité furent très avantageuses.

Relativement aux participants lors de créations collaboratives, Maia Engeli

insiste dans Bits and spaces: architecture and computing for physical, virtual,

hybrid realms: 33 projects by Architecture and CAAD, ETH Zurich que partager

leurs idées permet de faire contribuer leurs forces au processus général et

d’améliorer leurs faiblesses en comprenant et intégrant les idées des autres36.

34 Op. cit., p. 11. 35 Op. cit., p. 105.

36 Maia Engeli [dir.], Bits and spaces: architecture and computing for physical, virtual, hybrid

Page 33: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

21

Dans Digital stories: the poetics of communication, elle conclut que les étudiants

apprennent beaucoup en regardant le travail des autres, car ils comparent

différentes solutions à la même tâche et jugent ce qu’ils voient37. Dans ces

circonstances, nous pouvions aussi évaluer ce que nous concevions.

Dans l’ouvrage Culture, technology & creativity in the late twentieth century,

Marga Bijvoet soutient, à propos du groupe E. A. T., qu’un résultat important de

ses activités était de permettre aux artistes d’avoir accès à une technologie de

pointe presque impossible de se procurer autrement38. Avec In the B, nous avons

bénéficié des avantages que procurent l’échange de pratiques et la confrontation

d’idées, ainsi que des moyens techniques dus aux ressources matérielles du

collectif.

En second lieu, dans la continuité de nos studios, de nos études et de nos

créations d’approche : notre création intermédiatique 시간은 영원하지 않아39 –

Le temps n’est pas pour toujours. Ce spectacle fut présenté à Séoul le 16 mai

2015 et préparé en fonction des particularités propres à la création médiatique

et urbaine sud-coréenne.

realms: 33 projects by Architecture and CAAD, ETH Zurich, Boston: Birkhäuser, 2001, p. 38.

37 Maia Engeli, Digital stories: the poetics of communication, Basel/Boston: Birkhäuser,

Collection « IT revolution in architecture », 2000, p. 91.

38 Philip Hayward [dir.], Culture, technology & creativity in the late twentieth century, London:

Libbey, 1990, p. 32.

39 Shiganeun Yeongwonhaji Anha, en romanisation.

Page 34: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

22

Nous avons commencé par l’approche conceptuelle de la création. À cette étape

antérieure à la réalisation de notre spectacle, nous avons entamé l’écriture de

son scénario et en avons développé les thèmes principaux de façon intuitive.

Comme point de départ, nous avons pris les propos de Sol LeWitt figurant dans

Alinéas sur l’art conceptuel, considéré comme le premier manifeste de l’art

conceptuel : « Il n’est pas nécessaire que les idées soient complexes. La plupart

des bonnes idées sont d’une simplicité enfantine. Si les bonnes idées se donnent

pour simples, c’est qu’elles sont inévitables. [...] On trouve les bonnes idées

intuitivement 40 . » Aussi, nous concevons que ce dont parlent, traitent et

s’inspirent les travaux artistiques doit être de circonstance. Il faut que ceux-ci

prennent compte, en se modelant, de ce que nous sommes ainsi que des

conditions déterminant la géographie urbaine de l’endroit où nous nous trouvons.

Les œuvres sont donc tenues de s’adresser aux sens et d’avoir la faculté

d’émouvoir et faire réfléchir le spectateur aux problèmes du monde.

Quant aux thèmes fondamentaux se dégageant de notre réflexion sur la ville-

écran dans la société numérique, nous en retenons quatre : l’identité, le temps,

la vitesse et la mémoire. Ces mêmes thèmes sont ceux qui furent développés au

cours de notre processus de scénarisation et servirent d’assises pour la

réalisation de notre création visuelle Le temps n’est pas pour toujours.

40 Sol LeWitt, Alinéas sur l’art conceptuel, dans « Art en Théorie, 1900-1990 », Paris : Hazan, 1997,

p. 910.

Page 35: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

23

L’identité est abordable comme suit : celle de l’individu immergé dans un espace

multiculturel dans lequel le temps joue un rôle déterminant dans la construction

et la déconstruction des relations. Imprégné de langues issues de cultures

différentes ainsi que de langages numériques et informatiques, nous tentons de

cerner davantage ce que nous sommes, virtuellement ou réellement, en pensée

ou en personne, au sein des autres citadins et des surfaces écraniques. Cet être

de chair et de sang toujours en mouvement dans la quotidienneté. Être qui

chemine à travers le quasi insaisissable espace urbain.

Quant au temps, il amène à réfléchir sur la durée dans laquelle se succèdent les

événements. Ce sentiment de l’écoulement des actions et des circonstances

s’opérant de manière indéterminée, mais dans la continuité. Ce thème soulève

d’autres questions. Notamment, le temps est-il vraiment ici et maintenant? Nous

n’en sommes pas convaincu, car seulement le fait de le dire ou même de le

penser, déjà il n’est plus. Peut-être chemine-t-il plus vite que nous? Et pourquoi

ne pas en faire un parallèle avec les nouvelles technologies? Se développent-

elles plus rapidement que l’humain?

Ou encore, pensons aux données en temps réel du 5e écran qui montrent le

présent auquel nous participons, le rôle du temps dans le développement de

notre vie intérieure menant à un nouvel état de connaissance, l’étirement du

temps chez Robert Wilson, l’éclatement du temps chez William Burroughs, la

temporalité liée à l’immortalité de la vidéo ainsi que son caractère illusoire chez

Page 36: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

24

le Sud-Coréen Paik Nam June (백남준), l’abolition de la contrainte temporelle

dans les échanges grâce à l’Internet, le temps que perdent les non-experts en

informatique à tenter en vain de développer la compétence numérique de

Doueihi, ainsi que le temps passé sur les réseaux sociaux ou à s’amuser à des

jeux vidéo.

Pour sa part, la vitesse nous touche profondément. Qu’elle soit incarnée par les

machines, l’industrie lourde, les aboutissements scientifiques, les avancées

technologiques, la surexcitation des vastes agglomérations, le bouillonnement

industriel, la folie des foules ou encore l’accélération continue et démesurée des

communications, elle inspire le mouvement, le changement, le déplacement.

Cette idée de voyage et de passage à une autre étape, un autre lieu, une autre

période. Le parcours d’un espace transitif. Un renouvellement. Une

reconfiguration. Un départ. Une traversée d’une distance définie ou non, en un

minimum de temps. Une vivacité. Une intensité. Une destination inédite,

inexplorée. En lien avec l’environnement urbain, la rapidité est éternelle et

caractérise le progrès et l’évolution de ses réseaux de transportation.

La mémoire contient les souvenirs, heureux ou moins, isolés ou rassemblés,

proches ou reculés, qui y sont enregistrés, conservés et restitués. Un peu comme

des archives, ou fichiers, qui seraient rangés dans une bibliothèque. Elle permet

de faire revenir à l’esprit, à la conscience, une connaissance, un savoir, une

expérience acquise antérieurement. Pensons aux aide-mémoire, écrits destinés

Page 37: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

25

à contrecarrer l’oubli, et en informatique, à la mémoire d’un ordinateur, organe

d’enregistrement de données, de programmes et de résultats partiels possédant

une dimension subjective et prophétique.

La mémoire consiste également en l’ensemble des informations sensorielles

situées dans le cerveau sous l’aspect de traces. Qu’elles soient visuelles,

auditives, tactiles, olfactives ou gustatives, ces impressions sont le souvenir de

quelque chose qui n’est plus, une référence, une sélection des faits et

circonstances mis en lien les uns avec les autres. La mémoire devient alors une

résultante de tout geste posé sur les tribunes des réseaux sociaux ou des

marques exprimées par le code numérique au discours fragmentaire.

Pour l’approche méthodologique de notre œuvre Le temps n’est pas pour

toujours, nous avons poursuivi la scénarisation et déterminé ses paramètres

organisationnels en fonction des observations notées au cours de nos

recherches et des conclusions tirées durant nos laboratoires. Entre autres, nous

avons installé l’assise de la création sur le toit d’un bâtiment. De cet espace où

s’effectua la représentation, nous avions vue sur la ville. Nous étions situés en

plein cœur de l’urbain : tout autour, des édifices, gratte-ciels, écoles, églises,

parcs et gares. Certaines de ces infrastructures étaient plus élevées que l’endroit

sur lequel nous nous trouvions, et d’autres constructions moins élevées. Furent

aussi inclus dans l’environnement : personnes de tout type (sexe, couleur, âge,

grandeur, poids, habillement...), moyens de transport (trains, vélos, voitures,

Page 38: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

26

camions, autobus, bateaux...), annonces publicitaires (affiches, panneaux,

vitrines...) et sonorités (voix, cris, crissements de pneus, klaxons, bruits de vent,

sonneries de téléphones...).

À un certain stade de notre scénarisation (entre 2012 et 2014), nous envisagions

d’installer sur notre surface de jeu des moulages ou reproductions de sculptures

[Unique Forms of Continuity in Space (L’Homme en mouvement) de Umberto

Boccioni41, Le Défenseur du temps de Jacques Monestier42 et le Hammering Man

(Homme Martelant) de Jonathan Borofsky43] et structures [horloges multicolores

aux tailles et formes hétérogènes, rideaux blancs assez légers pour se déplacer

au vent, cubes blancs de tailles différentes, lit blanc et drap blanc, table de

chevet blanche avec deux tiroirs et sur laquelle se trouveraient un singe en

peluche nommé Bongo (봉고), lampe de chevet blanche dans laquelle serait

placée une caméra filmant en direct, trois panneaux blancs de plusieurs mètres

par plusieurs mètres, sièges et ceintures d’avions, poignées de soutien d’autobus

accrochées à des pôles, bancs de trains, et bouche de métro à l’entrée de notre

aire de représentation par laquelle les gens devraient passer pour accéder au

41 Umberto Boccioni, Unique Forms of Continuity in Space (Forme uniche della continuità nello

spazio), 1913, Bronze (121.9 x 15½ x 91.4 cm), New York: Metropolitan Museum of Art.

42 Jacques Monestier, Le Défenseur du temps, 1979, Horloge à automates (Hauteur : 4 m, Poids :

1 t environ), Paris : Quartier de l’Horloge, 3e arrondissement.

43 Jonathan Borofsky, Hammering Man, 2002, Permanent installation, painted steel, electric

motor (height: 22 m, weight: 50 t) South Korea: Seoul, Heungkuk building.

Page 39: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

27

spectacle] qui agiraient en tant que décors, accessoires et surfaces de

projections.

Dans une volonté de simplicité et pour des raisons pratiques, seuls le lit, le drap

et la table de chevet (de couleur bois plutôt que blanche) furent gardés

intégralement. Les trois panneaux furent remplacés par seize boîtes de carton

faisant office de deux murs derrière le lit, tandis que les moulages ou

reproductions de sculptures, structures, sièges et ceintures d’avions, poignées

de soutien d’autobus, bancs de trains et bouche de métro furent intégrés dans

la vidéo. Par exemple, on y voit maintes images de moyens de transport, une

photo de L’Homme en mouvement, une vidéo du Défenseur du temps, une vidéo

et quarante photos de L’Homme Martelant, ainsi qu’une vidéo répétée 5 fois de

l’horloge se trouvant devant le Centre d’arts de Séoul44. Des espaces furent aussi

prévus pour la technique et les techniciens.

Contextualisation du groupe In the B en Corée du Sud

Le groupe d’art vidéo45 In the B est basé à Séoul, ville de premier plan dans les

technologies de l’information et de la communication. Dans l’article titré 50

reasons why Seoul is the world’s greatest city de Frances Cha et Lucy Come, elle

44 예술의 전당 (Yesului Jeondang, en romanisation) – Seoul Arts Center.

45 비디오 아트 (Bidio Ateu, en romanisation), de l’anglais Video Art.

Page 40: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

28

est décrite comme la ville la plus connectée au monde46. En matière d’avancées

technologiques, elle figure en tête de liste des trente villes les plus urbanisées

au monde dans le rapport Cities of Opportunity 6 effectué par PwC

(PricewaterhouseCoopers)47. The Chosun Ilbo rapporte que la culture numérique

coréenne créée par une connectivité Internet haut débit répandue fut citée

comme son meilleur attribut lors d’un sondage élaboré par Corea Image

Communication Institute en 2014, six étrangers sur dix ainsi que cinq Coréens

sur dix ayant dit que l’utilisation d’Internet omniprésente était la caractéristique

la plus compétitive du pays48.

La Corée du Sud, en tant que remarquable infrastructure économique et

puissance informatique, connue pour son Internet à haut débit en tête des

membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques

(OCDE), est un excellent exemple de culture numérique, et la mégalopole de

Séoul en constitue un modèle. Dans La grande conversion numérique, Doueihi

confirme que la République de Corée, « peut-être aujourd’hui l’un des pays les

plus connectés du monde, est un exemple classique. [...] Dans une société où se

46 Frances Cha and Lucy Come, 50 reasons why Seoul is the world’s greatest city, CNN

International, May 25th, 2011, <http://travel.cnn.com/seoul/life/50-reasons-why-seoul-worlds-

greatest-city-534720>.

47 PWC (PricewaterhouseCoopers), Cities of Opportunity 6, 2014, <http://www.pwc.com/us/en/

cities-of-opportunity/2014/assets/cities-of-opportunity-2014.pdf>, p. 8.

48 The Chosun Ilbo, Korea's Digital Culture Named Country's Top Attribute, Chosun, July 11th,

2014, <http://english.chosun.com/site/data/html_dir/2014/07/11/2014071100611.html>.

Page 41: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

29

mettre en réseau est aussi populaire que boire un verre ensemble, l’information

se répand vite49. » À un point tel que, comme le rapporte Dan Simmons dans

Cyber bullying rises in S Korea, passer autant de temps en ligne créa le

phénomène croissant de la cyberviolence aux effets affligeants sur le statut

social de ses victimes (dont l’adresse du domicile, les détails de carte de crédit

et même les numéros de téléphone de leur patron sont transmis)50.

À propos des abonnés résidentiels à la fibre optique, Daniel Kaplan, Philippe

Durance, Alain Puissochet et Stéphane Vincent expliquent, dans Technologies et

prospective territoriale, les ordres de grandeur de marché : conformément aux

chiffres du FTTH Council (Fiber to the Home) en 2007, les pays leaders étaient

la Corée du Sud, le Japon et Hong Kong, suivis par Taïwan51. Nous avons vérifié

les statistiques sur le site du FTTH Council et découvert que la Corée du Sud

continuait de mener le marché en 2012 avec 58 % des ménages connectés52.

Dans l’article S. Korea ranks 7th in science capability scale in 2014 de Kang Yoon-

seung, on apprend en outre que la Corée du Sud monta d’un cran en 2014 en

49 Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Paris : Seuil, Collection « Librairie du XXIe

siècle », 2008, p. 127. 50 Dan Simmons, Cyber bullying rises in S Korea, BBC Click Online, November 3rd, 2006,

<http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/click_online/6112754.stm>.

51 Daniel Kaplan, Philippe Durance, Alain Puissochet et al., Technologies et prospective

territoriale, Limoges : Fyp éditions, 2008, p. 23.

52 FTTH Administrator, Canada Joins Global Ranking of FTTH Countries, Virginia (USA): FTTH

Council Americas, February 16th, 2012, <http://www.ftthcouncil.org/p/bl/et/blogaid=15>.

Page 42: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

30

matière de capacités scientifiques et technologiques, se classant septième parmi

les membres de l’OCDE53.

C’est dans ce décor de besoin et de demande de communication et de mobilité

que l’offre et les moyens de transport s’amplifient en Corée du Sud et en

accroissent le territoire. Pensons particulièrement, comme l’expose Marzloff

dans Le 5e écran : les médias urbains dans la ville 2.0, à l’Eco Map. Cette dernière,

développée par Cisco, entreprise informatique spécialisée dans le matériel

réseau et dans les serveurs et les réseaux, est un système en concertation avec

trois villes : Séoul, Amsterdam et San Francisco. Une carte rend compte en temps

réel de l’ensemble des impacts des activités individuelles dans la ville. En

s’introduisant dans le système, on peut faire varier grâce à des logiciels les tarifs

en fonction des trafics et des congestions. L’utilisateur peut juger de ses

déplacements selon les prix et les bienfaits sur la communauté puisque ses choix

pourront modérer la circulation54.

Quant au système de transport public à Séoul, on dit dans The Smart Public

Transportation System in Seoul is the World’s Best qu’il fut nommé le meilleur

du monde et permet aux passagers de voyager facilement entre Séoul et la

53 Yoon-seung Kang, S. Korea ranks 7th in science capability scale in 2014, December 2nd, 2014,

<http://english.yonhapnews.co.kr/business/2014/12/02/12/0501000000AEN201412020024003

20F.html>.

54 Op. cit., p. 73.

Page 43: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

31

province de Gyeonggi à l’aide de tous les types de transport public, grâce à une

seule carte intelligente ajustant automatiquement les tarifs et offrant des rabais

sur les transferts. La ville propose d’autres services tels que Subway Navigation

et Seoul Bus, applications montrant les heures d’arrivée, les distances, et les

stations et les arrêts de métros et de bus à proximité55.

Dans Claude Lévi-Strauss contre l’art magique, Carlo Severi annonce, en se

référant à Lévi-Strauss, que « les productions artistiques sont des moyens de

communication inscrits dans la culture qui les a vues naître. [...] l’ensemble des

coutumes d’un peuple est toujours marqué par un style56. » Ce sujet est un des

concepts-clés de notre travail en développement continu. Dans Digital stories:

the poetics of communication, on se demande comment nous pouvons apprendre

sur les possibilités d’un médium toujours en évolution. On conclut qu’il faut

penser en termes dynamiques et que des explorations allant au-delà de ce qui

est actuellement connu aident à établir un processus dynamique orienté vers le

futur57. Notre territoire de recherche stimula donc notre démarche, tout en la

définissant.

Établi en Asie, il nous fallut apprendre à découvrir et à nous adapter à la pensée

55 The Korea Herald Online News, The Smart Public Transportation System in Seoul is the

World’s Best, March 26th, 2015, <http://m.koreaherald.com/view.php?ud=20150325000952>.

56 Carlo Severi, Claude Lévi-Strauss contre l’art magique, dans « Sciences Humaines, no Spécial »,

no 8 (novembre-décembre), France : Éditions Sciences Humaines, 2008, p. 65-66.

57 Op. cit., p. 86.

Page 44: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

32

orientale. Selon Gosselin et Le Coguiec, celle-ci « s’attache à exploiter la

situation plutôt que l’investissement humain et la stratégie plutôt que la

théorie58. » Les chercheurs ajoutent : « Dans la formation traditionnelle orientale

de l’artiste et du combattant [...] ils s’appuient [...] sur le potentiel de la

situation. [...] ils doivent avoir développé une intelligence rusée et des réflexes

d’adaptation aux contingences des situations changeantes et mouvantes59. » En

allant de l’Occident à l’Orient, notre situation était similaire à celle de Paik, mais

à l’opposé, puisque ce dernier alla de l’Asie à l’Ouest.

Examinons l’accueil des premières œuvres de Paik, achetées en 1978 par le

Musée d’art moderne de Vienne. Dieter Ronte résume dans son essai Nam June

Paik’s Early Works in Vienna tiré de Nam June Paik que le travail de l’artiste

coréen était généralement incompris par le public. Il ne connaissait pas ses

origines, le comment et le pourquoi, hésitait à accepter de nouvelles normes

esthétiques, et surtout manquait de connaissances pour comprendre le

patrimoine asiatique dans le travail de Paik60. À l’inverse, toujours d’après Ronte,

Paik considérait le piano comme un simple objet. Celui-ci n’avait pas, pour lui,

Coréen, de tradition culturelle, et son intention était moins de faire de la musique

58 Op. cit., p. 74.

59 Op. cit., p. 75.

60 John G. Hanhardt, Nam June Paik, New York: Whitney Museum of American Art, 1982, p. 73.

Page 45: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

33

que d’enrichir Dada en ajoutant des effets musicaux61.

Pareillement pour nous, que signifiaient les instruments de musique traditionnels

de Corée tels que le tambour buk (북) de même que le yanggum (양금) possédant

soixante-douze cordes réparties sur deux séries de neuf chevalets inamovibles

comportant quatre cordes de métal et faisant partie de la famille des cithares sur

table? Et que connaissions-nous du gayageum (가야금), aussi de la famille des

cithares, ainsi que du tambour à bâton janggu (장구), de la grande flûte

traversière en bambou taegum (대금) et du piri (피리), instrument à vent se

différenciant des autres hautbois par sa perce cylindrique en bambou et la

largeur de son embouchure? Enfin, quel était le potentiel des instruments comme

celui à anche double au corps conique avec un cornet en forme de coupe appelé

taepyeongso (태평소) ainsi que l’ancien lithophone chinois pyeongyeong (편경)?

Sur l’héritage culturel et historique chinois, et plus globalement asiatique, Paik

croit que l’emprise du confucianisme obligeant la société à une obéissance

complète et verticale envers les plus âgés ne donne que peu de place à la liberté

individuelle. Lors d’une entrevue avec David Ross dans Nam June Paik: video

time, video space, il annonce qu’en tant qu’Asiatique, il donne crédit à la

civilisation occidentale, ayant le pouvoir dialectique de se régénérer

61 Op. cit., p. 74.

Page 46: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

34

constamment, alors que l’histoire de l’Asie est soumise à la stagnation62.

En dépit des formidables avancées technologiques et économiques de bon

nombre de pays asiatiques, la mentalité n’a que très peu évolué. Sur les

conséquences de cette idéologie contraignante, voici deux exemples frappants

relatés par Paik dans le même entretien. En premier lieu, malgré les cinquante

mille noms que compte la langue chinoise, aucun ne voudrait dire liberté. En

second lieu, vers la fin du XIXe siècle, lorsqu’il s’agissait de traduire des concepts

et des noms européens en japonais, le concept de tâche aurait été très facile à

traduire tandis que le mot droit, celui de faire ou de posséder quelque chose,

aurait été très complexe63.

C’est dans cette logique ainsi que cette effervescence technologique,

intellectuelle et culturelle que les studios de recherche-création, de même que

les études et les créations d’approche, furent effectués. Leur examen est l’objet

déclaré du troisième et avant-dernier chapitre de notre partie pratique.

Plan de présentation

La première partie de notre thèse, Le temps n’est pas pour toujours (시간은

영원하지 않아 – Time’s not forever), se découpe en quatre chapitres. Le premier

62 Toni Stooss and Thomas Kellein (ed.), Nam June Paik: video time, video space, New York: H.N.

Abrams, 1993, p. 58.

63 Ibid.

Page 47: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

35

décrit succinctement les modalités de notre création intermédiatique présentée

à Séoul le 16 mai 2015. Le script original, divisé en cinq scènes (Prologue, I – À

un moment donné, II – Pendant, III – Enfin, Épilogue), suit ce dernier. Dans le

troisième chapitre, sont présentés nos quatre studios de recherche-création

ainsi que nos six études et nos six créations d’approche. Ceux-ci furent effectués

avec In the B entre juillet 2011 et mars 2014. Il s’agit de cerner comment ces

expérimentations (intégrant vidéo-clips, installations, performances médiatiques

et happenings) firent progresser notre travail et déceler la matière retenue de

chacune d’entre elles pour l’œuvre finale. Pour clore ce volet, le processus

d’écriture et les traces de notre spectacle intermédiatique, s’étalant d’avril 2011

à mai 2015, permettent d’entrer au sein du développement pratique, lequel se

produit en dialoguant avec les concepts théoriques. Parmi les annexes de celui-

ci, la dédicace de la première, aux victimes du bateau sud-coréen Sewol qui coula

en Corée du Sud, est exposée à travers les circonstances du naufrage et ce

qu’elles révèlent sur la culture nationale de notre territoire d’exploration.

La deuxième partie, L’espace urbain comme lieu de création intermédiatique,

représente le volet théorique de notre recherche-création. Elle aborde

principalement la culture numérique, axe clé et prépondérant de notre étude.

Également, elle traite de l’intégration et de l’impact, tant sur le citoyen que sur

l’organisation spectaculaire de l’espace citadin, des technologies de

l’information et de la communication. Dans le premier chapitre, il importe de

Page 48: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

36

scruter les productions médiatiques sur scène et en milieu urbain afin d’en

définir les formes et les types de pratiques, de même qu’approfondir les

esthétiques artistiques et culturelles qui les constituent et les animent. Dans le

deuxième et dernier chapitre de cette partie, il s’agit de s’interroger sur le monde

numérique, les concepts scientifiques et techniques sur lesquels repose sa

révolution, ainsi que les raisons de sa mutation. Dans le prolongement de ces

notions, il convient de dégager comment la mise en espace des images et des

sonorités dans les spectacles contemporains se voit modifiée sans cesse par

notre rapport à cette prolifération écranique. Dans notre société intermédiatique,

l’espace de la ville est ainsi lié à la représentation et devient la mise en place de

son histoire et de sa mémoire. L’analyse des spécificités de l’élaboration d’une

création visuelle urbaine, où l’expérience esthétique de l’écran est assimilée avec

le réel, conclut ce volet.

Page 49: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

37

PARTIE I (VOLET PRATIQUE)

LE TEMPS N’EST PAS POUR TOUJOURS

(시간은 영원하지 않아 – TIME’S NOT FOREVER)

1. Abrégé descriptif du spectacle

Titre : Le temps n’est pas pour toujours (시간은 영원하지 않아, Shiganeun

Yeongwonhaji Anha – Time’s Not Forever).

Genre : Création intermédiatique.

Nombre d’acteurs et de spectateurs : Spectacle solo, environ trente personnes.

Durée : Trente-cinq minutes.

Moment du jour : Pénombre, tombée de la nuit (début : clarté; fin : noirceur).

Date et lieu : 16 mai 2015 (19:30), Séoul (Corée du Sud), toit d’un bâtiment.

Décor, accessoires et surfaces de projections : Lieu urbain.

Autour : édifices, écoles, églises, parcs, ponts, gens, moyens de transport

(voitures, autobus, trains, bateaux, vélos, avions, motos, camions...), signalétique,

annonces publicitaires, sons urbains, rame de trains et la rivière Han.

Sur la surface : lit avec paire de draps blancs; 16 boîtes de carton derrière le lit

formant deux larges murs; spectateurs (assis au sol ou debout) à une vingtaine

de pieds du lit; table de chevet à côté du lit avec Bongo (singe en peluche) ainsi

que sous-vêtement et camisole noirs dessus; pantalon blanc, gilet blanc à

manches longues noires et ceinture orange sur les marches d’un escabeau

Page 50: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

38

devant le lit; caméra fixe (téléphone) avec trépied sur un deuxième toit

(atteignable par l’escabeau) transmettant en direct sur Internet; caméra sur

trépied face au lit et manipulée par un caméraman; caisse de son et ordinateur

(Macintosh) sur table (près de la table de chevet); espace pour projecteur et

technicien sur la surface surélevée (à une dizaine de mètres des boîtes); et

technicien derrière les boîtes les empêchant de tomber au vent.

Scènes : Prologue, I – 나중에 (Na-jung-e, Later / Someday – À un moment

donné), II – 동안 (Dong-an, During / Now – Pendant), III – 마지막 (Ma-ji-mak, In

the end / Finally – Enfin), Épilogue.

Thèmes principaux : Identité, temps, vitesse et mémoire.

Images projetées : Moyens et lieux de transport, horloges, tableaux, sculptures,

personnes, Sejong le Grand, alphabet coréen, autoroutes, rues, vagues, chutes

d’eau, drapeaux, bâtiments, gratte-ciels, machinerie, bancs de parc et paysages.

Sonorités : Voix (préenregistrées et en direct), pleurs, rires, feux d’artifice (en

direct), lieux et moyens de transport, machinerie, ambiances (restaurant et café),

cloches, musiques (violon, piano et clavier électronique), chutes d’eau, sonneries

et vent.

Logiciels audiovisuels : Final Cut Pro (montage) et VDMX (vjing et mapping).

Langues : Française, anglaise, coréenne et italienne (mais écrite surtout

coréenne).

Coût d’entrée : 10 000 wons sud-coréens (environ 10 dollars américains).

Page 51: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

39

2. Script du spectacle Le temps n’est pas pour toujours64 (16 mai 2015)

Pour faciliter la lecture de cette partie, bien que notre création intermédiatique

soit multilingue, les traductions françaises des textes d’Alain, de la Femme, de

l’Homme 1, de l’Homme 2, de Bongo, de Tiên et de l’Homme 3 furent privilégiées

aux versions originales pour figurer dans le corps du texte. Lorsque l’un de leurs

textes fut entendu autrement qu’en français, il possède une calligraphie

différente, la police Arial Narrow (plutôt qu’Arial Unicode MS), et sa version

originale est fournie en note de bas de page. Si tel n’est pas le cas, la police n’est

pas modifiée et il n’y a pas de note. Pour ce qui est des courts textes projetés

étant écrits en coréen ou en anglais, une traduction française en Arial Narrow les

accompagne dans le texte, entre parenthèses.

2.1 Prologue

A : Alain est couché sur le lit sous un drap blanc, les yeux fermés et la tête vers

les murs servant d’écrans derrière le lit. Il ne bouge pas. On ne voit que sa

silhouette. Au moment où les spectateurs entrent dans l’espace de jeu ayant vue

sur la ville et trouvent chacun un endroit pour s’asseoir ou pour y rester debout,

on voit et entend deux vidéos d’Alain en intérieur et de jour, sur les deux larges

panneaux. Ces deux longs plans de 3 minutes et 16 secondes furent tournés en

64 Annexe 2 (vidéo et 130 photos de notre création intermédiatique Le temps n’est pas pour

toujours).

Page 52: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

40

très gros plan sur son visage et on y voit derrière, à travers la fenêtre, les

bâtiments de l’espace urbain dans lequel il se trouve, à Séoul. Sur l’écran de

gauche, le visage d’Alain est à la gauche de l’image (point de vue du spectateur).

Il parle en anglais, en français, en italien et en coréen : « Et encore, après tout ça,

pensant à tout ce que nous avons fait, pensant à… comment elle était et, comment elle est sûrement

encore. Ma belle fille, mon bébé, mon trésor, n’est-ce pas? Mon inspiration. Maintenant, je l’utilise.

J’utilise mon inspiration et mes… toute mon affection que j’ai, pour elle. Je l’utilise pour… faire face à

la ville et reconstruire ce qui était, ce qui devait être fait, n’est-ce pas? J’essaie de construire encore,

j’essaie de… Parce que je veux la voir une autre fois, non? Nooon? Je veux retourner là, là-bas. Je

veux y retourner. Je veux la voir une autre fois, je veux… l’embrasser, je veux continuer ce que nous

avons commencé, je veux, je ne veux pas arrêter. Comment pouvons-nous arrêter? Quand nous avons

à peine commencé une relation qui était si… si, si belle. Nous avons des moments difficiles, oui, en

effet oui, je sais, je sais, je l’ai vu, je ne suis pas un con, je le sais. J’ai tout vu, mais… Quand nous

avons la confiance, quand nous avons, quand nous sommes forts, elle a dit que je ne l’étais pas, mais,

je pense que je le suis. Quand nous sommes forts, nous pouvons penser avoir la… la confiance, nous

pouvons avoir la force de, de… de continuer à, de ne pas arrêter, de, de... de croire, de croire que tout

est possible, c’est si important d’y croire, ma fille est si importante, la mienne. Nous verrons, mais

j’espère. Encore, je pense que… c’est possible. Nous pouvons nous revoir. À nouveau, ensemble, une

fois, nous serons ensemble encore une fois65. » Sur l’écran de droite, le visage est à la

65 Version originale : « And still, after all that, thinking about everything we did, thinking about...

how she was and, how she surely still is. My beautiful daughter, my baby, my treasure, right? My

inspiration. Now I’m using that. Using my inspiration and my... all my affection I have, for her. I’m

using it to... to face the city and to build again what was, what should be done, right? J’essaie de

construire encore, j’essaie de... Perchè voglio la vedere un’altra volta no? Nooo? Voglio tornare

qui, qua, di là. Voglio tornare di là. Voglio la vedere un’altra volta, voglio... abbracciarla, voglio

continuare ciò che abbiamo iniziato, voglio, non voglio fermare. Come possiamo fermare? Quando

abbiamo appena iniziato una relazione che era tanta... tanta, tanta bella. Abbiamo momenti

difficili, sì, davvero sì, lo so, lo so, l’ho visto, non sono un cazzo, lo so. Ho visto tutto, però... Quando

abbiamo la fiducia, quando abbiamo, quando siamo bravi, lei ha detto che non lo sono, però,

Page 53: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

41

droite de l’image. Il parle en anglais seulement : « Comment elle était belle. Toujours. Et

combien je voudrais lire à nouveau, comme elle a dit il y a quatre ou cinq mois : “Tu devrais revenir, tu

devrais être là”. Il y a deux mois, elle a dit : “Tu devrais revenir”, et, il y a quatre mois, elle a dit : “Papa,

j’aimerais que tu sois là”. Et… ma fille, elle est, encore, comme, presque tout, n’est-ce pas? Elle est

presque la raison, pour laquelle, pour laquelle je travaille comme un chien, tous les jours, n’est-ce pas?

Parce que je crois encore et j’aime y croire, même si ça fait mal, j’aime croire que le père la retrouvera.

Un jour, n’est-ce pas? Dans quelques mois et… C’est donc mon bureau, n’est-ce pas? Un de mes

bureaux, un ami me le donne, n’est-ce pas? Je peux travailler ici, et je travaille pour… essayer de bâtir,

de bâtir, de construire et d’édifier, quoi que ce soit pour… un nouveau monde, n’est-ce pas? Une partie

de… une partie de moi-même et une partie de tout et, si je peux être avec ma fille encore, ma belle, si

charmante et, si clownesse et idiote, et tout. La rencontrer à nouveau dans quelques mois, et la serrer

seulement, et encore dormir ensemble, comme des cuillères, n’est-ce pas? Croiser les jambes comme

nous le faisions et, juste, plusieurs fois face à face, l’un autour de l’autre, et juste marcher main dans

la main encore. Et s’asseoir comme des chiens, manger comme des chiens, manger des chiens, même

manger du chien le matin, n’est-ce pas? Avec une bière, et rire comme des chiens, et66… » À 1

penso che lo siano. Quando siamo bravi, possiamo penso avere la... la fiducia, possiamo avere la

forza di, di... di continuare di, di non fermare, di, di... di credere, di credere che tutto sia possibile,

è tanto importante di credere questo, è tanto importante la mia ragazza la mia. Vedremmo, però,

sto sperando. 아직도, 생각해, 그... 할수있어. 또 만날수있어. 또, 같이, una, 같이 다시 한번 있

을거야. » Et la dernière phrase en romanisation : « Ajikdo, saenggaghae, keu... halsuisseo. Tto

mannalsuisseo. Tto, gachi, una, gachi dashi hanbeon isseulgeoya. »

66 Version originale : « How beautiful she was. Always. And how much I would like to read again,

like four five months ago she said : “You should come back, you should be there”. Two months

ago she said “You should come back”, and, four months ago she said “Papa I wish you were here”.

And... my daughter, she’s, still, like, almost everything, right? She’s almost the reason, why, why

I work like a dog, everyday, right? Because still I believe and I like to believe, even if it hurts, I like

to believe that Father will meet her again. Someday, right? In a few months and... So that is my

office, right? One of my offices, a friend gives me, right? I can work here, and I’m working for...

trying to build in, to build, to construct and edify, whatever to... a new world, right? A part of... a

part of myself and a part of, everything and, if I can be with my daughter again my, beautiful so

charming and, so clown and idiot, and everything. Meet her again in a few months, and just hug

her, and again sleep together, just like, hugging each other like spoons, right? Crossing the legs

Page 54: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

42

minute (et ce jusqu’à la fin), les deux surfaces de projection se divisent en deux

pour former un total de six projections simultanées (3 sur chaque mur). Les deux

dernières images se dirigent vers le haut et se dédoublent (occupant donc la

moitié de chacun des panneaux). Dans les deux parties en bas des murs

s’ajoutent deux montages de vidéos tournées à Séoul, en extérieur, de jour et

sous le soleil, soit à partir du toit de l’hôtel de ville, en vue aérienne (tel un

observateur), soit directement de la rue, dans l’action (tel un participant). Parmi

ces images, on retrouve le trafic et l’espace urbains (piétons, voitures, autobus,

édifices, camions, signalétique écranique des commerces et annonces

publicitaires); les magnifiques et imposantes statues de l’amiral Yi Sun-sin

(commandant naval) et de Sejong le Grand (inventeur de l’alphabet coréen) ainsi

que le réputé Centre du livre Kyobo de la place Gwanghwamun; une affiche

promotionnelle de chirurgie plastique pour le visage (페이스라인67 – Face line)

sur un autocar; ainsi qu’un immense « ? » jaune sur un bâtiment suscitant la

curiosité de savoir qui l’y a placé (un commerçant ou les autorités municipales?)

et pourquoi, de même que le désir de connaître ce qui s’y trouve (entreprise ou

domicile?). Nous entendons aussi tous les sons de ces vidéos.

B : Sur les surfaces de projection, nous voyons apparaître en même temps, sur

like we used to do and, just, many times face to face, around each other, and just like, walk hand

in hand again. And sit like dogs, eat like dogs, eat dogs, even eat dog in the morning, right? With

a beer, and laughing like dogs, and... »

67 Peiseu Lain, en romanisation.

Page 55: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

43

fond noir, quatre images avec les mots (dans l’ordre, à l’horizontale, de gauche à

droite) 시간은, 영원, 하지 et 않아 (Shiganeun Yeongwon Haji Anha, Le temps

n’est pas pour toujours), durant 5 secondes. Il n’y pas de son. Ces photos

asymétriques (et toutes les suivantes) sur lesquelles se trouvent des mots écrits

par nous-même sur un tableau blanc à l’aide de bâtons de bois représentant les

traits qui servent à former les caractères de l’alphabet coréen, furent prises à

L’Atelier du Hangeul du Musée national du Hangeul. Par leur imperfection, leur

singularité et leur aspect artisanal, elles ajoutent une touche personnelle et

personnalisée tout en caractérisant notre relation avec le Hangeul.

C : Alain reste couché sous les draps, les yeux clos et la tête vers les écrans. Le

public est complet, on revoit et réentend les deux vidéos (très gros plan sur le

visage) sur les murs. Cependant, les voix sont répétées 2 fois (reprises

intégralement) avec un décalage de 4 secondes. En outre, les vidéos du trafic et

de l’espace urbains (débutant après 1 minute), qui furent aussi tournées à Séoul,

en extérieur et de jour, diffèrent, car elles sont sous la pluie et toutes prises

directement dans les rues de Gangnam (certaines même en marchant, tel un

actant, leur ajoutant une forme d’instabilité chaotique). Tous les bruits de celles-

ci (y compris la pluie battante) s’ajoutent aux voix multipliées et amplifient la

discordance de la surcharge sonore urbaine. Cette disharmonie peut même

devenir agressante à l’oreille, surtout si l’on cherche à tout entendre et tout

comprendre.

Page 56: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

44

D : Sur les surfaces de projection réapparaissent les quatre images 시간은, 영원,

하지 et 않아 (Shiganeun Yeongwon Haji Anha, Le temps n’est pas pour toujours)

durant 5 secondes. Pour le son, il s’agit d’une ambiance de restaurant du quartier

Sinchon dont la clientèle agitée est bruyante et exubérante.

E : Sur les deux murs apparaît sur fond noir et en même temps la même image,

시작 (Shijak, Début), durant 5 secondes. Le son est la continuité du précédent.

2.2 I – 나중에 (Na-jung-e, Later / Someday – À un moment donné)

A : Sur les deux surfaces apparaît la même image, 나중에 (Najunge, À un moment

donné), durant 5 secondes. Le son demeure l’ambiance turbulente de restaurant.

B : Sur les panneaux, nous voyons deux clips de 13 secondes. Il s’agit du même

de chaque côté et il fut pris à la DMZ, zone coréenne démilitarisée. L’image et le

son présentent une locomotive, exposée à Imjingak, qui fut criblée de bombes

lors de la Guerre de Corée. Au cours des 4 secondes suivantes, le son du train

continue cependant que nous voyons deux photos distinctes de la locomotive.

Enfin, pour les 4 prochaines secondes, le son du train poursuit pendant que nous

voyons deux photos différentes à l’intérieur de la station Dorasan, qui reliait

autrefois les deux Corées et qui se trouve dans un secteur à accès limité et

surveillé par la police militaire (incluant aussi contrôle frontalier, douanes et

immigration). La direction Pyongyang (capitale de la Corée du Nord) clairement

Page 57: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

45

visible, ainsi que la promesse écrite de faire émerger cette station comme point

de départ du chemin de fer transcontinental advenant une connexion entre les

chemins de fer transcoréen (Trans-Korea Railway – TKR), transsibérien (Trans-

Siberia Railway – TSR) et transchinois (Trans-China Railway – TCR), évoquent

avec une torturante nostalgie, quoique teintée de l’optimisme remarquable et

quasi inébranlable des Sud-Coréens (qui n’ont pas signé l’armistice de

Panmunjeom mettant fin officiellement à la guerre), l’espoir d’une réunification

des parties déchirées (et toujours techniquement en conflit) ainsi que les

douloureuses souffrances des souvenirs bien vivants. Le fait que cette zone soit

presque inaccessible aux Coréens (en dépit qu’elle constitue leur histoire et leur

identité) est aussi susceptible d’enrichir la réception du regardeur coréen d’un

mélange de curiosité, d’inconfort et d’impuissance. Pendant ces 21 secondes,

Alain se retourne dans son lit en replaçant son drap et la partie gauche de son

corps (jambe, bras et visage) devient visible. À cet instant, le spectateur se

souvient (s’il l’avait oublié) qu’il assiste à une performance comprenant une

personne, un corps en mouvement, un matériau interagissant avec les

projections, et non dans un cinéma en plein air.

C : Sur les panneaux, nous voyons d’abord deux vidéos différentes de 15

secondes, enregistrées dans la baie de San Francisco. Sur la gauche, un bateau

se déplace de gauche à droite dans la jetée no 39; et sur la droite, un traversier

se dirige au large vers l’île d’Alcatraz. Nous voyons ensuite deux nouvelles vidéos

Page 58: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

46

de 30 secondes d’un fermier chinois, He Liangcai, se promenant parmi les

voitures sur son invention, une valise qui roule comme un scooter et est appelée

Suitcasemobile. Afin de varier la vitesse d’exécution des actions, la deuxième

vidéo, durant à l’origine 51 secondes, défile en accéléré et crée une ellipse dans

la présentation. Quant au son, nous entendons au cours des 15 premières

secondes, des annonces (en français) de stations de métro à Montréal (De

L’Église, Lionel-Groulx, Pie-IX, Berri-UQAM et Longueuil–Université-de-

Sherbrooke); alors que pour les 15 dernières ce sont celles (en anglais) de deux

arrêts à New York (Canal Street et Broadway Junction) et les transferts qui y sont

possibles. Durant ces 30 secondes, Alain se retourne à nouveau dans son lit en

replaçant son drap. On ne voit néanmoins que brièvement ses bras. Ce segment

audiovisuel poursuit l’appel au voyage, à la transition, à l’aventure et à la

découverte de nouvelles villes.

D : Sur les panneaux, nous voyons deux vidéos (la même de chaque côté)

pendant 1 minute et 4 secondes. L’image commence de côté (durant 12

secondes) et termine à l’endroit après un pivot dans le sens horaire. On y voit

l’intérieur du Musée des tramways à traction par câble de San Francisco et la

fantastique machinerie qui s’y trouve. Les moteurs et les nombreuses roues

tournantes du système, ainsi que la rotation de l’image, peuvent suggérer le

mouvement des horloges et le passage du temps. Au son intégral de la vidéo,

s’ajoutent trois voix répétées chacune à quatre reprises : une femme (Jihyeon

Page 59: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

47

Lee, Femme) demandant de manière robotique « Où est ma mémoire68? »; un homme

(Namjo Kim, Homme 1) posant la question « Avons-nous perdu nos paroles? »

avec inquiétude; et un autre homme (Kyunghwan Jin, Homme 2) disant avec

assurance « Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux aimer69. » Durant ce temps, Alain

reste complètement immobile, malgré le sensationnel chahut.

E : Sur les panneaux, nous voyons deux vidéos (la même de chaque côté)

d’autoroute (entre Montréal et Québec) pendant 1 minute. Pour choquer et

désorienter la vision du spectateur, l’image commence de côté (durant 16

secondes) et termine à l’envers après un pivot dans le sens antihoraire. Le clip

original fait 31 secondes, mais il passe au ralenti afin de prolonger l’action dans

le temps et de créer la sensation que le temps réel est bouleversé par des

circonstances exceptionnelles. Pour le son, nous avons deux voix préenregistrées,

celle d’Alain et celle de la Femme, qui suit avec un décalage de 3 secondes. Elles

récitent la prose Étoile filante 70 qui traite de l’éprouvante nostalgie et de la

déchirante tristesse qui surviennent quand une étoile filante disparaît trop vite :

« Quand la vie m’a amené où je me trouvais seul avec moi-même, j’ai vu une étoile filante. La meilleure

que je ne pourrais jamais imaginer. Quand elle part, vous vous sentez détruit, le corps veut fondre en

larmes, l’esprit se tamise et nos pas sont perdus. L’âme s’est effondrée. Je ne peux pas te demander

de revenir ou attendre ton retour. Il ne reste que l’espoir. Je n’étais pas prêt à voir ta disparition. J’étais

68 Version originale : « Where’s my memory? »

69 Version originale : « 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En romanisation :

« Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. » 70 Titre original : Shooting Star.

Page 60: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

48

aveugle. Et la lune était le témoin de notre fantaisie. Si étincelante et éclairante, comment ne pas avoir

cru que tu durerais pour toujours? Peu importe quand tu le désireras, illumine à nouveau notre éternité.

Je ferai pareil71. » Au demeurant, nous voyons sur les deux murs, les sous-titres en

Hangeul du texte débité72. Ici aussi, Alain reste complètement immobile.

F : Sur les murs, deux vidéos différentes montrent durant 1 minute des

reportages sur la tragédie du bateau de croisière Sewol qui a fait naufrage le 16

avril 2014 en Corée du Sud et a causé la mort de plus de 300 personnes sur les

71 Version originale : « When life brought me where I was alone with myself, I saw a shooting star.

The best I could ever imagine. When it’s gone, you feel destroyed, the body wants to shed in tears,

the mind is dimming and our footsteps are lost. The soul has collapsed. I can’t ask you to come

back or expect your return. Just hope is left. I wasn’t prepared to see your disappearance. I was

blind. And the moon was the witness of our fantasy. So sparkling and enlightening, how couldn’t

I have believed you won’t last forever? Whenever you desire, brighten anew our eternity. I’ll do

likewise. »

72 Sous-titres en Hangeul : « 유성 (슈팅스타) 그리고 삶이 나를 이끌고 있을 때 오로지 나 홀로

있던 그 곳에서 나는 유성을 보았다. 내가 상상할 수 있었던 최고. 그러나 그것이 사라지면 당

신은 파괴를 느끼고, 몸은 눈물을 터뜨리고, 마음은 희미해지고, 발자취마저 없어진다. 영혼도

무너진다. 당신이 다시 돌아오기를 요구하거나 기대할 수조차 없다. 정말 희망이 사라졌다. 나

는 당신이 사라지는 것을 볼 준비가 되어있지 않았다. 나는 눈이 멀었었다. 그리고 그 달이 우

리 환상의 목격자였다. 너무나 강렬하고 밝았기에, 내가 어떻게 당신이 영원하지 못할 것이라는

것을 믿을 수 있었던가? 당신이 소망할 때, 다시 한번 우리의 영원을 밝혀라. 나 역시 그럴 것

이다. » En romanisation : « Yuseong (Shyutingseuta) Geuligo salmi naleul ikkeulgo isseul ddae

oroji na horro ideon keu goseseo naneun yuseongeul boatda. Naega sangsanghal su isseotdeon

choego. Geureona geugeosi salajimyeon dangshineun pagoeleul neukkigo, momeul nunmuleul

teotteurigo, maeumeun huimihaejigo, baljachuimajeo eopseojinda. Yeonghondo muneojinda.

Dangshini dashi doraogileul yoguhageona gidaehal sujocha eopda. Jeongmal huimangi

sarajyeotda. Naneun dangshini sarajineun geoseul bol junbiga doeeoitji anhatda. Naneun nuni

meoleosseotda. Geuligo keu dali uri hwansangui mokgyeokjayeotda. Neomuna gangryeolhago

bakatgie, naega eotteoke dangshini yeongwonhaji mothal geosilaneun geoseul mideul su

isseotdeonga? Dangshini somanghal ddae, dashi hanbeon uriui yeongwoneul bakhyeora. Na

yeokshi geureol geosida. »

Page 61: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

49

476 passagers, dont la majorité était composée de lycéens. Les bandes originales

durent 2 minutes et 56 secondes (à gauche) ainsi que 2 minutes et 8 secondes

(à droite), mais elles passent en accéléré pour amplifier la brusquerie des

événements et notre impuissance devant eux, survenus de façon quasi irréelle

et trop vite. Les mots « Breaking News » (Dernières nouvelles ou Infos de dernière minute),

« Disaster at sea » (Désastre en mer), « Divers unable to reach bodies » (Plongeurs

incapables d’atteindre les corps), « I think we’re going to die... » (Je crois que nous allons

mourir…), « I really love you all » (Je vous aime vraiment tous), « Let’s all see each other

alive » (Voyons-nous tous vivants), « Korean ferry disaster » (Catastrophe du ferry coréen)

et « Vice principal of school commits suicide » (Le directeur adjoint de l’école se suicide)

soulignent l’atrocité de l’accident et la gravité de ses conséquences. Pour ce qui

est des sons, nous en avons plusieurs : tout au long de la scène, un moteur

d’hélicoptère à double flux (permettant d’imaginer les secours aériens) et

l’ambiance d’un café du quartier Myeong-dong (suggérant les conversations

entre les passagers du traversier); à partir de la 11e seconde, une sirène d’un

navire de croisière qui dure 18 secondes; ainsi qu’à partir de la 40e seconde

jusqu’à la fin, un bruit de cloche (celui des carillons du Big Ben à Londres, la

grande cloche qui se trouve au sommet de l’Elizabeth Tower, siège du parlement

britannique). De surcroît, nous avons des feux d’artifice en direct sur la rivière

Han quelques secondes après le début de la cloche. Alain, pour sa part, sursaute

à la 11e seconde (sirène de navire), mais se recouche rapidement. Au son du Big

Page 62: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

50

Ben, il sursaute plus violemment et reste quelques instants assis dans son lit

(nous voyons ainsi son visage), avant de se recoucher pour les deux dernières

secondes. Il joue aussi avec les feux d’artifice que nous entendons clairement

(même s’il ne les voit pas à cause du mur à sa gauche) en regardant au ciel et

vers le mur à quelques reprises. Cette improvisation, de même que sa

transformation en surface de projection et son visage ainsi que son ombre se

mêlant à la masse d’individus projetés, place son corps au cœur du dispositif

spectaculaire et en réaction avec les éléments extérieurs.

G : Sur les panneaux, nous voyons quatre vidéos enregistrées à San Francisco et

qui durent 1 minute et 7 secondes. Sur la gauche, tout est filmé de l’intérieur

d’un avion : en haut, le décollage d’un avion de nuit; et en bas, son vol de jour

(image de côté, volant vers le haut, pour dérouter l’œil du regardeur) durant 18

secondes, suivi de son atterrissage. Sur la droite, en haut : un paysage champêtre

filmé de l’intérieur d’un train en marche pendant 34 secondes; un métro qui part

vers la gauche durant 5 secondes vu du quai; ainsi qu’un métro qui arrive de la

droite pendant 28 secondes, aussi observé du quai. Sur la droite, en bas : des

voitures, des trams, des autobus, des vélos et des piétons qui circulent en ville.

Quant à la bande sonore, elle est composée d’une explication bilingue (en

français et en anglais) des procédures de sécurité (ceinture, interdiction de

fumer et sorties d’urgences) effectuée par des agents de bord, d’une consigne

de préparation au décollage d’un pilote d’avion ainsi que de pleurs de bébé. À

Page 63: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

51

travers cet assemblage concordant à nous poser directement au centre de

l’odyssée, Alain se rassoit dans son lit (on voit qu’il est torse nu) et regarde

autour de lui, vers le public et en haut et en bas, comme s’il cherchait à

comprendre cet espace dont il est le centre, curieux, mais surtout suspicieux et

méfiant. Nonobstant qu’il regarde parfois l’écran à sa gauche, il ne semble pas

réaliser ce qui s’y défile, ni en entendre les sons, ni constater la présence de

Bongo, le singe en peluche sur la table de chevet. Cela laisse croire qu’il n’a

aucune idée de l’endroit où il se trouve et de ce qui s’y déroule. En continuité,

nous avons les feux d’artifice.

H : Sur les murs, nous voyons pour 2 minutes huit vidéos (quatre sur chacun)

montrant une accumulation d’images urbaines (lieux et moyens de transport,

bâtiments, édifices, gratte-ciels, piétons, rues, passerelles, écrans, câbles

électriques, signalétique et enseignes publicitaires) qui furent toutes captées de

jour ou de nuit, sous la pluie ou au soleil, soit à Kuala Lumpur (sur le mur de

gauche), soit à Bangkok (sur celui de droite). Pour le son, nous avons tout au

long, un fond de bruits de la ville (provenant d’un des clips de Bangkok) ainsi que

les feux d’artifice. Également, à partir de la 10e seconde, la Femme récite

(pendant 35 secondes) un texte sur les thèmes de l’identité, de l’enfance, de la

mémoire, du voyage et du temps : « Mais tu avais dit que tu reviendrais. Tu m’avais dit que

tu serais étranger. Nous t’attendions. Où étais-tu dans notre obscurité? Y était-ce si clair que tu aies

pu tout oublier? Nous avons trouvé tes racines dans les ruines du balcon où tu jouais dans ton enfance.

Sur le chemin de nulle part, ça te prendra les bras et t’attrapera les pieds, tu ne seras plus divisé. Tes

Page 64: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

52

yeux reviendront. Le temps s’arrêtera à nouveau. Cette fois pour te rétablir, pour guérir le malaise

causé par ton départ73. » Après un silence de 10 secondes, Alain répète (pendant 25

secondes) en direct les dernières paroles « Sur le chemin de nulle part, ça te prendra les

bras et t’attrapera les pieds, tu ne seras plus divisé. Tes yeux reviendront. Le temps s’arrêtera à

nouveau. Cette fois pour te rétablir, pour guérir le malaise causé par ton départ 74 . »; tandis

qu’après un autre silence de 10 secondes, le même enregistrement de la Femme

répète (durant 25 secondes) les dernières paroles « Sur le chemin de nulle part, ça te

prendra les bras et t’attrapera les pieds, tu ne seras plus divisé. Tes yeux reviendront. Le temps

s’arrêtera à nouveau. Cette fois pour te rétablir, pour guérir le malaise causé par ton départ75. » Au

cours de l’entièreté de la scène, Alain retire son drap (on réalise qu’il est nu) et

enfile (en restant dans son lit, parmi les images citadines) le sous-vêtement et

la camisole noirs qui sont sur la table de chevet, à gauche du lit. Dans le genre

de l’homme perdu dans la noirceur revenant à la vie qui est décrit dans la

narration, il regarde les écrans et semble entendre et écouter la voix. Toutefois,

il ne paraît pas réaliser la présence de Bongo.

73 Version originale : « But you said you’d be back. You told me you’d be stranger. We waited for

you. Where were you in our darkness? Was it so bright, you could forget everything? We found

your roots in the ruins of the balcony you used to play in your childhood. On the way to nowhere,

it will catch your arms and grab your feet, you won’t be apart anymore. Your eyes will come back.

Time will stop again. This time to restore you, to cure the disease your departure brought. »

74 Version originale : « On the way to nowhere, it will catch your arms and grab your feet, you

won’t be apart anymore. Your eyes will come back. Time will stop again. This time to restore you,

to cure the disease your departure brought. »

75 Version originale : « On the way to nowhere, it will catch your arms and grab your feet, you

won’t be apart anymore. Your eyes will come back. Time will stop again. This time to restore you,

to cure the disease your departure brought. »

Page 65: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

53

I : Sur les panneaux, on voit seize vidéos (huit sur chacun) qui durent 3 minutes.

Parmi elles, on retrouve des moyens de transport tels que les trains, les trains à

grande et à très grande vitesse, les bateaux, les motos, les avions, les voitures,

les camions et les hélicoptères. Ces derniers sont généralement soit en difficulté,

soit littéralement impliqués dans des accidents (pour la majorité d’une extrême

violence). Le montage, originalement de 1 minute et 30 secondes, passe trois

fois et sa vitesse varie pour accentuer la brutalité et marquer les impacts :

d’abord en temps original; par la suite en accéléré (1 minute); et pour finir, en

très accéléré (30 secondes). Pour le son, les images projetées sont muettes, mais

après une quinzaine de secondes de silence, Alain, qui s’est levé et dirigé vers le

bout du lit, devant les spectateurs, confie (pendant 45 secondes) à ces derniers,

en s’assoyant : « Quand je suis arrivé ici, j’avais cœur et âme. Lentement, l’urbain me les a volés.

Le chemin est fragile et amène à la ville de nulle part. Ça court contre vous, contre moi, contre nous76. »

À la suite d’une courte pause, il enchaîne avec une pensée qui remet en question

la nature du temps et son rôle : « Le temps présent est-il réellement pour

toujours? Comment l’arrêter? Où est ce stupide maître du pendule qui ne connaît

rien de la joie et qui détruit ainsi tout risque d’espoir? Et comment chuis arrivé

ici? Qu’est-ce que je fais icitte? Qu’est-ce que je fais icitte, moé? » Il entame

76 Version originale : « When I arrived here, I was having heart and soul. Slowly, the urban stole

them from me. The path is fragile and leads to the city of nowhere. It is running against you,

against me, against us. »

Page 66: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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alors un dialogue d’une quarantaine de secondes avec Bongo, qui le surprend et

duquel la voix sympathique, apaisante et compatissante de Rémy Mettetal fut

préenregistrée : (Bongo) « Il y avait cette muse. » (Alain) « Oh Bongo! As-tu vu? »

(Bongo) « J’ai vécu. » (Alain) « Ah! Quoi, te souviens-tu d’un rêve? » (Bongo) « De

plusieurs. » (Alain) « Ah oui? Dis-moi le dernier! » (Bongo) « Il y avait cette muse.

Tout de suite, elle te séduisit. » (Alain) « Mais je partis. » (Bongo, en soupirant)

« Oui. Sans trop te le dire, elle t’attendait. T’espérait. Toi aussi. » (Alain) « Elle

m’attendait. Elle m’espérait. Moi aussi. » L’enregistrement de « Quand j’aime, je peux

aimer plus, plus je veux aimer77. » dit par l’Homme 2 passe à nouveau et Alain en répète

la réplique 2 fois en direct au moment où cessent les feux d’artifice. On réentend

après coup les mots « Où est ma mémoire78? » de la Femme, qu’Alain répète 2 fois,

avant de lancer « Ah! Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux aimer79. » En se levant, il

redit « Où est ma mémoire80? » et marche quelques pas en regardant tantôt derrière

le mur donnant sur la rivière Han, tantôt le système écranique avec lequel il

interfère grâce à son ombre et face auquel il s’arrête, devant le lit, pour le toiser.

Bongo reprend avec maturité : « Eh oui! Après tu l’as pleurée. Tu l’as laissée

partir sans même un je t’aime. » En se dirigeant vers le mur de droite, Alain

77 Version originale : « 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En romanisation :

« Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. »

78 Version originale : « Where’s my memory? »

79 Version originale : « Ah! 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En romanisation : « Ah!

Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. »

80 Version originale : « Where’s my memory? »

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répond « Elle a dit tu partiras, je suis parti! Et le temps ne sert à rien

maintenant!!! » et termine en frappant agressivement de la main droite la boîte

de carton du coin supérieur droit. Alors que celle-ci tombe devant le lit en laissant

un trou dans le mur, Alain fige son mouvement, la main en l’air, comme si on

gelait l’image pour nous faire concevoir le désarroi causé par la rupture.

2.3 II – 동안 (Dong-an, During / Now – Pendant)

A : Sur les deux surfaces apparaît la même image, 동안 (Dongan, Pendant),

durant 5 secondes. Il n’y a pas de son et Alain garde son mouvement fixe.

B : Bongo répond d’un ton clairvoyant « Un jour, tu la retrouveras. » cependant

qu’Alain reste figé. En même temps qu’apparaissent sur les 15 boîtes restantes

des images d’œuvres futuristes (dont certaines de Boccioni, Luigi Russolo,

Fortunato Depero, Daniel Schinasi, Natalia Goncharova et Tom Duquette)

illustrant notamment des moyens de transport (motos, trains, avions, bateaux),

Alain réplique « Ah, ça me revient maintenant81! » et poursuit avec « Comme ça82. » avant

d’enlever et de lancer ou déposer sur scène (certaines au sol, certaines sur le lit)

la moitié des boîtes du haut (un total de 7, une étant déjà sur scène) durant 1

minute et 47 secondes, opération qui permet de dévoiler davantage

l’environnement urbain. Simultanément, il joue la romantique prose Voyage

81 Version originale : « 아, 인제 기억나! » En romanisation : « A, inje gieokna! »

82 Version originale : « 이렇게. » En romanisation : « Ireoke. »

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exotique83 avec enthousiasme et bonheur : « Tu dors si paisiblement. Ton parfum me rappelle

ce que je cherchais depuis si longtemps. Si je voulais t’écrire une lettre d’amour, mais ça te réveillerait.

Quand nous nous sommes rencontrés la première fois, je me suis demandé comment ça pouvait être

un coup de foudre. Ensuite, j’ai retenu cette impulsion. Je... J’ai fermé mon cœur et mon âme avec des

mots, mais pour rien. Ces mots m’ont simplement laissé perdu avec la culpabilité et confus entre deux

mondes : celui passé à regretter et celui à découvrir, à désirer. Sur le balcon de notre nouveau

domicile84… » (en s’assoyant sur la rangée de bas du mur de gauche, le reste se

trouvant éparpillé au sol et sur le lit) « …comme c’est fantastique avec la présence que tu

nous as apportée! J’ai trouvé ce qu’il fallait trouver85. » (en se dirigeant vers l’avant-scène)

« Finalement, il y a un nouvel endroit, un voyage exotique. Le monde, la porte qui ouvre aux rires,

à 86 … »; tandis que nous entendons une nouvelle voix de femme (Tiên)

préenregistrée qui affirme, à de nombreuses reprises (87 fois, pour rehausser

l’importance de son message et mettre en valeur le romantisme de son charmant

accent) : « Chus fatiguée, chus fatiguée. » Tout au long, les 15 toiles futuristes

sont projetées tantôt sur les boîtes restantes, tantôt partiellement sur les boîtes

manipulées, tantôt dans le vide, tantôt sur Alain, le maître d’œuvre de cette

83 Titre original : Exotic Journey.

84 Version originale : « You sleep so peacefully. Your scent reminds me what I was looking for

from so long. If I wanted to write you a love letter, but it would wake you up. When we first met,

I wondered how it could be love at first sight. Then, I held that impulsion. I... I shut my heart and

my soul with words, but, useless. These words just left me, lost, with guiltiness and confused

between two worlds: the past to regret and the one to discover, the one to desire. On the balcony

of our new home... »

85 Version originale : « ...how fantastic it is with the presence you brought for us! I found what

needed to be found. »

86 Version originale : « Finally, there’s a new place, an exotic journey. The world, the door that

opens to laughs, to... »

Page 69: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

57

déconstruction du décor où il s’empare de ses fragments muraux.

C : Sur les 8 boîtes qui forment désormais les murs (quatre de chaque côté) et

quelques parcelles de boîtes éparpillées, jouent deux vidéos différentes. Il s’agit

de la même bande divisée en deux, de laquelle le bas est à gauche et le haut à

droite, comme si le dispositif de projection devait répondre au dispositif

écranique en se disloquant à son tour. La vidéo fut tournée au Centre d’arts de

Séoul et montre l’horloge se trouvant devant ainsi que des voitures, des autobus

et des camions qui y passent. La vidéo de 16 secondes est répétée 5 fois (total :

1 minute et 20 secondes) pour la fixer dans la mémoire visuelle afin de souligner

la récurrence du temps. Au cours de cela, Alain (dont le corps demeure aire de

projection) continue : « …la tendresse, à la folie, à… et si, si les étoiles sont bienfaisantes, au

bonheur; et si la lune est brillante, si la lune est brillante, à un état d’esprit plus pur87. » (devant le

public, après s’être dirigé vers l’escabeau pour enlever sa camisole et la

remplacer par le t-shirt blanc qui s’y trouve) « Dans ma maison, trop vaste et vide de ce

que nous ne sommes pas, mes tiroirs de mémoire ne sont plus. Pendant que je lutte contre mon

cerveau et mon corps, je ferme les yeux, te vois traverser la porte88. » (en avant-plan, après

être retourné vers l’escabeau pour y prendre le long pantalon blanc et le mettre)

« Tu traverses la porte, toi, tu souris, tu viens à moi, feignant de ne pas nous avoir manqués. Ah! Et

87 Version originale : « ...tenderness, craziness, to... and if, if the stars are nice, to happiness; and

if the moon is bright, if the moon is bright, to a purest state of mind. »

88 Version originale : « And now, in my house, too vast, and empty of what we are not, my drawers

of memory are gone. Meanwhile I’m fighting against my brain and my body, I shut my eyes, see

you cross the door. »

Page 70: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

58

alors89… »

D : Cette scène dure 1 minute et 54 secondes et toutes les vidéos et la bande

sonore ainsi que les photos qui y sont incluses furent captées au Musée national

du Hangeul et sont en lien avec Sejong et le Hangeul. Tout au long, sur les deux

murs (et parfois partiellement sur Alain ou dans le vide) on voit deux vidéos. Celle

de gauche, dont nous avons aussi la musique (violon et piano), est composée

d’une seule de 1 minute et 54 secondes, et elle consiste en une superbe

animation créant avec douceur et élégance un effet de feuilles volant au vent et

de neige tombant au sol (évoquant le passage des saisons). Celle de droite est

formée de trois clips différents (qui durent 1 minute et 16 secondes, 17 secondes

et 21 secondes) et montre un album de photos de ce que le grand alphabet

inspire dans la culture et les arts, des lattes de papier verticalement suspendues

que nous traversons, ainsi qu’un banc décoré de lettres coréennes. En ajout,

entre 1 minute et 1 minute et 30 secondes, se superposent aux vidéos, en haut,

8 photos différentes (quatre sur chaque mur), qui changent pour 8 autres

différentes à partir de la 90e seconde jusqu’à la fin. Au son de la musique

s’ajoutent la voix de Bongo (durant 35 secondes) qui témoigne après 5 secondes :

« Une fois, tu m’as donné à elle. Tu as dit que je serais bien avec elle. Je l’ai été. Elle m’aime, mais tu

ne pouvais pas comprendre que si elle m’aime c’est parce qu’elle t’aime d’abord. Elle est toujours là.

89 Version originale : « You cross the door, you, you smile, you come to me, faking you haven’t

missed us. Huh! And then... »

Page 71: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

59

C’est elle, la seule, la bonne, comme tu l’as dit. Elle t’attend90. »; celle de la Femme qui supplie,

5 secondes après Bongo : « Hey, papa, tu devrais te souvenir de notre temps. On riait comme

des chiens. Tu as pleuré quelques fois, je sais. Tu ne m’as jamais dit, mais je sais, de bonheur. Heurk,

tu as tellement toujours eu peur que je parte, tu pensais que je n’étais pas sérieuse, tu croyais que je

ne m’engagerais pas, que je ne te tenais pas à cœur. Tu as promis de m’attendre. Je n’ai rien dit. Et

maintenant que tu es parti, je sais que j’aurais dû promettre aussi. Un jour, tu m’as demandé de rester.

Maintenant, c’est à mon tour, puis-je te prier de revenir 91 ? »; ainsi qu’un montage en

alternance des voix de Tiên reprenant « Chus fatiguée, chus fatiguée. » et de la

Femme redemandant mécaniquement « Où est ma mémoire92? », comme si l’une ne

se fatiguait pas d’être fatiguée et l’autre n’en finissait plus de perdre sa mémoire.

Afin de les figer dans la mémoire auditive du public, et pour suggérer la

récurrence des propos citadins et la saturation des sonorités urbaines, ces

dernières phrases sont répétées à maintes reprises (9 fois la Femme et 13 fois

Tiên, dans l’ordre suivant : Femme - Tiên - Tiên - Femme - Tiên - Femme

- Tiên - Tiên - Tiên - Tiên - Femme - Tiên - Femme - Tiên - Femme - Tiên - Fe

mme - Tiên - Femme - Tiên - Tiên - Femme). Quant à Alain, alors que

90 Version originale : « Once, you gave me to her. You said I’d be fine with her. I was. She loves

me, but, you couldn’t understand if she loves me that’s because she loves you firstly. Still she’s

there. She’s the one, as you said. She’s waiting for you. »

91 Version originale : « Hey, papa, you should remember our time. We used to laugh like dogs.

You cried a few times, I know. You never told me, but I know, of happiness. Heuk, you were

always so afraid I’ll go, you thought I wasn’t serious, you thought I won’t engage myself, I didn’t

hold you at heart... You promised you would wait for me. I said nothing. And now you’re gone, I

know I should have promised too. One day, you asked me to stay. Now it’s my turn, may I beg you

to come back? »

92 Version originale : « Where’s my memory? »

Page 72: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

60

l’éblouissante structure du Hangeul aux formes géométriques se raconte, il

reconstruit à partir de la 40e seconde (après avoir terminé de mettre son

pantalon), et ce jusqu’à la fin, le décor en réintégrant les 8 boîtes manquantes,

symbolisant ainsi la réorganisation (spatiale, langagière, identitaire et

relationnelle) suivant la désorganisation. Par surcroît, lors des deux dernières

répliques (Tiên - Femme), Alain répète « Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux

aimer93. » en commençant à mettre sa ceinture qu’il prend sur l’escabeau.

E : Sur les panneaux, nous voyons deux vidéos (la même de chaque côté) durant

1 minute et 57 secondes. L’enregistrement, à la signature sud-coréenne et à

l’esthétique poétique, et dont nous percevons aussi la musique (clavier

électronique) et la voix féminine, fut effectué directement à l’intérieur du

Semiconductor Rider LED situé dans l’édifice Samsung Electronics à Séoul et

présenté à l’exposition Samsung d’light. Alain, qui scrute avec passion celui-ci,

termine de boucler sa ceinture rapidement et partage son expertise en le

commentant pour ses spectateurs (tantôt accroupi dans le public, tantôt debout

devant les murs). Au cours de son exposé vantant les mérites de la machine, il

utilise sa gestuelle afin d’attirer l’attention sur les détails qu’il tient à spécifier.

Parmi ses observations, nous retrouvons : « Ça va réellement bien94! »; « Ça va vraiment

93 Version originale : « 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En romanisation :

« Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. »

94 Version originale : « 진짜 잘 한다! » En romanisation : « Jinjja jal handa! »

Page 73: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

61

bien95! »; « Comme ça96, si on regarde un peu toute la précision du mouvement, tu

voés comment c’est ben faite. R’garde, c’est tout organisé, ça. »; et « Là, ça

continue, c’pas fini encore! »; tandis que surgit vers la fin du clip un appel à

l’exploration « Discover your wonderous possibilities » (Découvrez vos merveilleuses

possibilités).

F : Sur les panneaux, nous voyons durant 2 minutes des images de deux

structures urbaines installées en permanence. Sur celui de gauche, en haut, une

bande visuelle composée de trois plans (qui durent 15 secondes, 11 secondes et

1 minute et 34 secondes, les deux derniers étant de côté pour présenter la

sculpture couchée) montre L’Homme Martelant (Hammering Man), version de

Séoul; sur la droite, en bas, une bande composée de deux vidéos (qui durent 23

secondes et 1 minute et 37 secondes) montre d’abord L’Homme Martelant et

ensuite Le Défenseur du temps, situé dans le quartier de l’Horloge à Paris; tandis

que sur le mur de gauche, en bas, ainsi que sur celui de droite, en haut,

apparaissent aléatoirement (position et vitesse variées) quarante photos de

L’Homme Martelant qui se succèdent à répétition, soit en occupant

individuellement un huitième ou un quart de la surface écranique, soit en

couvrant partiellement (car dissimulées derrière les deux montages vidéo)

l’entièreté de celle-ci. Pendant cela, Alain (dont le corps reste espace de

95 Version originale : « 정말 잘 한다! » En romanisation : « Jeongmal jal handa! »

96 Version originale : « 이렇게 ». En romanisation : « Ireoke. »

Page 74: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

62

projection et dont l’ombre laisse une trace mouvante et interactive sur les murs)

joue avec intensité une variante de la prose Étoile filante97 en dialogue avec Bongo :

(Alain, en sautant sur le lit) « Et la vie m’a amené ici. Maintenant, je vois une étoile filante. La

meilleure que nous ne pourrions jamais imaginer98. » (en murmurant, pour lui-même) « Étoile

filante99. » (Bongo) « Mais quand elle était partie100… » (Alain) « Ah Bongo! Oui, quand elle était

partie101. » (à Bongo, après être descendu du lit et l’avoir pris sur la table de chevet

en s’assoyant sur le lit) « Ah! Je me suis senti détruit, mon corps voulait fondre en larmes, mon

esprit se tamisait, mes pas étaient perdus. Mon cerveau était détruit, mon âme s’était effondrée102. »

(aux spectateurs, après avoir déposé Bongo sur le lit et s’être dirigé devant son

lit) « Je ne pouvais pas te demander de revenir ou attendre ton retour. Je n’étais pas prêt à voir ta

disparition. J’étais aveugle. Et la lune était le témoin de notre fantaisie 103 . » (en agrippant

l’escabeau) « Et toujours, he he 104 ! » (de l’escabeau, en montant sur la surface

surélevée) « Et toujours, la lune, la lune105… » (du deuxième toit) « Toujours la lune est le

témoin de notre fantaisie! Si étincelante et éclairante que tu sois, comment ne pas s’attendre à ce que

97 Titre original : Shooting Star. 98 Version originale : « And life brought me here. Now, I see a shooting star. The best we could

ever imagine. »

99 Version originale : « Shooting Star. »

100 Version originale : « But when it was gone... »

101 Version originale : « Ah Bongo! Yah, when it was gone. »

102 Version originale : « Ah! I felt destroyed. My body wanted to shed in tears, my mind was

dimming, my footsteps were lost. My brain was destroyed, had collapsed. »

103 Version originale : « I couldn’t ask you to come back or expect your return. I wasn’t prepared

to see your disappearance. I was blind. And the moon was the witness of our fantasy! »

104 Version originale : « And still, ha ha! »

105 Version originale : « And still, the moon, the moon... »

Page 75: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

63

tu dures pour toujours? Peu importe quand tu le désireras, reviens! Illumine à nouveau notre éternité.

Je ferai pareil106. » Ces voix constituent les seuls sons entendus, à l’exception des

bruits de la ville perceptibles dans l’environnement scénique.

2.4 III – 마지막 (Ma-ji-mak, In the end / Finally – Enfin)

A : Cependant que survient sur les deux surfaces (durant 5 secondes) la même

image, 마지막 (Majimak, Enfin), Alain (toujours sur le deuxième toit) fige son

mouvement, comme si on arrêtait l’image pour changer de scène. Le son

(s’apparentant à un bruit de machinerie) est celui que produit le vent en circulant

sur les clapets métalliques et mobiles de la sculpture Berceau du vent (Wind

Arbor) située à l’extérieur du Marina Bay de Singapour.

B : Sur les murs apparaît (pour 25 secondes) la vidéo de ces oscillantes plaques

en aluminium desquelles nous entendions les ondes sonores, qui d’ailleurs

continuent. Pour sa part, Alain descend, repositionne l’escabeau, s’assoit sur sa

table de chevet (face public) et replace Bongo sur son lit.

C : À travers toute la scène qui dure 3 minutes, nous avons des vidéos tournées

à HCMV, en extérieur, qui montrent la rivière de Saigon, des piétons, des rues,

des autoroutes, des voitures, des autobus, des vélos, des motos, des immeubles,

106 Version originale : « Still the moon is the witness of our fantasy! So sparkling and enlightening

you are, how can’t we expect you won’t last forever? Whenever you desire, come back! Brighten

again our eternity. I’ll do the same. »

Page 76: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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des bâtiments, des enseignes lumineuses ainsi que des panneaux de commerces

et de signalisation routière. Sur le mur de gauche, nous en avons trois (1 minute

et 19 secondes, 50 secondes, et 51 secondes) de jour; alors qu’à droite, nous en

avons six (25 secondes, 15 secondes, et 13 secondes, de nuit; ainsi que 27

secondes, 32 secondes, et 1 minute et 8 secondes, de jour). La bande sonore est

composée des bruits accompagnant les images urbaines, principalement le

vacarme incessant des motos caractéristique du dynamisme de la ville et de son

flux d’énergie, ainsi que de voix. Après quelques secondes et avec sagesse,

Bongo conseille d’abord Alain (durant 30 secondes) : « Si tu penses qu’elle a peur

que tu partes, montre-lui deux fois plus que tu ne veux pas partir. Et surtout, ne

pars jamais. Si tu crois qu’elle n’arrive pas à t’aimer ou à t’avouer, ou à se l’avouer,

aime-la deux fois plus. Si tu lui as déjà dit que tu l’aimes, ne reviens jamais en

arrière. Elle en a besoin maintenant. Et si elle ne te l’a jamais dit, c’est qu’elle

sait que lorsqu’elle le dira ce sera pour toujours. », qui répète deux des phrases

de Bongo (« Elle en a besoin maintenant. » et « Ce sera pour toujours. ») juste

après qu’elles sont dites. Quelques secondes plus tard, un dialogue ludique (de

30 secondes) entre Tiên et Alain passe : (Alain) « Ajoutez à cela » (Tiên)

« Ajoustez à cela » (Alain) « Ajoutez à cela » (Tiên) « Ajoustez à cela » (Alain) « Le

bruit » (Tiên) « Le bruit » (Alain) « Et l’odeur » (Tiên) « Et l’odeur » (Alain) « Le

travailleur français » (Tiên) « Le travailleur français » (Alain) « D’vient fou! » (Tiên)

« D’vient fou! » (Alain) « Et une vingtaine de gosses » (Tiên) « Et une vingtaine de

Page 77: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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gosses » (Alain) « Entassés » (Tiên) « Entassés » (Alain) « Et les motorbikes »

(Tiên) « Et les motorbikes » (Alain) « Molla. » (Tiên) « Molla. » avant de

réentendre (durant 10 secondes) la voix de Tiên qui répète 7 fois « Chus fatiguée,

chus fatiguée. » et celle de la Femme qui déclame (pendant 35 secondes) la

traduction coréenne du précédent texte de Bongo : « Si tu penses qu’elle a peur que tu

partes, montre-lui deux fois plus que tu ne veux pas partir. Et surtout, ne pars jamais. Si tu crois qu’elle

n’arrive pas à t’aimer ou à t’avouer, ou à se l’avouer, aime-la deux fois plus. Si tu lui as déjà dit que tu

l’aimes, ne reviens jamais en arrière. Elle en a besoin maintenant. Et si elle ne te l’a jamais dit, c’est

qu’elle sait que lorsqu’elle le dira ce sera pour toujours107. » Enfin, le réjouissant dialogue

commençant par « Ajoutez à cela... » entre Tiên et Alain repasse (alors que ce

dernier joue simultanément toutes ses répliques), avant que la voix d’Alain

préenregistrée, dont il répète les répliques en direct, raconte (durant 40

secondes) la traduction anglaise du texte antérieur : « Si tu penses qu’elle a peur que

tu partes, montre-lui deux fois plus que tu ne veux pas partir. Et surtout, ne pars jamais. Si tu crois

107 Version originale : « 그녀가 당신이 떠날까 봐 두려워한다면, 당신이 떠나고 싶지 않다는 것

을 두 배 더 보여주세요. 그리고 무엇보다도 절대 떠나지 마세요. 그녀가 당신을 사랑할 수 없

거나, 당신에게 고백할 수 없거나, 사랑하는 걸 인정할 수 없다고 생각한다면 두 배 더 사랑하

세요. 이미 그녀에게 “사랑합니다”라고 말했다면, 절대로 뒤돌아보지 마세요. 그녀는 지금 이 순

간을 필요로 합니다. 그리고, 그녀가 아직 당신에게 얘기하지 않았다면, 그것은 그녀가 사랑은

영원하다는 것을 알기 때문입니다. » En romanisation : « Geunyeoga dangshini ddeonalkka boa

duryeowohandamyeon, dangshini ddeonago sipji anhdaneun geoseul du bae deo boyeojuseyo.

Geuligo mueotbodado jeoldae ddeonaji maseyo. Geunyeoga dangshineul saranghal su eopgeona,

dangshinege gobaekhal su eopgeona, saranghaneun geulinjeonghal su eopdago

saenggakhandamyeon du bae deo saranghaseyo. Imi geunyeoege “saranghamnida”lago

malhaetdamyeon, jeoldaero dwidolaboji maseyo. Geunyeneun jigeum i sunganeul pilyoro

hamnida. Geuligo, geunyeoga ajik dangshinege yaegihaji anhatdamyeon, geugeoseun geunyeoga

sarangeun yeongwonhadaneun geoseul algi ddaemunimnida. »

Page 78: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

66

qu’elle n’arrive pas à t’aimer ou à t’avouer, ou à se l’avouer, aime-la deux fois plus. Si tu lui as déjà dit

que tu l’aimes, ne reviens jamais en arrière. Elle en a besoin maintenant. Et si elle ne te l’a jamais dit,

c’est qu’elle sait que lorsqu’elle le dira ce sera pour toujours108. » Pour toute la scène, Alain

reste assis sur sa table de chevet, face public, attentif, réceptif et disponible;

cependant que son corps, intégré aux écrans, se trouve directement dans le trafic

qui lui circule dessus. Parfois, il regarde le ciel, parfois les écrans derrière, mais

généralement le public, comme s’il s’agissait d’une sincère confidence à ce

dernier et d’un moment d’intimité avec ses spectateurs.

D : Sur la moitié en bas de chacun des murs, nous voyons deux vidéos différentes

(une de chaque côté) de 2 minutes de trains de Noël à Budapest, qui roulent

dans la ville, de nuit. Sur la moitié en haut des murs, on voit se succéder deux

séries (durant chacune 40 secondes) de quatre photos différentes (deux de

chaque côté) qui exposent aussi des trains de Noël à Budapest, avant de laisser

place (pendant 40 secondes) à un cliché (morcelé en deux, duquel le haut est à

gauche et le bas à droite) du Champ Royal, situé devant le Grand Palais de

Bangkok, sur lequel se trouvent cinq bancs de parc, vides. Pour le son, nous

entendons seulement des voix : d’abord, l’Homme 2 déclare « Si vraiment chus plus

capable pantoute de m’ennuyer trop d’elle, il faut que je réalise que j’ai besoin d’elle dans mon

108 Version originale : « If you think she’s afraid you’ll go, show her twice more you don’t want to

go. And most of all, never leave. If you think she can’t love you or confess it to you, or admit it to

herself, love her twice more. If you’ve already said je t’aime, never go backwards. She needs it

now. And if she hasn’t told you yet, that’s because she knows once she does it’s forever. »

Page 79: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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existence. C’est elle qu’il faut choisir109. », que l’Homme 1 répète rapidement avant que

cette même affirmation soit redite 3 fois en simultané (avec un léger délai de 1

seconde) par ces derniers (dans l’ordre suivant : Homme 2 - Homme 1 - Homme

2) et qu’Alain y réponde la traduction française « Si vraiment chus plus capable

pantoute de m’ennuyer trop d’elle, il faut que je réalise que j’ai besoin d’elle dans

mon existence. C’est elle qu’il faut choisir. » Par la suite, un nouvel homme

(Myeong Jong Kim, Homme 3) répète 3 fois le même texte en coréen (une fois

seule et 2 fois en simultanée avec un délai de 5 secondes) auquel Alain répond

la traduction anglaise « Si vraiment chus plus capable pantoute de m’ennuyer trop d’elle, il faut

que je réalise que j’ai besoin d’elle dans mon existence. C’est elle qu’il faut choisir110. » Enfin,

l’Homme 2 et Alain reprennent ensemble (Alain parlant en direct et avec un délai

de 1 seconde) la sentence « Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux aimer111. », avant

qu’elle soit réexprimée 3 fois (en simultanée avec un délai de 1 seconde) par

l’Homme 2 ainsi que fragmentée et reconstituée par Alain : « Quand j’aime, je peux

aimer plus, je veux aimer. Plus je veux aimer, je peux aimer plus, plus je veux aimer112. » Au cours

109 Version originale : « 만약에 너무너무너무너무 보고싶어서 견딜수가 없다면, 니 삶에 꼭 필요

한 존재라고 느껴진다면. 그녀를 선택 할수밖에. » En romanisation : « Manyake

neomuneomuneomuneomu bogosipeoseo gyeondilsuga eopdamyeon, ni salme kkok pilyohan

jonjaelago neukkyeojindamyeon. Geunyeoreul seontaek halsubakke. » 110 Version originale : « If I really really can’t stand anymore to miss her so much, I have to realize

she has to be in my existence. She is the one to choose. »

111 Version originale : « 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En romanisation :

« Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. »

112 Version originale : « 사랑하면 사랑할수록 사랑하고 싶은데. 더 사랑하고 싶은데 사랑할수록

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de la scène, Alain parle soit au public, soit à Bongo; et se déshabille lentement,

en lançant ses vêtements (le gilet blanc et le pantalon avec la ceinture) sur les

marches de l’escabeau. Il termine assis dans son lit sous son drap lui recouvrant

les jambes, Bongo dans les mains.

E : Sur l’entièreté de la surface apparaît (pour 18 secondes) la vidéo d’une chute

d’eau sur un mur située à côté de L’Homme Martelant. En plus du son de la chute,

nous entendons les voix de Bongo, confiant (durant 4 secondes) « Je te l’avais

dit : un jour, tu la retrouveras. », et de la Femme (pendant 14 secondes), disant

machinalement « Sur ton chemin, elle te prend les bras et t’attrape les pieds, tu n’es plus séparé

désormais. Tes yeux sont de retour. Le temps s’est arrêté, pour te rétablir113. », tandis qu’Alain

pose Bongo sur ses genoux (sur le drap) et l’observe, serein et satisfait.

F : Sur toute la surface reste la précédente chute d’eau (durant 30 secondes)

avant de laisser place (pendant 40 secondes) à un plan pris à Vung Tau (Vietnam)

où nous voyons d’abord des vagues sur une plage et ensuite des drapeaux (dont

celui du Vietnam) flottant au vent. En plus du bruit de la chute (durant 1 minute

et 10 secondes), on entend (pendant 10 secondes) le rire naïf et enjoué de Tiên,

suivi de la Femme (pour 1 minute) récitant une version renouvelée de la prose

더 사랑하고 싶은데. » En romanisation : « Saranghamyeon saranghalsurok saranghago sipeunde.

Deo saranghago sipeunde saranghalsurok deo saranghago sipeunde. »

113 Version originale : « On your way, she’s catching your arms and grabbing your feet, you are

not apart anymore. Your eyes are back. The time stopped, to restore you. »

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Voyage exotique114 : « Tu dors si paisiblement. Ton parfum me rappelle ce que je cherchais depuis si

longtemps. Sur le balcon de notre nouveau domicile, j’ai vu une étoile filante. Comme c’est fantastique

avec toi! J’ai trouvé ce que je voulais trouver. Ceci est notre nouvel endroit, un voyage exotique, une

porte qui ouvre à la musique, aux rires, à la folie, à la tendresse. Et les étoiles sont bienfaisantes

comme la lune est brillante. Nous avons trouvé le bonheur dans l’état d’esprit le plus pur. Notre

éternité115. » Quant à Alain, après avoir souri (durant 10 secondes) en regardant

Bongo, il se couche sur le dos, sous le drap, ne laissant voir que son bras droit,

avec Bongo sur son visage, dont on ne voit que la tête. En symbiose avec le

paisible Voyage exotique, la chute d’eau coréenne et la vague vietnamienne

inondent et emportent Alain ailleurs, finalement, à un moment donné.

2.5 Épilogue

Toute la scène se fait en silence. Sur les deux panneaux, on voit deux vidéos

différentes de 5 secondes, tournées près de l’hôtel de ville de Séoul. Sur la

gauche, on lit : « 세월호 희생자의 아픔을 함께 합니다116. We share the sufferings

of the victims of the tragedy of Ferry Sewol. » (Nous partageons les souffrances des

victimes de la tragédie de Ferry Sewol.); et sur la droite, on aperçoit : « 다시는 이런

114 Titre original : Exotic Journey.

115 Version originale : « You sleep so peacefully. Your scent reminds me what I was looking for

from so long. On the balcony of our new home, I saw a shooting star. How fantastic it is with you.

I found what I wanted to find. This is our new place, an exotic journey, a door that opens to music,

laughs, craziness, tenderness. And the stars are nice like the moon is bright. We found happiness

under the purest state of mind. Our eternity. »

116 En romanisation : « Sewolho huisaengjaui apeumeul hamkke hamnida. »

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70

아픔이 없는 대한민국을 만드는데 함께 합니다117. Let us work together to end

sufferings in the Republic of Korea. » (Travaillons ensemble pour mettre fin aux souffrances

en République de Corée.) Nous avons par la suite une série de photos prises aussi

près de l’hôtel de ville : pendant 5 secondes, quatre photos (sur la gauche : une

en haut et une en bas; sur la droite : une à gauche et une à droite); pour 5

secondes, trois photos occupant chacune deux tiers de mur (une à gauche du

mur de gauche; une au milieu touchant aux deux murs; et une à droite du mur de

droite); durant 1 seconde chacune et l’une après l’autre, quatre photos occupant

l’entièreté de la surface; et pendant 5 secondes chacune, une photo qui défile de

haut en bas et une autre qui passe de bas en haut. Subséquemment,

apparaissent (pendant 10 secondes) deux images différentes : sur celle

occupant la moitié gauche du mur de gauche, on voit un mot accroché à un arbre

et sur lequel on lit « 미안해요 나도 많이 슬퍼요 편히 쉬어 주세요 알랭 입니다

xox118. » (Pardon, moi aussi je suis très triste, reposez en paix s’il vous plaît, Alain xox.); alors que

celle couvrant la moitié droite du mur de gauche ainsi que le mur de droite montre

Alain à une table signant ce précédent mot en Hangeul. Suit alors une succession

d’images dont chacune des quatre séries dure 5 secondes : sur la première,

quatre (deux sur chaque mur) disent 여러분, 고맙다, 명종도 et 메르씨

117 En romanisation : « Dashineun ireon apeumi eobneun Daehanmingukeul mandeuneunde

hamkke hamnida. »

118 En romanisation : « Mianhaeyo nado mani seulpeoyo pyeonhi swieo juseyo Alleng imnida

xox. »

Page 83: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

71

(Yeoreobun gomapda MyeongJongdo mereussi, Merci tout le monde, Myeong Jong aussi

merci); sur la deuxième, quatre (deux sur chaque mur) montrent 시간은, 영원,

하지 et 않아 (Shiganeun Yeongwon Haji Anha, Le temps n’est pas pour toujours); sur

la troisième, deux (une sur chaque mur) révèlent 알랭 et 갸르노 (Alleng

Gyareuno, Alain Garneau); et sur la dernière, deux (une sur chaque mur) expriment

끝 et 안뇽 (Ggut An-nyong, Fin, Bye). En conclusion, durant 10 secondes, est

écrit sur trois lignes, en blanc et sur fond noir : « Un merci du fond du cœur à Namjo, Jing,

Mj et Rémy. Un merci chaleureux à ma muse bien-aimée, la Tortue. Et mes parents, je suis ici grâce à

votre amour119. » Alain ne bouge qu’à la dernière image (couvrant toute la surface

écranique) pour répondre aux applaudissements en se relevant afin de saluer et

remercier son public.

119 Version originale : « A deep from the heart merci to Namjo, Jing, Mj and Rémy. A warm thanks

to my beloved muse, the Turtle. Et mes parents, je suis ici grâce à votre amour. »

Page 84: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

72

3. Studios de recherche-création avec le collectif créatif In the B

Afin de comprendre notre spectacle et mettre en relief notre parcours de création

portant sur les écrans urbains dans la création intermédiatique ainsi que la

fonction de l’image au sein de cette dernière, il est impératif d’examiner les

quatre studios ainsi que les six études et les six créations d’approche réalisés

avec In the B entre juillet 2011 et mars 2014.

3.1 Studio 1 : It’s not a cinema #1, Lee Han Chul On Ruf120 (Juillet 2011)

De ce studio (n’étant ni un cinéma, ni un spectacle, ni une performance; mais

pouvant être à la fois un cinéma, un spectacle et une performance), nous avons

retenu pour notre création le décor urbain en extérieur (sujet aux intempéries)

avec les bruits de la ville, le toit d’un bâtiment comme espace de représentation,

le public restreint et intime (une vingtaine de personnes aux motifs différents),

le coucher de soleil (le début s’étant fait à la clarté et la fin à la noirceur) ainsi

que sa forme non répétable et la présence d’objets éparpillés sur la surface.

Dès notre arrivée à Séoul le 25 juin 2011, nous avons entamé notre participation

à l’écriture, à la mise en scène, ainsi qu’à la création des décors et des

accessoires nécessaires à ce studio. Parmi ces derniers, spécifions la plateforme

en bois peinte en noir et en blanc pour le chanteur, les perches de lumière, le

120 Annexe 3 (1 vidéo et 20 photos de la préproduction, 5 vidéos ainsi que 10 photos de la

production).

Page 85: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

73

cactus en styromousse et la télévision en carton et plastique. Ceux-ci

représentent des morceaux éclatés de la réalité, des restes de souvenirs, tel un

flot d’écritures variées.

Le théâtre de la mort de Tadeusz Kantor, expliqué dans Cricot 2 Theatre: The

theatre of death, investigue aussi ces rappels de notre vécu à travers les objets

qui habitent le périmètre de jeu. Ils révèlent la marche discontinue de la mémoire

blessée, floue et flottante, qui peine à reconstruire notre enfance. Le passé se

retrouve épars sur la scène de Kantor, encombrée d’objets réels devenus signes

qui s’animent avec la mémoire de l’artiste, dans toutes les profondeurs de sa

spatialité. Selon Kantor, ce choix est un acte créatif et constitue un moment

significatif au cours du processus de création121.

Dans Enjeux de la mémoire : Entre hypermnésie et oubli, Renée Bourassa, dont

l’approche intermédiale et les propos sont liés à notre investigation en

présentant la complexité de la société post-industrielle depuis les avancées de

l’informatique, affirme même que nos identités s’élaborent en fonction de ces

manifestations mémorielles : « L’organisme humain est devenu un

cyberorganisme, connecté en permanence à ses artéfacts de mémoire qui,

paradoxalement, la fragilise122. » Paul Ricœur, pour sa part, estime que « [...] la

121 Tadeusz Kantor, Cricot 2 Theatre: The theatre of death, Devon (England): Dartington College

of Arts, Dept. of Theatre, 1978, p. 14.

122 Renée Bourassa, Enjeux de la mémoire : Entre hypermnésie et oubli, San Francisco :

Page 86: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

74

mémoire prétend être fidèle au passé, alors qu’elle relève de l’ordre de l’affection

et du sensible123. » Ces raisonnements rejoignent notre réflexion sur le paradoxe

de la société numérique, si puissante, mais tant vulnérable à la fois.

Pour ce laboratoire réalisé au début du mois suivant sur le toit d’un bâtiment

dans le quartier Iteawon (이태원), l’artiste Lee Han Chul (이한철) fut choisi. Ce

dernier est un chanteur et guitariste. Il est membre du groupe pop rock Bulldog

Mansion124, formé à Séoul en 1999, et fait aussi une carrière solo.

En ce qui concerne Iteawon, c’est une partie de la ville populaire pour les

habitants (Séoulites ou expatriés), les touristes et les militaires américains de la

garnison Yongsan 125 avoisinante. Situé dans ce quartier réputé pour ses

restaurants, sa vie nocturne et ses boutiques, le lieu revêt un aspect international,

artistique, économique et culturel. L’endroit est connu pour sa splendide vue sur

les couchers de soleil et ainsi parfait pour un événement intermédiatique se

déroulant à la tombée de la nuit.

Dans Le théâtre dans la ville, de Georges Banu, et dirigé par Elie Konigson, on lit

justement qu’en revenant au bâtiment ancien comme lieu de représentation on

fait état d’un désir de continuité et d’une volonté de mémoire. La mémoire du

Academia, 2014, p. 2.

123 François Guillemot, Paul Ricœur : La mémoire, l’histoire, l’oubli – CR de lecture de Pauline

Seguin, Lyon : Indomémoires, 20 novembre 2012, <http ://indomemoires.hypotheses.org/3261>.

124 불독 맨션 (Buldog Maensyeon, en romanisation).

125 용산기지 (Yongsan Giji, en romanisation) – Yongsan Garrison.

Page 87: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

75

spectacle vivant s’accroche aux lieux chargés symboliquement, que parfois la

ville, réservoir de décors naturels, rejette. Le jeu empêche la ville d’être statique.

Ces endroits sont les dépositaires de la mémoire culturelle qui nous habite

pendant que le public en est l’héritier126. Selon Banu, « tout espace urbain ou

domestique est potentiellement un espace de jeu127 ». Il explique aussi que « Le

lieu non théâtral procure un sentiment aigu de vérité car [...] il accueille un artiste

en satisfaisant ses attentes et en apaisant ses craintes à l’égard du théâtral. Du

faux128. »

Jean-Pierre Esquenazi va également dans l’utilisation de la ville comme décor. Il

entretient la théorie des non-publics, qui sont composés des oubliés de la culture,

des écartés des dispositifs culturels, aux motivations plurielles et aux

interprétations contradictoires. Ce phénomène remet en cause les publics

constitués. Étant donné que nous sommes devant le problème de non-

fréquentation des établissements culturels, il faut inventer une assistance en la

reconsidérant dans l’ensemble de ses aspects et de son style de vie, processus

créatif essentiel à la construction de l’œuvre : « Les divers comportements d’un

public donné ne peuvent être compris que rapportés les uns aux autres [...] Leur

126 Elie Konigson [dir.], Le théâtre dans la ville, dans « Les voies de la création théâtrale : études »,

Volume XV, Paris : CNRS, Collection « Arts du spectacle », 1987.

127 Op. cit., p. 8.

128 Op. cit., p. 236.

Page 88: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

76

logique est d’abord globale 129 . » La notion de réception transforme ainsi le

spectateur en actant symbolique. Pour la création intermédiatique, nous devons

attirer ceux qui ne sont pas attirés par cette dernière. Cette pratique confronte

les communautés d’usage à des structures de réceptions inédites.

Le montage de la prestation fut fait à partir des trois bandes (trois caméras ayant

filmé) en variant les angles de prise de vue. Cinq extraits furent mis en ligne sur

le site Internet du collectif : Leaving City Havana (Quitter La Havane), O My Sole

(Oh mon soleil), 낮선 여행130 (Étrange voyage) en deux versions et 동경의 밤131

(Nuit à Tokyo). La première pièce du spectacle, Étrange voyage, montre l’entrée

en scène du chanteur et de ses musiciens. Comme ceux-ci commencèrent leur

prestation dans les rues et interprétèrent seulement une minute de la chanson

sur le toit, elle témoigne de l’exploitation de la ville comme décor et espace

performatif.

Nous avons réfléchi sur la création et ses caractéristiques. Voici comment nous

l’avons définie :

It’s Not a Cinema est une série de concerts intimes et inédits. Devant un public

restreint, un chanteur connu et reconnu offre une performance dans une

atmosphère chaleureuse. Il accepte la convention selon laquelle la caméra

n’existe pas, étant donné que l’objectif de celle-ci est de saisir l’authenticité de

la représentation. Nonobstant une organisation et une planification du procédé

129 Jean-Pierre Esquenazi, Sociologie des publics, Paris : La Découverte, 2003, p. 61.

130 Natseon yeohaeng, en romanisation.

131 Donggyeongui bam, en romanisation.

Page 89: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

77

événementiel, certains éléments ne peuvent être contrôlés en totalité. C’est le

cas de l’éclairage, du son et des réactions des spectateurs. De même,

l’exactitude des arrangements et la précision des plans, des angles et des

mouvements sont imprévisibles. Cet aspect d’instantanéité caractérise l’unicité

de cette méthode non conventionnelle, et l’enregistrement du spectacle

témoigne de ces spécifiques spatialité et temporalité. Tel un outil de technique

filmique, le produit final rend la singularité de l’expérience pour laquelle

seulement quelques privilégiés se sont rassemblés afin de savourer la captation

de l’œuvre132.

Dans Unmarked: The Politics of Performance, de Peggy Phelan, nous lisons

pareillement que les actes performatifs ne peuvent être répétées et que chaque

production est inédite 133 . Sur ce caractère non répétable, Paik mentionne

d’ailleurs dans Nam June Paik: video time, video space qu’il devint célèbre dans

l’art destructeur aussi à cause de cela. Selon lui, une fois que l’on brise un piano

coûteux, il ne peut être reconstitué. Et une fois que l’on jette de l’eau sur le sol,

on ne peut la ramasser134.

132 En version anglaise : « It’s Not a Cinema is a series of private and previously unreleased

concerts. Before a small audience, a famous singer delivers a performance in a cozy and friendly

atmosphere. The latter accepts the convention according to which the camera doesn’t exist, since

its aim is to catch the authenticity of the never-to-be-repeated representation. Albeit an

organization and a planning of the process, some elements cannot be anticipated and totally

controlled during the event. That is the case for lightings, sounds and reactions of the spectators.

As well, the perfectness of the arrangements and the preciseness of the video shots, angles and

movements are unpredictable. That aspect of instantaneity characterizes the uniqueness of the

unconventional method, and the recording of the show acts like a witness of that specific moment

in space and time. As an instrument of the filmmaking technique, the final result renders the

warmness of the experience for which a few privileged people gathered to enjoy the

irreproducible composition. »

133 Peggy Phelan, Unmarked: The Politics of Performance, London: Routledge, 1993, p. 149.

134 Op. cit., p. 125.

Page 90: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

78

Quelques notes furent aussi prises afin d’améliorer les prochains de cette série

de concerts : voir si les lumières (bâtons servant de perches) étaient efficaces

(puis choisir de les garder ou non), les membres de l’équipe sur le plateau

pourraient être plus impliqués (chanter davantage), ne pas laisser seul le batteur

(rarement des musiciens ou techniciens s’en tenaient près), tourner durant le

rangement du matériel et l’intégrer au montage, mettre la préparation au

spectacle (montage de l’espace scénique) à l’inverse à la fin de la vidéo, et

mettre des extraits du #1 au début du #2.

Une question se pose : avons-nous retenu ces suggestions pour le #2, réalisé

avec un autre artiste le 11 mai 2013? Oui, puisque nous conservions ces idées

en tête, et non, car celles-ci ne s’appliquaient pas.

C’est sur le bord de la rivière Han135 dans le quartier Yeouido (여의도), et pendant

le tournage du vidéo-clip Miser (구두쇠136 – Radin) du chanteur pop Kim GeoJi

(김거지)137, dans lequel nous apparaissons comme passant donnant des pièces

au guitariste mendiant138, que fut tourné le #2, Always Hungry (외롭다고 노래를

부르네139 –Toujours affamé)140. Il fut différent du #1, car il n’y avait qu’un chanteur

135 한강 (Han Gang, en romanisation).

136 Gudusoe, en romanisation.

137 Annexe 4 (vidéo-clip et 20 photos de la production).

138 GeoJi veut dire beggar en anglais et mendiant en français.

139 Oelopdago noraeleul buleune, en romanisation.

140 Annexe 5 (vidéo-clip de la production).

Page 91: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

79

et non un groupe (pas d’équipe autour du chanteur), le décor était naturel avec

l’éclairage in situ (point besoin de perches de lumière), aucune préparation au

spectacle ne fut tournée, car il fut improvisé en constatant la venue progressive

du public, et aucun extrait du #1 ne pouvait être intégré vu la courte durée du

vidéo-clip (seulement une chanson, non pas un spectacle total) et le fait que

cette production soit une collaboration avec l’étiquette discographique Santa

Music141, nullement liée à l’artiste du #1.

3.2 Création d’approche 1 : House is Not a Home142 (Juillet 2011)

Des expériences et des idées issues de celle-ci, l’intermédiaticité, en tant que

métissage de médias et hybridation des pratiques artistiques, est l’aspect ayant

été le plus influent sur Le temps n’est pas pour toujours.

Pour en arriver à cette création, La maison n’est pas un domicile, nous avons pris

connaissance des deux productions du collectif ayant vu le jour avant notre

arrivée. D’une part, le Video Concerto for Something Analog No. 1143, tourné en

décembre 2010 dans l’appartement du groupe lui servant de bureau, type de

studio tout usage (résidentiel et commercial) appelé par les Sud-Coréens

141 산타뮤직 (Santa Myujik, en romanisation).

142 Annexe 6 (2 vidéos de la création et 9 chansons d’inspiration).

143 Annexe 7 (1 photo de la préproduction et vidéo de la production).

Page 92: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

80

오피스텔 144 (officetel, des mots office et hotel), situé dans le quartier de

Gangnam 145 . D’autre part, la participation au concours Theatre Architecture

Competition (TAC) de l’Organisation Internationale des Scénographes,

Techniciens et Architectes de Théâtre (OISTAT)146 en mars 2011.

Nous avons gardé en mémoire que, comme souligné par Erving Goffman dans La

mise en scène de la vie quotidienne - La présentation de soi147, nous sommes

tous des acteurs dans la vie. Le monde peut être vu comme un immense

spectacle et tout espace peut être observé sous sa forme spectaculaire. Le

spectacle est représentatif de la société se voulant une entité structurée où

chacun a son rôle et est toujours en représentation. Les individus créent leur

réalité sociale par leurs actions collectives et individuelles, tandis que la société

s’organise à partir des interactions sociales des gens qui la composent.

Quant à la maison, c’est un endroit où l’on passe et que l’on quitte. Un lieu de

transition, de rencontres. Elle peut disparaître, mais le domicile ne le peut. Il reste.

Nous en avons toujours un, peu importe où nous sommes. À cet instant, nous

avons imaginé que la maison pouvait se modifier en conformité avec les saisons,

tel un cycle, une vie. En été, elle se construit, comme en période de maturité. En

144 Opiseutel, en romanisation.

145 강남구 (Gangnam Gu, en romanisation).

146 Annexe 8 (2 pages extraites de documents promotionnels).

147 The Presentation of Self in Everyday Life, publié en 1956.

Page 93: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

81

automne, elle change de couleur (jaune, orange et rouge) et brûle, tel un symbole

de déclin. En hiver, elle gèle et craque, symbole de ce qui va disparaître, mourir.

Et au printemps, elle s’effondre et fond, avant de reprendre, de se raviver et de

se revigorer. Le texte suivant fut écrit : « Plus vous volez haut, plus vous tombez

loin. Ma maison n’est pas un domicile. C’est où je vais et viens; nous la traversons,

vous et moi, nous et eux. Nous restons, apprécions, partons, mais n’oublions

jamais148. »

Le 20 juillet, des idées furent explorées dans l’appartement du groupe. Y étaient

présents avec nous : Chiehwan, Kyunghwan et une nouvelle figure, Jungmin Lee

(정민이), pianiste. Plusieurs pièces musicales furent utilisées au cours de ces

tests, soit jouées par l’ordinateur, soit interprétées en direct par Jungmin au

piano. Parmi elles : trois pistes de la bande originale du film Il était une fois dans

l’Ouest (album de Ennio Morricone), Atmospheres de György Ligeti qui inspire

en nous la ville et le mouvement, deux pistes de la bande originale du film Le

Parrain (album de Nino Rota), Merry-Go-Round du jeu de plates-formes Super

Mario 64 qui inspire en nous l’art clownesque, une chanson thème de cirque, et

la piste Introduzione (tirée du spectacle Icaro) de l’album Teatro Sunil composé

par Maria Bonzanigo et issu d’œuvres de Daniele Finzi Pasca 149 . Servirent

148 Voici la version originale anglaise de notre texte : « The higher you fly, the farther you fall. My

house is not a home. That’s where I come and go; we pass through, me and you, us and them.

We stay, enjoy, leave but never forget. »

149 Acteur tragi-comique avec lequel nous avons suivi un stage de clown durant son passage à

Page 94: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

82

semblablement, des images de longs métrages d’animation de Walt Disney et

d’une captation du spectacle Tragedia Endogonidia (2002-2004) de Romeo

Castellucci. Pour celui-ci, nous avons fait office de figurant dans Hey Girl! à

Québec en 2007 ainsi que la régie de plateau pour Sur le concept du visage du

fils de Dieu (Sul concetto di volto nel Figlio di Dio – On the Concept of the Face,

regarding the Son of God)150 au Théâtre d’Arts d’ARKO151 de Séoul en mars 2013,

lors du Festival Bo:m.

À la suite de ces vidéos exploratoires, nous avons décidé que pour la fois suivante

nous aurions deux caméras plutôt qu’une. Une serait située dans la chambre, à

droite du mur sur lequel on voyait Tragedia Endogonidia, filmant la pianiste et

l’écran d’ordinateur à Kyunghwan projetant des images de Disney. L’autre se

trouverait dans la cuisine filmant trois acteurs, Kyunghwan, un autre à choisir et

nous. Nous désirions aussi avoir deux perches de lumière plutôt qu’une (les

mêmes du Studio 1), à nouveau la projection d’images tendres et crues de

Tragedia Endogonidia sur le même mur, toujours le canapé, mais au milieu de la

pièce, et la chanson thème de cirque jouée en direct par Jungmin. Enfin, nous

voulions un projecteur sur cette dernière, sur son piano et sur un mur blanc

servant d’écran derrière elle. Cela favoriserait un jeu d’ombres et valoriserait la

Montréal en 1999 (pour son spectacle Giacobbe, créé en 1995), et qui fut très influent sur notre

conception et notre construction du clown.

150 Annexe 9 (1 vidéo et 5 photos de la préproduction).

151 아르코예술극장 (Areuko Yesul Geukjang, en romanisation) – ARKO Arts Theater.

Page 95: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

83

présence du corps vivant. Il restait à trouver les actions des acteurs par écriture

sur le mode de l’improvisation.

Parallèlement, nous avons écrit un sketch. Deux amis arrivent dans un bar,

s’assoient au comptoir et commandent chacun une bière en fût. Le barman verse

la première, que l’un commence à boire. On réalise que la pompe à bière est vide.

Les deux amis déposent leurs lunettes (fumées ou non) sur le bar et une fille,

assise à un piano et qui lisait en silence, commence à jouer Il était une fois dans

l’Ouest. Une autre pianiste entame la même pièce alors que le barman donne un

chapeau à chacun des deux acteurs se dirigeant vers les extrémités du bar en se

fixant et observant sporadiquement le seul verre servi. Des bruits de vent, de

bottes et de portes qui claquent s’ajoutent ainsi qu’une voix de femme. Le

morceau chanté par cette voix ainsi que la chanteuse devaient être confirmés,

mais nous songions à Ji-yoon Kim (지윤김) en tant que deuxième pianiste.

Jungmin était envisagée comme première pianiste.

Ce court sketch fournit d’excellentes pistes au développement d’une série de

publicités en direct (live ads). Avec la pensée que la maison n’était pas un

domicile, que le monde était un spectacle et que tout espace était spectaculaire,

nous comptions offrir à des compagnies de promouvoir leurs produits grâce à

notre présence en tant qu’acteurs dans un lieu et un décor quotidien. En

l’occurrence : dans un café ou un bar où on annonce une boisson en vente, sur

la scène d’un cinéma (ou théâtre) où on promeut un autre film (ou spectacle)

Page 96: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

84

ainsi que de la nourriture et des boissons disponibles, dans une rue bondée où

on promeut un produit ou service d’une compagnie de mobiles coréenne (telle

que Samsung, KT, SK ou LG) tandis que des utilisateurs de cellulaires voient leur

conversion transmise sur des écrans, et lors d’une exposition de voitures ou dans

un stationnement (de cinéparc, de parc d’attractions, de centre d’achats ou de

supermarché) où des clients se rassemblent autour et à l’intérieur d’une voiture

pour promouvoir un nouveau modèle ou son système de sonorisation. Ou encore,

exemple le plus en lien avec House is Not a Home, dans une maison mobile où

les installations (commodité, espace, convivialité, confort) sont promues pendant

que les futurs clients sont en visite et témoins de leur immense potentiel. Comme

des acteurs en occupent les chambres (regardant la télévision sur un canapé,

buvant un café dans la cuisine, travaillant ou lisant sur une table de cuisine ou

dans le bureau, parlant au téléphone en prodiguant les beautés de la maison,

sortant de la salle de bain après une douche, jouant un match de tennis de table,

ou toute autre activité), les acheteurs potentiels constatent que la maison a déjà

une vie, une atmosphère.

Étant donné la succession rapide de propositions faites au collectif et de projets

propres à celui-ci, le sketch et les publicités ne virent pas le jour. Le concept de

musiques jouées en direct fut toutefois conservé pour divers laboratoires

d’exploration ultérieurs. Entre autres, pour notre Studio 2 (Video Concerto No. 2)

où Jungmin collabora, quelques mois plus tard.

Page 97: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

85

Quant à Ji-yoon, elle tint un rôle remarquable dans notre Studio 3, Séoulitude, en

2012. Chiehwan, sans posséder de formation d’acteur, nous surprit par son

ouverture et sa naïveté. Un rôle lui fut donné dans la première écriture du Video

Concerto No. 2, il joua dans Séoulitude, et fut inclus à notre présentation du

Studio 4 (Rough Cut Nights) en mars 2014.

Cette Création d’approche 1 évolua vers une autre série de productions,

rebaptisée These Things Happen le 5 avril 2012.

3.3 Création d’approche 2 : You’re the answer152 (Juillet 2011)

De cette Création d’approche 2, nous avons conservé l’idée de la voiture comme

moyen de transport menant ailleurs ainsi que la télévision comme écran

permettant le périple intérieur. Ces deux éléments mettaient aussi en relief nos

thèmes de la vitesse et de la mémoire.

Quelques jours après les tests du 20 juillet pour la précédente création

d’approche, le collectif fut approché par le duo hip-hop LeeSsang (리쌍), formé

de et par Kang Heegun (강희건, alias Gary – 개리) et Gil Seongjoon (길성준, alias

Gill – 길) en 2002. On demandait à In the B d’écrire et de réaliser le vidéo-clip du

premier extrait de leur septième album à paraître, AsuRa BalBalTa (아수라 발발

152 Annexe 10 (chanson, paroles -coréen/anglais-, 8 vidéos de la création ainsi que 5 vidéos

d’inspiration).

Page 98: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

86

타), sorti le 25 août 2011. You’re the answer to a guy like me (나란 놈은 답은 너

다153 – Tu es la réponse à un gars comme moi) est ce qu’un homme raconte à

celle venant de le quitter, car bien que cela semble insensé et qu’il ne puisse en

expliquer les raisons, c’est ainsi qu’il le ressent. Si elle part, il perd tout.

La première idée et suggestion de Gill était de s’inspirer du vidéo No Surprises

de Radiohead. Dans celui-ci, on voit en plan fixe le chanteur Thom Yorke, la tête

dans un bocal se remplissant d’eau jusqu’à immersion totale. Cela l’oblige à

passer près d’une minute la tête sous l’eau. Si cette idée était choisie, nous

serions l’acteur du vidéo-clip.

De notre côté, nous chérissions deux clips vidéo de pièces de Roger Waters

(principal compositeur, parolier, chanteur et figure dominante de Pink Floyd

jusqu’à son départ en 1985). Le premier, Three wishes, était en lien avec cette

femme à reconquérir de même que le symbolisme du voyage et de la transition

que représentent la voiture et la route. Waters y voit, à travers la fenêtre d’un bar,

une femme remplissant sa voiture d’essence. Waters s’ennuie d’elle et sait que

sa route mène à la gloire, mais il ne peut lui demander d’aller à la maison, car il

vient d’utiliser le dernier des trois souhaits qu’un génie lui donna. Le deuxième

clip, One of My Turns, était relié à l’isolement et l’impression d’être incompris.

Le musicien Pink, interprété par Bob Geldof dans le film musical The Wall qui

153 Naran nomeun dabeun neoda, en romanisation.

Page 99: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

87

sortit en 1982, y est assis sur un fauteuil dans sa chambre d’hôtel et fixe une

télévision, impassible. Il entre dans une rage folle, détruit sa chambre et se coupe

une main après avoir jeté sa télévision au travers de la fenêtre.

En outre, nous pensions à un homme suivant une femme dans les rues

achalandées de Gangnam sous la pluie. Étant seul sans parapluie, il y aurait un

décalage entre lui et les autres. Il ferait tout pour attirer l’attention de la femme

sans qu’elle le voie, de même que personne autour ne s’en soucierait ou ne

l’apercevrait. Nous devions décider si le couple finirait ou non main dans la main,

souriant, après que l’homme eut réussi à se glisser sous le parapluie de la femme.

Il restait aussi à définir les endroits lors de repérages, en explorant la rue, un

restaurant, une plage, un manège, un aéroport, une gare de trains, ou un champ.

Nous savions que nous aurions deux caméras pour varier les points de vue. Une

scène similaire fut écrite pour le laboratoire Séoulitude (Studio 3), quoiqu’elle fût

retranchée en dernier lieu.

L’idée de tourner le clip à l’inverse s’ajouta, tel Reverse walk in Dublin, tourné en

un plan avec plus de 3000 figurants dans les rues de Dublin en 2007. Nous

pensions que l’homme pourrait enlever ses vêtements en marchant à reculons.

Comme la fin serait le début, nous le verrions s’habiller durant le clip. Le vidéo-

clip de Baby Baby Baby de Make The Girl Dance fournissait aussi des pistes

esthétiques et cinématographiques à approfondir. Tourné en un plan à Paris et

sorti en 2009, on y voit trois femmes nues déambulant à tour de rôle devant la

Page 100: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

88

caméra.

Les 29 et 30 juillet, des tests où l’on marche et danse à reculons furent effectués

dans Gangnam. Le 29, deux vidéos dans un parc, avec une caméra (Namjo) et

deux acteurs (Kyunghwan et nous). Le 30, cinq vidéos avec une caméra (Namjo)

et un acteur (nous). Parmi elles : une dans une librairie, une dans la rue et une

dans une station de métro où nous sommes vêtu, ainsi que deux dans la rue où

nous nous dévêtons. Cette dernière expérience de nudité partielle, dans la rue

pleine de voitures et de piétons, et surtout en traversant une grande artère de

Gangnam, fut intimidante et enlevante à la fois. L’élément qui en resta dans notre

spectacle urbain Le temps n’est pas pour toujours est celui de commencer la

performance sans vêtements.

À la suite d’autres essais en extérieur avec deux acteurs (Kyunghwan et nous),

le clip de 42 secondes Ce soir je dors tôt fut créé sur la chanson After Hours,

écrite par Lou Reed et interprétée par The Velvet Underground.

Le processus avorta lorsque LeeSsang décida de sortir un autre morceau comme

premier extrait. L’élaboration de celui-ci, Turned off the TV (TV를 껐네154 – Éteint

la télé), devint notre Étude 1.

154 TVleul kkeotne, en romanisation.

Page 101: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

89

3.4 Étude 1 : Turned Off the TV155 (Août 2011)

De cette Étude 1, nous avons retenu l’importance du rythme lors du montage et

l’esthétique des corps à l’écran. Ces derniers contribuèrent à la mise en valeur

de notre travail sur l’acteur. Le découpage de plans et la préciosité de la

collaboration avec le Studio Irving s’avérèrent également marquants.

À la sortie du vidéo-clip, nous avons publié ceci : « Pour concevoir l’œuvre,

Creative United In the B / Realization of Imaginable Imagination a utilisé la

technique d’animation image par image. Un homme aime tellement une femme

qu’il éteint la télé et ferme les rideaux. Fatiguée, elle préférerait dormir dans ses

bras et lui demande d’attendre. Cette nuit ne sera pas la seule156. »

Après avoir décidé d’utiliser la technique d’animation image par image, nous

avons trouvé quelques vidéos réussies. D’abord : Her Morning Elegance, d’Oren

Lavie en 2009. Ensuite, de Coldplay : Strawberry Swing, réalisée par Shynola et

sortie en 2009, ainsi que Every Teardrop Is a Waterfall réalisée par Mat

155 Annexe 11 (1 vidéo et 2 photos de la préproduction, paroles -coréen/anglais- et vidéo-clip de

la production, 8 vidéos d’inspiration et making-of).

156 En version anglaise : « Music video of LeeSsang’s Turned Off the TV song, South Korean hip-

hop duo composed of Gary and Gill. To make the opus, Creative United In the B / Realization of

Imaginable Imagination used the stop motion technique. A man turns off the TV and shuts the

curtains because he loves so much a woman. But tired, she would prefer dreaming in his arms

and begs him to wait for another night. » En version italienne : « Turned Off the TV è un video del

duo sud-coreano hip-hop LeeSsang, formato di Gary e Gill. Per farlo Creative United In the B /

Realization of Imaginable Imagination ha utilizzato la tecnica di stop motion. Un uomo ama tanto

una dona che ne chiude la tele e le tende. Ma stanca, lei preferirebbe sognare nei suoi bracci, e

lo prega di aspettare. Ci saranno altre notte. »

Page 102: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

90

Whitecross en 2011. Et enfin, quelques commerciaux : la série (quatre au total)

conçue par Ithyle Griffiths et Angela Kohler pour Amazon Kindle, ainsi que celui

de Dael Oates créé lors de la campagne Every Colour You Can Dream de Target

Australia en 2009 et inspiré de celui d’Oren Lavie.

Avant le tournage, qui dura deux jours (11 et 12 août), des tests furent effectués

à l’appartement. Avec une vue d’en haut, nous avons pris une photo où Namjo et

nous formions un œil sur un lit, ainsi qu’une vidéo où Kyunghwan et nous

dansions au sol. Ces mouvements furent retenus pour l’œuvre.

L’entrée au Studio Irving de Sungwon Jyung (성원졍) situé dans le quartier

artistique Sinsa-dong (신사동) eut lieu le 9 août. Durant deux jours, nous avons

installé les équipements et opéré de nouveaux tests. Entre autres, une photo où

Kyunghwan et nous nous trouvions sur le plateau avec un parapluie fut prise le

10 août. Les trois acteurs, incluant une femme, Han Young (한영), et deux

hommes, Geunsik (근식) et Huiseok (희석), furent présents aux deux jours de

tournage.

Le montage fut très ardu étant donné que 1 291 photos furent choisies, et durent

toutes être retravaillées sur Photoshop. Pourtant, le 18 août la création était

prête, et en septembre le making of sortait. Le clip, comme la chanson, connut

un succès monumental en Asie.

Page 103: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

91

Furent aussi produits à cet endroit le vidéo-clip First Day (첫째날157 – Premier

jour) du jazzman Eco Bridge158 et de Yoo Naul (유나얼)159 du groupe Brown Eyed

Soul160 (BES), tourné en janvier 2012 et paru le mois suivant, ainsi que le Studio

2, Video Concerto for Something Analog No. 2, en novembre 2011.

À notre légère déception, nous n’avons pas pu poser dans le clip, car il était

préférable d’avoir deux acteurs de haute taille. L’actrice choisie par le chanteur

Gill était très grande.

3.5 Studio 2 : Video Concerto No. 2161 (Novembre 2011)

De ce Studio 2, nous avons retenu pour Time’s Not Forever la projection mapping

pour l’obtention de projections à grande échelle et l’illusion d’optique entre le

relief réel et la membrane virtuelle. Nous avons aussi conservé deux types de

relations : celle du corps réel vs corps projeté, et celle du performeur devant une

multiplicité d’interfaces. Celles-ci sont, comme le soutient Robert Faguy dans sa

thèse De l’utilisation de la vidéo au théâtre : une approche médiologique. Plus

157 Cheotjjae Nal, en romanisation.

158 에코브릿지 (Eko Beuritji, en romanisation).

159 Annexe 12 (vidéo-clip, 15 vidéos et 8 photos de la production).

160 브라운 아이드 소울 (Beuraun Aideu Soul, en romanisation).

161 Annexe 13 (4 vidéos et 12 photos de la préproduction; 212 photos pour le montage visuel et

13 photos-mouvements d’ouverture; affiche, vidéo, 4 chansons et 60 photos de la production;

ainsi que 2 photos d’inspiration-costume, 15 photos d’inspiration-gestes, 2 chansons et 2 vidéos

d’inspiration).

Page 104: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

92

de 35 ans d’expériences vidéoscéniques québécoises, des « outils adaptés

permettant la création de nouvelles situations de communication162. » En étant

des objets d’imagination, elles devinrent des faits artistiques et engendrèrent

des espaces narratifs inédits.

À cet égard, nous devons avouer notre désaccord avec Robert Lepage lorsqu’il

énonce que « Tout concourt à rendre la relation acteur-écran

difficile. [...] L’écran pose le problème suivant : on se sent toujours obligé de le

remplir. 163 » Nous ne nous sommes jamais senti obligé de le faire. Notre

questionnement concernait plutôt comment (partiellement ou totalement) et

quand (à quel moment) nous devions le remplir.

Le public restreint, le spectacle fait en solo et l’usage du cube blanc comme

surface de projection furent aussi conservés pour notre création finale.

Septembre et octobre, hormis la réalisation (en septembre) d’une publicité

télévisuelle pour le Festival international de jazz de Jarasum164 dans laquelle

Kyunghwan et nous avons joué des visiteurs165, furent principalement des mois

d’écriture, de réflexion et de discussions touchant la vision et les projets du

162 Robert Faguy, De l’utilisation de la vidéo au théâtre : une approche médiologique. Plus de 35

ans d’expériences vidéoscéniques québécoises, Thèse (Ph. D.), Québec : Université Laval, 2008,

p. 316.

163 Op. cit., p. 329.

164 자라섬국제재즈페스티벌 (Jarasum Gukje Jaejeu Peseutibeol, en romanisation) – Jarasum

International Jazz Festival.

165 Annexe 14 (vidéo et 3 photos de la production).

Page 105: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

93

groupe In the B. Le Video Concerto fut défini comme suit :

Telle une composition musicale pour un orchestre et un ou plusieurs

solistes, Video Concerto for Something Analog exploite de multiples instruments

afin de mettre en scène sa structure harmonique, visuelle et rythmique. Le

procédé amalgame images filmées, projections, corps présentiels, sons,

musique, éclairages, décor et accessoires. La vidéo transmise et diffusée dirige

la partition de l’œuvre166.

Ce laboratoire fut effectué au Studio Irving, de l’étude Turned Off the TV, avec

une collaboration additionnelle du Studio Circus de Jungsik Gong (정식공).

Pour le synopsis, nous avons gardé une des idées de House is Not a Home au

sujet de la maison comme lieu où l’on passe et que l’on quitte. Il s’agit d’une

transition, d’un cycle, d’un passage des saisons qui contient une période de

maturité, un déclin, une disparition et une renaissance. Julian Beck notait

d’ailleurs que la vie en harmonie n’était pas sans conflits, mais que les

résolutions se suivaient toujours comme les saisons, naturellement167.

Un texte écrit le 29 septembre fut aussi retenu :

Je suis fatigué de dire que je suis triste, maintenant tout va bien, je ne pourrais

aller mieux qu’aujourd’hui. La vie ne me suffit plus. Il faut l’amour, mais de qui,

de quoi, d’où, pourquoi... et quand? Avant de partir? Avant de rentrer? Où aller

alors? Pour qu’on nous voie. Donc je travaille. En espérant. J’aurais espéré être

166 En version anglaise : « Like a piece of music for one or more main solo instruments and an

orchestra, Video Concerto for Something Analog exploits multiple devices in order to organize its

harmonic, visual and rhythmic structure. The process amalgamates filmed images, projections,

live performers’ bodies, sounds, music, lightings, decors and accessories. The diffused and

transmitted videos conduct the arrangement of the composition. »

167 Julian Beck, The life of the theatre: the relation of the artist to the struggle of the people, San

Francisco: City Lights, 1972.

Page 106: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

94

plus grand que moi, mais je ne me connais pas. Je est un autre, et l’autre est

toujours ce qu’il nous manque. Ce qu’il me manque c’est moi, donc on ne peut

être autonome, complet, indépendant. On se cherche, mais on ne se trouve

jamais. Ou sinon, on ne trouve assurément pas ce que nous aurions aimé voir.

On ne trouve que des portions de soi, éparpillées. Et on se couche, en se disant

qu’il y aura demain. Mais demain, on se dira encore qu’il y aura demain.

De cette notion de recherche de l’autre, de manque et d’éparpillement, nous

avons envisagé de mettre en scène un personnage (un homme, joué par nous)

qui marcherait au centre du plateau en regardant des maisons (en feu, glacées

ou multicolores) défilant à l’horizontale devant et autour de lui sur des écrans,

comme s’il pouvait y entrevoir un cycle de vie. Dans Michel Foucault et les

impasses de l’ordre social, Danilo Martuccelli précisait pertinemment qu’il fallait

trouver en soi-même la façon de se comporter et que pour Michel Foucault, cette

attitude était un savoir-faire instaurant une “esthétique de l’existence”, une

technique de vie168.

Nous avons imaginé la silhouette de cet homme toute noire. Comme celle du

guitariste Eric Draven joué par Brandon Lee dans le film Le corbeau, ainsi que

celle de Michael Jackson lors des MTV Video Music Awards en 1995.

Quant au rôle que nous tiendrions en incarnant ce personnage, nous en

connaissions l’importance. Serge Minet croit au spectacle thérapeutique comme

168 Danilo Martuccelli, Michel Foucault et les impasses de l’ordre social, dans « Sociologie et

sociétés », Montréal : Presses de l’Université de Montréal, Volume 38, no 2, 2006, p. 17-34,

<http ://id.erudit.org/iderudit/016370ar>, p. 21.

Page 107: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

95

voie d’accès à l’inconscient, et à l’expression de la souffrance comme incitateur

à devenir ce que nous sommes, en étant d’abord un autre dans l’espace scénique.

Il pense que simultanément à cette relation bilatérale où se jouent les répliques

de notre histoire et se confondent les genres et les rôles, nous nous surprenons

à nous interroger sur comment nous sommes devenus le spectateur de notre

représentation et pourquoi un acteur se trouvant dans la peau d’un autre. Dans

Du divan à la scène : Dans quelle pièce, je joue?, Minet le soutient ainsi : « je

suis actuellement acteur ou metteur en scène, passant des coulisses au plateau

[...] les scènes déjà jouées, les monologues éculés, les dialogues assourdissants,

de l’autre scène169. »

De plus, l’acteur doit être scénique et écranique. Il lui faut toujours être conscient

de son ombre, car il n’est jamais seul. Celle-ci, en tant qu’image bidimensionnelle,

peut raconter autre chose. Le corps réel est assimilable à une surface de

projection. Sur les couches possibles de signification proposées par ce dernier,

Faguy précise que :

L’écran humain devient mobile autant dans l’espace que dans ses possibilités

de métamorphose. [...] la projection peut servir autant à habiller le corps qu’à le

déshabiller. [...] En habillant le corps d’images, le performeur peut se

métamorphoser, prendre une identité autre et, dans certains cas, changer

instantanément de peau. [...] Il se produit une dialectique entre le corps réel et

le corps projeté170.

169 Serge Minet, Du divan à la scène : Dans quelle pièce, je joue ?, Liège (Belgique) : Mardaga,

2006, p. 11-12. 170 Op. cit., p. 92.

Page 108: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

96

À la première écriture du spectacle, nous avons divisé celui-ci en quatre parties.

Deux idées de la deuxième création d’approche furent reprises et peaufinées : la

télévision de One of My Turns (cette fois un écran d’ordinateur) ainsi que la

voiture comme symbole de voyage de Three wishes. De plus, le concept de

pièces jouées en direct par Jungmin au piano (Introduzione de Icaro notamment)

de House is Not a Home fut conservé (cette fois la musicienne installée sur un

bloc surélevé). En voici la version :

1re partie. Le vieil homme est assis sur un cube et fixe l’écran d’ordinateur (une

rivière qui coule) dans lequel se trouve une caméra le filmant, sur la musique de

Icaro. Derrière lui, une femme (la sienne), vêtue de noir, comme lui. Au fond de

la scène, en projection mapping (technique permettant de projeter des vidéos

sur des volumes en jouant avec leur relief), apparaissent sur trois grands murs

des images du film Le Peuple migrateur. Tirées du documentaire présentant

plusieurs variétés d’oies, elles montrent la migration des oiseaux. Avec la bande

sonore de ce film, le personnage s’émerveille jusqu’à ce qu’un événement

perturbateur se produise. La technique l’attaque en l’inondant d’images

témoignant des horreurs de certains moments de sa vie. En l’occurrence, de la

violence, des larmes, des cris, de la détresse, et des souffrances. Triste et

agressé, il se lève et éteint la télévision avec sa canne, cependant qu’un dialogue

riche en émotions débute entre lui-même (corps réel) et des images de lui (jeune

et moins jeune) qui se présentent sur les murs de côté et du fond. Énervé et

Page 109: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

97

dérangé, il menace les écrans de sa canne avant de s’écrouler de malaise, de se

relever lentement, reprendre sa canne et retourner s’asseoir au même endroit.

Ces images ne font que suggérer des interprétations. Elles n’expliquent pas.

Nous avons la conviction, comme l’estime Lepage, « que le spectateur doit se

sentir intelligent. Il sent alors qu’il peut créer avec nous. Il faut que le spectateur

dans son siège travaille171. » La vie passée et le futur de l’homme ne sont donc

qu’évoqués. Une petite voiture (jouet) symbolisant l’enfance est projetée sur les

écrans et une voix d’enfant préenregistrée (difficile à discerner s’il s’agit d’un

garçon ou d’une fille) dit à quelques reprises les mots « Tu m’as donné des

ailes. » Alors que nous voyons défiler des images de champs, nous entendons la

piste To be by your side de Nick Cave (de la même bande originale) et des cris

d’oiseaux en vol.

2e partie. Une voiture sport blanche symbolisant l’adolescence et la pureté est

projetée sur les écrans. À travers des courses de voitures réelles et en jeux

d’arcade, celle-ci rappelle à l’homme son premier bolide, son premier amour (et

dernier, cette femme à ses côtés) et son premier baiser. Au cinéparc, nous

devinons son corps et celui de sa femme dans une voiture blanche garée devant

un écran géant où l’on présente un film dans lequel le couple danse à la manière

de Fred Astaire. Cette mise en abime représente une transition vers sa vie future

171 Op. cit., p. 330.

Page 110: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

98

avec sa famille, alors que nous entendons des cris et des pleurs de bébés ainsi

que des feux d’artifice. Sur scène, le couple répond à l’image en dansant de la

même façon.

3e partie. Pendant que le couple pose comme dans une séance photo et qu’une

voiture familiale bleue et des clichés du couple sont projetés sur les murs, nous

avons au plafond une image fixe de l’homme comme lorsqu’il fixait l’écran au

début. Un technicien (Namjo) monte sur scène et change les vêtements du

couple (robe de mariée et complet), la pianiste Jungmin enlève le chapeau de

l’homme et un prêtre (interprété par Chiehwan) déclare le couple mari et femme

quand est projeté sur les écrans un décor intérieur de cathédrale. Comme sons,

nous avons des voix et des rires d’enfants (garçons et filles) que nous imaginons

à la plage ou dans un parc d’amusement.

4e partie. Sur des images à bord d’un bateau voguant sur l’océan, nous entendons

deux voix (un fils et une fille). Leur ton et leur propos sont similaires à ceux de

Sylvaine, la fille de Rémy dans le film Les Invasions barbares, lorsqu’elle se

confie à son père mourant dans une scène des plus touchantes. S’ajoutent à cela

un jazz (Cantaloupe Island, de Herbie Hancock fut considérée) et des cendres

que l’on disperse dans l’océan, alors que le bateau se transforme en voiture noire.

Elle représente le décès, le corbillard. Mais la mort est belle et se fait en

tendresse, car l’homme tombe calmement et se relève en douceur avec l’aide de

sa canne et de sa femme (corps réels). Au même moment, une projection montre

Page 111: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

99

deux enfants (que nous imaginons siens) le redressant et l’aidant à retourner à

la voiture afin de l’asseoir aux côtés de sa femme. Les enfants s’installant à

l’avant. Comme les images disparaissent des murs, l’homme parle à l’écran, avec

l’écho de ses enfants : « Tu nous as donné des ailes, papa. Grâce à toi, nous

sommes plus loin. » La musique du spectacle Icaro ainsi que des cris et des

pleurs de bébés reprennent. Au plafond, nous avons un gros plan sur la bouche

de l’homme concluant : « Je n’avais pas vu que c’était toi. »

Pour la deuxième écriture (et version finale), nous avons décidé de ne plus vieillir

le personnage, ni au moyen de maquillage ni par son attitude. Car nonobstant

qu’il s’agisse d’un dernier tour de piste lui permettant de profiter de la tribune et

d’apprécier le public, nous croyions que le vieillir aurait été le figer, le fermer,

tandis que lui laisser notre apparence donnerait au public plus de place à

l’imagination. Certains spectateurs pourraient croire à un dernier tour de piste

alors que d’autres verraient un premier tour de piste.

Nous avons aussi choisi d’enlever l’ordinateur devant lui, objet troqué pour une

fausse télévision formée d’un cube blanc, sur lequel notre corps fut positionné

de sorte à former une antenne, et dont notre bouche fut la vidéo projetée. À cet

instant, nos yeux furent projetés sur le mur du fond (dans la partie du haut),

remplaçant la projection au plafond. Nous croyions que de cette façon nous

serions plus dans la suggestion que dans la description. Catherine Skansberg

écrivait d’ailleurs, dans La recherche des gestes oubliés – L’école de Jacques

Page 112: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

100

Lecoq, que « Le jeu doit suggérer plutôt que définir. [...] la véritable

représentation trouve son achèvement dans l’imagination de ses

spectateurs172. »

Nous avons aussi décidé de retrancher la femme et les enfants, laissant le

personnage seul avec lui-même et la vidéo, soulignant sa solitude malgré la

surabondance de projections. De plus, nous avons accentué son jeu physique et

augmenté sa présence sur les surfaces en y multipliant ses images.

Nous avons revisité notre registre de mouvements physiques, issus tant du mime

que du clown et de notre exploration du corps extraquotidien. Du mime, la

marche sur place ainsi que les expressions faciales de dégoût, de joie, de peur,

de colère, de passion, ou de surprise. Du clown, les déplacements à l’allure d’un

gorille ou des personnages fantastiques de Tim Burton, ainsi que la marche et la

course tel un gnome, créature humanoïde légendaire.

Le Peuple migrateur, pour sa part, nous servit à étudier et reproduire des oies,

des grues et des bernaches en vol. Une quinzaine de photos représentant la

biomécanique de Vsevolod Meyerhold et le mime de Jean-Louis Barrault

inspirèrent aussi la séance de photos du 12 novembre visant à capter les images

pour le montage visuel. Sur un total de 1 212, 212 furent choisies et modifiées

172 Catherine Skansberg, La recherche des gestes oubliés – L’école de Jacques Lecoq, dans

« Les voies de la création théâtrale : La formation de l’acteur », Paris : CNRS, 1981, p. 91.

Page 113: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

101

sur Photoshop.

Finalement, une série de treize mouvements, dont une image arrêtée de chacun

restait derrière (sur les côtés) durant quelques secondes (comme une trace, une

continuité), se retrouvait interprétée dans le Video Concerto for Something

Analog No. 2. Pendant ce temps, le personnage apparaissait sur le mur du centre,

marchant vers nous en prenant des clichés. Le son du flash était reproduit en

synchronisme. Faguy explique cet effet comme suit :

En intégrant l’image vidéo graphique de danseurs présents sur scène, on

renforce cette impression de synchronisme. Le danseur peut chercher à

reproduire l’exactitude de son mouvement vu à l’écran et l’effet performatif

symétrique sera d’autant plus grand si le spectateur comprend bien qu’il s’agit

d’une image préenregistrée, la retransmission en direct banalisant l’effort de

synchronisation gestuelle173.

Ces gestes se répondant tel un dialogue et la scène suivante où le personnage

prenait plaisir à démêler son propre puzzle de douze images en vol d’oiseau

s’animant en stop motion sur les trois murs, offraient de ludiques possibilités aux

spectateurs. Faguy précise que « Le synchronisme des expériences de

perception multimédiatique donne l’occasion au spectateur de vivre pleinement

le moment présent à partir duquel il pourra s’amuser à tracer des décodages

parallèles mis à jour par les connexions multiples174. »

Pour ce qui est des sons, plusieurs mots coréens furent sélectionnés pour être

173 Op. cit., p. 240.

174 Op. cit., p. 243.

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102

prononcés sur scène en direct175. Pour la musique, nous avons conservé Icaro et

ajouté Lost Boys Calling de Waters en collaboration avec Morricone. Always

Returning de Brian Eno, ainsi que Hey U de Basement Jaxx interprétée avec le

Metropole Orchestra, furent aussi choisies.

3.6 Création d’approche 3 : International Finance Centre176 (Mars 2012)

De cette Création d’approche 3, nous avons gardé plusieurs thèmes et idées, tels

que l’insomnie urbaine des services, le changement, la vitesse, le temps, la ville

en mouvement, la facilité de voyagement ainsi que le matériel à la fine pointe de

la technologie, les écrans, les projections et l’usage des transports dans la

performance. L’éventuelle exploitation des décors constructivistes

meyerholdiens, lesquels mécaniques, mobiles et dessinés sur un mode industriel

épouseraient les dimensions de l’espace réel et s’édifieraient graduellement en

blocs tel un jeu vidéo de puzzle Tetris ou le spectacle de la tournée The Wall, ne

fut pas totalement oubliée non plus. Dans Le temps n’est pas pour toujours, des

blocs de carton manipulables servirent de surfaces de projection et

175 Mots tels que : 울랄라 (Oul-lal-la – Oulala), 진짜? (Jin-jja? – Vraiment?), 대박 (Dae-

bak – Jackpot), 헐 (Heol, expression dialectique utilisée surtout par les plus jeunes et qui peut

être employée dans plusieurs contextes – Qu’est-ce qui se passe? ou, au figuré, Qu’est-ce que

c’est que ce bordel?), 시끄러워 (Si-kkeu-leo-weo – Trop de bruit ou La ferme!), 똑똑해 (Ttok-

ttok-hae – Être intelligent), 피곤해 (Pi-gon-hae – Être fatigué), 끝 (Ggut – Fin ou C’est réglé) et

도깨비 (Do-kkae-bi – Monstre ou Fantôme). 176 Annexe 15 (7 vidéos d’inspiration).

Page 115: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

103

d’instruments de jeu. Cet élément sera analysé davantage dans la quatorzième

partie (Derniers changements et retraits) du prochain et dernier chapitre

(Processus scriptural et ses traces) de ce volet pratique.

Après avoir mis en scène quelques concerts de la tournée Soul Live de Brown

Eyed Soul177 (au Korea International Exhibition Center178, centre de conférences

situé à Ilsan179, en décembre 2011; et au Gymnase olympique de Séoul180 en

janvier 2012, où nous avons fait le message de bienvenue en français et

Kyunghwan en coréen), conçu deux vidéos promotionnelles pour le 20e

anniversaire de Chanel Korea181 en décembre 2011, et agi comme animateur

d’expression corporelle pour de jeunes enfants malades à l’Hôpital Severance182

de Sinchon-dong (신촌동) en février 2012, nous avons entamé notre proposition

pour l’ouverture officielle de l’IFC Seoul183.

L’architecture de cet ensemble de gratte-ciel fut conçue par Arquitectonica et la

construction de celui-ci fut complétée en août 2012. La structure possède un

style coloré, expressif et moderne. Le centre financier, rivalisant avec Hong Kong

177 Annexe 16 (2 vidéos et 7 photos de la production).

178 Aussi appelé KINTEX – 킨텍스 (Kintekseu, en romanisation).

179 일산신도시 (Ilsan Sin Dosi, en romanisation) – Ilsan New Town, au nord-ouest de Séoul.

180 올림픽공원 체조경기장 (Ollimpik Gongwon Chejo Gyeonggijang, en romanisation) –Olympic

Gymnasium.

181 Annexe 17 (2 photos de chacune des 2 vidéos).

182 세브란스 병원 (Sebeuranseu Byeongwon, en romanisation) – Severance Hospital.

183 아이 에프 시 서울 (Ai Epeu Si Seoul, en romanisation), aussi dit 서울국제금융센터 (Seoul

Gukje Geumyung Senteo, en romanisation).

Page 116: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

104

et Singapour comme pôle dominant en Asie, dispose de ressources

considérables à exploiter. Ses plafonds de trois mètres offrent plus d’espace que

tout autre bâtiment à Séoul. Le verre teinté permet de maximiser l’éclairage

naturel, créant un endroit ouvert, aéré, et une atmosphère légère, donnant une

vue panoramique des rives nord et sud de la rivière Han. Et les soixante-huit

ascenseurs intelligents permettent aux usagers de se rendre d’un endroit à un

autre en quelques secondes. En ajoutant les nombreux bars et restaurants ainsi

que le cinéma CGV, nous obtenons les cinq sens : la vue, l’odorat, le goût, l’ouïe

et le toucher. Le IFC Seoul fournit un environnement optimal pour transformer

l’Ile de Yeouido en une destination inégalée pour l’art, les affaires, la culture, les

loisirs et la nature.

Pour définir les assises de notre création, la première idée qui nous était venue

était de s’inspirer des fascinants et grandioses spectacles de la mi-temps des

Super Bowls, finales de la Ligue nationale de football américain. En tant que

mélomane et amateur de football, ces événements artistiques dans l’événement

sportif ont toujours attiré notre attention et procuré du plaisir à nos oreilles et de

l’émerveillement à nos yeux.

Nous avons retenu la prestation de Jackson en 1993 où le Roi de la Pop se sortit

des écrans géants avant d’apparaître au milieu du terrain pour rester immobile

durant deux minutes alors que des hélicoptères résonnaient dans le ciel, et où

ce fut la première fois qu’on y voyait un artiste mondialement connu. Celle de

Page 117: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

105

Diana Ross en 1996, où après un pot-pourri de ses meilleurs succès ainsi que

maints effets pyrotechniques la diva quitta le stade en hélicoptère sur Take Me

Higher, fut aussi estimée pertinente. La performance de U2 en 2002 qui,

quelques mois après les attentats du 11 septembre 2011 sur le World Trade

Center, joua sur un plateau en forme de cœur en hommage aux victimes (leurs

noms défilant sur un grand écran en toile de fond), fut pareillement retenue. Le

spectacle de Paul McCartney en 2005, qui livra un pyrotechnique Live and Let

Die et un mémorable Hey Jude chanté en chœur par une foule de plus de 80 000

fans, fut également sélectionné. Enfin, la prestation de Prince en 2007, où le

guitariste conclut sous la pluie battante avec Purple Rain dans une ambiance de

folie, fut aussi jugée appropriée.

Nous avons au surplus consulté des performances exploitant des projections

vidéo en 3D ayant été effectuées dans le milieu urbain. Deux furent

convaincantes en matière d’expression spatiale et de dialogue citadin. Primo,

celle des célébrations entourant l’inauguration de l’hôtel Atlantis The Palm à

Dubaï en 2008 où l’entièreté de la façade de l’infrastructure fut utilisée comme

surface de projection en haute définition (HD) pour raconter l’histoire de

l’Atlantide. Secundo, celle de Ralph Lauren en 2010 à ses boutiques de New York

et de Londres qui sut célébrer dix ans d’innovation numérique et rétablir les

valeurs de la marque en présentant à l’aide d’animations un défilé de mode

virtuel devant une masse de spectateurs enchantés.

Page 118: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

106

Le processus créatif prit brusquement fin lorsque Namjo nous annonça que ce

projet ne figurait plus dans les plans du collectif. La dynamique art/cœur

(notamment l’art du cœur au cœur de l’art), inspirée de la situation centrale du

IFC Seoul (au cœur de l’Ile de Yeouido, elle-même au cœur de Séoul), fut par

conséquent abandonnée et inexplorée.

La conception vidéo ultérieure du groupe In the B s’apparentant le plus à cette

création d’approche, aussi prévue en extérieur, est celle du spectacle multimédia

Summer Night Jukebox184 au parc à thèmes Everland185 situé dans la province

de Gyeonggi186 aux environs de Séoul, en avril 2013187.

3.7 Création d’approche 4 : lMU188 (Avril 2012)

De cette Création d’approche 4, nous avons conservé pour notre création urbaine

l’importance du rythme et du son lors de la mise en jeu, la poétique et

l’esthétique du corps extraquotidien, l’utilisation d’objets quotidiens à des fins

artistiques, et l’exploitation du lieu public comme espace performatif.

Le projet House is Not a Home fut rebaptisé These Things Happen le 5 avril 2012.

184 썸머나이트 쥬크박스 (Sseommeo Naiteu Jyukeu Bakseu, en romanisation).

185 에버랜드 (Ebeolaendeu, en romanisation).

186 경기도 (Gyeonggi Do, en romanisation).

187 Annexe 18 (1 vidéo de la production).

188 Annexe 19 (3 vidéos, 3 schémas et 1 liste d’éléments chorégraphiques de la création, 18

photos -3 de la Gare de Séoul et 15 de poses- ainsi que 4 vidéos d’inspiration).

Page 119: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

107

Les raisons exactes nous échappent puisque ce choix arriva spontanément dans

un moment d’inspiration. Nous croyons néanmoins que l’appellation La maison

n’est pas un domicile était trop restrictive, tandis que le titre These Things

Happen (Ces choses arrivent) paraissait plus ouvert, plus large et plus près du

happening, ce vers quoi nous nous dirigions. Il est aussi probable que nous ayons

été influencé par la réplique « These things have to be done » (Ces choses

doivent être faites) lancée à une fleuriste par Henri Verdoux dans le film

Monsieur Verdoux de Charles Chaplin. Comme nous avons beaucoup étudié le

travail de Chaplin et son personnage Charlot, tant à des fins académiques que

pour le personnifier comme amuseur public, son influence sur nos pratiques est

indéniable.

Lors de la même semaine, nous avons eu trois idées de performances. La

première consistait en une partie de baseball dans une station de trains ou un

aéroport. Ce sport est très populaire en Corée du Sud. Et ces endroits quotidiens

ne sont utilisés à cette finalité qu’à de très rares occasions. Pourtant, ils offrent

beaucoup d’espace et fournissent une masse de spectateurs présents. Comme

accessoires, nous aurions eu besoin de deux casques protecteurs et un bâton

pour frappeurs, une casquette pour chacun des quatre joueurs, quatre coussins

pour les buts, un tableau pour marquer les points, une caméra pour transmettre

en direct l’action sur un ou des écrans, ainsi qu’une table, des crayons, du papier

et des écouteurs pour les commentateurs. Comme performeurs, quatre joueurs,

Page 120: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

108

un ou deux arbitres capables de crier les décisions, deux commentateurs, un

vendeur de bières et de croustilles à la voix bien portante, un caméraman, un

journaliste, une mascotte, des majorettes, ainsi que deux entraîneurs effectuant

des signaux, et ajoutant un langage non verbal à l’intervention, auraient suffi. Il

restait à décider si la musique serait présente ou non.

La deuxième idée concernait le Festival international de jazz de Jarasum et le

swing, musique inspirée du jazz. Le type de danse pratiqué sur cette dernière

aurait pu être exploité en utilisant deux ou trois scènes du site. Quelques fois par

jour, une dizaine de couples de danseurs auraient offert des interludes sans être

inscrits dans la programmation. Ils auraient porté des t-shirts identiques afin

d’être faciles à repérer tant dans l’espace réel (lieu de représentation) que dans

l’espace virtuel (écrans les diffusant en direct). Les danseurs et les spectateurs

voulant s’y mêler auraient pu se mélanger en changeant de partenaire. À la fin

des deux ou trois morceaux, certains auraient dû recourir aux écrans pour

retrouver leur partenaire d’origine.

La troisième idée touchait les jeux vidéo. Dispersés parmi une foule (en extérieur

ou en intérieur), des joueurs sur appareil mobile auraient réagi impulsivement

aux événements du scénario (par exemple, en hurlant ou en sautant de joie). À

force de suivre et de subir le comportement des utilisateurs, les observateurs

auraient réalisé que ces derniers n’étaient pas fous, mais plutôt absorbés par

leur partie. Les spectateurs auraient pu aussi s’amuser à discerner ceux jouant

Page 121: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

109

en solo d’avec ceux jouant en réseau, et imaginer ceux participant à la même

aventure, en alliés ou en ennemis.

Dans cette idée d’exploitation du lieu quotidien et fréquenté comme espace

spectaculaire, cette création débuta avec le groupe pop IMU (Inspired Music

Unit – Unité de musique inspirée). Pour cette formation de chanteurs, nous

devions composer une chorégraphie et en faire une performance publique.

La première rencontre eut lieu le 14 avril et les sept membres ainsi que le

manager du groupe et Namjo étaient présents avec nous. Nous avons commencé

avec l’exercice de la marche neutre où il s’agit de trouver des tics chez les autres

et de les amplifier en marchant derrière celui que nous avons choisi d’imiter.

Nonobstant leur rapidité d’exécution leur laissant peu de temps pour déceler

quelque chose de très spécifique et pertinent à exagérer, ils participèrent bien et

prirent du plaisir. Surtout lorsqu’il fallait se rasseoir et s’observer à travers l’autre.

L’objectif était de les mettre à l’aise en les faisant rire et bouger, tout en nous

permettant de découvrir leur sens de l’observation, leur écoute et leur capacité

à voir leurs forces et faiblesses. Activité suivante d’expression corporelle : les

animaux. En imitant le dauphin, l’éléphant, le serpent et le coq, ils purent utiliser

l’espace et explorer leur créativité dans le mouvement.

Nous avons ensuite improvisé deux situations dans le métro, en silence et avec

droit d’intégration de la parole. Les membres du premier groupe avaient reçu

Page 122: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

110

chacun une consigne : « J’ai besoin de parler », « Je suis fatigué », « J’ai envie »

et « J’ai perdu mon téléphone ». Être confortable fut plus difficile pour celui ayant

besoin de parler et celui étant fatigué, mais nous avons eu droit à des pistes

intéressantes avec les deux autres. L’un se leva pour vider ses poches et perdre

sa monnaie et l’autre se tordit sur son siège. Comme nous avions dit aux

participants de l’autre équipe de choisir leur thème, ils inventèrent un incident :

alors que le métro stoppe, les lumières s’éteignent et les cellulaires ne rentrent

plus, jusqu’à ce que le métro reprenne. Certes, nous n’avons pas assisté à une

notable construction de personnages, mais l’énergie était impeccable et ils

jouaient ensemble.

Enfin, nous avons entamé les expériences exploratoires pour leur performance.

La consigne pour tous était de trouver une action et un bruit différents pour

placer des mouvements. À notre agréable surprise, ils étaient naturellement très

doués pour la musique et comprirent facilement qu’il fallait démarrer lentement

(en fréquence et en intensité) avant de devenir bruyant et rapide pour atteindre

l’apogée dans l’exagération.

Pendant une dizaine de jours, nous avons poursuivi les ateliers ainsi que

l’écriture de la chorégraphie. Durant ces rencontres (les 16, 20, 23 et 25 avril),

nous avons constaté que les membres devaient apprendre à jouer tous ensemble

plutôt qu’en duos ou en trios, et qu’il fallait les obliger à faire des choix. En

s’imaginant à différents endroits (tels que : hôpital, parc, banque, aéroport, parc

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111

d’amusement et café) et en repensant aux exercices précédents (animaux, tics

à imiter, improvisations dans le métro), ils apprirent à prendre conscience des

distances sur le plateau, penser aux autres dans leur trajectoire respective, et

découvrir comment l’action (composée de trois éléments : accessoire, geste et

son) pouvait interagir avec les autres.

Nous avons déterminé que la musique choisie jouerait en direct (quatre haut-

parleurs entourant l’espace de jeu), que nous commencerions sans musique pour

une ou deux minutes, que les acteurs devraient s’investir émotionnellement et

pourraient sourire, que les tracés comme les gestes de la partition harmonique

devraient être clairs et précis, de même que les bruits des corps, voix et

accessoires n’avaient pas à être élevés, car nous pourrions en augmenter le

volume au montage. La prestation serait filmée par deux ou trois caméras (une

d’en haut pour la vue d’ensemble et une au sol; et si trois, une deuxième au sol),

et l’équipe s’en irait dès que la chanson stopperait.

Comme lieu, nous avons sélectionné la Gare de Séoul189 pour laquelle nous

avons dessiné trois schémas de déplacements et montré trois photos aux

participants. Il fut également présenté aux membres trois vidéos d’inspiration (le

tableau vivant à 120 modèles de Sarah Small présenté en 2011 à New York, un

extrait du film Les Temps Modernes dans lequel Charlot est happé par les

189 서울역 (Seoul Yeok, en romanisation) – Seoul Station.

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112

rouages de l’industrialisation et broyé par les cadences infernales de l’usine,

ainsi qu’une démonstration de la biomécanique de Meyerhold effectuée par

Genadi Bogdanov) et seize photos de poses afin de les guider dans leur création

de sculptures corporelles.

En fin de parcours, nous avions défini les éléments chorégraphiques de celle que

nous avions nommée « Body Machine » (pour Machine corporelle, Machine de

corps ou Machine à corps). En voici les composantes. 1 : l’ATM – Automated

Teller Machine 190 qui fronce les sourcils en se dirigeant vers les machines

dispersées, utilise en guise de carte un accessoire bruyant lorsqu’il touche le mur

(tel qu’un cœur en métal, une roulette de ruban adhésif industriel ou du papier

sablé) et qui crie « OK » ou « Yes » en agitant les bras quand il est heureux et

soulagé d’avoir toujours des fonds; 2 : le Journal191 qui commence assis sur son

siège avant de se lever et terminer debout sur son siège en ouvrant, lisant,

refermant et lançant son journal au sol, à chaque fois surpris et dégoûté que les

nouvelles soient les mêmes et surtout mauvaises; 3 : le Rouge qui, après avoir

tenté de fumer et crier en soufflant la boucane de sa cigarette, installe avec

passion sa sculpture corporelle en enlevant minutieusement ses chaussures, ses

chaussettes, ses gants et son chapeau pour prendre une position poétique et

confortable, mais extraquotidienne, contrastant avec les autres grâce à la

190 DAB (Distributeur Automatique de Billets).

191 신문 (Shinmun, en romanisation).

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113

douceur et la finesse de son exécution; 4 : la Pelle192 qui marche (en variant le

rythme et la démarche, principalement en gorille) autour des autres pour

encercler l’espace de jeu, débite mécaniquement une multitude d’adjectifs et

frappe sa pelle au sol, ou cogne ses haltères en se pavanant pour montrer

comment il est fort; 5 : le Café qui passe par une vaste gamme d’émotions (pleurs,

bonheur, tristesse, panique...) en veillant sur ses clients imaginaires avec un

revolver et des mots de courtoisie tout en leur donnant des noms ou des titres;

6 : le Leader qui tantôt assis, tantôt debout, se sert d’un contenant de pilules

comme téléphone et dont le son lorsqu’on le secoue évoque des maracas, répond

여보세요! (Yeoboseyo!, Allô!) avant de lancer 미친거아냐? (Michingeoanya?,

T’es malade, ou quoi?) à maintes reprises; et pour conclure, 7 : le Chapeau193 qui

encercle l’espace de jeu et s’épanouit en se mouvant dans la transe qu’engendre

la musicalité de son instrument (gros ballon vert au son associable à celui d’une

grosse caisse).

Quelques autres accessoires furent essayés et retirés (ballon différent, corde à

danser et bouteille de crème à raser), de même que les gestes devaient

s’amplifier et la voix hausser en crescendo pour atteindre le climax. Ce projet

n’était toutefois qu’une expérience vers TTH (These Things Happen), car nous

avions conclu que pour TTH nous ajouterions des écrans et leur rôle

192 삽 (Sab, en romanisation).

193 모자 (Moja, en romanisation).

Page 126: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

114

d’intermédiaire. Celui-ci demeurait très esthétique, chaque figure ayant une

fonction permettant de construire un ensemble, une œuvre d’art. Nous

prévoyions que lorsque la partition serait assimilée par tous, nous la varierions

tel un jazz et ferions interagir davantage les membres entre eux.

Pour des raisons de budget (le client semblait réticent à défrayer pour la

sonorisation), la machination resta inachevée. Celui-là suggéra, à la dernière

rencontre (le 25 avril), d’effectuer une performance moins onéreuse, en partant

d’une autre idée, et d’en faire la vidéo officielle de la chanson. Namjo proposa de

s’inspirer du groupe Improv Everywhere dont le slogan est « We Cause Scenes »

(Nous causons des scènes, ou Nous produisons des scènes). Des événements

artistiques de ce groupe, produits dans des lieux publics et habituellement

considérés comme des flashmobs, il fut question de l’intervention High Five

Escalator survenue en 2009 dans une station de métro de Manhattan au cours

de laquelle l’agent Lathan donna plus de 2 000 « high fives » en 45 minutes. Mais

comme la copie ou la reproduction de ce qui avait déjà été fait n’avait rien

d’attrayant pour nous, nous avons rejeté l’idée. Une autre partie de la Gare de

Séoul fut cependant exploitée le 18 décembre 2012 pour le Video Concerto for

Something Analog No. 4194.

Quant à la série TTH, huit créations (dont cinq furent achevées) suivirent. Un

194 Annexe 20 (1 vidéo -Part 1 : Les Papillons- et 12 photos de la production).

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115

projet clownesque d’intervention fumée195 fut prévu le 4 juin 2012 à la station de

métro de Gangnam 196 . Nous avions découvert l’absurdité burlesque d’une

nouvelle loi interdisant la fumée dans un secteur de Gangnam (règlement voté

par les habitants du quartier) et ainsi établissant deux zones limitrophes

distinctes (sachant très bien que la fumée circule d’un espace à l’autre grâce au

vent!). Convaincus qu’il fallait exploiter le potentiel comique de la situation, nous

voulions aider la ville à veiller sur la propreté des lieux, et surtout assurer

naïvement le bonheur de tous les citoyens se trouvant à l’endroit ciblé. Chacun

des interventionnistes (aux costumes, chapeaux, et lunettes de soleil noirs)

devait être muni d’un des outils (accessoires, tous peints en blanc) suivants : un

aspirateur (pour aérer les vêtements), un vaporisateur antibactérien (pour

pulvériser les odeurs au sol, sur la ligne limite), un balai (pour purifier l’air et

épurer les bâtiments), un nettoyant à vitres (pour assainir les murs invisibles de

l’espace limitrophe), un ventilateur (pour protéger la zone sans fumée en

repoussant la boucane), un cendrier (pour encourager les récalcitrants à

éteindre), un fusil à eau (dont le porteur dégainerait sur ceux s’allumant), ainsi

qu’un gallon à mesurer (pour vérifier et contrôler les distances). L’opération, qui

aurait été filmée par Namjo, fut annulée à la dernière minute faute de

participants disponibles.

195 Annexe 21 (7 photos du projet).

196 강남역 (Gangnam Yeok, en romanisation) – Gangnam Station.

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116

L’Étude 4 (You Are Beautiful), tournage d’un happening pour vidéo-clip, fut

réalisée au cours du mois suivant. Près d’un an plus tard, en mars 2013, nous

avons revisité et précisé les fondements de la série en publiant le texte poétique

A dog hits a truck197, écrit le 5 mars et accompagné de deux photos montrant

chacune une autoroute en plein désert, ainsi que l’album de photos titré Yes,

Those Things Happened! (Oui, Ces choses sont arrivées!)198 et composé de 42

clichés inusités. La suite, Yes, Those Things Happened-Phase 2199, préparée

pour être publiée en 2013 ou 2014 et composée d’images prises essentiellement

en raison de fautes d’orthographe, sombra dans l’oubli puisque nous l’avons

finalement jugée susceptible d’offenser les Coréens.

Le premier happening appelé TTH fut l’Étude 5, Sound of Sound of Sound (Metro

Hero), en avril 2013. Nous l’analyserons plus avant, tout comme

Octopus – Breaking News200, notre sixième création d’approche, écrite en juin et

juillet 2013. En juillet 2014, le collectif réalisa TTH #2, Exam Performance

197 Annexe 22 (texte et 2 photos de la publication). Nous le traduirions comme suit : « Un chien

frappe un camion / Un homme est couché dans la rue et une voiture passe / Un chauffeur de

taxi ne facture pas un aîné sur le chemin de l’hôpital / Quelque part – D’une quelconque

manière ».

198 Annexe 23 [42 photos de la publication : 1 Inchon (Corée du Sud), 1 Muju (Corée du Sud), 1

Hong Kong, 2 Dublin (Irlande), 1 Paris (France), 4 Dalat (Vietnam), 1 Mui Ne (Vietnam), Ho Chi

Minh-Ville (Vietnam), 1 Fukuoka (Japon), 5 île de Jeju (Corée du Sud), 4 Angkor Wat-Siem Reap

(Cambodge) et 20 Séoul (Corée du Sud)].

199 Annexe 24 (38 photos du projet, en 2 versions chacune -originale à publier/modifiée en

encerclant les erreurs ou éléments insolites).

200 문어 – 브레이킹 뉴스 (Muneo – Beuleiking Nyuseu, en romanisation).

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117

(다큐프라임 중에서 기말고사 퍼포먼스201 – TTH #2, Performance d’examen)202,

produite par le réseau de télédiffusion EBS203 et codirigée par le directeur Park

Gyungseok 204 et le professeur Jeong Gyungyung 205 . Pour cette chaîne

éducationnelle, nous avons aussi contribué comme acteur à bon nombre

d’épisodes du cours Alain’s Writing class206 en avril, mai et juin 2012.

3.8 Étude 2 : Hard to be Humble207 (Mai 2012)

De cette Étude 2, nous avons particulièrement retenu pour Le temps n’est pas

pour toujours le décor urbain en extérieur, parmi les citadins et les moyens de

transport, ainsi que l’importance du rythme lors du montage.

L’idée de départ de la vidéo fut inspirée des paroles de la pièce Hard to be

Humble (겸손은 힘들어208 – Difficile d’être humble), reprise par LeeSsang sur

l’album Unplugged (리쌍의 음반209) sorti le 25 mai 2012.

Écrite par Jo Young Nam (조영남) et parue en 1991, la chanson raconte (en

201 Dakyupeulaim Jungeseo Gimalgosa Peopomeonseu, en romanisation.

202 Annexe 25 (vidéo de la production).

203 한국교육방송공사 (Hanguk Gyoyuk Bangsong Gongsa, en romanisation) – Korea Educational

Broadcasting System.

204 백경석 감독님 (Baek Gyungseok Gamdoknim, en romanisation).

205 정경영 교수님 (Jeong Gyungyung Gyosunim, en romanisation).

206 Annexe 26 (4 vidéos ainsi que 8 photos des productions).

207 Annexe 27 (paroles -coréen/anglais-, vidéo-clip et 60 photos de la production).

208 Gyeomsoneun Himdeureo, en romanisation.

209 Lissangui Eumban, en romanisation.

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118

traduction libre, le je étant le narrateur), que :

Dans le monde, il y a des gens qui l’ont et ceux qui ne l’ont pas. Il y a beaucoup

de gens, mais je suis le meilleur d’entre tous. Je suis un homme à succès et

frivole. Quand je joue, je vole comme un hélicoptère. Comme chanteur, j’ai l’air

d’un clown, mais je suis un phallocrate innocent qui aime la magie de l’art et de

la romance. Allons dépenser partout cet argent débordant! Allons gronder ces

hautaines dames! Mon père et ma grand-mère défunts m’ont dit d’être modeste,

mais c’est la seule chose dont je ne suis pas capable jusqu’à maintenant. Je vis

à ma façon. Mes paroles, ma musique, mon amour, mes idées. Je suis fier de

tout.

Au premier instant où nous avons pris connaissance du propos, il nous sembla

que pour parler ainsi de l’humilité, il fallait être jeune et immature. Nous avons

imaginé deux garçons de 7 ans210 personnifiant les membres du duo, Gary et Gil.

Ils feraient de mauvais coups dans la ville, tapant tantôt la tête d’un étranger

(nous-même, dans sept rôles 211 ), tantôt le derrière de celui-là et d’autres

figurants coréens (dont un couple savourant un champagne).

Un des objectifs principaux était de produire pour le duo une création différente

de la précédente (Étude 1) en tournant en extérieur et dans la ville, en opérant

des mouvements de caméra rapides et en variant les espaces de l’action afin de

rendre la fable vivante et rythmée.

Nous croyions aussi en l’importance d’exploiter le thème de la naïveté. Car

210 7 세 (Se, en romanisation).

211 Touriste donnant une pièce, agresseur avec une casquette écrite 외국인 (oegugin, en

romanisation, voulant dire étranger-personne d’un autre pays), client dans un café, moine

bouddhiste dans un temple, peintre, passant, et réalisateur (감독, Gamdok, en romanisation).

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l’humilité n’est pas si facile à gérer. Mais pourquoi? Et comment la vivre? Faut-il

connaître nos forces ou les ignorer? Si oui, comment les assumer sans les exhiber

et blesser les autres? Et si non, comment les négliger sans tomber dans la fausse

modestie? À notre avis, on perd ses atouts et ses charmes en s’en montrant trop

au fait. L’exhibition de son succès et de ses richesses frôle la prétention. Il est

préférable de les ignorer, ou ne pas trop les montrer, de la même manière dont

l’on gagne à user de discrétion sur les réseaux sociaux. Peut-être peut-on ainsi,

comme le témoigne la métaphorisation du duo LeeSsang par des enfants,

conserver la magie de l’insouciance.

Durant trois jours de tournage, nous avons filmé à maints endroits de Séoul : le

vieux et traditionnel quartier Insa-dong (인사동), la rue Garosu-gil212 et le Studio

Irving dans Sinsa-dong, l’Université de Hanyang213, le pont Jamsugyo214, le parc

Yangje215, ainsi que sur le bord de la rivière Han.

La création connut un énorme succès commercial. Elle occupa la première

position du top 100 du service de vente de musique en ligne MelOn216 (le plus

populaire en Corée du Sud) avant de se faire détrôner par Gangnam Style217.

212 가로수길 – Garosu-gil Road.

213 한양대학교 (Hanyang Daehakgyo, en romanisation) – Hanyang University.

214 잠수교 – Jamsugyo Bridge.

215 양재천 (Yangje Cheon, en romanisation) – Yangje Park.

216 멜론 (Mellon, en romanisation).

217 강남스타일 (Gangnam Seutail, en romanisation), de Park Jae-sang (박재상), connu sous le

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120

Durant le même mois, le vidéo-clip de Pursuing the Happiness (행복을 찾아서

218 – Poursuite du bonheur)219 fut aussi réalisé par In the B. Le collectif apprit

beaucoup de celui-ci en matière de techniques de montage visuel.

3.9 Étude 3 : Video Concerto No. 3, Tom and Jerry Night220 (Juin 2012)

De cette Étude 3, nous avons gardé pour notre création surtout les bienfaits

d’une rigoureuse recherche préalable à l’élaboration de la création, l’extrême

potentiel de l’intermédiaticité ainsi que la spectacularité des écrans multiples et

des installations portant sur le même thème.

Le soir du 24 mars 2012, il fut décidé que le troisième Video Concerto aurait pour

thème le duo de protagonistes fictifs Tom et Jerry de la série d’animation

éponyme221. Dans notre proposition de spectacle, prévu le vendredi 4 mai, mais

reporté au samedi 23 juin, car la salle de représentation, Platoon Kunsthalle222,

située dans Nonhyeon-dong (논현동), n’était pas disponible plus tôt, le

nom de Psy (싸이, Ssai, en romanisation).

218 Haengbokeul Chajaseo, en romanisation.

219 Annexe 28 (vidéo-clip de la production).

220 Annexe 29 (proposition du 4 mai 2012, liste des films de Tom et Jerry, notes et catégories des

notes pour montages audiovisuels et 20 photos de la préproduction; affiche promotionnelle, 3

modèles de billets, 13 staff ID, plan de sol et fiche technique de la salle; ainsi que 5 vidéos et 20

photos de la production).

221 Tom and Jerry – 톰엔제리 (Tom en Jeri, en romanisation).

222 플래툰 쿤스트할레 (Peullaetun Kunseuteuhalle, en romanisation).

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121

programme de l’événement fut divisé en cinq parties.

1 : Cinema ‘Tom & Jerry’, d’une durée de 70 minutes, où seraient présentés une

dizaine de leurs plus marquants courts métrages; 2 : Tom’s Cinematic Stew!,

d’une durée de 40 minutes, où la partition vidéo serait un montage non narratif

préenregistré de séquences de films tandis que la partition musicale (aussi

préenregistrée) serait électronique, et où un artiste visuel s’occupant du VGing223

ainsi qu’un corps mouvant performeraient en relation avec 2 ordinateurs, 1 ou 2

projecteurs et 3 surfaces de projection mapping (l’énorme mur arrière d’une

douzaine de mètres servant d’écran principal, la table de l’artiste visuel, et un

immense morceau de fromage suspendu au plafond de la scène); 3 : Jerry Silly

Ensemble, d’une durée de 7 minutes et 42 secondes, où la partition vidéo

(présentée sur le mur arrière) serait l’intégralité de l’épisode Le Concerto du chat

alors que la partition musicale serait classique et interprétée en direct par 2

pianistes; 4 : Steve & Serge Connection, d’une durée de 12 minutes, où la

partition vidéo serait un montage narratif préenregistré de séquences de films

(diffusé sur les 3 surfaces utilisées pour le Tom’s Cinematic Stew!) tandis que la

partition musicale mêlerait électronique et synthpop (en direct, par 3 musiciens)

ainsi que des extraits de trames sonores de leurs métrages; et enfin, 5 : Cheesy

Night Party, d’une durée de 3 heures, où la partition vidéo serait un mixage en

223 Video Graphing – Graphiques vidéo.

Page 134: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

122

direct d’images filmiques (effectué par 2 artistes visuels et diffusé sur les 3

surfaces) cependant que la partition musicale serait électronique et mixée en

direct par 2 disc-jockeys (DJ). À cet égard, le collectif avait fait le VJing224 et le

VGing pour Chanel Korea lors de l’ouverture du Chanel Pop-up Store225 dans

Sinsa-dong en mai 2012 pour parfaire ses connaissances et ses habiletés.

À la mi-mai fut entamée la recherche de musique, que nous désirions

électronique. Des pièces de Lindsey Stirling furent retenues. Ses morceaux, tels

que Shadows et Electric Daisy Violin, sachant marier le classique au pop en

passant par le rock et la musique dance étaient fascinants et inspirants. Le choix

final fut cependant Star Guitar, des Chemical Brothers. Cette pièce fut

interprétée par le Jerry Silly Ensemble, qui laissa place à une pianiste solo pour

Le Concerto du chat.

De plus, nous avons visionné tous les films de Tom le chat (Thomas « Tom » Cat)

et Jerry la souris (Jerry Mouse) et préparé un document de notes pour les

montages narratifs et non narratifs.

Le 25 mai, fut écrit le texte promotionnel suivant :

Plus de 70 ans après la première apparition des interminables combats du chat

et de la souris, célébrons l’illustre série d’animation. Conflits, poursuites,

bouffonneries, gags, actions et humour basés sur la douleur, l’attaque, la

vengeance et la violence insensée!!! Le concerto rend hommage à l’éblouissant

224 Animation visuelle projetée en temps réel par un vidéo-jockey.

225 Annexe 30 (5 photos de la production).

Page 135: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

123

mariage du son et du mouvement qu’on retrouve dans leurs courts métrages. La

mémorable rivalité est revisitée avec des projections mapping sur de multiples

surfaces et de la musique classique et électronique en direct. Les vidéos aux

images harmoniques et aux séquences rythmiques nous renvoient aux rires et

au bonheur de notre enfance, alors que la performance médiatique nous touche

droit au cœur, et nos yeux d’adulte profitent de l’ambiance de la nuit

inoubliable226...

La dizaine de courts métrages pour la partie Cinema ‘Tom & Jerry’, durant

l’arrivée des invités, fut décidée227 alors que nous choisissions l’équipe ainsi : Ki

Hong Kim (기홍김), de Nuvo228; Central Sound; Fun Media; Betrayers; le Jerry Silly

Ensemble 229 formé de Ji-Hyun Lee (지현이) – première violon de l’Orchestre

Philharmonique de Londres, Yena Pi (예나피) comme deuxième violon, Jiyoon

Ahn (지윤안) au violoncelle, Hyong Kwon Gil (형관길) aux percussions et Mika

Lim (미카림) à la guitare; la pianiste HyunJin (현진); DJ Kyper et DJ Tak; Spike

226 Voici le texte en version originale anglaise : « More than 70 years after the first appearance of

the never-ending cat-and-mouse fights, let’s celebrate one of the most popular and successful

cartoon series. Conflicts, chases, slapsticks, gags, actions and humor based on pain, attack,

revenge and senseless violence!!! The concerto pays honor to the amazing sound and movement

marriage found in the animated short films. The famous rivalry is revisited with mapping

projections on multiple surfaces and live classical and electronic music. The video clips of

harmonic images and rhythmic sequences bring us back into the laughs and happiness of our

childhood, as the Media Performance touches us straight from the heart, and our adult eyes enjoy

the atmosphere of the evening/night to remember... »

227 1 : Le morceau de poulet (1956), 6:19; 2 : Tom & Jerry Kids: Tom’s Mermouse Mess-Up (1992),

6:47; 3 : L’Odysée de l’espace (1967), 6:27; 4 : Une tarte pour Tom (1945), 7:19; 5 : Dr. Jekyll et

Mr. Souris (1946), 7:24; 6 : Buddies Thicker Than Water (1962), 8:36; 7 : Un Samouraï garde du

corps (2005), 7:53; 8 : Casanova Cat (1950), 6:48; 9 : Tom, recéleur malgré lui (1950), 7:12; et 10 :

La souris part en guerre (1943), 7:30.

228 누보 (Nubo, en romanisation).

229 제리실리앙상블 (Jeri Silli Angsangbeul, en romanisation).

Page 136: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

124

(danseuse moderne); et Shin Young (신영).

Les cinq extraits vidéo suivants furent conservés : I Feel Love sur le morceau

éponyme de Donna Summer, Tom and Jerry Night Live (En direct), Star Guitar

(Tom and Jerry Night mix), Tom and Jerry Night Teaser (Bande-annonce), et Tom

and Jerry Night Teaser final (Bande-annonce finale).

Pour donner suite au succès de l’événement, Tom and Jerry Night, Encore230 fut

présenté au Club KeuKeu dans Sinsa-dong le 7 juillet 2013, alors que Tom and

Jerry Night 2014231 fut produit le 12 septembre 2014 au Zagmachi232 dans le

créatif Seongsu-dong (성수동).

3.10 Étude 4 : You Are Beautiful233 (Juillet 2012)

De cette étude, nous avons conservé spécialement, pour Le temps n’est pas pour

toujours, le décor urbain en extérieur (parmi les gens et les écrans), la forme non

répétable et inédite de la production, ainsi que l’application de la théorie des

non-publics avancée par Esquenazi.

En juillet 2012, nous avons monté une vidéo promotionnelle pour le magazine

230 Annexe 31 (20 affiches de films, 8 modèles de maillots, 3 vidéos et 15 photos de la production).

231 Annexe 32 (1 vidéo de la production et programme de la soirée).

232 자그마치 (Jageumachi, en romanisation).

233 Annexe 33 (1 vidéo d’une répétition; chanson, paroles -coréen/anglais-, vidéo et 10 photos

de la production; ainsi que 6 vidéos d’inspiration).

Page 137: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

125

Gentleman Korea 234 ainsi que préparé le VJing et le VGing pour Piri Set

(피리셋)235 de l’Orchestre National de Corée236, joué au Théâtre National de

Corée237. Durant cette dernière organisation, nous nous sommes familiarisé avec

des instruments de musique traditionnels en jumelant leur richesse sonore avec

des vidéos abstraits.

Notre Étude 4 fut effectuée au cours du même mois et consista en la création et

le tournage d’un happening en extérieur pour un vidéo-clip dans Myeong-dong

(명동). Avec ses ruelles animées et éclairées de néons et ses sonorités urbaines,

ce quartier touristique dédié au shopping était un lieu idéal pour mettre en scène

la performance de la chanson Still (As Ever)238, tirée de la comédie musicale You

Are Beautiful239. Issue de la série télévisée sud-coréenne du même nom, celle-ci

fut diffusée en 2009.

Afin de situer la chorégraphie de danse de la formation fictive A.N.JELL 240

interprétant la chanson dans l’espace urbain, et exploiter le potentiel de ce

dernier, d’autres performances semblables en extérieur dans la ville furent

234 Annexe 34 (vidéo de la production).

235 Annexe 35 (3 chansons, 5 vidéos et 5 photos de la production).

236 국립국악관현악단 (Gungnip Gukak Gwanhyeon Akdan, en romanisation) – The National

Orchestra of Korea.

237 국립극장 (Gungnip Geukjang, en romanisation) – National Theater of Korea.

238 여전히 (Yeojeonhi, en romanisation).

239 미남이시네요 (Minamisineyo, en romanisation).

240 엔젤 (Enjel, en romanisation).

Page 138: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

126

examinées. Parmi elles, notons celle d’ouvriers dansant devant le centre

commercial Plaza Oxford Street à Londres en 2010, ainsi que le vidéo-clip de

Rise Up du groupe Parachute Club montrant la première performance publique

en direct de cette chanson en 1983. La danse des CPDRC Dancing Inmates du

Centre de détention et de réhabilitation de la province de Cebu sur They Don’t

Care About Us de Jackson en 2010 fut aussi visionnée. La performance

synchronisée de 350 danseurs à la gare de Liverpool Street à Londres pour une

campagne publicitaire de T-Mobile en 2009, de même que la danse de 1 400

étudiants sur Waka Waka (This Time for Africa) de Shakira à Eindhoven en 2011,

furent également estimées pertinentes. Enfin, la foule éclair d’environ 2 000

personnes dansant sur Born This Way de Lady Gaga en 2011 à Bayonne fut aussi

jugée intéressante.

Après avoir capté des images durant une répétition de la chorégraphie le 13 juillet

et d’un enregistrement des voix le 15 juillet, nous avons procédé à la performance

publique en direct. Celle-ci eut lieu en primeur devant quelques centaines de

personnes, le 18 juillet, et fut filmée par trois caméras. Les artistes s’en allèrent

dès que leur chorégraphie fut exécutée.

À l’image de la Création d’approche 4, cette démarche fut une progression vers

TTH. Or, l’avancée fut plus considérable puisque la production fut menée à terme

et la signalétique écranique des commerces (enseignes de magasins, kiosques,

restaurants, bars, etc.) et des annonces publicitaires (affiches, panneaux,

Page 139: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

127

vitrines...), formant le pouls de la ville, joua le rôle d’intermédiaire que nous

recherchions, entre les performeurs et le public citadin. De plus, nous avons

octroyé une nouvelle dimension à la comédie musicale (scénique), d’abord

télévisuelle (petit écran), en l’adaptant à la rue (l’urbain comme média).

Cette Étude 4 donna confiance et expertise au collectif pour la réalisation d’une

série de productions similaires pour Naver Music 241 . De ces tournages de

concerts pour vidéo-clips mis en ligne sur le site Internet du client, pensons à

celui du groupe de chanteurs Ulala Session 242 au Club 打 [ta:] 243 en juillet

2012244; à celui de la chanteuse, compositrice et actrice Jang Yoon-Ju (장윤주)

au studio d’enregistrement Brickwall Sound245 en novembre 2012246 et à ses

deux extraits When the Morning Comes247 et Fall Wind248; à Sweet Valentine249

de Steve Barakatt en février 2013250; à la tournée Re-Building251 de Bulldog

Mansion en mai 2013252; ainsi qu’à celui du duo de chanteuses Oksang Dalbit (옥

241 네이버 뮤직 (Neibeo Myujik, en romanisation).

242 울랄라 세션 (Oullalla Sesyeon, en romanisation).

243 클럽 타 (Keulleop Ta, en romanisation).

244 Annexe 36 (vidéo de la production).

245 성신여대 (Seongshin Yeodae, en romanisation).

246 Annexe 37 (2 vidéos de la production).

247 아침이 오면 (Achimi Omyeon, en romanisation) – Quand vient le matin.

248 가을 바람 (Gaeul Baram, en romanisation) – Vent d’automne.

249 달콤한 발렌타인 (Dalkomhan Ballentain, en romanisation).

250 Annexe 38 (1 vidéo et 4 photos de la production).

251 리빌딩 (Li-Bilding, en romanisation).

252 Annexe 39 (1 photo de la production).

Page 140: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

128

상 달빛) en mai 2013 et leur pièce Forest253 issue de la prestation254.

3.11 Studio 3 : Séoulitude255 (Octobre 2012)

De ce studio, où Alain Garneau se positionne derrière la Clownitude, de même

que de notre passage en Corée, nous confirmons les propos de Josette Féral

suivants : « Quitter la langue maternelle est [...] souvent vécu comme un drame.

Le changement de langue, la perte de la langue dite maternelle devient pour

maints exilés, déplacés ou migrants une expérience traumatique ou source d’une

crise psychique256. » En ajoutant des expressions dialectales et informelles au

dialogue des clowns Garnotte Le Rat et Kimchi au restaurant Nano (나노)257,

nous partageons la vision de Dario Fo, rapportée par Féral : « “Est malheureux

l’acteur”, dit Dario Fo [...] “qui ne possède pas un dialecte comme fond de son

jeu”258. »

Également, il nous paraissait primordial de soigner l’aspect ludique de la langue

253 숲 (Sup, en romanisation) – Forêt. 254 Annexe 40 (vidéo de la production).

255 Annexe 41 (3 vidéos de la préproduction; vidéo et 20 photos de la production; ainsi que 1

photo d’inspiration).

256 Josette Féral [dir.], Pratiques performatives = Body remix, Québec : Presses de l’Université

du Québec, 2012, p. 157.

257 Telles que 진짜? (jin-jja?, Vraiment?), 정말! (jeong-mal!, Vraiment!) et 밀당 (mil-dang, 밀

de 밀다 – pousser et 당 de 당기다 – tirer, que nous pourrions traduire « jeu du repoussage et de

l’attraction » fréquemment vu chez les couples en phase de séduction).

258 Ibid.

Page 141: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

129

d’adoption en tant que matière à caractère insaisissable. Par exemple, le

« 요 – yo » (de politesse) que Jin ajoute au « Je t’aime » (« 사랑해. I love you. »)

de Garnotte pour Kimchi (« ~요! 사랑해요! ~Yo! Sah-rahng-hae-yo! ») montre

qu’il en reste à apprendre à Garnotte pour atteindre la perfection. Sur ce point,

Féral précise que la langue devenait chez Antonin Artaud un corps étranger, et

que le langage était pour Burroughs un virus de l’espace259.

Séoulitude est un moyen métrage mettant en vedette notre personnage de clown

Garnotte Le Rat, né du théâtre de rue à la suite de nos imitations de Charlot.

Quoiqu’il ne sortît qu’en janvier 2015, il fut tourné le 19 octobre 2012 et son

écriture entamée lors de notre arrivée à Séoul, à l’été 2011. Deux films aux

thèmes similaires avaient été réalisés antérieurement par les Productions du Rat,

notre compagnie cinématographique.

Le premier, Belgitude260, coproduit avec Toma Parent de Nice Boots Productions,

fut présenté à Ixelles le 7 mai 2009 lors du 12e Festival du court métrage de

Bruxelles après avoir été conçu en moins de 48 heures, règle fondamentale du

Kino Kabaret. L’idée principale était la suivante : « À travers Bruxelles, le clown

Garnotte Le Rat est à la recherche de la Belgitude pour guérir son singe en

peluche Bongo. » En réponse à cet ensemble de caractéristiques propres aux

259 Ibid.

260 Annexe 42 (vidéo et 10 photos de la production).

Page 142: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

130

Belges ainsi que ce sentiment d’appartenance à leur spécifique communauté

belge, on lisait dans le film que « Le concept de BELGITUDE exprimerait la

difficulté du Belge à se définir : Autodérision, Surréalisme, Rejet de la normalité ».

Le terme de « négritude », qui inspira le terme de « Belgitude », consiste en

l’ensemble des valeurs culturelles et spirituelles revendiquées par des Noirs

comme leur étant propres ou une prise de conscience de leur appartenance à

cette culture distinctive, ainsi qu’un courant littéraire et politique rassemblant

des écrivains noirs francophones pour revendiquer l’identité noire et sa culture.

En ce qui concerne le deuxième film, Par(t)is(i)annitude 261 , coproduit avec

Kyunghwan Chin de production Jingtalker, le même du groupe In the B (Chin

étant une seconde façon d’écrire Jin – 진 en romanisation), il fut réalisé en août

2009. En réponse au chauvinisme des Parisiens, et en référence à leur

partisanerie (ceux-ci étant à notre sens chauds partisans et défenseurs de leur

ville et de leurs intérêts), nous avions conclu que la Parisiannitude, en tant

qu’attitude du Parisien, était partisane, donc à la fois Partisannitude. L’énoncé

de départ et la question fondatrice de la fable étaient les suivants : « Paris n’a

pas besoin de personne... Non? Si! L’irrésistible Danse du Cul du Rat! » Parmi la

foule, Le Rat visite certains endroits cruciaux262 de la capitale pour y effectuer

261 Annexe 43 (2 vidéos et 5 photos de la production).

262 Le quartier Montmartre, la tour Eiffel, la tombe du Soldat inconnu, la statue de la Liberté, la

basilique du Sacré-Cœur, le Champ-de-Mars, la cathédrale Notre-Dame de Paris, les Champs-

Élysées, la place de la Concorde, l’Opéra de Garnier, le Moulin Rouge, le Musée du Louvre et l’arc

Page 143: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

131

son ballet.

Comme les deux œuvres précédentes, Séoulitude fut tourné principalement en

extérieur, dans l’espace urbain. En 2009-2010, deuxième année de notre Master

en Europe, nous apprenions davantage à côtoyer les Coréens et prenions un

énorme plaisir à découvrir la richesse de leur nation. Parmi les idées anticipées

à la suite de discussions avec Kyunghwan, nous retrouvions les suivantes : la

multitude de voitures causant des embouteillages incessants, l’abondance de

bâtiments élevés, ainsi que la froideur relationnelle de l’individualisme. Le thème

récurrent de la quête identitaire amenait la question « Qu’est-ce que la

Séoulitude? » et sous-entendait « Que sont les Séoulites et quelles sont leurs

valeurs culturelles? ». Interrogations auxquelles nous voulions répondre lors d’un

éventuel voyage.

Au cours de l’été et de l’automne 2011, nous avions lu le récit autobiographique

Madness: a bipolar life de Marya Hornbacher. Celui-ci traite de la maladie

mentale et nous inspira sur la fragilité de l’esprit, de l’amour et de la vie. À propos

des traces et la fragilité mnésique, l’auteure confie rassembler sa vie à partir des

histoires des autres, de revues et de photos, et de la recherche de n’importe quoi,

jusqu’à ce qu’elle ait une image brouillée d’un visage, un vague souvenir d’un

événement du passé dont elle connaît l’existence, mais qu’il faut reconstruire à

de triomphe de l’Étoile.

Page 144: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

132

partir de l’épave de son esprit263.

Son passage « La mémoire n’est pas tout ce qui est perdu à cause de la

folie. [...] La vie que je vis, même la personne que je suis, est presque

méconnaissable par rapport à la vie que j’avais lorsque la folie était en

contrôle264 » nous faisait croire qu’avant notre départ pour Séoul nous étions en

proie à la folie et que la Corée du Sud nous ramènerait à nous-même. Lorsqu’il

rencontre la clown Kimchi (김치), interprétée par Ji-yoon Kim (dont la

participation à House is Not a Home avait été envisagée), au temple bouddhiste

Bongeunsa (봉은사), Le Rat lui chuchote d’ailleurs : « Quelqu’un a fait un trou

dans ma vie265. » À cette révélation, la clown Kimchi (dont le nom est aussi celui

du mets traditionnel coréen) réplique « La folie ne se/le réparera jamais. La folie

efface la mémoire266. » Devant une géante statue de Bouddha, cette dernière

encourage Le Rat à garder espoir avec ces mots :

Et alors, tu le regardes avec les yeux d’un étranger à soi-même. La pluie tombe

pour rien, les portes sont closes et nous sommes loin de nous-mêmes. Mais

parfois, certaines choses viennent naturellement à certaines personnes. Les

silences sont magnifiques, les yeux éclairés, et les lignes ne peuvent pas être

lues. Simplement, elles existent267.

263 Marya Hornbacher, Madness: a bipolar life, Boston: Houghton Mifflin, 2008, p. 217.

264 Ibid.

265 En version originale anglaise : « Someone made a hole in my life. »

266 En version originale anglaise : « Madness will never repair. Madness erases memory. »

267 Voici le texte original de Kimchi : « 타인의 눈으로 바라보세요. 비가 미친듯이 내리고, 문이 닫

혀있을 때 우리는 스스로에게서 멀어지죠. 하지만 가끔씩 어떤 것들은 어떤 이들에게 자연스레

찾아와요. 침묵은 아름답고, 눈이 빛나기 시작하면 이해할 건 아무것도 없어요. » Il s’agit d’une

Page 145: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

133

La suite du texte ne nous semblait pas indispensable et ne fut pas conservée :

Où nous conduisons-nous? Dans les littoraux de tout instant où personne

n’observe, puisque nous ne sommes même pas une pièce d’être. Quelqu’un sait,

pense seulement, mais à propos de quoi? Et pourquoi? Avec un joueur qui ne

fonctionne pas et un jeu qui ne correspond pas; la vengeance de toutes les peurs

inutiles de tous, rien d’autre que des cœurs remplis de merveilles et de souhaits

inattendus dans leur incomplétude. Et les années sont courtes, les jours si longs,

les heures trop douloureuses, les minutes très étranges et les secondes la saveur

d’une absence. Nous leur demandons ce qu’il y a de neuf, mais la terre est basse,

les forêts éloignées, les bébés mourants et les aînés pleurent268.

À la phrase « Et je m’ennuie tellement de Jeff que ça me tue269 » de l’écrivaine

Hornbacher, nous avions entrevu que nous manquions tellement une nouvelle

vie que ça nous tuait270, tandis que l’extrait suivant remettait en perspective les

incertitudes existentielles :

traduction coréenne de Namjo de notre texte écrit en anglais le 16 mars 2012, lequel fut placé

en sous-titres avec la version coréenne dite par Kimchi : « And then, you look at it with the eyes

of a self-stranger. The rain is falling for nothing, the doors are closed and we are far from

ourselves. But sometimes, some things to some people come naturally. The silences are beautiful,

the eyes enlightened, and the lines cannot be read. Just they are. » Et en voici la romanisation :

« Tainui nuneulo balaboseyo. Biga michindeusi naeligo, muni dadhyeoisseul ttae ulineun

seuseuloegeseo meoleojijyo. Hajiman gakkeumssik eotteon geotdeuleun eotteon ideulege

jayeonseule chajawayo. Chimmukeun aleumdapgo, nuni bitnagi shijakhamyeon ihaehal geon

amugeotdo eopseoyo. »

268 En version originale anglaise : « Where are we driving us to(o)? In the coastlines of the anytime

in which no one’s observing, since we aren’t even a piece of a being. Anymore knowing, just

thinking, but what about? And why about? With a player that doesn’t work and a game that

doesn’t match; the revenge of all’s useless fears, nothing but hearts plenty of wonders and wills

unexpected in their unacheivement. And the years are short, the days so long, the hours too

painful, the minutes much weird and the seconds flavor of an absence. We ask them what’s up,

but the earth is down, the forests distant, the babies dying and the elders are crying. »

269 Op. cit., p. 242.

270 Voici notre écrit en version originale : « I missed a new life so much, it was killing me. »

Page 146: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

134

Mais il y a une différence. Avec d’autres amis, je ne suis pas constamment

consciente qu’ils pourraient très facilement mourir. Avec toi, j’en suis consciente.

Je suis toujours consciente que tu es passée si près de te suicider, un jour cela

pourrait arriver. [...] Je serais dévastée si tu mourais. Complètement

dévastée. [...] Je veux simplement dire que je comprends vraiment combien tu

luttes profondément et péniblement271.

Nous avons laissé tomber ce texte écrit lors la même période, car il nous

paraissait superflu : « Les moments sont ce que tu as vu, ce que tu as pensé. Ils

m’ont expliqué où j’étais, mais je suis profondément confus. Conscient du jour

d’été ensoleillé à l’extérieur272. »

La création, après avoir affiché « L’arrivée de quelqu’un est un événement

formidable, car il arrive avec sa vie273 », ouvre sur une image urbaine (tournée

dans un mouvement circulaire, créant l’effet que celui se trouvant derrière la

caméra est perdu et arrive du ciel, des airs, de nulle part) près de l’immense

place Gwanghwamun. Simultanément, nous entendons un passage de la

chanson I Need a Doctor, de Dr. Dre, interprétée avec Eminem et Skylar Grey.

271 Op. cit., p. 246-247.

272 Voici notre texte original : « Moments are what you saw, what you thought. They explained

me where I was, but I am profoundly confused. Aware of the sunny summer day outside. »

273 En version originale, dans le film : « The arrival of someone is a great event, because he comes

with his life ». Il s’agit d’une traduction libre de la phrase « 사람이 온다는 건 실은 어마어마한 일

이다 한 사람의 일생이 오기 때운이다 » (Salami ondaneun geon sileun eomaeomahan ilida han

salamui ilsaengi ogi ttaeunida, en romanisation). Celle-ci, écrite sur la façade extérieure du

Centre du livre Kyobo [교보문고 (Gyobo Mungo, en romanisation) – Kyobo Book Centre] de la

place Gwanghwamun [광화문광장 (Gwanghwamun Gwangjang, en

romanisation) – Gwanghwamun Square], avait été aperçue soudainement et lue avec émotion

par Jin un peu avant notre arrivée.

Page 147: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

135

Étant donné le caractère autobiographique à l’égard du contexte de la relation

entre Dr. Dre et Eminem, et en raison des thèmes qui y sont abordés (maladie,

identité, discrimination, sacrifice et souffrance), cette chanson revêt une

signification particulière pour nous et cadre avec notre Séoulitude. Nous croyons

que les mots restent après leur émission et qu’ainsi les paroles de cette personne

« sur le point de perdre l’esprit, manquant de temps et ayant besoin d’un médecin

pour être ramenée à la vie » de la chanson I Need a Doctor raisonnent durant le

reste du film. Minet mentionne sur le sujet que « Déjà dans le silence avant les

mots, la parole est encore dans le silence, après les mots : “Le silence qui suit

un concerto de Mozart est encore de Mozart”, aimait à dire Sacha Guitry274. »

Avec la dédicace « Alain Garneau, Pour ami Amir », décédé en juin 2011 et dont

la disparition nous causa une profonde affliction275, nous obtenons un autre lien

entre la vie et la mort, l’arrivée et le départ, le début et la fin.

Le thème principal de la musique du film 1492 : Christophe Colomb, dont la trame

sonore fut composée par Vangelis, fut choisi pour son symbolisme épique ainsi

que l’effet triomphal et théâtral produit par le synthétiseur accompagné du

274 Op. cit., p. 31.

275 Cet ami précieux, Amir Ashrafi, avait joué un personnage dans Belgitude (L’Iranien et/ou Le

Bruxellois) appelé à interagir avec Garnotte, de la même manière que Le Marabout (Moungande

Ibrahim Aliloulay), L’Italien du Sud (Antonio Carnevale), Le Coréen du Sud (Kyunghwan Chin),

L’Indienne (Rashna Nicholson), Le Bruxellois mitigé (Christophe Meys), La Serbe (Ana

Djordjevic), Les Romains (Alberto Costa et Marta Michelini) ainsi que la clown La Belgitude

(Bibiana Carvajal, Colombienne).

Page 148: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

136

Chœur de Chambre Anglais. Les paroles inventées de celui-ci évoquent de façon

sonore l’idée, l’action ou le sentiment profond du texte musical. Tel étant le

procédé du figuralisme, appelé aussi word painting, tone painting ou text painting

en anglais.

La première scène fut tournée en trois longs plans : un du point de vue du clown

(filmé avec notre mobile, qui découvre l’action tel un explorateur avide), un de

celui de Jin suivant le clown au même rythme que ce dernier (tel un disciple, ami

ou espion), et un de celui de Namjo qui regarde les événements de loin avec une

large vue d’ensemble (tel un témoin). Grâce à ces différents angles de vue placés

simultanément, et au texte déroulant (d’abord écrit qu’en italien en septembre

2009), récité par nous-même, écrit en quatre versions successives276 et auquel

276 Française : « Je voyage pour ne pas abandonner. Pour croire en l’être humain, aux histoires,

et aux rires. Clown, anti-clown ou Alain, je cherche, comme tout le monde. Parfois je trouve, un

temps; en vous, en moi », anglaise : « I travel for believing in human beings; in stories and in

laughs. Garnotte The Rat, Garnitude or Clownitude, I’m searching, like everybody. Sometimes I

find, a moment; in yourself, in myself », italienne : « Viaggio perché non voglio abbandonare. Per

essere più veloce del tempo. Per continuare a credere nell’essere umano e nelle storie, anche se

sono molto complicate. Cosa possiamo fare dopo tutte quelle avventure che ci hanno fatto troppo

male? Come avere fiducia nel nostro cuore, sperare di vivere senza soffrire e amare?... Garnotte

Il Topo, Garnitudine, Clownitudine o Alino, dove sto andando? », et coréenne : « 삐에로, 광대, 말

썽꾼, 장난꾸러기, 익살꾼 또는 조커, 나는 인류와 웃음을 자아내는 이야기들을 믿기 위해 여행

을 하지. 누군가처럼 나는 찾아 헤매. 때때로 나는 순간들을 발견하지. 너를 위한 순간 그리고

나 자신을 위한 순간을. » Voici la romanisation de la dernière : « Ppiero, gwangdae,

malsseongkkun, jangnankkuleogi, iksalkkun ttoneun jokeo, naneun inlyuwa useumeul

jaanaeneun iyagideuleul mitgi wihae yeohaengeul haji. Nugungacheoleom naneun chaja hemae.

Ttaettaelo naneun sungandeuleul balgyeonhaji. Neoleul wihan sungan geuligo na jashineul wihan

sunganeul. »

Page 149: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

137

fut même ajoutée une cinquième voix (celle du chœur de la chanson : « Mm mm

mm, mm mm mm mm mm / Mmm mm mm, mm mm mm / Mm mm mm mm, mm

mm mm mm mm / Mm mm mm, mm mm mm mm / In nòreni per ìpe / in noreni

coràh / tiràmine per ìto / ne dominà / In nòreni per ìpe / in noreni

coràh / tiràmine per ìto / ne dominà / In noreni per ipe / in nòreni cora / tiràmine

per ito / ne domina / Ne ròmine tirmèno / ne ròmine to fa / imàgina pro mèno

per imentirà / Mm mm mm, mm mm mm mm mm / Mm mm mm, mm mm

mmmmm / Mm mm mm mm, mm mm mm mm mm / Mm mm mm, mm mm

mmmmm / Mm mm mm, mm mm mmmmm »), nous soulignons la pluralité de la

voix et la richesse imaginaire qu’elle suscite. Féral le formule ainsi :

La présence de la voix est l’effet d’une absence, car une voix singulière est déjà

le produit d’un rapport à d’autres voix : rapport à la voix de la langue et rapport

à la voix imaginaire d’un corps qui, lui-même, est médiatisé par une image. La

voix est donc plurielle. Chacun, chacune a dans sa vie plusieurs voix. Selon l’âge,

selon la situation dans laquelle on parle, mais aussi selon l’état psychique et

physique, la voix change. [...] Elle sonne différemment selon la langue qui est

parlée. Ceux et celles qui parlent plusieurs langues, savent qu’avec chaque

langue le corps change, car chaque langue présuppose un corps vocal propre.

[...] Parler plusieurs langues, permet de jouer avec son corps vocal en s’en jouant

afin de faire l’expérience de l’imaginaire de ce corps, de la dépendance de son

image de la langue parlée277.

Au moyen de ce jeu sonore et linguistique, nous partageons de plus certains

aspects essentiels de la quête existentielle (clownesque ou anti-clownesque,

mais à tout le moins humaine!) de Garnotte, et par ricochet de la nôtre.

277 Op. cit., p. 155.

Page 150: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

138

Relativement à la parole du cœur en tant qu’excellent véhicule porteur d’idée,

Minet cite le philosophe et théologien chrétien saint Augustin :

La voix sans parole frappe l’oreille, elle n’édifie pas le cœur. [...] Si je pense à ce

que je dis, la parole est déjà dans mon cœur; mais lorsque je veux te parler, je

cherche comment faire passer dans ton cœur ce qui est déjà dans le mien. [...]

le son de la voix conduit jusqu’à toi l’idée contenue de la parole; alors, il est vrai

que le son s’évanouit; mais la parole que le son a conduite jusqu’à toi est

désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien278.

Au cours des deux scènes suivantes, toujours sur la même place située devant

le palais royal Gyeongbok 279 , nous conservons, premièrement, le thème du

langage, lorsque Jin explique devant l’imposante statue en bronze de Sejong le

Grand l’invention de l’alphabet coréen. C’est à ce moment que nous passons de

la musique américaine à la musique coréenne avec Dive Into The City du groupe

rock Roller Coaster 280 . Souvenons-nous de l’importance du rôle conceptuel,

émotionnel et mélodique que tient la musique dans nos créations. Pour

Par(t)is(i)annitude, nous avions choisi : La Marseillaise (Hymne national de la

République française), Perfect Day qui accentue la perfection d’une journée

clownesque, Overture/The Statue du film Les Lumières de la ville de Chaplin,

ainsi que Smile (aussi de Chaplin) dont les paroles et l’interprétation de Jackson

rappellent la magie du sourire et la fragilité de la vie. Pour Séoulitude, nous avons

278 Op. cit., p. 49.

279 경복궁 (Gyeongbokgung, en romanisation) – Gyeongbokgung Palace.

280 롤러코스터 (Rolleo Koseuteo, en romanisation).

Page 151: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

139

écouté des centaines de chansons coréennes.

Deuxièmement, nous avons un clin d’œil aux propos polémiques (faisant

référence aux différences ethniques) de l’ex-président de la République

française Jacques Chirac, prononcés en 1991 au sujet de la politique

d’immigration française sur le regroupement familial. De la partie de son

discours : « Ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur français sur le

palier devient fou », nous avions remplacé les mots bruit et odeur par : les

barbecues281, l’alcool de riz coréen makgeolli (막걸리), la boisson énergisante

coréenne Bacchus282, la 맥주 (mekju, en romanisation, voulant dire bière), la

bière blonde de Corée Cass283, le populaire spiritueux coréen soju (소주) et les

chirurgies plastiques (très pratiquées dans ce pays). Nous avions aussi changé

le travailleur français sur le palier pour le clown coréen, comme si nous étions

Coréen et connaissions ces aspects culturels avant de les vivre. À la manière de

Jin jouant un nouvel ami, mais qui, par la complicité qu’on sent entre les deux,

semble déjà connaître Garnotte. Cet aparté se passe devant la statue de bronze

de l’amiral Yi Sun-sin284, commandant naval au patriotisme sans failles célèbre

pour ses victoires contre la marine japonaise durant la Guerre d’Imjin285 et pour

281 바베큐 (Babekyu, en romanisation).

282 박카스 (Bakkaseu, en romanisation).

283 카스 (Kaseu, en romanisation).

284 이순신 장군 (Isun Sin Janggun, en romanisation).

285 임진왜란 (Imjin Waeran, en romanisation).

Page 152: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

140

son nouveau type de navire de guerre, le Bateau tortue286. Bien que nous ayons

enregistré plusieurs versions du « Ajoutez à cela... » sans maquillage et au texte

similaire 287 , seulement celle exposée ci-dessus en compagnie de Jin fut

conservée.

Toujours désireux de découvrir les us et coutumes de Jin, Le Rat rencontre

Chiehwan sur la rivière Cheonggyecheon (청계천) et sa promenade. Celui-ci lui

offre une bouteille de Bacchus, lui énumère les façons de saluer en coréen (en

conformité avec les niveaux de politesse et le contexte de la situation) et lui

montre l’art de s’incliner en abaissant la tête jusqu’à la hauteur des épaules.

Après avoir dégusté le makgeolli (en tenant le verre à deux mains et se cachant

pour le boire) avec Jin et Le Rat, Chiehwan prend congé. À cette doctrine morale

et sociale très influencée par le formel confucianisme fut accouplée, pour

contraster, la chanson Shanghai Romance288 du groupe de chanteuses Orange

Caramel289 au style mignon et coloré jouant la carte de l’image sportive. En

passant, In the B fit la conception visuelle lors d’un concert de pop sud-coréenne

à Shanghai290 en septembre 2012.

286 거북선 (Geobukseon, en romanisation) – Turtle ship.

287 Une dans un barbecue avec le caméraman de Turned Off the TV, tournée par Jin le 18 août

2011; une au massif Seoraksan (설악산), prise par Seung-Ku Lee (승구이), collaborateur du

collectif, le 29 septembre 2011; et une dans un resort, tournée par Namjo le 19 octobre 2011.

288 샹하이 로맨스 (Syanghai Romaenseu, en romanisation).

289 오렌지캬라멜 (Orenji Kyaramel, en romanisation).

290 Annexe 44 (15 photos de la production).

Page 153: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

141

Maintenant seul, Jin ayant quitté la promenade après avoir proposé d’aller

manger un morceau, Garnotte cherche à gauche et à droite, comme le suggère

la voix de la violoniste Yena du Jerry Silly Ensemble (Étude 3, Video Concerto No.

3) et collaboratrice depuis. Nous tenions à ce plan pour le regard du clown parce

que celui-ci possède une puissance expressive. Minet l’écrit ainsi :

L’offrande du regard place l’orateur en relation directe avec l’auditeur [...] Le

regard, chargé de toutes les passions de l’âme, est doué d’un pouvoir d’une

terrible et surprenante efficacité : instrument des ordres intérieurs, il tue, fascine,

foudroie, séduit autant qu’il exprime291.

Certains spectateurs des films précédents avaient d’ailleurs commenté la maigre

quantité de gros plans sur les yeux de Garnotte. Dans une scène ultérieure, au

café Coffine Gurunaru292, nous avons répété le procédé.

Alors égaré et dans le tourment devant le menu en coréen, on voit le clown

manger pathétiquement et avec difficulté (car inaccoutumé aux traditionnelles

baguettes) un plat de nouilles Jajangmyeon (자장면). La pâte de sauce soja noire

fermentée de ce mets inventé à Incheon (인천) par des immigrants chinois

permet à Garnotte de tacher son t-shirt et d’y inscrire absurdement son nom.

Quant à la musique, on entend Shooting Star 293 et Morning Meal 294 de la

291 Op. cit., p. 57.

292 커핀그루나루 (Keopin Geurunaru, en romanisation).

293 슈팅스타 (Shyuting Seuta, en romanisation).

294 아침 먹고 땡 (Achim Meoggo Ttaeng, en romanisation).

Page 154: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

142

chanteuse et actrice Yozo295. Comme si Le Rat était une étoile filante ou une

étoile du tournage devant son repas matinal.

Comme nous partageons l’opinion de Matthias Langhoff, tel qu’il le confesse à

Aslan dans l’entretien Matthias Langhoff, qu’en tant qu’acteurs « nos faiblesses

sont nos forces296 » (d’après nous, il en va de même pour nos personnages,

surtout pour ceux de ce film au caractère autobiographique), nous croyions qu’il

fallait exploiter la naïveté, la vulnérabilité et l’insécurité du clown à ce stade de

la fable. Celles-ci le propulsèrent plus loin.

Entre autres, au temple Bongeunsa où Kimchi lui remet Bongo (son singe en

peluche, présent dans les précédents films de Garnotte ainsi que dans Le temps

n’est pas pour toujours) et où il oublie son chapeau, que Kimchi lui remettra plus

tard. Après avoir considéré un morceau interprété par Ji-yoon au piano ou une

piste du spectacle Icaro, nous avons choisi la populaire chanson traditionnelle et

folklorique Arirang (아리랑). Celle-ci est une des plus connues (tant en Corée

qu’à l’étranger) de la musique du pays et elle raconte les efforts soufferts par

des voyageurs tentant de traverser le passage montagneux appelé Arirang. Ici, la

version de l’Orchestre Philharmonique de New York revêt un aspect plus

dramatique et douloureux puisqu’elle fut jouée à Pyongyang (평양), capitale de

295 요조 (Yojo, en romanisation).

296 Op. cit., p. 45.

Page 155: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

143

la Corée du Nord (북조선297) et son cœur politique, économique ainsi que culturel.

Notre idée première était de tourner à l’intérieur de ce temple. Le clown aurait

enlevé ses souliers en entrant (se demandant s’il lui fallait aussi retirer son nez),

se serait assis sur un coussin devant l’autel, en déposant son chapeau au sol

(raison pour laquelle il l’oublierait en partant), et se serait senti inconfortable

dans cette position asiatique assise. Notre caméraman Namjo était toutefois très

craintif et réticent, croyant que nous pourrions déranger les gens en prière dans

le lieu sacré. Nous avons respecté ses appréhensions, mais avec recul, le script

ayant perdu des actions au riche potentiel physique et burlesque, nous doutons

que ce fût la décision adéquate. Des événements bien pires ou plus offensants

s’y sont probablement produits par le passé.

Désormais rassuré que parfois tout soit simple et arrive naturellement, Garnotte

le réalise très vite sur la terrasse extérieure du Coffine Gurunaru (en plein centre

de Gangnam) grâce à Namjo et Seung-Ku. Il en oublie même ses deux livres,

Survival Korean et Seoul City Guide. Seung-Ku lui révèle que son nom Garnotte

Le Rat 298 est trop compliqué à prononcer et le renomme 문어 (Muneo, en

romanisation, qui veut dire Pieuvre), allusion à notre Studio 1 (It’s not a cinema

#1) où nous avions attrapé un coup de soleil sur notre tête rasée devenue rouge.

297 Buk Joseon, en romanisation.

298 갸르너트 르라, en Hangul (et Gyareuneoteu Leura, en romanisation).

Page 156: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

144

Même Kimchi l’appellera ainsi : « Frère Pieuvre, les tiennes sont plus belles299 »

en réponse à « Tes doubles paupières sont mignonnes300 », sachant que cet

élément anatomique (doubles paupières301) est d’une importance capitale en

Corée, car peu d’entre eux en possèdent de naturels et maints font appel à la

chirurgie plastique pour en posséder.

Cette scène, au cours de laquelle nous avons répété un plan deux fois (celui de

l’octroi du nouveau nom par Seung-Ku), car nous voulions conserver les deux

versions complémentaires et en souligner l’importance (d’autant plus que les

deux étaient riches esthétiquement), s’agit d’un revirement. Par la suite, le clown

sera beaucoup plus confiant et à l’aise, tant dans l’apprentissage de la langue

coréenne que dans la familiarisation avec le comportement à adopter en Corée.

Le Rat rencontre alors par inadvertance deux nouveaux camarades : Myeong

Jong Kim (명종김, dit Mj) et Sungwon (du Studio Irving). Tandis que le premier

plan fut répété en deux versions différentes pour des raisons semblables à celui

du Gurunaru, et que même une minime partie de ce plan le fut à quelques

reprises (version identique), on suit le trio dans un barbecue de fruits de mer302.

299 En version originale : « 문어오빠 쌍꺼풀이 더 예뻐요 » (Muneooppa ssangkkeopuli deo

yeppeoyo, en romanisation) – Brother Octopus, yours are more beautiful.

300 En version originale : « 쌍꺼풀 귀여워 » (Ssangkkeopul gwiyeowo, en romanisation) – Your

eyelids are cute.

301 쌍꺼풀 (Ssangkkeopul, en romanisation).

302 해물구이 (Haemul gui, en romanisation).

Page 157: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

145

À cet endroit, ils mangent des crevettes vivantes303 et boivent de la bière Cass

et du 소맥 (so-mek, mélange de soju et de mekju – bière) sur les entraînantes

마시자 304 (Buvons!) et 독립군가 305 (Chanson militaire) du groupe punk rock

Crying Nut306, 소주 한 잔307 (Un verre de soju) du groupe punk rock No Brain308

et 토요일은 밤이 좋아 309 (Fièvre du samedi soir) du groupe rock Romantic

Punch 310 . Comme visiteur, la poésie des noms de soju nous fascinait. Le

Chamisul (참이슬) désigne Rosée du matin; le Chum Churum (처음 처럼), aussi

écrivable Cheoeum Cheoreom, signifie Comme la première fois; et le Joeun Day

(좋은 데이) de Busan (부산, ville située au sud de Séoul), pareillement scriptible

Joheun Dei, veut dire Bonne journée. Le montage de cette séquence est tantôt

en accéléré, tantôt en temps réel, à des fins rythmiques et esthétiques.

À propos de la collaboration avec Mj, rencontré pour la première fois à It’s not a

cinema #1, dès notre arrivée en Asie, elle se forgea dans une formidable

complicité et avec une surprenante créativité. Il valida nos choix musicaux des

scènes de Séoulitude dans lesquelles il se trouvait, contribua à la traduction et

303 생새우 (Saeng saeu, en romanisation).

304 Masija, en romanisation.

305 Dongnipgunga, en romanisation.

306 크라잉 넛 (Keuraing Neot, en romanisation).

307 Soju Han Jan, en romanisation.

308 노브레인 (No Beurein, en romanisation).

309 Toyoileun Bami Joha, en romanisation.

310 로맨틱 펀치 (Romaentik Peonchi, en romanisation).

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146

à l’enregistrement ultérieurs des voix pour notre spectacle final, et devait jouer

dans notre Création d’approche 6 : Octopus – Breaking News. En janvier 2013,

nous avons rendu service à Mj en étant modèle pour des photos promotionnelles

prises par la compagnie KT Corporation pour l’application de téléchargement de

musique Genie Music311 sur laquelle il travaillait312.

Ce dernier, lorsque Sungwon annonce qu’il doit rentrer, sur la triste chanson

비가 와313 (Il pleut), suggère au clown de continuer de vivre la Corée du Sud au

Nano, barbecue de viande314. Ce lieu fut un puissant classique à travers notre

passage à Séoul tant nous et les autres membres du collectif, avec collaborateurs

ou non, nous y étions rassemblés. Son propriétaire315 était si habitué à nous qu’il

accepta volontiers de figurer dans le film.

Comme ils y entrent sur la pièce Corolla316 de la chanteuse et modèle Kim

Hyuna317, on aperçoit l’ami perdu (Jin), Seung-Ku et d’additionnels arrivants.

Parmi eux, le Danois Lasse (라세) portant notre casquette à la mention étranger

(외국인) utilisée lors de notre Étude 2. Sur les enlevantes Yummy Ball318 de

311 지니 뮤직 (Jini Myujik, en romanisation).

312 Annexe 45 (2 photos de la production).

313 Biga Wa, en romanisation. De l’auteur, compositeur et interprète Kim Hyun Chul (김현철).

314 갈매기 집 (Galmaegi jib, en romanisation).

315 주인 아저씨 (Juin ajeossi, en romanisation).

316 코롤라 (Korolla, en romanisation).

317 김현아, mieux connue sous HyunA.

318 야미볼 (Yami Bol, en romanisation).

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147

Romantic Punch et 미친 듯 놀자319 (Jouons comme des fous) de No Brain, et

avec des fragments audiovisuels montés en répétitions (notamment la viande

s’enflammant lorsque Mj la fait cuire), Garnotte semble Coréen lorsqu’il grille le

bœuf et mange avec deux baguettes à chaque main. De plus, il dévore un piment

vert épicé320 sur les mots « Essaie celui-ci, c’est délicieux321 » de la chanson

Yummy Ball et se goinfre tant de Kimchi (mets traditionnel coréen) que Jin

qualifie la situation de dégueulasse322.

Et si oui, Le Rat adore le Kimchi, on apprend qu’il s’est ennuyé de la clown

Kimchi323, et qu’elle aussi324, lorsqu’elle lui rend son chapeau en réapparaissant

sur la superbe pièce Miraie, qui veut dire À l’avenir, du duo de pop japonaise

Kiroro, et dont le refrain est le suivant : « Ici, regarde tes pas / C’est ta façon de

marcher / Ici, regarde en avant / C’est ton avenir325 ». Comme le dit Kimchi, partir

est la quête de Garnotte326 et elle ira avec lui327, même si elle l’en croit capable

319 Michin Deus Nolja, en romanisation.

320 고추 (Gochu, en romanisation).

321 En version originale : « Try this one, it’s yummy. »

322 « 더러워 » (Deoleowo, en romanisation).

323 « 김치 보고싶었어요 » (Gimchi bogosipeosseoyo, en romanisation) – I’ve missed Kimchi.

324 « 나도 보고싶었어요 » (Nado bogosipeosseoyo, en romanisation) – Me too.

325 En version anglaise (To the Future) : « Here, look at your steps / This is your way to

walk / Here, look at ahead / That is the future of yours ».

326 « 넌 가야 해. 갈 꺼잖아. 니 인생이잖아. You must go. You will. It’s your life. » En

romanisation : « Neon gaya hae. Gal kkeojanha. Ni insaengijanha. »

327 « 니가 가면 나도 갈께. If you leave, I’ll go with you. » En romanisation : « Niga gamyeon nado

galkke. »

Page 160: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

148

seul328. Ceci rappelle la finale de Belgitude où l’on parle de voyage, avec le texte

de la clown La Belgitude : « Je suis LA BELGITUDE / Afin de guérir tes maux, M-

A-U-X, je pose mes mots sur tes lèvres, M-O-T-S / Je ferai de tes bottines une

croisière ».

Afin d’accentuer le romantisme de cette partie, nous avons coupé le son

(ambiant et vocal). Il nous paraissait non nécessaire et risquait de déranger la

beauté de la chanson et des sous-titres du dialogue (en anglais et en coréen).

La scène évoque alors une autre époque cinématographique, celle des films

muets, et amène le spectateur à un registre sensoriel et perceptif différent, voire

un autre niveau de réalité.

Quant à la finale, l’idée d’une ballade sous un parapluie dans les rues

achalandées de Gangnam, similaire à celle anticipée pour notre deuxième

création d’approche, était prévue. Toutefois, le couple devait marcher main dans

la main et le parapluie être blanc, symbole de pureté et lien avec le maquillage

blanc du clown. Jin devait aussi demander à Garnotte « 좋냐? » (prononcé

Johnya?, expression informelle et sarcastique voulant dire Content?) en donnant

le parapluie, tandis que Kimchi aurait placé ce parapluie devant l’œil voyeur

(caméra) de Jin afin de laisser les clowns se donner un baiser en fermant un

328 « 내가 널 채워 줄께. 하지만 너 혼자 할 수 있잖아. I’ll follow you. But you can do it alone. »

En romanisation : « Naega neol chaewo julkke. Hajiman neo honja hal su itjanha. »

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149

rideau (effet à ajouter au montage). La scène ne fut pas tournée, car le jour du

tournage nous ne la croyions plus indispensable, d’autant que le film s’annonçait

déjà long. Il ne fallait pas l’éterniser. Les paroles de la chanson Turned Off the

TV (Étude 1) chantées par Le Rat à Kimchi furent aussi coupées et sous-titrées

par d’autres mots étant donné que nous ne les jugions plus de circonstance.

L’époque de LeeSsang était très loin lors du montage final en janvier 2015.

Parmi les autres coupes, mentionnons celle dans un restaurant d’intestins grillés

de bœuf ou de porc 곱창 (gopchang, en romanisation) où nous devions tourner

un autre « Ajoutez à cela... » (en ajoutant le gopchang) et un passage grotesque

(à la fois répugnant!) de crachements dans des cendriers (activité préférée de

maints fumeurs coréens) se terminant par Garnotte (d’abord horrifié et dégoûté

par le manque de classe) recrachant le piment vert trop épicé. Nous avions aussi

projeté d’insérer au générique final des photos des amis de Garnotte avec Bongo

(prises le jour du tournage), une vidéo de Ji-yoon se maquillant, des photos de

cette dernière et nous en civil au stade de baseball de Jamsil329, une vidéo de

nous nettoyant notre visage (le blanc de la mousse ressemblant prodigieusement

au maquillage du clown), et un texte à l’écran disant « La Séoulitude, c’est

l’amour, l’éternité, l’humanité. »

Ailleurs dans le film, nous avions songé à placer les textes « Chaque jour In the

329 잠실 야구장 (Jamsil Yagujang, en romanisation).

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150

B me ramène à la vie; chaque instant à Séoul est un havre de paix; chaque gorgée

de soju une partie de mon domicile; et même les parapluies ne pourraient

empêcher le soleil d’atteindre son but. Pour combien de temps votre histoire,

belles gens, embrassera-t-elle la mienne330? » et « Séoul ne devrait pas avoir

besoin de personne331 ... » suivi de « Les citoyens de Séoul ne sont pas des

clowns332! » après avoir vu quelques commentaires de personnes accueillant

chaleureusement Le Rat.

Il avait pareillement été envisagé de tourner dans la rue sous les tentes333 de

marchands ambulants ou fixes (populaires pour les collations ou les boissons

alcoolisées consommées tard en soirée), parmi les voitures dans un

embouteillage près du Gurunaru, à une station de métro où Garnotte arriverait

sans bagages et essaierait de lire avec Bongo (avant que quelqu’un lui fasse

vivre un jour coréen au cours duquel il rencontrerait un nouvel ami à chaque

endroit visité), dans un karaoké334 où Garnotte vivrait l’extase en y étant compris

de tous grâce à sa maîtrise de la langue, et dans le bar Mania Street où Jin et

330 En version originale anglaise : « Every day In the B brings me back to life; every moment in

Seoul is a haven of peace; every sip of soju a little piece of home; and even umbrellas couldn’t

refrain the sun to reach its aim. For how long your history, beautiful people, will embrace mine? »

331 En version originale anglaise : « Seoul shouldn’t need anybody... »

332 En version originale anglaise : « Seoul citizens are no clowns! »

333 포장마차 (Pojangmacha, en romanisation).

334 Appelé 노래방 (noraebang, en romanisation, de 노래 – chanson et 방 – pièce ou chambre)

en coréen et qui y pullulent par milliers.

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151

Seung-Ku travaillaient, Le Rat y faisant le DJ en enseignant aux clients sa danse

du derrière. Une dernière idée rejetée est celle qu’à Séoul le temps s’immobilise,

comme le jour et la nuit se confondent, et que même un chariot vendant des

melons d’eau passe en pleine nuit.

Enfin, si selon Minet, « Le silence est le grand désarroi de notre époque. Il

surprend, inquiète, et provoque inexorablement un sentiment profond d’angoisse.

Le silence est insupportable car il fige sur place 335 », nous devons affirmer

quelques réserves, voire notre désaccord. En Asie, de ce que nous en

connaissons, le silence joue un autre rôle. Il est vécu différemment et fait partie

de la conversation autant que les mots et le langage non verbal. Nous estimons

même que sans silence, la conversation devient trop chargée, les mots s’y

perdent et la parole risque de devenir vide, sans écho. Et comme souligné à la

fin de Séoulitude, « Un pays qui vous accueille vous apporte une nouvelle vie, car

il le fait avec la richesse de son histoire, la somptuosité de sa culture et la chaleur

de ses citoyens336. »

En octobre 2012, le vidéo-clip de la pièce October Rain337 fut réalisé pour le

335 Op. cit., p. 30.

336 En version originale anglaise : « A country that welcomes you brings you a new life, because

it does with the richness of its history, the sumptuousness of its culture and the warmness of its

citizens. »

337 힐링이 필요해 (Hillingi Pilyohae, en romanisation) – Pluie d’octobre.

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152

chanteur pop Yoon Gun (윤건)338. Avec cette expérience, le groupe In the B

améliora ses techniques de montage visuel.

3.12 Création d’approche 5 : Lament339 (Février 2013)

De cette Création d’approche 5, nous avons retenu surtout le passage du train à

la noirceur, sa vélocité, son mouvement, son chahut, ainsi que sa relation

contradictoire avec l’immobilité de l’être qui l’observe, égaré. Le train, comme

élément de vitesse, symbolise pour nous la modernité, l’évolution, le voyage, le

changement, l’inconnu, la découverte et la mobilité. Il touche radicalement nos

thèmes principaux du temps et de la vitesse, ainsi qu’indirectement ceux de

l’identité et de la mémoire.

Cette création d’approche est une réponse à la demande de la jazzwoman Nah

Youn Sun (나윤선) ayant déjà participé aux festivals internationaux de Jazz de

Montréal et de Jarasum. Pour son album Lento, à paraître en mars 2013, sa

requête était de choisir une pièce et d’en faire un vidéo-clip.

Nous avons écouté à plusieurs reprises les onze chansons de l’album. Parmi elles,

plusieurs retinrent notre attention, assez pour générer des images, des idées et

338 Annexe 46 (vidéo-clip de la production).

339 Annexe 47 (18 photos -3 du repérage, 9 des tests et 6 des tournages- et 3 vidéos de la création

-1 des tests et 1 de chacune des 2 versions-; ainsi que 7 photos d’inspiration-costume et 7

chansons d’inspiration).

Page 165: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

153

des sensations. La piste 1 (Lento) nous inspira : la douceur de la nature, des

arbres, et la poésie de la lune. La 2 (Lament) : une femme, possiblement

enceinte, confuse et hésitante (car ni prête à sourire, parler, rester, partir, voler,

abandonner ou encore échapper aux souvenirs) errant parmi des paysages

extérieurs tels que des falaises, un océan et un désert. La 4 (Empty dream) : une

valse musette, en extérieur (dans Montmartre, avec des accordéonistes près du

manège de chevaux de bois), le sourire, la stimulation, la joie et l’excitation, mais

aussi la fugacité de la vie. La 5 (Momento magico) : un cirque ambulant et un

flamenco. La 6 (Soundless bye) : l’écriture d’une lettre de rupture dans une

librairie ou un café, et la tristesse. La 7 (Full circle) : la destinée, la rencontre,

ainsi qu’un labyrinthe aux multiples portes, fenêtres, passages, indices, flèches

et autres indications. Et la 9 (Waiting) : un ou deux couples élégants dansant un

tango avec sensualité, amour et passion.

Après en avoir discuté en groupe, il fut décidé d’aller de l’avant avec Lament,

dont les paroles telles que « Je ne suis pas prête à jouer / Je ne suis pas prête à

me battre [...] Je ne suis pas prête à grimper / Je ne suis pas prête à arriver là

[...] Je ne suis pas prête à rester / Je ne suis pas prête à partir340 » évoquent

confusion, hésitation et errance.

Après avoir fait un repérage des lieux, de nuit, incluant des bâtiments, des rails

340 En version originale anglaise : « I’m not ready to play / I’m not ready to fight [...] I’m not ready

to climb / I’m not ready to reach there [...] I’m not ready to stay / I’m not ready to go ».

Page 166: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

154

de trains et des affiches publicitaires, des tests en extérieur urbain furent

effectués les 29 et 30 janvier. Les plans filmés furent ceux d’une femme à talons

hauts et portant une jupe marchant dans la ville, le soir, et s’arrêtant devant un

train bruyant et passant à assez grande vitesse. Dans Matériau du rêve, Maurice

Olender explique ceci : « les trains me permettent de croire qu’on peut échapper

aux cauchemars. [...] “mes trains” entre Paris et Bruxelles quittent un lieu pour

arriver en un autre lieu dont j’aimerais croire qu’il ne sera jamais un non-lieu341. »

À travers ces plans, il régnait la solitude de l’individu perdu dans la masse. Malgré

cela, il existe une magnificence dans la vitesse. Dans l’ouvrage de Sebbag,

Filippo Tommaso Marinetti formulait à l’intérieur de son manifeste futuriste

publié dans Le Figaro en 1909 : « Nous déclarons que la splendeur du monde

s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de

course [...] est plus belle que la Victoire de Samothrace342. »

Le tournage s’opéra à la mi-février. Le lieu fut intérieur (dans les froides

profondeurs d’un vieux bâtiment), quoiqu’il semblât extérieur. Cela soulignait la

réclusion et marquait davantage l’isolement et l’abandon. Afin d’enrichir la trame

narrative, quelques accessoires furent ajoutés. La cage d’oiseau suggérait

l’emprisonnement du personnage et son indécision à prendre la liberté d’envol.

La lampe de chevet suscitait l’éclairage de ses rêveries. Et le miroir symbolisait

341 Maurice Olender, Matériau du rêve, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe : IMEC, 2010, p. 21.

342 Op. cit., p. 152.

Page 167: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

155

un écran, son reflet, son autre, son double... aussi incertain. L’échantillon du

vidéo-clip ne fut pas accepté par la chanteuse pour des raisons imprécises.

Quelques semaines plus tard, une deuxième version fut réalisée en studio. Elle

mettait en vedette un personnage de femme conduisant sa voiture de nuit, dans

la ville. Celle-ci fut à nouveau refusée par la jazzwoman (peut-être un peu trop

vacillante et nébuleuse à l’égal de la voix narrative de Lament) et nous avons dès

lors cessé toute besogne reliée à ce projet.

3.13 Étude 5 : Sound of Sound of Sound (Metro Hero)343 (Avril 2013)

De cette étude, nous avons conservé pour notre spectacle final l’espace ouvert

de la ville avec ses sonorités et sa signalétique, l’aspect non répétable et inédit

de la performance, l’usage du train comme élément de vitesse et moyen de

locomotion témoignant de la mobilité urbaine, ainsi que l’exploitation de la

théorie des non-publics.

Cette Étude 5 fait partie de la série These Things Happen se rapprochant du

happening et de la performance dans des lieux publics, généralement en

extérieur. Pour cet événement artistique du 14 avril 2013, l’endroit choisi fut le

métro de la ligne Jungang344, entre la station de Yongsan345 (deuxième principale

343 Annexe 48 (3 photos de la préproduction, 2 vidéos et 1 photo de la production).

344 중앙선 (Jungang Seon, en romanisation).

345 용산역 (Yongsan Yeok, en romanisation).

Page 168: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

156

gare ferroviaire de Séoul et située dans le quartier de Yongsan346), où entrait le

Metro Hero (Héros du métro), et la station Hannam347, où celui-ci terminait son

tracé. Le pic de la performance (combat de gladiateurs) s’opérait à la station

Seobinggo348, située entre les deux dernières.

Le métro (ainsi que ses stations) est un endroit quotidien offrant beaucoup

d’espace, tant dans le train que sur les plateformes, et fournit des spectateurs

déjà présents. Considérant que nous souhaitions des usagers (en guise de public)

afin de capter leurs réactions, mais pas trop nombreux, car ils auraient pu réduire

l’aire de jeu et diminuer le champ de vision des caméras, de même qu’une faible

présence d’agents de sécurité, il fut convenu que performer à ces trois stations,

un dimanche matin, cadrait avec la production.

Grâce à plusieurs téléphones mobiles servant de caméras, notamment le nôtre,

ceux de Taehyeong Kim (태형김) de Central Sound et de Kyunghwan, tous entrés

à la station précédente afin de capter l’arrivée du guerrier, ainsi que celui de

Chiehwan sur la plateforme de Seobinggo, nous avons exploité de multiples

angles de vue. Le son du téléphone de Taehyeong Kim fut celui choisi pour le

montage, car il était le plus près de l’action.

Nous voulions l’attitude du personnage principal semblable à celle d’un clown

346 용산구 (Yongsan Gu, en romanisation).

347 한남역 (Hannam Yeok, en romanisation).

348 서빙고역 (Seobinggo Yeok, en romanisation).

Page 169: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

157

qui rayonne, tel un soleil. Un être qui voit et vit le monde comme pour la première

fois. Envoûté. Avec des yeux d’enfant. La transparence d’un miroir. Naïf,

émerveillé, curieux. Un être qui existe spontanément, dans le moment présent,

fébrile et appréhensif. Mais qui se donne et se met à nu avec plaisir (en dépit

d’une peur extrême et harassante de l’inconnu!), tout en s’abandonnant avec

générosité et sincérité, aspirant à tout et pouvant provoquer tout sur la surface

récréative. Une entité qui, jouant en liaison étroite avec les spectateurs plutôt

que devant eux, sachant qu’ils sont éphémères (puisque mouvants), méritent

l’enthousiasme de la passion et apprécient la sensation de proximité, devient

touchante et crédible grâce à son ouverture, sa disponibilité et sa sincérité. Un

clown qui connaît la tristesse de l’univers et canalise ses énergies pour partir en

guerre contre elle. À notre mince déception, nous n’avons pas joué, car nous

préférions qu’un Coréen se fonde dans la foule plutôt qu’un étranger déjà

différent et visible.

Au sujet du concept de la production, nous le désirions organisé, contrôlé,

surprenant et impressionnant. Pour garantir l’épanouissement de l’événement et

permettre la floraison de son allégresse, les éléments chorégraphiques devaient

être bien définis, très précis et maîtrisés à merveille. D’autant qu’ils ne seraient

interprétés qu’une fois. L’entrée en scène des trois participants requérait donc

une souplesse émotionnelle et une dextérité physique afin de pouvoir s’adapter

au changement. La répétition du 12 avril 2013 et celle du matin de la prestation

Page 170: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

158

engendrèrent la symbiose de ses composantes et en assurèrent la chimie.

Soulignons le support de Jimin Lim (지민임) qui trouva les deux acteurs

accompagnant Ki Hong (aussi de la partie à notre Étude 3) et contribua à la

logistique de l’événement. Le vendeur intempestif et bruyant, qui d’abord

déconcerta et créa un malaise, ajouta, par son intervention contrastante, un

suspense dynamique et une valeur dramatique.

Dans la même lignée clownesque, nous avons participé le 18 avril 2013 à

Communication V 349 , spectacle de danse-théâtre dirigé par la chorégraphe

moderne Misook Hwang (미숙황)350. Pour celui-ci, présenté au Sungam Art Hall

(성암아트홀)351, nous avons écrit et présenté un sketch de clowns où la naïve

Kayoung Yoo (가영유) se faisait prendre au jeu (de coups de pied au derrière)

par un directeur de cirque (nous-même), agissant en tant que maître de

cérémonie et parlant à la foule pendant l’exécution du numéro, ainsi que sa

complice Juwon Jo (주원조), lui faisant croire qu’une fleur avait poussé sous le

chapeau au cours de la nuit précédente. Kyunghwan fit le montage visuel pour

la création.

349 Annexe 49 (1 vidéo et 7 photos de la production).

350 Danseuse lors du Video Concerto for Something Analog No. 4 (décembre 2012).

351 Seongam Ateu Hol, en romanisation.

Page 171: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

159

3.14 Étude 6 : At Most352 (Mai 2013)

De cette Étude 6, furent gardées pour Le temps n’est pas pour toujours la

richesse du rapport interprète-écran ainsi que la poésie de la multiplication des

avenues expressives qu’engendrent la superposition et l’abondance langagières

sur les surfaces de projection. Car si la pléthore chaotique d’images de ce

laboratoire de recherche stimule des émotions inexplorées chez le spectateur,

elle permet à la fois à ce dernier d’y mettre de l’ordre et d’y donner du sens en

se la recréant harmonieusement.

Cette étude fut accomplie à la commande de l’auteure, compositrice et interprète

Oh Ji-Eun (오지은), reconnue en remportant un prix au Concours de musique Yoo

Jae-Ha353 en 2006. Pour son troisième album, 3, paru le 14 mai 2013, nous

devions réaliser le clip de la troisième pièce, At Most (고작354 – Au plus). Le

tournage eut lieu le 1er mai et ce dernier fut diffusé le 13 mai.

Comme l’artiste voulait que les projections d’images et de vidéos y jouent un rôle

prédominant, cette création s’agissait d’une occasion parfaite de peaufiner notre

expertise en matière de relation interactive entre le langage écranique et sa

réception par les spectateurs. Avec les nombreux cubes blancs (près d’une

352 Annexe 50 (chanson en 3 versions, paroles -coréen/anglais-, vidéo-clip et 20 photos de la

production).

353 유재하 음악경연대회 (Yoo Jae-Ha Eumak Gyeongyeondaehoe, en romanisation) – Yoo Jae-ha

Music Contest.

354 Gojak, en romanisation.

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160

vingtaine) et le corps présentiel de la chanteuse, furent ajoutées plusieurs

surfaces de projection à l’immense mur du fond. Cette prolifération écranique

pouvait, tel un outil interférent, inciter à de nouvelles sensorialités et ouvrir

l’univers imaginaire des regardeurs.

Le texte de la chanson étant très poétique, nous avons favorisé la suggestion

abstraite d’ambiances et d’émotions qu’il nous inspirait. À titre d’exemple, le

passage « Je te chante encore / Si fastidieusement / Comme des peintures de

différentes couleurs / Embrouillées ensemble / La dernière chanson

d’amour / Que je te chante / Est laide / Et morne355 » et d’autres paroles à la

portée riche (telles que « les mots cruels », « la chaleur flétrissante », « l’âme en

ruines » et « Plus faibles que les illusions »356) nous évoquaient les tumultes de

l’âme et les tourments de l’amour. Le désordre. Le chaos.

Dans l’espace scénique, ces méandres de la souffrance se manifestent grâce au

corps réel d’Oh Ji-Eun qui, tantôt statique (servant de miroir et de fenêtre) tantôt

mobile (tel un écran humain mouvant s’intégrant au dispositif), mais toujours

impliqué et dans le besoin et le désir de communiquer, s’agite et se débat dans

l’amalgame de tensions engendré par les projections. C’est pourquoi le

355 En version anglaise : « I still sing about you / So tediously / Like paints of different

colors / Muddled together / The last love song / That I sing you / Is ugly / And murky ».

356 En version anglaise : « the cruel words », « the withering warmth », « the crumbling soul » et

« Weaker than illusions ».

Page 173: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

161

spectateur est susceptible d’y apercevoir une femme sensuelle et fragile (vêtue

d’une robe soit rouge soit blanche), frustrée et potentiellement fâchée ou affligée,

amoureuse mais amère, cherchant à attirer l’attention de quelqu’un (nous ou

l’être qui l’a blessée) ou simplement prenant conscience d’une absence qu’elle

éprouve comme une privation de plénitude.

Par ailleurs, le collectif expérimenta d’autres dispositifs de projections sur

surfaces écraniques à travers la même période. Entre autres, pour le concert

musical Mixtape : Cinema357 se produisant à deux reprises : le 22 décembre

2012358 au Olympus Hall359 et le 22 mai 2013360 au Centre d’arts LG361. Celui-ci

mettait en vedette l’ensemble Olympus362 formé de sept musiciens classiques363.

Parmi ses objectifs, nous retrouvions les suivants : renverser les règles et

bouleverser les conventions de ce qui est habituellement entendu comme notion

de ballet, remettre en cause les préconçus et les attentes du spectateur, ainsi

que permettre à ce dernier d’assembler les parties de son imagination et

reconstruire sa propre fable. Il était aussi question d’aventure sensorielle,

357 믹스테잎 : 시네마 (Mikseuteip : Sinema, en romanisation).

358 Annexe 51 (2 affiches, 2 vidéos et 12 photos de la production).

359 올림푸스홀 (Ollimpuseu Hol, en romanisation).

360 Annexe 52 (4 maquettes de décor, 4 affiches et 4 photos de la production).

361 LG아트센터 (LG Ateu Senteo, en romanisation) – LG Arts Center.

362 올림푸스 앙상블 (Ollimpuseu Angsangbeul, en romanisation) – Olympus Ensemble.

363 Kwon Hyuk-ju (권혁주) au violon, Kim Ji-yoon (김지윤) au violon, Lee Hanna (이한나) à la viola,

Park Go-un (박고운) au violoncelle, Sung Min-je (성민제) à la contrebasse, Park Jin-woo (박진우)

au piano, et Jang Jong-sun (장종선) à la clarinette.

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162

d’intuition et de la valeur des couleurs dans le processus créatif et artistique. En

février 2013, son concept fut défini comme suit :

Mixtape : Cinema est une porte qui ouvre une vue sur la fantaisie. Une visite

dans le monde extraordinaire où les rêves de notre enfance s’éveillent et se

dégagent de nos souvenirs. Le conte propose un voyage à travers des paysages

virtuels, des images et des vidéos projetées sur des surfaces agissant comme

espaces poétiques qui étreignent les mouvements corporels des musiciens. Les

pièces classiques interprétées enchantent les yeux et les compositions

transforment les songes de jeunesse que chacun porte à l’intérieur364.

Dans une similaire volonté d’expérimentation de différents dispositifs de

projections, In the B participa à quatre autres productions en 2013. D’abord, la

Timeless Gallery / Samsung UHD TV365au Salon du design vivant de Séoul366 au

Centre des congrès et des expositions COEX367 où fut présenté un kaléidoscope

en février et mars. Ensuite, la Tokyo Photographers’ Night 368 au aA Design

Museum369 dans Hongdae (홍대), quartier connu pour son ambiance jeune et sa

364 En version originale anglaise : « Mixtape : Cinema is a door that opens a view to fantasy. A

visit in the extraordinary world where the dreams of our childhood arise and emerge from our

memories. The tale proposes a journey through virtual sceneries, images and videos projected

on surfaces acting as poetic spaces hugging the musicians’ body movements. The classical

pieces performed enchant the eyes and the compositions transform the early lifetime’s imaginary

and excitements that everyone carries inside. »

365 Annexe 53 (1 vidéo et 7 photos de la production).

366 서울리빙디자인페어 (Seoul Libing Dijain Peeo, en romanisation) – Seoul Living Design Fair.

367 코엑스, 한국종합무역센터 (Koekseu, Hanguk Jonghammuyeok Senteo, en

romanisation) – COEX, COnvention & EXhibition Center.

368 Annexe 54 (5 photos de la production).

369 에이에이 디자인 뮤지엄 (Ei Ei Dijain Myujieom, en romanisation).

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163

culture underground, et Le Sacre du Printemps370 du Performance Group 153371

au Musée d’art de Séoul372, toutes deux en mai et pour le Vjing. Et enfin, le Peace

and Piano Festival373 au Centre d’arts de Gyeonggi374 dans la ville de Suwon375

en août376, aussi pour le Vjing.

3.15 Création d’approche 6 : Octopus – Breaking News377 (Juillet 2013)

De cette Création d’approche 6, nous n’avons pas conservé beaucoup d’idées

pour Le temps n’est pas pour toujours. Mis à part sa mise en espace dans le lieu

urbain et les reportages sur les dernières nouvelles. Dans notre spectacle, ceux-

ci relatent le naufrage du bateau de croisière Sewol en Corée du Sud.

Étonnamment et paradoxalement, l’entreprise créatrice de contenu en ligne 72

Seconds378, formée d’anciens In the B379 et mise sur pied en 2015, utilise une

méthode se situant à la jonction de cette extravagante création d’approche et

d’autres ébauches de projets aux idées saugrenues s’inspirant de la vie de

370 Annexe 55 (2 photos de la production).

371 퍼포먼스그룹153 (Peopomeonseu Geurup 153, en romanisation), aussi dit le PG153.

372 서울시립미술관 (Seoul Si Ripmisulgwan, en romanisation) – Seoul Museum of Art.

373 피스 앤 피아노 페스티벌 (Piseu aen Piano Peseutibeol, en romanisation).

374 경기도문화의전당 (Gyeonggi Do Munhwaui Jeondang, en romanisation) – Gyeonggi Arts

Center.

375 수원시 (Suwon Si, en romanisation).

376 Annexe 56 (affiche, 1 vidéo et 6 photos de la production).

377 Annexe 57 (36 photos -28 du repérage, 2 du bassin et 6 du costume- et 1 vidéo de la création).

378 72초 (72 cho, en romanisation), aussi appelée 72초TV.

379 Chiehwan Sung, Kyunghwan Jin et Namjo Kim.

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bureau apparues à partir de mars 2012. Dans son article Homemade News

Videos Are Booming In South Korea, Eva Yoo révèle que 72 Seconds, dont les

réalisations se trouvent sur quatorze plateformes médiatiques en Chine, se sert

des activités quotidiennes de Séoulites ordinaires pour concevoir des vidéos de

comédie fictives en lien avec la culture pop sud-coréenne de même que des

émissions de nouvelles satiriques se moquant de la société contemporaine380.

Notre travail de recherche contribua à l’essor de cette entreprise, qui connut

rapidement un succès immense et international. 72 Seconds représente donc

une extension positive de notre processus créatif.

Cette Création d’approche 6 fut écrite en juin et juillet 2013 et faisait partie de

la série de happenings TTH. Nous devions tourner pendant deux jours à la fin

juillet : le 21 (pour la performance) en extérieur, et le 29 (pour le reportage de la

présentatrice studio381) à la Factory382, située au sous-sol de l’immeuble du lieu

de résidence de Chiehwan et servant d’entrepôt ainsi que d’atelier au collectif.

Pour la lectrice de nouvelles, appelée Steve 383 , le rôle fut confié à l’actrice

Kayoung, du spectacle de danse-théâtre Communication V (avril 2013). Le

380 Eva Yoo, Homemade News Videos Are Booming In South Korea, TechNode, July 19th, 2016,

<http://technode.com/2016/07/19/twisted-news-format-videos-booming-south-korea/>.

381 스튜디오 뉴스캐스터 (Seutyudio nyuseukaeseuteo, en romanisation), de l’anglais studio

newscaster.

382 펙터리 (Pekteori, en romanisation).

383 스티브 (Seutibeu, en romanisation).

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second reporter384 se déplaçant sur le terrain (notamment à l’entrée du zoo, au

marché de poisson et près d’un pont sur le bord de la rivière Han) et aussi nommé

Steve, devait être interprété par Mj du film Séoulitude.

Avec Octopus – Breaking News (문어 – 브레이킹 뉴스385), que nous pourrions

traduire Pieuvre – Dernières nouvelles ou Pieuvre – Infos de dernière minute,

nous voulions médiatiser la performance urbaine. En partant du concept que les

pieuvres ont besoin de bassins d’eau, explorent lorsqu’elles cherchent de la

nourriture et peuvent se cacher et changer de forme, nous avons imaginé qu’un

individu s’était échappé du camion sous les yeux d’un marchand au cours d’une

livraison nocturne au marché de poisson de Noryangjin386.

D’après Steve et Steve, la pieuvre aurait été aperçue au zoo le lendemain matin,

où elle aurait flirté avec les loups, bavardé avec un bébé cerf et grimpé aux arbres

avec les singes. Plus tard, elle aurait été vue et filmée par des citadins à d’autres

endroits tels que : l’hôtel de ville387, la rivière Cheonggyecheon, la statue de

l’amiral Yi Sun-sin, le palais royal Gyeongbok durant le changement de la garde,

le vieux et traditionnel marché de Namdaemun 388 mangeant des nouilles

384 리포터 (Ripoteo, en romanisation), de l’anglais reporter. 385 Muneo – Beuleiking Nyuseu, en romanisation.

386 노량진수산시장 (Noryangjin Susan Sijang, en romanisation) – Noryangjin Fish Market.

387 서울시청 (Seoul Sicheong, en romanisation).

388 남대문시장 (Namdaemun Sijang, en romanisation) – Namdaemun Market.

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166

fraîches389, une église, un temple bouddhiste, une caserne de pompiers, une

garderie s’amusant avec des enfants, un parc y faisant du vélo, une fontaine dans

Yeouido (y nageant), le métro, le bus, des restaurants de Gangnam dégustant du

gopchang (intestins grillés) et de la petite pieuvre vivante390, ainsi que dans les

rues de Gangnam couchée au sol se faisant réanimer par des passants (par

bouche-à-bouche et massage cardiaque) après avoir trop mangé et bu trop de

soju.

Malgré tous les « Pour un étranger, c’est OK391! » scandés par les citoyens, les

reporters auraient dû nous mettre en garde de surveiller nos piscines, nos spas

et les rivières, puisque la pieuvre, ayant besoin de bassins d’eau, se serait à

nouveau échappée. Tout en nous rassurant sur l’envoi de policiers vers le massif

Seoraksan et d’autres villes portuaires comme Incheon (où se trouve un aéroport

international392) et même Busan, on nous aurait informés de la peur, éprouvée

par des pêcheurs, d’assister à une éventuelle épidémie de pieuvres désirant vivre

hors de l’eau et s’humaniser. Des biologistes auraient même cru à une nouvelle

espèce caractérisée par une capacité à vivre dans l’environnement humain. La

population aurait dû rester vigilante et prudente, et tout membre de la

communauté aurait été prié de communiquer avec les forces de l’ordre s’il

389 칼국수 (Kalguksu, en romanisation).

390 산낙지 (Sannakji, en romanisation).

391 « 외국인, 오케이! » (« Oegugin, Okei! », en romanisation).

392 인천국제공항 (Incheon Gukje Gonghang, en romanisation) – Incheon International Airport.

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possédait toute information à ce sujet.

Pour les lieux de tournage, nous avons pris des photos et tourné des plans lors

de repérages aux endroits qui, à l’inverse de l’hôtel de ville, du palais royal

Gyeongbok, du marché de Namdaemun et des restaurants de Gangnam, étaient

moins bien connus des autres membres du collectif. Parmi eux : le zoo de la ville

de Gwacheon393 situé dans le Grand parc de Séoul394, le marché de poisson de

Noryangjin, et le parc Yeouido395 (pour la fontaine et le pont près de la rivière).

La rivière Cheonggyecheon et la statue de l’amiral Yi Sun-sin ayant été

documentés dans Séoulitude, nous en avions déjà le matériel.

Quant au costume et aux accessoires, nous avons déniché et acheté un vêtement

blanc d’une seule pièce à manches longues et avec bonnet ainsi qu’une

casquette avec une gueule de requin et des yeux. Nous possédions déjà des

gants et des chaussettes blancs de réflexologie offerts par Chiehwan. De plus,

nous avons trouvé un fournisseur de pieuvres pour une livraison à domicile de

quelques individus très tôt le matin afin de les découper pour coudre leurs parties

de tentacules et de tête sur le vêtement et poser une tête entière sur le bonnet

de l’habillement. L’achat d’une piscine pour enfants en plastique ou en

caoutchouc servant de bassin à la pieuvre dans le camion de livraison au marché

393 과천시 (Gwacheon Si, en romanisation).

394 서울대공원 (Seoul Dae Gongwon, en romanisation) – Seoul Grand Park.

395 여의도공원 (Yeouido Gongwon, en romanisation) – Yeouido Park.

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était aussi prévu.

Concernant les autres pièces d’équipement, nous devions réserver un camion

pour la journée afin de le filmer au marché de Noryangjin et nous déplacer durant

le tournage. Aussi, il nous fallait avoir au moins un autre véhicule ainsi que louer

un micro-cravate et une ou deux caméras. Nous planifiions également d’acheter

une couverture pour couvrir la banquette où s’assiérait la pieuvre (nous-même),

car son costume (composé de vraies pieuvres odorantes) pourrait la mouiller ou

la souiller.

La durée du reportage n’était pas fixée, mais elle devait varier entre une et trois

minutes et se décider au montage. Tous les achats devaient se faire en espèces

(surtout au zoo) pour ne pas laisser de traces avec les cartes de crédit et notre

passeport devait être conservé par un des autres membres de l’équipe en cas

d’arrestation. Nous étions tous conscients, bien que sûrement trop insouciants,

naïfs et imprudents, des risques encourus par une telle performance publique

dans ce costume de pieuvre. La production était dédiée à notre amie Valérie

(envolée trop tôt), et tous les dialogues étaient écrits en coréen. Des sous-titres

anglais devaient être ajoutés au montage.

Le tournage fut annulé lorsque le réalisateur Jeon KyuHwan (전규환) de la

société Treefilm, fondée en 2008 par celui-ci et sa collaboratrice Choi Miae

(최미애), fit appel à nos services pour un rôle de soutien dans son huitième film

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Angry Painter 396 (성난 화가, Sungnan Hwaga en romanisation – Peintre en

colère). Le long métrage, qui ne sortit que le 18 juin 2015, était une coproduction

avec la compagnie estonienne Allfilm et fut catégorisé comme « film d’action

rétro avec nudité397 ». Il fut tourné en septembre 2013, après un entraînement

rigoureux en arts martiaux (boxe, lutte et jiu-jitsu) avec les cascadeurs de l’école

de formation pour films d’action de Séoul398 en août 2013. Notre expérience fut

superbe, tant à l’égard de la discipline pour les efforts physiques et mentaux

déployés afin de maîtriser les chorégraphies de nos combats répétées

interminablement, qu’à l’approche et l’interprétation de notre personnage de

gangster jaloux faisant usage de drogues et se battant à quelques reprises.

Curieusement, celui-ci est appelé « Homme blanc399 » dans le script, et « Soldat

américain400 » dans le générique final, même s’il parle et blasphème en québécois

avec un évident accent. À l’automne 2013, nous avons accompagné l’équipe pour

la promotion de My Boy (마이 보이401) lors du Festival international du film de

Busan402.

396 Annexe 58 (2 vidéos de la préproduction; ainsi que 2 affiches, 2 vidéos et 18 photos de la

production).

397 빈티지 누드 액션 (Bintiji Nudeu Aeksyeon, en romanisation) – Vintage Nude Action.

398 서울액션스쿨 (Seoul Aeksyeon Seukul, en romanisation) – Seoul Action School.

399 백인 남성 (Baekin Namseong, en romanisation) – White Man.

400 미군 (Migun, en romanisation) – American Soldier.

401 Mai Boi, en romanisation.

402 부산국제영화제 (Busan Gukje Yeonghwaje, en romanisation) – Busan International Film

Festival.

Page 182: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

170

Avec recul, nous croyons que nous aurions peut-être dû exécuter tout de même

Pieuvre – Dernières nouvelles. Nous aurions pu demander à la compagnie de

production Treefilm de nous excuser quelques absences vu qu’il s’agissait d’un

engagement antérieur avec In the B. D’autant que nous avons appris plus tard

que l’annulation du tournage froissa légèrement le président du groupe In the B.

Selon lui, le camion avait déjà été loué et le projet n’avait pas été si évident à

comprendre et approuver par certains membres de l’équipe. Rendus où nous

étions, il fallait terminer la création. Même si sa folie et son audace, ainsi que

son caractère absurde et insouciant, généraient chez le reste du collectif le doute

et le déconcertement.

3.16 Studio 4 : Rough Cut Nights – Goldberg Machine403 (Mars 2014)

Ce Studio 4, métissant le corps écranique dont parle Ludovic Fouquet [celui

relevant du reflet, du double (image de soi-même) et de l’apparition (image d’un

autre), soit le miroir et la fenêtre]404 ainsi que le corps réel, nous permit de

partager nos avancées doctorales et nos connaissances en théâtrologie. Celles-

ci le furent en français, nonobstant que plusieurs des spectateurs ne purent

403 Annexe 59 (4 affiches, 1 vidéo et 22 photos de la production; 3 vidéos de présentation; ainsi

que 1 photo et 2 vidéos d’inspiration).

404 Ludovic Fouquet, L’écart et la surface, prémices d’une poétique du corps écranique, dans

« Jeu : revue de théâtre », Montréal : Cahiers de théâtre Jeu, no 108 (3), 2003, p. 114-120,

<http ://id.erudit.org/iderudit/25979ac>, p. 114.

Page 183: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

171

comprendre la langue. N’est-ce pas là un exemple de la primauté du corps et du

recul du texte? Car même lorsque des groupes d’acteurs improvisent à partir d’un

thème ou d’un scénario, dans des lieux non théâtraux et des espaces nus, le

corps reste porteur du récit, avec ou sans paroles.

C’est à Séoul le 27 mars 2014 dans le cadre des Nuits du premier montage (러프

컷 나잇405 – Rough Cut Nights) présentées du 25 au 30 au Théâtre d’Arts de

Daehangno406 que s’opéra notre dernier studio de recherche-création avec In the

B. Ce jeudi, nous participions à l’unique représentation du spectacle Goldberg

Machine407, inspiré des machines de Rube Goldberg. Celles-ci, tirant leur nom du

dessinateur Rube Goldberg les ayant élaborées grâce à sa série humoristique

mettant en scène le professeur Lucifer Gorgonzola Butts, réalisent une tâche

simple d’une façon délibérément complexe, le plus souvent à l’aide d’une

réaction en chaîne. Pensons à son illustration d’une serviette de table

automatique (Professor Butts and the Self-Operating Napkin) en 1931. Ces

machines ont une longue postérité en inspirant des créateurs tels que Honda

dans un commercial pour sa Honda Accord en 2007 (All Physics Rube Goldberg

Setup) ainsi que le groupe OK Go dans son excentrique vidéo-clip de This Too

Shall Pass en 2010.

405 Reopeu Keot Nait, en romanisation.

406 대학로예술극장 (Daehangno Yesul Geukjang, en romanisation) – Daehangno Arts Theater.

407 골드버그 머신 (Goldeubeogeu Meoshin, en romanisation).

Page 184: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

172

Comme le professeur Butts, nous tenions un rôle d’enseignant. Notre mission :

renseigner les spectateurs sur la place de choix que le corps occupe dans le

décor théâtral contemporain. Leur expliquer que l’acteur doit maîtriser avec

finesse et précision son instrument servant à lui procurer un matériel scénique

adéquat. Le texte, les accessoires, la musique, les effets sonores, la mise en

scène, les coulisses, les rideaux, la rampe et les costumes jouent un large rôle

certes, mais le corps demeure le premier milieu naturel de l’être et un véritable

réseau de tensions antagonistes. Comme preuves à l’appui : des extraits vidéo

projetés sur grand écran après en avoir trouvé le lien en direct sur notre

ordinateur de Théâtre et biomécanique de Meyerhold408 où Bogdanov présente

d’importants principes de la biomécanique, de même que des travaux récents en

provenance d’Europe et des États-Unis développés à partir de la biomécanique

de Meyerhold, ainsi que notre expérience de stage en mouvement à Québec en

2008 avec Robert Reid, disciple de Bogdanov.

Il fut aussi exposé que les gymnastes travaillant en duo, et dont la technique est

de plus en plus optimisée, savent les règles essentielles de la biomécanique.

Lorsque ces lois mécaniques de l’organisme sont administrées avec rigueur,

l’acteur-danseur peut recréer le vivant dans l’action et non à travers le revivre.

Grâce à l’introduction de cette vie scénique, on démontre que contrôler son corps

408 En version originale anglaise : Meyerhold’s Theater and Biomechanics.

Page 185: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

173

découle d’une approche biomécanique et procure le gain des structures

fondamentales au jeu.

Le matériau est lié à son organisateur, la mécanique et le vivant fusionnent,

cependant que les conventions deviennent des limites à transgresser. Et si le

mouvement met en forme l’espace, c’est parce que les exercices d’exploration

physique accroissent la faculté d’organisation de l’acteur en fonction de lui-

même, du lieu, du temps et des autres. Les diverses parties du corps de l’acteur

sont sciemment mises en corrélation et cela donne au moindre mouvement son

expressivité dans l’harmonie.

Pendant ces précisions, nous présentions un extrait du spectacle Icaro du clown

Finzi Pasca, fondateur du Teatro Sunil dont la musique fut utilisée lors de notre

Création d’approche 1 et notre Studio 2. Nous soulignions à la fois l’importance

des stages de formation, tel que le nôtre avec Finzi Pasca à Montréal en 1999.

Pour terminer, nous demandions à Chiehwan à la technique (en avant-scène) s’il

avait des questions à cet égard (réponse : négative) et aux deux danseurs

(retrouvés sur le plateau en rampant à leur rencontre) s’ils avaient déjà effectué

des stages (réponse : positive).

Apparaissait ensuite à l’écran une bande-annonce de la performance Notre brève

éternité409, de la troupe de danse contemporaine Holy Body Tattoo. Avant de

409 En version originale anglaise : Our brief eternity.

Page 186: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

174

poser deux dernières questions aux danseurs (devant notre petit écran, situé

derrière notre ordinateur) et de les remercier de leur énergique présentation,

nous poursuivions notre discours sur le corps.

L’acteur actuel doit endosser davantage que la simple interprétation de son rôle

et son engagement dans l’acte dramatique. Il lui est impérieux d’être averti de la

relation entre les appareils physique et psychique de l’acteur où le sentiment est

conduit par l’action physique. Cette dernière reste l’unique chose que l’acteur

peut exécuter sur la scène, avec une vraisemblance et une assurance certaines.

Tout état psychologique s’exprime par le corps et toute action possède une

motivation. La logique des actions physiques peut faire comprendre au

spectateur les motivations psychologiques du personnage. Le choix de ces

actions, en conformité avec la justification intérieure et l’intuition personnelle,

constitue donc la base de la construction du personnage.

Quand le corps est mis en rapport avec un espace précis dans ses dimensions et

est déterminé par une figure géométrique imaginaire, il existe une coordination

entre les espaces postural et environnant qui témoigne d’une excellente faculté

d’adaptation. L’œil agit tel un instrument de mesure pour calculer les

distances. Et lorsque le corps est mis en rapport avec le temps, il produit un

travail rythmique qui dynamise l’espace en posant des repères.

Nous abordions aussi les travaux de Jerzy Grotowski, illustre réformateur du

Page 187: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

175

théâtre du XXe siècle. L’originalité profonde de son théâtre et de son école est de

chercher à définir un cadre de travail où peuvent être assurées en même temps

une formation et une création jamais dissociées l’une de l’autre. Dans son

approche, le sens d’une interrogation sur l’humain est donné à la pratique

théâtrale. Ce qui l’intéresse c’est la possibilité d’aider les autres à s’accomplir

eux-mêmes, à obtenir une autorévélation totale. Il suffit de savoir que notre

existence, notre organisme, notre expérience personnelle peut combler le vide

qui réside en nous. Les exercices de compositions, au cours desquels l’acteur

découvre sa propre flore et sa propre faune, sont destinés à aider l’acteur à se

délivrer des blocages et à atteindre la liberté des impulsions, qui peut lui

permettre d’inventer son propre langage corporel et vocal, authentique et intime.

Le corps entier est le centre, la source des réactions, et il doit être engagé

totalement, alors que la colonne vertébrale demeure la région du corps au centre

des exercices. Son travail est capital pour la recherche des points d’équilibre,

ainsi que dans un certain nombre de positions yoga. Cette colonne est

considérée comme centre d’expression, toute impulsion motrice, vivante, prenant

sa source dans la région lombaire. Dans ce type d’enseignement, l’acteur incarne

devant le spectateur une aventure humaine, une quête où tout l’être est engagé.

Pour conclure, nous introduisions la prochaine scène : une démonstration de la

technique Foley. Celle-ci, aussi appelée bruitage, fut nommée en référence à

Jack Foley qui en établit les bases toujours utilisées à ce jour. Elle représente

Page 188: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

176

une des étapes de la fabrication d’un film ou d’une vidéo où la reproduction

d’effets sonores quotidiens est ajoutée en postproduction, généralement après

le montage définitif de l’image, pour améliorer la qualité audio. Ces sons peuvent

être n’importe quoi, du bruissement des vêtements aux portes grinçantes et au

verre cassant. Ils s’enregistrent dans des auditoriums spécialisés et équipés de

différents sols pour recréer les bruits de pas sur toutes les surfaces possibles.

Le meilleur art Foley est celui qui passe inaperçu par le public.

Tandis que l’équipe de cinq bruiteurs préparait l’espace scénique (avec entre

autres un parapluie, un drapeau de la Corée du Sud et des bouteilles en plastique)

pour s’exécuter sur une scène de combat entre Bruce Lee et Chuck Norris tirée

du film La fureur du dragon, nous en expliquions le processus et achevions notre

propos sur l’acteur en tant qu’être se transformant. Mutation touchant les

impulsions, les émotions, l’esprit ainsi que le comportement, et passant par une

métamorphose intérieure visant à générer la conversion extérieure. Cette

machine entraînée pour réaliser avec économie et précision les consignes reçues,

établissant une communication rapide entre pensée, volonté et force musculaire.

De sorte que le jeu de l’acteur ne puisse jamais être séparé de son inscription

dans le corps, ce pays du mouvement.

En somme, la maîtrise du corps est primordiale et les stages d’expression

corporelle ainsi que les cours de yoga, tai-chi ou aïkido, font évoluer les modes

de respiration et favorisent la relaxation et la concentration. Pédagogie et

Page 189: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

177

exercices pratiques ne sont plus destinés à développer un savoir-faire ou une

virtuosité, mais à favoriser la connaissance de son schéma corporel, de ses

ressources physiques et de leur mise en jeu. Désormais, on déconstruit un corps

qui avait été conditionné par des contraintes familiales ou socioreligieuses. On

élimine des stéréotypes. On rend l’individu conscient et créatif. L’artiste qui se

réalise physiquement sent se développer sa personne. Le corps est le lieu de son

unité. L’acteur-danseur-chanteur réunifié jouit d’un équilibre, d’une maîtrise

perceptible. Il a une présence plus intense, il polarise sur lui les regards du

spectateur. Il existe chez lui une notion d’immédiateté. Il ne prend plus le temps

de préparer sur scène une émotion, mais réagit sur-le-champ. Il n’a ni passé ni

avenir. Il vit l’instant. Il est pris sur le vif, sur le fait. Tous ses sens sont éveillés,

il est en alerte, mobilisé pour réagir aussitôt. Voilà la magie du corps : la manière

dont il est utilisé reflète notre vision du monde.

D’autre part, nous avons participé pour une dernière fois à une production du

collectif, la vidéo Rock-Paper-Scissors410, deux mois plus tard (mai 2014). Celle-

ci fut tournée et montée à la demande du client Abletech411 lors de l’exposition

KOBA412 se déroulant au Centre COEX.

410 Annexe 60 (vidéo et 15 photos de la production).

411 에이블테크 (Eibeultekeu, en romanisation).

412 코바쇼 개최 (Koba Syo Gaechoe, en romanisation) – Korea International Broadcast Audio &

Lighting Equipment Show.

Page 190: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

178

3.17 Retour sur les studios, les études et les créations d’approche

Les expériences analysées dans ce chapitre, à l’instar des concepts portant sur

notre société intermédiatique et son urbanisme numérique, contribuèrent à

l’édification de notre création Le temps n’est pas pour toujours. Notamment, de

notre Studio 1, It’s not a cinema #1, Lee Han Chul On Ruf, nous avons gardé le

décor urbain extérieur avec ses bruits, la partie supérieure d’un immeuble comme

lieu de représentation, le public restreint, ainsi que sa forme inédite et la

présence d’objets sur scène. De House is Not a Home, notre Création d’approche

1, l’intermédiaticité en tant que mélange de médias et croisement des procédés

artistiques fut conservée. De notre Création d’approche 2, You’re the answer,

nous avons retenu la voiture comme moyen de transport et la télévision comme

écran autorisant le voyage intérieur. Grâce à Turned Off the TV, notre Étude 1,

nous avons travaillé sur le rythme audiovisuel et l’esthétique des corps

écraniques. De notre Studio 2, Video Concerto No. 2, la projection mapping, le

rapport corps réel et corps projeté, l’acteur seul face aux interfaces, le public

restreint et l’utilisation du cube blanc comme surface écranique furent

significatifs.

Quant à notre Création d’approche 3, International Finance Centre, nous en

avons gardé l’insomnie urbaine, la vitesse, le temps, les projections écraniques

et l’usage des transports dans la performance. Avec notre Création d’approche

4, lMU, nous avons poursuivi notre travail sur la valeur du rythme et du son lors

Page 191: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

179

de la mise en jeu, la poétique du corps extraquotidien, l’exploitation d’objets

quotidiens et l’espace public comme endroit de performance. À l’aide de notre

Étude 2, Hard to be Humble, nous avons revisité le cadre extérieur de la ville, à

travers la foule et les véhicules, ainsi que le pouvoir du rythme. Du Video

Concerto No. 3, Tom and Jerry Night, notre Étude 3, nous avons retenu l’immense

potentiel de l’intermédiaticité et la spectacularité de la profusion des écrans. De

notre Étude 4, You Are Beautiful, nous avons réexaminé le décor urbain au milieu

des gens et des écrans ainsi que l’aspect inédit de la performance, en plus

d’exploiter les non-publics.

Concernant Séoulitude, notre Studio 3, il nous permit de revoir l’espace de la ville

et d’explorer davantage la problématique de la langue comme système de signes,

vocaux et graphiques, porteurs de signification et au rôle communicatif. De

Lament, notre Création d’approche 5, nous avons conservé la discordance entre

le dynamisme du train et le statisme de l’être le regardant. De notre Étude 5,

Sound of Sound of Sound (Metro Hero), la forme non répétable de la performance,

le train comme marque de la mobilité urbaine, et l’usage des non-publics furent

significatifs. Lors de notre Étude 6, At Most, nous avons réétudié la relation

interprète-écran ainsi que la stratification et la prolifération langagières sur les

espaces de projection. Avec notre Création d’approche 6, Octopus – Breaking

News, nous avons reconsidéré la mise en espace dans la ville et ajouté l’idée du

reportage. Et enfin, avec Rough Cut Nights – Goldberg Machine, notre Studio 4,

Page 192: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

180

nous avons repensé les corps écranique et réel ainsi que l’importance du corps

dans la performance.

Le dernier chapitre de ce volet approfondit le processus scriptural de notre

création finale ainsi que ses traces.

Page 193: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

181

4. Processus scriptural et ses traces413 (Avril 2011-Mai 2015)

Pour mieux saisir et apprécier le script de notre spectacle Le temps n’est pas

pour toujours ainsi que sa première représentation à Séoul le 16 mai 2015, il nous

paraît aussi approprié de détailler et considérer son processus d’écriture de

même que ses traces laissées en route.

4.1 L’image urbaine comme lieu de mémoire (Avril-Décembre 2011)

En avril 2011, la thématique de la mémoire constituait déjà un sujet de réflexion.

Le 20 de ce mois-là, nous notions, à Québec, que celle-ci se faisait dans, et par,

l’association du monde autour et selon notre vécu. Comme plus on vieillit plus on

a de bagage, plus d’analogies s’établissent avec le passé et par suite, plus de

projections dans le futur. Les jeunes seraient plus dans le présent. Nous

observions aussi que le théâtre et la ville possédaient des rapports d’ordre

sociologique, économique et morphologique. Les rues, les places et même la ville

entière, s’avèrent des lieux du spectacle. Nous ajoutions le lendemain que le

théâtre nous était une chose remémorée, que l’image était un lieu de la mémoire,

413 Annexe 61 [226 photos (5 Atelier du Hangeul, 12 Centre Paik Nam June, 6 Décors, 34 Horloges,

3 Jokbo, 4 Machines, 13 Mondrian, 13 Muybridge, 1 Vagues, 45 Structures, 35 Taipei, 4 Tokyo-

Carrefour Hachikō, 51 Transports), 12 vidéos (2 Avions du 9/11, 1 Arbre, 1 Montre, 1 Fœtus, 2

Pink Floyd, 1 Rideau, 3 Transports et 1 Vague), 8 sons (1 Bébé, 1 Ascenseur, 1 Atelier, 1 Cloche,

1 Enfant, 1 Naissance et 2 Sonneries) et 2 chansons d’inspiration; 5 schémas de la scène, 7

photos du lieu de représentation, 55 photos des publications, 3 vidéos des tests sur Ustream et

2 versions du montage audiovisuel final; ainsi que la dédicace de la première et les textes

retranchés].

Page 194: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

182

et que, pour être excellente, l’image de mémoire devait avoir un impact affectif

et émotionnel.

Le 19 mai suivant, nous inscrivions une proposition : « L’image urbaine est un

lieu de mémoire affective, intellectuelle et émotionnelle qui varie selon l’espace

dans lequel on la place (présente) et l’appareil de perception de son spectateur

(regardeur). » Cette proposition resta un élément majeur tout au long du

processus. Par exemple, le 22 mai 2011, toujours à Québec, nous composions le

texte « Puis-je effacer ces erreurs de mémoire? (Ou : Puis-je effacer ces erreurs

de mémoire de ma mémoire?) / Où sont passées mes traces de mémoire? »,

tandis que vers la fin décembre 2011 nous marquions à Séoul : « ... et où sont

nos paroles...? Avons-nous perdu notre mémoire? » Pour notre création finale,

ces derniers fragments furent suppléés par « Où est ma mémoire 414 ? »

et « Avons-nous perdu nos paroles? ».

Certains écrits de l’automne 2011 furent littéralement retranchés, car jugés

moins de circonstance et pas assez impressionnants. C’est le cas du texte Ils

étaient solitudes du 10 septembre, de Composé il y a deux minutes du 13

septembre, d’À être composé du 14 septembre, ainsi que d’une courte pensée

du 6 octobre.

414 En version originale anglaise : « Where’s my memory? »

Page 195: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

183

4.2 Spectacle fusionnant temps, vitesse et espace (Hiver 2012)

À l’hiver 2012, un écrit fut composé au sujet de notre situation à Séoul. Même si

le texte, datant du 10 janvier 2012, exprimait une vision positive et exaltante, il

fut jugé trop long et anecdotique. Nous ne l’avons pas conservé.

De plus, nous approchions de façon conceptuelle un nouveau Video Concerto for

Something Analog. Plusieurs idées furent notées relativement aux thèmes, aux

accessoires, au décor et aux images projetées.

Le 28 février 2012, nous exprimions notre désir d’avoir des haut-parleurs partout

autour de l’espace de jeu, une caméra au plafond filmant en direct, un

microphone sans fil, des mini-galeries servant de musées où seraient montrées

des images et des vidéos (notion exploitée en juin suivant lors de notre Étude 3,

Tom and Jerry Night), un menu au bar sur lequel serait annoncé le programme

du spectacle (Acte 1 : titre, Acte 2 : titre, etc.) et un orchestre (idée également

exploitée à la Tom and Jerry Night). Nous voulions aussi placer sur scène des

sculptures de personnages de Boccioni, des photos de toiles futuristes ou des

Compositions de Piet Mondrian, ainsi que des décompositions du mouvement de

Muybridge.

Le même jour, nous pensions à l’album The Dark Side of the Moon de Pink Floyd

et surtout à la chanson Time qui débute avec un long passage de sons d’horloges

et d’alarmes enregistrés dans un magasin d’antiquités, suivi d’un bruit de

Page 196: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

184

pendule créé par Waters en bloquant ses cordes de basse. Les paroles de cette

pièce expliquent que le temps passe très vite, mais beaucoup de gens ne le

réalisent que lorsqu’il est trop tard. Robert Smithson avait sans doute raison de

mentionner, dans Une sédimentation de l’esprit : Earth projects, que « Beaucoup

voudraient tout simplement oublier le temps, parce qu’il recèle le “principe de la

mort” (tous les artistes savent cela)415. » En outre, nous songions au rôle des

ponts, trains, bus, hélicoptères, avions et métros dans notre mise en scène, ainsi

qu’à nos réflexions sur certains artistes visuels d’avant-garde au XXe siècle,

effectuées à l’été 2006 dans le cadre d’un cours d’histoire de l’art à l’Université

Laval.

Le 2 mars 2012, nous précisions l’importance du temps ainsi que son

impénétrabilité et sa solitude après avoir visionné plusieurs épisodes de la

dernière saison de Six pieds sous terre416. Les trois constatations suivantes de

Nathaniel Junior furent marquantes : « Mais c’est comme si, peu importe la

quantité d’énergie que tu mets pour arriver à la gare à temps, ou prendre le bon

train, il n’y a toujours pas de garantie que quelqu’un sera là pour te prendre

quand tu y arriveras417 », « L’amour n’est pas quelque chose que tu ressens, c’est

quelque chose que tu fais. Si la personne avec qui tu es n’en veut pas, fais-toi la

415 Robert Smithson, Une sédimentation de l’esprit : Earth projects, dans « Art en Théorie, 1900-

1990 », Paris : Hazan, 1997, p. 948.

416 Six Feet Under, série télévisée racontant le quotidien de la famille Fisher.

417 Comme le temps passe (Saison 5, Épisode 4).

Page 197: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

185

faveur de le conserver pour quelqu’un qui en veut418 », et « Tu ne peux pas

prendre une photo de cela. C’est déjà passé419. »

Bref, on ne peut pas prendre une photo de l’instant, car il est déjà passé. Le

temps file au point que le présent n’existe pas (on le pense ou le vit et déjà il

n’est plus). Tout va si vite et le mouvement est si continu que souvent on ne le

remarque pas, ne le sent pas, ou ne le vit pas. Et même si parfois on touche

l’amour, il ne dure pas pour toujours. Cette observation, écrite originalement en

anglais420, est assez proche du titre Le temps n’est pas pour toujours. Ainsi le

mouvement tourne, comme le cercle de la vie et les saisons, et cela nous

marquait tant que nous nous posions la question « Où sommes-nous421? » et

formulions la règle suivante : Temps + Mouvement = Vitesse.

Le 4 mars 2012, nous justifions deux de nos choix de mise en espace. D’une part,

l’usage de la caméra au plafond filmant en direct par le délai existant entre le

maintenant (celui qui est présent, instantané) et l’autre maintenant (celui qui est

plus tard, décalé), comme une défaillance momentanée due au temps de

connexion, une différence ne pouvant être saisie avec exactitude. Et d’autre part,

les nombreux haut-parleurs autour de l’espace par le mouvement des ondes

418 Donne-moi la main (Saison 5, Épisode 6).

419 Le monde attend (Saison 5, Épisode 12).

420 « Even if sometimes we touch it (love), it doesn’t last forever. »

421 En version originale coréenne : « 우리 어디야? » (« Uri eodiya? », en romanisation).

Page 198: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

186

sonores et ses échos qui se propagent, voyagent, volent, vibrent et tournent sans

jamais rester au même endroit.

Le 6 mars 2012, après avoir regardé le film d’action sud-coréen A Bittersweet

Life422, nous écrivions un court dialogue entre un maître et son disciple. Celui-ci

pourrait s’apparenter à un monologue intérieur : « (Maître) Un cauchemar?

(Disciple) Non. (Maître) Un rêve triste? (Disciple) Non. C’était un beau rêve.

(Maître) Mais alors, pourquoi pleuriez-vous avec tant de tristesse? (Disciple)

Parce que ce rêve ne se produira jamais423. » Cette notion de rêve resta dans Le

temps n’est pas pour toujours avec la plateforme de lit et les boîtes de carton

derrière (comme dans une chambre à coucher). L’accord dialogue-monologue

avec soi-même aboutit à l’échange entre Alain et Bongo, son confident, voire sa

seconde conscience.

Quant à la valeur d’une relation Est-Ouest (Orient-Occident), nous rédigions le

14 mars 2012 un texte illustrant la rencontre existentielle entre un auteur

passionné d’arts visuels et une peintre fervente de lecture. Cette prose, titrée

Elle avait l’impression qu’elle devait être prête, ne fut pas conservée, car elle ne

nous semblait pas pertinente pour notre création finale.

422 달콤한 인생 (Dalkomhan Insaeng, en romanisation).

423 En version originale anglaise : « (Master) A nightmare? (Disciple) No. (Master) A sad dream?

(Disciple) No. It was a beautiful dream. (Master) But then, why were you crying so sadly?

(Disciple) Because that dream could never happen. »

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187

Le 24 mars 2012, il fut convenu avec In the B que le Video Concerto for Something

Analog No. 3 serait Tom and Jerry Night. Notre spectacle fusionnant temps,

vitesse et espace fut donc reporté. Vivement, il évoluait vers ce qui s’avérait

destiné à devenir notre propre création intermédiatique.

4.3 Collage de transports : Où allons-nous? (Juin-Juillet 2012)

En juin de la même année, nous combinions des idées et un collage d’images en

vue d’une éventuelle performance à projections sur surfaces écraniques. Parmi

elles : la musique atonale de John Cage, le noir et blanc (en photographie ou au

cinéma), les œuvres d’artistes visuels424, le tableau Le Baiser de Gustav Klimt, le

romantisme et le dadaïsme, des passages de films d’horreur (en l’occurrence de

L’exorciste) et de Sesame Street, la fumée (d’incendie, de cigarette, de cigare ou

de cheminée), Paris la nuit à la place de la Concorde, le sucre mis dans le café,

le pont de Brooklyn, Al Capone et ses cigares, le ring de boxe du film Raging Bull

(situé sous le pont de Brooklyn au Gleason’s Gym, la plus ancienne salle de boxe

des États-Unis), le Café de la Paix à Paris, le débarquement de Normandie, The

Wall de Waters, des oiseaux décédés dans une piscine, des muscles de

culturistes, une masse d’étrangers dans Iteawon, l’usage de stupéfiants à Séoul,

la prison d’Alcatraz, ainsi que les thèmes du temps, du voyage, du miroir et de

424 Tels que Vassily Kandinsky, Joseph Beuys, Joseph Kosuth, Robert Morris, Jean Tinguely, Niki

de Saint Phalle, César et Duchamp.

Page 200: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

188

l’identité.

Après avoir écrit le 24 juin 2012 un texte multilingue (ultérieurement mis de côté

puisque pas assez évocateur) traitant de la vie, du temps, de la rencontre, du

désir et de l’amour, nous reprenions en juillet 2012 quelques parties de

l’assemblage exposé plus haut. Celles-ci furent précisées et conceptualisées

pour une proposition présentée à l’opérateur de téléphonie mobile SK Telecom425

du SK Group426.

Nous possédions cinq compositions. 1 : les Voitures de James Dean et d’autres

mythes et légendes hollywoodiens, celles causant la pollution et le smog dans

les grandes villes (Séoul, New York, Athènes, Mexico, etc.), celles accidentées et

impliquées dans des collisions, celles qui génèrent des conflits géopolitiques

mondiaux concernant les stations d’essence et le pétrole du Moyen-Orient, de

même que celles de l’industrie automobile où règne le taylorisme. 2 : les Trains

de Buster Keaton dans Le Mécano de la « General » et du Far West témoignant

de l’urbanisation rapide sous l’effet de la construction du chemin de fer fixant les

populations (nous pensions surtout à ceux de Lucky Luke), de même que ceux

des métropoles Séoul, Paris, New York, Londres, Montréal et Tokyo. 3 : les

Avions du 11 septembre 2001427 utilisés lors des attentats (survenus à New York,

425 SK텔레콤, ou 에스케이텔레콤 (SKTellekom, ou Eseukei Tellekom, en romanisation).

426 SK그룹, ou 에스케이그룹 (SK Geurup, ou Eseukei Geurup, en romanisation).

427 9/11, ou Nine eleven en anglais.

Page 201: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

189

à Washington D.C. et en Pennsylvanie) et de guerres (Guerre de Corée, Première

et Seconde Guerres mondiales, Guerre du Vietnam...) transportant tantôt des

soldats et leurs munitions tantôt du matériel militaire (bombes atomiques,

roquettes ou dispositifs nucléaires explosifs) aussi bien que ceux vus dans La

Guerre des étoiles, Star Trek et Blade Runner428. 4 : les Bateaux de l’immigration

débordants de passagers clandestins, de croisière (avec leurs luxueux casinos,

bars, restaurants et piscines), de pêche (parfois symboles de batailles

territoriales internationales pour les ressources maritimes) et de pirates, ainsi

que le Titanic, ceux emportés par les tsunamis et ceux aidant les plongeurs à

découvrir des trésors sous-marins. Et 5 : les Vélos des Pays-Bas et de la Belgique,

ainsi que les Motos Harley-Davidson, celles sur la route 66 et celles (de type

chopper) du film Easy Rider.

Bien que la compagnie de télécommunications écartât l’offre, n’arrivant pas à

percevoir les richesses de cette série de prestations et la jugeant trop abstraite,

cette dernière fut déterminante vu que son thème principal était les transports

et ses thèmes connexes étaient la vitesse, les accidents, le voyage, les gens, les

jeux d’arcade ainsi que le futurisme et l’avant-garde en arts visuels. De plus, son

titre était Où allons-nous?429. Cette appellation se voyait utilisée pour la première

fois, et devint le titre provisoire de notre spectacle final jusqu’en février 2013,

428 Dans Blade Runner, il s’agit plutôt de voitures volantes appelées spinners ou autoplanes.

429 En version originale anglaise : Where are we going?

Page 202: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

190

avant de céder la place à Le temps n’est pas pour toujours. Celui-ci avait été

ajouté en sous-titre en août 2012.

Pareillement en juillet 2012 (les 5, 10 et 29), nous écrivions divers textes

touchant au départ, à la vie, à l’amour, au bonheur et au temps. Nonobstant leur

qualité, ils furent tous retranchés en cours de route, car ils nous paraissaient

moins appropriés.

4.4 Un vieil homme, des images, Bongo et des femmes (Août 2012)

Au début du mois suivant, nous continuions de préciser les détails concernant la

mise en espace, les personnages, les actions ainsi que les accessoires. Nous

créions également quelques dialogues.

Le 3 août 2012, nous notions qu’il aurait pu s’agir d’un vieil homme (joué par

nous-même) dans une pièce (sa chambre ou à l’hôpital), que des gens

visiteraient et auquel ils donneraient (re)naissance à l’aide d’actions, de

questions et de réponses. Le rôle de ces visiteurs aurait été de prodiguer au vieil

homme des soins tels que : apporter de la nourriture, de la boisson, de l’amour

et du réconfort. Au cours du spectacle, nous aurions entendu plusieurs voix

s’exprimant en langues étrangères (choisies parmi nos amis et des inconnus)

dont certaines auraient été enregistrées antérieurement. Nous n’aurions pas eu

de sous-titres coréens à l’exception probable des répliques du vieil homme dites

en coréen, étant donné que nous avions l’intention d’utiliser la langue de la ville

Page 203: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

191

dans laquelle nous nous trouvions. Bongo, unique objet trouvé avec le vieil

homme, aurait été son seul ami. Le vieil homme ne se serait souvenu de rien au

début et aurait tenté en parlant, en écrivant, en lisant et en réfléchissant de

retracer son passé et son identité, que nul n’aurait connus. Aurait-il été victime

d’un écrasement d’avion? Nous ne l’aurions peut-être pas su. En tout cas, il

aurait eu peur et aurait été confus devant cette vacuité et ces membres du public

venant à lui. Cette action aurait dû être captée par une caméra filmant en direct

et projetant celle-ci au plafond.

Le 6 août 2012, nous ajoutions et peaufinions maintes données ainsi que

dessinions deux schémas de la scène. Les portes se seraient ouvertes cinq

minutes avant le spectacle. Il y aurait régné un silence et toutes les lumières

auraient été allumées. On aurait vu une projection vidéo en temps réel de nous

(étendu sur un lit surélevé, sur le dos, vêtu en blanc) au plafond. Cette projection

de nous, jouant le vieil homme, serait provenue d’une caméra camouflée dans

une lampe placée sur la table de nuit. Sur les quatre murs, nous aurions eu des

images de guerres (de Corée, du 11 septembre, en Irak ainsi que la Seconde

mondiale et les bombardements atomiques sur Hiroshima), de mort, de

souffrance, de désastres naturels (tsunamis et tremblements de terre), de jeunes

hommes qui se battent et d’animaux (vaches donnant naissance, porcs hurlants,

énormes poissons pêchés).

Au cours de ces cinq minutes durant lesquelles les invités auraient pris un verre

Page 204: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

192

(comme lors d’une installation dans un musée ou une première au théâtre ou au

cinéma), le volume du son accompagnant les images énumérées ci-dessus aurait

augmenté graduellement. Il serait passé de très faible à extrêmement fort. Les

lumières auraient diminué progressivement. À cet instant, un vacarme soudain

aurait dû être entendu, tel un bruit d’accident ou d’explosion, figeant les images

montrées sur les quatre murs. Pour notre création, le choix final fut celui d’un

bruit de cloche.

Après dix à soixante secondes, tandis que les lumières se seraient promptement

allumées et éteintes, le vieil homme aurait sursauté, crié et ouvert les yeux en

direction de la lampe posée sur la table de nuit et dissimulant la caméra projetant

au plafond en direct. Ce procédé technique rappelle la première écriture du

Studio 2 où le vieil homme, assis sur un cube, fixe l’écran d’ordinateur dans lequel

sur trouve une caméra le filmant. La caméra cachée dans la lampe aurait ensuite

capté le singe Bongo, les images présentées sur les murs disparaissant une

après l’autre.

Une femme du public serait venue s’asseoir sur le lit. En repositionnant la caméra

de la lampe vers le visage du vieil homme, elle aurait dit ceci : « Pardon... Est-ce

que ça va430? » Celui-ci lui aurait répondu : « Qui suis-je431? » Sans bouger, le vieil

430 En version originale coréenne : « 미안해... 괜찮아요? » (« Mianhae... Gwaenchanayo? », en

romanisation).

431 En version originale anglaise : « Who am I? »

Page 205: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

193

homme aurait fixé les yeux de la femme, et vice versa. Les mots « Time is not

forever » seraient apparus sur les quatre murs (un sur chaque mur). Alors que la

projection au plafond se serait éteinte lentement, le vieil homme aurait tenté de

se lever avant de tomber et être réinstallé sur le lit par la femme. Celle-ci lui

aurait donné une canne en répliquant : « Nous croyions que ceci vous serait

utile432. »

La fin du dialogue entre le vieil homme et la femme, ainsi que le début de celui

entre le vieil homme et le prochain personnage à intervenir (Femme 2), allait

comme suit :

(Homme) J’ai perdu quelque chose. (Femme 1, le bordant) Où est votre

mémoire? (Homme) Je n’ai plus d’yeux. (Femme 1, tournant la caméra vers

Bongo, avant de retourner dans le public) Lui non plus (Homme, approchant

Bongo de manière à être dans l’angle de la caméra projetant au plafond, et en le

scrutant) Qui diable es-tu? (Femme 2, se rendant sur scène) Ton ami. Nous

l’avons trouvé avec vous. Marchez433.

La projection au plafond se serait arrêtée et des images heureuses (splendides

vues et paysages, sports, montagnes, plages, randonnées) seraient apparues sur

les murs. Des sons d’enfants et de bébés jouant et riant, ainsi que des bruits de

vagues et de vents, auraient été entendus. Pendant ce temps, le vieil homme

aurait tenté de marcher avant de crier « Stop!!! ». Cela aurait fait cesser les sons,

432 En version originale anglaise : « We thought this would be useful for you. »

433 En version originale : « (Man) I’ve lost something. (Woman 1) Where’s your memory? (Man) I

have no eyes anymore. (Woman 1) Neither does it. (Man) Who the hell are you? (Woman 2) 니

친구–Ni chingu, en romanisation–. We found him with you. Walk. »

Page 206: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

194

et les images se seraient figées.

Le dialogue aurait repris :

(Femme 2) Monsieur!?! (Homme) Je meurs. (Femme 2) Vous êtes déjà

mort. (Homme) Vraiment? (Femme 2) Où est votre mémoire? (Homme) Qui

êtes-vous? (Femme 2, avant de partir) Dormez! (Homme, la regardant partir,

frustré, avant de casser sa canne et ouvrir les tiroirs de la table pour chercher

des objets pouvant servir d’indices) Je ne veux pas dormir. Je ne veux pas

dormir. (Homme toujours, à Bongo) Qui suis-je? Où allons-nous? (au public) Où

allons-nous? Vous!?! Moi434?!?

À travers cette crise de trois à quatre minutes où le vieil homme aurait terminé

sur son lit en le frappant, en criant et en pleurant, après s’être déshabillé en ne

gardant que son sous-vêtement, nous aurions vu sur les quatre murs des images

de vitesse, de transport, de futurisme ainsi que d’avant-garde, et entendu des

sons de la ville et de transport. Ensuite, les images disparaissant, nous aurions

lu : « Le temps est... Mais il est déjà passé435. »

Pour terminer cette partie, un ensemble disparate et incohérent de voix en

langues étrangères (comme noté le 3 août 2012) aurait été entendu. Celles-ci

auraient parlé comme des lecteurs de nouvelles et raconté des faits

anecdotiques ou des observations. Entre autres, nous aurions pu entendre « Il y

434 En version originale : « (Woman 2) 아저씨–Ajeossi, en romanisation–!?! (Man) I’m dying.

(Woman 2) Already you did. (Man) Did I? (Woman 2) Where is your memory? (Man) Who are you?

(Woman 2) Sleep! (Man) I don’t wanna sleep. I don’t wanna sleep. (Man) Who am I? Where are

we going? Where are we going? You!?! Me?!? »

435 En version originale anglaise : « Time is... But it’s already gone. »

Page 207: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

195

a un homme quelque part436... » et des fragments du texte commençant par « Et

alors nous regardons cela avec les yeux d’un étranger437 », lequel fut écrit en mars

précédent et finalement exprimé en coréen par Kimchi au tournage de Séoulitude.

Au moment où le vieil homme aurait répété de concert et avec exactitude certains

morceaux de ce mélange de narrations, deux nouvelles femmes seraient arrivées

pour le nettoyer et le rhabiller, avant que les sons (voix enregistrées et celle du

vieil homme récitant) s’estompent, les projections sur les murs stoppent, et

l’éclairage se tamise.

Un dernier dialogue aurait suivi entre les trois :

(Homme) J’ai perdu quelque chose. Un mot. (Femmes 3 et 4, ensemble)

Oui. (Homme) Ça ressemble à comme/apprécier. (Femme 3, après s’être

partagé avec Femme 4 le texte débutant par « Et puis, quelques mois plus tard,

il remarqua qu’elle était beaucoup plus que juste importante pour lui438 », et qui

fut écrit le 29 juillet 2012 ainsi que retranché en dernier lieu) Oui, mais ça peut

changer. (Femme 4) Avec le temps, il se transforme439.

Au cours de cette séance d’écriture du 6 août 2012, nous avons entrevu la

possibilité de choisir une table de nuit ayant un ou deux tiroirs contenant une

bague, un livre, et des timbres. Idée pourtant laissée de côté, comme celles du

436 En version originale anglaise : « There is a man somewhere... »

437 En version originale anglaise : « And then we look at it with the eyes of a stranger ».

438 En version originale anglaise : « And then, few months later, he noticed she was so much more

than just important to him ».

439 En version originale anglaise : « (Man) I’ve lost something. A word. (Women 3 and 4) Yes.

(Man) Sounds like like. (Woman 3) Yes, but it can change. (Woman 4) After times, it transforms

itself. »

Page 208: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

196

vieil homme et sa canne (il s’agissait plutôt de nous, à notre âge), des quatre

femmes (nous étions seul sur scène), de la lampe et sa caméra interne (nous

n’avions pas de plafond, jouant à ciel ouvert) ainsi que plusieurs images et de

nombreux sons. Nous en verrons les détails plus avant.

Aussi en août 2012, un texte au sujet de l’existence et de l’identité fut

rédigé dans la nuit du 14 au 15. Après coup, il nous parut moins pertinent et ne

fut pas sélectionné.

Quelques jours plus tard (le 20 août), nous notions que pour faire circuler

adéquatement et judicieusement les sons dans l’espace, le système sonore

devrait nous permettre de contrôler le volume de chacun des haut-parleurs ainsi

que d’isoler certaines parties de la bande sonore.

4.5 Atmosphères, surcharge et folie urbaine (Automne 2012)

Durant les mois de septembre et d’octobre suivants, nous réécoutions, avec plus

d’attention et en vue d’une sélection, des pièces de musique atonale. Nous nous

appuyions sur Atmospheres de Ligeti, utilisée en juillet 2011 lors des tests

élaborés pour House is Not a Home ainsi qu’en hiver 2011 dans le cadre de notre

laboratoire effectué au séminaire Théâtrologie II : Les nouveaux langages de la

scène, en tant que parfait exemple de sonorités suggérant la folie urbaine. En

complément, nous poursuivions notre collecte d’images à projeter sur nos

surfaces écraniques. Les toiles qui furent choisies pour le montage final sont

Page 209: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

197

certaines de Boccioni, Russolo, Depero, Schinasi, Goncharova et Duquette.

Le 6 septembre 2012, nous ajoutions à notre liste d’images à récolter celles des

jeux du cirque au Colisée de Rome (grâce à leur grandiose spectacularité et leur

historicité) et repérions trois vidéos d’inspiration. D’une part, le clip Don’t Leave

Me Now de Pink Floyd, pour l’état d’esprit du personnage principal, l’ambiance

de la chambre et le type de projections sur les murs. D’autre part, Clear shot of

plane hitting tower two and tower in goes up... et 9/11 Archive Footage-South

Tower collapsing, tous deux montrant les tours jumelles du World Trade Center

s’effondrant à New York et les avions s’y percutant lors des attentats, pour le

genre de présentations visuelles.

Le 8 octobre 2012, nous composions un monologue sur la fusion des êtres. Celui-

ci devait être interprété par une femme, pour un homme. Comme nous l’avons

jugé trop faible, il fut retranché.

Au cours du même automne, en visite à Tokyo et dans le désir d’accumuler des

clichés de lieux urbains approchant la saturation en matière de signalétique et

d’enseignes commerciales lumineuses, nous avons fait un tour (le 24 novembre

2012) du côté du carrefour Hachikō (ou Shibuya Crossing). Cet endroit de

rencontres citadines est pratiquement toujours surchargé de gens, et des images

de celui-ci avaient été intégrées aux projections du laboratoire Urbanisme,

voyages, chamanisme mentionné supra. L’intersection, située en face de la sortie

Page 210: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

198

Hachikō de la gare de Shibuya, souventefois comparée à Times Square de New

York, et connue pour ses passages zébrés pour piétons (dont l’un traverse le

centre en diagonale), ne fut toutefois pas retenue au montage définitif. Nous

avions déjà suffisamment d’images du genre à Séoul, et qui elles, contenaient au

surplus des moyens de transport.

4.6 Poursuite des dialogues et de la mise en espace (Hiver 2012-2013)

Pendant l’hiver subséquent, nous poursuivions la création de dialogues et les

directives de la mise en espace de notre spectacle, toujours appelé Où allons-

nous? : Le temps n’est pas pour toujours440.

En décembre 2012, Video Concerto for Something Analog fut ajouté comme

deuxième sous-titre. Celui-ci ne le fut que très brièvement, car après réflexion, il

nous semblait limitatif et inapproprié.

Le 20 décembre 2012, le titre Où allons-nous? fut traduit en coréen comme suit :

어디서 가고 있서? 441 . Le même jour et le lendemain, nous songions à la

projection d’images de fœtus, en guise d’odyssée de la vie, permettant à l’homme

(ne retrouvant pas la mémoire) de revoir, revivre et comprendre qu’il était le père

d’une petite fille, juste avant l’entrée en scène de la femme (la sienne et la mère

440 En version originale anglaise : Where are we going?: Time’s not forever. 441 Eodiseo Gago Isseo?, en romanisation.

Page 211: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

199

de l’enfant), soit en personne, soit par sa voix.

Le jour de Noël 2012, nous écrivions : « Mais pourtant, vous l’avez fait dans

l’amour... Et voici votre femme. (Elle arrive) ». Deux jours plus tard, nous

composions : « (Fillette de 4-5 ans) Papa, tout ira bien. (Homme) Tu

penses? (Homme toujours, après un silence) Viens. (Une voix, de fille ou garçon)

Grand-papa. Vous l’avez fait avec amour, par amour et pour l’amour

(potentiellement aussi dans l’amour)442. » Cette réplique nous inspira, en avril

2013, le sous-titre Vous l’avez fait par amour443. Celui-ci fut rapidement retiré,

car jugé trop kitsch et de mauvais goût.

En janvier 2013, il fut envisagé (le 9) que l’accès à l’aire de représentation se

ferait en traversant un passage afférent aux moyens de transport (intérieur

d’avion, intérieur de bus ou de train, bouche de métro...). Celui-ci aurait signifié

un changement de lieu, d’espace, et de temps (une forme de couloir menant à

de singulières dimensions spatiales et temporelles, une métamorphose de

spatialité et de temporalité, une perte de repères, une ouverture). Il fut aussi

prévu (autour du 15) d’accueillir nous-même le public dans l’espace de jeu avant

d’aller vers notre lit, enlever nos vêtements (en les laissant sur scène pour les

442 En version originale anglaise : « (Girl) Father, everything’s gonna be OK. (Man) You

think? Come. (A voice, of a girl or a boy) Grandfather. You made it with love, by love, and for love

(maybe adding in love). »

443 En version originale anglaise : You made it by love.

Page 212: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

200

remettre durant la performance), nous étendre sur le matelas et faire signe aux

techniciens de démarrer les projections.

Dans le but d’alimenter nos réflexions sur l’existence humaine ainsi que sur les

nouveaux médias d’information et de communication, nous nous sommes rendu

le 17 janvier 2013 à Yongin444, dans la province de Gyeonggi, au Centre artistique

Paik Nam June445. Celui-ci est un espace créatif visant la participation culturelle

d’un point de vue politique, éthique et esthétique.

Également en janvier 2013, un nouveau schéma scénique fut dessiné (le 21), et

nous avons décidé (le 25) d’entamer une considérable collecte de photos

d’horloges, de montres et de cadrans afin de les incorporer à la structure

audiovisuelle de notre création urbaine intermédiatique. Trente-quatre furent

recueillies et retranchées : quatorze de Séoul, six de Québec, une de Chicago,

cinq de San Francisco, trois de Kuala Lumpur, une de Bruxelles, une de Montréal,

une d’Ottawa et deux de Ho Chi Minh-Ville au Vietnam.

Pour finir, deux nouveaux dialogues incluant un homme et une fillette (celle-ci

pouvant symboliser une femme) furent ébauchés au cours du même mois. Ils ne

furent pas sélectionnés, car ils nous semblèrent moins convaincants.

444 용인시 (Yongin Si, en romanisation).

445 백남준아트센터 (Baek Nam Jun Ateu Senteo, en romanisation) – NJP Art Center.

Page 213: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

201

4.7 Nouveaux textes et éléments d’inspiration (Printemps 2013)

Au printemps 2013, un nouveau texte poétique et quelques fragments de

dialogues furent créés, mais aussi retranchés en dernier lieu puisque nous les

trouvions inadaptés à notre création. D’abord, la prose Étoile du 14 mars. Par la

suite, le 21 mars, des répliques entre un homme et une femme allant dans le

prolongement de celles de janvier 2013 relativement au vrai amour. Et enfin, le

15 avril, un bref passage au sujet d’une lettre d’amour.

En mai 2013, des clichés originaux d’un jokbo (족보) furent récupérés au passage

chez une amie à Yeosu446. Celui-ci est un document généalogique coréen, écrit

en caractères chinois nommés Hanja (한자) et se transmettant de génération en

génération. En Corée, chaque famille possède ce livre historique dont l’aîné

hérite et continue la généalogie et la lignée familiale. Nous semblant moins

pertinentes, ces photos ne furent pas conservées.

Le 27 mai 2013, des images de trois éléments d’inspiration furent captées au

Musée de l’Université pour femmes Ewha447 à Séoul. Parmi elles, une projection

de vagues bleu azur sur un cube (retour sur la rivière coulant devant le vieil

homme fixant un écran, idée présente dans la première écriture du Studio 2), un

rideau blanc oscillant au vent (d’où l’idée d’intégrer des images de draps

446 여수시 (Yeosu Si, en romanisation), située au sud de la Corée du Sud.

447 이화여자대학교박물관 (Ihwa Yeoja Daehakgyo Bakmulgwan, en romanisation) – Ewha

Womans University Museum.

Page 214: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

202

s’agitant dans la brise et d’installer de légers draps sur scène), et un arbre

perdant des feuilles de papier (nous le voyions perdre des horloges).

4.8 Temps, espace et trafic urbains (Printemps 2014)

Le 22 mars 2014, une prose fut composée dans un bus lors d’un trajet de Séoul

à l’île de Cheongsan448. Celle-ci, allant dans la continuité de l’homme perdu dans

la noirceur revenant à la vie, et touchant aux thèmes de l’identité, de l’enfance,

de la mémoire, du voyage et du temps, fut conservée à la réécriture. En voici le

texte :

Mais tu avais dit que tu reviendrais. Tu m’avais dit que tu serais étranger. Nous

t’attendions. Où étais-tu dans notre obscurité? Y était-ce si clair que tu aies pu

tout oublier? Nous avons trouvé tes racines dans les ruines du balcon où tu

jouais dans ton enfance. Sur le chemin de nulle part, ça te prendra les bras et

t’attrapera les pieds, tu ne seras plus divisé. Tes yeux reviendront. Le temps

s’arrêtera à nouveau. Cette fois pour te rétablir, pour guérir le malaise causé par

ton départ449.

À cette époque, nous envisagions que cette prose soit entendue (récitée par

nous-même en direct ou préenregistrée) en anglais, en français, en espagnol et

en italien, ainsi qu’accompagnée d’une traduction coréenne en projection

448 청산도 (Cheongsan Do, en romanisation).

449 En version originale anglaise : « But you said you’d be back. You told me you’d be stranger.

We waited for you. Where were you in our darkness? Was it so bright, you could forget everything?

We found your roots in the ruins of the balcony you used to play in your childhood. On the way to

nowhere, it will catch your arms and grab your feet, you won’t be apart anymore. Your eyes will

come back. Time will stop again. This time to restore you, to cure the disease brought by your

departure. »

Page 215: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

203

simultanée. Cette idée fut rejetée, car jugée trop lourde. Dans Le temps n’est

pas pour toujours, elle ne fut donc utilisée qu’en anglais, tantôt par une femme

en voix préenregistrée, tantôt par nous-même en direct. Par surcroît, un passage

de cette dernière fut modifié, du futur au présent, et aussi entendu lors du

spectacle. Voici l’extrait : « Sur ton chemin, elle te prend les bras et t’attrape les

pieds, tu n’es plus séparé désormais. Tes yeux sont de retour. Le temps s’est

arrêté, pour te rétablir450. »

En avril 2014 (entre le 1er et le 25), furent tournées pour la première fois des

vidéos à HCMV451. Pour notre montage, certaines de celles effectuées les 10, 11,

12, 16, 20 et 21 furent conservées. Toutes ces dernières montrent, de jour et de

nuit, et en extérieur, des piétons, des voitures, des autobus et des motos. De plus,

elles laissent entendre les sonorités urbaines qui accompagnent les images,

spécifiquement le vacarme des motos. Au cours de ce voyage furent également

pris des clichés d’un chapiteau de mariage sur une plage. C’est en participant le

12 avril 2014 à une cérémonie qui se déroula à Mui Ne, station balnéaire du

Vietnam, que nous avons pensé provisoirement à la mise en place simple et

rapide d’une tente semblable dans une scène où serait célébrée l’union entre les

personnages principaux (Homme et Femme).

450 En version originale anglaise : « On your way, she’s catching your arms and grabbing your feet,

you are not apart anymore. Your eyes are back. The time stopped, to restore you. »

451 HCMV est l’abréviation désignant Ho Chi Minh-Ville.

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204

Le 16 avril 2014, il fut décidé que la première représentation de notre création

serait dédiée aux victimes (de même que leurs proches) de la tragédie du bateau

de croisière Sewol452 qui fit naufrage en Corée du Sud. Celui-ci entraîna la mort

de plus de 300 personnes sur les 476 passagers, dont la majorité était composée

de lycéens. Les circonstances de la catastrophe eurent des répercussions

directes sur notre spectacle aussi.

Le 22 avril 2014, une vidéo fut captée, à Singapour, à l’extérieur de l’Hôtel Marina

Bay Sands. Notre enregistrement révèle une façade du bâtiment sur lequel des

volets mobiles en aluminium bougent au vent, ainsi que le son provoqué par la

circulation de ce dernier sur la surface. Cette œuvre, appelée Wind Arbor

(Berceau du vent), remplaça le rideau blanc ondoyant aux souffles des brises

citadines et les draps sur scène considérés un an auparavant.

Au cours des sept semaines suivantes, de retour à Séoul, nous captions plusieurs

vidéos en extérieur, de jour, sous le soleil. De celles-ci, qui présentent le trafic

et l’espace urbains (piétons, voitures, autobus, bâtiments, enseignes

publicitaires, camions, etc.), six furent conservées (une du 1er mai, deux du 9 mai,

une du 11 juin et deux du 14 juin 2014). À différentes dates en mai 2014 furent

prises des images (le 1er et le 9) et des vidéos (le 18) devant l’hôtel de ville, à

l’endroit commémoratif pour les victimes du bateau Sewol (on nous y voit signer

452 세월호 (Sewolho, en romanisation).

Page 217: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

205

un mot en Hangul), et dans les rues avoisinantes.

Pendant la même période (les 9 et 18 mai, ainsi que les 3, 6, 10 et 11 juin 2014),

nous prenions des dizaines de photos de L’Homme Martelant sise devant le

Heungkuk building453. Au montage, elles furent assemblées avec celles saisies le

21 mars et le 14 décembre de la même année. En ajout, nous tournions (le 9 mai)

plusieurs plans de la même installation permanente et d’une chute d’eau sur un

mur située à côté de cette dernière. La vidéo au Centre d’arts de Séoul, montrant

l’horloge se trouvant devant ainsi que les voitures, les autobus et les camions qui

y passent, fut réalisée le 16 juin 2014.

Deux ultimes éléments furent enregistrés à Séoul au printemps 2014. D’une

part, un son d’ambiance de café (le 30 mai) à l’intérieur d’un Coffee Bean (chaîne

de cafés de Los Angeles qui foisonne en Corée du Sud) dans Myeong-dong.

D’autre part, une brève vidéo (le 12 juin) d’une vague mouvante dans une boîte

en plexiglas, au Musée national des sciences de Gwacheon454. Celle-ci demeura

d’inspiration seulement.

4.9 Escale à San Francisco (Juin 2014)

Toujours dans notre quête d’images de moyens de transport, de multiples sujets

453 흥국생명빌딩 (Heungkuk Saengmyeong Bilding, en romanisation).

454 국립과천과학관 (Gungnip Gwacheon Gwahakgwan, en romanisation) – Gwacheon National

Science Museum.

Page 218: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

206

furent cinématographiés lors de notre escale à San Francisco le 18 juin 2014.

D’entre eux, nous avons retenu deux bateaux dans la baie de San Francisco : l’un

se déplaçant dans la jetée no 39 du quai des Pêcheurs, et l’autre se dirigeant vers

l’île d’Alcatraz, déjà considérée à l’été 2012 pour la série de spectacles Où allons-

nous?. Toute la machinerie se trouvant à l’intérieur du Musée des tramways à

traction par câble (Cable Car Museum) et son chahut, de même que le décollage

d’un avion de nuit ainsi que son vol et son atterrissage de jour (vu de l’intérieur

de l’appareil), furent aussi conservés. Les images d’un paysage (vu de l’intérieur

d’un train en marche), d’un métro partant et un arrivant (tous deux vus du quai),

ainsi que de trams, d’autobus et de voitures circulant au centre-ville, furent

également sélectionnées. Enfin, une explication bilingue (en français et en

anglais) des procédures de sécurité, effectuée par des agents de bord d’un avion

à destination de Toronto, fut aussi jugée appropriée pour notre création visuelle

urbaine Le temps n’est pas pour toujours.

4.10 Collecte de transports et machines au Québec (Juin-Octobre 2014)

Du 19 juin au 24 octobre 2014, nous poursuivions au Québec notre cueillette

d’images et de sons rattachés aux transports et aux machines.

D’abord, dans trois établissements du Vieux-Québec : le bistro L’Atelier sur la

Grande Allée (le 21 juin), la microbrasserie La Voie Maltée sur le boulevard

Pierre-Bertrand (le 3 juillet), et le resto-bar Jack Saloon sur De La Chevrotière

Page 219: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

207

(le 2 octobre). Les lavabos et robinets à la salle de bain de ces derniers nous

paraissaient conçus et disposés de façon ingénieuse et moderne, évoquant à la

fois l’industriel et l’artisanal. Ensuite, une autoroute vue de l’intérieur d’une

voiture entre Montréal et Québec (le 31 août), ainsi que le lancement à haute

vitesse de la nacelle du Sling Shot et le plongeon dans le vide de la Catapulte,

attractions à sensations extrêmes du parc d’amusement La Ronde localisé à

Montréal (le 14 septembre). En conclusion, des bruits de machines (dans un

atelier) et d’ascenseurs réunis le 18 septembre 2014.

De ce passage dans la Vieille Capitale, seul le long plan sur l’autoroute fut

conservé. Les manèges ne témoignaient pas du quotidien urbain, et les machines

ne possédaient pas de liens assez directs avec les transports. En ce sens, le

Musée des tramways à traction par câble offrait et révélait davantage grâce à

son lyrisme, sa splendeur et son historicité. Et comme nous le verrons plus avant,

nous dénichions à la fin de la même année le Semiconductor Rider LED à Séoul.

Celui-ci, présenté dans le cadre de l’exposition Samsung d’light455, possédait une

signature beaucoup plus sud-coréenne et une esthétique plus poétique.

4.11 Retour en Corée du Sud (Octobre 2014-Janvier 2015)

Le 25 octobre 2014, nous atterrissions de nouveau en Corée du Sud pour un

455 삼성딜라이트 (Samseong Dillaiteu, en romanisation).

Page 220: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

208

séjour d’environ deux mois et demi.

Au cours de la première semaine, inspiré par nos récentes visites à La Ronde de

Montréal, nous nous rendions (le 30 octobre 2014) au complexe de loisirs Lotte

World456. Dans le parc d’amusement extérieur Magic Island457, trois manèges à

sensations fortes retinrent notre attention : le Gyro Swing458 (dont la vitesse de

la nacelle circulaire tournante, attachée à l’extrémité du bras d’un pendule, peut

monter à plus de 80 km/h), le Gyro Drop459 (dont la nacelle est élevée le long de

la tour presque jusqu’au sommet puis lâchée brusquement), ainsi que le Gyro

Spin460 (dont la plateforme ronde est disposée sur un rail et tourne tout en se

balançant sur ce dernier). Ceux-ci reçurent le même sort que les précédents pour

la même raison.

Le 7 novembre 2014 s’effectua un voyage d’une journée à la DMZ461. Celle-ci est

la zone coréenne démilitarisée, créée le 23 mars 1953 à la signature de l’armistice

de Panmunjeom (판문점). Elle consiste en une bande de terre d’une longueur de

248 km et d’environ 4 km de large, séparant la frontière entre la Corée du Nord

et la Corée du Sud, et servant de zone tampon. Des enregistrements captés sur

456 롯데월드 (Lotde Woldeu, en romanisation).

457 매직아일랜드 (Maejik Aillaendeu, en romanisation).

458 자이로스윙 (Jairo Seuwing, en romanisation).

459 자이로드롭 (Jairo Deurop, en romanisation).

460 자이로스핀 (Jairo Seupin, en romanisation).

461 한반도 비무장 지대 (Hanbando Bimujang Jidae, en romanisation) – Korean Demilitarized

Zone.

Page 221: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

209

deux différents sites furent conservés pour le spectacle. Primo, ceux d’Imjingak

(임진각), parc situé à 7 km de la DMZ dans la ville de Paju462, montrant une

locomotive criblée de bombes durant la guerre (on peut y apercevoir plus de 1

020 trous) et détruite à la station Jangdan463. Secundo, ceux à l’intérieur de la

station Dorasan464 qui jadis reliait les deux Corées, et où l’on voit une enseigne

directionnelle indiquant Pyongyang.

Un autre élément majeur fut sujet de prises de vue en novembre et décembre

2014 : le Hangeul. Le Musée national du Hangeul465, en ouvrant le 9 octobre (Jour

du Hangeul) de la même année, nous apporta du richissime matériel créatif. À

L’Atelier du Hangeul466, furent prises (les 19 et 20 novembre ainsi que le 16

décembre) des images affichant des mots écrits (par nous-même) en Hangeul,

sur un tableau blanc, à l’aide de bâtons de bois représentant les traits servant à

former les caractères de l’alphabet coréen.

Les mots retenus pour notre performance sont : le titre 시간은 (Shi-gan-

eun – Temps) 영원 (Yeong-won – Toujours) 하지 (Ha-ji – Être) 않아 (Anh-

a – Non ou Ne pas), les noms des trois scènes [나중에 (Na-jung-

462 파주시 (Paju Si, en romanisation).

463 장단역 (Jangdan Yeok, en romanisation).

464 도라산역 (Dorasan Yeok, en romanisation).

465 국립한글박물관 (Gungnip Hangeul Bakmulgwan, en romanisation) – National Hangeul

Museum.

466 한글배움터 (Hangeul Baeumteo, en romanisation) – Hangeul Learning Center.

Page 222: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

210

e – Later / Someday – À un moment donné), 동안 (Dong-

an – During / Now – Pendant), et 마지막 (Ma-ji-mak – In the

end / Finally – Enfin)], 시작 (Shi-jak – Début, Commencement, Départ,

Commençons, Partons...), 응 (Eung – Oui ou Huh, langage informel), 헐 (Heol,

déjà choisi pour le Video Concerto No. 2 en 2011), 헉 (Heok, similaire à Heol,

mais marquant surtout le désappointement), 힁 (Heuing, expression de notre

invention évoquant un mixte de Heol et Heok tout en y ajoutant une touche de

dégoût et de surprise), 꼭 (Ggok – Exactement), les remerciements [여러분

(Yeo-reo-bun – Tout le monde), 고맙다 (Go-map-da – Merci, de type

déclaration), 명종도 (Myeong-Jong-do – Myeong Jong aussi) pour Mj, et 메르씨

(Me-reu-ssi – Merci, en romanisation révisée)], notre nom complet 알랭 (Al-

leng) 갸르노 (Gya-reu-no), la finale 끝 (Ggut – Fin), ainsi que l’au revoir 안뇽

(An-nyong – Salut ou Bye) se voulant une variante mignonne et dialectique de

안녕 (An-nyeong).

Furent laissés de côté ㅋ (K , utilisé généralement deux ou trois fois, ㅋㅋ ou

ㅋㅋㅋ, pour dire hehehe et hahaha en français et en anglais ou jajaja en

espagnol), 안녕 (An-nyeong), 인더비도 (In-Deo-Bi-do – In the B aussi),

방가방가 (Bang-ga-bang-ga, provenant et dérivé de 반가 – Ban-ga qui signifie

Heureux comme dans 반가워요 – Ban-ga-weo-yo ou 만나서 반갑습니다 – Man-

na-seo ban-gap-seum-ni-da – Heureux de vous rencontrer, expression employée

Page 223: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

211

par les jeunes), et 김명종 (Kim-Myeong-Jong).

D’autres vidéos et photos ainsi qu’une bande sonore en lien avec le Hangeul

furent enregistrées le 21 novembre 2014. D’entre elles, un album de photos

appelé Le Monde du Hangeul467 ainsi qu’une animation qui remplaça, en créant

un merveilleux effet de feuilles volant au vent et de neige tombant au sol, celle

de l’arbre perdant des feuilles de papier filmée le 27 mai 2013.

Quant à notre récolte de photos de machines, un mur de bâtiment bondé d’airs

conditionnés croisé au centre-ville le 26 décembre 2014 fut photographié, mais

non sélectionné, car évalué pas assez révélateur de Séoul.

C’est aussi à travers cette période que nous découvrions (en décembre 2014) et

tournions (le 6 janvier 2015) l’entièreté de l’excursion au cœur du Semiconductor

LED de Samsung d’light situé à l’intérieur de l’édifice Samsung Electronics468,

dans Samsung Town469, se trouvant dans le quartier résidentiel haut de gamme

Seocho-dong470.

4.12 Vietnam, Thaïlande et Malaisie (Janvier-Avril 2015)

Le début de 2015 marque un second séjour à Ho Chi Minh-Ville, soit du 7 janvier

467 한글 세상 (Hangeul Sesang, en romanisation).

468 삼성전자 (Samseong Jeonja, en romanisation).

469 삼성타운 (Samseong Taun, en romanisation).

470 서초동.

Page 224: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

212

au 6 avril 2015. Au cours de celui-ci, des vidéos complémentaires aux

précédentes furent réalisées. De celles-ci, montrant aussi l’urbanité, deux datant

du 6 et du 19 février 2015 furent intégrées aux projections.

Dans Culture, technology & creativity in the late twentieth century, Bijvoet

raconte que lorsque Douglas Davis publia son Art and the Future en 1973, il

écrivit que la Guerre du Vietnam nous avait tous rendus malades, et que nous

entendions peu sur le potentiel créatif de la technologie, mais beaucoup sur sa

capacité destructive471. Ce pays, quoique ravagé par trente années de conflit,

nous fut plutôt salutaire. D’importants textes et dialogues, comptant parmi les

essentiels de notre spectacle, furent aussi composés durant cette période. Entre

autres, l’enthousiaste, serein et révélateur Voyage exotique (Exotic Journey) du

11 janvier 2015, concrétisant nos efforts d’écriture d’une lettre d’amour

jusqu’alors infructueux. Ce dernier allait comme suit :

Tu dors si paisiblement. Ton parfum me rappelle ce que je cherchais depuis si

longtemps. Si je voulais te réveiller, je t’écrirais une lettre d’amour. Il y a si

longtemps la dernière fois que je l’ai fait. Quand nous nous sommes rencontrés

la première fois, je me suis demandé comment ça pouvait être un coup de foudre.

Ensuite, j’ai retenu cette impulsion. J’ai fermé mon cœur et mon âme avec des

mots, mais pour rien, ceux-ci m’ont simplement laissé perdu avec la culpabilité

et confus entre deux mondes : celui passé à regretter et celui à découvrir, à

désirer. Sur le balcon de notre nouveau domicile, comme c’est fantastique avec

la présence que tu nous as apportée! J’ai trouvé ce qu’il fallait trouver. Il y a un

nouvel endroit, un voyage exotique, une porte qui ouvre à la musique, aux rires,

à la tendresse, à la folie; et si les étoiles sont bienfaisantes, au bonheur; et si la

471 Op. cit., p. 34.

Page 225: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

213

lune est brillante, à un état d’esprit plus pur472.

Sa suite, que voici, touchait au récurrent thème de la mémoire :

Dans ma maison, trop vaste et vide de ce que nous ne sommes pas, mes tiroirs

de mémoire ne sont plus. / Pendant que je lutte contre mon cerveau et mon

corps, je ferme les yeux, te vois traverser la porte, sourire et venir à moi, feignant

de ne pas nous avoir manqués. / Alors je tombe de nouveau dans tes yeux,

regardant à l’intérieur de toi comme si j’étais au paradis. / Et tu restes, me

demandant de ne pas partir473.

Une réflexion du 25 janvier 2015 mettait en doute notre hypothèse sur le temps

et le titre de notre création : « Le temps présent est-il réellement pour toujours?

Comment l’arrêter? Où est ce stupide maître du pendule qui ne connaît rien de

la joie et qui détruit ainsi tout risque d’espoir? Et comment chuis arrivé ici?

Qu’est-ce que je fais icitte? Qu’est-ce que je fais icitte, moé? »

Le dialogue avec Bongo sur le rêve, l’attente et l’espoir fut écrit le même jour :

(Bongo) Il y avait cette muse. (Alain) Oh Bongo! As-tu vu? (Bongo) J’ai vécu.

472 En version originale anglaise : « You sleep so peacefully. Your scent reminds me what I was

looking for from so long. If I wanted to wake you up, I’d write you a love letter. So long ago last

time I did. When we met, I wondered how it can be love at first sight. And then I held that

impulsion. I shut my heart and my soul with words, but useless, these just let me lost with

guiltiness and confused between two worlds: one past to regret and one possible to discover, the

one to desire. On the balcony of our new home, how fantastic it is with yourself you brought for

us! I found what needed to be found. There’s a new place, an exotic journey, a door that opens

to music, laughs, craziness, tenderness; and if the stars are nice, to happiness; and if the moon

is bright, to a purest state of mind. »

473 En version originale anglaise : « In my house, too vast, and empty of what we are not, my

drawers of memory are gone. / Meanwhile I’m fighting against my brain and my body, I shut my

eyes, see you cross the door, smile and come to me, faking you haven’t missed us. / So I fall

again within your eyes, looking inside yourself as I’m in heaven. / And you stay, asking me not to

go. »

Page 226: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

214

(Alain) Ah! Quoi, te souviens-tu d’un rêve? (Bongo) De plusieurs. (Alain) Ah oui?

Dis-moi le dernier! (Bongo) Il y avait cette muse. Tout de suite, elle te séduisit.

(Alain) Mais je partis. (Bongo, en soupirant) Oui. Sans trop te le dire, elle

t’attendait. T’espérait. Toi aussi. (Alain) Elle m’attendait. Elle m’espérait. Moi

aussi.

Concernant cette muse mentionnée par Bongo, il s’agit de la Vietnamienne Nhã

Tiên, aussi dite la Tortue (the Turtle). Sa voix, au charmant accent, fut

enregistrée à trois reprises. D’abord, le 1er février 2015, déclarant « Chus fatiguée,

chus fatiguée ». Ensuite, dans un dialogue avec Alain qui reprend une partie du

discours de Chirac, comme dans Séoulitude, le 6 février 2015 :

(Alain) Ajoutez à cela (Tiên) Ajoustez (notre muse n’étant pas francophone, elle

ne pouvait réaliser son erreur de prononciation, ajoutant attrait et fascination à

la réplique) à cela (Alain) Ajoutez à cela (Tiên) Ajoustez à cela (Alain) Le bruit

(Tiên) Le bruit (Alain) Et l’odeur (Tiên) Et l’odeur (Alain) Le travailleur français

(Tiên) Le travailleur français (Alain) D’vient fou! (Tiên) D’vient fou! (Alain) Et

une vingtaine de gosses (Tiên) Et une vingtaine de gosses (Alain) Entassés (Tiên)

Entassés (Alain) Et les motorbikes (Tiên) Et les motorbikes (Alain) Molla474 (Tiên)

Molla.

Finalement, sa voix fut captée en éclats de rire le 2 avril 2015.

C’est aussi pendant ce passage au Vietnam que fut visitée la destination

touristique Vung Tau. Un plan, où l’on voit d’abord des vagues sur la plage et

ensuite des drapeaux (dont celui du Vietnam) flottant au vent, y fut tourné le 13

février 2015. Grâce à son dynamisme, nous avons remplacé la projection de

vagues sur un cube et la vague mouvante dans une boîte en plexiglas, saisies à

474 Molla est la romanisation de 몰라 en Hangeul et signifie « Ne pas savoir », ici : « Je ne sais

pas ».

Page 227: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

215

Séoul les 27 mai 2013 et 12 juin 2014, par celui-ci.

Deux autres textes touchant à la thématique du temps furent façonnés durant

ce périple à HCMV. Le premier, du 5 mars 2015, traite de l’amour ainsi que de

l’engagement et de la peur qu’il peut engendrer :

Si tu penses qu’elle a peur que tu partes, montre-lui deux fois plus que tu ne

veux pas partir. Et surtout, ne pars jamais. Si tu crois qu’elle n’arrive pas à t’aimer

ou à t’avouer, ou à se l’avouer, aime-la deux fois plus. Si tu lui as déjà dit que tu

l’aimes, ne reviens jamais en arrière. Elle en a besoin maintenant. Et si elle ne te

l’a jamais dit, c’est qu’elle sait que lorsqu’elle le dira ce sera pour toujours.

Le deuxième, Étoile filante (Shooting Star), rédigé le 24 mars 2015, discute de

l’éprouvante nostalgie et de la déchirante tristesse qui surviennent quand une

étoile filante disparaît trop vite :

Quand la vie m’a amené où je me trouvais seul avec moi-même, j’ai vu une étoile

filante. La meilleure que je ne pourrais jamais imaginer. Quand elle part, vous

vous sentez détruit, le corps veut fondre en larmes, l’esprit se tamise, et nos pas

sont perdus. L’âme s’est effondrée. Je ne peux pas te demander de revenir ou

attendre ton retour. Il ne reste que l’espoir. Je n’étais pas prêt à voir ta disparition.

J’étais aveugle. Et la lune était le témoin de notre fantaisie. Si étincelante et

éclairante, comment ne pas avoir cru que tu durerais pour toujours? Peu importe

quand tu le désireras, illumine à nouveau notre éternité. Je ferai pareil475.

Durant ce même passage en Asie du Sud-Est furent explorés deux pays

475 En version originale anglaise : « When life brought me where I was alone with myself, I saw a

shooting star. The best I could ever imagine. When it’s gone, you feel destroyed, the body wants

to shed in tears, the mind is dimming, and our footsteps are lost. The soul has collapsed. I can’t

ask you to come back or expect your return. Just hope is left. I wasn’t prepared to see your

disappearance. I was blind. And the moon was the witness of our fantasy. So sparkling and

enlightening, how couldn’t I have believed you won’t last forever? Whenever you desire, brighten

anew our eternity. I’ll do likewise. »

Page 228: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

216

additionnels : la Thaïlande (du 8 au 12 mars 2015) et la Malaisie (du 13 au 17

mars 2015). Dans le premier, à Bangkok, nous avons capté de jour et de nuit des

vidéos de bâtiments, de moyens de transport, de rues et de piétons, dont

nombres furent retenues. Plusieurs photos, dont l’une (du 9 mars) où l’on

aperçoit cinq bancs de parc, vides, au Champ Royal, près du Grand Palais, furent

aussi conservées. Dans le second, à Kuala Lumpur, furent sélectionnées, à

l’instar du premier, des images urbaines en extérieur.

Également, des écrits rédigés lors de cette expédition en Malaisie devinrent

essentiels à notre scénarisation. C’est le cas de l’énoncé « Si vraiment chus plus

capable pantoute de m’ennuyer trop d’elle, il faut que je réalise que j’ai besoin

d’elle dans mon existence. C’est elle qu’il faut choisir476. » Celui-ci fut créé avec

l’aide de Kyunghwan (en ligne) le 14 mars 2015.

La confession à propos de la destinée, qui fut finalement octroyée à Bongo, date

du 15 mars 2015 : « Une fois, tu m’as donné à elle. Tu as dit que je serais bien

avec elle. Je l’ai été. Elle m’aime, mais tu ne pouvais pas comprendre que si elle

m’aime c’est parce qu’elle t’aime d’abord. Elle est toujours là. C’est elle, la seule,

476 En version originale coréenne : « 만약에 너무너무너무너무 보고싶어서 견딜수가 없다면, 니

삶에 꼭 필요한 존재라고 느껴진다면. 그녀를 선택 할수밖에. » En romanisation : « Manyake

neomuneomuneomuneomu bogosipeoseo gyeondilsuga eopdamyeon, ni salme kkok pilyohan

jonjaelago neukkyeojindamyeon. Geunyeoreul seontaek halsubakke. » Pour notre spectacle, il fut

traduit en anglais comme suit : « If I really really can’t stand anymore to miss her so much, I have

to realize she has to be in my existence. She is the one to choose. »

Page 229: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

217

la bonne, comme tu l’as dit. Elle t’attend477. »

Les mots de l’imploration du retour du père furent formulés le même jour. Dans

Le temps n’est pas pour toujours, ils furent énoncés ainsi par la fille :

Hey, papa, tu devrais te souvenir de notre temps. On riait comme des chiens. Tu

as pleuré quelques fois, je sais. Tu ne m’as jamais dit, mais je sais, de bonheur.

Heurk, tu as tellement toujours eu peur que je parte, tu pensais que je n’étais

pas sérieuse, tu croyais que je ne m’engagerais pas, que je ne te tenais pas à

cœur. Tu as promis de m’attendre. Je n’ai rien dit. Et maintenant que tu es parti,

je sais que j’aurais dû promettre aussi. Un jour, tu m’as demandé de rester.

Maintenant, c’est à mon tour, puis-je te prier de revenir478?

Il fut aussi noté que l’arrangement de la frappante et significative sentence

suivante se forgea en Malaisie : « Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux

aimer479. » Grâce à la magie du Hangeul et de l’acte de traduction, Quand pourrait

aussi bien être Si, peux pourrait devenir pourrais, je peux est en réalité il est

possible de, car la phrase ne possède pas de sujet (ce qui est normal en coréen,

le contexte permettant généralement de déduire l’être ou la chose faisant l’action

477 En version originale anglaise : « Once, you gave me to her. You said I’d be fine with her. I was.

She loves me, but, you couldn’t understand if she loves me that’s because she loves you

firstly. Still she’s there. She’s the one, as you said. She’s waiting for you. »

478 En version originale anglaise : « Hey, papa, you should remember our time. We used to laugh

like dogs. You cried a few times, I know. You never told me, but I know, of happiness. Heuk, you

were always so afraid I’ll go, you thought I wasn’t serious, you thought I won’t engage myself, I

didn’t hold you at heart... You promised you would wait for me. I said nothing. And now you’re

gone, I know I should have promised too. One day, you asked me to stay. Now it’s my turn, may I

beg you to come back? »

479 En version originale coréenne : « 사랑하면 사랑할수록 더 사랑하고 싶은데. » En

romanisation : « Saranghamyeon saranghalsurok deo saranghago sipeunde. » En mai 2015, elle

fut traduite en anglais : « When I love, I might love more, and the more I wanna love. »

Page 230: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

218

exprimée par le verbe), et le plus de plus je veux aimer pourrait être placé à la

fin (je veux aimer plus).

Cependant, nous ne pouvons certifier la date de création exacte de cette

précédente phrase, aussi conçue avec Kyunghwan, car nous avons un vague

souvenir de l’avoir répétée en personne avec ce dernier. Il se pourrait que ce fût

au cours de sa visite au Vietnam du 30 janvier au 8 février 2015. Cette alternative

serait plus logique et cohérente puisque, conformément à l’historique des

événements de notre processus, elle devrait venir avant celle du 14 mars 2015

commençant par « Si vraiment chus plus capable ».

Divers écrits datant de l’hiver 2015 (et produits au Vietnam, au Cambodge et en

Malaisie) ne furent pas conservés. Nous les trouvions trop pessimistes, moins

denses et pas assez pertinents, ou encore ils ne cadraient pas (ou plus) avec nos

objectifs. En particulier, un (du 10 février) à HCMV écrit en pensant à Kyunghwan

et Namjo (tout en nous disant que si notre création devait être dédiée à

quelqu’un, il faudrait qu’elle le soit à eux), des passages empreints de doute (du

11 février) à HCMV, des questions (du vendredi 13 mars) à Kuala Lumpur, et une

maxime (du 19 mars) à HCMV.

4.13 Retour à Séoul : choix finals (Avril-Mai 2015)

De retour à Séoul le 7 avril 2015, le temps des choix finals était venu. À cette

étape déterminante, il fut décidé de manière spontanée d’enregistrer le 16 avril

Page 231: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

219

2015 deux vidéos en très gros plan sur notre visage afin de les projeter sur les

deux larges surfaces faisant office de murs derrière le lit. Celles-ci, présentant

en arrière-plan, à travers la fenêtre, les bâtiments de l’espace urbain dans lequel

nous nous trouvions, furent tournées en intérieur, de jour, à l’appartement de

notre collaborateur Mj, nous servant de lieu de travail à cet instant. Les propos

narrés sont multilingues (français, anglais, italien et coréen) et interlingues, vu

que le dialogue entre ces dernières langues est interactif. Ils possèdent une forte

teneur dramatique ainsi qu’une riche charge émotionnelle parce qu’ils

proviennent, comme nous le désirions, de l’essence de notre vécu véritable,

intime et synchronique. Voici le premier texte :

Et encore, après tout ça, pensant à tout ce que nous avons fait, pensant à...

comment elle était et, comment elle est sûrement encore. Ma belle fille, mon

bébé, mon trésor, n’est-ce pas? Mon inspiration. Maintenant, je l’utilise. J’utilise

mon inspiration et mes... toute mon affection que j’ai, pour elle. Je l’utilise pour...

faire face à la ville et reconstruire ce qui était, ce qui devait être fait, n’est-ce

pas? J’essaie de construire encore, j’essaie de... Parce que je veux la voir une

autre fois, non? Nooon? Je veux retourner là, là-bas. Je veux y retourner. Je veux

la voir une autre fois, je veux... l’embrasser, je veux continuer ce que nous avons

commencé, je veux, je ne veux pas arrêter. Comment pouvons-nous arrêter?

Quand nous avons à peine commencé une relation qui était si... si, si belle. Nous

avons des moments difficiles, oui, en effet oui, je sais, je sais, je l’ai vu, je ne

suis pas un con, je le sais. J’ai tout vu, mais... Quand nous avons la confiance,

quand nous avons, quand nous sommes forts, elle a dit que je ne l’étais pas,

mais, je pense que je le suis. Quand nous sommes forts, nous pouvons penser

avoir la... la confiance, nous pouvons avoir la force de, de... de continuer à, de ne

pas arrêter, de, de... de croire, de croire que tout est possible, c’est si important

d’y croire, ma fille est si importante, la mienne. Nous verrons, mais j’espère.

Encore, je pense que... c’est possible. Nous pouvons nous revoir. À nouveau,

Page 232: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

220

ensemble, une fois, nous serons ensemble encore une fois480.

Le contenu du second va comme suit :

Comment elle était belle. Toujours. Et combien je voudrais lire à nouveau,

comme elle a dit il y a quatre ou cinq mois : « Tu devrais revenir, tu devrais être

là ». Il y a deux mois, elle a dit : « Tu devrais revenir », et, il y a quatre mois, elle

a dit : « Papa, j’aimerais que tu sois là ». Et... ma fille, elle est, encore, comme,

presque tout, n’est-ce pas? Elle est presque la raison, pour laquelle, pour

laquelle je travaille comme un chien, tous les jours, n’est-ce pas? Parce que je

crois encore et j’aime y croire, même si ça fait mal, j’aime croire que le père la

retrouvera. Un jour, n’est-ce pas? Dans quelques mois et... C’est donc mon

bureau, n’est-ce pas? Un de mes bureaux, un ami me le donne, n’est-ce pas? Je

peux travailler ici, et je travaille pour... essayer de bâtir, de bâtir, de construire et

d’édifier, quoi que ce soit pour... un nouveau monde, n’est-ce pas? Une partie

de... une partie de moi-même et une partie de tout et, si je peux être avec ma

fille encore, ma belle, si charmante et, si clownesse et idiote, et tout. La

rencontrer à nouveau dans quelques mois, et la serrer seulement, et encore

dormir ensemble, comme des cuillères, n’est-ce pas? Croiser les jambes comme

480 En version originale : « And still, after all that, thinking about everything we did, thinking

about... how she was and, how she surely still is. My beautiful daughter, my baby, my treasure,

right? My inspiration. Now I’m using that. Using my inspiration and my... all my affection I have,

for her. I’m using it to... to face the city and to build again what was, what should be done, right?

J’essaie de construire encore, j’essaie de... Perchè voglio la vedere un’altra volta no? Nooo?

Voglio tornare qui, qua, di là. Voglio tornare di là. Voglio la vedere un’altra volta, voglio...

abbracciarla, voglio continuare ciò che abbiamo iniziato, voglio, non voglio fermare. Come

possiamo fermare? Quando abbiamo appena iniziato una relazione che era tanta... tanta, tanta

bella. Abbiamo momenti difficili, sì, davvero sì, lo so, lo so, l’ho visto, non sono un cazzo, lo so. Ho

visto tutto, però... Quando abbiamo la fiducia, quando abbiamo, quando siamo bravi, lei ha detto

che non lo sono, però, penso che lo siano. Quando siamo bravi, possiamo penso avere la... la

fiducia, possiamo avere la forza di, di... di continuare di, di non fermare, di, di... di credere, di

credere che tutto sia possibile, è tanto importante di credere questo, è tanto importante la mia

ragazza la mia. Vedremmo, però, sto sperando. 아직도, 생각해, 그... 할수있어. 또 만날수있어.

또, 같이, una, 같이 다시 한번 있을거야. » Voici la dernière phrase en romanisation : « Ajikdo,

saenggaghae, keu... halsuisseo. Tto mannalsuisseo. Tto, gachi, una, gachi dashi hanbeon

isseulgeoya. »

Page 233: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

221

nous le faisions et, juste, plusieurs fois face à face, l’un autour de l’autre, et juste

marcher main dans la main encore. Et s’asseoir comme des chiens, manger

comme des chiens, manger des chiens, même manger du chien le matin, n’est-

ce pas? Avec une bière, et rire comme des chiens, et481...

Les deux longs plans de plus de trois minutes chacun, placés dans le prologue,

furent faits en une prise, sans répétitions ni texte préétabli. Un d’eux, plus long

que l’autre, fut coupé pour durer pareillement 3 minutes et 16 secondes. Voici

son début enlevé : « Comme vous pouvez le voir, je suis dans mon, un de mes,

bureau. Et euh, en train de penser à Elle482. » Sa fin ôtée va comme suit : « aller

là-bas, quelques semaines un mois et, et puis, revenir à ce que je dois faire, et

puis, quelques mois plus tard seulement, y retourner, et rester. Donc c’est mon

anniversaire aujourd’hui, en effet, 40 ans et, qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que

481 En version originale : « How beautiful she was. Always. And how much I would like to read

again, like four five months ago she said : “You should come back, you should be there”. Two

months ago she said “You should come back”, and, four months ago she said “Papa I wish you

were here”. And... my daughter, she’s, still, like, almost everything, right? She’s almost the reason,

why, why I work like a dog, everyday, right? Because still I believe and I like to believe, even if it

hurts, I like to believe that Father will meet her again. Someday, right? In a few months and... So

that is my office, right? One of my offices, a friend gives me, right? I can work here, and I’m

working for... trying to build in, to build, to construct and edify, whatever to... a new world, right?

A part of... a part of myself and a part of, everything and, if I can be with my daughter again my,

beautiful so charming and, so clown and idiot, and everything. Meet her again in a few months,

and just hug her, and again sleep together, just like, hugging each other like spoons, right?

Crossing the legs like we used to do and, just, many times face to face, around each other, and

just like, walk hand in hand again. And sit like dogs, eat like dogs, eat dogs, even eat dog in the

morning, right? With a beer, and laughing like dogs, and... »

482 En version originale anglaise : « As you can see, I’m in my, one of my, office. And euh, thinking

about Her. »

Page 234: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

222

je ferai, dans cette ville et tout le, le ... tout483? »

Après avoir constaté l’absence de son d’ambiance de restaurant dans notre

banque, celui d’un situé dans Sinchon (quartier étudiant où nous habitions à ce

moment) fut enregistré le 24 avril 2015, tard la nuit, la clientèle fatiguée étant

plus bruyante et exubérante.

Il fut également réalisé que nous possédions plusieurs vidéos du trafic et de

l’espace urbains de Séoul sous la pluie diluvienne, en extérieur et de jour, prises

le 28 juillet 2011 dans Gangnam. Elles furent utilisées afin de constituer un tout

en complétant celles de jour datant de l’été 2014.

Pendant cette phase, furent aussi décidés les textes devant être traduits, et dont

les voix devaient être enregistrées pour s’intégrer à la bande audio jouée lors de

la performance. La prose commençant par « Si tu penses qu’elle a peur que tu

partes », traduite en anglais et en coréen par nous-même à la fin mars, fut

attribuée à Bongo et sa version coréenne fut corrigée par Mj en mai 2015. Le

texte Étoile filante fut traduit en coréen par Mj aussi en mai 2015, et ses sous-

titres en Hangeul purent défiler sur les surfaces de projections.

Pour ce qui est des voix, la nôtre fut captée le 28 avril 2015, jouant en anglais

483 En version originale anglaise : « going there, few weeks one month and, and then, coming

back to what I have to do, and then, few months later just, go there again, and stay. So that is my

birthday today, that is, 40 years and, what have I done, what will I do, in that city and all the, the...

everything? »

Page 235: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

223

Étoile filante et la prose mentionnée ci-dessus (« Si tu penses qu’elle a peur que

tu partes »), dont les mots furent répétés en direct par nous-même.

Les répliques de Bongo furent enregistrées le 11 mai 2015 et interprétées par

Rémy Mettetal, dont nous trouvions la voix amicale, rassurante et empathique.

Le ton de celle-ci ajoutait, comme souhaité, clairvoyance et maturité aux propos

du singe en peluche.

Quant à la voix de la femme (enregistrée le même jour que celle de Bongo), elle

fut octroyée à Jihyeon Lee (지현이) et est plus neutre (voire robotique). Nous la

voulions un peu machinale et mécanique afin de souligner notre ère numérique

et contraster avec celle de la Tortue, paraissant plus enjouée, naïve et enfantine.

Parmi les textes en anglais de Jihyeon, nous retrouvons la phrase « Où est ma

mémoire? », Étoile filante, la prose débutant par « Mais tu avais dit que tu

reviendrais », l’imploration commençant par « Hey, papa, tu devrais te souvenir

de notre temps », le passage modifié de « Mais tu avais dit que tu reviendrais »,

ainsi qu’une version abrégée et renouvelée du Voyage exotique. Cette dernière

va comme suit :

Tu dors si paisiblement. Ton parfum me rappelle ce que je cherchais depuis si

longtemps. Sur le balcon de notre nouveau domicile, j’ai vu une étoile filante.

Comme c’est fantastique avec toi! J’ai trouvé ce que je voulais trouver. Ceci est

notre nouvel endroit, un voyage exotique, une porte qui ouvre à la musique, aux

rires, à la folie, à la tendresse. Et les étoiles sont bienfaisantes comme la lune

est brillante. Nous avons trouvé le bonheur dans l’état d’esprit le plus pur. Notre

Page 236: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

224

éternité484.

Un seul texte dit par Jihyeon en coréen fut enregistré, celui débutant par « Si tu

penses qu’elle a peur que tu partes ».

Trois voix supplémentaires furent enregistrées. D’abord, celle de Mj (le 12 mai

2015) exprimant la version coréenne de l’énoncé commençant par « Si vraiment

chus plus capable ». Ensuite, celle de Kyunghwan (le 13 mai 2015) déclarant en

coréen « Quand j’aime, je peux aimer plus, plus je veux aimer » et le texte

débutant par « Si vraiment chus plus capable ». Et enfin, celle de Namjo (aussi

le 13 mai 2015) demandant en français « Avons-nous perdu nos paroles? » et

annonçant en coréen l’affirmation commençant par « Si vraiment chus plus

capable ». Tous avaient reçu comme consigne de parler naturellement et avec

confiance, comme si leurs énoncés (à l’exception de l’interrogation de Namjo)

s’agissaient de vérités universelles et incontestables.

En ce qui concerne Nhã Tiên, notre muse, sa présence fut directe. Pensons à sa

proclamation « Chus fatiguée, chus fatiguée », son dialogue « Ajoustez à cela »,

et son rire. Sa présence fut semblablement indirecte. Songeons à l’imploration

du retour du père dite en anglais par Jihyeon et débutant par « Hey, papa, tu

484 En version originale anglaise : « You sleep so peacefully. Your scent reminds me what I was

looking for from so long. On the balcony of our new home, I saw a shooting star. How fantastic it

is with you. I found what I wanted to find. This is our new place, an exotic journey, a door that

opens to music, laughs, craziness, tenderness. And the stars are nice like the moon is bright. We

found happiness under the purest state of mind. Our eternity. »

Page 237: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

225

devrais te souvenir de notre temps », ainsi qu’aux monologues de notre prologue

incluant les extraits anglais de « pensant à tout ce que nous avons fait [...] Ma

belle fille, mon bébé, mon trésor [...] Mon inspiration » et « elle a dit : “Papa,

j’aimerais que tu sois là”. Et... ma fille [...] si je peux être avec ma fille encore,

ma belle, si charmante et, si clownesse et idiote ». Elle rassembla toute cette

histoire de femme(s) et de fillette de 4-5 ans ainsi que les sons d’enfants et de

bébés jouant et riant.

Un rôle plus considérable avait été envisagé pour Nhã Tiên. Nous voulions la

faire participer en chanson (avec son piano et sa voix) et utiliser quelques photos

d’elle. Toutefois, il fut décidé qu’aucune musique, autres que celles présentes

dans les enregistrements du Musée national du Hangeul (violon et piano) et du

Semiconductor de Samsung d’light (clavier électronique), ne serait insérée à la

bande-son. Nous focaliserions ainsi sur les sonorités de lieux et de moyens de

transport, de machinerie, d’ambiances (restaurant et café), de sonneries, du vent

et de l’eau. De toute manière, les deux morceaux que nous possédions d’elle,

Chúa Quyến Rũ Con (Dieu m’attire) et Mỗi Ngày (Chaque jour), étaient à

caractère religieux. Cela aurait pu être exotique et esthétique certes, mais aussi,

pour une personne comprenant le vietnamien, s’avérer trop personnel, restrictif

et inapproprié.

Pour les photos de Nhã Tiên, nous préférions laisser au spectateur le choix de

se la représenter tel qu’il le voulait (fille, fillette, femme, muse, bébé, trésor,

Page 238: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

226

clown, idiote, âme sœur, ou tout à la fois), s’imaginer notre relation avec elle tel

qu’il l’entendait (fille, femme, amie ou pure inconnue), et en juger l’existence

(réelle ou fictive) par lui-même. L’objectif était de suggérer plutôt que définir et

expliquer.

4.14 Derniers changements et retraits (Avril-Mai 2015)

Lors de cette phase cruciale, quelques textes ainsi qu’un dialogue entre un

garçon et son père furent retirés. De ceux-ci, seul le fragment « Le chemin est

fragile485 » fut conservé. Le reste n’avait pas de place dans notre script.

Certaines idées de mise en espace durent également être remisées au moment

où nous déterminions les parties de la fable et en séparions les scènes. Que les

spectateurs puissent récupérer des écouteurs quelque part afin de suivre nos

indications progressives (nombres de mètres à faire, directions...) au cours du

trajet les guidant au lieu de représentation (entendant parallèlement des effets

sonores de la performance) ne semblait plus adéquat à notre scénarisation. Cela

nous aurait fait amorcer notre création plus tôt, tout en y incluant un parcours

citadin, mais nous préférions l’entamer au même moment pour tout le monde.

Conseiller aux spectateurs, au moyen de ces récepteurs électro-acoustiques,

l’endroit où s’installer dans l’aire de jeu en fonction de leur ordre d’arrivée ne

485 En version originale anglaise : « The path is fragile ».

Page 239: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

227

convenait donc plus.

La présence d’une caméra ou tout autre dispositif détectant le décompte des

membres du public s’ajoutant à la foule, et l’inscrivant en direct sur un écran

électronique à la vue de tous, ne cadrait plus à nos objectifs de mise en espace

non plus. Celle-ci était déjà assez remplie avec le décor extérieur, les surfaces

de projections, notre corps présentiel et les sons préenregistrés et ambiants.

Similairement, l’envoi automatique d’images ou de textes sur les téléphones des

spectateurs (avant ou durant la performance) ne coïncidait plus avec nos

intentions. Notre assistance aurait pu être déconcentrée par ces acheminements

de données.

Finalement, terminer par une danse, en silence et avec la chorégraphe Misook

(du Video Concerto No. 4 en 2012 et de Communication V en 2013) ou avec le

public, n’était plus envisageable. Premièrement, parce que nous voulions être

seul en scène. Et deuxièmement, car si son unique but était de montrer la joie,

la danse nous paraissait clichée et trop explicite. Dormir paisiblement en

reprenant la position initiale dans le lit avec Bongo sur notre visage nous

apparaissait une meilleure finale pour clore la boucle, tout en suggérant la

sérénité. Notre épilogue, pour sa part, revenait à la commémoration des victimes

du bateau Sewol et un cri à l’aide lancé par la Corée du Sud à elle-même par

suite de la tragédie, et en lien avec les souffrances du pays.

Page 240: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

228

Nous avons aussi décidé de laisser de côté toutes les images de Taipei prises

lors d’un court voyage (du 24 au 27 septembre 2013). De ces dernières,

nonobstant qu’elles montraient bâtiments, affiches publicitaires, piétons, vélos,

motos, autobus, voitures, ainsi que la signalétique urbaine et la dynamique

installation en extérieur Living World Series-Gentlemen de 2002 de Ju Ming,

celles de transports s’avéraient moins impressionnantes et moins pertinentes

que l’excès de voitures coréennes et de motos vietnamiennes. De leur côté,

celles concernant les signaux et la signalisation ne nous semblaient pas assez

représentatives de l’Asie en général (ce que nous en avions découvert), et leur

langue chinoise moins de circonstance.

Maintes autres photos de structures artistiques et culturelles furent prises au fil

des ans. Au total, quarante-cinq furent coupées : dix-neuf de Séoul, une de la

ville de Yeosu, une de Busan, une de Tokyo, sept de Ho Chi Minh-Ville, deux de

Singapour, une de Kuala Lumpur et trois des Grottes de Batu en Malaisie, trois

de Chicago, trois de Québec et quatre de Montréal.

Et puisque nous avions suffisamment de transports, furent soustraites toutes les

images du Musée des vestiges de la guerre et du Palais de la réunification

(saisies les 6 et 11 avril 2014 à HCMV et présentant des véhicules militaires), de

même que celles de marche (signalisation numérique) et d’autoroutes vues de

Page 241: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

229

la tour d’observation du 63 Building486 à Séoul. Celles de bateaux sur le fleuve

Mékong en Asie du Sud-Est (au Vietnam ainsi qu’à Siem Reap et Phnom Penh

au Cambodge), sur le fleuve Saint-Laurent à Québec, dans la Marina Bay et sur

la rivière Singapour à Singapour, sur la rivière de Saigon à HCMV et sur le fleuve

Chao Phraya à Bangkok, reçurent le même sort.

Pour ce qui est de celles de chevaux (en calèches ou au galop), nous ne les

trouvions pas assez propres à la modernité de Séoul (comparativement au Vieux-

Québec où ils font partie du paysage touristique actuel) et ce nonobstant que les

Coréens soient, relativement aux événements de leur passé, un peuple de

cavaliers nomades chassant en montant à cheval. Sur ce point, nous estimions

qu’il eût été kitsch d’y faire référence, à l’instar de Gangnam Style, sachant que

de toute façon, avec la DMZ et le Hangeul, nous couvrions raisonnablement

l’aspect historique de notre lieu d’exploration.

À l’égard de notre mise en espace des décors et des accessoires, il fut décidé de

ne pas utiliser la garde-robe en bois que nous possédions et voulions peindre en

blanc. Celle-ci aurait servi de surface de projection entre deux larges murs,

semblables à ceux de notre Studio 2 (Video Concerto No. 2), préalablement

anticipés en bois ou en styrofoam, et dont la chute avait été envisagée à la fin

de la première scène pour montrer le lieu sous un angle différent et en relation

486 서울 63빌딩 (Seoul 63 Bilding, en romanisation).

Page 242: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

230

avec la ville.

Cette garde-robe aurait aussi pu être détruite au cours de la deuxième scène,

lors d’une crise similaire à celle du vieil homme, écrite le 6 août 2012. Le meuble,

appelé 옷장487 en coréen (comme présenté dans le schéma scénique du 18 avril

2015), fracassé sur scène aurait laissé à jamais un trou derrière le lit, un vide, au

milieu, signifiant un changement spatial et temporel, un ailleurs. Une fenêtre qui

aurait perduré à travers la troisième scène, où seuls les cubes blancs de tailles

hétérogènes auraient pu servir aux projections, dans le style de notre Étude 6 (At

Most).

Par son inévitable part d’improvisation et de hasard, cet anéantissement

d’armoire aurait pu s’avérer, à l’égal de l’effondrement des murs, dangereux et

risqué pour nous, pour le public et pour les passants dans les rues adjacentes.

Nous préférions rester sécuritaire et avons jugé que la table de chevet en bois

de Bongo, ainsi que la plateforme de lit à une place en plastique rigide couverte

de draps blancs (préférée aux sièges de voiture, invoquant un divan de salon,

utilisés en mars 2014 lors de notre Studio 4), suffiraient à suggérer une chambre

à coucher. D’autant que nous voulions conclure notre création avec la présence

de l’enceinte afin de revenir à la situation initiale et que l’acte de destruction

aurait été irrévocable.

487 Otjang, en romanisation.

Page 243: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

231

Nous avons plutôt privilégié l’usage de 16 boîtes de carton de 79 cm (largeur)

par 89 cm (hauteur) par 45 cm (profondeur), divisées en deux groupes de 8

positionnés en angle afin de se transformer en deux vastes surfaces de

projection. Ces boîtes avaient pour avantage de souligner (voire d’incarner) la

fragmentation numérique et la dislocation discursive de notre temps. En

l’occurrence, la structure visuelle de notre création put être non seulement

montée en une image individuelle, mais aussi séparée en 16, en 10, en 8, en 6,

en 5, en 4, en 3 et en 2 parties, égales ou inégales. De plus, ces blocs en carton

avaient la capacité d’être réintégrés après avoir été retirés des murailles et

lancés ou déposés sur scène, symbolisant ainsi la réorganisation après la

désorganisation, ou une reconstruction de l’espace déconstruit.

Il fut aussi déterminé que nous serions le maître d’œuvre de cette opération de

réintégration des blocs, et non des participants vêtus de noir (appelés fantômes

noirs vu leur invisibilité présente), parce que primo, nous désirions être seul en

scène, et surtout, secundo, c’était plus justifié ainsi. L’idée de placer des cubes

au sol fut remisée, car ils auraient été encombrants. Le lit et la table de chevet

prenaient déjà une importante partie de l’aire de jeu.

4.15 Lieu de représentation et publications (Mai 2015)

Le lieu de représentation qui fut choisi est le toit du bâtiment situé à l’adresse

Page 244: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

232

suivante : Seoul–Yongsan, Dong Bing Go Dong 244-1, Oktab Bang488. Il s’agissait

du domicile de notre collaborateur circonstanciel Ji Young Moon (지영문). Cet

endroit possédait, comme celui de notre Studio 1 en juillet 2011, une fabuleuse

vue sur la ville (incluant la rivière Han) et ses couchers de soleil. Au surplus, ce

lieu de représentation disposait d’un deuxième toit situé sur le toit principal,

atteignable par l’escabeau positionné en avant-plan, près du lit. Le passage à

cette surface surélevée engendrait une modification de la temporalité et de la

spatialité de notre création urbaine.

Au sein des traces de notre production, nous retrouvons aussi celles de la

diffusion. En plus du bouche-à-oreille, nous avions créé l’événement privé

intitulé 미디어퍼포먼스 489 (Intermediatic Creation – Création intermédiatique)

sur le site Facebook490 et y avions invité près de sept cents personnes. Parmi les

informations comprises sur cette page conçue le 3 mai 2015 et accompagnée

d’une photo du Séoul urbain prise du toit de l’hôtel de ville le 11 juin 2014, nous

comptions l’adresse du lieu ainsi que la date et l’heure (samedi le 16 mai 2015 à

19:30) de la représentation.

Plusieurs photos et textes promotionnels y furent publiés. Le premier élément à

488 서울시 용산구 동빙고동 244-1 옥탑방 (SeoulSi YongsanGu Dongbinggodong 244-1

OktapBang, en romanisation).

489 Midieo Peopomeonseu, en romanisation.

490 https://www.facebook.com/events/644804182330018/.

Page 245: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

233

être partagé, le 5 mai 2015, fut une variante de la suite de la prose Voyage

exotique491. Celle-ci était accompagnée d’une image de L’Homme Martelant,

prise le 9 mai 2014, et des références de cette œuvre. Le tout avait été publié

sur notre profil Facebook le 18 mars précédent. Le deuxième élément à être

posté, au cours de la même journée, fut une série de seize photos d’horloges,

accompagnée du titre trilingue (coréen, anglais et français) de notre performance.

L’ensemble avait pareillement été mis sur notre profil, le 23 mars 2015. Toujours

le 5 mai 2015, dix photos en lien avec le Sewol furent communiquées. La prose

que voici, sur le Sewol, se trouvait avec ces clichés :

Il y a environ un an, à Saigon, le matin de mon anniversaire, je me suis réveillé

le cœur déchiré en apprenant la tragédie du bateau Sewol. Dès lors, presque

chaque jour je pense à ces victimes et à leur famille. En tant que Séoulite depuis

quatre ans, cet incident me marqua profondément et souhaite que tous reposent

en paix. Cette première représentation de ce spectacle de doctorat, le 16 mai,

sera pour vous et vos bien-aimés492.

491 Celle-ci va comme suit : « Dans ma maison trop vaste et vide de ce que nous ne sommes pas,

mes tiroirs de mémoire ne sont plus. / Pendant que je lutte contre mon cerveau et mon corps, je

ferme les yeux, te vois traverser la porte, sourire et venir à moi, feignant de ne pas nous avoir

manqués, / Et alors je tombe à nouveau dans tes yeux, regardant en toi comme si j’étais au

paradis. / Et tu restes, me demandant de ne pas partir. » Voici la version originale anglaise : « In

my house too vast and empty of what we are not, my drawers of memory are gone. / Meanwhile

I’m fighting against my brain and body, I shut my eyes, see you cross the door, smile and come

to me, faking you haven’t missed us, / So I fall again within your eyes, looking inside yourself as

I’m in heaven. / And you stay, asking me not to go. »

492 En version originale anglaise : « About a year ago, in Saigon, the morning of my birthday, I

woke up broken-hearted to read about the Sewol tragedy. From that time on, nearly every single

day I have been thinking of those victims and their family. As a Seoulite from four years so far,

that event deeply marked me and I wish all of them are resting in peace. This first representation

of that PhD show, on the 16th of May, will be for you and your beloved ones. »

Page 246: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

234

Une note similaire avait été placée sur notre profil en avril 2015.

Le 6 mai 2015, trois photos du lieu de représentation furent ajoutées avec la

convocation suivante : « Vue fantastique de l’espace spectaculaire. Venez493! »

Le 8 mai 2015, les versions coréennes et anglaises de « Quand j’aime, je peux

aimer plus, plus je veux aimer » ainsi que du texte débutant par « Si vraiment

chus plus capable » furent publiées. Ces écrits étaient agrémentés de huit

images montrant des trains de Noël à Budapest.

Le 10 mai 2015, sept photos en lien avec Sejong et le Hangeul furent ajoutées

avec l’inscription que voici : « Sejong le Grand vraiment jackpot! Roi Sejong

vraiment le Grand! Inventeur du Hangeul, système d’écriture, et une de nos

inspirations494. »

Notre Voyage exotique parut, quant à lui, le 13 mai 2015, avec le pont des

Lumières (Starlight Bridge) de la zone urbaine Phu My Hung, située dans le 7e

arrondissement de Ho Chi Minh-Ville. Celui-ci fut photographié le 10 janvier 2015

et choisi, car il est, par sa chute d’eau multicolore, comparable au pont Banpo495

de la rivière Han à Séoul. Ce dernier se colore plusieurs fois par soir et se trouve

493 En version originale anglaise : « Fantastic view from the venue. Come! »

494 En version originale : « 세종 대왕 진짜 대박–Sejong Daewang Jinjja Daebak, en

romanisation–! / King Sejong really The Great! / Inventor of the Hangul, writing system, and one

of our inspirations. »

495 반포대교 (Banpo Daegyo, en romanisation) – Banpo Bridge, appelé aussi la Fontaine de l’arc

en ciel du clair de lune (달빛무지개분수, Dalbit Mujigae Bunsu, en romanisation).

Page 247: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

235

à être la plus longue fontaine du monde.

Le 14 mai 2015, une photo des bancs de parc du Champ Royal de Bangkok fut

transmise sous la version trilingue (coréenne, anglaise et française) de la prose

commençant par « Si tu penses qu’elle a peur que tu partes ».

Concernant le texte Étoile filante (en anglais et en coréen), il fit son apparition

(avec le rappel « La performance est demain496! ») le 15 mai 2015, au-dessus d’un

cliché d’un coucher de soleil pris à Vung Tau le 13 février 2015.

Namjo se servit de la page de l’événement à deux reprises. En premier lieu, la

veille du spectacle pour publier cinq photos de nous sur scène (donnant un

aperçu du décor, de la vue de nuit et des images projetées) et annoncer à

nouveau la date de la performance, notre nom, le titre ainsi que l’heure du début.

Voici le message : « Demain le jour 16 / Alain Garneau / Le temps n’est pas pour

toujours / à 19:30 / Début /497 ». En deuxième lieu, le jour de la performance pour

partager une photo de nous sur le lit, avec Bongo et devant deux demi-murs de

boîtes (les parties du bas), et informer que nous étions en répétition tout en

réinvitant le public. Voici le texte : « Aujourd’hui à 19:30 / Le temps n’est pas

pour toujours / En répétition / À ce soir498 ». Nous avons répondu ceci : « Dans

496 En version originale anglaise : « Tomorrow’s the performance! »

497 En version originale coréenne : « 내일 16일 / 알랭갸르노의 / 시간은영원하지않아 / 일곱시

반에 / 시작합니다 / » (« Naeil 16il / Alleng Gyareunoui / Shiganeun Yeongwonhaji

Anha / Ilgopshibane / Shijakhamnida / », en romanisation).

498 En version originale : « 오늘 저녁 일곱시반 / 시간은 영원하지 않아 / 리허설중입니다–

Page 248: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

236

moins d’une heure, ce sera l’heure du spectacle499! »

Une autre publication, dont la date nous est inconnue (mais possiblement à

l’hiver 2012, ou un peu après, puisque la vitesse, le mouvement, et le temps y

sont évoqués), vit le jour sur notre compte Facebook comme statut. La voici :

« ...et alors écrivant un nouveau spectacle, à propos de vitesse – mouvement –

temps – médias – communications – identités – langues... besoin de donner à

mes gens de Séoul quelque chose de nouveau, de nos âmes et nos cœurs, et

remonter sur scène... à bientôt500! »

4.16 Retransmission en direct : public international (Mai 2015)

En raison de notre désir de retransmettre notre création en direct, nous avons

fait des recherches pour trouver le moyen le plus adéquat. Après avoir pensé au

logiciel Skype, nous avons préféré le site www.ustream.tv, qui semblait beaucoup

plus efficace pour combler nos besoins et remplir nos attentes. Celui-ci est une

plateforme en ligne offrant des services de diffusion en continu (activité

d’écouter ou de regarder du son ou de la vidéo directement depuis Internet) et

Oneul jeonyeok ilgopshiban / Shiganeun Yeongwonhaji Anha / Riheoseol jungimnida, en

romanisation– / seeyoutonight ».

499 En version originale anglaise : « In less than an hour, it’s gonna be showtime! »

500 En version originale anglaise : « ...and then writing a new show, ‘bout speedness – movement

– time – medias – communications – identities – languages... need to give my people from Seoul

something new, from souls and hearts, and be back on stage... see ya soon! »

Page 249: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

237

est gratuit, car sponsorisé par des publicités.

Postérieurement à la configuration de notre chaîne personnelle501, un premier

test réussi d’une durée de 2 minutes et 44 secondes fut opéré à partir de notre

téléphone à notre domicile (dans Sinchon) le 5 mai 2015. Les deuxième et

troisième essais, aussi convaincants, se déroulèrent sur le lieu de représentation

avec le téléphone à Namjo. L’un se fit de nuit, avec projections durant

l’installation du dispositif audiovisuel, le 15 (la veille de la performance), devant

le lit et dura 17 minutes et 33 secondes. L’autre se fit de jour, le 16 (le jour même),

à partir du second toit et eut une durée de 4 minutes et 4 secondes. C’est ce

dernier endroit qui fut choisi, car il permettait une vision d’ensemble et aérienne,

ainsi qu’une vue plus près de nous lors de notre montée sur ce deuxième toit. De

la sorte, nous laissions la position devant le lit à la caméra principale, d’une

meilleure qualité et opérée par Duckgil Choi (덕길최). Celle-ci capta notre

performance d’un autre point de vue, et surtout, procéda à l’enregistrement

indispensable aux traces.

Quant à savoir si notre corps présentiel y était réel ou virtuel de part et d’autre

de l’écran et comment il fut perçu par le public participant, examinons les propos

de Yannick Bressan. Dans son essai La représentation d’une action théâtrale à

distance : Quel statut pour le personnage? paru dans le livre Avatars,

501 http://www.ustream.tv/search?q=AlainGarneau.

Page 250: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

238

personnages et acteurs virtuels, il s’interroge sur ce type d’expériences

esthétiques menées en réseau. Il conclut de cette manière :

La réponse dépend [...] du rôle de « l’observateur ». Considère-t-on le comédien

comme réel? C’est l’internaute qui appartient au monde du virtuel. [...] Le réel

se trouverait donc du côté de l’observateur ou plus précisément encore [...] du

participant, puisque « nous n’observons pas le monde physique [qui nous

entoure], nous y participons »502.

Notre création intermédiatique ayant pour sujet nous-même en tant que produit

de la réalité ou de la virtualité, fut en tout cas diffusée pour un public

international503 détenant, lui aussi, le droit d’inclusion à la ville.

502 Op. cit., p. 152.

503 Comme précisé sur la page de l’événement : à 6:30 du matin pour les gens de Québec et de

New York; à 5:30 du soir pour ceux à HCMV; et à midi et demi pour les invités de Belgique, d’Italie,

de France et d’Allemagne.

Page 251: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

239

PARTIE II (VOLET THÉORIQUE)

L’ESPACE URBAIN COMME LIEU DE CRÉATION

INTERMÉDIATIQUE

1. L’art technologique et urbain

Depuis le début de notre siècle, l’art médiatique est en constante évolution et se

sert de plus en plus des technologies audio et visuelle qui se développent sur

scène et dans l’espace urbain. Dans leurs manières de faire, les concepteurs

structurent leurs œuvres en faisant appel à des composants numériques. La

multiplication écranique, plus particulièrement, possède une influence

considérable sur la progression des esthétiques nouvelles.

1.1 Types de pratiques dans les productions médiatiques

Dans Bits and spaces: architecture and computing for physical, virtual, hybrid

realms: 33 projects by Architecture and CAAD, ETH Zurich, dirigé par Engeli, on

affirme que pour les artistes du futur, n’ayant jamais connu un monde sans

ordinateurs, créer avec des outils et des médias numériques ne sera aucunement

perçu comme quelque chose d’inhabituel504. Dans Digital stories: the poetics of

communication, cette dernière estime, à l’instar de Marzloff, que l’écran est

504 Op. cit., p. 206.

Page 252: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

240

devenu un élément majeur dans notre environnement quotidien de livraison

d’information505. Engeli soutient que la conception en architecture est un acte

d’innovation et un effort pour intégrer des fonctions pratiques en utilisant les

procédés techniques d’aujourd’hui. L’ordinateur, permettant un contrôle total de

l’écran, fournit une approche artistique fascinante, originale et avec un vaste

potentiel de création d’espaces narratifs. En d’autres termes, les écrans, qui

cachent des choses ou les font voir, sont des fenêtres composées d’une variété

de différents thèmes.

Dans le même ouvrage, Engeli note que plus nous voyageons, plus nous pouvons

découvrir le monde sans fin se trouvant derrière les écrans506. Elle rapporte aussi,

dans Bits and spaces: architecture and computing for physical, virtual, hybrid

realms: 33 projects by Architecture and CAAD, ETH Zurich, que lorsque nous

interagissons avec un ordinateur, nous ne conversons pas avec une autre

personne, mais plutôt explorons un autre monde507.

Féral s’intéresse également à cet objet d’étude. Dans Pratiques performatives =

Body remix, elle l’analyse comme suit :

À notre époque, les nouvelles technologies contribuent largement à l’évolution

des langages scéniques actuels, modifiant profondément les conditions de

représentation et intensifiant toujours davantage les effets de présence et les

effets de réel. Ces technologies sont souvent liées à l’émergence de nouveaux

505 Op. cit., p. 8.

506 Op. cit., p. 10.

507 Op. cit., p. 102.

Page 253: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

241

paradigmes (performativité), voire de nouvelles formes scéniques qui

transgressent les limites des disciplines et se caractérisent par des spectacles

à l’identité instable, mouvante, en perpétuelle redéfinition508.

Foucault disait d’ailleurs ceci : « Nous sommes à l’époque du simultané [...] de

la juxtaposition [...] du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. Nous

sommes à un moment où le monde s’éprouve.509 » Les procédés médiatiques

qu’utilisent les artistes dans leurs créations, ainsi que les nouvelles formes

scéniques qui s’en dégagent, font foi de cette instabilité et cette constante

fluctuation.

Les premières expérimentations avec des technologies médiatiques en art

remontent au XIXe siècle. Pensons à l’avènement de la photographie en 1839, à

la naissance du cinéma en 1895 et à l’écran cathodique qui vit le jour en 1897.

Au sujet du processus filmique comme suite d’instantanés photographiques

donnant l’illusion du mouvement, R. Bourassa précise dans Les fictions

hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques qu’il renvoie à

Eadweard Muybridge :

Afin d’illustrer ses études sur la locomotion animale, le photographe développe

en 1880 le zoopraxiscope, un appareil qui simule le mouvement continu à partir

de la projection en boucle d’une série d’instantanés photographiques [...] afin

508 Op. cit., p. 7. 509 Michel Foucault, Des Espaces Autres (Of Other Spaces : Utopias and Heterotopias),

conférence effectuée en mars 1967, Belgique : Architecture/Mouvement/Continuité (journal),

Octobre 1984, <http ://foucault.info/documents/heterotopia/foucault.heterotopia.en.html>.

Page 254: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

242

d’enregistrer, d’ordonner et de créer un sens à partir de la variété du chaos510.

Ce fut au Zoo de Philadelphie que Muybridge, précurseur du cinéma, fit en 1885

ses prises de vue divisant le mouvement animal en images fixes. Elles rappellent

la séparation du mouvement spécifique à l’image du cinéma.

Le 17 mai 1914 se déroula à Rome ce qui fut potentiellement la première

performance à distance lorsque Marinetti intervint de Londres à l’aide d’un

téléphone. Randall Packer et Ken Jordan expliquent dans Multimedia: from

Wagner to virtual reality, ouvrage se souciant de l’intégration des nouvelles

technologies dans la société et des répercussions des technologies de

l’information sur la vie urbaine, que ce dernier pensait que seul le cinéma avait

un effet total sur la conscience humaine511.

En 1923, dans son spectacle Le Sage, Sergei Eisenstein posait déjà la question

du degré de présence (celle différée et celle physique) en introduisant une

projection cinématographique tout en mettant sur scène un personnage

préalablement vu à l’écran. Meyerhold utilisa aussi à plusieurs reprises des

projections. Entre autres, dans La Terre Cabrée en 1923, où une surface

écranique était suspendue à une grue, ainsi que dans La Forêt en 1924, où il

510 Renée Bourassa, Les fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques,

Montréal : Le Quartanier, 2010, p. 88-89.

511 Randall Packer and Ken Jordan, Multimedia: from Wagner to virtual reality, New York: Norton,

2002, p. xx.

Page 255: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

243

avait fait jouer un film.

En 1925, Enrico Prampolini montra à l’Exposition internationale des Arts

décoratifs et industriels modernes de Paris la maquette d’un dispositif appelé

Teatro magnetico (Théâtre magnétique). Elle consistait en une structure

tournante comportant un jeu de lumière, des écrans pour projections

simultanées et des haut-parleurs.

Pareillement pendant les années 1920, Max Reinhardt ainsi que Bertolt Brecht

et Erwin Piscator intégraient des projections filmiques à certains de leurs

spectacles. Notamment dans Raspoutine, en 1928, où Piscator multiplia les

appareils de projection et utilisa plusieurs types de surfaces : la demi-sphère, le

voile de tulle placé devant le décor, l’écran latéral et l’écran sur la scène

supérieure. En exploitant les images électroniques de cette façon, il augmentait

l’illusion de la représentation scénique et provoquait l’intervention en direct

d’actions se produisant à l’extérieur de l’espace scénique.

Quant à l’innovation sonore, Cage fut influencé par le manifeste futuriste L’Arte

dei Rumori (L’Art des bruits, 1913) de Russolo affirmant que les bruits de la

machine étaient une forme viable de musique, ainsi que l’ouvrage New Musical

Resources écrit par le défricheur des musiques aléatoires Henry Cowell en 1919.

Dans les années 1930, Cowell s’intéressait d’ailleurs déjà à l’improvisation sans

contraintes.

Page 256: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

244

En 1937, Cage exprimait dans son manifeste The Future of Music sa vision de la

musique. Dans Performance Art: From Futurism to the Present, RoseLee

Goldberg mentionne que celle-ci est basée sur l’idée que partout où nous

sommes ce que nous entendons est surtout du bruit (soit celui d’un camion, de

la pluie ou de l’électricité statique entre les stations de radio) et que ce dernier

est fascinant512. Celui qui en arriva à créer en 1952 la pièce en trois mouvements

4’33’’, durant laquelle nous n’entendons que les sons de l’environnement

(produits involontairement), cherchait à capter, contrôler et utiliser ces sons

(nous pourrions ajouter à ceux-là le vent et les battements cardiaques), non pas

en tant qu’effets, mais comme des instruments de musique. Goldberg ajoute

qu’en 1942, une critique dans le Chicago Daily News avait pour titre « Les gens

l’appellent bruit – Mais il l’appelle musique » et que les musiciens jouaient avec,

en l’occurrence, des bouteilles de bière, des pots de fleurs et des cloches à

vache513.

Au cours des années 1940, Cage aura donc été un catalyseur important dans

l’abolition des frontières traditionnelles définissant les arts. Avec Merce

Cunningham (qui croyait aux bienfaits de la chance dans la danse créative et

présenta en 1965 Variation V, performance accompagnée de projections de films

512 RoseLee Goldberg, Performance Art: From Futurism to the Present, London: Thames &

Hudson, Collection « World of Art », 2011, p. 123.

513 Ibid.

Page 257: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

245

et d’images télévisuelles distortionnées par Paik) et Robert Rauschenberg

(créateur de décors et de costumes pour Cunningham), il conçut des spectacles

nécessitant davantage la participation des spectateurs et impliquant la

subjectivité. Dans Performance Art: An Introduction, Virginia B. Spivey affirme

d’ailleurs que la performance rejette le récit clair et utilise une structure aléatoire

ou fortuite514 . Les méthodes symbiotiques issues de leur collaboration nous

ramènent au concept du Spectacle total (ou Total Artwork) que Richard Wagner

appelait en 1849 le Gesamtkunstwerk dans son essai Das Kunstwerk der

Zukunft515 et qui intégrerait la musique, le chant, la danse, la poésie, les arts

plastiques et les techniques de la scène. Aussi, souvenons-nous du Bauhaus

(école artistique créée en Allemagne en 1919) cherchant à réunir toutes les

disciplines (sculpture, peinture, arts décoratifs, design, photographie, costume,

danse...) comme architecture nouvelle et œuvre d’art unifiée.

Vers la fin des années 1950 et à travers les années 1960, naquit Fluxus, souvent

décrit comme intermedia. Celui-ci consistait en un réseau international d’artistes,

de compositeurs et de concepteurs mélangeant les médias et les disciplines

artistiques telles que la musique, les arts visuels, la littérature, l’urbanisme,

l’architecture et le design. Dans The Art of Performance: A Critical Anthology,

514 Virginia B. Spivey, Performance Art: An Introduction, Mountain View (California): Smarthistory

at Khan Academy, August 9th, 2015, <http://smarthistory.khanacademy.org/performance-art-an-

introduction.html>.

515 The Artwork of the Future – L’Œuvre d’art de l’avenir.

Page 258: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

246

Gregory Battcock et Robert Nickas expliquent que Fluxus germa pour présenter

des projets novateurs n’ayant aucune place dans le monde de l’art de leur

époque. Il fut caractérisé à diverses époques comme un mouvement, une

coopérative, une école et une philosophie516. L’identité de Fluxus n’a jamais eu

de définition précise.

Parmi les autres participants ayant favorisé l’émergence du happening

(événement multimédia où le public fait partie intégrale de l’œuvre), de la

performance et des installations interactives où les artistes utilisent les

technologies disponibles à l’instant, notons Higgins dont l’approche conceptuelle

de l’intermédiaticité fut précisée dans la partie Objet d’étude et intermédiaticité

de notre introduction; le compositeur et performeur Paik (dont la démarche sera

plus approfondie ci-après) qui fit du monde de la télévision et de la vidéo le sien

à l’aide de techniques développées et pratiquées lors de ses années au Japon,

en Allemagne et aux États-Unis; Allan Kaprow qui inventa le terme happening;

ainsi que Joseph Beuys, humaniste, dessinateur, sculpteur, performeur,

installateur et théoricien qui concevait l’art en tant qu’outil servant à éveiller la

conscience spirituelle et politique. L’esthétique de ce dernier, qui est un élément

marquant de l’art contemporain, sera examinée davantage plus avant.

516 Gregory Battcock et Robert Nickas (ed.), The Art of Performance: A Critical Anthology

(electronic version, UbuWeb Edition, 2010), New York: E. P. Dutton, 1984, <http://anticlimacus.fil

es.wordpress.com/2013/03/battcock_the-art-of-performance_19841.pdf>, p. 38.

Page 259: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

247

Entre-temps, se précisait dans l’environnement urbain l’art cinétique dont les

œuvres contiennent des parties mises en mouvement par le vent, le soleil, un

moteur ou même le spectateur, sans doute sous l’influence des mobiles

(sculptures formées de fils et de pièces métalliques) inventés et exposés par

Alexander Calder au début des années 1930. Grâce à l’apparition des premiers

synthétiseurs de musique dans les années 1950, les artistes de la vidéo purent

devenir dans les années 1960 des techniciens de l’art électronique en

construisant des synthétiseurs vidéo.

Billy Klüver, en fondant en 1966 le groupe E. A. T. (Experiments in Art and

Technology) visant à encourager des coopérations entre des artistes et des

ingénieurs (et formé principalement de Cage, Andy Warhol, Rauschenberg,

Robert Whitman et Jasper Johns), favorisa l’apport des technologies (telle que le

média électronique) dans le travail des artistes. Pensons au Pavillon Pepsi

préparé pour l’Expo ‘70 à Osaka (une de ses caractéristiques était de laisser au

visiteur la liberté d’explorer le projet multimédia à sa guise), aux peintures de

Johns avec des lumières néons, aux machines autodestructrices de Jean Tinguely,

ainsi qu’à la série de spectacles 9 Evenings: Theatre and Engineering, mélange

d’avant-garde du théâtre, de danse et de nouvelles technologies, effectuée en

1966.

À partir des années 1960 donc, la présence de l’image projetée (sur les planchers,

les plafonds, les performeurs, les murs, les spectateurs...) et des effets

Page 260: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

248

d’éclairage (rayonnements ultraviolets, clignotements lumineux, reflets...) fut de

plus en plus marquée lors des représentations et dans les happenings ainsi que

les performances. Dans Performance: Live art since the 60s, Goldberg soutient

d’ailleurs, qu’historiquement, l’art de la performance conteste et viole les

frontières entre les disciplines et les genres, entre le privé et le public, entre la

vie quotidienne et l’art, et ne suit pas de règles517.

Pour ce qui est du théâtre contemporain, plusieurs metteurs en scène et

compagnies utilisent les projections vidéo et autres dispositifs médiatiques.

Féral raconte au sujet de Whitman et son œuvre News créée en 1972 que :

la première a eu lieu à New York : les personnes étaient éparpillées dans la ville

et devaient appeler Whitman depuis une cabine téléphonique toutes les 5

minutes, pour lui décrire ce qu’ils voyaient. Whitman retransmettait en direct ces

interventions sur une chaîne de radio518.

Après plusieurs décennies d’intérêt envers l’intégration des technologies dans

les représentations théâtrales, celui-ci créa une performance pour téléphones

portables en 2005 : Local report. Au cours de cette dernière, trente personnes

filmaient leur milieu quotidien en le commentant durant trente minutes.

De même, soulignons Laurie Anderson dont les principaux thèmes touchent la

technologie et ses effets sur les relations humaines. Connue surtout pour ses

517 RoseLee Goldberg, Performance: Live art since the 60s, New York: Thames & Hudson, 1998,

page 20.

518 Op. cit., p. 328.

Page 261: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

249

performances multimédias et ses albums, elle réalisa dès les années 1970 des

performances à New York, notamment à la salle de spectacles The Kitchen.

Fondé en 1971 par un collectif d’artistes, ce lieu visait à présenter les créations

les plus récentes des compositeurs contemporains tels que Steve Reich et Philip

Glass, considérés comme des pionniers et des représentants éminents de la

musique minimaliste.

Giorgio Barberio Corsetti en est un autre dont le langage théâtral est caractérisé

par des projections vidéo. En 1976, il fonda la compagnie La Gaia Scienza (Le gai

savoir) et y monta bon nombre de spectacles jusqu’en 1984. Il utilise maints

éléments d’expression de la scène et fait un usage fréquent de graphiques vidéo.

Pour la richesse de son théâtre d’images et la théâtralité de ses présentations

multimédias, Lepage est aussi un metteur en scène remarquable. Lors d’un

entretien avec Fouquet, dans Les écrans sur la scène : tentations et résistances

de la scène face aux images de Béatrice Picon-Vallin, il mentionne que le théâtre

de l’image apparut grâce aux gens ayant reçu des formations en jeu chez Jacques

Lecoq ou Étienne Decroux à Paris au cours des années soixante-dix et quatre-

vingt. Ces deux écoles étant orientées vers les arts du mime et du geste ainsi

que sur l’expressivité de l’être en mouvement, les participants retournèrent au

Québec avec une approche plus visuelle et physique. De fait, leur enseignement

était plus basé sur la gestuelle, le masque et le travail corporel. Plus tard, les

technologies de projections telles que la vidéo, les diapositives et le multimédia

Page 262: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

250

commencèrent à être utilisées. Nonobstant qu’elles mystifiaient et subjuguaient

le public au début, celui-ci réussit à s’y accoutumer et finit par en apprécier la

poésie visuelle519. Nous devons aussi à Lepage la création de la caserne Ex

Machina, compagnie de production dont il est le directeur artistique. Parmi les

œuvres du groupe, songeons au Moulin à images, immense projection en

extérieur sur l’histoire de Québec conçue pour le 400e anniversaire de la

fondation de la ville.

Wilson est pour sa part un artiste de l’avant-garde. Sa notoriété internationale

vint en 1971 avec son spectacle sans paroles et d’une durée de sept heures Le

Regard du sourd. Celui-ci consiste en une exploration de l’univers d’un enfant

sourd qui pense en images. Une succession de tableaux vivants présentés par

soixante-dix acteurs permet au spectateur de se construire son scénario grâce à

l’association d’images cependant disparates. Une autre œuvre majeure qu’il mit

en scène et dirigea fut Einstein on the Beach, opéra de cinq heures, composé par

Glass et joué par un ensemble, un violon solo, un chœur et des acteurs, en 1976.

Depuis le début de sa carrière, il est préoccupé par la manière dont les images

sont définies sur scène et pense que c’est la lumière qui forme les objets et les

tableaux. Il estime que l’éclairage en tant que dispositif médiatique donne vie à

519 Béatrice Picon-Vallin [dir.], Les écrans sur la scène : tentations et résistances de la scène

face aux images, Lausanne : L’Âge d’homme, Collection « Théâtre du XXe siècle », 1998, p. 325-

326.

Page 263: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

251

la production. Un des principaux traits de son esthétique est sa conception du

temps et de l’espace. Ses spectacles s’imposent comme des tableaux en

mouvement jouant sur l’étirement du temps et visant à provoquer une expérience

plutôt qu’à raconter une histoire. Une expérience qui encourage les visions

intérieures et fait la part belle à l’imagination, tout en permettant au geste de se

déployer ainsi qu’à l’image d’apparaître et de disparaître. Dans La scène et les

images, Picon-Vallin ajoute sur l’usage du texte chez Wilson que :

le texte – dit ou non en scène – peut aussi se relire ou se lire sur des écrans, des

tulles, des murs, projeté ou écrit dans le cours du spectacle et sur le plateau

même (intertitres, génériques, journaux intimes, etc.). Cette stratégie de

visibilité et de cadrage des mots a une fonction à la fois dramaturgique et

esthétique, puisqu’il est possible d’utiliser toutes sortes de graphies et de

typographies520.

Enfin, son œuvre est marquée par l’exigence d’une recherche théâtrale où

l’émotion esthétique naît de la puissance visuelle, du processus de ralenti et de

la décomposition du mouvement.

Il est impératif de noter aussi l’apport de Pink Floyd dans le développement de

l’art technologique et son insertion dans l’espace performatif. Faguy mentionne

que :

Pink Floyd est un des premiers groupes musicaux à intégrer l’image animée sur

la scène afin de créer des ambiances accompagnant leur musique oscillant entre

la recherche sonore, la musique concrète et la ballade populaire (première

période du groupe). Et ces expérimentations scéniques d’intégration renouvelant

520 Béatrice Picon-Vallin [dir.], La scène et les images, dans « Les voies de la création théâtrale :

études », Volume XXI, Paris : CNRS, Collection « Arts du spectacle », 2001, p. 23.

Page 264: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

252

le spectacle populaire constitueront très rapidement une norme obligée pour

l’industrie culturelle (il est presque impensable de produire aujourd’hui un

spectacle sur une grande scène sans avoir recours à la projection) et

influenceront certes beaucoup d’expériences d’éclatement de la scène521.

Le groupe atteignit une renommée internationale avec sa musique rock,

progressive et psychédélique en se distinguant par ses paroles philosophiques,

ses expérimentations sonores, ses longues compositions, ses albums-concept

ainsi que ses performances en concert. Ces dernières marquèrent par

l’importance accordée à la qualité sonore, l’usage d’effets sonores et de

systèmes innovants de haut-parleurs quadriphoniques, de même que

l’exploitation d’effets visuels. Pensons au grand écran circulaire, élément phare

de leurs spectacles; à l’énorme cochon gonflable, rempli d’hélium et de propane;

au modèle d’avion réduit, volant d’une extrémité de la scène à l’autre en se

brisant dans une explosion; ou encore, à la tournée The Wall en 1980, où le décor

consistait en un mur séparant l’auditoire et les performeurs et servant de surface

de projection, et où d’immenses marionnettes gonflables représentaient des

personnages de l’histoire. Ce spectacle fut repris par Waters et plusieurs artistes

invités, à Berlin en 1990 pour commémorer la chute du mur. Maints des thèmes

véhiculés par les Floyd, tels que l’absence, l’aliénation, la désillusion, le temps,

l’espace, l’identité, l’indifférence et l’empathie, ne cessent d’influencer notre

521 Op. cit., p. 31.

Page 265: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

253

pratique522.

Parmi les compagnies contemporaines faisant aussi usage de technologies audio

et visuelle, nous en retenons quatre : La Fura dels Baus, Dumb Type, The

Wooster Group et The Builders Association.

Au sujet de La Fura dels Baus, troupe urbaine créée en 1979, Valentina Garcia

Plata explique dans Les écrans sur la scène : tentations et résistances de la

scène face aux images que ses acteurs se débattent au milieu du feu, du sang

et des machines. La Fura dels Baus est aussi : énergie, violence, absence de

texte dramatique, mouvement, force des actions, récupération de l’espace public,

révolution scénique, vie en communauté, performance plastique, scénographie

itinérante et éclatée, recyclage d’objets urbains, dispositifs fixes ou mobiles et

acteurs surélevés sur des échafaudages roulants523. À titre d’exemple, en 1999,

Marcel Li Antunez Roca présentait une performance intitulée Afasia. Entre un

écran géant et des robots sonores et lumineux, Antunez était vêtu d’un squelette

de métal et de plastique traquant ses mouvements. À travers ce dernier, l’acteur

contrôlait en temps réel l’action des robots, les sons, les lumières et la projection

des images.

Dumb Type, fondé en 1984 et basé à Kyoto est aussi un collectif d’artistes. Ses

522 Nous le verrons notamment dans la Création d’approche 2, le Studio 2 ainsi que le Processus

scriptural et ses traces.

523 Op. cit., p. 206-211.

Page 266: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

254

membres proviennent de disciplines variées comme l’architecture, la danse, le

théâtre, les arts visuels et même la composition musicale et la programmation

informatique. Leurs créations intermédiatiques prennent la forme d’expositions,

d’installations et de spectacles audiovisuels. Elles présentent un monde sombre,

cynique et humoristique dans lequel la technologie est un mode de vie.

The Wooster Group est une compagnie de théâtre expérimental basée à New

York. Ses œuvres originales sont construites comme un ensemble d’éléments

juxtaposés. Dans leur conception spectaculaire, elles incluent des textes

classiques et modernes, du cinéma, de la vidéo, de la danse, du mouvement, des

sons diversifiés et une approche architecturale. Le groupe émergea du

Performance Group de Richard Schechner entre les années 1975 à 1980. Leur

pratique résulte d’une fusion des technologies de la communication et de

l’information, de l’architecture, des arts visuels et du théâtre.

The Builders Association, aussi basée à New York, fut fondée en 1994. La

compagnie raconte des histoires sur notre expérience humaine au XXIe siècle et

repousse les limites du théâtre en mélangeant performance scénique, texte,

vidéo, son, et architecture. Le spectacle Jet Lag, présenté entre 1998 et 2000, fut

une de ses réalisations essentielles. Élaboré avec les artistes interdisciplinaires

Ricardo Scofidio et Elizabeth Diller, celui-ci réunit la présence d’artistes

électroniques en direct aux nouvelles technologies.

Page 267: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

255

À partir des années 2000, nous assistons, comme le dit Faguy, à une

consolidation de l’art numérique :

En ce début de millénaire, la situation technologique risque toutefois d’évoluer

très rapidement et le frein financier qui empêchait autrefois les artistes d’avoir

accès aux technologies de production et de projection vidéo semble se résorber

quelque peu. En effet, avec l’arrivée du numérique, même si les coûts de location

restent encore élevés, l’achat des appareils vidéo devient de plus en plus

abordable. [...] L’informatique joue désormais un rôle indéniable, car beaucoup

de programmes logiciels (montage, mixage, traitements, répartition...)

permettent des possibilités accrues par rapport aux systèmes analogiques524.

La compagnie 4d Art participe à maints spectacles hybrides, événements

extérieurs et installations mixant réel et virtuel. Parmi eux, Les Feux Sacrés,

fresque multimédia présentée dans la basilique-cathédrale Notre-Dame de

Québec à partir de 1993, ainsi que Ceci est une Sphère, spectacle multimédia qui

se déroula en 2000 dans le cadre du festival Montréal en lumière et dont

l’architecture cubique fut érigée à l’esplanade de la place des Arts à Montréal.

Leurs réalisations incluent aussi Soleil de minuit (2004), célébration des vingt-

cinq ans du Festival international de jazz de Montréal et des vingt ans du Cirque

du Soleil, Delirium (2006 à 2008), spectacle d’aréna avec de la musique live, des

projections vidéo sur des écrans et des prouesses effectuées par des artistes de

cirque, ainsi que Territoires Oniriques - 30 ans de création scénique (2014),

installation immergeant les visiteurs dans un lieu de projections, sur des murs et

524 Op. cit., p. 67.

Page 268: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

256

des écrans servant de portes virtuelles et formant un parcours labyrinthique.

Dans Pratiques performatives = Body remix, Clarisse Bardiot raconte que Stefan

Kaegi suit l’évolution technologique lorsqu’en 1999 il crée et présente Kanal

Kirchner au Festival Spielart à Munich. Un spectateur muni d’un walkman

marche dans la réalité de Munich en suivant les instructions données par une

voix enregistrée, sur les traces d’un libraire disparu. La fiction dédouble alors la

perception du spectateur voyageant entre le réel et l’imaginaire de la ville.

Bardiot ajoute que Kaegi refit l’aventure en 2005 avec le collectif Rimini Protokoll.

Cette représentation théâtrale, du nom de Call Cutta, serait la première pour

téléphone portable (Mobile Phone Theatre)525. Parmi les projets internationaux

de Rimini Protokoll, celui qui apparaît le plus proche des fondements pratiques

de notre travail, car il s’opère in situ (dans son cadre naturel, à sa place

habituelle), est 100 % City. En fonction de critères spécifiques comme l’âge, le

sexe, le type de ménage, la géographie et l’ethnicité, cent participants sont

sélectionnés afin de brosser le portrait de la ville où est créé et produit le

spectacle. Depuis, furent dépeintes entre autres : Riga, Amsterdam, Philadelphie,

Paris, Bruxelles, Gwangju (광주, Corée du Sud), Berlin, Vienne, Londres,

Melbourne et Cologne.

Mentionnons aussi le flash mob (foule éclair), apparu en 2003 à New York avant

525 Op. cit., p. 327.

Page 269: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

257

de se retrouver dans presque toutes les métropoles. Bardiot explique que les

flash mobs sont des rassemblements ponctuels de centaines d’individus, ne se

connaissant pas, pour exécuter une action rapide avant de s’en aller

soudainement. Les participants doivent suivre les instructions, tenues secrètes

le plus longtemps possible, lorsqu’elles sont transmises par courriels et SMS526.

Bardiot affirme que ce phénomène urbain momentané montre le potentiel

d’Internet et des communications mobiles527. Maints d’entre ces événements

sont filmés et publiés sur les réseaux sociaux. De sorte que Eychenne suggère

dans La ville 2.0, complexe... et familière, où il explore la navigation dans la ville

et les composantes de l’informatique omniprésente, que ce phénomène, plutôt

poétique et spontané dans les premiers temps, s’est banalisé et transformé en

événement médiatique528.

Toujours dans l’investigation de la ville, le collectif EXMURO s’est octroyé le

mandat de concevoir et diffuser des projets pluridisciplinaires (installations,

murales...) dans l’espace public. Dans l’article EXMURO : À la conquête du reste

de la ville... et plus encore, Annie Mathieu relate au sujet de l’organisation à but

non lucratif que « Jusqu’ici, la municipalité a été plutôt réceptive aux idées

d’EXMURO, lui permettant de réaliser une dizaine de projets depuis la création

526 Short Message System (court message textuel, ou texto).

527 Op. cit., p. 326.

528 Op. cit., p. 55.

Page 270: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

258

de l’organisme en 2007529. »

R. Bourassa nous expose dans Hypermnésie et esthétique de l’éphémère

numérique : les paradoxes de la trace deux derniers exemples, à Londres.

Premièrement, l’application pour l’Iphone Street Museum, permettant aux

visiteurs de se diriger vers des sites correspondants aux photographies et aux

peintures de la collection muséale. Tout en superposant l’image historique au

lieu physique réel, on mobilise le corps du citadin, investit les lieux urbains et

médiatise un espace en ligne. Deuxièmement, les performances urbaines du

groupe Blast Theory s’organisant grâce à la géolocalisation. Dans Rider Spoke,

les artistes proposent un parcours pour cyclistes munis d’écouteurs leur

permettant d’arpenter la ville de nuit. Durant son tracé, chacun laisse ses

impressions, ou mémoires, tandis que le dispositif le guide dans son trajet et fait

intervenir les voix des autres participants. Les lieux de la traversée deviennent

alors des espaces de mémoire et de récit530. Cette présence de traces, inévitables,

enrichies et laissées par les nouvelles technologies ainsi que les médias intégrés,

indissociables de notre existence, est explorée fréquemment dans notre thèse.

L’art qui concerne les médias se transforme donc sans arrêt et ses styles se

529 Annie Mathieu, EXMURO : À la conquête du reste de la ville... et plus encore, 4 août 2013,

<http://www.lapresse.ca/le-soleil/arts-et-spectacles/expositions/201308/03/01-4676819-exm

uro-a-la-conquete-du-reste-de-la-ville-et-plus-encore.php>.

530 Renée Bourassa, Hypermnésie et esthétique de l’éphémère numérique : les paradoxes de la

trace, San Francisco : Academia, 2013, p. 12-13.

Page 271: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

259

révèlent au gré des événements socioculturels de son temps.

1.2 Esthétiques artistiques et culturelles marquantes

Dans le prolongement de la vision de Duchamp selon laquelle il faut considérer

l’artiste et le spectateur en création, l’art doit être à la portée de tous. De l’acte

de création résulte une œuvre transmissible dans une action de communication.

Dans Être artiste, Nathalie Heinich soutient que « Le statut d’artiste ne se réduit

pas [...] aux dimensions statistique, administrative et juridique de la condition

faite aux créateurs d’œuvres d’art. Il englobe aussi les dimensions imaginaire,

symbolique et normative 531 . » Elle ajoute que « certaines grandes figures de

l’histoire de l’art peuvent être considérées comme des “créateurs de statut”532. »

Dans Pratique du récit de vie : retour sur L’artiste et l’œuvre à faire, Léon Bernier

et Isabelle Perrault ont un point de vue semblable : « un destin d’artiste

est [...] un destin personnel et [...] la composante travail, lorsqu’il s’agit de

l’artiste, n’est jamais entièrement dissociable des dimensions privées de

l’existence533. » Et comme l’écrivait Brecht, tout art contribue au plus grand art

531 Nathalie Heinich, Être artiste, Paris : Klincksieck, 2005, p. 118.

532 Op. cit., p. 119.

533 Léon Bernier et Isabelle Perrault, Pratique du récit de vie : retour sur L’artiste et l’œuvre à

faire (version numérique, 30 mars 2007), dans « Cahiers de recherche sociologique », Volume 5,

no 2 (L’autre sociologie, automne), Montréal : Département de sociologie de l’UQÀM, 1987, p. 29-

43, <http ://classiques.uqac.ca/contemporains/bernier_leon/pratique_du_recit/pratique_du_re

cit.pdf>, p. 9.

Page 272: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

260

de tous, l’art de vivre534.

Le travail et la personne de Beuys, utopiste à la pensée visionnaire, nous

inspirent et nous stimulent énormément. Dans Au-delà d’utopie, de Karl

Ruhrberg et Walther Ingo F., on lit que « Beuys a été traditionaliste et avant-

gardiste à la fois, mage invocateur d’un lointain passé et fervent héraut d’un

avenir placé sous le signe de la sensibilité artistique535. » Pédagogue (utilisant

les tableaux noirs comme les professeurs lors de plusieurs performances), berger

(guide qui prévient ce qui arrivera et n’est jamais perdu), thérapeute (voulant

soigner les blessures causées par notre perte du savoir et faisant usage du feutre

et de la graisse au cours de ses installations en souvenir de la guerre),

évolutionnaire (cherchant à trouver une sculpture sociale et retransformer le

système éducatif), révolutionnaire (qui demanda de surélever le Mur de Berlin

pour en améliorer les proportions) et mystique (ayant un côté chamanique,

spirituel et qui lutta toute sa vie contre la mort et le monument qu’il était lui-

même), il croyait que l’art de l’artiste devait agir comme modèle et que tous

étions appelés à changer le monde.

Dans Performance Art: From Futurism to the Present, Goldberg précise que

534 Bertolt Brecht, Brecht on theatre: the development of an aesthetic, New York: Hill and Wang,

1964, p. 277.

535 Karl Ruhrberg et Walther Ingo F., Au-delà d’utopie, dans « L’art au XXe siècle » Cologne :

Taschen, 2000, p. 365.

Page 273: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

261

Beuys croyait que l’art devrait réussir à transformer la vie quotidienne des gens536.

Il pensait qu’il n’y avait pas de séparation entre la vie et l’art, que l’école d’art

devrait dégager de nouveaux concepts sans donner trop d’importance à la

stabilité dans la démarche et que le potentiel de la créativité était universel.

Celle-ci représentait un élément crucial au changement social. L’intégration de

l’art à la vie était même un des objectifs de Fluxus, dont l’esthétique laissait

place au hasard, à l’aléatoire, et dont Beuys faisait partie. D’après eux, l’œuvre

était hétérogène, ouverte à une multitude de possibilités et devait s’ouvrir à

l’inconnu. Beuys disait qu’il fallait revenir à un savoir perdu : l’imagination.

Heinich explique à son propos que :

le prophète [...] s’est fait reconnaître comme créateur non seulement d’une

œuvre, mais d’une façon d’être artiste. Il a construit son personnage, dans la

génération qui a suivi la seconde guerre mondiale, sur le modèle de prophète

s’adressant à ses disciples, mêlant étroitement à ses créations une histoire

personnelle qui confine à la mythologie héroïque [...] il a conquis le rôle de chef

de file moins par les œuvres d’art qu’il a produites que par sa façon de vivre un

certain personnage d’artiste537.

Dans Non pas juste quelques-uns, mais tous sont appelés, il raconte que dans

ses classes, axées sur le dialogue entre étudiants, les soucis se discutent en

public. Chaque remise en question donne la chance aux autres d’apprendre et

tous apprennent des problèmes des autres. De plus, il faudrait une formation

artistique obligatoire dans l’éducation, car elle seule attribuerait des bases

536 Op. cit., p. 149.

537 Op. cit., p. 72.

Page 274: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

262

saines à une société efficace. Cette façon de faire s’avère analogue à celle de

Giovanni De Poali, exposée dans l’ouvrage de Gosselin et Le Coguiec, où le

créateur-chercheur, à l’ère du numérique, travaille avec une approche

multidisciplinaire et vers une création collective538.

Sur l’art, Beuys ajoute qu’il « peut s’apprendre, bien qu’un certain talent soit

requis, mais le travail fait partie du processus. L’art vient de l’intelligence; il faut

avoir quelque chose à dire, mais par ailleurs, il faut être capable de l’exprimer539. »

Son esthétique est, à l’égal du groupe Fluxus, caractérisée par la pratique de la

déconstruction.

Un autre adepte de Fluxus, Burroughs, prônait, comme nous le lisons dans

l’ouvrage de Packer et Jordan, une technique d’écriture aux perceptions du temps

et de l’espace éclatées, brisant la logique et pouvant accroître chez le lecteur sa

conception de la réalité540. L’auteur développa cette technique de collage à la fin

des années cinquante. Il s’inspira des artistes visuels, spécialement des

surréalistes dont la pensée s’exécutait sans contrôle conditionné par la raison,

et en dehors de toute inquiétude esthétique et morale. Les fragments de textes

de Burroughs se juxtaposent en étant, comme le formule André-G. Bourassa,

538 Op. cit., p. 131.

539 Joseph Beuys, Non pas juste quelques-uns, mais tous sont appelés, dans « Art en Théorie,

1900-1990 », Paris : Hazan, 1997, p. 969-970.

540 Op. cit., p. xxviii et p. 304.

Page 275: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

263

« emboîtés comme des puzzles à trois dimensions541 ». Ils nous propulsent vers

des secteurs inexplorés où une infinité de voies de lectures se fractionnent et se

superposent.

Dans Manifestes du surréalisme, Breton définit le surréalisme comme un

« Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit

verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel

de la pensée542. » Il y a dans cette définition des similitudes avec le discours de

Carrie Loffree se trouvant dans La nouvelle dramaturgie et l’informatique :

Stratégies de réception communes et décrivant l’hypertexte comme structure

polysémique développée pour organiser des ensembles de connaissances :

« Chaque document, ou portion de document, devient alors le nœud d’un

immense réseau, dont l’utilisateur peut, à sa guise, exploiter les liens, créant par

là même son propre parcours, sa propre lecture543. »

À la manière des dadaïstes, les formes d’associations nouvelles deviennent sans

règles et sans discipline. Rappelons-nous la destruction volontaire du langage et

de la création d’une langue non conventionnelle dont témoigne la poésie sonore

541 André-G. Bourassa, Une nouvelle écriture scénique : le théâtre en morceaux, dans « Lettres

québécoises », Montréal : Lettres québécoises, no 42, 1986, p. 38, <http://id.erudit.org/iderudit/

041265ar>.

542 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris : Gallimard, 1963, p. 36.

543 Carrie Loffree, La nouvelle dramaturgie et l’informatique : Stratégies de réception communes,

dans « L’Annuaire théâtral », Montréal : SQET/UQAM, no 21, 1997, p. 105, <http://id.erudit.org/id

erudit/041316ar>.

Page 276: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

264

et onomatopéique inventée par Hugo Ball au Cabaret Voltaire à Zurich, en 1916.

Dans The theory of the avant-garde de Renato Poggioli, on comprend davantage

les aspects que révèlent le dadaïsme (volonté éthique de tous et pour tous), le

surréalisme (volonté logique) et le futurisme (volonté historique) au sujet de

l’avant-garde544. Une des caractéristiques de l’esthétique des dadaïstes était de

briser les frontières entre les formes d’art (du spectacle, de l’audiovisuel, de

l’image...). Avec leurs installations, ils utilisaient, comme l’explique Heinich :

« aussi bien le dessin, la peinture et la sculpture que les objets du quotidien, la

scénographie, les sons, les gestes, les paysages, les corps, la musique, la

photographie et la vidéo545. »

Au cours des années 1950 et 1960, Paik découvrit des connexions entre la

télévision et la musique électronique. Celui considéré comme le fondateur de

l’art vidéo, en passant de la musique à la robotique à la cybernétique et aux

médias électroniques, commença à marier technologie et art en se servant des

télévisions comme structures audiovisuelles sur lesquelles passent des images,

souvent montées en répétitions de courts fragments. Comme nous le lisons dans

Nam June Paik Essay de John G. Hanhardt, sa démarche témoigne de ses

premiers intérêts pour la composition et la performance, celles-ci ayant influencé

544 Renato Poggioli, The theory of the avant-garde, Cambridge (Massachusetts): Belknap Press

of Harvard University Press, 1968, p. 146.

545 Op. cit., p. 73.

Page 277: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

265

ses idées de l’art basé sur les médias à une période où l’image animée

électronique et les technologies médiatiques étaient de plus en plus présentes

au quotidien546. Paik avait réalisé que la télévision, le deuxième écran de Marzloff,

était une des technologies du futur et tenait une énorme valeur créative, tout

comme la vidéo était un médium abordable financièrement, simple à utiliser et

possédait un immense potentiel créatif esthétique. Avec les sons purs d’objets

tels que les sirènes, les téléphones et les alarmes, il façonnait, comme précisé

dans Nam June Paik du même Hanhardt, sa conception de la temporalité liée à

l’aspect d’immortalité que procure la vidéo ainsi que le visage illusoire de sa

représentation du temps réel 547 . À sa signature de déconstruction et de

démystification de la télévision s’ajoutait une volonté de maximiser la

participation du regardeur. Par l’ambiguïté des messages que véhiculaient ses

pièces, la confusion de leurs espaces narratifs et les perceptions qu’elles

prolongeaient, Paik stimulait l’imagination du public se redéfinissant comme

sujet actif dans l’œuvre. Dans cette communication entre l’art et la société où

chaque téléviseur devient un instrument manipulé concrètement et où même la

mécanique de chaque téléviseur se voit transformée, tordue et déformée, on se

transporte parmi les assemblages interactifs, aliénés par la surcharge d’images

546 John G. Hanhardt, Nam June Paik Essay, February 26th, 2006, p. 1, <http://rewired09.files.wor

dpress.com/2009/04/nam-june-paik-essay.pdf>.

547 Op. cit., p. 106.

Page 278: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

266

et de sons que génèrent les écrans de Paik.

Puisque nous abordons l’aliénation, parlons de Brecht et son théâtre épique.

Celui-ci, comme l’explique Greenberg, empêchait le spectateur de s’identifier

émotionnellement avec les personnages ou l’action devant lui548. Il s’agissait

plutôt de susciter chez le spectateur l’auto-réflexion rationnelle ainsi qu’une

vision lucide et critique de l’action sur la scène. Observation critique se

rapprochant de celle de Burns se basant sur une démarche autoréflexive où on

revient sur nos conditionnements et nos réelles motivations. Entre autres, il

interrompait l’action du spectacle en y insérant des chansons, des pancartes

explicatives et des diapositives. Une des variantes de son esthétique était,

comme il l’expose dans Brecht on theatre: the development of an aesthetic, une

volonté de faire réfléchir le public pour et par lui-même en plaçant les

événements devant lui, tout en lui laissant une liberté d’interprétation549. Nous

apprécions aussi chez lui un point noté par Faguy :

L’évolution du théâtre épique tel que théorisé par Brecht a donné lieu à une

ouverture des coulisses au regard des spectateurs. C’est ainsi qu’en faisant

disparaître les pendrillons ou les panneaux délimitant les cadres latéraux de

scène, le spectateur peut voir en tout temps les comédiens même si ceux-ci ne

sont pas actifs dans l’action dramatique550.

Voyons deux autres théoriciens et praticiens dont les pensées s’intègrent dans

548 Op. cit., p. 262.

549 Op. cit., p. 14.

550 Op. cit., p. 130.

Page 279: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

267

l’esprit de notre travail : Langhoff et Giorgio Strehler.

Selon le premier, mettre en scène c’est d’abord parler des relations entre les

gens. Il fut traumatisé dans son enfance par les ruines de Berlin après la guerre,

et ses décors, maintes fois en effondrement, en portent la marque. Il explique

dans Matthias Langhoff, écrit avec Aslan, que « chaque mise en scène nouvelle

est une recherche, une exploration, qui se remet en question et en danger551 » et

que « Le metteur en scène accomplit à la fois un travail intellectuel, artistique et

pratique 552 . » Son esthétique, brechtienne, tend à révéler le scandaleux et

dénoncer les inégalités, les atrocités ainsi que les injustices de notre monde.

Dans l’étude d’Aslan intitulée Langhoff, il indique que le contenu d’une œuvre

l’intéresse pourvu qu’il puisse entrer en réaction avec les événements immédiats,

en fonction d’un événement survenant dans le monde, ou dans sa vie

personnelle553. Rainer-Maria Rilke s’exprime aussi dans ce sens dans Lettres à

un jeune poète : « Fuyez les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous

offre. Dites vos tristesses et vos désirs, les pensées qui vous viennent, votre foi

en une beauté. Dites tout cela avec une sincérité intime, tranquille et humble554. »

551 Matthias Langhoff et Odette Aslan, Matthias Langhoff, Arles (France) : Actes Sud-Papiers et

Paris : Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique, Collection « Mettre en scène », 2005,

p. 9.

552 Op. cit., p. 39.

553 Art. cit., p. 16. 554 Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète; suivies de Rilke et la vie créatrice par Bernard

Grasset, Paris : Bernard Grasset, Collection « Les Cahiers Rouges », 1984, p. 19.

Page 280: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

268

La formation de Langhoff au Berliner Ensemble, fondé par Brecht, joua un rôle

important dans sa démarche.

Quant à Strehler, comme mentionné dans Giorgio Strehler de David Hirst, il

croyait aussi qu’il ne fallait pas séparer la scène des spectateurs555. À l’instar de

Langhoff, il disait que la fonction du metteur en scène était similaire à celle du

chercheur. Celui-ci possède une vision d’ensemble du spectacle et doit, comme

l’explique Strehler dans Giorgio Strehler, écrit avec Myriam Tanant, « avoir

beaucoup de connaissances pour élaborer sa propre écriture et connaître ce que

les autres ont réalisé pour trouver son style tout en gardant une attitude

critique556. » Nous partageons cette idée, comme la suivante intégrant le travail

de l’acteur, exprimée dans le même essai : « le métier d’acteur et de metteur en

scène implique une recherche permanente [...] il faut se mettre en situation de

toujours vouloir apprendre, expérimenter, chercher : jusqu’au bout. [...] ne

renoncer à rien de ce qu’il doit ou veut savoir sur le monde557. »

Le corps, principal matériau de l’acteur, occupe une place de choix dans le décor

scénique contemporain. Ainsi, il nous apparaît fondamental de lui conférer un

rôle au sein des esthétiques artistiques et culturelles. Selon Marcel Mauss, dans

555 David Hirst, Giorgio Strehler, Cambridge: Cambridge University Press, 1993, p. 27.

556 Giorgio Strehler et Myriam Tanant, Giorgio Strehler, Arles (France) : Actes Sud-Papiers, et

Paris : Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique, Collection « Mettre en scène », 2007,

p. 70.

557 Op. cit., p. 120.

Page 281: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

269

Les techniques du corps, celui-ci est le premier et le plus naturel instrument,

voire objet technique, de l’homme. Il s’adapte aux objectifs physique, mécanique

et chimique des individus, tout en étant marqué par les actes effectués lors de

l’éducation et l’évolution de l’être dans la société dont il fait partie558.

Dans cette logique du corps comme milieu naturel de l’être et réseau de tensions

antagonistes, tous ces médias que nous avons en poche (magnétoscopes,

magnétophones, téléphones, etc.) transforment notre environnement intérieur et

extérieur. Gordon E. Slethaug soulève dans Beautiful Chaos: Chaos Theory and

Metachaotics in Recent American Fiction que dans un siècle dominé par les

communications et les télécommunications (journaux, cinéma, téléphone, radio,

télévision et Internet), la performance de ces systèmes est d’une importance

primordiale, car le fonctionnement inefficace peut être irritant et coûteux, parfois

même destructeur, tandis qu’un bruit excessif, d’après certains scientifiques,

peut causer des changements comportementaux et chimiques dans le corps

humain559.

Le corps, lorsqu’éveillé et maîtrisé avec finesse et précision, procure à l’acteur

558 Marcel Mauss, Les techniques du corps, dans « Journal de Psychologie », XXXII, 3-4 (mars-

avril), Paris : Société française de psychologie, 1936, <http://classiques.uqac.ca/classiques/ma

uss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html>, p. 10-11.

559 Gordon E. Slethaug, Beautiful Chaos: Chaos Theory and Metachaotics in Recent American

Fiction (electronic version), Albany (New York): State University of New York Press, 2000,

<http://cultureofdoubt.net/download/docs_cod/Book Chaos theory in lit.pdf>, p. 79-80.

Page 282: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

270

un matériel scénique adéquat. Prenons l’exemple des gymnastes qui travaillent

en couple et dont la technique est de plus en plus parfaite : ils connaissent les

lois de la biomécanique. Lorsque ces règles de l’organisme sont contrôlées avec

exactitude, l’acteur peut recréer l’expression dans l’action et aller contre elles en

les enfreignant créativement. Par la naissance de cette vie scénique, on

démontre que la maîtrise du corps résulte d’une approche biomécanique et

engendre l’obtention des structures essentielles au jeu. Le matériau est relié à

son manipulateur, la mécanique ainsi que le vivant s’amalgament, et les normes

deviennent des frontières à dépasser.

Et si le mouvement met en forme l’espace, c’est parce que les exercices

d’exploration physique développent la capacité d’organisation de l’acteur en

relation avec soi-même, le lieu, le temps et autrui. Les diverses parties du corps

de l’acteur sont consciemment mises en rapport entre elles et ceci octroie au

moindre geste son expression dans l’équilibre. Dans son article titré Vers le geste

essentiel et la parole vraie, Aslan avance que pour faire dialoguer le corps avec

le monde, il suffit de retrouver la langue d’avant la parole et chercher sa vraie

voix. C’est à ce moment que les corps préservent des relations entre eux et

restent mouvement, danse, parole et chant560.

L’acteur d’aujourd’hui doit être prêt à prendre en charge plus que la simple

560 Odette Aslan [dir.], Le corps en jeu, Paris : CNRS, 1993, p. 384-385.

Page 283: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

271

interprétation de son rôle et son engagement total dans l’acte dramatique. Il lui

est impératif de garder en tête qu’il existe une relation entre ses appareils

physique et psychique. Concernant la vision de Lecoq, Skansberg écrit que,

comme Jacques Copeau, ce dernier croyait que « la formation professionnelle

d’un comédien est une formation de sa personnalité561. » On y lit également que

Lecoq énonçait, comme Strehler, qu’« être comédien, ce n’est pas seulement

exercer ponctuellement son métier, c’est aussi et surtout être dans le monde

d’une certaine manière [...] engager sa vie entière562. »

Le corps est un système de signes et porte l’action. Il possède une richesse

poétique et est une source ainsi qu’un moyen d’expression de l’imagination. Dans

Rabelais and his world, Mikhaïl Bakhtine disait même que dans l’esprit de

François Rabelais le corps était la forme la plus parfaite de l’organisation de la

matière, et donc la clé de toute matière. Les composantes matérielles de

l’univers, quant à elles, révélaient dans le corps humain leur vraie nature et leurs

potentialités les plus élevées, devenant créatives et constructives tout en

conquérant le cosmos et acquérant un caractère historique563.

Pensons à l’analyse du mouvement chez Lecoq ainsi qu’aux métamorphoses

poétiques du corps qui en découlent. Ou encore, à son économie du mouvement

561 Art. cit., p. 82.

562 Ibid.

563 Mikhaïl Bakhtine, Rabelais and his world, Bloomington: Indiana University Press, 1984, p. 366.

Page 284: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

272

où, afin de cerner l’essentiel du mouvement, il faut effectuer le moindre effort

pour un maximum de rendement. Celle-ci est importante pour nous, car avec la

vidéo, la présence du corps devient réduite.

Depuis le début du dernier siècle, la problématique de la pédagogie théâtrale en

Occident débouche sur deux grandes voies. La première rattache l’expressivité

de l’acteur à des critères psychologiques et la deuxième à des principes

physiques, connaissables et contrôlables. En proposant, aux prémices de sa

démarche, un entraînement de l’acteur visant l’exploration de son état

psychoaffectif, afin qu’il puisse incarner efficacement des personnages,

Konstantin Stanislavski était le pionnier de la première voie. Son Système,

expliquant en détail la technique consciente nécessaire à l’acteur pour une

création subconsciente, constituait, et constitue toujours, la base de l’éducation

dans plusieurs écoles d’art dramatique.

En préconisant un entraînement organique et continu différent autour des

années 1913 à 1922, visant la connaissance scientifique de la mécanique du

corps, afin que l’acteur puisse contrôler son matériau, Meyerhold ouvrait la

deuxième voie. Stanislavski, remettant même en question les premières étapes

de son processus, travaillait d’ailleurs avec ce dernier. La biomécanique,

comprise à sa juste valeur, c’est-à-dire comme méthode d’entraînement et non

comme recette transportable sur la scène, fait toujours partie de l’entraînement

dans les écoles ou laboratoires mettant l’accent non sur l’interprétation, mais sur

Page 285: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

273

la présence physique de l’acteur.

Pour Meyerhold, le mouvement, les poses, les regards et les silences

déterminaient l’essence des relations humaines et les mots à eux seuls étaient

impuissants à tout dire. Son entraînement ne représentait toutefois que la moitié

de l’équation. Dans Vsevolod Meyerhold de Jonathan Pitches, nous lisons que

lorsque l’acteur maîtrise son propre matériel, il peut continuer à utiliser ses

habiletés techniques dans la poursuite de l’art. On ne voit jamais un pianiste

répéter ses gammes dans une salle de concert, sachant que la beauté de son

interprétation est le fruit de milliers d’heures de pratique. Les études de

biomécanique, ne devant pas être vues sur scène, donnent pourtant de la qualité

à tout ce que l’acteur effectue devant le public564.

Quand le corps est mis en rapport avec un espace dans ses dimensions (sa

forme), et est déterminé par une figure géométrique imaginaire, il existe une

coordination entre lui et l’espace environnant qui témoigne d’une faculté

d’adaptation à celui-ci. De même, lorsque mis en relation avec le temps, le corps

produit un travail rythmique qui dynamise l’espace en posant des repères.

Pitches ajoute que Meyerhold avait regardé la pratique des artistes et acrobates

de cirque dont la sécurité dépendait de leur capacité à répéter avec précision

leurs gestes. Les risques physiques qu’impliquent leurs mouvements sont

564 Jonathan Pitches, Vsevolod Meyerhold, London/New York: Routledge, 2003, p. 67-68.

Page 286: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

274

immenses certes, mais pour Meyerhold, même dans une situation où

l’environnement est sécuritaire, l’acteur doit être sûr de ce qu’il accomplit.

L’action touchera davantage le public et sera plus aisément regardable par celui-

ci. La coordination serait une habileté indispensable à la performance, et le

contrôle de notre plasticité serait une nécessité565.

Le corps est le pays du mouvement, et l’acteur, un être qui se transforme. Une

modification complète touchant les impulsions, les émotions, l’esprit, le

comportement, et passant par une transformation intérieure avant la

transformation extérieure. Autrement dit, pour être en harmonie avec le reste

(projections d’images et de vidéos, sons et sonorités, musique, etc.), le corps (en

tant que machine, ou matériau) doit être entraîné physiquement de façon à être

apte à réaliser promptement les consignes reçues. Une communication rapide

entre pensée, volonté et force musculaire est alors établie, diminuant le temps

perdu entre la conception des actes et leur réalisation. L’acteur danse les

mouvements dans son corps avant même de le faire avec le corps, comme s’il

façonnait quelque chose d’invisible, mais de bien perceptible : un flux d’énergie,

de tensions.

Spivey énonce même que le performeur force par son corps le regardeur à sentir

le froid, la faim, la peur, la douleur, l’excitation et l’embarras566. Selon elle, ce

565 Op. cit., p. 113-114.

566 Art. cit.

Page 287: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

275

dernier se sert de nos instincts originels, c’est-à-dire de nos besoins physiques

et psychologiques en matière de nourriture, de logement et d’interaction

humaine, de nos craintes individuelles et notre conscience de soi, ainsi que de

nos préoccupations concernant la vie, l’avenir et le monde dans lequel nous

vivons567.

À propos de ces pulsions, en disant que le spectacle devait recréer la vie plutôt

que l’imiter, Artaud formula, notamment dans Le Théâtre et son double,

d’excellentes explications. Celui pour qui le spectacle était devenu une

dangereuse thérapeutique de l’âme à la forme expressionniste, et qui avait vu

des spectacles de Piscator et Meyerhold à Berlin, croyait que le corps devait

s’ajouter à la parole et qu’il n’y avait pas que la poésie du langage qui existait,

mais aussi la poésie de l’espace.

Aslan confirme la vision d’Artaud dans L’acteur au XXe siècle : éthique et

technique : « La scène doit devenir un lieu où l’on est en danger, où il se passe

chaque soir quelque chose d’unique qui “fait gagner corporellement quelque

chose aussi bien à celui qui joue/qu’à celui qui vient voir jouer”568. » Chez lui,

l’illisibilité et la fascination des rêves devaient rayonner et triompher sur scène.

Le metteur en scène devait aller jusqu’au bout de la sensibilité de l’acteur et du

567 Ibid.

568 Odette Aslan, L’acteur au XXe siècle : éthique et technique, Vic-la-Gardiole (France) :

L’Entretemps, Collection « Voies de l’acteur », no 14, 2005, p. 293.

Page 288: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

276

spectateur. Le métier devait être une technique traversée par une nécessité

personnelle, un faisceau d’énergies à découvrir et à mettre à nu pour reformer

l’être humain dans sa dimension sociale et spirituelle. Les gestes devaient être

pathétiques, émancipés et libérés du quotidien. Les mouvements devaient être

intenses et les sons inusités, voire inhumains.

Aslan rapporte dans le même essai ces mots d’Artaud : « le corps a un souffle et

un cri par lesquels il peut se prendre dans les bas-fonds décomposés de

l’organisme et se transporter visiblement jusqu’à ces hauts plans rayonnants où

le corps supérieur l’attend569. » Sa formule selon laquelle l’acteur est un athlète

affectif, d’ailleurs reprise par Barrault, y est aussi décrite : « À chaque sentiment

correspond un souffle [...] Au lieu d’envisager les passions comme de simples

abstractions, on peut les susciter grâce à la force qui y préside. Par un souffle

volontaire, on peut faire réapparaître la vie570. »

Faisons un parallèle entre cela et un passage de Le corps en jeu : liberté ou

contrainte. La méthode Feldenkrais au théâtre, écrit par Odette Guimond :

Le corps « moderne » [...] est un super-robot puissant et contrôlable, et qui

devrait être de ce fait incorruptible. Il s’agit de bien le nourrir [...] de bien

l’exercer, de bien l’entretenir. Le corps est le dieu auquel on sacrifie, un corps-

machine, dominant et musculaire. Ce corps peut devenir un objet

multifonctionnel, un objet de luxe, un corps-langage, contrôlable comme un

569 Op. cit., p. 296-297.

570 Op. cit., p. 295.

Page 289: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

277

super-ordinateur571.

Pédagogie et entraînement ne sont donc plus destinés à développer un savoir-

faire ou une virtuosité, mais à favoriser la connaissance de son schéma corporel,

ses ressources physiques et leur mise en jeu. Dorénavant, on déconstruit un

corps qui avait été conditionné par des contraintes familiales ou socio-

religieuses. On élimine des stéréotypes. On rend l’individu conscient et créatif.

L’artiste se réalisant physiquement sent se développer sa personne. Le corps est

le lieu de son unité. L’acteur-danseur-chanteur réunifié jouit d’un équilibre et sa

maîtrise est perceptible. Il a une présence intense et polarise sur lui les regards

du spectateur. Il existe chez l’acteur une notion d’immédiateté. Il ne prend plus

le temps de préparer sur scène une émotion, mais réagit sur-le-champ. Il n’a ni

passé ni avenir. Il vit l’instant, pris sur le vif, sur le fait. Tous ses sens sont éveillés,

il est en alerte, mobilisé pour réagir aussitôt.

Considérant que la relation humain-technologie ouvre un nouvel espace connexe

à l’incidence de cette dernière sur notre quotidien, ce corps reste au cœur des

dispositifs spectaculaires, interférents et immersifs. Surtout sachant que depuis

quelques décennies, comme le souligne Diana Domingues dans Esthétique des

arts médiatiques : interfaces et sensorialité : « la vie se passe graduellement

571 Odette Guimond, Le corps en jeu : liberté ou contrainte. La méthode Feldenkrais au théâtre,

dans « L’Annuaire théâtral », Montréal : SQET/UQAM, no 18, 1995, p. 119-131, <http://id.erudit.o

rg/iderudit/041265ar>, p. 121.

Page 290: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

278

dans le cyberespace et grâce aux découvertes de l’informatique, à leurs

interfaces, architectures et réseaux, nous connaissons d’autres effets

synesthésiques, résultants de l’hybridation du corps et des systèmes

artificiels 572 . » Qu’il soit substitué, picturalisé ou technologisé, le corps est

engagé dans bon nombre d’activités, d’expérimentations et de pratiques en art

technologique et urbain, reposant sur des aspects visuels et interdisciplinaires.

Son image numérique peut être entrevue de la même manière que Bertrand

Gervais et Mariève Desjardins dans Pratiques performatives = Body remix,

lorsqu’ils spécifient qu’elle est « soumise à toutes les manipulations et

opérations prévues par les logiciels de traitement de l’image. Le corps peut y être

amélioré, modifié, tordu, effacé, coloré, brouillé, transformé en monstre, en être

hybride ou en pur fantasme573. »

Quant à l’impact du corps présentiel, pensons à Fo, dont le travail s’inscrit dans

une tradition d’acteurs-auteurs. Sa gestuelle, allusive plutôt que descriptive,

était si expressive qu’elle lui permettait d’incarner plusieurs personnages dans

un même morceau. Dans Pratiques performatives = Body remix, sa conception

de cet impact est expliquée ainsi : il vient d’abord de la présence, naturelle, qui

par sa force fait qu’elle est remarquée574. Selon nous, cette présence doit aussi

572 Louise Poissant [dir.], Esthétique des arts médiatiques : interfaces et sensorialité, Saint-

Étienne (France) : C.I.E.R.E.C. et Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec, 2003, p. 185.

573 Op. cit., p. 47-48.

574 Op. cit., p. 31.

Page 291: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

279

être soutenue par un désir de communiquer et s’impliquer. Dans le même

ouvrage, la vision de Iouri Lioubimov est évoquée comme suit : « si cette

personne n’a pas de force de volonté, alors il faut la congédier [...] Si elle n’a pas

de présence, il faut qu’elle s’en aille. [...] La volonté du comédien et sa capacité

à avoir de l’énergie pour tenir l’attention du public. C’est ça le don du comédien.

[...] S’il est là, tout est parfait575. »

Le corps représente un outil majeur et un facteur déterminant dans nos

laboratoires d’expérimentation ainsi que la seconde partie de cette étude, notre

volet pratique. Cet aspect de l’art technologique et urbain constitue, pour ces

raisons, un des axes principaux de notre recherche-création, tout comme le

numérique, faisant l’objet de la deuxième partie de ce chapitre.

575 Op. cit., p. 33-34.

Page 292: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

280

2. La société intermédiatique et son urbanisme numérique

Afin de mesurer les effets de l’univers numérique sur la vie du citoyen ainsi que

sur l’organisation de l’espace urbain et la disposition des images et des sons

manipulés dans notre société intermédiatique, il importe d’approfondir les

raisons de sa mutation écranique et comprendre comment celle-ci s’opère, tant

dans l’espace public que dans la sphère privée.

2.1 Monde numérique et ses répercussions

Dès le début de sa leçon inaugurale prononcée en 2008 au Collège de France,

Gérard Berry soutient ceci : « Internet révolutionne les échanges en abolissant

les contraintes de distance, de temps et de volume576. » Son ouvrage Pourquoi et

comment le monde devient numérique, issu de la description de l’état de sa

discipline servant à la fois de présentation de son programme de recherche, traite

des impacts et des difficultés de la révolution numérique. Sur les transformations

reliées à la numérisation ainsi que les concepts scientifiques et techniques et

outils qu’elles mettent en œuvre, Berry nous aide à construire un schéma de son

évolution. Son ensemble reposerait sur quatre piliers :

En premier lieu vient l’idée de représenter et de manipuler de façon homogène

toute information quelle que soit sa nature [...] En deuxième, viennent les

extraordinaires progrès des circuits électroniques, logiciels et systèmes de

transmission [...] En troisième vient l’essor des nouvelles sciences de

576 Gérard Berry, Pourquoi et comment le monde devient numérique, Paris : Fayard, Collège de

France, Collection « Leçon inaugurale », 2008, p. 15.

Page 293: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

281

l’information [...] qui s’appliquent avec succès à toujours plus de

domaines. [...] Enfin, vient la richesse des applications, elle-même due à un

exceptionnel niveau d’innovation technologique et industrielle, comme on n’en

trouve que dans les grandes révolutions industrielles577.

Les notions de manipulation, progrès, essor et richesse sont donc déterminantes.

Et puisque, tant individuellement que collectivement, il existe un besoin

d’enregistrer notre vie quotidienne, le numérique, devenu notre réalité,

représente un contrôle de la mémoire. Pensons à tous ces courriels que nous

archivons, ces historiques de navigation qui restent et que nous hésitons à

supprimer, ces croissantes numérisations de documents et ces multiples photos

et vidéos que nous conservons à plusieurs endroits à la fois tels que dans nos

téléphones, nos ordinateurs, nos disques durs externes, ou sur disques compacts.

Gordon Bell et Jim Gemmell précisent dans Total recall: How the E-memory

revolution will change everything que l’accès aux souvenirs de notre vie sous

forme électronique est de plus en plus grandissant. Les auteurs avancent en

outre que bientôt, étant donné qu’ils auront été archivés, tous les souvenirs de

ce que nous avons vu, entendu ou fait seront à jamais accessibles578. Là-dessus,

Dominique de Bardonnèche confirme que l’ordinateur possède une mémoire

extraordinaire : « Il peut emmagasiner, accueillir [...] un nombre impressionnant

577 Op. cit., p. 15-16.

578 Gordon Bell and Jim Gemmell, Total recall: How the E-memory revolution will change

everything, New York: Dutton, 2009, p. 3.

Page 294: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

282

d’informations les plus surprenantes, les plus variés579. » Luc Steels, dont le

principal champ d’exploration est la problématique des machines, ces agents

numériques voire robots du futur, et son association à l’intelligence artificielle,

affirme même dans Digital angels que le XXe siècle restera dans les mémoires

comme l’âge de l’ordinateur580.

Cette nécessité de stocker une énorme quantité de données provient

potentiellement du fait que nous vieillissons tous et tendons au fil des jours qui

s’écoulent à se souvenir de moins en moins des événements. D’autant plus qu’en

possédant de multiples copies nous controns la peur de voir disparaître à jamais

des données importantes : si l’une des copies brûle, on n’en perd pas le contenu.

De plus, en augmentant l’efficacité des procédés technologiques, on catalyse le

remplacement des supports traditionnels par des supports universels à coût

faible, associés à des capteurs et actionneurs électroniques. Par supports

traditionnels, nous entendons ces supports physiques qui étaient, jusqu’à la fin

du siècle dernier, liés aux types d’information. Berry déclare à cet effet :

Les textes étaient sur du papier, les sons sur des galettes de vinyle ou des

bandes magnétiques, les photos sur des films en celluloïd. Téléphoner se faisait

en connectant des fils de cuivre. Payer se faisait avec des pièces, des billets ou

des chèques. Contrôler les forces mécaniques se faisait avec des leviers,

579 Martine Époque [dir.], Arts et technologies : nouvelles approches de la création artistique,

Montréal : Méridien, Collection « Les chemins de la recherche », no 27, 1995, p. 81.

580 Luc Steels, Digital angels, Brussels : VUB Artificial Intelligence Laboratory, August 1999,

<http ://ai.vub.ac.be/sites/default/files/sued-deutsche.pdf>, p. 1.

Page 295: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

283

ressorts, engrenages ou pompes hydrauliques581.

Dans Pour une mobilité plus libre et plus durable, Kaplan et Marzloff explorent

les lieux publics multifonctionnels propices aux rencontres de hasard et à une

forme nouvelle d’urbanité. Ils proposent que l’urbanisation se structure en

fonction de ses déplacements : « La masse des données en temps réel que

produit la ville dessine une cartographie mouvante de ses événements, de ses

congestions, de ses conditions d’accès582. » Grâce au système technologique

mise en place par la communauté, l’aménagement du territoire est influencé par

l’évolution de ses réseaux de communication. Dans Le 5e écran : les médias

urbains dans la ville 2.0, Marzloff cite Adam Greenfield ainsi :

l’avenir de nos villes reposera sur de nouveaux modes de perception et

d’expérience basées sur les données temps réel et le retour des utilisateurs. [...]

Les données en temps réel montrent le présent et la réalité tangible de la ville.

[...] L’immédiateté est parmi nous583.

La culture numérique produit de nouvelles méthodes plus adéquates afin de

répondre aux réalités de notre civilisation actuelle. Celle-ci demande, pour une

meilleure collecte et un usage plus favorable de l’information : une fluidité de

son accès, une efficace diffusion du savoir entre ses membres, et une mise à la

disposition de tous des données. Selon les mots de Lev Manovich dans The

language of new media, analyse des retentissements de l’avènement du

581 Op. cit., p. 21.

582 Op. cit., p. 51.

583 Op. cit., p. 18.

Page 296: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

284

numérique sur les productions culturelles, celles-ci seraient d’ailleurs trop

nombreuses 584 . Or, il y a tant de renseignements mémorisés que nous les

oublions rapidement. Louise Poissant, dans Esthétique des arts médiatiques :

interfaces et sensorialité, avance même que « le surfeur du web [...] effleure à

peine la surface des données585. » Cette abondance provoque plus de distractions

et, par ricochet, plus d’omissions.

Cet élargissement sans limites rend possible la suppression des contraintes

géographiques tout en permettant à la société entière de s’émanciper. Tous ses

membres peuvent prendre la parole, et même se donner en représentation, sans

avoir à en demander l’autorisation. La société urbaine contemporaine s’organise

alors en définissant elle-même ses sujets de discussion ainsi que la frontière du

public et du privé. En ayant une panoplie de livres et d’articles de partout

accessibles à la consultation, il devient plus facile d’augmenter ses

connaissances et ses compétences dans un contexte socioculturel et politique

en constante mutation.

Ce système média concrétise une étape nous éclairant sur les métamorphoses

de nos relations sociales ainsi que sur notre rapport au quotidien et au territoire.

Comme le conclut Marzloff, il s’agit d’une façon différente de lire la ville au

584 Lev Manovich, The language of new media, Cambridge (Massachusetts): MIT Press,

Collection « Leonardo », 2001, p. 35.

585 Op. cit., p. 306.

Page 297: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

285

moment où le numérique se banalise et s’insère dans tous les pores de la cité586.

Le monde numérique dans lequel nous vivons se distingue par un taux

d’innovation dont l’impact social est sensationnel, qu’on le veuille ou non, qu’on

le sache ou non. Pour Berry, ces nouveautés engendrent la croissance

exponentielle de la puissance des machines à information et du domaine des

applications 587 . Dans l’espace physique urbain se superposent des couches

numériques, physiques et informationnelles parlant aux usagers et formant le

pouls de la ville. Dans La ville 2.0, complexe... et familière, Eychenne analyse la

carte comme interface et infrastructure, ainsi que les réseaux sociaux :

Le câble, le cuivre du téléphone et la fibre optique, les réseaux hertziens Wi-Fi

et Wimax, les antennes GSM et 3G, les satellites, les capteurs, les puces dans

les objets, dans les espaces et demain dans les corps, les écrans publics, etc.,

forment l’infrastructure physique qui supporte l’internet et les réseaux mobiles588.

À cette liste, ajoutons : les cartes (interactives, cliquables, dynamiques,

communautaires, socialisantes et évolutives) en tant que supports pour la

recherche, supports universels des accessibilités, lieux de rencontre et places de

marché; les photos aériennes; les thermomètres; les caméras de surveillance;

les systèmes de navigation dans les véhicules; les services de géolocalisation;

les puces d’identification et de suivi d’animaux ainsi que celles dans les

machines, les appareils électriques, les emballages, les équipements et les

586 Op. cit., p. 87.

587 Op. cit., p. 25.

588 Fabien Eychenne, La ville 2.0, complexe... et familière, Limoges : Fyp éditions, 2008, p. 7.

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286

arbres; les bracelets électroniques pour les malades d’Alzheimer, les délinquants

et certains enfants se promenant seuls; ainsi que les écrans personnels,

domestiques ou publics, de téléphones mobiles ou de consoles de jeux. Ou

encore, toute la signalétique (les signes et les signaux) se mêlant à notre décor

journalier : celle des autorités publiques (panneaux de signalisation routière,

direction, indication de transports publics, monuments publics, etc.); celle des

marchands et commerces (enseignes de magasins, kiosques, restaurants, bars,

etc.); celle liée à la publicité (affichage, informations municipales, etc.); celle liée

à la surveillance (caméras, détecteurs de fumée, etc.); et celle des habitants, des

artistes, et de l’affichage sauvage (stickers, affiches, pochoirs, etc.).

La vitesse d’évolution du numérique est constatable sur Internet, dont la

dimension est dorénavant quotidienne et familière. Prenons la mise en ligne de

milliards de dossiers et de documents examinés par les moteurs de recherche,

les forums de discussions internationaux, les micros-blogs personnels et les

innombrables téléchargements de photos, de textes, de chansons et de films. Ou

même, comme observé par Kaplan et Renaud Francou dans La confiance

numérique - Les nouveaux outils pour refonder la relation entre les organisations

et les individus, étude visant à comprendre si les technologies et les systèmes

de confiance correspondent à nos pratiques réelles : les millions d’internautes

qui « y publient avis et conseils, y échangent des biens et des services, y

partagent leurs expériences, s’y entraident, ou coproduisent ensemble des

Page 299: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

287

contenus589. »

En devenant une véritable plateforme, le Web donne un rôle central aux individus.

En disposant de moyens de traitement et de partage d’informations, ceux-ci

inventent et expriment leur identité dans leur relation avec les autres. Une partie

des conversations privées s’intègre dès lors dans l’espace public qui s’élargit en

dévoilant les dessous de la vie sociale et citadine.

Pour ce qui est de la liberté d’expression, elle reste ambiguë. Même si les

technologies sont capables de saisir énormément d’informations à notre insu,

nous ne semblons pas faire la distinction entre ce qui est privé et ce qui est

public. Et comme l’expose Marzloff dans Sans bureau fixe : Transitions du travail,

transitions des mobilités, « Les réseaux géants (Google, Twitter, Facebook, etc.)

qui servent ces tissages permanents de relations personnelles sont aussi ceux

des champs professionnels590. » D’où la portée remarquable de la Toile et ses

activités sur les esthétiques de l’art urbain.

Dans Pour un humanisme numérique, Doueihi constate que « L’individu, grâce à

la sociabilité numérique, voyage et transporte avec lui ses liens et ses relations.

Il n’est désormais plus seul 591 . » Sur le numérique devenu une civilisation

589 Daniel Kaplan et Renaud Francou, La confiance numérique - Les nouveaux outils pour

refonder la relation entre les organisations et les individus, Limoges : Fyp éditions, 2012, p. 15.

590 Bruno Marzloff, Sans bureau fixe : Transitions du travail, transitions des mobilités, Limoges

(France) : Fyp éditions, 2013, p. 51.

591 Op. cit., p. 70.

Page 300: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

288

modifiant nos regards sur les objets, les relations et les valeurs, Doueihi

synthétise comme suit : « L’informatique était caractérisée par des

manipulations relativement restreintes [...] alors que le numérique est une partie

intégrante de notre quotidien, avec des accès souples et multiples. Il s’ensuit que

les pratiques culturelles sont également modifiées 592 . » Ces changements

instaurent de nouvelles normes culturelles questionnant les conventions et les

traditions enracinées dans la culture de l’imprimé.

Au sujet de l’exposition de soi sur les réseaux sociaux, s’exhiber est un moyen

de navigation primordial afin de s’établir une liste d’amis. Dans La démocratie

Internet : promesses et limites, Dominique Cardon cite la pensée de Nicolas

Vanbremeersch : « En quelques années à peine, les plateformes de réseaux

sociaux ont conquis une place centrale non seulement dans les usages de

l’Internet, mais aussi dans nos vies, nos relations d’amitié, nos amours593. » Tous

ces bavardages, ces potins, ces opinions, ces avis et ces humeurs se déployant

sur Internet témoignent d’un envahissement inapproprié de la vie intérieure sur

le Web. Et parfois, comme ils sont insignifiants, ils devraient plutôt rester dans

l’espace public traditionnel. Un peu comme si un groupe de gens conversait lors

d’une réunion en laissant toutes les fenêtres ouvertes pour que tous les passants

592 Op. cit., p. 18.

593 Dominique Cardon, La démocratie Internet : promesses et limites, Paris : Seuil, Collection

« République des idées », 2010, p. 54.

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289

puissent les entendre. Peut-être serait-il préférable de voir sur ces réseaux

sociaux seulement, comme le note Marzloff dans Le 5e écran : les médias urbains

dans la ville 2.0 concernant les usages recensés par la plateforme de Twitter,

des informations en lien avec des services urbains émergents594.

Les comportements de communication se transforment, les subjectivités se

libèrent, et nous éprouvons des difficultés à distinguer les discours d’intérêt

commun de ceux qui relèvent de la sphère privée. Cardon relate ceci : « cet attrait

pour les réseaux sociaux change très profondément le rapport aux écrans

numériques. Ils ne sont plus une porte ouverte vers un monde de documents

froids et lointains, mais une fenêtre vivante sur notre vie quotidienne 595 . »

L’espace du numérique bouleverse la ville et ses citadins en scindant leur réalité

en deux parties en discorde : la réelle et la virtuelle. Forcément, les artistes en

milieu urbain ont recours à l’ossature informatique de la société et ses écrans

dans la matérialisation de leurs pratiques.

Et puisque le numérique favorisa l’affaissement des limites à la novation en

octroyant à tous le droit de créer et devenir acteurs, il rend réalisable une

diffusion plus étendue. Or, malgré les innovations que permettent les

technologies du numérique (téléphones mobiles, tablettes, appareils photo,

stations de vélos en libre-service, tourniquets des métros, moyens de paiement

594 Op. cit., p. 28.

595 Op. cit., p. 54-55.

Page 302: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

290

et de validation de cartes de transport, etc.), les informations utilisées à travers

leur activation ne s’effectuent ni sans contrecoups ni sans dangers. Leurs

capteurs et leurs actionneurs laissent des traces de nos activités difficilement

effaçables et pouvant réapparaître à tout moment. Maints autres actes de notre

quotidien (achats en ligne, partages d’images, contributions en ligne...)

produisent également des marques de nos présences, de nos parcours, de nos

rencontres et de nos transactions. Empreintes qui saturent notre existence et

risquent une manipulation inappropriée. À partir de ces pratiques (sociales,

ludiques, sportives et culturelles), de notre réputation (ce qui se dit et circule en

ligne sur nous, là où le contrôle n’existe plus ou si peu), et de ces données

externalisées, publiées et transmises en temps réel (souvent répliquées dans un

déluge de copies, caches, sauvegardes et republications), se construit l’identité

numérique.

Par cette dernière composante, nous entendons celle définie par François

Filliettaz dans Comprendre l’identité numérique : « L’identité numérique est une

forme particulière d’identité. Elle est multiforme, et sans cesse variable. Elle

augmente au gré de mes navigations et peut ne pas correspondre du tout à mes

données personnelles596. » Contrairement à la manière dont l’ensemble de nos

596 François Filliettaz, Comprendre l’identité numérique, Genève : DIP Genève, Version 1.0,

Janvier 2011, <http://icp.ge.ch/sem/prestations/IMG/pdf_dsi_sem_identite_numerique_v10.pdf

>, p. 8.

Page 303: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

291

choix et de nos agissements forme notre personnalité et nous caractérise auprès

de la communauté, l’identité numérique donne souvent une qualification

inexacte, fortuite et erronée de nous.

Dans un monde en réseaux où l’on désire, voire où il faut, être visible pour le

public en multipliant les indices contextuels de nos pensées, de nos états d’âme

et de nos déplacements, tout en rendant publiques nos conversations privées, la

fabrication de soi dépend de la reconnaissance des autres. Pourtant, dans cet

urbanisme numérique, il serait avantageux de mieux se protéger en se projetant.

Cardon nous rappelle que « Les internautes projettent sur la Toile des signes

identitaires en sculptant une image d’eux-mêmes qu’ils cherchent à réaliser en

la faisant valider par leurs pairs597 », et que « Lorsqu’ils ne sont pas commentés

par d’autres, les blogueurs cessent très vite de publier et cette règle vaut pour la

quasi-totalité des formes d’expression individuelle sur Internet598. »

Doueihi explique dans Pour un humanisme numérique que l’identité numérique,

comme l’icône, dite avatar, n’est point fixe. Elle est incarnée, présentifiée et

gérée par cette icône dont les plates-formes et les logiciels modifient et

précisent le rôle : « si cette icône n’est pas personnalisée, elle devient par défaut

l’expression soit d’un choix volontaire, soit [...] d’une indifférence ou encore d’un

597 Op. cit., p. 60.

598 Op. cit., p. 61.

Page 304: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

292

manque de compétence599. »

Gabrielle Trépanier-Jobin possède aussi une vision à cet égard. Dans Avatars,

personnages et acteurs virtuels, on apprend d’une part que les environnements

numériques sont vus comme des endroits « en marge du monde “réel” dans

lesquels [...] l’absence de contraintes physiques et l’anonymat permettent aux

usagers d’expérimenter à leur guise des identités de genre alternatives600 », et

d’autre part, comme formulé dans son chapitre Le cyberthéâtre des identités :

Performances et performativité du genre dans les environnements numériques,

qu’il faut « concevoir l’avatar comme le lieu d’une performance à la fois

consciente et inconsciente [...] à travers laquelle s’expriment autant une identité

individuelle qu’une identité collective601. »

Si nous examinons cette compétence numérique dont Doueihi parle dans La

grande conversion numérique, nous voyons que le numérique incite à réfléchir

aux relations entre la culture et la technologie. Selon lui, la culture numérique

est un « ensemble de technologies conjuguées, ayant produit et continuant de

produire des pratiques sociales qui [...] menacent ou contestent la viabilité [...]

de certaines normes socioculturelles établies [...] exige des formes nouvelles et

599 Op. cit., p. 96.

600 Renée Bourassa et Louise Poissant [dir.], Avatars, personnages et acteurs virtuels, Québec :

Presses de l’Université du Québec, 2013, p. 8-9.

601 Op. cit., p. 222.

Page 305: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

293

toujours changeantes de savoir-lire, de savoir-faire602. »

L’informatique construit tout à partir de peu et avec peu d’obstacles dans une

fantastique faculté d’imagination et de réalisation, ce qui n’est pas sans laisser

de remous sociaux. D’emblée, sa manipulation rencontre deux difficultés : les

limites de ce que nous pouvons exécuter par des processus automatiques et la

difficulté à accomplir ce que nous désirons. Il existe une distance entre ceux qui

ont accès aux composantes du milieu numérique et ceux qui n’y ont pas ou qui

les ignorent – fracture numérique. Le citoyen se voit divisé entre deux besoins :

sa liberté individuelle et l’expertise numérique des autres. Les notions de savoir-

lire et de savoir-faire définies par Doueihi ont une véritable influence sur les

pratiques sociales et juridiques de notre ère écranique, prépondérante et

instable.

Ces plateformes où nous naviguons, et qui suivent les magasins que nous

visitons afin de renseigner les annonceurs sur les performances de leurs

publicités en ligne, sont des incontestables aspirateurs publicitaires. En se

référant à Informatique, libertés, identités de Kaplan, qui débat des moyens de

protéger la vie privée dans les sociétés informatisées, « des masses

considérables d’informations résident dans les disques durs des entreprises,

n’attendant que d’être utilisées. Et [...] prises ensemble, elles pourraient

602 Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Paris : Seuil, Collection « Librairie du XXIe

siècle », 2008., p. 37.

Page 306: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

294

produire un portrait extrêmement précis de la plupart des consommateurs603. »

D’où la soif grandissante des entreprises pour des informations à caractère de

plus en plus personnel de leurs clients : caractéristiques sociodémographiques,

données d’identification et de paiement, historique des achats, liste des rendez-

vous, recherches sur le site de l’entreprise et liens potentiels avec d’autres

clients. Cependant, ces nombreux sites qui enregistrent subrepticement les

informations personnelles de leurs visiteurs génèrent de graves conséquences

sur la confiance existante dans la société où, comme le soutient Doueihi,

l’identité numérique prône en se renouvelant constamment, et où tant d’outils

informatiques facilitent l’accès à l’information n’importe où, à tout moment et

pour tout le monde.

Les caractéristiques des bienfaits et des méfaits de cette surabondance

d’appareils, hypnotiques et addictifs, utilisés tant au travail qu’à la maison, tantôt

salutaires et tantôt pernicieux, mais dont nous ne saurions nous passer, méritent

d’être approfondies. Selon « L’héroïne électronique » : comment les écrans

transforment les enfants en drogués psychotiques, de Nicholas Kardaras, les

écrans en soi seraient d’ailleurs beaucoup plus néfastes que nous le croyons et

des recherches en imagerie cérébrale auraient démontré que les appareils

écraniques seraient une forme de drogue numérique 604 . Cette profusion

603 Daniel Kaplan, Informatique, libertés, identités, Limoges : Fyp éditions, 2010, p. 35.

604 « L’héroïne électronique » : comment les écrans transforment les enfants en drogués

Page 307: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

295

appartient au paradoxe de la société numérique.

Pour réaliser l’ampleur des tensions s’agitant au sein de la culture du numérique,

marquée par le potentiel créatif des technologies médiatiques, ainsi que l’impact

fragilisant de cette réalité numérique sur l’individu et son environnement, il est

opportun d’établir un schéma évolutif de son intégration dans la collectivité et

relater les spécificités, bénéfiques ou aux conséquences calamiteuses605, de sa

structure organisationnelle.

De nos jours, la technologie, qu’elle soit informative ou communicative, est

partout. Souventes fois même, elle dîne ou dort avec nous. De sorte que s’il fallait

créer une métaphore en lien avec elle, d’après Mark Weiser, considéré comme le

père de l’informatique ubiquitaire (terme désignant son omniprésence, vu qu’elle

se trouve en maints endroits différents à la fois), ce serait, étant donné son

caractère invisible, avec l’enfance. Dans The World is not a Desktop, il expose

que la technologie aurait besoin d’une figure d’expression soulignant son

invisibilité sans la rendre visible. L’enfance serait cette base invisible, vite

oubliée, mais toujours avec nous, et dont nous nous servons sans effort tout au

long de notre vie606.

psychotiques, Le Partage, 2 septembre 2016, <http://partage-le.com/2016/09/lheroine-

electronique-comment-les-ecrans-transforment-les-enfants-en-drogues-psychotiques/>.

605 Songeons à l’espionnage, au piratage, au virus, au bug et au vol d’identité informatiques.

606 Mark Weiser, The World is not a Desktop, in « ACM Interactions », November 7th, 1993,

<http://project.cyberpunk.ru/idb/ubicomp_world_is_not_desktop.html>.

Page 308: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

296

Bien que l’informatique soit actuellement ubiquiste, extensive, accessible à tous

et quelquefois intoxicante, ce ne fut pas toujours le cas. Dans Rêveurs,

marchands et pirates : que reste-t-il du rêve de l’Internet?, Joël Faucilhon, qui se

questionne sur les enjeux du débat sur la propriété intellectuelle et ce que

recouvre l’enthousiasme pour le web 2.0, ainsi que sur la nature des aspirations

et des logiques ayant donné naissance à l’Internet, expose que :

En octobre 2009, les principaux médias anglo-saxons fêtaient le quarantième

anniversaire de la naissance de l’Internet. Pour eux, la date de référence était le

29 octobre 1969. Ce jour-là, le professeur Leonard Kleinrock et deux de ses

étudiants de l’UCLA (University of California, Los Angeles) parvenaient à

transmettre un court message – en réalité, simplement deux lettres – entre deux

ordinateurs situés l’un sur le campus de l’Université de Californie, l’autre à

l’Institut de recherche de Stanford, à environ 500 kilomètres de là607.

Il ajoute que même si pour beaucoup d’historiens, il s’agit là de l’expérience

fondatrice de l’Internet, la réalité est plus complexe. Le choix d’une date

particulière, en ce qui concerne son invention, relève de l’arbitraire. Le réseau

informatique multidimensionnel, fixe et mobile, servant à tous les usages et que

nous appelons l’Internet, provient d’un ensemble de technologies dont

l’élaboration s’est étalée sur au moins trente ans, soit entre 1960 et le début des

années 1990. Son résultat est combiné des travaux de multiples acteurs608. D’où

ses failles et sa vitesse d’évolution.

607 Joël Faucilhon, Rêveurs, marchands et pirates : que reste-t-il du rêve de l’Internet?, Le Pré-

Saint-Gervais (France) : Le Passager clandestin, 2010, p. 19.

608 Ibid.

Page 309: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

297

Grâce aux réseaux sociaux, nous pouvons être aussi près de nos amis ou notre

parenté qui sont à l’autre bout de la planète que de ceux vivant dans la même

ville ou la même la rue que nous. La relation est différente, mais nous en savons

souvent plus sur leurs activités, leurs émotions et leurs pensées, que sur celles

de ceux se trouvant à une courte distance géographique. En ayant la possibilité

de communiquer à tout instant avec eux (pensons aux téléphones gardés dans

une simple poche, mais nous permettant d’être connectés partout), les liens

peuvent rester très étroits et une part grandissante de notre existence se vit en

ligne.

Marie-Julie Catoir et Thierry Lancien vont aussi dans ce sens dans Multiplication

des écrans et relations aux médias : de l’écran d’ordinateur à celui du

Smartphone :

Plus accessible que l’ordinateur, le Smartphone permet à la fois « d’être

connecté n’importe où, n’importe quand » et « de passer le temps. » Le

déplacement dans Ia ville par les transports en commun conduit aussi à utiliser

certaines applications du Smartphone pour consulter les horaires d’un bus, d’un

train ou d’un tram, trouver une correspondance, se repérer dans la ville grâce à

une carte (Mappy) ou un GPS609.

Dans Your Digital Afterlife: When Facebook, Flickr and Twitter Are Your Estate,

What’s Your Legacy?, dirigé par Evan Carroll et John Romano, on comprend que

notre culture est devenue numérique même pour les photos de famille, les films

609 Marie-Julie Catoir et Thierry Lancien, Multiplication des écrans et relations aux médias : de

l’écran d’ordinateur à celui du Smartphone, dans « Écrans et médias », Paris : L’Harmattan, no 34,

avril 2012, p. 61.

Page 310: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

298

maison et les lettres personnelles610. Et vu le caractère immortel des documents

numériques, stockés en ligne ou sur supports électroniques, ce matériel demeure

aisément accessible. Olender, qui se penche sur les rapprochements entre la

mémoire et l’oubli à l’heure de la toute-puissance du numérique, affirme que :

La question de l’oubli virtuel pourrait devenir un des grands problèmes d’avenirs

pour nos disques durs métamorphosés en machines

hypermnésiques... [...] depuis peu, sur l’iPhone, dans gmail, « supprimer » n’a-t-

il pas été remplacé par « archiver »? Or cette mémoire « archivée » qui nous

échappe n’en est pas moins accessible aux fournisseurs d’accès (Google, Free,

Apple)611.

La mobilité urbaine s’articule entre le travail, les territoires et le transport. Celle-

ci pousse le citoyen à se déplacer de plus en plus pour travailler à l’extérieur de

son bureau, en milieu dit ouvert. La ville doit se restructurer en se réinventant de

façon créatrice en fonction de cette mouvance qu’occasionne le développement

des médias. Pour l’artiste qui désire intervenir en y faisant passer sa sensibilité,

les technologies de l’information et de la communication offrent une multitude

d’alternatives.

À un point tel que nous croyons aux possibilités d’exploitation de ces richesses,

engendrées par l’évolution et le perfectionnement technologiques, dans

l’expressivité de la création intermédiatique. Dans Art of the Digital Age, Bruce

Wands conclut que les outils de création n’ont jamais été si puissants et que le

610 Evan Carroll and John Romano, Your Digital Afterlife: When Facebook, Flickr and Twitter Are

Your Estate, What’s Your Legacy?, Berkeley (California): New Riders, 2011, p. 2.

611 Op. cit., p. 39.

Page 311: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

299

futur de l’art n’a jamais semblé si prometteur612.

Les nouvelles technologies omniprésentes et les médias intégrés possèdent un

pouvoir aux conséquences considérables sur nos vies virtuelle et réelle. Les

créations artistiques produites dans la société numérique sont tenues d’en

témoigner et de s’en inspirer dans leur conception visuelle et formelle.

2.2 Mise en espace de la création urbaine (images et sonorités)

Pour notre mise en espace dans la ville en tant que scène, le lieu urbain fait

partie du dispositif et est lui-même le dispositif. Dans Thé@tre et nouvelles

technologies, Valentine Verhaeghe décrit le dispositif comme un assemblage et

signale que le lieu de la mise en scène n’est pas qu’ordonné géométriquement.

Il est aussi doté de résonnances multiples613. Dans Le lieu théâtral et les droits

du spectateur, Claude Goyette et Gilles Marsolais soutiennent que le lieu est

« porteur de l’action614 ». Verhaeghe ajoute que « ce lieu est ouvert, tactile et

mouvant [...] il est lieu d’expérience [...] notion pivot dans notre processus de

création et qui intègre l’espace géographique, les habitants et l’action en

612 Bruce Wands, Art of the Digital Age, New York: Thames & Hudson Inc., 2006, p. 209.

613 Lucile Garbagnati et Pierre Morelli, Thé@tre et nouvelles technologies, Dijon : Éditions

universitaires de Dijon, Collection « Écritures », 2006, p. 179.

614 Claude Goyette et Gilles Marsolais, Le lieu théâtral et les droits du spectateur, dans « Cahiers

de théâtre Jeu », no 62, 1992, p. 75.

Page 312: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

300

développement615. »

En d’autres termes, dans l’élaboration des spectacles contemporains en milieu

urbain, nous concevons la multiplication des écrans, visibles ou non, ainsi que

leur interconnexion et leur superposition comme moteurs transformatifs de

l’espace de la ville. Le 5e écran est considéré comme un système discursif ayant

un rôle d’intermédiation. Les interfaces, en tant que dispositifs capables de

capter ainsi que de déterminer les opinions et les pensées du citadin, sont

appréhendées comme opératrices de passage. Dans Les technologies de

l’intelligence : L’avenir de la pensée à l’ère informatique, Pierre Lévy, qui sonde

l’impact d’Internet sur la société ainsi que l’intelligence collective, soutient

d’ailleurs que « L’interface tient ensemble les deux dimensions du devenir : le

mouvement et la métamorphose616. »

R. Bourassa, quant à elle, mentionne, dans Parcours sonores et théâtres mobiles

en espace urbain : Pratiques performatives, que le fond sonore de la ville est

d’une richesse inépuisable et un phénomène fluctuant dont les contours sont

hétérogènes. Les flux sonores ouvrent des territoires imaginaires que seule une

oreille vigilante peut saisir dans ses nuances617. Selon elle, la ville est « saturée

615 Op. cit., p. 179-180.

616 Pierre Lévy, Les technologies de l’intelligence : L’avenir de la pensée à l’ère informatique,

Paris : La Découverte, Collection « Sciences et société », 1990, p. 199.

617 Renée Bourassa, Parcours sonores et théâtres mobiles en espace urbain : Pratiques

performatives, San Francisco : Academia, 2013, p. 3.

Page 313: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

301

de mémoires collectives, venues hanter chacun de ses recoins, ou encore de

mémoires affectives propres à chacun des individus qui l’habitent ou qui la

traversent618. »

La ville-écran est ainsi très riche en thèmes visuels et sonores à approfondir sur

le champ notionnel au cours du procédé créatif. De manière conceptuelle, la

charpente de l’écriture intermédiatique dans la ville écranique repose sur son

aspect graphique et ses thèmes principaux qui sont sa colonne vertébrale.

Suivant notre réflexion sur l’urbanisme numérique, nous avons jugé l’identité, le

temps, la vitesse et la mémoire assez inspirants et, surtout, suffisamment

significatifs du climat actuel, pour établir les fondements de la scénarisation des

œuvres à produire dans la société de plus en plus virtuelle.

Concernant les émotions que l’atmosphère peut évoquer, dans Les exposants au

public, Boccioni, Carlo D. Carrà, Russolo, Giacomo Balla et Gino Severini

affirment avoir déclaré dans leur manifeste : « il faut donner la sensation

dynamique, c’est-à-dire le rythme particulier de chaque objet, son penchant, son

mouvement, ou, pour mieux dire, sa force intérieure619. » Leur peinture fait surgir

une distincte réalité en rénovant la vision du regardeur. Comme nous, qui croyons

618 Art. cit., p. 12.

619 Umberto Boccioni, Carlo D. Carrà., Luigi Russolo et al., Les exposants au public, dans

« Catalogue de l’exposition Les peintres futuristes italiens », Paris : Galerie Bernheim-Jeune &

Cie, 5-24 février 1912, p. 6.

Page 314: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

302

que le lieu urbain se modifie et prend son sens lors de son contact avec l’individu

l’habitant de son vécu, ces futuristes estiment que chaque objet (peu importe

qu’il soit un autobus, un cheval, un canapé, une fenêtre ou un balcon) « révèle

par ses lignes comment il se décomposerait en suivant les tendances de ses

forces. Cette décomposition [...] varie selon la personnalité caractéristique de

l’objet et l’émotion de celui qui le regarde620. »

Au cours de la période des innovations poétiques située entre mai 1911 et janvier

1912, Boccioni, animé par l’amour de la vitesse, de la violence et de la machine,

emprunta au divisionnisme et au cubisme pour faire interférer les formes, les

rythmes, les couleurs et la lumière afin de marier les sentiments de l’esprit et les

structures multiples du monde percevable. Avec son triptyque Les États d’âme :

Les Adieux, Ceux qui partent, Ceux qui restent621, il s’oppose au statisme des

cubistes et cherche plutôt à suggérer le mouvement en conformité avec

l’ambiance émotive.

Dans Les Adieux, l’action se déplace de droite à gauche afin de jouer sur nos

habitudes de vue, de briser la résistance usuelle de notre méthode de lecture,

d’innover et de nous choquer. La locomotive au centre devient un instrument de

620 Op. cit., p. 7.

621 Umberto Boccioni, States of Mind (Left: The Farewells, Center: Those Who Go, Right: Those

Who Stay), 1911, Oil on canvas (70.5 x 96.2 cm, 70.8 x 95.9 cm, 70.8 x 95.9 cm), New York:

Museum of Modern Art.

Page 315: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

303

séparation, générateur de rythmes méandreux s’opposant et se confondant les

uns dans les autres. Le symbolisme du train, comme élément de vitesse et

invention récente de l’ère moderne, interpelle une fascination pour l’inconnu,

l’avenir comme lieu de découverte, le progrès comme flux d’énergie. Ce monde

de la gare, thème majeur du futurisme (comme les avions, les navires, les gratte-

ciels, l’automobile en tant qu’amortisseur des distances, le bruit et la violence),

permet d’accéder à une conception inédite de la vitesse en lien avec la révolution

industrielle contemporaine. La station ferroviaire comme lieu de représentation

possède aussi la faculté d’être universelle puisqu’elle fait partie intégrante de

notre quotidien et transforme notre vie. Dans Futurismo & Futurismi, de Pontus

Hulten, on dit sur les trains et les stations que les futuristes ne restent pas

insensibles à la poétique des départs, et que pour eux, le train est avant tout une

machine puissante capable de développer une force et une vitesse toujours

croissantes622. L’énergie évoquée par la vitesse s’apparente au pouvoir de la

machine. Dans Italian Futurism, 1909–1944: Reconstructing the Universe de

Vivien Greene, le Manifeste de l’art mécanique futuriste déclare que la machine

distingue notre époque. Les futuristes ne sont plus attirés par les nus, les

paysages, les figures ou les symboles, mais par les locomotives, les cris des

sirènes, les rouages, les roues dentées et la sensation mécanique. Ces derniers

622 Pontus Hulten (a cura di), Futurismo & Futurismi (Catalogo della mostra tenuta a Palazzo

Grassi), Milano: Gruppo editoriale Fabbri Bompiani, 1986, p. 600.

Page 316: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

304

perçoivent mécaniquement et sentent qu’eux aussi sont faits en acier, sont des

machines et furent mécanisés par leur environnement623. Semblablement, dans

Visions urbaines : villes d’Europe à l’écran, François Niney nous rappelle ce que

proclame Dziga Vertov dans son manifeste Nous de 1922 : « La joie que nous

procurent les danses des scies de la scierie est plus compréhensible et plus

proche que celle que nous donnent les guinches des hommes624. »

Pour Ceux qui partent, le temps et le lieu se juxtaposent dans un mélange

d’ondes et de tensions. Les éléments statiques et ceux empressés forment un

mouvement relatif : des silhouettes de corps immobiles dans un train mobile. Les

lignes horizontales et verticales qui fragmentent les visages soulignent leur

désarroi et leur détresse, telle une effervescence désordonnée entre l’imaginaire

et les réminiscences. Lorsqu’elle introduit les futuristes, Greene explique

d’ailleurs qu’ils ont expérimenté la fragmentation de la forme, l’effondrement du

temps et de l’espace, ainsi que la représentation du mouvement dynamique625.

Ce conflit psychique se distingue par une guerre de plans. Au fond, le futur aspire

les protagonistes. Devant, le présent les retient. Et au centre, les êtres semblent

torturés, déformés par la transition de la trajectoire, et sectionnés par l’intensité

623 Vivien Greene, Italian Futurism, 1909–1944: Reconstructing the Universe (Catalogue of the

exhibition held at the Solomon R. Guggenheim Museum), New York: Guggenheim Museum,

February 21st to September 1st, 2014, p. 236.

624 François Niney [dir.], Visions urbaines : villes d’Europe à l’écran, Paris : Centre Georges

Pompidou, 1994, p. 15.

625 Op. cit., p. 21.

Page 317: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

305

de la dislocation. Cette compénétration des plans incite une collision entre deux

forces spatiales : l’inertie, ou force statique, immuable, et la mobilité, ou force en

agitation.

Quant à Ceux qui restent, les personnages disparaissent dans l’ennui et la

tristesse. L’ambiance devient une densité qui les étouffe et les efface. Lacérés,

ils retournent à leur vie quotidienne pesante : ce qui est inachevé et monotone.

On nous présente les gens dans toute leur désolation. Ce trouble qui envahit leur

âme et les oblige à tourner sur eux-mêmes, se déployer dans le tourbillon

intérieur qui les encercle. Comme dans les tableaux précédents, les individus

entretiennent des rapports changeants avec l’entourage contingent. Tout court,

tout s’agite, et chaque objet influence son voisin. Cependant que le regardeur

voit le malheur de ceux qui restent à leur affliction, il se souvient de son passé.

Ces heures et ces jours où il sanglota de solitude. Ces secondes où il soupira la

cruauté d’une désunion mélancolique.

À l’instar des États d’âme de Boccioni, la création intermédiatique joue sur la

dissolution des formes puisque les divers moyens médiatiques placent l’individu

dans l’instantanéité de l’action. En multipliant les points de vue, on laisse la

dominante aux événements de la représentation. Comme l’avance Loffree dans

La communication digitale et analogique et la transformation du travail de

l’acteur, on présente « une nébuleuse d’images à liens multiples et non

linéaires. [...] un “hypertexte” sémiotique grouillant, dont chaque spectateur

Page 318: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

306

pourrait faire une exploration imaginaire active626. »

Le noyau des œuvres à l’ère du numérique prend alors la forme d’une création

intermédiatique avec un niveau de performativité et comporte une part

d’improvisation liée à l’immédiateté. À l’image de l’espace urbain et de la

performance, théorisée notamment par Phelan, Goldberg et Spivey, la création

intermédiatique établit son évolution situationnelle sur une structure temporelle,

un processus. En partie basée sur le hasard ou la chance, elle peut se produire

n’importe où et pour n’importe quelle durée. Ce sont les actions d’un individu ou

d’un groupe de personnes acceptant l’incertitude des temporalités plurielles à

cet endroit et à ce moment précis qui la constituent.

Cet enchevêtrement de conditions et ce métissage de pratiques sont

comparables à ceux de l’urbanisme virtuel, surtout par leur relation conflictuelle

entre le privé et le public ainsi que leur embrouillement de règles. Face aux

tentations numériques, presque tout est permis sur les réseaux sociaux de la

société informatique. Nous vivons dans un moment fragile et inquiétant, où pour

certains un statut sur Internet possède plus de signification que ce qui se déroule

dans le monde réel. Les utilisateurs collaborent fréquemment à l’amélioration

incessante de la structure informatique avec en simple guise de satisfaction la

626 Carrie Loffree, La communication digitale et analogique et la transformation du travail de

l’acteur, dans « L’Annuaire théâtral », Montréal : SQET/UQAM, no 18, 1995, p. 63-73,

<http ://id.erudit.org/iderudit/041261ar>, p. 69.

Page 319: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

307

reconnaissance de leurs pairs. L’addiction aux médias sociaux témoigne d’une

ardente et nocive volonté de se comparer aux autres et l’anticipation des

réactions sur les interfaces médiatiques cause des dégâts. À notre sens, nous

gagnerions à être plus discrets sur ces interfaces et le silence ainsi que

l’inactivité nous éviteraient parfois bien des ennuis.

Malgré les conséquences déplorables de cette liberté d’expression que certains

utilisateurs trouvent dans l’anonymat, cette promptitude est pour nous l’essence

de la vitalité intérieure de la modernisation. Une exaltation qui métamorphose

l’homme en l’obligeant à s’interroger et à s’adapter à l’évolution de la société lui

étant contemporaine. Un art de vivre la ville comme entité. Une substance

fondamentale à la construction de l’urbain en continuelle transformation. Une

mouvance chaotique et agitatrice de laquelle naît une unité nouvelle.

L’expansion visuelle au sein de la structure environnementale dans laquelle

s’opère un spectacle où l’auditoire, voire présence d’individus en interaction

volontaire, prend part en formant un réseau. Une organisation dont les membres

sont influencés dans leurs perceptions par leur personnalité et leur cadre

socioculturel. À propos du concept du 5e écran, Marzloff précise aussi qu’il

« émerge de la complexité croissante d’une vie quotidienne dominée par les

dispersions. Il se présente comme le lieu d’équilibre où la ville nous parle [...] La

manière dont les citadins se saisissent de ce complexe d’écrans définit une

Page 320: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

308

nouvelle place publique627. » D’après lui, « La construction d’une ville renvoie au

lien social et à ce qui le sous-tend : un système de représentation de la ville. [...]

Mais ce système est aussi un spectacle628. »

Similairement à la création intermédiatique avec un niveau de performativité se

produisant par plusieurs médiums, l’entourage citadin en tant que source de

récits, rêves ou fantasmes, se voit donc modifié sans relâche. D’une part, par la

présence des médias qui émergent, toujours en s’altérant, dans l’espace public.

Et d’autre part, par l’artiste (ou l’usager) qui montre en temps réel des choses

qu’on ne verra qu’une seule fois. Celles-ci sont originales et ne peuvent être

refaites ni intégralement ni avec exactitude.

Quant aux interactions entre émetteurs et récepteurs d’informations, elles sont

occasionnées par le déploiement d’écrans comme structure organisée par

l’intermédiaire de multiples réseaux. Dans la ville écranique, le citoyen est le

centre de ces interférences et cette dernière montre les transformations de la

société dont les médias attestent. Les strates digitales du 5e écran forment le

support autorisant la réunion d’individus dans des circonstances inédites.

Pour composer les montages audiovisuels présentés durant notre création

urbaine Le temps n’est pas pour toujours, nous avons approfondi les

627 Op. cit., p. 51.

628 Ibid.

Page 321: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

309

fonctionnalités des logiciels Premier, Final Cut Pro et Sony Vegas Pro afin de

choisir celui qui convenait le mieux. Nous avons programmé un système de

projection vidéo à partir de différents logiciels pour le spectacle. Nous avons

décidé le plus adéquat parmi Quartz Composer, MadMapper et VDMX, desquels

nous avons exploré le potentiel lors de nos studios de recherche-création. À

travers ces laboratoires, nous avons de surcroît examiné les énoncés des

futuristes présentés dans Les exposants au public :

Des lignes confuses, sursautantes, droites ou courbes qui se mêlent à des gestes

ébauchés d’appel et de hâte exprimeront une agitation chaotique de sentiments.

[...] des lignes horizontales, fuyantes, rapides et saccadées, qui tranchent

brutalement des visages aux profils noyés [...] donneront l’émotion tumultueuse

de celui qui part629.

Et comme nous croyons aussi qu’en faisant éclater la forme on laisse émerger

l’ambiance, les sensations et les émotions qui ouvrent l’œuvre d’art, nous avons

appliqué une de leurs autres observations : « dans nos tableaux des taches, des

lignes, des zones de couleur qui ne correspondent à aucune réalité, mais [...]

préparent musicalement et augmentent l’émotion du spectateur630. » Dans notre

cas, on parle plutôt des surfaces écraniques présentes dans la quotidienneté.

Celles-ci (bâtiments, immeubles, édifices, maisons, moyens de transport, vitrines,

panneaux publicitaires, planchers de rue, trottoirs), sur lesquelles sont projetées

des images et des vidéos, deviennent de plus en plus larges et lumineuses.

629 Op. cit., p. 10.

630 Op. cit., p. 12.

Page 322: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

310

Simultanément, elles génèrent une ambiance et permettent une communication

à distance. Dans l’organisation de la création urbaine, la ville est donc, par sa

nature même, liée à la représentation. Elle devient la mise en place de son

histoire, de son identité et de sa mémoire. Cette relation entre l’environnement,

l’image et l’individu atteste d’une réalité organique.

Puisque notre ère est celle de la fragmentation, du doute, de la crise du sens et

de l’éclatement spatio-temporel, la structure des créations artistiques actuelles

favorise aussi la fragmentarité. Dans Pour un humanisme numérique, Doueihi

reconnaît que « Le code numérique est un discours fragmentaire, fragmenté : il

ne fait qu’exprimer une dimension formelle, souvent représentée par des

marques et des traces [...] il est aussi proche d’une langue naturelle, d’une

langue écrite et parlée631. » Dans le même ouvrage, Doueihi affirme également

que « La lecture se transforme ainsi, grâce à des formes d’automatisation de plus

en plus populaires dans les plates-formes actuelles, en un partage primordial.

Lire veut aussi dire sélectionner, faire le tri, classer ces choix selon un ordre

spécifique632. »

Depuis la fin du XXe siècle, nous réinventons même l’écriture avec l’hypertexte et

le multimédia interactif. La condition humaine est devenue synonyme

d’instabilité et de vacuité. Un fatras, une dislocation, un désordre, une sorte de

631 Op. cit., p. 32.

632 Op. cit., p. 44.

Page 323: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

311

chaos. La perte du centre et de la stabilité ne donne plus qu’un sens parcellaire

aux choses. Les principales règles déterminant la pensée sont désorganisées et il

n’y a plus d’ordre préexistant ni de repères. Avec cette déformation de l’objet se

façonne, dans les spectacles urbains, une image du monde complexe, multiple

et diversifiée selon les points de vue.

Et comme le formule Duchamp, l’artiste n’est pas le seul à accomplir l’acte de

création. Le spectateur contribue à celui-ci en construisant du sens et en mettant

de l’ordre dans le désordre des intrigues incomplètes et embrouillées. Il établit

le contact de l’œuvre avec le monde extérieur633. Dans Le sonore, l’imaginaire et

la ville : De la fabrique artistique aux ambiances urbaines, Henry Torgue ajoute

que « l’artiste joue un rôle d’éponge, recueillant puis transmettant des éléments,

des forces, des formes, des codes sociaux et culturels passant par son biais634. »

L’utilisateur, comme l’artiste, s’adresse de la sorte à un large public et le pousse

à réévaluer ses notions préconçues de la société, de l’existence et du monde. Cet

écran de projection dans lequel nous sommes. Prenons l’exemple de l’art

corporel (body-art) où les limites du corps sont mises à l’épreuve et où l’on vise

à faire partager une œuvre dans laquelle celui-ci est mis en danger, en état de

déstabilisation cognitive ou expérientielle. En partageant ses peurs, ses

633 Ibid.

634 Henry Torgue, Le sonore, l’imaginaire et la ville : De la fabrique artistique aux ambiances

urbaines, Paris : L’Harmattan, 2012, p 43.

Page 324: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

312

angoisses et ses interrogations, le performeur, comme l’usager du système des

médias urbains, se risque et suppose le déséquilibre.

Le citadin, devenu spectateur inventif lors de la représentation d’une création

contemporaine mettant en scène le corps comme forme visible des intentions et

palpable de l’expressivité, doit donc (re)vivre la complexité de notre civilisation

numérique pour se sentir impliqué. Celui-ci est au centre du tableau, de la ville

comme lieu de représentation. En même temps qu’il s’y trouve avec ses souvenirs

et ses réalités, il s’y imprègne d’ambiances et de sensations. Qu’il soit devant

seulement le corps écranique ou face aux corps écranique et vivant, la

juxtaposition de l’atmosphère, du milieu et des écrans, sur lesquels surgissent

des images à tout instant, provoque chez lui des émotions le remuant dans

l’enchaînement des événements circonstanciels.

L’approche de la prestation plongeant dans une relation exclusive avec la

technologie actuelle est alors physique, psychique et émotionnelle. Sa

composition laisse peu de traces (pour notre recherche-création, nous en avons

conservé des photographiques, vidéo et cinématographiques), mais vient des

expériences personnelles et non d’un personnage créé par autrui. La mise en jeu

de cette approche témoigne de l’immersion du praticien-chercheur dans l’acte

créatif prenant pour terrain d’investigation le lieu urbain valorisé par l’exhibition

et la surabondance des écrans et des images en tant que présence

communicative.

Page 325: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

313

La mise en relation de notre système technologique, ou l’intégralité des moyens

d’information, avec le lieu qu’il habite et qui l’habite, de même que la

convergence interdisciplinaire où il évolue, est pareillement une des missions

assignées à la scénarisation intermédiatique. Dans le processus d’écriture et de

conception, les nombreuses ressources (éclairages, décor, accessoires, sons et

sonorités, musique, corps des acteurs et spectateurs, etc.) que l’art du spectacle

nous offre doivent aussi être exploitées. Cet amas diffus trouve son ordre et sa

cohésion harmonique en s’organisant systématiquement.

Parmi les images et les vidéos projetées durant Le temps n’est pas pour toujours,

nous comptons celles de moyens de transport (trains, avions, voitures de

promenade et de course, métros, trains à grande et à très grande vitesse, bateaux,

camions, autobus, ambulances et hélicoptères), d’horloges (multicolores aux

tailles et formes différentes), de tableaux et sculptures d’artistes visuels et

plastiques, ainsi que de la sculpture cinétique L’Homme martelant (version de

Séoul) dans le quartier Gwanghwamun (광화문).

Relativement aux sons et aux sonorités, nous pensons comme Marie-Madeleine

Mervant-Roux, dans Pratiques performatives = Body remix, que « le bruit doit

éveiller l’illusion contextuelle, faire vivre (autant que nécessaire) l’univers fictif,

mais dans un certain nombre de cas, la sensation produite, beaucoup plus

Page 326: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

314

saisissante, est celle d’une présence, au sens fort635. »

Parmi ceux qui furent préenregistrés pour être entendus lors de la première de

notre spectacle, songeons à ceux de moyens de transport (bruitages de trains et

de tramways, moteurs d’avions, crissements de pneus, klaxons, rails de métros,

sirènes de bateaux et d’ambulances, et hélices d’hélicoptères), de voix (tons,

volumes, rythmes et langues variés), de bébés et d’enfants (pleurs, rires et cris),

de sonneries (téléphones, horloges, montres, et cloches d’églises ou d’écoles),

de bruits de machinerie (ascenseurs, ventilateurs, ordinateur et machines à

laver), et de vent qui souffle. Les précédents sons furent complétés par ceux de

lieux de transports (voire espaces de transit) tels que des gares ferroviaires (où

se fait entendre comme énoncé par les futuristes et rapporté par Niney :

« l’enivrant concert de locomotives636 »), des stations d’autobus et des terminaux

d’aéroports (ambiance intérieure, climat près des quais d’embarquement,

annonces, et bruitages de passagers).

Étant donné que l’ouïe opère un rôle important dans notre perception de l’espace,

ces sensations auditives accroissent la tension. Torgue souligne à propos du

bruit urbain, comme fond sonore générique à la ville moderne, qu’il est « créateur

d’espace, engloutissant sans cesse les bords de l’image dans son continuum

toujours en expansion. Le bourdonnement lié aux bruits des transports marque

635 Op. cit., p. 244.

636 Op. cit., p. 15.

Page 327: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

315

le monde de ses saturations 637 . » Les beautés comme matières à création,

pensée partagée par les futuristes, ne se trouvent pas seulement dans les

musées et les galeries, mais aussi dans la rue, dans les chantiers de construction

et dans le vacarme des agglomérations urbaines.

Pour ce qui est de la langue écrite sur les surfaces de projections, elle sert aussi

d’interface, une résonnance, une zone de communication et d’échange. Pour

notre création intermédiatique, elle fut principalement coréenne, bien que celle-

ci soit multilingue, voire interlingue vu le dialogue interactif entre les différentes

langues incluses. L’alphabet coréen, le 한글 (Hangul ou Hangeul, en

romanisation), fut créé au cours de l’Ère Joseon638 en 1443 et consiste en vingt-

quatre lettres (quatorze consonnes et dix voyelles) desquelles deux, trois ou

quatre font une syllabe. Le Hangul présente de multiples niveaux de lecture :

linguistique, scientifique, historique, philosophique, humaniste, et, l’aspect le

plus récent et le plus pertinent pour nous, artistique. L’Office du tourisme coréen

explique :

C’est le résultat d’un processus méthodique et logique. Avant l’invention du

Hangeul, on utilisait les caractères chinois nommés Hanja pour écrire. Toutefois,

à cause du nombre énorme de caractères, ceux-ci étaient difficiles à apprendre,

surtout pour les personnes au statut social peu élevé639.

637 Op. cit., p. 88.

638 조선 시대 (Joseon Sidae, en romanisation).

639 Office du tourisme coréen, Découvrez le Hangeul!, 8 Octobre 2013, <http ://www.visitkorea.or.

kr/fre/SI/SI_FR_4_5_1.jsp?cid=1394360>.

Page 328: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

316

On y énonce aussi que le mot Hangeul est composé de deux mots : 한 (Han) et

글 (Geul), Han signifiant grand, et Geul désignant l’alphabet. Ce système est

considéré comme l’alphabet le plus scientifique du monde, et il est possible de

retranscrire toutes les langues avec ses caractères640.

L’article How was Hangul invented? confirme que les caractères chinois, vu que

le coréen était différent du chinois (surtout grammaticalement), n’étaient pas

adaptés et que leur utilisation faisait l’objet de débats641. Ainsi attristé que si peu

de ses sujets puissent lui exprimer leurs préoccupations, Sejong le Grand (세종

대왕642) inventa les nouvelles lettres et proclama souhaiter que son peuple les

apprenne facilement et que ces dernières soient pratiques pour une utilisation

quotidienne. En se référant à lui, un homme sage peut se familiariser avec le

Hangeul avant la fin du matin et un homme stupide peut l’apprendre en l’espace

de dix jours643.

Ce grand alphabet, qui est un des plus jeunes au monde, contribua à réduire

l’illettrisme en Corée. Il fascine l’œil par sa structure originale aux formes

géométriques très variables (carrés, cercles, lignes verticales et lignes

640 Ibid.

641 S.C.S., How was Hangul invented?, in « The Economist explains », blog, Seoul: The Economist,

October 8th, 2013, <http://www.economist.com/blogs/economist-explains/2013/10/economist

-explains-7>.

642 Sejong Daewang, en romanisation.

643 Ibid.

Page 329: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

317

horizontales). Et puisque celles-ci sont liées aux caractéristiques des sons

qu’elles représentent tout en décrivant la forme prise par les organes vocaux,

leur conception devient une création innovatrice sur le plan de la phonétique

articulatoire. Pour les voyelles, une ligne horizontale signifie la terre plate, un

trait court (à l’origine un point) désigne le soleil dans les cieux, et une ligne

verticale montre l’humain debout, en guise de médiateur neutre entre le ciel et

la terre. Chez les consonnes, chacune rappelle la forme de la morphologie

physique de la bouche, du palais, des dents, de la langue et de la gorge. Ce

système appuyé sur une analyse poussée des spécificités de la langue coréenne

s’avère, du point de vue de nombreux linguistes, remarquable pour ses

particularités esthétiques stupéfiantes. D’autant que, vu la montée de la

popularité de la musique pop coréenne, elles sont plus reconnues, ciblées et

exploitées en design, en mode et en graphisme.

Tel est le cas de Yoo Ah-in (유아인), qui fut aspirant-designer en 2012 dans la

série Fashion King (패션왕644) et travaille avec le label Nohant (노앙645). Dans le

texte Creative industry helps Hangul spread de Sun-Min Lee (성민이), nous

voyons comment il amena son propre style en développant ce thème, créant un

T-shirt répertoriant les noms des capitales mondiales de la mode (Paris, New

644 Paesyeon wang, en romanisation.

645 Noang, en romanisation.

Page 330: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

318

York et Londres) aux côtés de Séoul646. Le Hangeul est aussi pris pour thème de

création dans les arts plastiques (céramique, sculpture, peinture occidentale et

gravure), la calligraphie et la danse moderne, le faisant dépasser sa fonction

communicative.

Pour Le temps n’est pas pour toujours, la diversité des styles picturaux des

unités syllabiques de cet alphabet devint une source d’inspiration. Le Hangeul

fut également considéré comme un excellent outil numérique et visuel. Il évoque

Séoul, très rapide en matière de technologies de l’information et de la

communication. De même, il s’avère pratique, efficace et performant. Son ordre

alphabétique ne mélange pas les consonnes et les voyelles. Et comme aucun mot

ne commence graphiquement par une voyelle, l’ordre des consonnes est le plus

important. C’est celui qui est utilisé pour classer les mots dans un dictionnaire.

L’ordre des voyelles vient par la suite pour organiser les mots commençant par

la même consonne.

Ce système écrit sous forme de caractères groupés en blocs peut être entré dans

les ordinateurs et les téléphones avec facilité. Ce qui fut hautement utile pour

l’exploitation de notre 5e écran en tant que plateforme possédant un rôle

d’intermédiation dans le lieu urbain. Avec l’entrée de la prospère Corée du Sud,

qui émergea des décombres de la Guerre de Corée, dans le numérique, des

646 Sun-Min Lee, Creative industry helps Hangul spread, May 27th, 2014, <http://koreajoongangd

aily.joins.com/news/article/Article.aspx?aid=2989710>.

Page 331: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

319

efforts d’adaptation du Hangul au langage informatique furent effectués. Les

travaux sur la création de nouvelles polices tentent de diversifier les manières de

le composer sur ordinateur. Sa typographie reste donc en constante évolution.

L’article Hangeul Forming Exhibition explique que ces différentes formes,

qu’elles soient écrites par impression ou à la main, créent un nouveau type de

culture visuelle647.

À nos yeux, il existe une beauté esthétique dans l’agencement de ces cercles et

rectangles, ainsi que ces lignes horizontales et verticales (ou courbes, car

certaines verticales peuvent s’écrire des deux façons) qui suffisent pour créer

tous les caractères. Dans sa partie sur l’histoire des polices, le texte Hangeul

Forming Exhibition expose que cet équilibre chez les morphèmes de base du

Hangeul engendre une harmonie à leur symétrie et donne une impression

visuelle de puissance et de stabilité648.

Et parce que ces carrés, qui sont de la même taille par la compression ou

l’étirement de leurs lettres afin de combler les limites du bloc, segmentent les

mots en syllabes, ils rendent leurs frontières visibles et en facilitent leur lecture.

En raison de ce regroupement des syllabes, ces mots sont plus courts que ceux

647 Digital Hangeul Museum, Hangeul Forming Exhibition, Seoul, November 2013, <http://www.h

angeulmuseum.org/sub/eng_new/forming/principles.jsp>.

648 Digital Hangeul Museum, Hangeul Forming Exhibition, Seoul, November 2013, <http://www.h

angeulmuseum.org/sub/eng_new/forming/history.jsp>.

Page 332: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

320

qui sont linéaires. Ceci nous offre la possibilité de diffuser plus d’informations

en utilisant moins d’espace. Et dû à la liaison des lettres et des variantes

dialectales, un mot coréen peut être orthographié de plusieurs moyens. Dans la

configuration de la création, il est possible de profiter du large éventail de

variétés stylistiques de lecture que le Hangeul offre par ses lettres empilées de

haut en bas et les unes sur les autres. En l’occurrence, il suggère trois champs

visuels : horizontaux, verticaux, et en diagonale.

Dans Nam June Paik: video time, video space, Akira Asada se prononce sur l’art

de Paik. Il explique que les signes phonétiques, tels que l’alphabet, doivent être

placés linéairement, tandis que les signes idéographiques peuvent être

juxtaposés ou empilés avec beaucoup plus de liberté. Ce que l’on voit notamment

dans l’art chinois, coréen et japonais649.

L’évolution de la Corée du Sud dans la modernité permet à la splendeur du

Hangul de s’exprimer et de se révéler. Comme le Digital Hangeul Museum le

conclut dans son texte Hangeul Forming Exhibition, des efforts continueront

d’être réalisés en vue de l’application du Hangeul pour des médiums tels que les

livres, les guides, les publicités, les panneaux indicateurs, les enseignes, les

décorations et les produits artisanaux, tandis que la beauté du Hangeul

649 Op. cit., p. 126.

Page 333: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

321

poursuivra son évolution650.

Ce grand alphabet, qui reçoit beaucoup d’attention dans les domaines de la

culture et de l’art, et est reconnu par les Coréens et les étrangers comme un

symbole d’identité culturelle, apparaît une des particularités de la création

intermédiatique en Corée du Sud et une des composantes essentielles du 5e

écran de Séoul. D’où sa valeur et sa portée aussi au sein des laboratoires de

création analysés dans le troisième chapitre de notre volet pratique.

En somme, l’espace de la ville témoigne des rapports du citoyen avec les

surfaces écraniques. Lors de la création visuelle, l’expérience esthétique de

l’écran est assimilée avec le réel, tel un mariage se forgeant dans une parfaite

communion, mais à la fois dans une confusion absolue. Dans une parfaite

communion, vu que le public découvre une configuration spatiale le mettant en

confiance et favorisant la réunion des êtres le fréquentant. Et dans une confusion

absolue, puisque la prolifération des écrans bouleverse notre relation à la ville

devenue numérique.

Les nombreux écrans de téléphones, de tablettes, d’ordinateurs, de télévisions,

de cinémas, de montres, de panneaux d’affichage, de signalisation, de compteurs

et de consoles de jeux incitent à de nouvelles sensorialités. Cette structure

650 Digital Hangeul Museum, Hangeul Forming Exhibition, Seoul, November 2013, <http://www.h

angeulmuseum.org/sub/eng_new/forming/designs.jsp>.

Page 334: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

322

d’oppositions octroie une esthétique à la musicalité intérieure des sentiments du

citoyen. Les souvenirs refoulés dans ses mémoires tendent à resurgir lors de sa

confrontation aux forces contextuelles. Celles-ci se mélangent et élaborent une

perspective originale. Cette dimension ajoute un aspect lyrique à la

spectacularité de la société intermédiatique.

Et si l’artiste assume un rôle de relais entre les forces et les spectateurs, la

création visuelle assure un rôle de médiation entre le lieu urbain, chargé de

qualités, de rêveries, de passions ou même d’obscurités menaçantes, ainsi que

les individus de la ville. Les spectateurs de la modernité contemporaine gravitent

autour des objets appartenant à l’espace urbain, et leurs liens sont serrés avec

le performeur. Le spectacle se joue avec eux dans une dynamique interactive, au

sein d’un temps présent et dans un endroit commun. En d’autres mots, l’œuvre

est ouverte : elle propose plusieurs angles de vue et fait vivre une expérience

polysémique.

C’est pourquoi les images et les sons, servant de matériaux, ainsi que la vidéo

en tant que support médiatique, forment la matière de la création visuelle urbaine.

Les surfaces de projections sont appelées à se transformer pendant la

représentation, soit en se divisant elles-mêmes en fragments, soit en montrant

une photographie découpée, ou encore en étant déplacées par un ou des acteurs.

Les images polysensorielles chargées de chair et d’affectivité qui y sont

projetées ne disent que ce qu’elles sont et ne prennent leur sens qu’à partir du

Page 335: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

323

spectateur placé en situation de découverte. Et comme celui-ci se trouve devant

quelque chose qui ne lui est pas neutre, il réagit aux thèmes que lui inspirent les

illustrations de notre monde virtuel.

Pour vivre des sensations esthétiques inexpérimentées, le public réalise donc

qu’il lui faut oublier sa culture intellectuelle et se livrer à l’œuvre issue de

l’urbanisme numérique.

Page 336: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

324

CONCLUSION

Au terme de ce travail, il apparaît clairement que les écrans urbains, en tant

qu’objets d’imagination émettant des images et des sons, s’intègrent au

processus créatif en multipliant les moyens d’expression. De plus, en devenant

faits artistiques, ils produisent un système communicatif de stratification et de

profusion langagières dans la création intermédiatique.

Le développement de l’art médiatique, quant à lui, fut influencé par les progrès

technologiques et les praticiens cherchant des façons inédites de faire de l’art,

de le voir et de le comprendre. Par exemple, sitôt l’arrivée des nouvelles

technologies et des médias numériques, les créateurs intégrèrent la

photographie, le film, la radio, la télévision, l’ordinateur et l’Internet à leur

pratique. Les couleurs des événements artistiques illustrent ainsi un aspect de

notre relation avec la technologie du numérique et son évolution.

La présence permanente d’appareils technologiques en plusieurs lieux différents

n’est toutefois pas sans poser de problèmes. Car bien que souvent profitable,

celle-ci reste génératrice de tensions, tant dans l’espace public que dans la

sphère privée. L’excès du numérique comporte même des risques aux

conséquences néfastes dans la ville-écran, telle que décrite par Marzloff. En

l’occurrence, ces outils, qui enregistrent notre quotidien, représentent un

contrôle de la mémoire, provoquent plus d’oublis, et embrouillent la notion de

Page 337: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

325

liberté d’expression. Également, il y a un écart entre les individus connaissant les

éléments de l’environnement numérique et ceux les ignorant.

Concernant l’urbanisme numérique, théorisé par Doueihi, nous l’avons

conceptualisé comme étant le reflet d’une société intermédiatique. Afin de

mettre en valeur cet ensemble paradoxal de conditions matérielles et morales

dans lesquelles se trouve le citadin contemporain, les productions artistiques en

milieu urbain doivent définir et exploiter les thèmes majeurs de la modernité.

Conformément à notre réflexion sur la ville-écran dans la société numérique, les

thèmes de l’identité, du temps, de la vitesse et de la mémoire furent sélectionnés

et développés. En outre, les créations urbaines sont tenues de souligner le

caractère graphique de la ville écranique en montrant l’importance du rôle des

images.

L’approche méthodologique de notre recherche-création consista en

laboratoires d’exploration dans la ville de Séoul en Corée du Sud, choisie comme

territoire de découverte. Grâce aux objectifs que nous avions à l’esprit, nous

avons pu rester appliqué et vigilant au cours de nos quatre studios ainsi que nos

six études et nos six créations d’approche accomplis avec le collectif d’art vidéo

et de performances médiatiques In the B, et ainsi confirmer nos hypothèses.

Entre autres, le décor urbain extérieur, avec ses bruits ainsi que ses écrans

digitaux de la rue, des transports et des façades d’immeubles, fut efficace pour

Page 338: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

326

représenter les échos de la ville et le comportement des citadins.

L’intermédiaticité, comme mélange de médias et croisement des procédés

artistiques, fut propice à l’exploitation des non-publics, de la poétique du corps

extraquotidien, ainsi que du rapport corps réel et corps projeté. La projection

mapping et le voyage intérieur qu’autorisent les interfaces écraniques, de même

que l’usage des transports dans la performance et la présence d’objets sur scène,

furent significatifs pour mettre en valeur notre ère numérique ainsi que les

thèmes majeurs de la modernité. La forme non répétable de la performance fut,

pour sa part, une notion clé et récurrente au cours de nos laboratoires

d’exploration.

L’emploi du Hangeul, en tant qu’instrument numérique et visuel, s’avéra

judicieux pour exposer l’efficacité formelle et la puissance inventive de Séoul.

Celle-ci se révéla, à l’instar du Hangeul, construite et organisée de manière

hautement structurée, scientifique, intelligente, commode et performante.

Paradoxalement, comme rapporté par H. Kim, Séoul se trouvait dans une nation

à la fois désordonnée (n’ayant pas produit une nouvelle forme d’autorité sociale

après son rejet du confucianisme) et possédant un optimisme infondé menant

injustement à croire que tout ira bien651.

Peut-être aurions-nous dû exploiter davantage les caractères chinois Hanja vu

651 Art. cit.

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327

que, comme précisé par Engeli dans Digital stories: the poetics of communication,

ils contiennent toujours des éléments graphiques se référant à leur

signification 652 . Sachant aussi que d’une part, comme indiqué dans l’article

Everything You Ever Wanted to Know About Hanja, environ 70 % du vocabulaire

coréen provient du chinois et généralement les noms personnels et de lieux

coréens utilisent les Hanja653. Et d’autre part, comme l’explique Harald Olsen

dans Protests Over Plan to Bring Hanja Education Back to Schools, leur

apprentissage augmente le lexique coréen et aide à comprendre ses racines pour

en déduire le sens654.

À l’égard de la valeur du rythme et du son lors de la mise en jeu, ainsi que de la

relation interprète-écran, deux observations de Faguy furent confirmées à

travers nos studios, nos études et nos créations d’approche. En premier lieu : « Si

la voix d’un personnage capté en vidéo nécessite obligatoirement une

amplification afin que l’on puisse l’entendre, celle d’un acteur au naturel (donc

non amplifiée) ne joue pas dans les mêmes registres de fréquence, ce qui

652 Op. cit., p. 29.

653 Aaron, Everything You Ever Wanted to Know About Hanja, January 24th, 2014,

<http://keytokorean.com/resources/hanja-resources/everything-you-ever-wanted-to-know-ab

out-hanja/>.

654 Harald Olsen, Protests Over Plan to Bring Hanja Education Back to Schools, KoreaBANG, July

16th, 2013, <http://www.koreabang.com/2013/stories/protests-over-plan-to-bring-hanja-educa

tion-back-to-schools.html>.

Page 340: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

328

accentue la différence des deux niveaux de réalité mis en place655. » Ce procédé

fut exploité aussi lors de notre création intermédiatique finale.

En second lieu : « en ce qui a trait à la mise en place de plusieurs images

différentes sur scène [...], l’œil possède la capacité de discriminer et de choisir

chacun des messages visuels tandis qu’il est impossible de multiplier d’autant

de voies les messages sonores, car cela produirait une cacophonie (à moins d’un

effet voulu)656. » Afin de marquer l’excès sonore de la ville, cette dissonance

agressante fut désirée à quelques reprises dans Le temps n’est pas pour toujours.

La langue, comme système de signes, vocaux et graphiques, porteurs de

signification et à la fonction communicative, détint une mission capitale au sein

de notre processus créatif. Afin de répondre aux caractéristiques de la création

intermédiatique, laquelle tient un rôle de médiation entre l’espace urbain et les

individus de la ville, notre approche de la langue fut ordonnée. D’abord, nous

n’avons pas toujours traduit tels quels les textes de création. Sans peur d’en

détruire le sens ou de perdre une partie de leur signification, nous avons essayé

de les améliorer. Il nous parut préférable d’enrichir chacune de leurs phrases de

sorte qu’elles puissent se compléter et porter plus de sens. Dans

l’essai Surtitrage : texte projeté, texte-image de Sophie Grandjean et Isabelle

Schwartz-Gastine, tiré de La scène et les images, on lit qu’Ariane Mnouchkine

655 Op. cit., p. 119.

656 Ibid.

Page 341: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

329

donna à une collaboratrice, pour une pièce en Russie, la consigne « d’observer

les moments où les spectateurs riaient afin de faire rire les spectateurs russes

aux mêmes endroits657 ». Cela la contraignait à adapter la pièce plutôt que la

traduire.

Ensuite, nous avons favorisé le dialogue interactif (simultané ou séquentiel)

entre les diverses langues intégrées en leur permettant de se répondre,

s’additionner et se complémenter. Car si, comme relaté par Grandjean et

Schwartz-Gastine, « Piotr Fomenko, aussi bien que Robert Lepage, proposent

dans un même spectacle plusieurs façons de transmette la traduction : par le

surtitrage ou par des répliques émises directement dans la langue d’accueil658 »,

il nous sembla plus approprié d’incorporer de longs passages en langue coréenne

pour la valoriser davantage.

Enfin, nous avons utilisé le surtitrage pluriellement et sporadiquement. Même si

d’après Grandjean et Schwartz-Gastine « Le plaisir d’accéder aux

représentations théâtrales d’autres pays implique de comprendre ce qui se

dit659 », il nous arriva d’omettre volontairement le surtitrage. Strehler en rejetait

d’ailleurs radicalement le principe. Grandjean et Schwartz-Gastine expliquent

ainsi la vision de celui-ci sur le sujet :

657 Op. cit., p. 243.

658 Op. cit., p. 244.

659 Op. cit., p. 231.

Page 342: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

330

Ses mises en scène [...] devaient être acceptées sans aide linguistique. [...] La

fréquentation théâtrale donnait partiellement raison à Strehler, puisqu’un public

fasciné suivait régulièrement ses spectacles : la beauté et l’enchantement de la

mise en scène primaient sur la compréhension précise du texte660.

Il nous arriva aussi de mettre le surtitrage tel quel (notamment, dans Le temps

n’est pas pour toujours, où la version en Hangeul de la prose Étoile filante défila

sur les deux murs), de placer non seulement la traduction de la poésie entendue

conjointement, mais aussi celle-ci directement (par exemple, dans Séoulitude

pour certains dialogues échangés entre Kimchi et Garnotte), ou encore de

présenter à l’écran uniquement l’écriture du texte récité (tel fut le cas de celui

en 4 versions successives servant d’ouverture à Séoulitude).

Bref, si, comme souligné dans l’essai mentionné plus haut, « le surtitrage est une

opération de réduction du texte qui consiste à choisir l’essentiel, tout en prêtant

attention à la poésie de la langue. C’est un travail avant tout littéraire qui relève

de la compétence des traducteurs et qui doit si possible, s’effectuer en

conjonction avec les acteurs661 », son achèvement s’accomplit sciemment vu

notre multiple fonction d’acteur, d’auteur, de metteur en scène et de traducteur.

Le surtitrage fit intégralement partie du spectacle. Il ne fut pas vécu comme une

nécessité pénalisante et généra plus de sens.

Également en lien avec notre esthétique écranique et intermédiatique, il convient

660 Op. cit., p. 238.

661 Op. cit., p. 243.

Page 343: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

331

de reconnaître quelques similarités avec celle de Brecht. Particulièrement,

comme il l’explique dans ses écrits sur son théâtre épique et sa technique

appelée l’effet d’aliénation, quand on laisse tomber l’idée du quatrième mur

coupant le public de la scène pour que l’acteur s’adresse directement au public662,

ou encore, lorsque l’acteur conserve une attitude de détachement, ne se permet

pas de devenir complètement transformé en personnage qu’il dépeint et dit des

instructions scéniques ainsi que des remarques commentant ses répliques663.

Souvenons-nous de la direction extravagante et absurde adoptée par notre clown

Garnotte dans Séoulitude et notre directeur de cirque dans Communication V.

D’une part, le premier ne se transforme jamais totalement en personnage,

puisque d’emblée il se proclame littéralement « Clown, anti-clown ou Alain ».

D’autre part, les deux parlent franchement aux spectateurs (notre clown

répétitivement dans la première scène, devant la statue de Yi Sun-sin, devant

ses nouilles et au Nano, et notre directeur de cirque constamment) tout en les

prenant pour témoins et complices.

Rappelons-nous aussi de notre approche générale de la pratique performative

dans Le temps n’est pas pour toujours et l’ensemble de notre série These Things

Happen. Dans le premier, entre autres, Alain, accroupi dans le public, commente

son propre enregistrement du Semiconductor. De plus, il se confie à ses

662 Op. cit., p. 136.

663 Op. cit., p. 137-138.

Page 344: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

332

spectateurs en les interpellant, avant de mettre en doute son hypothèse sur le

temps, le titre de sa création et les raisons de sa présence à cet endroit. Dans le

second, le public fait habituellement partie de l’œuvre et peut interagir avec les

acteurs, développant ainsi son sens d’analyse et exerçant son jugement sur les

circonstances de la production.

À l’image de l’effet d’aliénation de Brecht, procédé visant à faire adopter au

spectateur un comportement critique dans son approche de l’incident664, ces

derniers exemples encouragent le spectateur à percevoir une distance entre

l’acteur et l’événement dramatique. Et puisque Brecht soutient aussi que la

prose peut être aliénée par la traduction dans le dialecte maternel de l’acteur665,

nous pourrions y ajouter notre soldat américain du film Angry Painter s’exprimant

avec une aisance désarmante en québécois.

Le montage aléatoire d’enregistrements vocaux et de photos (en l’occurrence,

les « Chus fatiguée, chus fatiguée » de Nhã Tiên et les quarante photos de

L’Homme Martelant), effectué pour notre spectacle principal, se montra

pertinent comme technique de conception reliée au hasard. Semblablement à

celle de Cunningham et Cage pour lesquels, comme noté par Torgue, « le hasard

intervenait comme un élément de création666 ». Cependant, si selon Torgue on

664 Op. cit., p. 58.

665 Op. cit., p. 139.

666 Op. cit., p. 27.

Page 345: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

333

peut être rapidement « déçus du manque de talent du hasard, rarement capable

du meilleur, se cantonnant souvent à un agencement d’éléments par trop

formels667 », celui-ci ne fut pas seulement une méthode de découverte, mais un

véritable moyen de représentation pour nous.

Il importe de considérer notre cheminement en Asie sous son aspect humain et

personnel aussi. Car, comme vu dans notre introduction avec le discours de

Laflamme glorifiant l’assimilation d’une culture différente (dans le cas présent,

la philosophie orientale) pour le chercheur-créateur, un processus d’adaptation

au nouvel environnement fut nécessaire. Celui-ci provoqua une solitude et

influença nos choix de thèmes (surtout ceux de l’identité et de la vitesse) ainsi

que nos mises en espace en milieu urbain. Sur cette retraite, Heinich écrit :

La solitude de l’artiste deviendra l’un des lieux communs les plus répandus,

selon le nouveau paradigme auquel Van Gogh donna sa forme la plus pure dans

l’imaginaire de notre siècle. Mais cette solitude est aussi une réalité : ne serait-

ce que parce que le créateur désormais est, physiquement, seul dans son espace

de travail; et parce que l’absence de commandes précises, de thèmes ou de

motifs imposés de l’extérieur, rend souvent difficile la communication ou le

partage de ce qui se projette ou s’élabore dans l’atelier668.

Signalons la présence remarquable et le rôle précieux de Kyunghwan. Notre

relation amicale aux allures fraternelles, entamée déjà de l’automne 2008 à l’été

2010 lorsque nous participions à rendre son passage en Europe francophone

667 Ibid.

668 Op. cit., p. 102

Page 346: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

334

(plus précisément à Bruxelles et à Paris, où nous étudions ensemble) meilleur

aux niveaux culturel et social, fut sensationnelle tout au long de notre séjour. Si

on se réfère à Rilke, « celui qui s’efforce de vous réconforter, ne croyez pas, sous

ses mots simples et calmes qui parfois vous apaisent, qu’il vit lui-même sans

difficulté. Sa vie n’est pas exempte de peines et de tristesses, qui le laissent bien

en deçà d’elles. S’il en eût été autrement, il n’aurait pas pu trouver ces mots-

là669. »

Ces circonstances s’appliquent à notre récit auquel prit part Kyunghwan, qui

nous offrit notre casquette à la mention étranger, exploitée dans le cadre de deux

laboratoires (Hard to be Humble et Séoulitude en 2012) et portée à des fins

humoristiques lors de plusieurs soirées ou réunions d’affaires. Vu les

divergences culturelles, nous présumons toutefois que ce type d’humour, ayant

toujours bien fonctionné avec tout le monde et partout en Corée du Sud, n’aurait

aucune pertinence en Amérique ou en Europe.

Étranger, nous l’étions. Et la vie d’expatrié génère fréquemment ennui, nostalgie,

mal du pays, stress, fatigue, et parfois même désir de partir ou intolérance. Afin

d’éviter cet épuisement, l’article Six Tips for Avoiding Expat Burnout, de Gabrielle

Byko, expose quelques moyens tels que : trouver la source du problème, sortir

de notre ville, explorer la ville où nous vivons et s’entourer de positivité670. L’exil

669 Op. cit., p. 101.

670 Gabrielle Byko, Six Tips for Avoiding Expat Burnout, May 2014, <http://www.internations.org/

Page 347: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

335

qu’occasionna cette recherche-création ne nous fut pourtant pas tant

malheureux ou accablant. Apprendre la langue, découvrir et vivre la culture,

rencontrer beaucoup d’amis et collaborateurs, visiter de multiples musées,

assister à bon nombre de spectacles et voyager autant à travers le pays

qu’ailleurs en Asie furent très bénéfiques à notre parcours.

Notamment, comme exposé dans notre processus d’écriture et ses traces, le

Centre artistique Paik Nam June à Yongin, le Musée de l’Université pour femmes

Ewha à Séoul, le Centre d’arts de Séoul, le Musée national des sciences de

Gwacheon, le Musée des tramways à traction par câble à San Francisco, le parc

d’Imjingak en bordure de la DMZ, le Musée national du Hangeul à Séoul,

l’exposition Samsung d’light dans Samsung Town, l’installation Living World

Series-Gentlemen à Taipei, ainsi que le Musée de la guerre et le Palais de la

réunification à HCMV, alimentèrent nos réflexions et fournirent de l’excellent

matériel tant d’inspiration que directement utilisable pour Le temps n’est pas

pour toujours.

Quant aux villes visitées et pareillement inscrites dans notre processus scriptural

et ses traces, qu’elles se trouvent en Corée du Sud (Séoul, Yeosu, Cheongsan,

Busan), au Canada (Québec, Montréal, Ottawa), au Vietnam (HCMV, Mui Ne,

Vung Tau), aux États-Unis (Chicago, San Francisco), au Japon (Tokyo), en

magazine/six-tips-for-avoiding-expat-burnout-17154>.

Page 348: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

336

République de Singapour (Singapour), en Thaïlande (Bangkok), en Malaisie

(Kuala Lumpur, Grottes de Batu), au Cambodge (Siem Reap, Phnom Penh), ou à

Taïwan (Taipei), plusieurs d’entre elles contribuèrent à la création de textes et

dialogues primordiaux ainsi qu’à la prise d’images et de sons fondamentaux pour

notre création intermédiatique finale. Nous pourrions ajouter à ces endroits Hong

Kong, où fut tournée la courte vidéo ludique In the B in Hong Kong 671 en

novembre 2011.

Afin de terminer notre aventure des points de vue filmique et performatif, nous

sommes retourné à Séoul en juillet 2017. Avec Namjo, nous y avons effectué le

montage de la captation de notre création Le temps n’est pas pour toujours.

Celui-ci alterne les deux angles de vue filmés : celui du toit (à la vision

d’ensemble), et celui devant le lit (directement sur scène).

Lors de ce même passage, nous avons au surplus réalisé avec Kyunghwan une

bande démo672 (aussi dite showreel ou portefeuille de compétences) servant

d’outil de reconnaissance de nos acquis expérientiels. Ces connaissances et

compétences furent choisies parmi celles obtenues durant notre période

doctorale seulement. En voici la liste, dans son ordre d’apparition : Video

Concerto No. 2 (séance de photos au studio, test de mapping en studio, marche

avec prise de photos en extérieur, spectacle), novembre 2011; Séoulitude (film),

671 Annexe 62 (vidéo de la production).

672 Annexe 63 (vidéo de notre portfolio).

Page 349: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

337

octobre 2012; Angry Painter (entraînement, répétition, film), août et septembre

2013; Hard to be Humble (vidéo-clip), mai 2012; Rough Cut Nights (spectacle),

mars 2014; You’re the answer (tests dans le parc, la librairie et la rue, clip Ce soir

je dors tôt), juillet 2011; Miser (vidéo-clip), mai 2013; In the B in Hong Kong

(vidéo), novembre 2011; Festival international de jazz de Jarasum (publicité),

septembre 2011; Soul Live (message de bienvenue), janvier 2012; You Are

Beautiful (happening), juillet 2012; Sound of Sound of Sound (happening), avril

2013; Video Concerto No. 3, Tom and Jerry Night (spectacle), juin 2012; It’s not

a cinema #1, Lee Han Chul On Ruf (spectacle), juillet 2011; et Turned off the TV

(making-of, vidéo-clip), août 2011. Quant à la musique, nous avons sélectionné

deux morceaux : Move Your Feet, de Junior Senior; ainsi que Don’t Close Your

Eyes, tiré du film Angry Painter et interprété par la chanteuse Park Misun (박미

선).

Dans le prolongement de cette recherche-création, il serait intéressant de suivre

l’évolution des particularités propres à la création intermédiatique en milieu

urbain, ainsi que comment nous poursuivrons notre contribution à l’élaboration

de celle-ci, à l’ère du numérique.

Page 350: Le temps n'est pas pour toujours : L'espace urbain comme

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