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72 | La Lettre du Pneumologue Vol. XVI - n° 2 - mars-avril 2013 ONCO-PNEUMOLOGIE Le vaccin de la rougeole pour traiter le mésothéliome ? Measles virus vaccine to cure mesothelioma? M. Grégoire*, N. Boisgerault*, J.B. Guillerme*, J.F. Fonteneau* L e mésothéliome pleural malin (MPM), ou cancer primitif de la plèvre, est un cancer très agressif au pronostic globalement défavorable. Son facteur étiologique principal est une exposition antérieure à l’amiante. Dans la majorité des cas, son diagnostic est posé à un stade avancé de la maladie. La médiane de survie des patients est généralement inférieure à 1 an, avec une survie globale à 5 ans infé- rieure à 5 %. On recense entre 800 et 1 000 cas de MPM par an en France, avec une incidence d’environ 16 cas par million d’habitants et par an (1). Une latence longue (30 à 40 ans) entre l’exposition à l’amiante et l’apparition de la maladie est caracté- ristique de ce cancer et laisse prévoir en France un pic d’incidence du MPM vers les années 2020 (2). Les moyens thérapeutiques du MPM sont encore limités (3, 4). Une chimiothérapie de première ligne (cisplatine-pémétrexed) ne permet qu’une augmen- tation d’environ 3 mois de la survie médiane (5). La radiothérapie, la chirurgie ou les traitements multi- modaux ne sont pas validés à ce jour dans le MPM, c’est pourquoi de nouveaux schémas thérapeutiques, telle l’immunothérapie, seule ou combinée aux traitements usuels, sont à explorer (6). Ainsi, des stratégies visant à stimuler le système immunitaire dans le but d’induire un rejet de la tumeur semblent représenter une alternative ou un complément théra- peutique favorable. Chimiothérapie et activation de la réponse immunitaire Plusieurs études de thérapie des cancers sont actuellement développées, fondées sur une notion nouvelle de l’implication de la réponse immunitaire après un traitement par chimiothérapie et/ou radio- thérapie (7). Ainsi, certains agents de chimiothérapie, en particulier certaines anthracyclines (8), ont été décrits comme induisant une immunoréaction spéci- fique, en plus de l’induction d’une mort cellulaire, généralement par apoptose. Cette immunoréac- tion anticancéreuse présente alors un intérêt tout particulier pour l’élimination de cellules tumorales résiduelles (résistantes à la chimiothérapie) ou pour maintenir en état de dormance des micrométastases éventuelles. Cette activation de la réponse immuni- taire est liée à l’implication de cellules présentatrices d’antigènes, en l’occurrence les cellules dendritiques (DC), dont le rôle est d’activer une réponse immu- nitaire dirigée contre les cellules cancéreuses. En effet, ces DC ont pour particularité de présenter les antigènes associés aux tumeurs, de manière à activer une réponse antitumorale spécifique (lymphocytes T cytotoxiques CD8+). Ces antigènes tumoraux sont apportés par les cellules cancéreuses elles-mêmes, mortes par nécrose ou apoptose, faisant suite aux différents traitements par certaines chimiothérapies ou par une radiothérapie (9). Toutefois, cette acquisition d’antigènes tumoraux par les DC ne serait pas suffisante pour activer les réponses lymphocytaires. Les cellules cancéreuses doivent, en plus, libérer des signaux de danger (Damage-Associated Molecular Patterns [DAMP]) lors de leur mort cellulaire (figure 1), signaux qui vont activer les DC. Plusieurs DAMP ont été iden- tifiés, comme le High-Mobility Group protein B-1 (HMGB1), l’interleukine 1β (IL-1β), les protéines de choc thermique HSP70 et gp96, mais aussi la calréti- culine exprimée à la surface des cellules en apoptose. A contrario, une apoptose des cellules tumorales sans production de DAMP conduit plutôt les DC à induire des phénomènes de tolérance à l’antigène. Il semble donc intéressant de développer des trai- tements qui favorisent une mort immunogène des cellules cancéreuses caractérisée par la libération * Inserm, unité 892, Nantes ; CNRS, 6299, Nantes ; université de Nantes.

Le vaccin de la rougeole pour traiter le mésothéliome · 74 | La Lettre du Pneumologue •Vol. XVI - n°2 - mars-avril 2013 ONCO-PNEUMOLOGIE Le vaccin de la rougeole pour traiter

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72 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 2 - mars-avril 2013

ONCO-PNEUMOLOGIE

Le vaccin de la rougeole pour traiter le mésothéliome ?Measles virus vaccine to cure mesothelioma?

M. Grégoire*, N. Boisgerault*, J.B. Guillerme*, J.F. Fonteneau*

Le mésothéliome pleural malin (MPM), ou cancer primitif de la plèvre, est un cancer très agressif au pronostic globalement défavorable.

Son facteur étiologique principal est une exposition antérieure à l’amiante. Dans la majorité des cas, son diagnostic est posé à un stade avancé de la maladie. La médiane de survie des patients est généralement inférieure à 1 an, avec une survie globale à 5 ans infé-rieure à 5 %. On recense entre 800 et 1 000 cas de MPM par an en France, avec une incidence d’environ 16 cas par million d’habitants et par an (1). Une latence longue (30 à 40 ans) entre l’exposition à l’amiante et l’apparition de la maladie est caracté-ristique de ce cancer et laisse prévoir en France un pic d’incidence du MPM vers les années 2020 (2).Les moyens thérapeutiques du MPM sont encore limités (3, 4). Une chimiothérapie de première ligne (cisplatine-pémétrexed) ne permet qu’une augmen-tation d’environ 3 mois de la survie médiane (5). La radiothérapie, la chirurgie ou les traitements multi-modaux ne sont pas validés à ce jour dans le MPM, c’est pourquoi de nouveaux schémas thérapeutiques, telle l’immunothérapie, seule ou combinée aux traitements usuels, sont à explorer (6). Ainsi, des stratégies visant à stimuler le système immunitaire dans le but d’induire un rejet de la tumeur semblent représenter une alternative ou un complément théra-peutique favorable.

Chimiothérapie et activation de la réponse immunitairePlusieurs études de thérapie des cancers sont actuellement développées, fondées sur une notion nouvelle de l’implication de la réponse immunitaire après un traitement par chimiothérapie et/ou radio-thérapie (7). Ainsi, certains agents de chimiothérapie,

en particulier certaines anthracyclines (8), ont été décrits comme induisant une immunoréaction spéci-fique, en plus de l’induction d’une mort cellulaire, généralement par apoptose. Cette immunoréac-tion anticancéreuse présente alors un intérêt tout particulier pour l’élimination de cellules tumorales résiduelles (résistantes à la chimiothérapie) ou pour maintenir en état de dormance des micrométastases éventuelles. Cette activation de la réponse immuni-taire est liée à l’implication de cellules présentatrices d’antigènes, en l’occurrence les cellules dendritiques (DC), dont le rôle est d’activer une réponse immu-nitaire dirigée contre les cellules cancéreuses. En effet, ces DC ont pour particularité de présenter les antigènes associés aux tumeurs, de manière à activer une réponse antitumorale spécifique (lymphocytes T cytotoxiques CD8+). Ces antigènes tumoraux sont apportés par les cellules cancéreuses elles-mêmes, mortes par nécrose ou apoptose, faisant suite aux différents traitements par certaines chimiothérapies ou par une radiothérapie (9). Toutefois, cette acquisition d’antigènes tumoraux par les DC ne serait pas suffisante pour activer les réponses lymphocytaires. Les cellules cancéreuses doivent, en plus, libérer des signaux de danger (Damage-Associated Molecular Patterns [DAMP]) lors de leur mort cellulaire (figure 1), signaux qui vont activer les DC. Plusieurs DAMP ont été iden-tifiés, comme le High-Mobility Group protein B-1 (HMGB1), l’interleukine 1β (IL-1β), les protéines de choc thermique HSP70 et gp96, mais aussi la calréti-culine exprimée à la surface des cellules en apoptose. A contrario, une apoptose des cellules tumorales sans production de DAMP conduit plutôt les DC à induire des phénomènes de tolérance à l’antigène. Il semble donc intéressant de développer des trai-tements qui favorisent une mort immunogène des cellules cancéreuses caractérisée par la libération

* Inserm, unité 892, Nantes ; CNRS, 6299, Nantes ; université de Nantes.

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Points forts

de ces DAMP. Une autre catégorie de signaux molé-culaires capables d’activer les fonctions de présen-tation d’antigènes des DC est également connue : les signaux moléculaires associés aux pathogènes (Pathogen Associated Molecular Patterns [PAMP]) [10]. En effet, lors d’une infection par des bactéries, des virus ou des parasites, les PAMP qui accom-pagnent l’infection activent particulièrement les DC, par l’intermédiaire de récepteurs spécifi ques, notamment les Toll-Like Receptors (TLR). Différentes molécules de danger, d’origine exogène, peuvent ainsi être produites et/ou libérées pendant l’infection et après la mort des cellules tumorales infectées. Ce contexte immunogène, associé à la libération ou à la présentation d’antigènes tumoraux, participe-rait alors à la promotion de la réponse immunitaire spécifi que.

Mésothéliomeet immunothérapieBien que le MPM ne soit pas reconnu comme un cancer “immunogène”, comme peut l’être par exemple le mélanome, plusieurs travaux rapportent des réponses immunitaires humorales et cellulaires associées au mésothéliome. Ainsi, des preuves existent de la mise en place d’une réponse immu-nitaire dirigée contre le MPM, puisqu’une réponse par expression d’anticorps a été mise en évidence chez certains patients (11), dont le pronostic a semblé plutôt favorable. De même, une corrélation entre un pronostic favorable du MPM et une infi ltration lymphocytaire importante de la tumeur a été établie et un cas de régression spontanée associée à une infi ltration par des lymphocytes a été décrit (12).

» La virothérapie antitumorale propose une approche thérapeutique prometteuse puisqu’elle permet de cibler les cellules tumorales sans atteindre les cellules saines et d’induire une activation du système immunitaire qui pourrait compléter son efficacité cytotoxique.

» Le vaccin contre la rougeole, utilisé depuis plus de 60 ans sans avoir montré d’effets délétères ni de modifications génomiques, se prête principalement aux tumeurs localisées, comme peuvent l’être les cancers de l’ovaire ou le mésothéliome.

» Les stratégies sont immédiatement applicables pour le mésothéliome pleural malin, et un essai vient d’être engagé à la Mayo Clinic.

» Le mésothéliome reste généralement limité à la cavité pleurale (et/ou péritonéale), ce qui en fait, comme le cancer de l’ovaire, une cible thérapeutique parfaitement adaptée à ce type d’approche par virothérapie.

Mots-clésVirothérapieMésothéliomeVaccin contre la rougeoleThérapie ciblée

Highlights » Th e m e a s l e s va c c i n e

propose promising thera-peutic approaches because of the specifi c cytotoxicity to tumor cells without reaching the healthy ones, and the acti-vation of the immune system, which could complete its effi -ciency.

» The measles vaccine, used for more than 60 years without having shown neither toxic effects nor genomic modifi ca-tions, is ideal for intracavity vaccines to reach localized tumor cells, as the ovarian cancer or the mesothelioma.

» The strategies are immedi-ately applicable, as demon-strated by the clinical trials engaged at the Mayo Clinic Institute.

» Mesothelioma remains limited to the pleural (and/or peritoneal) cavity that makes it, as the ovarian cancer, a thera-peutic target well adapted to measles virotherapy.

KeywordsVirotherapy

Mesothelioma

Measles vaccine

Targeted therapy

Figure 1. Libéra-tion des signaux de danger endogènes (DAMP) lors de la mort cellulaire. Les DAMP poten-tiels sont retenus à l’intérieur des cellules vivantes et des corps apop-totiques. Lors de la nécrose ou d’autres t y p e s d e m o r t cellulaire impli-quant une perte de l’intégrité membra-naire, ces facteurs sont libérés dans l’environnement et interviennent alors dans l’activa-tion des cellules de l’immunité innée. En cas d’apoptose à caractère immu-nogène, certains de ces DAMP seraient ainsi libérés dans le milieu extra-c e l l u l a i r e e t p e r m e t t r a i e n t l’activation de la réponse immuni-taire.

Cellule vivante

Apoptose

Rétentiondes DAMP

IgnoranceRéponse tolérogène

Activationdes cellules

immunitaites

Libérationdes DAMP

Signaux de danger intracellulaires

Mort cellulaire

Apoptoseimmunogène

Nécrose

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ONCO-PNEUMOLOGIELe vaccin de la rougeole pour traiter le mésothéliome ?

C’est pourquoi, suite à nos travaux réalisés in vitro, une stratégie thérapeutique avait été proposée dès le début des années 2000, afin de traiter le MPM par une vaccination fondée sur l’injection de DC auto-logues activées et chargées en cellules cancéreuses mortes par apoptose, et exprimant les signaux de danger (13). Cette immunothérapie antitumorale associée à un traitement par chimiothérapie déve-loppée pour le mésothéliome a donné des résultats encourageants dans une étude clinique de phase I, réalisée par une équipe hollandaise (14). Une suite à cette première étude est actuellement proposée par l’équipe de Joachim Aerts à Rotterdam (voir www.clinicaltrials.gov avec mots-clés : mesothelioma et dendritic, étude NCT 00280982). Les résultats cliniques renforcent l’intérêt de mettre en place des stratégies impliquant une chimiothérapie associée à la vaccination. Ainsi, les nouvelles stratégies fondées sur les modalités d’induction particulière de mort immu-nogène des cellules tumorales deviennent une réelle opportunité dans le traitement de cancers résistants aux thérapies usuelles, comme l’est le mésothéliome (15).

La virothérapie antitumorale

La virothérapie antitumorale apparaît depuis peu comme une alternative crédible aux thérapies conventionnelles. Des observations datant des années 1950 avaient pourtant déjà montré que certains virus présentaient des propriétés onco-lytiques, c’est-à-dire une capacité à détruire les cellules tumorales de façon spécifique. Mais c’est à

la suite de l’amélioration des connaissances sur la biologie des virus et des progrès majeurs concernant la production des vecteurs viraux pour la thérapie génique que l’utilisation de virus en thérapie anti-tumorale a pu être envisagée sérieusement (16). L’utilisation de virus réplicatifs comme traitement antitumoral repose sur l’observation que certains virus infectent et tuent par apoptose de façon plus spécifique les cellules tumorales. À l’inverse, les cellules normales non transformées demeurent, elles, peu sensibles, voire totalement résistantes à l’infection par ces “virus oncolytiques”. Ces virus exploitent en fait des aberrations cellulaires appa-raissant lors de la transformation tumorale. Les virus oncolytiques sont soit des virus présentant une capacité naturelle à se répliquer préférentiel-lement dans les cellules tumorales parce qu’ils ont été adaptés à la culture sur ce type de cellules, soit des virus modifiés génétiquement pour disposer de cette propriété. De nombreux virus présentent des propriétés onco-lytiques (16). Très souvent, ces virus sont capables de cibler plus spécifiquement les cellules tumorales de façon naturelle, c’est-à-dire sans nécessiter de modifications complexes. L’activité oncolytique du Newcastle Disease Virus (NDV) a été démon-trée contre plusieurs types de tumeurs humaines (tableau). Le Vesicular Stomatitis Virus (VSV) est un virus enveloppé à ARN, largement étudié pour son potentiel oncolytique contre différents types de tumeurs. L’activité oncolytique des réovirus, virus à ARN double brin segmenté, a été démontrée contre de nombreux types de cancers, dont les cancers du sein, les lymphomes et les cancers ovariens ou colorectaux. D’autres virus à ARN présentent un potentiel oncolytique intéressant. C’est par exemple le cas de souches atténuées du virus des oreillons, de certains poliovirus ou du virus de la rougeole dont les propriétés antitumorales spécifiques semblent comparables à celles des autres virus à ARN décrits ci-dessus.

Le vaccin contre la rougeole, une réelle opportunité dans la virothérapie antitumoraleLe virus de la rougeole (Measles Virus [MV]) est un virus enveloppé de la famille des Paramyxovirus, genre Morbillivirus. Son génome est constitué d’un ARN simple brin négatif non segmenté contenu dans une capside de forme hélicoïdale. L’isolation de la souche Edmonston en 1954 a permis de dériver 2 souches

Tableau. Exemples de vaccins viraux utilisés en traitements antitumoraux.

Virus Principaux cancers ciblés Références

ADN

Adénovirus Tumeurs solides Pesonen et al., Mol Pharm 2011;8(1):12-28

Herpès (HSV) Gioblastome, mélanome, hépatocarcinome

Campadelli-Fiume et al. Rev Med Virol 2011;21(4):213-26

Vaccine Tumeurs solides Guse et al. Expert Opin Biol Ther 2011;11(5):595-608

ARN

Rougeole Myélome multiple, carcinome ovarien, mésothéliome

Galanis. Clin Pharmacol Ther 2010;88(5):620-5

Vesicular Stomatitis Virus (VSV)

Hépatocarcinome, mélanome Barber. Oncogene 2005;24(52):7710-9

Réovirus Gliome, cancer ORL, autres tumeurs solides

Kelly et al. Expert Opin Biol Ther 2009;9(7):817-30

Newcastle Disease Virus (NDV)

Cancers métastatiques, gliobastome

Lechet et al. Expert Rev Vaccines 2010;9(11):1275-302

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atténuées du MV : Edmonston A et Edmonston B. Par la suite, d’autres souches plus atténuées ont pu être dérivées de ces virus, dont la souche Schwarz/Moraten. La souche Schwarz présente de nombreux avantages qui justifient son usage dans le cadre de la vaccination de jeunes enfants. Elle induit notamment des réponses immunitaires cellulaires et humorales à long terme et présente une stabilité génétique importante, puisqu’aucune réversion vers une forme pathogène n’a jamais été observée (17). La souche sauvage du MV utilise comme récepteur d’entrée la Signaling Lymphocyte-Activation Mole-cule (SLAM), aussi appelée CD150. CD150/SLAM est exprimée par les thymocytes immatures, mais principalement par certaines cellules immunitaires activées telles que les DC, les monocytes/macro-phages et certaines populations de lymphocytes T et B. La souche sauvage du MV présente un tropisme particulier pour ces cellules dans lesquelles il proli-fère activement. Ces cellules seraient par ailleurs impliquées dans la propagation du virus dans l’organisme. Les souches atténuées de Schwarz, dérivées de la souche Edmonston, utilisent quant à elles 2 récepteurs d’entrée distincts et présentent donc un tropisme différent de la souche sauvage. Ces souches ont faiblement conservé la capacité de cibler la molécule CD150/SLAM ; elles sont surtout capables d’utiliser la molécule CD46 comme récep-teur principal d’entrée dans les cellules. C’est cette propriété particulière qui pourrait être exploitée en virothérapie antitumorale.La molécule CD46 est connue pour protéger les cellules des attaques par le complément en parti-cipant à l’inactivation des composants C3b et C4b grâce à ses 4 domaines CCP (Complement Control Protein repeat). Dans de nombreux types de cancer, et notamment le MPM, on observe une surex-pression du CD46 à la surface des cellules cancé-reuses, probablement due à la pression de sélection qu’exercent les attaques par le complément du patient. La sur expression de CD46 par certaines cellules tumorales les rend plus susceptibles à l’infection par les souches vaccinales atténuées du vaccin rougeole que les cellules saines. Ainsi, de nombreuses études précliniques ont montré que les souches atténuées du MV capables de cibler CD46 présentent effectivement une forte spécificité envers une grande variété de cellules tumorales humaines, alors que les cellules saines issues des mêmes tissus restent, elles, peu ou non sensibles à l’infection. L’activité oncolytique du MV a été démontrée in vitro et dans des modèles de xénogreffe de cellules tumorales humaines

chez des souris immunodéficientes contre des cellules de lymphome, de myélome multiple, de glioblastome multiforme, de carcinomes de l’ovaire et du sein ou de cancer de la prostate. Notre équipe, en collaboration avec celle du Dr F. Tanguy, de l’Institut Pasteur, Paris, a montré que cette approche pourrait être développée pour le MPM, puisque de nombreuses lignées cellulaires de mésothéliome surexpriment la molécule CD46 et sont donc sensibles à l’infection par la souche Schwarz (travaux en cours). Les cellules mésothé-liales normales de la plèvre ne sont pas sensibles à l’infection par le virus atténué, car elles expriment faiblement la molécule CD46.

Le mésothéliome et la virothérapie antitumorale par le vaccin contre la rougeoleL’influence du système immunitaire sur l’efficacité ou sur l’échec de la virothérapie antitumorale est parfois controversée (16). En effet, l’impact négatif de l’immunité antivirale sur l’activité antitumorale des virus oncolytiques a été noté dans plusieurs études. Les anticorps ou les cellules phagocytaires, principalement les macrophages, sont notamment capables d’inhiber de façon importante à la fois la propagation de ces virus dans l’organisme mais aussi leurs capacités à infecter les cellules tumo-rales. À l’inverse, de nombreux travaux, dont les nôtres (18), ont montré que le système immunitaire pouvait aussi agir en synergie avec les virus oncoly-tiques, les effets antitumoraux étant plus importants sur les animaux immunocompétents (19).Les travaux actuels visent donc à définir l’impact réel du système immunitaire sur l’efficacité de la virothérapie antitumorale afin d’améliorer son développement en tant que stratégie thérapeutique alternative. Différents mécanismes de l’immunité participent à l’inhibition de l’activité des virus onco-lytiques, notamment dans les cas où ces virus sont injectés de façon systémique in vivo (figure 2, p. 76). C’est pourquoi le traitement du mésothéliome par le vaccin contre la rougeole présente un intérêt certain. En effet, la cavité pleurale, lieu de développement de la tumeur au niveau de la plèvre et de l’accumulation des cellules cancéreuses dans le liquide pleural, peut être un lieu d’injection du vaccin. À ce niveau, les cellules cancéreuses sont en contact direct avec le virus atténué, ce dernier serait donc partiellement et temporairement protégé des anticorps neutralisants ou de la réponse immunitaire antivirale.

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ONCO-PNEUMOLOGIELe vaccin de la rougeole pour traiter le mésothéliome ?

Par ailleurs, l’infection virale des cellules tumorales pourrait modifier favorablement le microenvironne-ment tumoral (ici, la cavité pleurale) et, ainsi favo-riser l’induction d’une réponse immunitaire dirigée contre les antigènes tumoraux. En effet, notre équipe a montré que l’infection des cellules tumorales de MPM provoquait une apoptose immunogène (18). L’infection virale et l’induction de la mort cellulaire sont également associées à la libération de DAMP et de PAMP. Des travaux sur les virus influenza, le virus de l’immunodéficience humaine 1 ou les adénovirus (ADV) ont, par exemple, montré que ces virus provo-quaient la libération de la molécule HMGB1 par les cellules infectées. Dans le cadre des virus oncoly-tiques, quelques études ont par ailleurs démontré que l’infection spécifique de cellules tumorales induisait la libération de HMGB1 et était souvent associée à l’activation d’une réponse immunitaire antitumorale. En effet, différentes molécules de danger (DAMP) sont ainsi produites et/ou libé-rées pendant l’infection virale et après la mort des

cellules tumorales infectées, ce qui active les DC et les lymphocytes T spécifiques d’antigènes asso-ciés à la tumeur (18). Nous venons de caractériser certains de ces DAMP exprimés par les cellules de mésothéliome infectées, par exemple les protéines de choc thermique (HSP70), la calréticuline, HMGB1 et IL-1β (N. Boisgerault et al., travaux en cours). De plus, nous venons d’observer que l’ARN simple brin du virus présent dans les cellules tumorales infectées constitue un PAMP qui va renforcer l’activation d’une population particulière de DC en se liant au TLR 7. Ce TLR 7 est porté par un type bien particulier de DC, les DC plasmacytoïdes (pDC), et sa stimulation conduit à l’activation et à la maturation des pDC (20). Ces pDC sont spécialisées dans les réponses immunitaires antivirales et produisent en réponse aux DAMP viraux de très grandes quantités d’inter-férons de type I (α, β et ω). Chez la souris, l’injection de DAMP ligands de TLR 7 et 8 dans des tumeurs provoquent de fortes réponses immunitaires antitu-morales, ce qui conduit à penser que le recrutement

Figure 2. Neutralisation des virus oncolytiques au sein de l’organisme. L’injection systémique de virus oncolytiques se heurte à l’absorption des parti-cules virales par les cellules hépatiques et à leur neutralisation dans la circulation sanguine par le complément, la phagocytose et les anticorps (en cas de préimmunité due à la vaccination ou à une immunisation préalable). Au sein du microenvironnement tumoral, la propagation des virus est bloquée par les composants de la matrice extracellulaire et la production de cytokines antivirales par les cellules immunitaires infiltrées (révisé d’après Parato KA, Senger D, Forsyth PA, Bell JC. Nat Rev Cancer 2005;5(12):965-76).

Injection systémique

Absorption par le foie

Circulation Microenvironnement tumoral

Anticorps neutralisantsLeucocytes infiltrés

Pression interstitielle

Complément

Internalisation

Matrice extracellulaire

Cytokines

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des pDC dans cette réponse serait essentiel pour obtenir une réaction optimale (21). À partir de l’ensemble de ces résultats, un essai clinique de phase I mené chez 21 patientes subis-sant une récidive de carcinome ovarien a été réalisé par l’équipe du Dr Stephen Russell et de sa colla-boratrice, le Dr Evnathia Galanis (Mayo Clinic Hospital, Rochester, États-Unis). Après injection intrapéritonéale du virus, aucun effet indésirable majeur n’a été observé : pas de toxicité à la dose maximale d’injection, pas d’immunosuppression liée au traitement ni de production d’anticorps dirigés contre le virus et pas de présence de virus dans la

salive ou les urines. Une stabilisation de la maladie a été mise en évidence chez 14 des 21 patientes, avec un allongement de la médiane de survie de 6 à 12 mois. Les résultats des études précliniques sur les différents types de cancers et ceux obtenus dans le cadre de l’essai clinique sur le cancer de l’ovaire font ainsi apparaître l’utilisation des MV oncoly-tiques comme une alternative crédible aux stratégies antitumorales conventionnelles pour le traitement du mésothéliome (22). Une étude clinique est main-tenant proposée pour ce cancer (23). Elle ouvre la perspective d’une utilisation des MV oncolytiques dans d’autres types de cancer, dont le MPM. ■

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Références bibliographiques