Leçon 5 : Construction juridique et politique de l’Etat au ... · 2 UNJF - Tous droits réservés 1. L’institution royale L’affaiblissement progressif du pouvoir royal au Xe

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Introduction historique au droitLeccedilon 5 Construction juridique et politique de lrsquoEtat au Moyen Acircge

Florent GARNIER

Table des matiegraveres

1 Lrsquoinstitution royale p 21 1 Fonction royale p 2

1 1 1 La reconnaissance drsquoun roi feacuteodalp 2

1 1 2 Lrsquoaffirmation drsquoun roi souverainp 4

1 2 Digniteacute royalep 8

1 2 1 La Couronne p 8

1 2 2 Le domaine royal p 10

2 Lrsquoadministration du royaumep 112 1 Organiser p 11

2 1 1 Lrsquoeacutevolution de la cour feacuteodalep 11

2 1 2 La formation drsquoorganes du gouvernement monarchique p 12

2 2 Geacutererp 15

2 2 1 Administrer un territoirep 15

2 2 2 Enquecircter et reacuteformerp 16

3 Le gouvernement du royaumep 183 1 Une justice reconquise p 18

3 1 1 Affirmer la justice royale p 18

3 1 2 Organiser les juridictions royalesp 20

3 2 Une capaciteacute normative affirmeacuteep 20

3 2 1 Les fondements du pouvoir normatif p 21

3 2 2 Lrsquoexercice de la capaciteacute eacutedictalep 22

3 3 Une fiscaliteacute en construction p 23

3 3 1 Lrsquoinsuffisance des ressources ordinaires p 23

3 3 2 La justification de lrsquoimpocirct extraordinairep 23


1 Lrsquoinstitution royale

Lrsquoaffaiblissement progressif du pouvoir royal au Xe s favorise lrsquoeacutemergence de principauteacutes territoriales Lespremiers rois capeacutetiens ne controcirclent directement que lrsquoIle de France et lrsquoOrleacuteanais A lrsquointeacuterieur des comteacutes

le pouvoir est de plus en plus accapareacute par de simples possesseurs de chacircteaux A la fin du XIe s lesseigneuries prennent le relais de lrsquoautoriteacute publique deacutefaillante Elles marquent lrsquoappropriation priveacutee de lapuissance publique Lrsquoorganisation seigneuriale ou feacuteodale se deacuteveloppe Elle repose sur les relations feacuteodo-vassaliques

Au cours des siegravecles suivants on assiste de maniegravere plus ou moins rapide agrave lrsquoaffermissement progressifde la monarchie et agrave la construction de lrsquoEacutetat Agrave une premiegravere peacuteriode drsquoessor au XIIIe s succegravedent deuxsiegravecles de difficulteacutes qui contribueront malgreacute tout agrave renforcer la fonction royale et lrsquoinstitution de la royauteacute Ledeacuteveloppement territorial du domaine lrsquoaffirmation du pouvoir royal sur la feacuteodaliteacute la formation de nouvellesinstitutions et lrsquoinfluence des juristes marquent les regravegnes de Philippe Auguste de saint Louis et de Philippele Bel

En savoir plus Geacuteneacutealogie simplifieacutee des Rois Capeacutetiens

1 1 Fonction royale

Du XIIe s au XVe s le roi capeacutetien srsquoaffirme en utilisant les regravegles du droit feacuteodal comme le suzerain ausommet de la pyramide feacuteodale La suzeraineteacute illustre les rapports personnels entre vassaux et seigneursalors que le concept de droit public de souveraineteacute repose sur lrsquoideacutee abstraite drsquoun pouvoir qui srsquoexerce surun territoire

1 1 1 La reconnaissance drsquoun roi feacuteodal

Avec la peacuteriode feacuteodale lrsquoautoriteacute publique srsquoest eacutemietteacutee passant du niveau royal agrave celui des princesterritoriaux puis des seigneurs Des liens personnels entre le seigneur et son vassal sont eacutetablis ils sontgeacuteneacuterateurs de droits et drsquoobligations reacuteciproques

Les relations feacuteodo-vassaliques correspondent agrave laquo un ensemble drsquoinstitutions creacuteant et reacutegissant desobligations drsquoobeacuteissance et de service de la part drsquoun homme libre (vassal) envers un homme libre(seigneur) et des obligations de protection et drsquoentretien de la part du seigneur agrave lrsquoeacutegard du vassal lrsquoobligation drsquoentretien ayant le plus souvent pour effet la concession par le seigneur au vassal drsquounbien dit fief raquo (F-L Ganshof)

RemarqueLrsquoaide financiegravere le service armeacute et le conseil du vassal sont remplis moyennant la concessionparticuliegravere par le seigneur drsquoun fief (en geacuteneacuteral une terre) Le vassal est ainsi investi de preacuterogativesde fonctions publiques Lrsquoexercice de la justice par exemple nrsquoest plus une fonction deacuteleacutegueacutee agrave unagent du roi mais elle est conceacutedeacutee dans le cadre drsquoun contrat de fief Ce systegraveme de relations priveacuteesse deacuteveloppe et il srsquoenrichit du fait de lrsquoheacutereacutediteacute des fiefs


La notion de suzeraineteacute royale se forme agrave partir de rapports doubles dans le cadre de la hieacuterarchie feacuteodaleLe roi va ecirctre reconnu comme laquo grand fieffeux du royaume raquo Il ne tient son royaume de personne laquo le roi netient de nelui fors de Dieu et de soi raquo (Etablissements de saint Louis II 14)En premier lieu le roi est placeacute au sommet de la pyramide feacuteodale juste au-dessus des princes territoriauxCeux-ci doivent alors lrsquohommage au roi (hommage-lige) Le roi va lutter et srsquoimposer en utilisant les regravegles dudroit feacuteodal pour reconqueacuterir lrsquoensemble des droits et pouvoirs attacheacutes agrave la royauteacute Il va ainsi utiliser lrsquoarmede la sanction avec la commise et les regravegles du droit priveacute feacuteodalLa commise est la confiscation du fief par le seigneur Elle est utiliseacutee avec succegraves par le roi agrave partir du deacutebut

du XIIIe s Le plus important conflit se deacuteroule entre Philippe Auguste et Jean sans Terre (1167-1216) le dernierfils drsquoHenri II (1154-1189) et drsquoAlieacutenor drsquoAquitaine (1122-1204)

En savoir plus Le conflit entre Philippe IV le Bel et Jean sans TerreJean sans Terre en conflit avec lrsquoun de ses vassaux en Aquitaine avait enleveacute un chacircteau et la fianceacutee duvassal Le vassal se plaint alors agrave son suzerain le roi de France Celui-ci cite agrave comparaicirctre Jean sans Terre entant que duc drsquoAquitaine Ce dernier refuse Il reacutetorque qursquoeacutetant eacutegalement duc de Normandie il a le privilegravegede rencontrer le roi qursquoagrave la frontiegravere du royaume Le roi le condamne par deacutefaut agrave la commise des fiefs Ilexeacutecute la deacutecision en conqueacuterant la Normandie le Maine et lrsquoAnjou Jean sans Terre suscite une coalitioncontre le roi de France Elle est vaincue agrave Bouvines en 1214 La haute feacuteodaliteacute est ainsi battue par le roi deFrance Jean sans Terre perd alors tous ses fiefs franccedilais

Le roi de France a eacutegalement utiliseacute les regravegles de droit priveacute pour reacuteunir de grands fiefs agrave son domaine(patrimonialiteacute des fiefs et succession mariage donation) Les rois de France ont ainsi consideacuterablement accrule domaine depuis Philippe Auguste jusqursquoagrave lrsquointeacutegration de la derniegravere grande principauteacute avec la Bretagneen 1488


ExempleLa France en 1270 agrave la mort de saint Louis

Leacuteon Mirot Manuel de geacuteographie historique de la France Paris A amp J Picard 1947

Les acquisitions de Philippe III et Philippe IV

La France en 1314 dapregraves Leacuteon Mirot Manuel de geacuteographie historique de la France Paris A etJ Picard 1947 - Source edmapscom - Christian Ionita - Licence libre de documentation GNU

En second lieu srsquoil est reconnu que le roi ne doit lrsquohommage agrave personne il a chercheacute agrave instaurer des liens avecles degreacutes infeacuterieurs de la pyramide feacuteodale pour renverser lrsquoadage laquo le vassal de mon vassal nrsquoest pas monvassal raquo La royauteacute a reacuteussi agrave affermir sa suzeraineteacute sur les arriegraveres vassaux par lrsquoutilisation du droit feacuteodalLorsque lrsquoun de ses vassaux au second degreacute se plaint de son seigneur ndash vassal direct du roi - lrsquoaffaire peutecirctre porteacutee devant le suprecircme suzerain Tel avait eacuteteacute le cas avec la commise des fiefs de Jean sans TerreLe roi va aussi chercher agrave multiplier les vassaux directs lors de la reacuteunion de grands fiefs agrave son domaine pardes fiefs-rentes (le roi srsquoattache directement un chacirctelain moyennant un fief dont lrsquoobjet consiste en une renteannuelle) ou finalement par sa capaciteacute agrave attirer de nouveaux vassaux en raison de son pouvoir

A la fin du XIIIe s sous lrsquoaction des juristes le principe laquo le vassal de mon vassal nrsquoest pas mon vassal raquo estrenverseacute On a drsquoabord admis qursquoun arriegravere-vassal du roi ne puisse pas en cas de guerre entre son seigneuret le roi faire la guerre au roi sans srsquoecirctre assureacute que le monarque fuumlt vraiment dans son tort En 1260 le Livrede Jostice et de Plet affirme que tous les membres de la hieacuterarchie feacuteodale sont soumis agrave lrsquoemprise royaleEn deacutefinitive le roi placeacute au sommet de la pyramide feacuteodale ne peut ecirctre en aucun cas ecirctre atteint par le jeudes rapports priveacutes des membres de cette hieacuterarchie

1 1 2 Lrsquoaffirmation drsquoun roi souverain

La supeacuterioriteacute feacuteodale et plus largement celle qui srsquoapplique agrave tous les habitants du royaume srsquoexprimeeacutegalement par lrsquoautoriteacute du suzerain pour qui laquo tous sont sous la main du roi raquo (Livre de Jostice et de Plet)Elle a eacuteteacute affirmeacutee tant vis-agrave-vis drsquoautres puissances exteacuterieures qursquoagrave lrsquointeacuterieur du royaume


La souveraineteacute royale peut ecirctre deacutefinie comme la laquo supeacuterioriteacute du roi dans le royaume agrave lrsquoencontrede tous et agrave laquelle tous sont soumis elle a le caractegravere drsquoune puissance suprecircme ne se limitantpas au monde des vassaux mais srsquoeacutetendant agrave tous les habitants du royaume raquo (J-Fr Lemarignier)

Lrsquoideacutee de souveraineteacute a eacuteteacute eacutedifieacutee avec les mateacuteriaux fournis par le droit romain redeacutecouverts au XIIe s et ledroit canon Le droit impeacuterial romain preacutecisait les attributs du prince en distinguant lrsquoauctoritas et la potestasLa premiegravere deacutesignait lrsquoautoriteacute politique et juridique suprecircme et lrsquoautre la puissance administrative

Les juristes dans lrsquoentourage du pouvoir royal en France vont affirmer sa souveraineteacute ou encore la laquo pleacutenitudede la puissance raquo royale face agrave lrsquoEmpereur puis agrave la papauteacute Ces leacutegistes contribuent agrave la construction politiqueet juridique de lrsquoindeacutependance du roi de France

J Krynen laquo Genegravese de lrsquoEtat et histoire des ideacutees politiques en France agrave la fin du Moyen Acircge raquo Culture etideacuteologie dans la genegravese de lrsquoEtat moderne Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984) Ecolefranccedilaise de Rome 1985 p 395-412

Dans la lutte drsquoinfluence entre les papes et les empereurs le premier conflit connu est la Querelle desInvestitures Dans son prolongement Marsile de Padoue (v 1275 - v 1342) dans le Defensor pacis de 1324attaque le rocircle politique du pape Jean XXII (1316-1334) Docteur de lrsquouniversiteacute de Paris il prend le partide lrsquoempereur Louis de Baviegravere (v 1286-1347) et appelle des reacuteformes en vue drsquoaccorder aux laiumlcs uneparticipation dans les deacutecisions eccleacutesiastiques Ces ideacutees contribuent agrave distinguer lrsquoEglise et de lrsquoEtat

En savoir plus Querelle des InvestituresConflit entre la papauteacute et le Saint Empire entre 1075 et 1122 agrave propos de la nomination drsquoeacutevecircques et

drsquoabbeacutes Depuis le IXe siegravecle ces eccleacutesiastiques eacutetaient pourvus de fiefs drsquoEmpire et les suzerains lesnommaient Ils confeacuteraient lrsquoinvestiture temporelle mais aussi spirituelle Cela fut combattu par le pape GreacutegoireVII (1073-1085) Un compromis a eacuteteacute trouveacute avec le concordat de Worms (1122) par lequel lrsquoempereur renonceagrave lrsquoinvestiture des fonctions spirituelles

Les juristes impeacuteriaux du Saint Empire revendiquent eacutegalement ces attributs agrave partir drsquoun texte du jurisconsulteromain Ulpien laquo Ce qui a plu au prince agrave la vigueur de la loi raquo (Digeste I 4 1 et Institutes 1 2 6) Ils attribuentlrsquoauctoritas agrave lrsquoempereur alors que la potestas est exerceacutee par les roisLa position impeacuteriale a susciteacute une reacuteaction des rois drsquoAngleterre puis de France Contre la preacutetention delrsquoEmpereur Philippe Auguste avec lrsquoappui du pape impose lrsquoideacutee que laquo le roi de France est empereur en sonroyaume raquo Le pape Innocent III (1198-1216) prend position en sa faveur par la deacutecreacutetale Per venerabilem(1202) affirmant que laquo le roi de France na pas de supeacuterieur au temporel raquo

Utilisant les eacutecrits juridiques romains les juristes au service du roi (leacutegistes) affirment son indeacutependance AinsiGuillaume de Plaisians srsquoexprime en ce sens par la formule laquo Le roi de France est empereur en son royaume raquo

En savoir plus Les leacutegistes

Le leacutegiste deacutesigne celui qui enseigne ou eacutetudie les lois c-agrave-d le droit romain Les historiens du XIXe s telMichelet (1798-1874) dans son Histoire de France (1833-1844) a eacutevoqueacute ces personnages A propos du regravegnede Philippe le Bel il eacutecrit que laquo La France est alors un leacutegiste en cuirasse un procureur bardeacute de fer elleemploie la force feacuteodale agrave faire exeacutecuter les sentences du droit romain et canonique raquo Il deacutenonce ces chevaliersen droit qui sont aussi des serviteurs du pouvoir qui mobilisent le droit romain au profit du roi pour lui fairereconnaicirctre les principes de la souveraineteacute impeacuteriale Ils sont preacutesents au sein du Conseil du roi leur influencesrsquoaccroicirct et les critiques se font jour Avec le regravegne de Philippe le Bel ils jouent un rocircle politique important dansle gouvernement du royaume Charles V avouait qursquoil gouvernait laquo principalement raquo par le conseil des juristesOn peut citer les noms des chanceliers Pierre Flote Pierre de Belleperche Guillaume de Nogaret qursquoils soientoriginaires du Midi ou bien du Nord du royaume Mais ces leacutegistes ne sont pas seulement laquo politiques raquo ilssont eacutegalement des administrateurs Leur action srsquoinscrit dans la formation de lrsquoEtat royal


J Krynen laquo Les leacutegistes lsquoidiots politiquesrsquo sur lrsquohostiliteacute des theacuteologiens agrave lrsquoeacutegard des juristes en France autemps de Charles V raquo Theacuteologie et droit dans la science politique de lrsquoEtat moderne Actes de la table rondede Rome (12-14 novembre 1987) Ecole franccedilaise de Rome 1991 p 171-198

Les papes ont recueilli aussi lrsquoheacuteritage politique et juridique romain en revendiquant lrsquoauctoritas et affirmantqursquoils ont deacuteleacutegueacute la potestas aux princes Contre le pontife les juristes royaux affirment qursquoagrave lrsquooriginelrsquoauctoritas srsquoappliquait agrave lrsquoempereur et non au papeLe conflit est agrave son paroxysme avec Philippe le Bel et Boniface VIII de 1294 agrave 1303 Le roi de France impose quela papauteacute ne srsquoingegravere plus dans les affaires temporelles du royaume Deux conflits apparaissent le premieragrave propos des deacutecimes le second avec lrsquoarrestation de lrsquoeacutevecircque de Pamiers Ces diffeacuterends ont eacuteteacute lrsquooccasionde preacuteciser les rapports entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel dans des bulles pontificales (Ausculta filiile 5 deacutecembre 1301 Unam sanctam du 18 novembre 1302)

En savoir plus Indeacutependance du roi de France vis-agrave-vis du PapeLa premiegravere affaire est lieacutee agrave la leveacutee drsquoune taxe ou deacutecime par le roi sur le clergeacute non plus pour la croisademais pour la guerre en Flandre agrave propos de laquelle il a omis de consulter le pape comme il eacutetait coutume Lepape reacuteplique dans une bulle pontificale de 1296 qui reacuteclame la consultation de la curie romaine La reacuteponsede Philippe le Bel et de ses leacutegistes est double Ils srsquoinspirent de la philosophie drsquoAristote et du droit romainpour affirmer lrsquoanteacuterioriteacute du pouvoir politique par rapport au sacerdoce Ils leacutegitiment aussi la souveraineteacuteroyale avec le recours laquo Rendez agrave Ceacutesar ce qui est agrave Ceacutesar raquo (Matthieu 22 21) Le roi deacutecregravete lrsquointerdiction dela sortie du royaume des armes chevaux or et argent Il vise ainsi indirectement les banquiers florentins quiopeacuteraient pour le compte du pape et transfeacuteraient de lrsquoargent des eacuteglises de France vers lrsquoItalie Boniface VIIIdoit ceacuteder Le roi pourra ainsi lever des deacutecimes sur les eacuteglises Le conflit srsquoapaise au cours de lrsquoanneacutee 1297Un second conflit tient agrave lrsquoarrestation de lrsquoeacutevecircque de Pamiers en 1301 qui a publiquement souhaiteacute la reacutevolte duMidi contre le roi et qui a regretteacute la canonisation de saint Louis Lrsquoarrestation et le procegraves de lrsquoeacutevecircque Saissetse font au meacutepris des privilegraveges eccleacutesiastiques Le pape adresse la bulle Ausculta fili au roi de France Ilsrsquoadresse au roi en tant que laquo pegravere raquo et en laquo maicirctre qui tient sur terre la place de celui qui est seul maicirctreet seigneur raquo Le pape convoque agrave Rome pour 1302 un concile de lrsquoEglise de France Le roi convoque en1302 agrave Paris une assembleacutee de preacutelats docteurs barons repreacutesentants des villes Une lettre est reacutedigeacuteepour demander au pape de reacutevoquer la convocation du concile Le pape refuse drsquoautant que le roi est enposition de faiblesse militaire apregraves sa deacutefaite de Courtrai en 1302 Au cours du concile ougrave se rendent despreacutelats franccedilais le pape publie la bulle Unam Sanctam qui repose sur trois eacuteleacutements qui sont lrsquoexpression dela theacuteocratie pontificale laquo LrsquoEglise est une et hors drsquoelle il nrsquoy a point de salut Le pape a pouvoir sur toutelrsquoEglise LrsquoEglise est au-dessus des princes raquo Le roi de France avec lrsquoappui des leacutegistes va alors agir Il le faittout drsquoabord en deacutecidant de reacuteunir un concile ougrave le pape doit ecirctre jugeacute au chef drsquoheacutereacutesie sodomie idolacirctrie etneacutepotisme Le pape informeacute se preacutepare alors agrave deacutelier les sujets du roi de France de leur serment de fideacuteliteacuteMais la seconde action intervient agrave Anagni ougrave un leacutegiste de Philippe le Bel Guillaume Nogaret envoyeacute poursignifier sa convocation au pape le fait avec force Le pape rentre agrave Rome mais il meurt quelques jours plustard Les successeurs de Boniface VIII dont plusieurs seront franccedilais vont abolir ses mesures et sceller lavictoire du roi de France

Lrsquoindeacutependance du roi de France au temporel va ecirctre conforteacutee par ce conflit et lui permettre drsquointervenir dans

la vie interne de lrsquoEglise de France Ce deacutebut de XIVe siegravecle voit ainsi le gallicanisme royal srsquoaffirmer Cettedoctrine se rencontre dans le Songe du vergier (1376-1378)

RemarqueCet ouvrage politique important au Moyen Acircge a eacuteteacute reacutedigeacute agrave la demande de Charles V Il a eacuteteacute reacutedigeacutepar Evrart de Treacutemaugon (mort en 1386) Lrsquoœuvre a eacuteteacute eacutecrite en latin (1376) puis traduite en franccedilais(1378) Il srsquoagit drsquoune fiction qui deacuteveloppe le thegraveme des rapports entre lrsquoEglise et lrsquoEtat Cette fictionrepose sur un dialogue entre un clerc et un chevalier Elle prend appui sur une compilation avec denombreuses citations notamment laquo savantes raquo Il deacutefend lrsquoideacutee de lrsquoindeacutependance des deux pouvoirs


Lrsquoaffirmation et la reconnaissance de la souveraineteacute royale dans tout le royaume sont deacuteveloppeacutees avec lrsquoideacuteede fonction royale Les Capeacutetiens srsquoinscrivent dans une continuiteacute avec lrsquoideacutee de ministerium regis crsquoest-agrave-direlrsquoexercice drsquoune fonction au service de la res publica du laquo commun profit raquo ou encore du laquo bien commun raquo

La fonction royale srsquoaffirme en lien avec le caractegravere religieux et divin lieacute au sacre Il poursuit plusieurs objectifsTout drsquoabord il marque une eacutetape neacutecessaire puis essentielle dans lrsquoaccession agrave la fonction royale (laquo crsquoest lesacre qui fait le roi raquo) Cette conception meacutedieacutevale a eacutevolueacute Michel de lHospital chancelier en 1561 deacuteclarelors du sacre de Charles IX que laquo Jamais le Royaume nest vacant ainsi il y a continuation de Roi en Roi etque degraves que le Roy agrave lœil clos aussi tocirct nous avons Roy sans attendre couronnement onction ni sacre raquoIl correspond aussi agrave la manifestation drsquoun eacutequilibre entre le pouvoir royal et le pouvoir eccleacutesiastique Il viseensuite agrave reacuteunir en un systegraveme rituel en les faisant collaborer lrsquoabbeacute de Saint-Denis lrsquoabbeacute de Saint-Reacutemi deReims et lrsquoarchevecircque de Reims Enfin il permet drsquoexprimer lrsquoindeacutependance de la monarchie franccedilaise et sasupeacuterioriteacute sur les autres rois chreacutetiens Le rituel du sacre est reacutegleacute par lrsquoordo crsquoest-agrave-dire un recueil drsquooraisonset drsquohymnes liturgiques accompagneacutes de bregraveves indications sur le deacuteroulement de la ceacutereacutemonie

Ordo pour lrsquoonction et le couronnement du roi entre 1230 et 1274

laquo Le roi doit se rendre agrave lrsquoeacuteglise avec les archevecircques les eacutevecircques les barons et autres personnes qursquoillui a plu de faire entrer Auparavant ont eacuteteacute poseacutes sur lrsquoautel la couronne royale lrsquoeacutepeacutee dans sa gaine leseacuteperons drsquoor le sceptre doreacute et la baquette longue drsquoune coudeacutee ou plus surmonteacutee drsquoune main drsquoivoire de mecircme les chausses de soie violette brodeacutee de lys et la tunique de la mecircme couleur et du mecircme dessinet enfin le surcot eacutegalement de la mecircme couleur qui ressemble agrave une sorte de chape Lrsquoarchevecircque prendla couronne royale sur lrsquoautel et agrave lui seul la pose sur la tecircte du roi Une fois qursquoelle a eacuteteacute poseacutee tous lespairs du royaume tant clercs que laiumlcs portent la main agrave la couronne et la soutiennent de toutes parts Alorslrsquoarchevecircque avec ses pairs conduit le roi ainsi deacutecoreacute jusqursquoau trocircne qui lui a eacuteteacute preacutepareacute couvert et orneacutede soieries ougrave il lrsquoinstalle sur un eacutetage eacuteleveacute drsquoougrave il peut ecirctre vu de tous raquo

La ceacutereacutemonie du sacre

Les ordines des XIIIe et XIVe siegravecles eacuteclairent cette ceacutereacutemonie et la preacutesence des regalia (insignes royaux)

Sacre royal et regaliaInsignes

du pouvoirOrigine Symbole Signification

Leacutepeacutee les eacuteperons Chevaleresque La force militaireLe roi protegravegelEglise

Le manteau dusacre

Ancien Testament(habit sacerdotal)

Le service enverslEglise

Le roi appartient agravelEglise

Lanneau dorPareil agrave celui deleacutevecircque(anneau sacerdotal)

LunionLe roi relie par sapersonne Dieu et lepeuple

Le sceptre dans lamain droite

Ancien Testament(Moiumlse)

Lorigine divine dupouvoir roya

Le roi exercelautoriteacute politique etmilitaire

La main de justicedans la maingauche

Ancien Testament(le roi David)

La Paix le BienLe roi exercelautoriteacute judiciaire

La couronne Rite byzantin Lautoriteacute suprecircme Le roi est souverain

Le comportement moral pour faire reacutegner la paix et la justice est important Le prince doit ecirctre informeacute etdeacutevelopper des vertus utiles au laquo meacutetier de roi raquo Cet enseignement se trouve dans les laquo miroirs des princes raquo

En savoir plus Les miroirs des princes


La reacutedaction drsquoeacutecrits pour preacutesenter la conduite que les princes chreacutetiens doivent observer date du IVe et Ve sapregraves J-C Puis avec lrsquoeacutepoque carolingienne des ouvrages speacutecifiques sont destineacutes agrave conseiller les princesLes conseillers eccleacutesiastiques des rois comme Jonas drsquoOrleacuteans ou encore lrsquoarchevecircque de Lyon Agobardeacutecrivent de tels laquo miroirs raquo Mais crsquoest agrave partir de la fin du XIe s que ce genre politique se deacuteveloppe Ilsmettent en avant lrsquoimportance de lrsquoeacuteducation pour exercer la fonction royale Des manuels de gouvernementsont reacutedigeacutes agrave la cour des rois drsquoAngleterre et de France Parmi ces traiteacutes drsquoeacuteducation il y a le Policraticusde Jean Salisbury (1155) ou encore le De regimine principium (Du gouvernement des princes et sa versionfranccedilaise Li livres du gouvernement des rois) Crsquoest un traiteacute eacutecrit par Gilles de Rome pour Philippe IV le Belagrave lrsquoeacutepoque ougrave celui-ci eacutetait prince heacuteritier Cet ouvrage a connu un tregraves grand succegraves Il se construit autourde trois livres renvoyant agrave lrsquoeacutethique lrsquoeacuteconomie et le politique Le premier eacutetudie le gouvernant sous lrsquoanglede la personne (avec lrsquoacquisition des vertus la domination des passions les bonnes et mauvaises mœurs)le deuxiegraveme lrsquoappreacutehende comme chef drsquoune famille (les relations avec son eacutepouse lrsquoeacuteducation des enfantslrsquoorganisation de son hocirctel) et le troisiegraveme comme chef de la communauteacute politique (opinions des anciensphilosophes sur la citeacute et le meilleur reacutegime) Le but de cet ouvrage est drsquoenseigner au futur gouvernant agravegouverner conformeacutement agrave la raison et agrave la loi (divine et naturelle) laquo Seul lrsquohomme drsquointelligence peut maicirctriserles passions et srsquoimposer comme chef naturel raquo (J Krynen) Avec le bas Moyen Acircge le contenu est preacuteciseacutesur certains points pour parfaire lrsquoapprentissage du pouvoir par le futur monarqueLes miroirs du prince des XIVe et XVe s traduisent lrsquoimportance des preacuterogatives du roi et le caractegravere toujoursplus complexe de sa fonction de gouvernant Crsquoest en particulier le cas pour lrsquoadministration de la justice Sonapprentissage du pouvoir repose sur des exemples concrets comme par exemple lrsquoaction de Philippe Augusteagrave propos drsquoune pauvre veuve spolieacutee de son heacuteritage par un bailliDrsquoautres ouvrages ont le mecircme objet avec les laquo songes raquo politiques tels le Songe du vergier (1378) ou le Songedu vieil pegravelerin (1389) deacuteveloppant une preacutesentation de la socieacuteteacute franccedilaise pour preacuteconiser les reacuteformes enparticulier dans le gouvernement des grands princes les officiers et lrsquoadministration Ce miroir est alors untraiteacute drsquoeacutethique royale et un guide concret de gouvernement

J Krynen Lrsquoempire du roi Ideacutees et croyances politiques en France XIIIe-XVe siegravecle coll laquo Bibliothegraveque deshistoires raquo Paris 1993 p 170-204

Les leacutegistes affirment que laquo toute justice eacutemane du roi en fief ou en arriegravere-fief raquo Son autoriteacute progressivement

se diffuse au cours des XIIe et XIIIe siegravecles Elle avance de maniegravere plus lente hors de son domaine pour son

activiteacute normative Elle srsquoaffirme de maniegravere plus assureacutee aux XIVe et XVe siegravecles Elle a eacuteteacute formuleacutee aux XIIIe

et XIVe siegravecles notamment par Philippe de Beaumanoir (v 1252-1296) et Jean de Blanot (v 1230-v 1280)Beaumanoir preacutecise dans les Coutumes de Beauvaisis (sect 33) que laquo le roi est souverain par-dessus tous et ade son droit la geacuteneacuterale garde de tout son royaume par quoi il peut faire tous eacutetablissements comme il lui plaicirctpour le commun profit et ce qursquoil eacutetablit doit ecirctre tenu Et il nrsquoy a nul si grand au-dessus de lui qui ne peut ecirctreattrait en sa cour pour deacutefaut de droit ou pour faux jugement et pour tous les cas qui touchent le roi raquoBlanot eacutecrit que laquo le roi a lrsquoimperium sur tous les hommes de son royaume car de mecircme que tout relegraveve delrsquoempereur quant agrave la juridiction puisqursquoil est dominus mundi ainsi tout ce qui est dans le royaume relegraveve delu roi quant agrave la juridiction raquo (Tractatus super feudis et hommagiis) On y trouve aussi la formule laquo le roi deFrance est empereur en son royaume car il ne se reconnaicirct pas de supeacuterieur en matiegravere temporelle raquo

1 2 Digniteacute royaleUn processus politique et juridique favorise le deacutetachement de lrsquoinstitution royale agrave la fois de la personne

physique du roi et des regravegles qui reacutegissent les choses priveacutees Cette eacutevolution agrave partir du XIIe siegravecle inteacuteressela Couronne et le Domaine

1 2 1 La Couronne


Une deacutepersonnalisation du pouvoir se produit au profit de la Corona Au terme de cette eacutevolution meacutedieacutevaleelle revecirct un caractegravere abstrait distinct de la chose mateacuterielle en lien avec le sacre La Couronne devient unensemble de biens et de droits Elle est un eacuteleacutement immateacuteriel et invisible comme lrsquoeacutetablit le juriste Balde(1327-1406) agrave propos de la couronne impeacuteriale Son analyse vaut eacutegalement pour les monarchies drsquoEuropeLa dissociation entre ces deux caractegraveres permet alors drsquoassimiler la Corona agrave lrsquoEtatCe processus est observable en Angleterre dans la premiegravere moitieacute du XIIe s puis dans le royaume de FranceDegraves 1150 les grands du royaume doivent precircter serment non pas au roi mais regno et coronae Lrsquoassociationreacuteguliegravere de ces deux mots permet agrave la couronne drsquoacqueacuterir un sens particulier en tant qursquoentiteacute qui transcendela personne du roi Elle devient le laquo support de pouvoir symbole de puissance et assise de droits raquo (ARigaudiegravere) Cette affirmation se deacuteveloppe au moment ougrave le roi de France est en lutte avec les grands feacuteodauxcontribuant agrave reconnaicirctre une notion supeacuterieure agrave la personne physique du roi Il est le gestionnaire des biensdes droits et des preacuterogatives qui sont rattacheacutes agrave la couronneElle est va ecirctre placeacutee hors de la volonteacute du roi qui ne peut pas en disposer La regravegle est poseacutee drsquointerdire auroi tout acte de disposition agrave lrsquoeacutegard de la couronne Elle est affirmeacutee par le juriste Jean de Terre Vermeille auservice du dauphin Charles Ce juriste du Midi a reacutedigeacute en 1419 le Traiteacute des droits du successeur leacutegitimeaux heacuteritages royaux

En savoir plus Le Traiteacute de Troyes (1420) et Jean de Terre VermeilleLe Traiteacute de Troyes est reacutedigeacute cinq ans apregraves la deacutefaite drsquoAzincourt Charles VI frappeacute de folie intermittentedepuis 1392 signe ce traiteacute avec le roi Henri V drsquoAngleterre Par ce traiteacute il opegravere un changement dynastiqueIl exheacuteregravede son fils le dauphin Charles au profit du roi anglais agrave qui il donne eacutegalement sa fille en mariageHenri V est de plus adopteacute par Charles VI qui laquo retenu et empecirccheacute la plupart du temps raquo confie le pouvoir degouverner et drsquoordonner la laquo chose publique raquo agrave Henri VJean de Terre Vermeille affirme que la Couronne nrsquoest pas un bien patrimonial et qursquoelle obeacuteit agrave une coutumespeacuteciale La Couronne est indisponible lrsquoheacuteritier leacutegitime a un droit acquis II est affirmeacute que le roi reacutegnant nepeut librement disposer de la couronne et du royaume Il ne peut pas non plus exheacutereacuteder celui que la coutumeappelle agrave lui succeacuteder Le Traiteacute de Troyes apparaicirct donc comme nul et non avenu Cette reacuteflexion sur lacouronne est eacutetendue aux biens et droits qui lui eacutetaient rattacheacutes crsquoest-agrave-dire le domaine

La succession agrave la couronne de France ne peut ecirctre soumise aux regravegles de droit priveacute Cette question estreacutegleacutee avec la notion de digniteacute royale permettant de distinguer laquo les deux corps du roi raquo

En savoir plus laquo Les deux corps du roi raquoA la notion de corona est souvent associeacutee une autre formule dans le vocabulaire politique du Moyen Acircge Crsquoestcelle de dignitas regia Les canonistes vont eacutetablir une distinction en lien avec le principe de transsubstantiation(lrsquoeucharistie est le corpus verum Christi alors que la socieacuteteacute chreacutetienne incarne le corpus mysticum Christiavec agrave sa tecircte le pape) Cette dualiteacute est reprise avec lrsquoideacutee de corpus naturale regis correspondant au corpsphysique mortel et priveacute du roi distingueacute du corpus mysticum Il correspond au corps immortel et public duroi agrave travers lrsquoEtat qursquoil repreacutesente et la dignitas qursquoil anime On conccediloit alors que laquo la digniteacute ne peacuterit jamaismecircme si les individus meurent chaque jour raquo Lrsquoadage Dignitas non moritur repris par les juristes permet dedeacutepersonnaliser le pouvoir et de lui confeacuterer le caractegravere de la perpeacutetuiteacute La transmission de la digniteacute ausuccesseur du roi deacutefunt se doit drsquoecirctre immeacutediate Les juristes ont alors recours agrave un adage coutumier laquo lemort saisit le vif raquo Preacutesente dans un arrecirct du Parlement en 1259 cette regravegle a pour fonction drsquoassurer agrave lrsquoheacuteritierde droit priveacute appeleacute par la coutume agrave succeacuteder une situation identique agrave celle du de cujus au moment de sondeacutecegraves Il beacuteneacutefice ainsi de la transmission immeacutediate de la succession au moment mecircme de la mort sans avoir

agrave accomplir une formaliteacute Cet adage est preacutesent dans les eacutecrits politiques du dernier quart du XIVe s ainsi quedans des ordonnances de 1374 de 1403 et de 1407 Lrsquoapplication de cette regravegle met fin agrave la valeur constitutivedu sacre Le sacre ne fait plus le roi en France en raison de la regravegle drsquoinstantaneacuteiteacute de la succession Lrsquoadagelaquo Le roi est mort Vive le roi raquo prend tout son sens agrave la mort de Louis XII (1515)

J Krynen laquo Le mort saisit le vif Genegravese meacutedieacutevale du principe drsquoinstantaneacuteiteacute de la succession royalefranccedilaise raquo Journal des savants vol 3 ndeg 1 1984 p 187-221 httpwwwperseefrwebrevueshomeprescriptarticlejds_0021-8103_1984_num_3_1_1482


1 2 2 Le domaine royal

Une deacutepatrimonialisation du pouvoir est agrave lrsquoœuvre en lien avec le Domaine Un ensemble de biens et dedroits rattacheacutes agrave la couronne nrsquoest plus consideacutereacute comme une composante du patrimoine priveacute du roi Ilssont qualifieacutes par les expressions laquo patrimoine de la couronne de France raquo puis laquo domaine de la couronnede France raquoIl existe depuis le XIIIe s la pratique des apanages crsquoest-agrave-dire lrsquohabitude prise par le roi de doter ses filspuicircneacutes pour tenir leur rang de biens provenant du domaine

ExempleCrsquoest lrsquoexemple avec le ducheacute de Bourgogne en 1363 qui a permis lrsquoinstauration drsquoune principauteacuteindeacutependante avant qursquoelle ne soit reacuteinteacutegreacutee en 1447 au domaine royal

A partir du XIVe s les rois procegravedent agrave la reacutevocation drsquoalieacutenations pour proteacuteger le domaine LrsquoAssembleacutee deVincennes (1329) a eacutevoqueacute le caractegravere inalieacutenable du domaine Lrsquoideacutee est reprise en 1357 par une ordonnancede reacuteforme qui est imposeacutee au dauphin apregraves la capture de son pegravere Jean II le Bon Elle eacutetablit par une

prescription geacuteneacuterale lrsquointerdiction des alieacutenations Les juristes et les theacuteoriciens vont alors parvenir au XIVe

s et au XVe s agrave deacutegager trois principes Le domaine de la couronne devient alors un ensemble de biensinalieacutenables indisponibles et imprescriptibles Le souverain srsquoengage alors de maniegravere solennelle agrave ne pasalieacutener certaines provinces rattacheacutees agrave la couronne Une nouvelle clause est inseacutereacutee dans le serment du sacreavec Charles V laquo Je conserverai inviolablement la supeacuterioriteacute les droits et les preacuterogatives de la couronnede France et jamais je ne les alieacutenerai ni les ceacutederai raquo


2 Lrsquoadministration du royaume

Le roi capeacutetien agrave la fin du Xe s srsquoappuie sur la cour feacuteodale Elle va eacutevoluer pour srsquoaffirmer comme un organede gouvernement et se speacutecialiser pour assurer les preacuterogatives reconnues et reconquises par la royauteacutesouveraine La monarchie va deacutevelopper des structures administratives deacutegageacutees progressivement de toutlien feacuteodal et recruter des agents royaux agrave son service Avec le regravegne de Philippe Auguste (1180-1223) unereacuteorganisation progressive des institutions de lrsquoadministration centrale et locale est agrave lrsquoœuvre

2 1 Organiser

A partir de lrsquoeacuteleacutement feacuteodal une administration centrale royale srsquoorganise Alors qursquoelle eacutetait itineacuterante

accompagnant le monarque agrave partir de la fin du XIIe s elle est fixeacutee agrave Paris au Palais de la Citeacute A lrsquoancienpersonnel feacuteodal se substitue progressivement un personnel technique et speacutecialiseacute favorisant une continuiteacutedans lrsquoexercice des fonctions

Exemple

Source UNJF - CC BY NC ND

2 1 1 Lrsquoeacutevolution de la cour feacuteodale

Des officiers domestiques et des officiers ordinaires sont au service du roi Le point de deacutepart est constitueacute parla cour feacuteodale qui est reacuteunie pour lrsquoaide et le conseil des laquo barons raquo et des preacutelats qui participent agrave la prisede deacutecisions royales et qui sont associeacutes agrave leur application

Il existe aussi de maniegravere mal diffeacuterencieacutee jusqursquoagrave la fin du XIIIe siegravecle un personnel permanent dans lrsquoentourageroyal laquo maison du roi raquo puis laquo lrsquohocirctel-le-roi raquo qui va se distinguer de la curia regisParmi les fonctions et charges heacuteriteacutees du Palais de la royauteacute carolingienne on trouve de grands officiers quiexercent de moins en moins des fonctions domestiques pour assurer davantage un rocircle dans les domainesde la justice de lrsquoadministration des biens de lrsquoeacutecriture des actes royaux de lrsquoarmeacuteehellip Certains perdent de


leur importance (chambrier bouteiller seacuteneacutechal) drsquoautres occupent une place de plus en plus essentielle(conneacutetable et chancelier)Drsquoautres officiers ordinaires interviennent au sein de lrsquohocirctel parmi eux certains participent plus eacutetroitement augouvernement du royaume en lien avec le chancelier Des speacutecialistes du droit romain et du droit canoniquesont plus preacutesents et participent agrave lrsquoaffirmation de lrsquoEtat royal Parmi les officiers ordinaires les maicirctres desrequecirctes de lrsquohocirctel et les notaires-secreacutetaires du roi interviennent dans le domaine de la justice et de lrsquoeacutecrituredes actes royaux

En savoir plus Evolution de la curia regis dans les autres royaumesLe pheacutenomegravene observable en France a eacuteteacute le mecircme plus preacutecocement en Angleterre Les premiers servicesadministratifs speacutecialiseacutes ont eacuteteacute directement deacutemembreacutes de la Cour LrsquoEchiquier apparaicirct degraves le deacutebut du XIIe

s Ses structures sont fixeacutees de faccedilon durable degraves le milieu du XIIe s Tous les procegraves qui inteacuteressaient lesrevenus du roi eacutetaient traiteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoEchiquier par la Cour de lrsquoEchiquier qui regroupait des baronsDrsquoautre part en matiegravere de justice elle eacutetait rendue pour le roi soit par des juges itineacuterants soit par le moyende deux Cours qui vont srsquoaffirmer Il srsquoagit de la Cour des plaids communs (Court of Common Pleas 1215)qui va se deacutetacher de la personne royale et se fixer agrave Westminster Elle juge en principe les contestationsqui opposaient deux particuliers sur le plan civil La seconde juridiction est le Banc du roi (Kingrsquos Bench) quiconnaicirct des affaires dans lesquelles le roi eacutetait partie avec les procegraves criminels ougrave lrsquoaccuseacute avait enfreint lapaix du roi A la fin du Moyen Acircge ces trois cours forment un ensemble judiciaire complexe Chaque tribunal asa compeacutetence propre puis elles pourront connaicirctre de lrsquoensemble des causes porteacutees devant les juridictionsroyalesLa particulariteacute de ces trois cours crsquoest de juger selon la Lex communis la Common Law crsquoest-agrave-dire la loitraditionnellement appliqueacutee agrave tout le royaume par les tribunaux royaux Il srsquoagit de la vieille coutume enrichie

au XIIIe s par des deacutecisions des juges mise en forme par Bracton (juge royal mort en 1268) et fixeacutee par lesgrands statuts drsquoEdouard Ier (1272-1307)Les Etats drsquoOccident ont suivi lrsquoAngleterre et la France dans lrsquoeacutevolution qui a vu des administrations speacutecialiseacuteesse deacutegager de la Cour royale On doit noter que ce pheacutenomegravene est en geacuteneacuteral plus tardif et moins complexeEn 1348 en Flandre une Cour de justice appeleacutee Audience apparaicirct de maniegravere distincte du Conseil du comte

Crsquoest la mecircme chose qui se passe en Castille agrave la fin du XIVe s Il faut attendre un siegravecle plus tard pour que lesprincipauteacutes allemandes srsquoengagent dans lrsquoorganisation drsquoune Cour suprecircme de justice qui soit complegravetementdistincte du Conseil

2 1 2 La formation drsquoorganes du gouvernementmonarchique

La curia regis a beacuteneacuteficieacute de lrsquoapparition de charges plus speacutecialiseacutees et stables permettant drsquoassurer unecontinuiteacute dans la gestion des affaires du royaume Pendant le regravegne de Louis IX des deacutemembrements decette cour existent pour confier agrave des organes de gouvernement speacutecialiseacutes une fonction gouvernementale Unsemblable pheacutenomegravene est observable dans drsquoautres royaumes en Europe A partir drsquoune matrice communela Cour du Roi diffeacuterents organes apparaissent Elle est la laquo megravere de lrsquoadministration du royaume raquo (ACastaldo) Cette individualisation au sein de la Cour du roi donne naissance agrave diffeacuterentes formations la curiain parlamento (Parlement) la curia in compoto (Chambre des comptes) et la curia in consilio (Conseil du roi eacutetats geacuteneacuteraux)

Crsquoest en 1239 que les termes parlamentum et curia in parlamento sont employeacutes pour la premiegravere fois pour

deacutesigner une session judiciaire Au milieu du XIIIe s la Cour du roi ne jugeait qursquoen premiegravere instance lesprocegraves porteacutes devant elle par les eacutetablissements eccleacutesiastiques royaux les vassaux du roi et les communesdu domaine royalAvec le regravegne de Louis IX quatre sessions sont tenues chaque anneacutee pour connaicirctre des affaires judiciaires quisont de plus en plus nombreuses agrave ecirctre porteacutees agrave la connaissance de la justice royale La justice du roi srsquoimposeface aux justices seigneuriales et eccleacutesiastiques Elle attire agrave elle un contentieux croissant notamment en


raison de lrsquoeacutevolution de la proceacutedure preacutevue par lrsquoordonnance de 1258 (laquo bonnes preuves et loyaux raquo seulementadmises proceacutedure drsquoenquecircte) Elle interdit dans le domaine royal le duel judiciaire en matiegravere civile et peacutenalereprenant lrsquoordonnance de 1254Au sein de ces sessions un personnel de speacutecialistes verseacutes dans le droit est appeleacute drsquoune session agrave lrsquoautrepour compleacuteter lrsquoeacuteleacutement feacuteodalEn 1263 un des maicirctres de la Cour deacutecide de conserver la trace des arrecircts les plus importants prononceacutesIl remonte jusqursquoen 1254 Ces premiers arrecircts correspondent aux Olim Lrsquoimportance de lrsquoactiviteacute de la Courrequiert en 1278 de reacutediger un regraveglement pour organiser son travail judiciaire

Olim Les registres du Parlement consignent les arrecircts degraves 1254 et en 1258 des registres drsquoenquecirctessont tenus Ces recueils sont deacutenommeacutes Olim en reacutefeacuterence au premier arrecirct qui deacutebute parlrsquoexpression Olim homineshellip Ils ont eacuteteacute publieacutes par le comte Beugnot en 1839 renfermant le texte desarrecircts de 1254 agrave 1275 et des enquecirctes de 1255 agrave 1272

Une session unique annuelle est organiseacutee par lrsquoordonnance du 11 mars 1345 Elle deacutefinit le statut de cenouvel organe eacutetablit de maniegravere fixe au Palais de la Citeacute qui srsquoest ainsi deacutetacheacute de la curia regis Sonpersonnel est preacuteciseacute avec des personnes juristes de formation (clercs et laiumlcs) qui acquiegraverent la qualiteacutedrsquoofficier royal Le Parlement se structure avec la GrandrsquoChambre (ou laquo chambre des plaids raquo) la Chambredes requecirctes la Chambre des enquecirctes puis la Tournelle

En savoir plus Le ParlementLes diverses chambres du Parlement apparaissent avec la GrandrsquoChambre qui rend des arrecircts sur plaidoiries la Chambre des Enquecirctes qui travaille sur enquecirctes et rend des jugeacutes que la GrandrsquoChambre transformeen arrecircts La Chambre des requecirctes entend les requecirctes des plaideurs Une chambre instruit les affairescriminelles par deacuteleacutegation de la GrandrsquoChambre la Tournelle apparaicirct ainsi agrave la fin du XIVe s et elle estcomposeacutee uniquement de laiumlcs (les clercs ne peuvent pas juger les causes de sang) A la fin du XIIIe s deuxpreacutesidents sont deacutesigneacutes pour remplacer le roi agrave la tecircte de la Cour Les juges du siegravege et les gens du roi(parquet) sont distingueacutes Lrsquoordonnance du 11 mars 1345 fixe le nombre des juges professionnels instaurantainsi un personnel stable En 1360 le mot laquo Parlement raquo deacutesigne non plus une session de la Cour du roi maisla Cour de justice elle-mecircme issue du Conseil royalUn statut particulier pour les officiers se preacutecise avec lrsquoaffermissement de lrsquoinstitution Ils beacuteneacuteficient duversement de gages fixes en numeacuteraire mais aussi en nature (les laquo eacutepices raquo correspondent aux dons faitsau juge par les justiciables) Les membres du parlement jouissent de privilegraveges fiscaux (exemption drsquoimpocircts)canoniques (exemption de la deacutecime pour les clercs) mais aussi de privilegraveges judiciaires comme le privilegravegede committimus (pouvoir porter leurs affaires devant une juridiction particuliegravere le Conseil du roi)

Le Parlement a une compeacutetence judiciaire mais aussi normative par ses laquo arrecircts de regraveglement raquo (valeurgeacuteneacuterale qui srsquoimpose agrave tous) et par sa participation agrave lrsquoentreacutee en vigueur de lrsquoordonnance royale (proceacuteduredrsquoenregistrement et de publication)

ExempleLit de Justice de 1458

La carte judiciaire de la France meacutedieacutevale va voir apparaicirctre agrave cocircteacute du Parlement (de Paris) le parlement dePoitiers (1418 qui ne durera pas) de Toulouse (1420-1428 puis 1443) de Bordeaux (1462) de Dijon (1477)drsquoAix (1501) de Rouen (1515) et de Rennes (1554)

La curia in compoto est un autre deacutemembrement de la Curia regis dont lrsquoorganisation se preacutecise au deacutebut duXIVe s Comme en drsquoautres royaumes la connaissance et la veacuterification des comptes est porteacutee devant la courdu roi au sein drsquoune commission de plus en plus speacutecialiseacutee

En savoir plus Origine drsquoune juridiction des comptesLrsquoideacutee et lrsquoapparition drsquoune juridiction des comptes se rencontrent et en premier lieu avec les Normands quilrsquoont adapteacute en Angleterre LrsquoEchiquier reproduit ainsi le modegravele preacutesent agrave Caen Ils sont aussi agrave lrsquoorigine de


son implantation en Sicile Cette institution de controcircle des comptes a influenceacute la GrandrsquoCour des maicirctres descomptes du royaume des Deux-Siciles (Naples) Une commission de cette GrandrsquoCour a eacuteteacute installeacutee dans lecomteacute de Provence pour devenir la Cour des comptes aides et finances drsquoAix

Registre des titres et privilegraveges de la Chambre miniature

repreacutesentant une seacuteance de veacuterification des comptes deacutebut XVIe siegravecle

Le deacuteveloppement drsquoune Chambre des comptes dans le royaume de France connaicirct trois phases

1) agrave partir du milieu du XIIIe s le roi et la majoriteacute des membres de la Cour du roi nrsquoont plus la compeacutetencetechnique pour assurer eux-mecircmes la gestion et le controcircle des comptes devenus plus complexes Lrsquoexercicepermanent drsquoattributions financiegraveres est confieacute agrave des personnes speacutecialiseacutees agrave la fin du XIIIe s au sein drsquoune curia in compotis rattacheacutee agrave la Cour du roi Elle doit assurer la conservation des titres qui fondent les droitsdu souverain sur le domaine mais aussi les documents comptes et papiers de lrsquoadministration financiegravere ainsique la surveillance des monnaies Lrsquo ordonnance de janvier 1320 de Vivier-en-Brie preacutevoit lrsquoorganisation et lefonctionnement de la Chambre des comptes avec la fixation drsquoun nombre limiteacute de personnes

En savoir plus Ordonnance de Vivier-en-Brie (1320)Une reacuteglementation de lrsquoexercice des fonctions du personnel est preacuteciseacutee quant agrave leur organisation dutravail (reacutepartition entre services eacutetablissement drsquoun calendrier discipline avec un regraveglement inteacuterieur) Sonfonctionnement repose sur cinq principes autoriteacute et indeacutependance des gens des comptes possibiliteacute drsquoagirdirectement sans ordre preacutealable de la Curia pour lrsquoordonnancement des deacutepenses veiller aux causes dedilapidation financiegraveres excessives droit de regard sur le travail de la chancellerie pouvoir de donner au nomdu roi les mandements administratifs ayant une porteacutee financiegravere

2) Les compeacutetences de la Chambre des comptes srsquoaccroissent entre 1320 et 1357 Elle connaicirct des affairesrelatives aux revenus ordinaires (domaine) et extraordinaires (impocirct)

3) Du milieu du XIVe siegravecle au milieu du XVe siegravecle ses attributions sont preacuteciseacutees en matiegravere financiegravereet moneacutetaire De nouvelles institutions plus speacutecialiseacutees apparaissent (chambre des Monnaies chambre duTreacutesor Cour des Aides Table de Marbre) et drsquoautres chambres des comptes sont creacuteeacutees en provinceSa composition se fixe avec 26 officiers des comptes dont deux preacutesidents (un clerc et un laiumlc) des maicirctresdes comptes des correcteurs et des clercs des comptes ainsi que des officiers subalternes et des gens du roien marge de la hieacuterarchie du personnel de la chambre

La curia in consilio ou le Conseil forme le troisiegraveme eacuteleacutement de la curia regis meacutedieacutevale Il renvoie agrave la pratiquedu gouvernement par conseil tel que lrsquoaffirme notamment Philippe de Beaumanoir Il devient un organepermanent dont la composition et les attributions relegravevent du roi A cocircteacute des princes du sang des grandsvassaux et des grands officiers dont le chancelier il peut appeler agrave sieacuteger toute personne utile pour connaicirctredes affaires soumises au Conseil du roi Ce sont en particulier les leacutegistes qui occupent une place de plus enplus preacuteeacuteminente au deacutetriment de lrsquoeacuteleacutement feacuteodal notamment dans le cadre de conseils restreints (laquo conseilsecret raquo ou laquo conseil eacutetroit raquo) Le Conseil du roi est consulteacute pour les affaires geacuteneacuterales du royaume (paixguerre leacutegislation nominationhellip) mais aussi dans le cadre de la justice retenue (le nombre croissant desaffaires porteacutees agrave sa connaissance a favoriseacute un deacutemembrement avec le laquo Grand Conseil raquo institutionnaliseacuteen 1497-1498) Ainsi eacuteclaireacute le roi prend seul la deacutecision

Le gouvernement par conseil au Moyen Acircge prend drsquoautres formes Le roi consulte aussi les laquo bonnes villes raquo

du royaume agrave partir du XIIe siegravecle notamment pour les questions moneacutetaires Il convoque aussi des assembleacutees

politiques reacuteunissant les trois ordres agrave partir des deacutebuts du XIVe siegravecle La premiegravere drsquoentre elles est reacuteunie en1302 alors que Philippe IV le Bel est en conflit avec le pape Boniface VIII Qualifieacutee geacuteneacuteralement de premiegraverereacuteunion des laquo Etats geacuteneacuteraux raquo une telle assembleacutee ne peut ecirctre consideacutereacutee comme telle qursquoagrave partir de 1468en lien avec le principe de repreacutesentation du clergeacute de la noblesse et du tiers-eacutetat Il est geacuteneacuteraliseacute en 1484Ces assembleacutees sont convoqueacutees pour apporter aide et conseil au monarque Il sollicite leur soutien politique


mais aussi leur consentement agrave lrsquoimpocirct en raison de la neacutecessiteacute et de lrsquoutiliteacute publique en particulier pourassurer la deacutefense du royaume

En savoir plus Les Etats geacuteneacuterauxCette expression est relativement tardive en ce qursquoelle est utiliseacutee pour deacutesigner une assembleacutee ordinaire dela noblesse du clergeacute et du tiers eacutetat Cela fut fait en 1468 pour les Etats geacuteneacuteraux convoqueacutes par Louis XIToutefois on a longtemps consideacutereacute que leur premiegravere assembleacutee datait de 1302 sous le regravegne de Philippe leBel au moment du conflit avec Boniface VIII Crsquoest dans un but de leacutegitimation et de soutien au pouvoir royalque cette assembleacutee srsquoest tenue Pour la premiegravere fois elle reacuteunit de nombreux deacuteputeacutes eacutelus du tiers eacutetat Lesmembres de la noblesse et du clergeacute sont convoqueacutes de maniegravere individuelle par le monarque Il faut attendre1484 pour que les Etats soient composeacutes de membres eacutelus des trois ordres avec une eacutelection dans le cadredes bailliages et seacuteneacutechausseacutees Crsquoest cette proceacutedure qui sera retenue par la suite jusqursquoen 1789La convocation des Etats geacuteneacuteraux relegraveve du seul roi Pourtant les eacutetats ont chercheacute agrave imposer au roi unepeacuteriodiciteacute reacuteguliegravere au milieu du XIVe s Ils y ont reacuteussi de maniegravere eacutepheacutemegravere en 1357 Les Etats doivent auroi auxilium et consilium Le roi les convoque pour qursquoils consentent agrave lrsquoimpocirct pour financer ses guerres A partirde 1484 les Etats ne sont plus convoqueacutes le droit royal drsquoimposer sans requeacuterir le consentement srsquoappliqueIls ont aussi une fonction de conseil destineacutee agrave eacuteclairer le choix du monarque Le dialogue ainsi noueacute deacutependde rapports de force entre le roi et les eacutetats Lorsque le roi est fort les Etats sont utiliseacutes pour leacutegitimer sonaction et obtenir leur consentement En revanche quand la monarchie est faible les Etats tentent drsquoimposerdes reacuteformes

ExempleTenue des Etats de Tours de 1484 Museacutee Dobreacutee Conseilgeacuteneacuteral de Loire-Atlantique Nantes Inv Ms XVIII fdeg 66 vdeg

2 2 Geacuterer

Lrsquoorganisation de lrsquoadministration locale accompagne le mouvement geacuteneacuteral daffirmation du pouvoir royal etde lEtat

2 2 1 Administrer un territoire

Lrsquoorganisation de lrsquoadministration locale repose sur diffeacuterents agents La monarchie prend appui tout drsquoabordsur les preacutevocircts pour lrsquoadministration de son domaine Ils sont placeacutes sous le controcircle des baillis et des

seacuteneacutechaux aux XIIIe et XIVe siegraveclesLes preacutevocircts placeacutes agrave la tecircte drsquoune chacirctellenie royale exercent des fonctions judiciaires et assurent la gestionet la perception des revenus royaux Avec le regravegne de Louis VII leur charge fait lrsquoobjet drsquoune adjudication poureacuteviter une transmission heacutereacuteditaire Les conseacutequences de ce systegraveme de la ferme ont conduit la monarchie agravepreacutefeacuterer une proceacutedure de deacutesignation et de reacutevocation directe par le roi (systegraveme de la garde)

Au XIIIe s on distingue les baillis et les seacuteneacutechaux en raison drsquoune reacutepartition geacuteographique distincte en partielieacutee agrave une origine diffeacuterente On rencontre le bailli au Nord agrave lrsquoEst et en Normandie alors que le seacuteneacutechalest preacutesent en Languedoc Limousin Poitou et Anjou Deacutesigneacute par le roi le bailli ou le seacuteneacutechal ne peut ecirctrenommeacute dans une circonscription dont il est originaire

En savoir plus Origine du bailli et du seacuteneacutechalLe bailli apparaicirct en Normandie dans les zones drsquoinfluence anglo-normande Il correspond aux agents dessouverains Plantagenecirct Dans le domaine royal crsquoest une ordonnance de 1190 de Philippe Auguste quimentionne le bailli Il ne creacuteeacute pas lrsquoinstitution du bailli mais il en preacutecise les missions de surveillance Il geacuteneacuteraliseune institution aux reacutegions ougrave cet agent eacutetait absent dans le but de controcircler les preacutevocircts Il srsquoagit au deacutepartde plusieurs agents itineacuterants Ils nrsquoont pas encore une circonscription geacuteographique deacutetermineacutee Ce sont des


commissaires du roi A partir des anneacutees 1230 les baillis cessent leurs tourneacutees collectives Lrsquoinstitution estfixeacutee dans une circonscription (bailliage) Ils deviennent des officiers royauxLe seacuteneacutechal est en geacuteneacuteral un ancien agent feacuteodal de grands princes territoriaux A partir du XIIe s avec lareacuteunion agrave la Couronne de diffeacuterentes seigneuries (par exemple le Poitou) ces agents sont maintenus en placeIls deviennent ainsi des officiers royaux

Le bailli et le seacuteneacutechal sont le prolongement de la personne du roi Ils assurent la deacutefense de ses droits Ils ontune fonction de repreacutesentation aupregraves de la population des autres agents chargeacutes de la gestion du domaineroyal ou encore des vassaux du roi Il a eacutegalement des compeacutetences militaires Crsquoest enfin un agent financierassurant la centralisation des revenus des fermes lieacutees aux preacutevocircteacutes Nrsquoayant pas de fonctions speacutecialiseacuteesil assure des tourneacutees reacuteguliegraveres Puis avec lrsquoaccroissement de ces missions linstitution se fixe Il agit avecdes collaborateurs (lieutenant procureur avocat du roi receveurs eacutelus)

Acte du bailli de Bourges (26 octobre 1298) autorisation de percement dans la muraille accordeacutee par le bailliaux Templiers agrave Issoudun

Il existe deux grandes cateacutegories dagents royaux On distingue les officiers des commissaires La notiondoffice (officium) correspond agrave lideacutee de service mais aussi agrave celle de fonction et de devoir Les officiers agrave partirdu Moyen Acircge sont deacutesigneacutes soit par voie dimpeacutetration (requecircte adresseacutee au roi pour obtenir des lettres deprovision doffice qui sont publieacutees apregraves sa reacuteception au sein de linstitution qui reccediloit un nouvel officier parexemple dans le cadre du parlement) soit par voie de leacutelection Il sagit dun choix sans que cela nimpliqueune technique particuliegravere (vote par exemple) Le recours agrave leacutelection se deacuteveloppe sous le regravegne du CharlesV pour deacutesigner de grands officiers (chancelier en 1372) mais aussi les baillis et seacuteneacutechaux (ordonnance du

5 feacutevrier 1389) Les ordonnances de reacuteformation agrave la fin du XIVe siegravecle et au deacutebut du XVe siegravecle rappellentlimportance du recours agrave leacutelection des officiers royaux (par exemple ordonnance du 25 mai 1413 relative agrave laPolice geacuteneacuterale du Royaume dite ordonnance cabochienne dans un contexte troubleacute)Les commissaires sont deacutesigneacutes par le roi qui les choisit librement pour une mission deacutetermineacutee Ils sontlibrement reacutevocables par lui

2 2 2 Enquecircter et reacuteformer

Les pouvoirs des baillis et seacuteneacutechaux vont ecirctre controcircleacutes Le pouvoir royal a recours agrave des commissairesIl srsquoagit des enquecircteurs-reacuteformateurs degraves le milieu du XIIIe s qui effectuent des tourneacutees drsquoinspection pourrechercher les abus commis par les baillis avec pouvoir de sanction Ils sont utiliseacutes aussi agrave la fin de la guerrede Cent ans pour reacutetablir lrsquoordre Ils sont doteacutes de pouvoirs larges (juridique financier militaire) qui permettentde se substituer agrave tous les agents royaux et de reacuteformerLa reacuteformation est un thegraveme politique et un programme de gouvernement deacuteveloppeacute par la monarchie agrave partir

du milieu XIIIe siegravecle avec en premier lieu lrsquoordonnance de saint Louis en 1254 A son retour de la croisade ilsouhaite laquo purifier le royaume et instituer lrsquoordre chreacutetien raquo (Cl Gauvard)

Ordonnance de reacuteformation de deacutecembre 1254 Extrait de J-M Carbasse et G Leyte LrsquoEtat royal XIIe-XVIIIe

siegravecles Une anthologie coll Leacuteviathan Paris Puf 2004 p 192-194laquo Louis par la gracircce de Dieu roi de France agrave tous ceux qui verront le preacutesent eacutecrit Salut Crsquoest pour nousun devoir de la puissance royale que de rechercher de tout notre cœur la paix et la tranquiliteacute de nos sujetsdans lesquels nous trouvons nous-mecircme notre repos et plein du zegravele de lrsquoindignation contre les hommesmalhonnecirctes et malfaisants qui viennent troubler cette paix et ce repos nous avons donneacutes les ordres suivantspour en finir avec les injustices et pour reacuteformer lrsquoeacutetat du royaume au mieux pour le temps preacutesentlaquo I Afin de supprimer autant que possible les preacutelegravevements illicites effectueacutes par les baillis et les autresofficiers nous avons ordonneacute que nos seacuteneacutechaux et autres officiers des bailliages de Beaucaire et deCarcassonne seront astreints agrave precircter le serment qui suit ceux qui le transgresseraient eacutetant punis sur leursbiens ou mecircme si le cas lrsquoexige sur leurs personnes selon notre appreacuteciation ou celle de nos envoyeacutes


laquo II Les seacuteneacutechaux des deux bailliages jureront que tout le temps qursquoils tiendront le bailliage que nous leuravons confieacute ils feront droit eacutegalement aux grands et aux humbles aux petits et aux eacutetrangers agrave ceux qui sontneacutes dans le pays et agrave nos autres sujets selon les droits usages et coutumes approuveacutes dans chaque lieulaquo III Ils jurereont aussi de rechercher de bonne foi et de conserver nos droits et quant aux droits des autresde ne pas chercher sciemment agrave les diminuer ou agrave en empecirccher lrsquoexercice (hellip)laquo VI On ajoutera agrave ce serment qursquoils nrsquoenverront ou ne donneront rien agrave aucun membre de notre conseil niagrave leurs eacutepouses enfants ou familiers et rien non plus agrave ceux qui sont chargeacutes de veacuterifier leurs comptes ouagrave ceux que nous envoyons pour visiter leur terre ou enquecircter sur leur administration (hellip)laquo XIII Et nous interdisons strictement agrave nos baillis susdits pour toute la dureacutee de leur administration drsquoacheterdes biens dans leur bailliage soit directement soit par un intermeacutedaire ou par quelque proceacutedeacute frauduleuxsans notre permission srsquoils le font nous voulons que lrsquoachat soit nul et que les biens ainsi acquis soient srsquoilnous plaicirct appliqueacutes agrave notre fisc (hellip)laquo XXXI Nous voulons que tous nos baillis grands et petits lorsque leur charge prendra fin restent encorependant cinquante jours dans leur bailliage ou du moins qursquoils y laissent un procureur suffisant afin qursquoilspuissent reacutepondre aux plaintes de leurs administreacutes devant ceux qui seront commis agrave cet effet (hellip) raquo

Des ordonnances de reacuteformation sont reacutedigeacutees du deacutebut du XIVe siegravecle au deacutebut du XVe siegravecle en insistant surla neacutecessiteacute de reacuteformer lrsquoorganisation administrative trop pesante tout en permettant de mieux asseoir lrsquoEtatAinsi de telles ordonnances touchant au gouvernement du royaume agrave la justice agrave la fiscaliteacute au Domaine auxbaillis et seacuteneacutechaux sont adopteacutees de feacutevrier agrave mai 1389 sous lrsquoimpulsion de conseillers proches de CharlesVI les Marmousets

En savoir plus Ordonnance de reacuteformationClaude Gauvard preacutecise que laquo la reacuteformation se preacutesente (hellip) comme une re-creacuteation de lrsquoordre eacutetabli aumoins de deux maniegraveres En mettant en cause les officiers royaux dont la gestion est critiqueacutee le pouvoir creacuteeen accord avec lrsquoopinion une seacuterie de victimes eacutemissaires geacuteneacuteratrices drsquoune unanimiteacute et drsquoune compliciteacuteentre le roi et son peuple En deacuteveloppant une relation symbolique avec les ancecirctres le texte secregravete uneconformiteacute qui permet drsquoaccepter lrsquoordre eacutetabli Drsquoune certaine faccedilon lrsquoordonnance de reacuteforme est un acte decontestation rituelle du pouvoir au terme duquel la place du roi et les institutions sortent renforceacutes Certesleur contenu cherche agrave limiter le nombre des officiers agrave deacutefinir leurs qualiteacutes et leur mode de choix mais enmecircme temps ces agents du pouvoir sont eacutenumeacutereacutes ces institutions sont nommeacutees et agrave long terme par sareacutepeacutetition mecircme la reacuteforme fonde lrsquoEtat en lrsquoinstallant dans la pureteacute et le sacreacute raquo (Dictionnaire du Moyen Acircgecoll Quadrige Puf Paris 2002 p 1188)

bull Ph Contamine laquo Reacuteformation un mot une ideacutee raquo Des pouvoirs en France 1300-1500 Paris 1992p 37-47

bull Cl Gauvard laquo Ordonnance de reacuteforme et pouvoir leacutegislatif en France au XIVe siegravecle (1303-1413) raquoRenaissance du pouvoir leacutegislatif et genegravese de lrsquoEtat A Gouron et A Rigaudiegravere eacuted Paris 1988 p89-98


3 Le gouvernement du royaumeLa souveraineteacute royale et son exercice srsquoexpriment dans le domaine de la justice de sa capaciteacute normativeet dans le champ fiscal

3 1 Une justice reconquiseCrsquoest par la justice que le roi a accru son emprise dans le royaume Sur le chemin de lrsquoaffirmation de lasouveraineteacute royale la lutte contre des justices concurrentes est engageacutee Lrsquoorganisation de la justice du roidevient plus perfectionneacutee

3 1 1 Affirmer la justice royale

Pour affirmer sa justice le roi avec ses officiers va combattre les juridictions laiumlques (seigneuriales urbaines)

mais aussi eccleacutesiastiques Crsquoest tout drsquoabord au XIIIe s et en particulier dans la seconde moitieacute de ce siegravecle

que la justice royale srsquoimpose face aux justices seigneuriales Il faut attendre les XIVe s et XVe s pour quela lutte contre les justices eccleacutesiastiques se deacuteveloppe

La lutte contre les justices laiumlques en particulier seigneuriales intervient en premier alors que la royauteacute estengageacutee contre la feacuteodaliteacute Ces justices seigneuriales offrent un caractegravere rudimentaire tant du point de vuede leur organisation que de celui de la proceacutedure observeacutee Ces cours ne sont pas composeacutees de juristesprofessionnels mais de vassaux Les modes de preuves sont anciens avec le recours au jugement de Dieuou encore le duel judiciaire Lrsquoappel nrsquoest pas possible hormis le cas ougrave le juge feacuteodal srsquoest mal acquitteacute desa tacircche (deacuteni de justice ou deacutefaute de droit)

La justice royale en pleine expansion entre en lutte avec des justices seigneuriales archaiumlques Utilisant le droitfeacuteodal le roi ne supprime pas ces justices mais les vide de leur compeacutetence pour les inseacuterer dans lrsquoorganisationde la justice royale Trois voies vont ecirctre suivies avec lrsquoideacutee de subordination par la voie de lrsquoappel lrsquoideacutee deconcurrence avec le recours agrave la preacutevention et enfin lrsquoideacutee de reacuteserver les procegraves qui inteacuteressent le roi ou sesinteacuterecircts avec les cas royaux

En savoir plus Justices seigneuriales et justice royaleIl y a en premier lieu lrsquoideacutee de subordination de la justice seigneuriale agrave la justice royale avec le deacuteveloppementde lrsquoappel Dans la structure pyramidale de la hieacuterarchie feacuteodale cette ideacutee de lrsquoappel hieacuterarchique de degreacuteen degreacute va trouver agrave srsquoappliquer Le succegraves de lrsquoappel dans la proceacutedure romano-canonique observeacutee parlrsquoEglise lrsquoinfluence du droit romain ou encore la volonteacute des justiciables de pouvoir beacuteneacuteficier de la justice duroi vont concourir agrave son succegravesIl y a aussi lrsquoideacutee de concurrence avec le recours agrave la preacutevention On dit que le juge royal peut laquo preacutevenir raquola justice seigneuriale crsquoest-agrave-dire qursquoil connaicirct de lrsquoaffaire avant elle La preacutevention est alors fondeacutee sur lecaractegravere supeacuterieur puis souverain du roi justifiant ainsi que sa justice vienne avant la juridiction normalementcompeacutetente Cette preacutevention peut intervenir drsquooffice lorsque le juge royal se saisit lui-mecircme Crsquoest le cas parexemple lorsque le juge seigneurial nrsquoa pas agi contre un criminel qui relegraveve de sa compeacutetence La preacuteventionpeut avoir lieu dans un second cas lorsque le juge royal est saisi par une partie en premier La preacutevention a uneffet relatif Si le juge seigneurial reacuteclame lrsquoaffaire avant la sentence le juge royal srsquoen dessaisit La preacuteventiona un effet absolu dans certaines affaires Le juge royal reste saisiEnfin avec les cas royaux lrsquoideacutee est que les procegraves qui inteacuteressent le roi doivent ecirctre reacuteserveacutes aux jugesroyaux Il y a un lien eacutetabli avec la souveraineteacute Cela a pour conseacutequence de rendre non limitative la liste


des cas royaux On peut citer par exemple les affaires relatives agrave la personne du roi au domaine royal lespersonnes placeacutees sous la protection du roi le non respect des ordonnances royales

Au terme de lrsquoeacutevolution meacutedieacutevale la justice royale sort victorieuse de sa lutte contre les justices seigneurialesLa theacuteorie de lrsquoabus de justice lrsquoillustre Le roi peut retirer agrave un seigneur sa justice srsquoil juge mal et en abuse Lesouverain justicier est fondeacute agrave interdire dans son royaume lrsquoexercice de mauvaises justices Cette theacuteorie sedeacuteveloppe au XVe s agrave un moment ougrave le roi est aussi engageacute dans la lutte contre les justices eccleacutesiastiqueset qursquoil dispose drsquoarmes similaires eacutelaboreacutees par ses juristes

Lrsquoopposition de la justice royale agrave la justice eccleacutesiastique intervient au XIVe et XVe s en raison de son caractegravere

plus perfectionneacute Les justices eccleacutesiastiques se deacuteveloppent au XIIe s et elles connaissent leur apogeacutee

au XIIIe s Elles reposent sur les officialiteacutes Il srsquoagit drsquoune deacuteleacutegation des fonctions judiciaires de lrsquoeacutevecircque agravelrsquoofficial Cette cour bien organiseacutee se caracteacuterise par sa speacutecialisation On distingue juridiction gracieuse etjuridiction contentieuse On distingue aussi la fonction de juge de celle de ministegravere public On distingue enfindiffeacuterents degreacutes drsquoofficialiteacutes relieacutees entre elles par lrsquoappel hieacuterarchique

En savoir plus LrsquoofficialiteacuteElle a une large compeacutetence Ratione personae cette compeacutetence srsquoeacutetend aux veuves orphelins pauvres etaux clercs (miserabile personae) Ils disposent du privilegravege de for Il est absolu en matiegravere criminelle (jugementmais exeacutecution par le bras seacuteculier) Il est relatif en matiegravere civile pour la matiegravere personnelle et srsquoapplique enmatiegravere mobiliegravere en lien avec le principe laquo meubles suivent la personne raquo Ratione materiae la compeacutetence delrsquoEglise est exclusive pour les crimes contre la religion (heacutereacutesie sorcellerie sacrilegravege) contre les sacrements(mariage) contre les biens de lrsquoEglise La compeacutetence est concurrente avec les juridictions laiumlques en matiegraverede testament de contrat et des rapports peacutecuniaires entre eacutepoux

Tout aussi perfectionneacutee et preacutecise la proceacutedure romano-canonique est suivie devant les cours drsquoEglise pour

les affaires civiles En matiegravere criminelle la proceacutedure inquisitoire est observeacutee au XIIIe s Ces caractegraveres onteacuteteacute preacuteciseacutes le juge agit drsquooffice secret des teacutemoignages absence du ministegravere drsquoavocat ou encore recoursagrave la question

Les progregraves de la souveraineteacute royale et surtout la formation de lrsquoideacutee gallicane (Songe du vergier Pragmatiquesanction de Bourges de 1438) vont contribuer agrave la victoire de la justice royale Elle repose sur trois combats

Le premier intervient au deacutebut du XIVe s sous le regravegne de Philippe le Bel au regard de lrsquoinquisition enmatiegravere drsquoheacutereacutesie Dans un deuxiegraveme temps la justice royale va chercher de maniegravere plus geacuteneacuterale agravereacuteduire la compeacutetence de la justice eccleacutesiastique avec la theacuteorie des cas privileacutegieacutes Enfin un dernier terraindrsquoaffrontement tient agrave la subordination de la justice drsquoEglise agrave celle du roi

En savoir plus Justice eccleacutesiastique et justice royaleLe roi va deacutecider de placer la connaissance de la question de lrsquoinquisition en matiegravere drsquoheacutereacutesie sous le controcircledes eacutevecircques Il introduit aussi ses agents (enquecircteurs royaux) au deacutetriment de lrsquoordre religieux des Dominicainsdont la compeacutetence avait eacuteteacute eacutetablie par la papauteacute Lrsquoheacutereacutesie est consideacutereacutee par les leacutegistes comme un trouble

agrave lrsquoordre public un appel est instaureacute devant les juridictions laiumlques puis agrave la fin du XIVe s la compeacutetenceexclusive du roi de France est affirmeacuteeLes juristes royaux vont aussi deacutevelopper la theacuteorie des cas privileacutegieacutes sur le fondement de la souveraineteacuteroyale Il srsquoagit des mecircmes domaines drsquoapplication que la theacuteorie des cas royaux mais pour des crimes commispar des clercs La compeacutetence eccleacutesiastique va alors srsquoamoindrir en matiegravere criminelle mais eacutegalement civileEnfin le pouvoir royal va avoir recours agrave la notion drsquoabus Il srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere abusif drsquoun acte du jugeeccleacutesiastique pour que le juge royal en prenne connaissance

Une voie de recours est instaureacutee Lrsquoappel comme drsquoabus permet de deacutefeacuterer au Conseil du roi ou agrave une deces juridictions (Parlement) un acte abusif de lrsquoautoriteacute eccleacutesiastique Lrsquoobjectif est de le faire annuler Il estreconnu de pouvoir former un recours contre toute deacutecision judiciaire mais eacutegalement tout acte administratif


Les progregraves de la justice royale ne se limitent pas agrave la lutte victorieuse meneacutee contre les justices concurrentesmais aussi par le fait que lrsquoorganisation de la justice du roi se perfectionne

3 1 2 Organiser les juridictions royalesLes progregraves de la justice royale sont perceptibles par son deacuteveloppement les nouveaux caractegraveres de laproceacutedure observeacutee mais encore avec la formation de nouvelles voies de recours

Les juridictions royales se deacuteveloppent Elles srsquoaffermissent en lien avec leur lutte contre les justicesconcurrentes En premier lieu crsquoest avec le Parlement et en son sein qursquoune premiegravere eacutevolution est notableUne speacutecialisation est agrave lrsquoœuvre pour connaicirctre des affaires civiles et criminelles Les juridictions royales sedeacuteveloppent aussi dans lrsquoensemble du royaume Elles attirent agrave elle un contentieux de plus en plus importantCet attrait est le fruit pour partie drsquoune eacutevolution de la proceacutedure Elle va distinguer les justices royales desjustices seigneuriales On passe drsquoune proceacutedure accusatoire agrave une proceacutedure plus empreinte drsquoinquisitoireDans un premier temps la proceacutedure suivie se caracteacuterise par lrsquoabsence de repreacutesentation pour les parties auprocegraves Sous lrsquoinfluence de la proceacutedure observeacutee par lrsquoEglise lrsquoinquisitoire va ecirctre observeacute dans les juridictionsroyales Par lrsquoaction du Parlement et avec la mise en place du ministegravere public au XIVe s la proceacuteduredrsquoenquecircte se deacuteveloppe

Le reacutegime des preuves eacutevolue avec les ordonnances de 1254 et de 1258 de saint Louis qui inteacuteressent lesaffaires civiles et criminelles dans le domaine royal La preuve irrationnelle du duel judiciaire est remplaceacuteepar la preuve testimoniale Elle est privileacutegieacutee mais le recours agrave la preuve eacutecrite est aussi admis Il eacutetendla proceacutedure drsquoenquecircte agrave lrsquoensemble des juridictions royales Elle se preacutesente comme une proceacutedurecontradictoire

En savoir plus La marche du procegraves meacutedieacutevalDans le cadre du procegraves civil il y a trois phases lrsquoinstance noueacutee devant la Grandrsquochambre du parlement quifait reacutediger par les parties ou leurs repreacutesentants les points sur lesquels va porter le litige (et donc lrsquoenquecircte)Le dossier est envoyeacute agrave la chambre des enquecirctes Des commissaires sont nommeacutes ajournement des partiesconvocation des teacutemoins eacutetablissement de rapports reacutedaction drsquoun rapport drsquoensemble Lrsquoaffaire revientdevant la Grandrsquochambre pour entendre les plaidoiries des avocats Elle rend enfin son arrecirct

Aux XIVe et XVe s la proceacutedure drsquoenquecircte eacutevolue Au criminel le juge peut agir drsquooffice mucirc par le procureurdu roi agrave deacutefaut drsquoaccusateur Au civil lrsquoimportance de la preuve testimoniale diminue A la regravegle laquo teacutemoinspasse lettres raquo se substitue laquo lettres passent teacutemoins raquo La preuve testimoniale ne suffit plus agrave valoir contrelrsquoacte authentique La neacutecessiteacute de la preuve eacutecrite en matiegravere de contrats au-dessus drsquoune certaine valeur vasrsquoimposer et sera deacutefinitivement poseacutee par lrsquoordonnance de Moulins en 1566

La formation de nouvelles voies de recours permet de renforcer la hieacuterarchisation dans lrsquoorganisation desjuridictions royales Il y a drsquoune part lrsquointroduction de lrsquoappel devant le Parlement des affaires jugeacutees par lesjuridictions royales infeacuterieures (tribunaux des bailliages et seacuteneacutechausseacutees) Il y a drsquoautre part la possibiliteacute

drsquoexercer un recours aupregraves de la personne du roi pour un arrecirct rendu par le Parlement Au XIVe s lalaquo proposition drsquoerreur raquo apparaicirct Le justiciable saisit le roi drsquoune requecircte pour lui demander de dire en sonConseil qursquoil y a eu erreur de son parlement et de laquo casser raquo lrsquoarrecirct par lettres patentes Crsquoest lrsquoorigine de lacassation Le roi en son Conseil prend lrsquohabitude de casser lrsquoarrecirct sans juger lrsquoaffaire au fond et de renvoyerlrsquoaffaire devant le parlement pour qursquoil statue de nouveau

3 2 Une capaciteacute normative affirmeacutee

Lrsquoaffirmation de la capaciteacute normative royale va se faire au deacutetriment drsquoautres pouvoirs La reconnaissance etlrsquoexercice du pouvoir royal drsquoeacutedicter des normes pour lrsquoensemble du royaume se deacuteveloppent dans le cadredu pluralisme juridique meacutedieacuteval


3 2 1 Les fondements du pouvoir normatif

Le roi est investi depuis les temps carolingiens de la tuitio regni (garde geacuteneacuterale du royaume) qui fait que lemonarque doit proteacuteger ses sujets par de bonnes lois Deux conceptions vont preacutevaloir au Moyen AgeDans un premier temps crsquoest lrsquoideacutee de la preacuteservation et de la conservation de lrsquoordre juridique preacuteexistant

qui domine jusqursquoagrave la fin du XIIe s Le roi doit laquo conserver agrave chacun son droit raquo Dans un second temps onreconnaicirct au roi le pouvoir de creacuteer un nouvel ordre juridique A lrsquoideacutee drsquolaquo anteacuterioriteacute du droit par rapport agravelrsquoEtat raquo srsquoest substitueacutee celle de laquo primauteacute de lrsquoEtat sur le droit raquo (A Rigaudiegravere)Les auteurs meacutedieacutevaux ont alors pu affirmer que le roi peut laquo faire loys ou constitucions toutes nouvelles entreses subjeacutes raquo (Songe du Vergier) ou encore que laquo le Roy de France qui est Empereur en son royaume peutfaire ordonnance qui tiennent et vaillent loy ordonner et constituer toutes constitutions raquo (Jean Boutiller)

Le pouvoir normatif royal repose sur plusieurs eacuteleacutements droit feacuteodal droits savants et souveraineteacute Dans lecadre feacuteodal chaque seigneur peut librement eacutedicter des normes dans sa seigneurie Le pouvoir royal chercheagrave imposer progressivement ses deacutecisions agrave lrsquoensemble du royaume Dans le cadre de lrsquoobligation de conseille roi associe les seigneurs agrave la norme En dehors du domaine royal il doit leacutegifeacuterer avec lrsquoassentiment deslaquo barons raquo laquo le roi ne peut mettre ban en la terre du baron sans son assentement raquo (Etablissements de saintLouis) Leur volonteacute est un gage drsquoadheacutesion et drsquoapplication plus effective de la norme royale

Les auteurs meacutedieacutevaux reconnaissent au roi une capaciteacute normative pleine et entiegravere chaque fois que lecommun profit et lrsquoutiliteacute publique lrsquoexigent Philippe de Beaumanoir dans les Coutumes de Beauvaisis consacre

quelques chapitres notamment le 49e agrave ce problegraveme du pouvoir de faire la loi (sect 1043 1512-1513-1515) Leroi doit agir toujours pour le commun profit et fonder sur lui ses deacutecisions La notion de commun profit nrsquoest pasdeacutefinie elle doit ecirctre entendue comme la recherche du bien commun des sujets Cette notion doit beaucoup agravela philosophie drsquoAristote reprise par saint Thomas drsquoAquin Drsquoautres notions apparaissent pour fonder le droitroyal comme lrsquoutilitas publica

Les droits savants contribuent agrave mieux asseoir la capaciteacute normative du souverain Au milieu du XIIIe siegraveclele roi est reconnu comme lrsquoun des principaux heacuteritiers des preacuterogatives impeacuteriales Investi de la potestas leroi de France srsquoaffirme alors du moins en theacuteorie comme autonome et indeacutependant dans le domaine eacutedictalProfitant de cette situation les juristes des anneacutees 1250 et suivantes vont agrave partir des eacuteleacutements fournis par ledroit romain investir le roi de France des mecircmes preacuterogatives et pouvoirs que lrsquoempereur Les leacutegistes royauxfont usage des notions drsquoimperium drsquoauctoritas et de potestas Ils en tirent la conclusion que le roi agrave lrsquoimagedes empereurs romains doit ecirctre lrsquoentier et unique deacutepositaire du pouvoir leacutegislatif Il apparaicirct comme le seuldeacutetenteur dans son royaume de la capaciteacute normativePar assimilation avec lrsquoEmpereur romain le roi est qualifieacute de lex animata Les juristes emploient les formulesPrinceps legibus solutus est (le prince est deacutelieacute des lois) ou encore la clause ex certa sciencia emprunteacutee agrave lachancellerie pontificale Les auteurs franccedilais reprennent dans leur œuvre ces expressions Pierre de Fontaines

(XIIIe s) eacutecrit dans Le Conseil agrave un ami (reacutedigeacute en 1253 et 1259) que laquo ce qui plest au prince a force de loi raquoDans le Livre de Jostice et de Plet il est affirmeacute que laquo ce que plest au prince vaut loi raquo A la fin du XIVe sBouteillier (1340-1396) lieutenant du bailli de Vermandois eacutecrit laquo que le roi de France qui est empereur enson royaume peut faire ordonnance qui tienne et vaille loi ordonner et constituer toute constitution raquo

Andreacute Gouron laquo Ordonnances des rois de France et droits savants XIIIe-XVe siegravecles raquo Comptes-rendus desseacuteances de lrsquoAcadeacutemie des Inscriptions et Belles-Lettres vol 135 ndeg 4 1991 p 851-865

Sur la base des progregraves de la reacuteflexion juridique meacutedieacutevale et mettant fin aux heacutesitations et incertitudesles Temps Modernes par lrsquointermeacutediaire des chanceliers notamment Michel de lrsquoHospital (v 1505-1573)affirmeront de maniegravere plus nette lrsquoimportance du rocircle de la volonteacute du souverain leacutegislateur On affirme laquo Siveut le roi si veut la loi raquo Cela permet drsquoeacutelaborer le pouvoir exclusif du roi de faire ordonnance et de donnerainsi de maniegravere progressive vie agrave un nouvel ordre juridique essentiellement fondeacute sur la loi de lrsquoEtat


3 2 2 Lrsquoexercice de la capaciteacute eacutedictale

Si la capaciteacute normative exclusive du roi est affirmeacutee la pratique de lrsquoexercice de ce pouvoir normatif doit ecirctrenuanceacutee au Moyen Acircge notamment quant aux domaines de son intervention Les modaliteacutes de la prise dedeacutecision traduisent lrsquoaffermissement progressif du pouvoir royal tant dans lrsquoeacutetendue territoriale des mesuresroyales que dans le deacuteveloppement de la chancellerie

Du regravegne de saint Louis agrave celui de Louis XI les domaines soumis agrave lrsquoautoriteacute de la loi nrsquoont cesseacute drsquoaugmenteren fonction de lrsquoautoriteacute croissante de la monarchie Lrsquoessentiel de la leacutegislation royale a eacuteteacute consacreacute au droitpublic avec les matiegraveres touchant agrave lrsquoorganisation de la justice de la proceacutedure de lrsquoadministration de la policede lrsquoarmeacutee des finances et de la fiscaliteacuteLes interventions directes pour la matiegravere du droit priveacute sont exceptionnelles Alors que le principe du respectdes coutumes raisonnables srsquoimpose au roi et qursquoil lrsquoobserve il va tenter de trouver des voies pour agir surcelles qui ne le seraient pas laquo raisonnables raquo Son action et ses relations avec les coutumes sont diversesIl intervient pour confirmer les coutumes Il veille agrave leur bonne application Srsquoil doit ne pas intervenir pour enmodifier le contenu il peut le faire lorsqursquoil srsquoagit drsquoune mauvaise coutume Il en ordonne enfin agrave partir de la

deuxiegraveme moitieacute du XVe siegravecle la reacutedaction avec lrsquoordonnance de Montils-legraves-Tours en 1454

En savoir plus Le roi et les coutumesLe roi intervient tout drsquoabord pour confirmer les coutumes Il peut ainsi intervenir tout en respectant le principeselon lequel le roi doit respecter la coutume raisonnable Elle preacutesente les caractegraveres drsquoancienneteacute elle estbonne juste et leacutegitime Son action est particuliegraverement sensible dans le domaine du droit peacutenal agrave tel point

qursquoon a mentionneacute le laquo naufrage raquo du droit peacutenal coutumier (B Schnapper) degraves le XIIIe siegravecle dans le MidiIl veille eacutegalement agrave leur bonne application Lrsquoordonnance de reacuteformation de 1254 sous le regravegne de saintLouis preacutecise lrsquoobligation de ses agents locaux les baillis de juger laquo selon les droits usages et coutumesapprouveacutes dans chaque lieu raquo Une ordonnance de 1302 prescrit lrsquoobservation des coutumes dans leur deacutetroitLrsquoordonnance de Philippe le Bel de reacuteformation du royaume (23 mars 1303) a le souci drsquoassurer la justice enfaisant respecter les laquo bonnes coutumes raquoIl doit ne pas intervenir pour en modifier le contenu de maniegravere unilateacuterale si elle est laquo raisonnable raquo etconforme au bien commun Selon lrsquoopinion commune les coutumes font partie du patrimoine des provinces duroyaume Il srsquoagit drsquoune obligation formuleacutee dans le serment du sacre laquo Entretenirhellip bonnes lois et coutumesanciennes raquo Le roi est ainsi gardien et censeur des coutumes Philippe de Beaumanoir eacutevoque dans sesCoutumes de Beauvaisis que le roi est laquo tenu de garder et de faire garder les coutumes de son royaume raquo (ndeg 683)Le roi doit alors lutter contre les laquo mauvaises coutumes raquo Les premiegraveres manifestations de son interventiondatent de 1051 par Henri Ier pour une redevance laquo impie raquo Lrsquoexpression de mala consuetudo apparaicirct vers lrsquoanMil pour qualifier un usage injuste La justification de ce pouvoir est rechercheacutee dans les attributs de lrsquoempereurromain (potestas et jurisdictio) Philippe le Bel en 1302 affirme son droit agrave abolir les mauvaises coutumes danstout le royaume en sa qualiteacute de justicier Les notions drsquoeacutequiteacute drsquoordre moral et des motifs religieux justifientson intervention

Les actes des premiers Capeacutetiens ont une porteacutee limiteacutee Il srsquoagit de diplocircmes crsquoest-agrave-dire des privilegraveges pourquelques particuliers laiumlques ou eccleacutesiastiques Les diplocircmes de Philippe Ier ont la preacutetention sans reacuteelleefficaciteacute de srsquoimposer dans tout le royaume Lrsquoactiviteacute normative royale progresse de maniegravere significative agravepartir du regravegne de Louis VII et devient importante avec celui de Philippe IV le Bel

A partir du regravegne de Louis VI et jusqursquoau milieu du XIIIe s lorsque le roi agrave lrsquointention de prendre une mesureagrave porteacutee geacuteneacuterale pour lrsquoensemble du royaume il doit convoquer agrave la cour du roi les grands vassaux Ils sontreacuteunis pour ecirctre associeacutes agrave la prise de deacutecision et assurer lrsquoapplication de la mesure royale Leur consentementexpregraves est requis Lrsquoune des premiegraveres ordonnances veacuteritable (1144) est prise par le roi pour instaurer unepaix de 10 ans


Avec le regravegne de saint Louis lrsquoextension du domaine royal et le progregraves de la leacutegislation royale sont lieacutes Le roicherche agrave obtenir lrsquoassentiment de la majoriteacute des grands du royaume qui sont reacuteunis au sein de la curia regisLes progregraves de lrsquoexercice du pouvoir normatif royal sont davantage affirmeacutes avec Philippe le Bel Beaumanoirpreacutecise les modaliteacutes de la proceacutedure normative En peacuteriode normale trois conditions doivent ecirctre reacuteunies (sectdeg 1499) Le Conseil reacuteuni doit eacuteclairer la deacutecision du souverain elle doit reacutepondre au laquo commun profit raquo etecirctre prise pour une laquo raisonnable cause raquo (pas contre Dieu ni les bonnes mœurs) En cas de circonstancesexceptionnelles (sectdeg 1510) la consultation du conseil nrsquoest pas requise

La chancellerie royale se deacuteveloppe avec les progregraves du pouvoir royal normatif Parmi les normes eacutemanant dumonarque on trouve les lettres royaux qui inteacuteressent une personne ou un groupe de personnes Une secondecateacutegorie a une porteacutee plus geacuteneacuterale La terminologie employeacutee pour qualifier ce type drsquoacte est fluctuante

On parle dedictum de constitutio puis agrave partir du XIIIe siegravecle de stabilimentum et drsquoeacutetablissement et au XIVe

siegravecle drsquoordonnance

En savoir plus La publiciteacute des actes royauxParmi les deux cateacutegories drsquoactes royaux du Moyen Age les lettres royaux ne font pas lrsquoobjet drsquoune publiciteacuteparticuliegravere Ayant vocation agrave reacutegir une situation individuelle (personne ou collectiviteacute) elles sont simplementexpeacutedieacutees au destinataire et transcrites sur des registres conserveacutes agrave la chancellerie Quant aux actes royaux agraveporteacutee geacuteneacuterale ils sont enregistreacutes par le Parlement puis toujours envoyeacutes aux agents locaux de la monarchieIls en garantissent la publication et lrsquoapplication Ils peuvent ainsi en assurer la publiciteacute lors de la venue auxassises qui sont des reacuteunions dans les lieux les plus importants des bailliages et des seacuteneacutechausseacutees Ilspeuvent eacutegalement faire proceacuteder par voie de crieacutee agrave la diffusion des textes royaux

3 3 Une fiscaliteacute en construction

laquo Le roi doit vivre du sien raquo Tel est le principe meacutedieacuteval qui cantonne le roi agrave financer ses deacutepenses par lesseules ressources de son domaine Pour faire face agrave des deacutepenses croissantes en raison de la guerre et desbesoins de lrsquoEtat le roi va avoir recours agrave lrsquoimpocirct

3 3 1 Lrsquoinsuffisance des ressources ordinaires

Les ressources royales jusqursquoau XIVe s reposent essentiellement sur le domaine Il y en a qui tirent leur originedes temps feacuteodaux avec les taxes ou redevances de nature fonciegravere rentes droits tireacutes de lrsquoexploitation desforecircts droits de justice peacuteages sur les routes mais aussi des droits de nature feacuteodale avec lrsquoaide des vassauxDans le cadre feacuteodal lrsquoaide financiegravere fait partie des obligations du vassal Cette aide feacuteodale est personnelleet nrsquoimplique pas de neacutegociation ni un quelconque consentement La capaciteacute royale drsquoaction est limiteacutee agravequatre cas (entreacutee en chevalerie du fils aicircneacute mariage de la fille aicircneacutee capture du seigneur croisade) et ellenrsquoest obligatoire que pour les vassaux directs Philippe le Bel a tenteacute de deacutesigner sous le nom de croisade desguerres qui ne lrsquoeacutetaient pas Il a tenteacute eacutegalement drsquoeacutetendre cette obligation feacuteodale aux arriegravere-vassaux Lavolonteacute est afficheacutee drsquoimposer le preacutelegravevement fiscal agrave lrsquoensemble du territoire

Un second type de ressources domaniales se deacuteveloppe agrave partir de la fin du XIIIe s Il srsquoagit des droits tireacutes delrsquoexercice de la souveraineteacute royale (lettres royaux) de la justice royale de la frappe des monnaies ou encorede lrsquoexploitation eacuteconomique du domaine (mines)Lrsquoensemble de ces eacuteleacutements pendant le regravegne de Philippe le Bel se reacutevegravele insuffisant La part des revenus du

domaine par rapport aux recettes extraordinaires est de 80 au deacutebut du XIIIe s elle est de 50 en 1330

et seulement de 2 agrave partir de la seconde moitieacute du XVe s


3 3 2 La justification de lrsquoimpocirct extraordinaire

La monarchie doit avoir recours agrave lrsquoimpocirct dont elle va chercher agrave justifier le preacutelegravevement Les auteurs meacutedieacutevauxprirent position pour deacuteterminer quels eacutetaient les deacutetenteurs du pouvoir drsquoimposer Cet attribut de la summapotestas est reconnu agrave lrsquoempereur qui jouissait ainsi du droit de lever toutes cateacutegories de taxes Il pouvaiteacutegalement investir drsquoautres autoriteacutes sous la forme drsquoun privilegravege Des pouvoirs subordonneacutes ne disposaient enprincipe de la faculteacute de lever des impositions qursquoen vertu drsquoune deacuteleacutegation ou drsquoune concession La question desavoir si les rois les seigneurs territoriaux et les citeacutes posseacutedaient le mecircme droit drsquoimposer a susciteacute davantage

de commentaires Lrsquoimpocirct est sujet agrave deacutebat agrave la Faculteacute de theacuteologie de Paris agrave la fin du XIIIe et au deacutebut

du XIVe siegravecle

En savoir plus Un deacutebat fiscal meacutedieacutevalLrsquoimpocirct est questionneacute agrave la lumiegravere des quatre causes drsquoAristote Thomas drsquoAquin envisage agrave sa suite lrsquoimpocirctcomme leacutegitime srsquoil est le produit de justes causes la cause efficiente (qui impose ) la cause finale (quelssont les buts de lrsquoimpocirct ) la cause mateacuterielle (sur qui et sur quoi repose lrsquoimpocirct ) et la cause formelle (quelle

est la mesure de lrsquoimpocirct ) Le juriste Bartole (1313-1356) eacutenonce dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle laquo Nulne peut imposer une taxe hormis lrsquoempereur ou des rois ou ceux qui ont reccedilu drsquoeux le droit drsquoy proceacuteder Celuiqui impose une taxe fondeacutee sur la coutume ne peut ecirctre preacutesumeacute le faire sans lrsquoaval de lrsquoempereur ou de rois raquo

bull L Scordia laquo Le roi doit vivre du sien raquo La theacuteorie de lrsquoimpocirct en France (XIIIe-XVe siegravecles) Institut drsquoEtudesAugustiniennes Paris 2005

bull F Garnier laquo Justifier le financement de la deacutepense au Moyen Acircge raquo El alimentado del Estado y la saludde la res publica origenes estructura y desarrollo del gasto publico en Europa Madrid 2013 p 51-72

A partir du deacutebut du XIIIe s les rois de France deacuteveloppent des justifications pour fonder la participation detous aux charges de lrsquoEtat avec les notions de necessitas publica drsquoutilitas publica ou de defensio regni Lepreacutelegravevement de lrsquoimpocirct est justifieacute moins dans lrsquointeacuterecirct du roi qursquoau profit laquo drsquoun nouveau beacuteneacuteficiaire lrsquoEtat raquo (ARigaudiegravere) Lrsquoessor de la fiscaliteacute royale est perceptible du regravegne de Philippe le Bel (1285-1314) agrave celui dePhilippe VI (1328-1350) On passe drsquoun preacutelegravevement occasionnel et limiteacute aussi bien dans le temps que lrsquoobjeten impocirct que la monarchie va faire devenir permanent et lever drsquoautoriteacute apregraves lrsquoavoir neacutegocieacute et obtenu leconsentement des assembleacutees politiques reacuteunies agrave cet effet La mise en place drsquoune administration pour lesfinances extraordinaires repose sur lrsquoaction des Etats geacuteneacuteraux de 1355 puis agrave une administration drsquoEtat

En savoir plus Neacutecessiteacute et impocirctLrsquoargument de la neacutecessiteacute permet de justifier lrsquointervention extraordinaire du roi Philippe de Beaumanoir auxchapitres 49 et 50 des Coutumes de Beauvaisis preacutecise ce qursquoil faut entendre par ce terme laquo Aussi commenous avons parleacute du tans de neacutecessiteacute qui vient par famine entendons nous que lrsquoen se puet aidier de touten tans drsquoautres necessiteacutes si comme il avient qursquoil convient fere communs ouvrages si comme eglises ouchauciees ou puis ou fermeteacutes pour doute de guerre raquo La neacutecessiteacute est en principe non permanente or le roiva reacuteussir agrave assurer la reacutegulariteacute de lrsquoimpocirct Elle sert agrave deacutesigner la deacutefense du royaume pour le bien communLa neacutecessiteacute tend agrave devenir de plus en plus ordinaire et habituelle pour couvrir les besoins geacuteneacuteraux de lrsquoEtat

L Scordia laquo Le bien commun argument pro et contra de la fiscaliteacute royale dans la France de la fin du Moyen

Acircge raquo Pouvoir drsquoun seul et bien commun (VIe ndashXVIe siegravecles) Revue Franccedilaise drsquoHistoire des Ideacutees Politiques32 2010 p 293-309

Les formes drsquoimposition sont varieacutees Elles peuvent ecirctre indirectes portant alors sur la circulation laconsommation et la commercialisation de marchandises On trouve ainsi lrsquoaide qui devient un impocirct frappantla circulation et la vente de vins de beacutetail la gabelle (sel) et les traites qui sont des droits frappant lacirculation des denreacutees Lrsquoautre forme drsquoimposition est directe Elle est preacuteleveacutee en raison de la personne(impocirct personnel) de ses revenus et de ses biens (impocirct reacuteel) ou des deux (impocirct mixte)


La justice est un attribut du ministegravere royal Rendre la justice est une dette du roi envers ses sujets Il doit leurassurer et leur garantir la paix La justice a participeacute agrave la reconstruction de lrsquoEtat en faisant du roi le justicierplaceacute au sommet de la pyramide judiciaire Le roi souverain justicier srsquoaffirme notamment en matiegravere de gracircceou de reacutemission des crimes Le droit peacutenal et la proceacutedure sont utiliseacutes par la monarchie dans sa constructiontoujours plus centraliseacutee de lrsquoappareil judiciaire Crsquoest vrai en particulier gracircce agrave lrsquoaction du Parlement de Paris

Pour la capaciteacute normative la question poseacutee est celle de savoir agrave partir de quand et dans quelle circonstancele roi de France a pu de maniegravere progressive reacutecupeacuterer face agrave des pouvoirs concurrents cet attributLrsquoeacutemergence et le deacuteveloppement drsquoun droit royal agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale posent la question de ses rapportsavec lrsquoexistence drsquoautres ordres juridiques A cocircteacute drsquoun ordre juridique royal qui se construit reacutesultant du droitde plus en plus exclusif du prince de leacutegifeacuterer lrsquoordre juridique coutumier subsiste Il reacutesiste agrave lrsquoavanceacutee de laloi royale en particulier en matiegravere de droit priveacute comme il reacutesiste aux solutions jurisprudentielles eacutelaboreacuteespar les tribunaux du royaume

Crsquoest agrave cet effort de tendre vers un Etat plus fort et de lui en donner les moyens que le deacuteveloppement delrsquoimpocirct royal va contribuer Au monarque srsquoimpose la neacutecessiteacute de deacutepasser les ressources que pouvaient luiprocurer lrsquoapplication du droit feacuteodal ou les revenus domaniaux Dans un contexte de guerre pour assurer sadeacutefense et son deacuteveloppement la monarchie va deacutevelopper une fiscaliteacute extraordinaire reposant sur lrsquoimpocirctLrsquoeacutemergence drsquoun droit royal drsquoimposer le dialogue fiscal instaureacute avec les populations dans le cadre des Etatsgeacuteneacuteraux et provinciaux ont conduit agrave la mise en place drsquoune fiscaliteacute drsquoEtat


1 Lrsquoinstitution royale

Lrsquoaffaiblissement progressif du pouvoir royal au Xe s favorise lrsquoeacutemergence de principauteacutes territoriales Lespremiers rois capeacutetiens ne controcirclent directement que lrsquoIle de France et lrsquoOrleacuteanais A lrsquointeacuterieur des comteacutes

le pouvoir est de plus en plus accapareacute par de simples possesseurs de chacircteaux A la fin du XIe s lesseigneuries prennent le relais de lrsquoautoriteacute publique deacutefaillante Elles marquent lrsquoappropriation priveacutee de lapuissance publique Lrsquoorganisation seigneuriale ou feacuteodale se deacuteveloppe Elle repose sur les relations feacuteodo-vassaliques

Au cours des siegravecles suivants on assiste de maniegravere plus ou moins rapide agrave lrsquoaffermissement progressifde la monarchie et agrave la construction de lrsquoEacutetat Agrave une premiegravere peacuteriode drsquoessor au XIIIe s succegravedent deuxsiegravecles de difficulteacutes qui contribueront malgreacute tout agrave renforcer la fonction royale et lrsquoinstitution de la royauteacute Ledeacuteveloppement territorial du domaine lrsquoaffirmation du pouvoir royal sur la feacuteodaliteacute la formation de nouvellesinstitutions et lrsquoinfluence des juristes marquent les regravegnes de Philippe Auguste de saint Louis et de Philippele Bel

En savoir plus Geacuteneacutealogie simplifieacutee des Rois Capeacutetiens

1 1 Fonction royale

Du XIIe s au XVe s le roi capeacutetien srsquoaffirme en utilisant les regravegles du droit feacuteodal comme le suzerain ausommet de la pyramide feacuteodale La suzeraineteacute illustre les rapports personnels entre vassaux et seigneursalors que le concept de droit public de souveraineteacute repose sur lrsquoideacutee abstraite drsquoun pouvoir qui srsquoexerce surun territoire

1 1 1 La reconnaissance drsquoun roi feacuteodal

Avec la peacuteriode feacuteodale lrsquoautoriteacute publique srsquoest eacutemietteacutee passant du niveau royal agrave celui des princesterritoriaux puis des seigneurs Des liens personnels entre le seigneur et son vassal sont eacutetablis ils sontgeacuteneacuterateurs de droits et drsquoobligations reacuteciproques

Les relations feacuteodo-vassaliques correspondent agrave laquo un ensemble drsquoinstitutions creacuteant et reacutegissant desobligations drsquoobeacuteissance et de service de la part drsquoun homme libre (vassal) envers un homme libre(seigneur) et des obligations de protection et drsquoentretien de la part du seigneur agrave lrsquoeacutegard du vassal lrsquoobligation drsquoentretien ayant le plus souvent pour effet la concession par le seigneur au vassal drsquounbien dit fief raquo (F-L Ganshof)

RemarqueLrsquoaide financiegravere le service armeacute et le conseil du vassal sont remplis moyennant la concessionparticuliegravere par le seigneur drsquoun fief (en geacuteneacuteral une terre) Le vassal est ainsi investi de preacuterogativesde fonctions publiques Lrsquoexercice de la justice par exemple nrsquoest plus une fonction deacuteleacutegueacutee agrave unagent du roi mais elle est conceacutedeacutee dans le cadre drsquoun contrat de fief Ce systegraveme de relations priveacuteesse deacuteveloppe et il srsquoenrichit du fait de lrsquoheacutereacutediteacute des fiefs












































Le manteau dusacre

























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Leçon 5 : Construction juridique et politique de l’Etat au ... · 2 UNJF - Tous droits réservés 1. L’institution royale L’affaiblissement progressif du pouvoir royal au Xe