8
L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL AUTOMNE 2013 1 Qu’est-ce qu’un bon emploi? La plupart des gens diront qu’un bon emploi doit offrir un salaire et des avantages sociaux décents, de bonnes conditions de travail, des tâches intéressantes, des heures de travail acceptables, la sécurité d’emploi, un milieu respectueux et des possibilités d’avancement. Comment peut-on évaluer si les emplois actuels s’améliorent ou si un plus grand nombre de bons emplois sont créés? Que devons-nous faire pour créer plus d’em- plois de qualité et améliorer les emplois existants? La CIBC établit l’indice de la qualité de l’emploi en se basant sur trois mesures : l’emploi à temps partiel par rapport à l’emploi à temps plein, l’emploi rémunéré par rapport au travail autonome et un facteur de pondération calculé en fonction du nombre d’emplois à temps plein. En raison de l’augmenta- tion de l’emploi à temps partiel, du travail autonome et du déclin des emplois mieux rémunérés, cet indice est de 14 % inférieur à ce qu’il était à la fin des années 1980. L’indice de la CIBC est utile, mais il serait préférable de tenir compte d’un plus grand nombre de facteurs pour déterminer la qualité des emplois. Les travail- leurs mentionnent constamment la sécurité d’emploi, les salaires, le régime de retraite, les avantages et les conditions de travail comme des éléments prioritaires de négociations. Les sondages font état des mêmes préoccupations. En surveillant les tendances dans le temps, il est possible de déterminer si la qualité des emplois pour une profession ou un secteur en particulier s’améliore ou se détériore. Le tableau ci-bas compare la croissance de l’emploi et les revenus annuels moyens par profession depuis 2009. On constate que la croissance de l’emploi s’est en 2 COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE 3 ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES QU’EST-IL ARRIVÉ À LA REPRISE? 4 LES SYNDICATS FORTS FONT CONTREPOIDS AUX ÉLITES 5 L’ABONDANCE DES CAPITAUX, UN PROBLÈME 6 LA PÉNURIE DE MAIN-D’ŒUVRE N’EST PAS DÉMONTRÉE 7 INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION SALAIRES : LE SECTEUR PRIVÉ ENCORE PREMIER HORS DES SENTIERS BATTUS L’espérance de vie augmente, mais plus pour certains page 8 TENDANCES EMPLOI Qu’est-ce qu’un bon emploi? Y en a-t-il davantage? Suite à la page 8 CROISSANCE DE L’EMPLOI ET SALAIRE HEBDOMADAIRE MOYEN PAR PROFESSION Gérants, professionnels, entrepreneurs et superviseurs Métiers, opérateurs d’équipement, téchniciens Employés de bureau, administration et finances Vente et services, ouvriers 0 500 1000 1500 2000 0 500 1000 1500 2000 Croissance de l’emploi depuis 1987 (en milliers) Salaire hebdomadaire moyen (en $ de 2012) 1350 $ 1088 1837 1084 $ 554 893 $ 592 767 $ 1105 454 $ Sciences, sciences sociales, analystes, enseignants et professeurs Source : Statistique Canada, tableaux Cansim 282-0010 et 282-0070. À L’INTÉRIEUR

L'Économie au Travail - automne 2013

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Page 1: L'Économie au Travail - automne 2013

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL AUTOMNE 2013 1

Qu’est-ce qu’un bon emploi? La plupart des gens diront qu’un bon emploi doit offrir un salaire et des avantages sociaux décents, de bonnes conditions de travail, des tâches intéressantes, des heures de travail acceptables, la sécurité d’emploi, un milieu respectueux et des possibilités d’avancement.

Comment peut-on évaluer si les emplois actuels s’améliorent ou si un plus grand nombre de bons emplois sont créés? Que devons-nous faire pour créer plus d’em-plois de qualité et améliorer les emplois existants?

La CIBC établit l’indice de la qualité de l’emploi en se basant sur trois mesures : l’emploi à temps partiel par rapport à l’emploi à temps plein, l’emploi rémunéré par rapport au travail autonome et un facteur de pondération calculé en fonction du nombre d’emplois à temps plein. En raison de l’augmenta-tion de l’emploi à temps partiel, du travail autonome et du déclin des emplois mieux rémunérés, cet indice est de 14 % inférieur à ce qu’il était à la fin des années 1980.

L’indice de la CIBC est utile, mais il serait préférable de tenir compte d’un plus grand nombre de facteurs pour déterminer la qualité des emplois. Les travail-leurs mentionnent constamment la sécurité d’emploi, les salaires,

le régime de retraite, les avantages et les conditions de travail comme des éléments prioritaires de négociations. Les sondages font état des mêmes préoccupations. En surveillant les tendances dans le temps, il est possible de déterminer si la qualité des emplois pour une profession ou un secteur en particulier s’améliore ou se détériore.

Le tableau ci-bas compare la croissance de l’emploi et les revenus annuels moyens par profession depuis 2009. On constate que la croissance de l’emploi s’est en

2 COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE

3 ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES

QU’EST-IL ARRIVÉ À LA REPRISE?

4 LES SYNDICATS FORTS FONT CONTREPOIDS AUX ÉLITES

5 L’ABONDANCE DES CAPITAUX, UN PROBLÈME

6 LA PÉNURIE DE MAIN-D’ŒUVRE N’EST PAS DÉMONTRÉE

7 INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION

SALAIRES : LE SECTEUR PRIVÉ ENCORE PREMIER

HORS DES SENTIERS BATTUSL’espérance de vie augmente, mais plus pour certainspage 8

TENDANCES EMPLOI

Qu’est-ce qu’un bon emploi? Y en a-t-il davantage?

Suite à la page 8

CROISSANCE DE L’EMPLOI ET SALAIREHEBDOMADAIRE MOYEN PAR PROFESSION

Gérants, professionnels, entrepreneurs et superviseurs

Métiers, opérateurs d’équipement, téchniciens

Employés de bureau, administration et finances

Vente et services, ouvriers

0 500 1000 1500 2000

0 500 1000 1500 2000

Croissance de l’emploi depuis 1987 (en milliers)

Salaire hebdomadaire moyen (en $ de 2012)

1350 $1088

18371084 $

554893 $

592767 $

1105454 $

Sciences, sciences sociales, analystes, enseignants et professeurs

Source : Statistique Canada, tableaux Cansim 282-0010 et 282-0070.

À L’INTÉRIEUR

Page 2: L'Économie au Travail - automne 2013

2 AUTOMNE 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

RÉGIMES DE PENSIONS PUBLICS Les premiers ministres appuient les améliorations au RPC et au RRQ

Lors de leur réunion estivale annuelle, les premiers ministres provinciaux ont exprimé leur appui à « une expansion modeste, progressive et pleinement financée du RPC et du RRQ ». Ils se sont également dits préoccupés par la décision du gouvernement fédéral de hausser l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse. Le plan visant à élargir le RPC s’est aussi mérité l’appui de plusieurs spécialistes en régime de pensions. Malheureusement, le gouvernement Harper continue de faire obstacle aux améliorations.

JEUNES TRAVAILLEURS Contester l’utilisation des stages non rémunérés par les employeurs

Malgré une légère augmentation des emplois rémunérés pour les jeunes, si vous désirez travailler gratuitement dans le cadre d’un stage non rémunéré, bon nombre d’employeurs vous ouvriront les portes, même si c’est illégal.

Au Canada, on estime qu’entre 100 000 à 300 000 jeunes travaillent dans le cadre de stages non rémunérés pour acquérir de l’expérience. Bon nombre de grands employeurs rentables en profitent. En dépit de leur popularité,

il ne faut pas oublier que les stages non rémunérés sont permis uniquement dans certaines situations particulières. Autrement, les stages doivent être rému-nérés au moins au salaire minimum. Les employeurs doivent aussi se conformer à d’autres normes en matière d’emploi.

Malheureusement, un trop grand nombre d’employeurs font fi des règles et profitent de jeunes mal avisés ou désespérés.

Plusieurs stagiaires commencent à dénoncer leurs conditions d’exploitation. La récente victoire judiciaire contre les stages non rémunérés aux États-Unis et le décès tragique d’un stagiaire à la Bank of America — il avait travaillé trois jours consécutifs sans dormir — ont d’ailleurs agi comme catalyseurs.

CHÔMAGE Plus bas niveau de protection en 70 ans

En raison des soi-disant réformes des dernières années, la protection conférée par l’assurance-emploi est maintenant à son plus faible niveau depuis 1944. En effet, moins de 39 % des personnes sans emploi admissibles ont touché des pres-tations régulières au cours du premier semestre de 2013. En pourcentage, c’est à peine la moitié de la protection moyenne offerte entre 1950 et 1990.

Les femmes sans emploi sont les moins protégées car seulement le tiers d’entre elles reçoivent des prestations d’assurance-emploi. La situation est

tout aussi désolante pour les plus jeunes travailleurs. En plus de nier l’accès à l’assurance-emploi à un plus grand nombre de personnes, le gouvernement fédéral refuse de rembourser les 57 milliards de dollars prélevés en trop dans la caisse de l’assurance-emploi avant 2005.

LÉGISLATION Le projet de loi C-525 s’en prend aux syndicats

Les conservateurs fédéraux ont pré-senté un deuxième projet de loi émanant d’un député visant à mettre des bâtons dans les roues des syndicats. Si ce projet de loi hypocrite est adopté, il exigerait que les syndicats respectent des normes que les politiciens ne sont pas prêts à respecter eux-mêmes.

Le projet de loi C-525 rendrait presque impossible de structurer et d’accréditer de nouvelles sections locales, en plus de faciliter la désaccréditation.

Le projet de loi ferait passer le seuil nécessaire à l’accréditation d’un syndicat à plus de 50 % de l’ensemble des employés lors d’un scrutin secret. Le seuil actuel est de 50 % des employés ayant voté. Plus pervers encore, plus de 50 % des employés devraient se prononcer en faveur du maintien du syndicat advenant un vote de désaccréditation. Si les mêmes normes étaient appliquées aux élections fédérales, pas un seul député ne serait élu.

COUP D’ŒIL SUR L’ÉCONOMIE PLEINS FEUX SUR LES RÉCENTES ÉTUDES ET DÉVELOPPEMENTS ÉCONOMIQUES

L’Économie au travail est publiée sur une base trimestrielle par le Syndicat canadien de la fonction publique pour offrir aux travailleurs et à leurs représentants de l’information accessible, des analyses éloquentes des tendances économiques et des outils pour faciliter les négociations. L’Économie au travail remplace la publication antérieure du SCFP, Le climat économique pour les négociations.

Découvrez les éditions de l’Économie au travail en ligne à scfp.ca/economieautravail. Accédez aussi à d’autres liens utiles.

Pour s’abonner par courriel ou par courrier à l’Économie au travail, allez à scfp.ca/abonnement.

À moins d’indications contraires, tout le contenu a été rédigé par Toby Sanger. Wes Payne et Philippe Gagnon sont les rédacteurs en chef. La mise en page a été réalisée par Marnie Thorp. Veuillez communiquer par courriel ([email protected]) pour toute correction, question, suggestion ou contribution.

SEPB491

Page 3: L'Économie au Travail - automne 2013

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL AUTOMNE 2013 3

Croissance économique

L’économie canadienne devrait croître de 1,7 % en 2013 puis de 2 à 2,5 % par année dans les années subséquentes.

Emploi En raison de la croissance modeste de l’emploi, le taux de chômage devrait se maintenir au-dessus de la barre des 7 % pour le reste de 2013, puis descendre à 6,8 % en 2014.

Inflation Selon les prévisions, le taux d’inflation au Canada sera de 1,2 % en 2013 et de 1,8 % en 2014 (voir l’article sur l’indice des prix à la consommation en page 7).

Salaires L’augmentation moyenne des salaires prévue dans les conventions collectives signées cette année est d’à peine 0,9 %, soit le niveau le plus bas depuis le milieu des années 1990. La hausse moyenne dans le secteur public est de 0,7 %, comparativement à 2,3 % dans le secteur privé.

Taux d’intérêt Les taux d’intérêt à court terme demeurent anémiques et aucune hausse n’est prévue jusqu’à la fin de l’année prochaine. Cependant, les taux d’emprunt à plus long terme, y compris les prêts hypothécaires sur cinq ans, ont déjà augmenté.

Quatre années se sont écoulées depuis que l’économie canadienne a touché le fond du baril au milieu de 2009. Bien que la récession n’ait pas affecté le Canada aussi gravement que de nombreux autres pays, la reprise a été plus lente qu’elle ne l’avait été dans la foulée des récessions anté-rieures. En fait, de nombreux Canadiens attendent encore la reprise.

Les mesures de relance ont fait en sorte que le repli économique n’a pas été aussi important qu’il aurait pu l’être et que la croissance a été plus forte une fois la ré-cession terminée. Mais depuis, les mesures d’austérité du gouvernement ont ralenti la croissance économique, ce qui fait que nous sommes présentement dans une situation moins enviable que lors de la reprise des années 1990.

Les taux d’intérêt sont à la hausse, ce qui nuit à la croissance. Nos exportations nettes font piètre figure, car dans le reste du monde l’économie est à plat. Le Canada a beau être prêt à brasser des affaires, peu de pays sont en position d’acheter.

La reprise au Canada ne devrait pas non plus être trop vive. La croissance annuelle moyenne devrait être d’à peine 2,3 % entre 2010 et 2017. C’est presque un point de pourcentage de moins que la moyenne de 3,2 % enregistrée lors des reprises des années 1980 et 1990. Si ces prévisions s’avèrent, le rendement de notre économie sera amputé de 100 milliards de dollars d’ici 2017.

Une faible croissance est-elle la nouvelle norme? On peut faire en sorte qu’il en soit autrement. En effet, il y a beaucoup de liquidités qui s’accumulent ou qui servent à alimenter la spéculation (voir l’article L’abondance des capitaux, un problème en page 5) qui pourraient être utilisées à meilleur escient si elles étaient canalisées dans des investissements sociaux productifs ou si elles étaient mises à la disposition des ménages canadiens.

Qu’est-il arrivé à la reprise?

CROISSANCE ÉCONOMIQUE MOYENNE EN PÉRIODES DE REPRISE

Croi

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enne

du

PIB

4%

3%

2%

1%

0%Reprise

1983-90

3,3%

Reprise1992-99

3,2%

Reprise 2010-2017(données réelles

et prévisions)

2,3%

Source : Statistique Canada, Tableau Cansim 380-0064 et prévisions de la Banque TD (juin 2013)

ORIENTATIONS ÉCONOMIQUES Coup d’œil sur les plus récentes tendances économiques

PLEINS FEUX L’économie post-récession

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4 AUTOMNE 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

De nombreux éminents économistes en sont arrivés à la conclusion que les élites économique et politique mettent les mécanismes d’élaboration des politiques publiques au service de leurs intérêts. Ils affirment qu’il faut des syndicats plus forts pour contrebalancer le pouvoir croissant de ces élites.

Daron Acemoglu et James Robinson, auteurs de Why Nations Fail (Pourquoi les nations échouent), reconnaissent que « les syndicats ont joué un rôle clé dans la création de la démocratie dans bon nombre de régions du monde ».

D’autres éminents économistes, dont Emmanuel Saez ainsi que les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman ont aussi récemment pointé du doigt la concentra-tion du pouvoir de l’élite des « un pour cent » comme un obstacle à une croissance économique forte.

Après la crise économique de 1929, les travailleurs syndiqués ont poussé les pays occidentaux à mettre en œuvre des réformes favorisant l’égalité, la démocratie, l’élargissement des services publics, l’amélioration des droits de la personne et le renforcement des syndicats. Ces pays ont connu une croissance économique inégalée.

Aujourd’hui, après la pire crise économique depuis le krach de 1929, nos gouvernements vont malheureusement dans une direction opposée en adoptant des mesures d’austérité et d’autres politiques néfastes. Les résultats sont inquiétants : l’égalité diminue, la démocratie est affaiblie, les syndicats sont muselés et la croissance économique est léthargique.

Bien entendu, les économistes n’ont pas tous changé leur fusil d’épaule. Des diffé-rences d’opinions persistent. Pratiquant le déni, les théoriciens de droite continuent en effet à prôner des politiques qui favorisent les faillites.

Mais qu’est-ce que cela signifie concrè-tement? Le pouvoir politique, l’égalité, les institutions démocratiques et les syndicats sont tous importants. Si on les affaiblit, l’économie en souffre.

Les timides mesures de relance et les mesures libérales complaisantes pour réduire la pauvreté ne suffisent pas. Nous devons réduire la concentration des pou-voirs, élargir les services publics, renforcer la démocratie et les syndicats, augmenter les salaires de tous les travailleurs et accroître leur part du revenu national.

TENDANCES OPINIONS

Les syndicats forts font contrepoids aux élites, disent des économistes reconnus

« L’austérité est un mot code pour le transfert de la richesse et du pouvoir dans un nombre encore plus limité de mains. » Aditya Chakrabortty, The Guardian

Les profits record des grandes banques

Pour un autre trimestre, les grandes banques canadiennes engrangent des profits record. Elles ont cumulé plus de huit milliards de dollars uniquement durant le troisième trimestre de 2013, une hausse de 11 % par rapport à l’année précédente.

Prospérité du secteur financier

Les profits du secteur financier du Canada atteignent maintenant plus de 80 milliards de dollars par an. C’est plus de deux fois le montant total de l’ensemble des déficits des gouvernements fédéral et provin-ciaux au Canada combinés.

Augmentation de la dette des ménages

Le montant total des hypothèques, prêts et autres dettes des ménages canadiens atteint 1,7 billion de dollars cette année, une hausse de 5 % par rapport à l’année dernière. Le niveau d’endettement équivaut à près de 48 000 dollars pour chaque Canadien.

Stagnation du revenu familial

Le revenu médian après impôt des familles canadiennes est demeuré stable en 2011. Il y a eu peu ou pas d’augmentation pour une quatrième année de suite, selon les plus récents chiffres de Statistique Canada.

Page 5: L'Économie au Travail - automne 2013

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL AUTOMNE 2013 5

Trop d’argent? La plupart d’entres nous n’ont pas un tel problème. Pourtant, il s’agit d’un phénomène bien réel à l’échelle mondiale, selon un rapport peu connu publié par la firme de consultants Bain and Company.

Le nom Bain and Company vous ne vous est pas familier? Sachez que cette entreprise est associée avec Bain Capital, la société d’investissement en capital cofondée par Mitt Romney, l’ancien candidat républi-cain à la présidence. Cette entreprise n’est pas un porte-étendard de l’anticapitalisme, mais elle a quand même mis le doigt sur un problème majeur ignorés par plusieurs.

La stagnation des salaires et des revenus a fait augmenter les profits et procurer des capitaux excédentaires aux plus nantis. Les politiques économiques qui ont réduit les impôts des plus riches et des entreprises ont aussi contribué à l’accroissement des réserves en capitaux, mais beaucoup moins à encourager l’investissement.

À l’échelle mondiale, le capital financier accumulé a triplé de 1990 à 2010, soit à un rythme beaucoup plus rapide que la croissance économique. Ces réserves mondiales s’élèvent maintenant à plus de

600 billions de dollars et devraient encore augmenter de 50 % d’ici 2020. En ajoutant l’inflation, ces réserves pourraient excéder un quadrillion de dollars, soit plus de dix fois la valeur annuelle de la production économique mondiale.

Cette « surabondance de capitaux » crée de gros problèmes, selon le rapport de Bain and Company. L’effet immédiat a été « de paralyser, d’apporter de la confusion et de fausser les décisions d’investissement ». Le consultant prévoit aussi des « taux d’intérêt bas, une grande volatilité et des faibles rendements ». Des bulles d’actifs plus fréquentes, plus dommageables et plus persistantes suivront. Elles causeront inévitablement des ralentissements et des crises économiques.

Malheureusement, la plupart des économistes semblent ignorer ce problème. C’est pourquoi bon nombre d’entre eux, qui

n’ont pas réussi à prévoir la récente crise financière, continuent à privilégier

des politiques qui aggravent le problème.

Le rapport renferme des conseils pour les entreprises et les investisseurs afin qu’ils s’adaptent à la surabondance des capitaux dans le monde. Existe-t-il aussi des conseils pour la plupart d’entre nous qui n’ont pas l’argent requis pour profiter de ce marché nouveau et volatil, voire pour payer les factures du mois prochain? En voici quelques-uns.

Les particuliers ne devraient pas miser sur les marchés pour assurer leur sécurité financière à la retraite. Les rendements se-ront plus faibles, plus volatiles et il sera plus difficile de réaliser des profits. Mieux vaut miser sur les régimes de pension publics et les régimes à prestations déterminées. Ils sont plus susceptibles de demeurer à flot malgré un marché extrêmement changeant.

Les gouvernements et les politiciens devraient s’efforcer de ralentir la croissance des réserves de capitaux en renversant les politiques qui ont favorisé le phénomène.

Il faut donc éliminer les taux d’im-pôt préférentiels pour les entreprises et les sociétés de capitaux, réviser la réglementation des marchés finan-ciers, limiter les droits des sociétés et favoriser la croissance des salaires.

Il est aussi nécessaire d’augmenter le contrôle « social » des capitaux et de bonifier la prestation des biens

publics. Pour ce faire, il faut imposer davantage les capitaux et les richesses d’un petit nombre de privilégiés et les utiliser à des fins plus socialement productives. Une taxe sur les transactions financières permettrait non seulement de dégager des milliards, mais s’avérerait aussi un outil fort utile pour réguler les cycles économiques.

TENDANCES CAPITAL MONDIAL

L’abondance des capitaux, un problème

Qu’est-ce qu’un quadrillion ?Il s’agit de mille billions ou un dollar suivi de 15 zéros. C’est suffisamment de billets d’un dollar pour parcourir la distance aller-retour entre la Terre et le soleil un millier de fois.

Page 6: L'Économie au Travail - automne 2013

6 AUTOMNE 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

Le gouvernement conservateur a accordé beaucoup d’attention à la pénurie de la main-d’œuvre qualifiée qui, selon lui, ralentit la croissance économique. Pour reprendre les mots du premier ministre, il s’agirait « du plus grand défi auquel notre pays est confronté». Il a utilisé cette soi- disant pénurie pour justifier des change-ments politiques majeurs comme l’élar-gissement du programme des travailleurs étrangers temporaires, les changements à l’assurance-emploi, le report de l’âge de retraite et le transfert des fonds des pro-grammes de formation de la main-d’œuvre existants vers la Subvention canadienne pour l’emploi.

Mais est-ce qu’une grave pénurie de compétences et de main-d’œuvre freine vraiment l’économie canadienne?

Y a-t-il véritablement un trop grand nombre « d’emplois sans travailleurs » alors que 1,4 million de Canadiens au chômage cherchent activement du travail?

La vérité, c’est qu’il n’y a aucune donnée probante qui appuie la prétention du premier ministre.

Ainsi :• Le nombre d’emplois vacants est en

diminution. Il a chuté à 225 000 en

mai selon l’enquête mensuelle de Statistique Canada. Ce chiffre repré-sente un peu plus de 1% de la main-d’œuvre totale, ce qui signifie qu’il y a 6,3 personnes sans emploi pour chaque emploi disponible.

• Seulement 20 % des sociétés sondées par la Banque du Canada à l’été 2013 ont af-firmé qu’elles étaient aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre, une baisse par rapport à l’année précédente. C’est aussi la moitié moins que les 40 % enregistrés avant la crise financière.

• Une analyse approfondie réalisée par l’Association des comptables généraux accrédités du Canada a révélé qu’il n’y avait jamais eu de pénurie de main-d’œuvre qualifiée généralisée. Les pénuries survenues étaient sporadiques, régionales et n’ont pas duré plus d’un an.Il y aura toujours un certain nombre

d’emplois vacants, car les gens changent d’emploi et les employeurs mettent un certain temps pour combler les postes. Lorsque le chômage est faible, il faut plus de temps pour combler les postes et le taux d’emplois vacants est supérieur. Lorsque le taux de chômage est élevé, le taux d’emplois vacants est inférieur.

Le taux de postes à pourvoir au Canada est de 1,5 %. C’est peu comparativement aux États-Unis. Il est plus élevé que dans la plupart des pays européens, où les taux de chômage sont toutefois plus élevés. Dans les pays européens dont les taux d’emplois vacants sont inférieurs à 1%, le taux de chômage moyen est de 13,6 %, soit près du double du pourcentage canadien.

La Grèce a un taux d’emplois vacants extrêmement faible à 0,3 %, mais un taux de chômage de 27 %. En revanche, l’Alle-magne présente le taux d’emplois vacants le plus élevé de l’Europe à 2,6 %, mais aussi le taux de chômage le plus faible à 5,4 %. Quel est le meilleur scénario?

Normalement, les pénuries devraient mener à des augmentations des prix et des salaires. Voilà comment le marché du travail devrait se comporter.

Bien que certains employeurs et lobbyistes du milieu des affaires se plaignent de pénuries de main-d’œuvre et de compétences, ils font bien peu pour améliorer les conditions de travail. Ils choisissent plutôt de collaborer avec le gouvernement fédéral pour maintenir les salaires et les avantages à un niveau minimal.

DISSIPER LES MYTHES EMPLOI

La pénurie alléguée de main-d’œuvre et de compétences n’est pas démontrée

Page 7: L'Économie au Travail - automne 2013

L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL AUTOMNE 2013 7

HAUSSES DES PRIX ET DES SALAIRES

Canada C.-B. Alb. Sask. Man. Ont. Qué. N.-B. N.-É. I.-P.-É. T.-N.-L.

Augmentations du salaire de base dans les principales conventions collectives (janv. à juil. 2013)

0 ,9% 1 ,7% 0 ,9% 1 ,6% 2 ,3% 0 ,5% 1 ,7% 1 ,1% 2 ,5% -- --

Inflation (prévision 2013) 1 ,2% 0 ,6% 1 ,4% 1 ,5% 1 ,7% 1 ,3% 1 ,4% 1 ,2% 1 ,6% 1 ,6% 1 ,8%

Inflation (prévision 2014) 1 ,8% 1 ,3% 1 ,6% 2 ,3% 1 ,8% 1 ,8% 1 ,8% 1 ,6% 1 ,8% 1 ,7% 2 ,0%

Source : Compilation du RHDCC basée sur les principales conventions collectives et prévisions des banques TD, Royale et de Montréal.

SALAIRES QUI OBTIENT QUOI

Le secteur privé encore premier

INDICE DES PRIX À LA CONSOMMATION

L’essence a coûté plus cher cet été, mais l’inflation est demeurée faibleCet été, l’inflation a connu une

tendance à la hausse dans l’ensemble des provinces en raison du prix plus élevé de l’essence. Les prix à la consommation ont augmenté en moyenne de 1,3 % en juillet, une hausse de 0,5 % depuis janvier attribuable à une augmentation de 11 % du prix de l’essence. En juillet, les automobilistes ont payé plus de 1,3 dollar le litre dans l’ensemble des provinces sauf en Alberta et au Nouveau-Brunswick.

Les augmentations de prix de la plupart des autres marchandises sont

demeurées modérées. Plus tôt cette année, les taux d’emprunt particu-lièrement bas ont contribué à limiter l’inflation. L’augmentation des taux hypothécaires contribuera cependant à la hausse de l’inflation, du moins jusqu’à ce que ces taux exercent une pression à la baisse sur le prix des maisons. Le taux d’inflation de base – il exclut les huit marchandises aux prix les plus volatiles – a été plus stable. La moyenne annuelle a été de 1,2 %.

À l’échelle nationale, le taux d’inflation moyen a été de 0,9 % au

cours des sept premiers mois de 2013, variant de zéro en Colombie-Britannique à 2,2 % au Manitoba. Ces deux provinces s’écartent du taux national en raison des changements apportés à leur taxe de vente. À l’échelle nationale, on prévoit que l’inflation atteindra 1,2 % cette année et augmentera à 1,8 % en 2014.

Pour les conventions collectives signées au cours du premier semestre de l’année, l’augmentation moyenne du salaire de base a été de 0,9 %, ce qui correspond au taux d’inflation moyen pour la même période. Mais puisque ces conventions dureront en moyenne deux ans et demi, les augmentations moyennes pendant la durée des contrats seront en réalité inférieures à l’inflation. Concrètement, cela signifie des pertes salariales.

Les hausses de salaires consenties aux travailleurs du secteur public ont été en moyenne de 0,7 % au Canada, soit beaucoup moins que la moyenne de 2,3 % obtenue dans le secteur privé.

Les augmentations de salaires des tra-vailleurs du secteur public de l’Ontario sont les plus faibles de l’ensemble des provinces. Elles ont tout juste atteint 0,2 % en raison du gel salarial de deux ans imposé par la province. Les haus-ses les plus fortes ont été obtenues en Nouvelle-Écosse, soit 2,5 %.

Les travailleurs du secteur public de l’Alberta se situent à l’avant-dernier rang, avec des augmentations salariales moyennes de 0,7 % en raison des conventions collectives des enseig-nants qui prévoient des hausses de salaires annuelles de 0,5 % sur quatre ans. Dans la convention collective précédente d’une durée de cinq ans,

les hausses de salaires étaient liées à l’augmentation des gains hebdo-madaires moyens en l’Alberta. Ces derniers ont augmenté de près de 5 % par année.

Prévisions salariales pour 2014Au Canada, les salaires devraient

augmenter en moyenne de 2,6 % en 2014, selon les enquêtes réalisées au-près des employeurs canadiens par la firme HayGroup. C’est inférieur à la prévision de 2,9 % pour 2013. Les augmentations dans le secteur public devraient atteindre 2,3 %, ce qui est inférieur à la moyenne de 2,7 % dans le secteur privé.

Page 8: L'Économie au Travail - automne 2013

8 AUTOMNE 2013 L’ÉCONOMIE AU TRAVAIL

grande partie produite chez les professionnels et les gens de métier de la fourchette supérieure de l’échelle salariale. Dans la fourchette inférieure, l’emploi a crû dans les domaines technique et administratif ainsi que chez les manœuvres. La croissance de l’emploi a été plutôt lente dans la plupart des professions à revenu moyen.

À plus long terme, le nombre d’emplois moins bien rémunérés s’est accru plus rapidement que le nombre d’emplois mieux rémunérés. Ces deux tendances dénotent un déclin des emplois de la classe moyenne et une inégalité croissante.

Les salaires sont importants, mais ils ne sont pas le seul facteur à considérer. Les enquêtes d’opinion démontrent en effet que les tra-vailleurs accordent également une grande priorité à la sécurité d’em-ploi. La permanence et la protection syndicale contribuent par exemple à la sécurité d’emploi.

Les heures de travail, les condi-tions d’emploi, le régime de retraite et les avantages sociaux sont aussi des facteurs importants. Certains syndicats commencent d’ailleurs à ajuster l’indice des bons emplois pour qu’il reflète mieux les priorités identifiées par les travailleurs.

Nous devons comprendre les tendances de l’emploi, nous devons surtout nous efforcer d’améliorer les emplois. Tous les travailleurs méritent une rémunération juste, un régime de retraite et des avantages sociaux décents, une plus grande sécurité d’emploi, de meilleures conditions de travail et un syndicat fort.—Avec la collaboration d’Angella MacEwan

HORS DES SENTIERS BATTUS VIEILLISSEMENT

L’espérance de vie augmente, mais plus pour certains

L’espérance de vie augmente partout dans le monde, mais à des rythmes différents pour les hommes et les femmes. Même chose selon les revenus. Par conséquent, nous ne profitons pas tous également de l’augmentation de l’espérance de vie. L’écart est faible entre les hommes et les femmes, mais pas entre les riches et les pauvres.

L’espérance de vie des hommes est passée de 74 ans en 1990 à 78 ans en 2010 alors que pour les femmes, elle est passée de 80 à 82 ans au cours de la même période. Toutefois, les hommes dont les revenus se situent dans les tranches les plus élevées peuvent s’attendre à vivre près de cinq ans de plus que ceux dont les revenus sont dans les tranches inférieures. La pauvreté tue donc bel et bien. Et même si le bonheur ne s’achète pas, il semble que l’argent permet de prolonger la vie.

L’écart entre les riches et les pauvres est encore plus important pour ce qui est des années de bonne santé ou de « l’espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé ». Les travailleurs des tranches de revenus inférieures vivent 7,5 ans de moins en bonne santé que ceux des tranches de revenus supérieures.

Dans le cas des personnes à l’extrémité inférieure de l’échelle économique, ils sont plus susceptibles de travailler jusqu’à l’âge de la retraite malgré une moins bonne santé parce qu’ils n’ont pas de rentes de retraite suffisantes. Statistique Canada signale que « de nombreux travailleurs âgés auront de la difficulté à continuer à travailler en raison de leur mauvaise santé, même s’ils ne sont pas prêts financièrement à prendre leur retraite ».

Près du quart des personnes qui ont pris une retraite complète et 16 % de celles qui ont pris une retraite partielle l’ont fait pour des raisons de santé ou d’incapacité et non pas par choix. Cette tendance augmentera probablement étant donné la hausse de l’âge de la retraite aux fins de la Sécurité de la vieillesse et des autres régimes de pension. Toute augmentation de l’âge de retraite vient voler des années de repos bien mérité aux personnes appartenant aux fourchettes de revenu inférieures.

—Avec la collaboration de Graham Cox

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Revenu moyen

Source: Statistique Canada, Tableau Cansim 102-0122.

Revenu inférieur

(15 400 $)

Revenu moyen inférieur

(27 200 $)

Revenu moyen

(37 500 $)

Revenu moyen supérieur

(49 600 $)

Revenu élevé

(83 500 $)

HommesFemmes

L’ESPÉRANCE DE VIE SELON L’ÉTAT DE SANTÉ À L’ÂGE DE 65 ANS

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