L'écriture scientifique

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Echantillon du cours d'écriture scientifique de Christophe Cusimano

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Lcriture scientifique Cours de Christophe Cusimano

Lcriture scientifiqueA. Le raisonnement scientifique I. II. III. B. Typologie des units de raisonnement Dvelopper des arguments Comment tre convaincant ?

Quest-ce que la recherche universitaire ? I. II. III. Les mthodes danalyse Problmes de problmatique Morale et argumentation

C.

Mise en application aux cas des articles scientifiques I. II. III. Mthodologie de la rdaction darticles Les conventions textuelles Cas pratiques

RESUME DU COURS (FR.) Ce cours devrait permettre aux tudiants, dj avancs dans la matrise de largumentation et de la dissertation, de sinitier aux difficults et aux rigueurs du discours scientifique : laccent sera surtout mis sur les diffrents types de raisonnement logique et leur formulation. Dans ce cadre, il sagira en particulier de mettre en perspective ce savoir frachement acquis la rdaction darticles scientifiques. Cest dailleurs cette unit de discours qui servira de mode dvaluation pour ce cours. RESUME DU COURS (ENG.) In this course, we seek out to provide to the students, already familiar with the work of argumentation and essay, some tools to master the scientific discourse patterns : in that way, we particularly focus on the various kinds of logical reasoning and their expression. We try to initiate the students into the difficulties and the methods of the scientific articles. Indeed, the final assessment of the course requires them to be able to write a paper themselves.

BibliographieBEAUD M., 2003, Lart de la thse, Paris, La Dcouverte, Repres. BIYOGO G., 2005, Trait de mthodologie et dpistmologie de la recherche,

Paris,

LHarmattan.GUIDERE M., 2003, Mthodologie de LEBRUN J.-L., 2007, Guide pratique

la recherche, Paris, Ellipses. de rdaction scientifique Comment crire pour le lecteur scientifique international, Les Ulis, EDP Sciences. POCHET B., 2009, La rdaction dun article scientifique Petit guide pratique adapt aux sciences appliques et aux sciences de la vie lheure du libre accs, Gembloux, Presses agronomiques de Gembloux. MEYER B., 1996, Matriser largumentation Exercices et corrigs, Paris, Cursus, Armand Colin.

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EXAMENS (FR.) Lvaluation du cours se divise en deux parties : lune thorique visant contrler le bon apprentissage des lments du cours (50 % de la note finale) ; lautre pratique et qui consiste dans la rdaction dun article scientifique sur un sujet donn (50 % de la note finale). Sagissant dun contrle continu des connaissances, il ny aura pas dexamen final.EXAMINATION (ENG.)

The examination of the course is divided in two parts : the first part which takes form of an assessment concerning the theoretical elements (50% of the final grade) ; the second one which consists in writing a scientific article (50% of the final grade). As these exams take part of a continuous assessment, no final examination is scheduled.

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Fiche 1 LES TYPES DE RAISONNEMENT1.CONCEVOIR UNE UNITE DE RAISONNEMENT (M. MEYER,

1996)

Le dveloppement darguments seffectue toujours en amont par le biais dun raisonnement logique. En voici quelques-uns qui comptent parmi les principaux. 1.1 1.1.1QUELQUES AXES DU RAISONNEMENT LOGIQUE

La dduction Extraire une ide seconde dune premire ide plus gnrale : Si tout A est B et si tout B est C, alors tout A est C Processus consistant dterminer si une formule donne en implique une autre ; typiquement, si une formule donne est implique par la base de connaissances. La dduction permet par exemple de : chercher connatre la valeur de descripteurs non observables; dterminer des actions quil faut effectuer...

1.1.2

Linduction Construire une rgle gnrale partir dides, de situations apparemment diffrentes : pour cela, prendre en compte toutes les situations, la vracit des exemples. Opration logique dlicate. Si on a plusieurs situations ou ides concordantes A, B et C, on peut noncer une rgle gnrale qui explique A, B, et C et dautres situations ou ides de ce type Processus consistant dterminer une base de connaissances expliquant des observations/exemples donns (apprentissage). Il existe de nombreuses variantes : prise en compte de la probabilit des exemples, caractrisation de lensemble des formules classifiant correctement les exemples et les contre-exemples (espace des versions), calcul de la formule la plus spcifique, etc.

1.1.3

La recherche des causes Analyser un problme consiste remonter le plus loin possible vers les causes du problme pos par linterlocuteur.

1.1.4

Le but Comprendre ou deviner avec exactitude ce que linterlocuteur veut dire et o veutil en venir.

1.1.5

Lopposition (ou contradiction) Il devient ensuite possible, dans certains cas, de contredire linterlocuteur. Il faut alors le faire avec finesse, et souvent on se doit de nuancer sa rponse et intgrer les atouts de lautre conception la sienne.

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1.1.6

Lhypothse Raisonner dun point de vue virtuel peut parfois tre une solution avantageuse comme rponse une question : on sort des affirmations et de la ralit pour conduire linterlocuteur vers un terrain quil navait pas envisag.

1.1.7

Le raisonnement par limination Abandonner les pistes errones avant de privilgier celle(s) qui reste(nt) et simposent donc. Le problme de cette dmarche relve de lexigence dexhaustivit des options abandonnes.

1.1.8

Lalternative Type de raisonnement binaire : se prsentent deux lments de rflexion en termes de choix comme dans : Cest soit A soit B On peut sextraire dune question pose selon ce type de raisonnement : en refusant de choisir, pour une raison dfinir. en acceptant les deux. en dmontrant que le choix propos est un choix qui dcoule dune mauvaise apprciation de la situation, quil sagit du mauvaise alternative.

1.2

EXERCICES

1. Voici un extrait de Voyage dun naturaliste autour du monde de Charles Darwin. Trouvez-y quelques-uns des types de raisonnement voqus plus haut et justifiez votre rponse. Plus d'une fois, pendant que je cherchais des animaux marins, la tte environ 3 pieds audessus des rochers de la cte, je reus un jet d'eau en pleine figure, jet accompagn d'un lger bruit discordant. Tout d'abord je cherchai en vain d'o me venait cette eau, puis je dcouvris qu'elle tait lance par un poulpe, et, quoiqu'il ft bien cach dans un trou, ce jet me le faisait dcouvrir. Cet animal possde certainement le pouvoir de lancer de l'eau, et je suis persuad qu'il peut viser et atteindre un but avec assez de certitude en modifiant la direction du tube ou du siphon qu'il porte la partie infrieure de son corps. Ces animaux portent difficilement leur tle, aussi ont-ils beaucoup de peine se traner quand on les place sur le sol. J'en gardai un pendant quelque temps dans la cabine et je m'aperus qu'il met une lgre phosphorescence dans l'obscurit. LES ROCHERS DE SAINT-PAUL. En traversant l'Atlantique, nous mettons en panne, pendant la matine du 16 fvrier, dans le voisinage immdiat de lle Saint-Paul. Cet amas de rochers est situ par 0 58' de latitude nord et 89 15 de longitude ouest ; il se trouve 540 milles (865 kilomtres) de la cte d'Amrique et 350 (560 kilomtres) de lle de Femando-Noronha. Le point le plus lev de lle Saint-Paul se trouve 50 pieds seulement au-dessus du niveau de la mer ; la circonfrence entire de lle n'atteint pas trois quarts de mille. Ce petit point s'lve abruptement des profondeurs de l'Ocan. Sa constitution minralogique est fort complexe ; dans quelques endroits, le roc se compose de hornstein ; dans d'autres, de feldspath ; on y trouve aussi quelques veines de serpentine. Fait remarquable : toutes les petites les qui se trouvent une grande distance d'un continent dans le Pacifique, dans l'Atlantique ou dans l'ocan indien, l'exception des les Seychelles et de ce petit rocher, sont, je crois, composes de matires coralline et de matires ruptives. La nature volcanique de ces les ocaniques constitue videmment une extension de la loi qui veut qu'une grande majorit des volcans, actuellement en activit, se

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trouvent prs des ctes ou dans des lies au milieu de la mer et rsultent des mmes causes, qu'elles soient chimiques ou mcaniques. Les rochers de Saint-Paul, vus d'une certaine distance, sont d'une blancheur blouissante. Cette couleur est due, en partie, aux excrments d'une immense multitude d'oiseaux de mer et, en partie, un revtement form d'une substance dure, brillante, ayant l'clat de la nacre, qui adhre fortement la surface des rochers. Si on l'examine la loupe, on s'aperoit que ce revtement consiste en couches nombreuses extrmement minces ; son paisseur totale se monte environ un dixime de pouce. Cette substance contient des matires animales en grande quantit et sa formation est due, sans aucun doute, l'action de la pluie et de l'cume de la mer .

2. Quand Mahmoud Abbas a dit Hillary Clinton : Savez-vous quelles seraient les consquences de la chute de Moubarak ? Soit le chaos, soit les Frres Musulmans, soit les deux quel type de raisonnement (un peu dtourn) est-il fait allusion ?

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Fiche 2 ABDUCTION et PROBLEMATIQUE2. LA THEORIE DE LABDUCTIONIl est habituel de considrer quil y a deux modes de raisonnement, deux faons de progresser dans la connaissance, linduction et la dduction. Et il est tout autant habituel de dfinir la dduction comme le raisonnement qui conduit de propositions donnes aux propositions qui en dcoulent rationnellement (Isabelle Mourral et Louis Millet (1995), p. 73) et linduction comme lopration par laquelle lintelligence passe des faits aux lois qui les expliquent (Ibid., p. 169). Mais on doit Charles S. Peirce la mise en vidence dune troisime forme de raisonnement, labduction, savoir, selon la formule dIsabelle Mourral et Louis Millet (1995), qui se rfrent son Dictionnary of Logic (1867), la conjecture sans force probante, fonde sur une hypothse tire de lexprience (p. 7). 2.1DEFINITION

Nous raisonnons, disait Pierce, de trois faons : par Dduction, par Induction et par Abduction. Essayons de comprendre ce dont il sagit ... Charles Sanders Peirce (1839-1914) Supposons que jaie sur cette table un paquet plein de haricots blancs (supposons que jaie achet dans un magasin o lon vend des paquets de haricots blancs et que le commerant soit un homme de confiance) : par consquent, je peux assumer comme Loi que tous les haricots de ce paquet sont blancs. Une fois que je connais la Loi, je produis un cas ; je prends laveuglette une poigne de haricots dans le paquet (...) et je peux prdire le Rsultat : les haricots que jai en main sont blancs. La Dduction dune Loi (vraie), travers un Cas, prdit avec une absolue certitude un Rsultat. Hlas, sauf dans quelques systmes axiomatiques, les dductions certaines que nous pouvons faire sont trs rares. Passons maintenant lInduction. Jai un paquet mais je ne sais pas ce quil y a dedans. Jy plonge la main et jen retire une poigne de haricots dont je note quils sont tous blancs. Je recommence lopration un nombre x de fois (...) Aprs un nombre suffisant dessais, jmets le raisonnement suivant : tous les Rsultats de mes essais donnent une poigne de haricots blancs. Je peux faire la raisonnable infrence que tous ces Rsultats sont des Cas de la mme Loi, savoir que tous les haricots de ce paquet sont blancs. Dune srie de Rsultats, en infrant quils sont les Cas dune mme Loi, jen arrive la formulation inductive de cette Loi (probable). Bien entendu, il suffit qu un essai ultrieur un seul des haricots retirs du paquet soit noir pour que tout mon effort inductif sombre dans le nant (...) A ce stade, lInduction disparat pour cder la place lAbduction. Avec lAbduction, je suis face un Rsultat curieux et inexplicable. Pour nous en tenir notre exemple, il y a un paquet sur la table, et ct, toujours sur la table, il y a un tas de haricots blancs. Je ne sais pas comment ils sont venus l ou qui les y a mis, ni do ils viennent. Considrons ce Rsultat comme un cas curieux. Il me faudrait maintenant trouver une Loi telle que, si elle tait vraie, et si le Rsultat tait considr comme un Cas de cette loi, le Rsultat ne serait plus curieux, mais au contraire trs raisonnable.

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A ce moment-l, je fais une conjecture : je suppose la Loi selon laquelle ce paquet contient des haricots et tous les haricots de ce paquet sont blancs puis jessaie de considrer le Rsultat que jai sous les yeux comme un Cas de cette loi. Si tous les haricots de ce paquet sont blancs et si ces haricots viennent de ce paquet, il est naturel que les haricots sur la table soient blancs . Pour Peirce, le raisonnement par abduction est typique de toutes les dcouvertes scientifiques rvolutionnaires. 2.2 2.2.1MODIFICATIONS DES TYPES DE DEMARCHES (A. PELLISSIER-TANON, 2001)

Dmarches inductives et dmarches hypothtico-dductives Quoiquun consensus commence se dgager en faveur dun pluralisme mthodologique, on ressent encore comme une opposition entre les dmarches hypothtico-dductive, au titre de la gnralit des conjectures quelles formulent, et les dmarches inductives, au titre de la certitude des expriences dont elles rendent compte. Certains proposent de dpasser cette opposition en articulant les raisonnements propres chacune de ces dmarches en une boucle rcursive abduction, dduction, induction. Or il faut reconnatre que tous les recherches, quil sagisse de dcouvrir la cause dun fait particulier ou de retracer les effets possibles de ce fait, reposent sur des thories quil a fallu noncer au pralable. Linduction prend donc un relief particulier -cest elle qui permet dnoncer des thories nouvelles- ainsi que la qualit du raisonnement inductif -cest lui qui assure luniversalit des thories quelle nonce- : induire une loi consiste en effet saisir la ncessit qui sous-tend les faits contingents quon apprhende, ce qui exige du chercheur quil applique son intelligence en isoler les ressemblances des dissemblances et ce qui suppose, sil est conduit rendre compte de son induction et donc du choix de ses isolations, quil fasse un usage prcis du langage naturel (par opposition au langage symbolique).

2.2.2

Une boucle rcursive1 abduction, dduction, induction Il est habituel de considrer quil y a deux modes de raisonnement, deux faons de progresser dans la connaissance, linduction et la dduction. Et il est tout autant habituel de dfinir la dduction comme "le raisonnement qui conduit de propositions donnes aux propositions qui en dcoulent rationnellement" (Isabelle Mourral et Louis Millet (1995), p. 73) et linduction comme "lopration par laquelle lintelligence passe des faits aux lois qui les expliquent" (Ibid., p. 169). Mais on doit Charles S. Peirce la mise en vidence dune troisime forme de raisonnement, labduction, savoir, selon la formule dIsabelle Mourral et Louis Millet (1995), qui se rfrent son Dictionnary of Logic (1867), la "conjecture sans force probante, fonde sur une hypothse tire de lexprience" (p. 7). Lapport de Peirce est de concevoir le raisonnement scientifique comme larticulation dune abduction avec une dduction et une induction, partant, le progrs de la science comme le droulement indfini de ce cycle. Selon Albert David, qui emprunte Raymond Boudon (1990/1991) lexemple de la rue mouille, "cette articulation peut se formaliser comme suit :

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Qui peut tre rpt thoriquement un nombre indfini de fois par application de la mme rgle, par la voie d'un automatisme. Processus rcursif; construction rcursive (tlf). Qui peut appeler soimme son application.

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- une hypothse explicative est construite par abduction pour rendre compte de donnes posant problme (jobserve que la rue est mouille et je cherche une explication : il pleut, la balayeuse est passe, etc.) ; - les consquences possibles de cette hypothse sont explores par dduction (sil pleut, non seulement la rue est mouille mais aussi les trottoirs et les vitres chez moi ; si la balayeuse est passe, seule la rue est mouille mais alors nous sommes laprs-midi, etc.) ; - linduction permet une mise jour (confirmation ou infirmation) des rgles et thories mobilises (lorsquil pleut, la rue est mouille, la balayeuse ne passe jamais le matin, etc.) ; - si ces rgles sont infirmes, alors il faut reformuler, par abduction, de nouvelles hypothses explicatives, et le cycle recommence" (p. 5). Il semble bien que cette boucle rcursive abduction, dduction, induction permet, comme le souhaite Albert David, de dpasser lopposition de la dmarche inductive la dmarche hypothtico-dductive : dduction et induction y ont chacune une place, distincte et complmentaire lune de lautre. Pour linduction, il sagit de "mettre jour" (confirmer ou infirmer) les rgles et thories mobilises. Pour la dduction, il sagit dexplorer les consquences possibles de lhypothse abduite, ce qui permet au chercheur de satisfaire lexigence de falsifiabilit des hypothses formule par Karl Popper (1934/1973). Et il dcoule clairement de tout cela que cette boucle na pas besoin dtre parcourue intgralement par chaque chercheur au sein de chaque dispositif de recherche : il suffit quelle le soit collectivement dans la communaut de recherche (p. 1). Ainsi, la boucle rcursive permet, premire vue, de considrer les raisonnements inductif et dductif comme complmentaires, alors que lassociation de ces raisonnements aux pistmologies constructiviste et positiviste a laiss croire quils taient opposs. 2.3AUTREMENT DIT (C.

CUSIMANO, 2010 & 2012)

Labduction suggre une hypothse ; la dduction en tire diverses consquences que linduction met lpreuve (Deledalle, 1990 : 160). On pourrait la formuler comme suit.DDUCTION. Rgle.Tous les haricots de ce paquet sont blancs. Cas.Ces haricots proviennent du paquet. ..Rsultat.Ces haricots sont blancs. INDUCTION. Cas. Ces haricots proviennent du paquet. Rsultat.Ces haricots sont blancs. ..Rgle.Tous les haricots de ce paquet sont blancs. HYPOTHSE. Rgle.--Tous les haricots de ce paquet sont blancs. Rsultat--Ces haricots sont blancs. ..Cas.--Ces haricots proviennent du paquet..

Comme le dit J. Chenu (1984 : 25), labduction ici hypothse est dfinie comme linfrence par laquelle on passe dun fait surprenant, et inexplicable par les connaissances actuelles et les thories admises, une hypothse nouvelle capable den rendre compte . Essayons de schmatiser ce qui vient dtre dit : 8

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DDUCTION.

Loi. Tous les haricots (H) de ce paquet sont blancs (B)

Cas. Poigne = HBNB : Disposant dune loi, je peux en dduire tous les cas. INDUCTION.

Loi. Tous les haricots (H) de ce paquet sont blancs (B)

Cas 1. Poigne = HB ; Cas 2. Poigne =

HB ; Cas 3. Poigne = HB ; Cas 4. Poigne = HB

NB : partir dun nombre de cas identiques, je peux en induire une loi. ABDUCTION.

Loi. Tous HB Rsultat curieux HBPaque t

Cas.

NB : Je me trouve devant un rsultat curieux. Je fais une conjecture et suppose ainsi une loi selon laquelle ce paquet contient des haricots et tous les haricots de ce paquet sont blancs puis jessaie de considrer le rsultat que jai sous les yeux comme un cas de cette loi. Si tous les haricots de ce paquet sont blancs et si ces haricots viennent de ce paquet, il est naturel que les haricots sur la table soient blancs. En quelque sorte, je fais donc disparatre le rsultat curieux. Figure 1 : Triade dduction induction abduction (C. Cusimano)

On comprend bien ds lors que ces trois mouvements logiques, loin de sopposer, soient complmentaires : ceux-ci peuvent ainsi constituer trois parties dun seul raisonnement, une boucle rcursive, comme beaucoup2 lont remarqu, soit une suite abduction dduction induction susceptible dtre ritre tant que la bonne loi na pas t trouve. Nous synthtisons le tout ci-dessous travers un exemple aussi simple que celui de Peirce, le fameux exemple de la rue mouille .

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Cf. A. Pellissier-Tanon (2001, 55-66).

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a) ABDUCTION1. RESULTAT CURIEUX = je sors de ma salle de cours sans fentres et la rue est mouille. 2. CONJECTURE 1 (LOI SUPPOSEE) = il a plu. (CONJECTURE 1 CONJECTURE 2 = la rue a t lave.)

b) DEDUCTION1. LOI = il a plu. CAS : la terre des plantes dans la rue de luniversit est humide. 2.

c) INDUCTION1. NOUVEAU CAS = le linge qui pend aux balcons nest pas mouill. 2. la LOI est fausse

NB : Je me trouve devant un rsultat curieux. Je fais une conjecture et suppose ainsi une loi selon laquelle il a plu et jexplore par dduction les consquences de cette loi. Or un nouveau cas contraire vient infirmer la loi : je dois donc induire que ma loi est fausse et supposer une nouvelle loi telle que le rsultat curieux deviendrait un cas de cette loi, en loccurrence que la rue a t lave . Figure 2 : Une boucle rcursive (C. Cusimano)

Ce schma est tout fait comparable celui que propose N. EveraertDesmedt (1990 : 84) qui comporte quatre phases, la diffrence tant que le ntre place le rsultat curieux et la conjecture dans labduction elle-mme. De plus, la dduction sert selon lauteure plutt falsifier lhypothse qu en explorer les consquences.

Figure 3 : Le processus abductif (N. Everaert-Desmedt)

Comme on le voit, labduction est le raisonnement qui permet de pntrer une logique des arguments probables, et ainsi, de laisser lesprit en suspens aussi longtemps quaucune nouvelle information ne vient infirmer la loi : cest ce que L. Millet et I. Mourral (1995 : 7) appellent une conjecture sans force probante, fonde sur une hypothse tire de lexprience . Cest la fois le raisonnement scientifique par excellence, la dmarche dite hypothtico-dductive, ce doute

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mthodique, mais aussi un raisonnement que tout un chacun effectue chaque jour au cours de diverses activits. 2.4EXERCICE

Soit la boucle logique : d) ABDUCTION1. FAIT ou RSULTAT CURIEUX = La compagnie Mtal va supprimer 200 postes de son usine de Brno. 2. CONJECTURE (LOI SUPPOSE pour expliquer le FAIT) = la socit Mtal doit tre menace de faillite.

e) DEDUCTION1. LOI = la socit Mtal est bien menace de faillite, 2. CAS : mon ami Petr qui y travaille risque aussi dtre licenci, la rgion va connatre plus de chmage, les commerants vendront moins, etc.

f) INDUCTION1. NOUVEAU FAIT = on apprend que Mtal fait des bnfices. 2. la LOI est fausse

Comme un fait est venu infirmer la thorie, la boucle doit tre recommence. Pouvezvous limaginer ? 2.5CONCLUSION

Ex. Kepler (...) Le fait est que le scientifique na pas besoin de dix milles preuves inductives. Il met une hypothse, parfois hasardeuse, trs semblable un pari, et il la soumet un essai. Tant que lessai donne des rsultats positifs, il a gagn. Or un enquteur nagit pas autrement. Si lon relit les dclarations de mthodes de Sherlock Holmes, on dcouvre que lorsque le dtective (et avec lui Conan Doyle) par le de Dduction et dObservation, il pense en ralit une infrence similaire lAbduction de Peirce (...) Il ny a pas de diffrence (au plus haut niveau) entre la froide intelligence spculatrice et lintuition de lartiste. Il y a quelque chose dartistique dans la dcouverte scientifique et quelque chose de scientifique dans ce que les nafs nomment les "gniales intuitions de lartiste". Ce quelles ont en commun : le bonheur de lAbduction. (Umberto Eco, De Superman au surhomme) Les chercheurs en intelligence artificielle et les logiciens ne sont pas parvenus modliser l'abduction. On la qualifie parfois d'intuition gniale, ou d'illumination lorsqu'elle conduit une dcouverte importante. Or il faut sortir du cadre de la logique formelle pour apprhender l'abduction dans ce qu'elle a de singulier. La logique formelle rduit l'interprtation des propositions aux seules relations tablies entre elles, indpendamment de tout autre connaissance sur le monde et la situation, mais il est ncessaire de tenir compte du contexte empirique dans lequel les faits se produisent et sont interprts.

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Bibliographie sur labduction Peirce Ch. S., Peirce Textes anticartsiens, prsentation et traduction de Joseph Chenu, Paris, Aubier, 1984.Cusimano C., Vise interprtative - Lecture de deux descriptions de Amerika par F. Kafka , Texto, Vol. XV n 4 , 2010, et XVI n 1 , 2011, en ligne ladresse : www.revue-texto.net/index.php?id=2711 Cusimano C., La smantique contemporaine du sme au thme, Paris, PUP Sorbonne, 2012 ( paratre). Deledalle Y., Lire Peirce aujourdhui, Bruxelles, De Boeck, 1990. Everaert-Desmedt N., Le processus interprtatif :introduction la smiotique de Ch. S. Peirce, Lige, Mardaga, 1980. Millet et I. Mourral L., Petite encyclopdie philosophique, Paris, ditions Universitaires, 1995. Pellissier-Tanon A., Linduction, au cur du dilemme des savoirs en sciences de gestion dans Stratgies, actualit et futurs de la recherche, Paris, Vuibert, 2001, p. 55-66.

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Fiche 3 DEVELOPPER DES ARGUMENTS (M. MEYER, 1996)On croit souvent tort que la formulation orale dune pense est plus aise que la formulation crite, car moins prpare. Ceci est faux : cela demande autant de rigueur et peut-tre mme plus de prparation. Outre les procds que nous avons voqus plus haut, la prsentation orale ou crite ncessite des qualits dcoute (ou comprhension), dattention (ou concentration) et dimprovisation aussi. On peut diviser cette tche en deux points. 3.1 3.1.1REFUTER UNE THESE

Objection rejet Il sagit de nier la valeur de lide adverse : par consquent, autant tre sr de son fait. Ne pas oublier non plus que souvent, la vrit se situe quelque part au milieu.

3.1.2

Concession Peut-tre perue comme un repli, un manque de fermet ou de connaissance dans le domaine envisag, parfois une tentative de manipulation. Mais elle est aussi parfois la reconnaissance de faits irrfutables.

3.1.3

Nuance Elle permet de souligner, sans blesser linterlocuteur, le caractre excessif dune ide, les points de dsaccord. Procder trs habile pour parvenir un consensus.

3.1.4

Attnuation Permet de rajuster la porte de chiffres, de thories. Pour tre efficace, il convient toujours dy apporter des justifications, dautres chiffres par exemple.

3.1.5

Doute Comme on le sait, il est rarement possible de peser des thories avec certitude. De fait, adopter parfois une attitude dubitative face linterlocuteur permet dafficher sans blesser un probable dsaccord. Cela permet dasseoir confortablement ses propres ides.

3.2

ENONCER UNE THESE

Pour son tour dvelopper des arguments, il convient souvent dutiliser divers procds comme embrayeurs son propre raisonnement. 3.2.1 Reformulation Cette aptitude redire les choses est simplement indispensable loral. Elle permet de signifier linterlocuteur que sa parole a t entendue et de telle sorte, profondment, que lon est capable de sapproprier sa pense. Elle ajoute de la clart au dbat et diminue en mme temps la vitesse des ides avances dans les changes, ce qui laisse aussi davantage de temps de raction aux intervenants.

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3.2.2

Restructuration Il sagit l de donner comprendre de manire plus comprhensible, plus agrable ou plus pertinente une ide son interlocuteur. Lemploi de certains connecteurs et certaines formules est essentiel dans ce but.

3.3

APPUYER UNE THESE

Plusieurs procds permettent dappuyer la pertinence et la force dune ide. Cest notamment le cas des exemples et des citations. 3.3.1 Les exemples Les exemples que nous avons vus ou vcus forment, par induction, les conceptions qui nous animent. Il faut donc prendre garde : lexemple mal choisi. lexemple trop particulier et non gnralisable. Par contre, lexemple doit tre en mesure : dimager laspect abstrait des questions envisages. de donner un caractre affectif impressif largument dvelopp. dtre rel, valide et faire allusion des rfrences partages par linterlocuteur pour constituer une preuve. 3.3.2 Les citations Les citations constituent un socle o viendront se greffer ses ides. Bien choisies, elles jouent le rle dautorit scientifique. Elles peuvent tantt servir dbuter un raisonnement, tantt le conclure, tout comme marquer un lien entre diffrentes ides. 3.3 EXERCICES

Voici un article Franois Rastier qui fait suite au massacre perptu par Anders Breivik en Norvge (Utoya) le 22 juillet 2011. Trouvez-y quelques-uns procds argumentatifs voqus plus haut et justifiez votre rponse.Nologismes et no-nazisme Note sur le diagnostic de Anders Breivik Franois Rastier (Directeur de recherche, Paris) Dans un rapport en date du 29 novembre, deux psychiatres, MM. Srheim et Husby, ont dclar lassassin de masse no-nazi Anders Breivik non responsable de ses actes en diagnostiquant une schizophrnie paranode. Ils ont notamment pris lusage de nologismes pour indice de la schizophrnie. Or les nologismes sont tout fait ordinaires dans le langage de lextrme-droite, pour plusieurs raisons principales. (i) Ils relvent du style pamphltaire quelle affectionne et qui concrtise linguistiquement sa violence. (ii) Ils semblent ruiner les convenances de la langue, dposes dans son vocabulaire attest comme une doxa, et donc concrtisent un radicalisme rvolutionnaire . (iii) Souvent, par des compositions (comme licrasseux ou fdraste) ils crent des hybrides rpugnants que le discours dnonce. (iv) Ils crent enfin un effet de connivence, qui au-del du sectarisme, stend au populisme.

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On comprend cependant pourquoi le manuel diagnostic de l'Organisation mondiale de la Sant (ICD-10) considre l'invention de nologismes comme un symptme de schizophrnie. Le schizophrne peut manifester son alination littralement, par des usages linguistiques idiosyncrasiques (cf. Louis Wolfson, Le schizo et les langues, 1970). Cependant, le calque en norvgien de mots et syntagmes anglais (ex. nasjonaldarwinist) n'est pas une invention idiosyncrasique qui manifesterait un tel type d'alination. Ce qui parat un nologisme dans l'entretien oral en norvgien avec les psychiatres, ne l'est aucunement dans les 1.500 pages de manifeste en anglais de Anders Breivik. L'anglais est d'ailleurs si bien la langue de ses activits militantes qu'il signe son manifeste en anglicisant son nom (Andrew Berwick), ce qui est une faon d'indiquer qu'il appartient bien une mouvance internationale. Il s'est d'ailleurs "form" au no-nazisme pendant son sjour de plusieurs annes en Angleterre. Les psychiatres qui ont examin Breivik ont certes appliqu les indications de leur manuel, cit des dizaines de fois, mais ils ont pris pour des nologismes idiosyncrasiques des calques de syntagmes anglais, dont aucun lment en anglais n'est nologique : ainsi dans national darwinist, national n'est pas nologique, pas plus que darwinist, mais le calque nasjonaldarwinist est nologique en norvgien. Son emploi par Breivik n'est pas un indice d'alination, mais au contraire une revendication d'intgration la communaut no-nazie internationale, o l'expression national darwinist est courante ; elle sest si bien diffuse quon la trouve par exemple dans le New York Times (comme la rappel rcemment Anders Giver dans Verdens Gang). On ne peut que donner raison Breivik quand, la publication du diagnostic, il remarquait avec dpit que les psychiatres ne comprennent rien aux idologies. Au demeurant, ils gagneraient sans doute sinformer de notions de linguistique avant d'utiliser des critres linguistiques. Le diagnostic voudrait qu'il ne soit pas responsable de ses actes et donc soustrait la justice. Aurait-il aurait tu 77 personnes dans une bouffe dlirante ? Tout dans ses crits publis et dans la prparation minutieuse de ses attentats, comme dans les soutiens qu'il a reu dans l'opinion radicale (y compris en France) confirme qu'il appartient une mouvance internationale qui s'arme et se prpare une guerre "sainte" contre les Arabes (beaucoup de ses victimes taient d'ailleurs des jeunes issus de l'immigration). Le diagnostic occulte cette dimension politique et organisationelle : en cherchant des "raisons" individuelles, il ne peut videmment discerner les implications collectives et internationales. C'est l son effet, mme si l'on peut penser que ce n'tait pas son but. * Les psychiatres appuient galement leur diagnostic sur des ides bizarres de Breivik. (i) Elles concernent en premier lieu la contagion ils ignorent peut-tre quil sagit l dun thme majeur du racisme biologique nazi. Tous les crits de cette mouvance dcrivent limmigration comme une pidmie dangereuse qui met en pril la puret et lidentit mme du peuple et de la race. (ii) Breivik pense ainsi que la Norvge est victime dun nettoyage ethnique . On retrouve l encore un thme ordinaire des organisations no-nazies : dans cette guerre civile, ft-elle larve (lavintensiv borgerkrieg), le meurtre de masse devient un acte de rsistance lgitime. Les psychiatres semblent peu au fait de lhistoire contemporaine : quand Breivik, pour rtablir la puret raciale, voque des usines naissances (massefabrikker for fdsler), il ne sagit pas dun fantasme personnel, car il poursuit le projet des Lebensborn (un nologisme lpoque) : chacun sait que dans ces haras humains les nazis accouplaient des SS slectionns et de grandes jeunes filles blondes aux yeux bleus, captures notamment en Scandinavie, pour amliorer la race germanique menace. Une dizaine de centres furent ouverts en Norvge. Ainsi, leugnisme ngatif (meurtre des allognes menaants) se trouve-t-il complt par leugnisme positif des usines naissances . (iii) Parmi les concepts inhabituels relevs par les psychiatres, se trouve lamour pour le peuple et le souverain : mais dans la politique totalitaire, lunit biologique entre le peuple et

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le Souverain (Guide ou Fhrer) est bien entendu redoubl par un fusion motionnelle rciproque (voir par exemple lessai de Carl Schmitt, tat, mouvement, peuple). (iv) Les psychiatres stonnent que Breivik emploie tantt je et tantt nous, et y voient une dpersonnalisation et un affaiblissement de lidentit : cependant, dans ce discours militant, le nous affirme une identit collective, celle de la Gemeinschaft, au nom de laquelle lindividu dlite peut combattre pour sauver la communaut laquelle il appartient. Cest dj le cas dans Mein Kampf. (v) Enfin, les experts soulignent que Breivik emploie beaucoup de chiffres, dans un discours technique, sans motions. Comme leur analyse na t publie quen partie, il serait tendancieux dy voir une autodescription de leur propre discours. Mais rappelons que les bourreaux, hier comme aujourdhui ont toujours tonn par leur absence dmotions (de Hss Stangl, comme aujourdhui Douch et Nuon Chea). En outre, le nazisme brillait aussi par son discours technique (cf. Eugen Fischer et lInstitut dhygine raciale). La technique a simplement volu, et Breivik rclame la gnralisation de tests ADN pour dterminer objectivement le droit la vie. La sparation dlments concordants, lignorance dlibre de lhistoire et de lidologie dont il se rclame, rendent en effet incohrent le discours de Breivik ; mais il retrouve son sens politique et organisationnel ds lors quon rapporte ces lments de diagnostic leur contexte et leur corpus dinterprtation. Comment donc soigner ce patient ? Les psychiatres conseillent, entre autres, des traitements mdicamenteux pour dvelopper lactivit dopaninergique (p. 239) connue pour stimuler le rseau de la rcompense. Si, lissue de son procs qui souvrira le 16 avril 2012, le tribunal suit les psychiatres qui le dclarent irresponsable, Breivik est condamn linternement psychiatrique, son dossier mdical sera rexamin chaque anne, et il sera libr ds quil sera dclar guri en fonction des mmes critres que ceux qui ont permis de le dclarer malade. Il lui suffira pour cela de tenir un langage la porte des experts, o ils ne trouveront rien de bizarre. prsent, le discours des experts se dploie autour de nous, dans tous les domaines de la vie sociale, lconomie au premier chef : il multiplie les chiffres, labore des indices, applique des grilles dvaluation soustraites tout dbat. Quand elle ne masque pas tout simplement la vrit en la rendant illisible, la comptence ainsi affiche participe souvent dune dresponsabilisation gnrale, voire sert justifier providentiellement lirresponsabilit.

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