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Lecture analytique n° 13 PERDICAN Il y a deux cents femmes dans ton monastère, et la plupart ont au fond du coeur des blessures profondes ; elles te les ont fait toucher ; et elles ont coloré ta pensée virginale des gouttes de leur sang . Elles ont vécu, n'est-ce pas ? et elles t'ont montré avec horreur la route de leur vie ; tu t'es signée devant leurs cicatrices , comme devant les plaies de Jésus ; elles t'ont fait une place dans leurs processions lugubres, et tu te serres contre ces corps décharnés avec une crainte religieuse, lorsque tu vois passer un homme. Es-tu sûre que si l'homme qui passe était celui qui les a trompées, celui pour qui elles pleurent et elles souffrent, celui qu'elles maudissent en priant Dieu, es-tu sûre qu'en le voyant elles ne briseraient pas leurs chaînes pour courir à leurs malheurs passés, et pour presser leurs poitrines sanglantes sur le poignard qui les a meurtries ? ô mon enfant ! sais-tu les rêves de ces femmes qui te disent de ne pas rêver ? Sais-tu quel nom elles murmurent quand les sanglots qui sortent de leurs lèvres font trembler l'hostie qu'on leur présente ? Elles qui s'assoient près de toi avec leurs têtes branlantes pour verser dans ton oreille leur vieillesse flétrie , elles qui sonnent dans les ruines de ta jeunesse le tocsin de leur désespoir, et qui font sentir à ton sang vermeil la fraîcheur de leurs tombes , sais-tu qui elles sont ? CAMILLE Vous me faites peur ; la colère vous prend aussi. PERDICAN Sais-tu ce que c'est que des nonnes, malheureuse fille ? Elles qui te représentent l'amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu'il y a pis encore, le mensonge de l'amour divin ? Savent-elles que c'est un crime qu'elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? Ah ! ! comme elles t'ont fait la leçon ! ! Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! ! Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance ; et le masque de plâtre que les nonnes t' ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton coeur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t'asseoir sur l'herbe où nous voilà. Eh bien ! ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t'ont mise dans le vrai chemin ; il pourra m'en coûter le bonheur de ma vie ; mais dis-leur cela de ma part : le ciel n'est pas pour elles. CAMILLE

Lecture analytique n° 13...le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère Métaphore comme elles t'ont fait la leçon Verbes au passé

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Page 1: Lecture analytique n° 13...le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère Métaphore comme elles t'ont fait la leçon Verbes au passé

Lecture analytique n° 13

PERDICAN

Il y a deux cents femmes dans ton monastère, et la plupart ont au fond du

coeur des blessures profondes ; elles te les ont fait toucher ; et elles ont coloré ta pensée virginale des gouttes de leur sang. Elles ont vécu, n'est-ce

pas ? et elles t'ont montré avec horreur la route de leur vie ; tu t'es signée

devant leurs cicatrices, comme devant les plaies de Jésus ; elles t'ont fait une place dans leurs processions lugubres, et tu te serres contre ces corps

décharnés avec une crainte religieuse, lorsque tu vois passer un homme. Es-tu sûre que si l'homme qui passe était celui qui les a trompées, celui pour qui elles pleurent et elles souffrent, celui qu'elles maudissent en priantDieu, es-tu sûre qu'en le voyant elles ne briseraient pas leurs chaînes pour

courir à leurs malheurs passés, et pour presser leurs poitrines sanglantes

sur le poignard qui les a meurtries ? ô mon enfant ! sais-tu les rêves de cesfemmes qui te disent de ne pas rêver ? Sais-tu quel nom elles murmurent quand les sanglots qui sortent de leurs lèvres font trembler l'hostie qu'on

leur présente ? Elles qui s'assoient près de toi avec leurs têtes branlantes

pour verser dans ton oreille leur vieillesse flétrie, elles qui sonnent dans les ruines de ta jeunesse le tocsin de leur désespoir, et qui font sentir à ton

sang vermeil la fraîcheur de leurs tombes, sais-tu qui elles sont ?

CAMILLE

Vous me faites peur ; la colère vous prend aussi. PERDICAN

Sais-tu ce que c'est que des nonnes, malheureuse fille ? Elles qui te

représentent l'amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu'il ya pis encore, le mensonge de l'amour divin ? Savent-elles que c'est un

crime qu'elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? Ah ! ! comme elles t'ont fait la leçon ! ! Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! ! Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance ; et le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaquésur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton coeur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t'asseoir sur l'herbe où nous voilà. Eh bien ! ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t'ont mise dans le vrai chemin ; il pourra m'en coûter le bonheur de ma vie ; mais dis-leur cela de ma part : le ciel n'est pas pour elles. CAMILLE

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Ni pour moi, n'est-ce pas ?

PERDICAN

Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits

hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les

hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un

égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur

des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime,c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. OnOn est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais onon aime, et quand onon est sur le bord de sa tombe, onon se retourne pour regarder en arrière ; et onon se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être facticecréé par mon orgueil et mon ennui. "

Il sort.

SUPPORT

Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour (1834), II, 5.

PRÉSENTATION ET SITUATION DU PASSAGE

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PROBLÉMATIQUES

Montrez de quelle manière s'exprime la colère de Perdican dans cette scène.

Montrez que cette scène est tragique.

Lequel des deux personnages sort vainqueur de cette confrontation.

En quoi les deux conceptions de l'amour s'opposent-elles ?

Quelle vision Perdican a-t-il de l'amour ici ?

AI-JE BIEN LU ?

I. Deux attitudes opposées.1.

a.

b. 2.

a.

b.

3.

a.

b.

II. La critique de la religion.1.

a.

b.

2.

a.

b.

3.

a.

b. III. La conception de l'amour de Perdican.1.

a.

b.

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2.

a.

b.

3.

a.

b.

DES AXES ENVISAGEABLES.I. DEUX ATTITUDES OPPOSEES.II. UNE CRITIQUE DE LA RELIGION.III. LA CONCEPTION DE L'AMOUR DE PERDICAN.

LES NEUF IDÉES ESSENTIELLES

1. Les deux personnages s'opposent.

2. Deux conceptions de l'amour s'opposent ici.

3. Camille est à la recherche de la perfection, ce qui l'empêche d'aimer ; Perdican

accepte les défauts humains.

4. Perdican domine cette partie de l'échange ; le dialogue est à l'avantage de Perdican.

5. Perdican parle tout seul pratiquement.

6. Perdican tente de convaincre Camille, de réveiller ses souvenirs d'enfance, leurs

souvenirs communs.

7. Perdican dénonce l'attitude résignée des soeurs.

8. Perdican est en colère.

9. Perdican déclare indirectement son amour à Camille.

LES PROCÉDÉS

Citations Procédés Explications

blessures gouttes de leur sang. Cicatrices décharnés

Champ lexical de la souffrance

elles ont coloré ta pensée virginale des gouttes de leur sang.elles t'ont montré avec horreur la route de leur vie

métaphores

comme devant les plaies de comparaison

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Jésus

PERDICAN Il y a deux cents femmes dans ton monastère (…) sais-tu qui elles sont ? PERDICAN Adieu, Camille, retourne à ton couvent (…) créé par mon orgueil et mon ennui. "

CAMILLE Vous me faites peur ; la colère vous prend aussi. CAMILLE Ni pour moi, n'est-ce pas ?

Tirades

répliques

elles te les ont fait toucher

#Vous me faites peur ; la colère vous prend aussi.

Pronoms personnelstutoiementvouvoiement

Elles qui s'assoient près de toi avec leurs têtes branlantes pour verser dans ton oreille leur vieillesse flétrie, elles qui sonnent dans les ruines de ta jeunesse le tocsin de leur désespoir, et qui font sentir à ton sang vermeil la fraîcheur de leurs tombesSavent-elles que c'est un crime qu'elles font, de venir chuchoterà une vierge des paroles de femme ?

Antithèses

champs lexicauxde la jeunesse et de la vieillessemétaphore

Elles ont vécu, n'est-ce pas ? Es-tu sûre que si l'homme qui passe était celui qui les a trompées, celui pour qui elles pleurent et elles souffrent, celui qu'elles maudissent en priant Dieu, es-tu sûre qu'en le voyantelles ne briseraient pas leurs chaînes pour courir à leurs malheurs passés, et pour presserleurs poitrines sanglantes sur le

Questions

questions rhétoriques

questions oratoires

anaphores

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poignard qui les a meurtries ?sais-tu les rêves de ces femmes qui te disent de ne pas rêver ? Sais-tu quel nom elles murmurent quand les sanglots qui sortent de leurs lèvres font trembler l'hostie qu'on leur présente ? Elles qui s'assoient près de toi avec leurs têtes branlantes pour verser dans ton oreille leur vieillesse flétrie, elles qui sonnent dans les ruinesde ta jeunesse le tocsin de leur désespoir, et qui font sentir à ton sang vermeil la fraîcheur de leurs tombes, sais-tu qui elles sont ? Sais-tu ce que c'est que des nonnes, malheureuse fille ? Elles qui te représentent l'amourdes hommes comme un mensonge, savent-elles qu'il y apis encore, le mensonge de l'amour divin ? Savent-elles quec'est un crime qu'elles font, de venir chuchoter à une vierge desparoles de femme ?

mon enfantmalheureuse filleCamille

apostrophes

Ah ! ! comme elles t'ont fait la leçon ! ! Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! !Eh bien ! !

exclamations

le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les jouesme refusait un baiser de frère

Métaphore

comme elles t'ont fait la leçon Verbes au passé

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Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, tu reniais les jours de ton enfance ; et le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton coeur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue

Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance ; et le masque de plâtre que les nonnest'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère

négations

cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmeston coeur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire

personnification

ces femmes ont bien parlé ; elles t'ont mise dans le vrai chemin

Antiphraseironie

mais dis-leur cela de ma part :Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que jevais te dire :

Ordresimpératifsinjonctions

le ciel n'est pas pour elles.

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleuxet lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et

Discours enchâssé

discours direct

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dépravées ; le monde n'est qu'unégout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde unechose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. "

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleuxet lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées

énumérations

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleuxet lâches, méprisables et sensuels ; // toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées

parallélisme

le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange

métaphore

le monde n'est qu'un égout sansfond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en

Conjonction de coordination « mais »

répétition du mot « mais »

antithèses

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amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bordde sa tombe, on se retourne pourregarder en arrière ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé.

l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.Quand on est sur le bord de satombe

hyperboles

OnOn est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais onon aime, et quand onon est sur le bordde sa tombe, onon se retourne pourregarder en arrière ; et onon se dit

Pronom indéfini « on »

une chose sainte et sublime Périphrase valorisante

Il sort. didascalie