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______________________________________________________________________________
L’efficacité de la gestion des
ressources humaines : au-delà
des paradigmes
Denis Chênevert Professeur titulaire
Département de gestion des ressources
humaines
26 avril 2017
______________________________________________________________________________ Les cahiers des leçons inaugurales
Denis Chênevert
Denis Chênevert a obtenu son doctorat de l’Université
de Toulouse I. Il enseigne principalement la gestion
stratégique des ressources humaines et la gestion de la
rémunération. Il a été récipiendaire du prix du meilleur
livre pédagogique à HEC Montréal en 2009 ainsi que
du prix du Highly Commended Paper Award en 2013,
dans la revue Journal of Health Organization and
Management. Ses récents intérêts de recherche portent
principalement sur les liens entre le climat de travail, l’absentéisme, l’épuisement
professionnel et la performance dans le réseau de la santé.
Promus titulaires, les professeurs de HEC Montréal sont invités à prononcer un discours inaugural,
appelé leçon inaugurale, à l’intention de la communauté universitaire. Dans le cadre de cette leçon,
les professeurs font part de leurs réflexions sur leur carrière et sur la pratique de la gestion.
©, avril 2017 , Denis Chênevert
L’efficacité de la gestion des ressources humaines :
au-delà des paradigmes
Table des matières
Introduction ........................................................................................................... 5
I. Alignement et contingence .......................................................................... 7
A. L’alignement vertical ............................................................................. 9
Le secteur d’activités ............................................................................ 10
La stratégie d’affaires ........................................................................... 11
La culture et les valeurs organisationnelles ........................................ 12
La mission de l’organisation ................................................................ 16
B. L’alignement horizontal ...................................................................... 17
L’organisation du travail ..................................................................... 19
Les pratiques de gestion à haute implication ..................................... 19
La santé des médecins .......................................................................... 21
Le soutien social .................................................................................... 22
L’adhésion aux changements ............................................................... 23
Le style de leadership ........................................................................... 23
La reconnaissance non monétaire ....................................................... 24
Conclusion ........................................................................................................... 27
Bibliographie ....................................................................................................... 30
Introduction
Ce questionnement, à savoir qu’est-ce qui caractérise ma carrière universitaire n’a
pas été simple à définir. En fait, mon parcours et ma contribution ne reposent pas
sur un sujet bien défini ou un terrain de recherche spécifique. En empruntant un
regard rétrospectif, je me suis dit : « Mais pour l’amour du ciel, quels sont les
chemins que j’ai bien pu emprunter ? » Tantôt dans le domaine de la rémunération,
de la mobilisation, de la performance au travail, et par la suite le roulement du
personnel en passant par l’épuisement professionnel, l’intention de quitter son
emploi et sa profession et finalement l’absentéisme, pour ne nommer que ceux-là.
Des secteurs et entreprises très variés ou encore quelquefois des organisations très
spécifiques comme celles du secteur de la santé et des services sociaux. Un
enseignement tout aussi diversifié constitué de cours de base en gestion des
ressources humaines au BAA, au DESS, au MBA et en propédeutique, des cours
de rémunération au BAA, au certificat et à la M.Sc., des cours de gestion stratégique
des ressources humaines au MBA, au E-MBA et à la M.Sc., des cours de
méthodologie de recherche à la M.Sc et finalement l’atelier de recherche à la M.Sc.
En somme, je suis un peu comme un électron libre à HEC ne sachant jamais sur
quoi ni quand m’arrêter. En fait, il est peut-être préférable de laisser libre cours à
l’électron, car son confinement pourrait générer une situation explosive. Malgré
tout, l’angoisse s’est emparée de moi, et ceux qui me connaissent savent que ce
n’est pas dans mes habitudes. Et je me suis dit : « Mais coup dont! Qu’est-ce que
j’ai bien pu faire pendant toutes ces années ? » En discutant un dimanche matin
avec ma conjointe, je lui ai mentionné humblement : « Ma chérie, je pense
malheureusement que je n’ai rien fait de spécifique dans ma carrière… » Et elle
me répondit du tact au tact : « Mais voyons, tu as fait tellement de choses, il y a
sûrement une logique dans tous tes travaux… » Après plusieurs minutes de
« Brainstorming » Eureka, je pense avoir trouvé le fil conducteur. Ce qui teintent
mes recherches et mon enseignement, l’évidence que je ne voyais plus, c’est la
contingence, l’alignement et la contextualisation de la gestion des ressources
humaines sous la forme d’une remise en question des postulats établis. Tel un
5
disciple de Karl Popper, je me suis évertué à remettre en question les paradigmes
que l’on tient pour acquis. Pourquoi certaines pratiques de gestion fonctionnent-
elles dans certains secteurs, mais pas dans d’autres ? Pourquoi l’épuisement
professionnel génère-t-il plus d’absentéisme chez certaines cultures ? En quoi le
climat de travail inhibe-t-il les efforts investis dans l’implantation de pratiques de
gestion à haute implication? J’ai en fait toujours cherché à aiguiller les
gestionnaires dans leur quête de solutions face à des initiatives qui devaient être
concluantes à première vue, mais qui ne l’ont pas toujours été. Humblement, j’ai
tenté, pendant toutes ces années, d’être à la fois le plus rigoureux possible dans ma
démarche scientifique et le plus pertinent possible pour les étudiants à qui
j’enseigne et les gestionnaires que je conseille.
Mais d’où vient cette idée de contingence et d’alignement ?
6
I. Alignement et contingence
L’idée générale de ce concept est que l’absence de correspondance entre deux ou
plusieurs éléments d’un système réduit l’ensemble de son efficacité (Lorsch et
Lawrence, 1967). Ce concept a permis de synthétiser les notions principales de la
théorie générale des systèmes avec les résultats des recherches objectivistes,
permettant ainsi d’aborder les problématiques de gestion de façon plus concrète et
plus spécifique, tout en accordant plus d’importance au fait relationnel dans les
organisations (Burell et Morgan, 1979). La performance d’un système serait
directement liée au degré de correspondance ou d’alignement de ses différentes
composantes.
La recherche d’une gestion efficace ne consiste pas à appliquer un principe donné
comme plusieurs l’ont prôné, mais résulte davantage d’une interaction complexe
entre des facteurs situationnels. Les organisations agissent de manière à modeler
leur environnement selon une série de choix relatifs à leurs environnements interne
et externe. Elles ne sont donc plus contraintes d’agir de la même façon et de
répondre directement et de manière prévisible comme le stipulent les approches
traditionnelles (Miles et Snow, 1978). Le choix d’un modèle de gestion doit être
tributaire d’un contexte organisationnel particulier ou d’un type de problème
donné. En fait, le concept de contingence permet une compréhension des différentes
personnalités propres à chaque entreprise et la sélection de pratiques de gestion
nécessaires à chacune d’elles plutôt que de suggérer des techniques populaires qui
sont utilisées par d’autres. De la même façon, les pratiques et concepts souhaitables
pour une entité de l’entreprise ne sont pas nécessairement efficaces pour une autre
entité ou encore moins pour l’ensemble de l’organisation.
Nous contraignons trop souvent les entreprises à emprunter un chemin pavé
d’avance, comme s’il y avait une seule voie au succès. Le principe
« d’équifinalité » nous enseigne qu’il y a plus d’une façon d’organiser efficacement
une entreprise, plus d’une stratégie permettant de maximiser le profit et plus d’un
7
style de leadership permettant d’atteindre ses objectifs d’affaires (Doty, Glick et
Huber, 1993). En fait, une organisation peut atteindre le même état final qu’une
autre, malgré des conditions initiales différentes et en empruntant des voies tout
aussi différentes. Je ne cesse de répéter à mes étudiants que c’est la cohérence de
leurs décisions qui m’importent le plus dans leurs travaux et pas toujours le résultat
final auquel ils arrivent, car lorsqu’il y a cohérence, alignement et contingence, il y
a normalement efficience, efficacité et performance.
Étant donné ces différentes constations, je vais vous présenter les différents
alignements ou contingences que les problématiques de mes recherches ont mis en
exergue, en tentant d’y apporter un éclairage nouveau. Les différents alignements
qui ont meublé mes problématiques de recherche se divisent en deux grandes
catégories : l’alignement vertical et l’alignement horizontal.
8
A. L’alignement vertical
Le concept d’alignement vertical en gestion des ressources humaines se veut une
prise de conscience de l’importance du facteur humain dans la réussite de la stratégie
d’affaires. Historiquement, les activités de GRH ont été abordées de façon isolée en
cherchant les pratiques permettant d’en accroître l’efficacité, et ce, sans égard aux
autres fonctions de l’entreprise. Les ressources humaines ont toujours été perçues
comme l’un des avoirs les plus coûteux et les plus difficiles à contrôler. Par
conséquent, les dirigeants ont traditionnellement basé leurs stratégies d’affaires sur
d’autres facteurs tels que les processus techniques, la protection des niches de marché
ou encore l’accès aux ressources financières. Toutefois, la globalisation et
l’ouverture des marchés ont éliminé l’avantage d’être dans une industrie plutôt
qu’une autre, réduit les barrières à l’entrée et ont considérablement restreint la
concentration industrielle (Snell, Youndt et Wright, 1996). Les ressources sont donc
devenues plus facilement accessibles pour toutes les entreprises, réduisant ainsi les
moyens disponibles afin d’obtenir un avantage compétitif.
Cette prise de conscience au cours des dernières années a permis d’aborder la gestion
des ressources humaines sous un angle stratégique. L’entreprise cherche à se
démarquer par l’unicité de son capital humain de manière à disposer d’une force de
travail nécessaire à l’atteinte de ses objectifs. Il n’est plus souhaitable de gérer ses
ressources humaines uniquement de façon opérationnelle, car la vision d’affaires à
moyen et long terme adoptée par les équipes de direction doit être appuyée par les
ressources humaines. Le meilleur plan stratégique ne peut être implanté sans une
attention particulière portée aux politiques et pratiques de gestion des ressources
humaines. Étant donné que la gestion des ressources humaines est un élément critique
de succès, elle doit être intégrée dans toutes les phases du processus de planification
stratégique.
Ma conception de l’alignement verticale se veut toutefois plus large que celle de
beaucoup de chercheurs qui ont tendance à la limiter au degré de cohérence avec la
9
stratégie d’affaires. L’alignement vertical se veut une façon de comprendre les
organisations et principalement la gestion des ressources humaines à la lueur de ce
qui la transcende. Le secteur d’activités, la stratégie d’affaires et la culture
organisationnelle, pour ne nommer que ceux-là, teintent le fonctionnement général
de l’entreprise et influencent la mise en œuvre des différentes fonctions.
Le secteur d’activités
À titre d’exemple, les régimes de rémunération incitative sont connus comme étant
des pratiques de gestion des ressources humaines efficaces lorsqu’il est question
d’accroître la productivité et la performance au travail. Cette croyance mérite
toutefois d’être contextualisée. Dans une étude que nous avons réalisée auprès de
128 entreprises canadiennes, nous cherchions à comprendre l’influence des régimes
de rémunération incitative sur la productivité et le taux de roulement des employés
(Tremblay et Chênevert, 2008). De façon générale, nos résultats suggèrent un lien
significatif entre la présence d’incitatifs de nature individuelle et la productivité des
employés, mais ne démontre pas de lien avec le taux de roulement. Nous aurions
pu nous en ternir à ces résultats et transmettre le message qu’il faut investir dans
des pratiques de rémunération incitative de nature individuelle. Toutefois, la réalité
est toute autre. En contextualisant ces résultats selon l’intensité technologique des
128 firmes étudiées, nous arrivons à une conclusion bien différente. Nos résultats
suggèrent que l’utilisation d’incitatifs individuels accroît le taux de roulement dans
un environnement à forte intensité technologique. Lorsqu’il est question de
l’utilisation des incitatifs de nature collective ou d’équipe, les résultats suggèrent
une augmentation de la productivité et une réduction du taux de roulement, mais
ce, seulement chez les firmes à forte intensité technologique. Par conséquent, il faut
être prudent dans l’utilisation des programmes de rémunération incitative selon leur
nature individuelle ou collective et selon le secteur d’activité concerné. En effet, la
créativité et l’innovation propre aux entreprises à forte intensité technologique les
contraignent à favoriser le travail d’équipe, et par conséquent à reconnaître avant
tout la performance collective et non individuelle. Il doit donc y avoir un
alignement entre les pratiques de gestion des ressources humaines et le secteur
10
d’activités propre à chaque entreprise. Contrairement à ce qui est régulièrement
véhiculé, l’implantation de régimes de rémunération incitative n’a pas toujours les
effets escomptés, et ce, par manque d’alignement avec certains facteurs propres à
l’environnement de l’entreprise.
La stratégie d’affaires
En ce qui a trait à la stratégie d’affaires, on s’attendrait à ce que l’efficacité des
pratiques de gestion des ressources humaines soit tributaire de leur niveau
d’alignement avec la stratégie de l’entreprise. C’est en fait le principal message que
je transmets à mes étudiants. Je leur mentionne que pour réussir l’implantation
d’une nouvelle stratégie d’affaires il faut impérativement que les employés
modifient leurs comportements de manière à aligner leurs efforts sur les objectifs
attendus de la nouvelle stratégie.
Comme le disait si bien Albert Einstein : « La folie consiste à répéter obstinément
les mêmes gestes et à s’attendre à des résultats différents. »
Les pratiques de gestion des ressources humaines ont donc comme mission
d’aligner les comportements des employés de manière à répondre aux impératifs de
la stratégie d’affaires, ce qui nécessite un alignement vertical, c’est-à-dire un
arrimage entre ce qui est voulu par la direction générale et ce qui est mis en œuvre
au quotidien par les employés et les gestionnaires. Plus fort sera cet alignement et
plus performante sera l’organisation. Une entreprise qui préconiserait une stratégie
de différenciation de ses produits et services, qui chercheraient donc à se démarquer
de la concurrence par un produit unique de grande qualité et un service hors pair,
aurait intérêt à implanter des pratiques de gestion des ressources humaines
différentes d’une entreprise qui privilégie une stratégie de leadership par les coûts
caractérisée par une production de masse standardisée et un service peu distinctif.
À titre d’exemple, une étude que nous avons réalisée auprès de 602 entreprises
provenant du Canada, de la France et du Royaume-Uni suggère qu’une gestion
transparente de l’information est particulièrement efficace lorsqu’on est en
11
présence d’entreprises ayant adopté une stratégie de différenciation de leurs
produits et services et qu’une centralisation de la prise de décisions est un mode de
gestion plus efficace en présence d’entreprises peu diversifiées, possédant une
stratégie mono-produit (Chênevert et Tremblay, 2011).
D’autres éléments structurants de l’entreprise, tels que la culture, les valeurs et la
mission méritent également une attention particulière en matière d’alignement des
pratiques de gestion des ressources humaines.
La culture et les valeurs organisationnelles
Comme le disait l’ancien président de Southwest Airlines: « Culture is what people
do when no one is looking. »
La culture et les valeurs organisationnelles sont souvent plus stables que la stratégie
d’affaires et plus structurantes en matière de développement organisationnel. Elles
se construisent au fil du temps et illustrent la personnalité de l’organisation. Elles
ne peuvent s’imposer, mais se découvrent au gré des décisions, des comportements
et des attitudes manifestés au quotidien. Combien de dirigeants ont échoué en
voulant changer la culture de leur entreprise et combien d’échecs ont été observés
dans l’implantation de nouvelles pratiques de gestion qui n’étaient pas alignées sur
la culture et les valeurs organisationnelles.
À cet effet, trois études que nous avons réalisées dans le secteur de la santé
suggèrent l’importance des valeurs organisationnelles en matière d’épuisement
professionnel. Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés au lien entre
l’épuisement professionnel et les épisodes d’absences à court terme. Les résultats
de cette étude réalisée auprès de 428 employés du réseau de la santé suggèrent que
des valeurs humaines et d’innovation véhiculées par un établissement accentuent le
lien entre l’épuisement professionnel et l’absentéisme (Jourdain et Chênevert,
2015). Ce résultat contre-intuitif vous surprend sûrement. Pourquoi des valeurs
humaines en situation d’épuisement professionnel agiraient-elles positivement sur
12
l’absentéisme ? Autrement dit, en situation d’épuisement, lorsque vous percevez
que votre organisation fait la promotion de valeurs plus humaines axées sur
l’innovation vous vous permettez davantage de vous absenter. Par contre, si vous
percevez que votre organisation a plutôt des valeurs de rationalisation et de
contrôle, le lien entre le degré d’épuisement professionnel des employés et le
nombre de leurs absences s’atténue. Quel message ces résultats envoient-ils aux
gestionnaires ? Que ces derniers n’auraient pas intérêt à véhiculer des valeurs
humaines et d’innovation au sein de leur établissement ? En situation de pénurie de
main-d’œuvre, pourquoi un gestionnaire du réseau de la santé et des services
sociaux agirait-il de manière à accroître l’absentéisme chez ceux qui ressentent de
l’épuisement professionnel? Peut-être que la situation est plus complexe qu’elle
n’en a l’air ? La théorie de la conservation des ressources nous dit que lorsqu’un
individu est en épuisement, il se retrouve dans une spirale qui aspire ses ressources
au fur et à mesure qu’il puise dans celles restantes, jusqu’au point où il a dilapidé
l’ensemble des ressources disponibles (Hobfoll, 1989). Ce processus entraîne la
plupart du temps une détérioration de la santé de l’individu et un diagnostic
d’épuisement professionnel suivi d’une absence à long terme. Cette situation est-
elle plus souhaitable ? Prendre quelques jours de congé afin de récupérer lorsque la
fatigue n’est plus soutenable serait peut-être préférable à une absence à long terme ?
Une étude que nous avons réalisée auprès des employés d’Hydro-Québec suggérait
qu’une absence diagnostiquée pour trouble de santé mentale au cours des deux
années précédentes augmentait de 90 % les chances de s’absenter ultérieurement
pour le même type de problème, et que le nombre de jours d’absence après chaque
épisode croît de façon exponentielle (Chênevert, Bellavance et Simard, 2012). Il
faut donc, à tout prix, éviter le premier épisode.
En fait, l’absentéisme à court terme n’est peut-être pas un problème en soi, mais
davantage une solution. Je me souviens d’en avoir discuté avec mon bon ami
Patrick, qui était à l’époque directeur des ressources humaines au Centre de santé
et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île et qui est maintenant maître
d’enseignement à l’École au sein de mon département. Je lui parlais de l’étude que
13
je réalisais à l’époque dans son organisation sur le climat de travail et l’absentéisme,
pour lui mentionner que j’observais un lien significatif entre l’engagement de ses
employés et leur niveau d’absences (Chênevert, Jourdain, Cole et Banville, 2013).
Il était plutôt surpris de ces résultats, comme moi d’ailleurs. Comment les gens les
plus engagés peuvent-ils s’absenter davantage que les autres. Cela allait à
l’encontre des postulats en gestion des ressources humaines. Toutefois, en
regardant de plus près les résultats, je me suis aperçu que cela était vrai uniquement
pour les absences à long terme et non pour les absences à court terme. Les absences
à long terme étant celles certifiées médicalement, alors que les absences à court
terme sont liées aux congés de maladie de cinq jours ou moins. C’est à ce moment
que Patrick, un praticien aguerri, m’a dit qu’il pensait comprendre le problème. Son
personnel soignant le plus engagé n’a pas tendance à prendre des congés de maladie
par crainte de nuire à la santé de ses patients ou encore d’obliger une collègue à
faire du temps supplémentaire pour combler cette absence. Au fil du temps, elles
s’épuisent de plus en plus jusqu’au moment où le diagnostic tombe et qu’elles
doivent s’absenter à long terme pour épuisement professionnel. C’est alors que
Patrick a mis en place une stratégie pour déceler les signes avant-coureurs de
l’épuisement afin de suggérer à ses employés les plus engagés de prendre, de temps
à autre, une journée de congé afin de refaire le plein.
En termes de coûts individuels, organisationnels et sociaux, laquelle des deux
situations est préférable ? Prendre quelques jours de congé ici et là pour refaire le
plein ou s’absenter à long terme avec des risques de récidives ?
Pour en revenir aux valeurs organisationnelles véhiculées, dans une autre étude que
nous avons réalisée et présentée en 2015 lors du congrès organisé par l’Association
canadienne de protection médicale, nous avons souligné que plus de 20 % du
personnel infirmier interrogé avait mentionné avoir été victime de comportements
hostiles de la part des médecins au cours de la dernière année. La situation mérite
d’autant plus notre attention qu’elle concerne, dans une plus large mesure, les
jeunes infirmières et infirmiers, ceux-là mêmes qui sont les plus susceptibles de
14
quitter la profession. On parle ici d’abus verbaux, psychologiques ou physiques, de
critiques ouvertes et personnelles ou de la frustration manifestée à l’égard du
personnel infirmier concernant la prestation de travail. À titre d’exemple, nos
résultats suggèrent qu’un établissement qui valorise des valeurs plus humaines au
travail réduit les risques de voir apparaître ce type de comportement. En fait, un
accroissement d’un point de la moyenne obtenue sur l’échelle des valeurs humaines
peut réduire de près de 13 % les risques de voir apparaître des comportements
perturbateurs chez les médecins. Sachant, selon nos résultats, qu’un accroissement
d’un point des comportements perturbateurs des médecins sur l’échelle utilisée peut
entraîner à l’égard du personnel infirmier une augmentation de 15 % de
l’épuisement professionnel, la promotion des valeurs humaines au sein des
établissements du réseau de la santé n’est donc pas contre-productive, malgré son
lien avec les absences à court terme (Chênevert, 2015). En fait, les établissements
de santé auraient plutôt intérêt à dicter un code de conduite comportant des valeurs
de courtoisie, d’indulgence, de transparence et de respect des autres afin d’édifier
une culture, certes orientée vers la qualité des soins aux patients, mais également
vers le respect des valeurs humaines.
Toutefois, je me suis souvent interrogé sur l’effet réel des valeurs
organisationnelles à l’égard des attitudes et des comportements au travail. Ce
questionnement me rappelle une anecdote survenue dans le cadre d’une
intervention en entreprise que j’ai réalisée il y plusieurs années. Lors d’une
discussion avec la directrice générale de cette entreprise, je lui demandais de me
décrire les valeurs dominantes au sein de l’organisation afin de bien positionner
mon intervention. Cette dernière me mentionne que les valeurs de l’entreprise sont
la communication, la transparence, le plaisir au travail, l’initiative et l’imputabilité.
Je me surprends à lui demander : « Si j’intercepte un de vos employés dans le
corridor, ce dernier va nécessairement me répéter les mêmes valeurs ? » Cette
dernière me répond : « Non, les gens ne les connaissent pas vraiment. » Cela m’a
semblé un peu curieux étant donné que la communication et la transparence
apparaissaient parmi les deux premières valeurs de cette organisation. Cette petite
15
anecdote m’a fait réaliser que ce n’est pas tant les valeurs qui importent, mais
l’adhésion des employés à ces valeurs ou encore le degré de correspondance entre
les valeurs organisationnelles et celles que possède chaque employé.
À cet effet, une étude que nous avons réalisée auprès des employés d’un Centre de
santé et de services sociaux suggère que l’implantation des pratiques de gestion à
haute implication que sont le pouvoir de prise de décisions, le développement des
compétences, le partage de l’information et la reconnaissance non monétaire
réduisaient la prévalence de l’épuisement professionnel chez les employés dans la
mesure où ces derniers partageaient les valeurs de l’organisation (Kilroy, Flood,
Bosak et Chênevert, sous presse). En fait, le partage des valeurs ou encore
l’alignement entre les valeurs individuelles et les valeurs organisationnelles
médiatise totalement l’effet des pratiques de gestion sur l’épuisement
professionnel. Cela suggère que les efforts réalisés par les gestionnaires en termes
d’investissement dans le développement et l’implantation des pratiques de gestion
à haute implication seraient vains si les employés ne partageaient pas, de prime
abord, les valeurs de l’entreprise. Pour être plus précis, nos résultats suggèrent que
les pratiques de gestion à haute implication favoriseraient, en quelque sorte, le
partage des valeurs au sein de l’entreprise, et c’est ce partage des valeurs, cette
cohérence entre valeurs personnelles et valeurs organisationnelles qui
amélioreraient la santé psychologique des employés.
La mission de l’organisation
À l’image de la culture et des valeurs organisationnelles, la mission de l’entreprise
permet de donner un sens aux efforts individuels et collectifs. Les politiques et les
pratiques organisationnelles, et à plus forte raison le leadership de la direction
générale, agissent sur la compréhension que se font les employés du rôle de
l’entreprise dans la société et du bien-fondé de ses actions. En adhérant à quelque
chose de plus grand qu’eux, les employés trouvent un sens à leurs efforts
quotidiens. Si cette mission n’est pas attractive ou si elle ne permet pas à l’individu
de se définir comme un agent de changement social, il devient plus difficile pour le
16
superviseur immédiat d’agir sur le climat de travail de son équipe, et ce, nonobstant
ses qualités de leader.
À cet effet, nos travaux de recherche dans le réseau de la santé suggèrent que les
superviseurs immédiats ont une influence sur le degré d’épuisement professionnel
de leurs employés dans la mesure où ils adoptent un style de leadership
transformationnel (Bosak, Chênevert, Kilroy et Flood, 2017). Le superviseur qui
serait stimulant intellectuellement, inspirant, qui serait en mesure de considérer la
singularité de chacun et qui aurait une personnalité charismatique réduirait la
prévalence de l’épuisement professionnel chez ses employés. Toutefois, cet effet
bénéfique du supérieur immédiat serait tributaire de la mission de l’organisation et
principalement de son caractère attractif auprès des employés. Le style de
leadership du gestionnaire agirait donc indirectement sur la santé psychologique
des employés dans la mesure où il réussit à rendre attractive et significative la
mission de l’entreprise aux yeux de ses employés.
Cette réflexion sur l’alignement verticale en matière de gestion des ressources
humaines m’amène à une certaine prudence dans mes conclusions. Nonobstant ce
qu’on laisse présager sur le rôle stratégique des ressources humaines, bon nombre
d’entreprises sont encore à un stade transactionnel dans leur mode de gestion du
capital humain et sont loin de réfléchir à l’importance de l’alignement vertical.
Malheureusement, comme nous le dit le dicton : ils font bien les choses, mais pas
nécessairement les bonnes choses.
Ce qui m’amène à vous parler de l’alignement horizontal.
B. L’alignement horizontal
L’alignement horizontal en matière de gestion des ressources humaines suggère
principalement que les pratiques de gestion des ressources humaines peuvent avoir
une influence optimale sur la performance organisationnelle dans la mesure où elles
sont synergiques, qu’elles agissent en quelque sorte en complémentarité; c’est ce
17
que l’on appelle l’effet de synergie. Toutefois, il est possible que certaines pratiques
de gestion des ressources humaines s’opposent mutuellement et soient, en quelque
sorte, en contradiction; c’est ce que l’on appelle l’effet d’interférence. Si
l’alignement vertical cherchait principalement à comprendre le rôle des RH dans
l’atteinte des objectifs stratégiques, l’alignement horizontal est de nature plus
instrumentale et vise l’efficience dans l’allocation des ressources humaines.
Comment s’assurer que les pratiques de gestion des ressources humaines sont
déployées de façon optimale. C’est le niveau de cohérence entre elles qui en garantit
l’optimisation. Néanmoins, les entreprises ont souvent l’habitude d’adopter des
pratiques de gestion de manière séquentielle sans nécessairement analyser leur
niveau de cohérence. Un gestionnaire des ressources humaines part, un autre arrive
avec de nouvelles idées et implante des pratiques qui l’ont bien servi dans le passé,
et ce, souvent sans considération de ce qui existe déjà dans l’entreprise. Le plus
paradoxal dans tout cela, c’est d’entendre les employés nous dire que cette pratique
a déjà été implantée dans le passé et abandonnée depuis. L’implantation des
pratiques de gestion des ressources humaines dans certaines organisations, c’est un
peu comme le jour de la marmotte, une impression de déjà-vu. Il faut dire qu’il
n’est pas toujours facile et possible pour les gestionnaires des ressources humaines
de prendre le recul nécessaire afin d’analyser la cohérence au sein de leur portfolio
de pratiques. Toutefois, sans ce recul, beaucoup d’efforts sont investis sans pour
autant permettre l’atteinte des résultats escomptés. Combien d’entreprises ont
investi dans de nouvelles formes d’organisation du travail sans ajuster leurs
pratiques de gestion des ressources humaines. Par exemple, on met en place des
équipes autonomes de travail sans évaluer la capacité de prise de décision des gens
et ni leur degré d’autonomie. On continue à évaluer leur performance et à les
rémunérer sur une base individuelle, et on recrute de nouveaux employés sans
s’assurer que leur profil correspond à ce type d’environnement de travail, comme
si tout le monde était disposé et confortable à travailler sans encadrement.
Naturellement, cela est contre-productif et mérite une prise de conscience à l’égard
de l’ensemble de la stratégie de gestion des ressources humaines. Comme
mentionné précédemment, il s’agit ici de l’effet d’interférence.
18
L’organisation du travail
Ces différentes considérations m’ont amené à réfléchir à la question de la
formulation de la stratégie de gestion des ressources humaines et principalement à
l’alignement entre les modes d’organisation du travail et les pratiques de
rémunération. Dans une étude réalisée auprès d’une centaine d’entreprises
québécoises, on a cherché à comprendre dans quelle mesure l’arrimage entre
l’organisation du travail et les pratiques de gestion de la rémunération pouvait
accroître la productivité et la stabilité de la main-d’œuvre (Chênevert et Tremblay,
2009). Nos résultats suggèrent que lorsque l’entreprise implante un mode
d’organisation du travail basé sur l’autonomie et la participation à la prise de
décisions, elle aurait intérêt à implanter des pratiques de rémunération basée sur
l’octroi d’un pourcentage significatif de bonis, un salaire relatif supérieur à son
marché de référence et de bons avantages sociaux. Toutefois, si son organisation
du travail n’est pas axée sur l’« empowerment », mais plutôt sur des modèles très
hiérarchisés, elle aurait plutôt intérêt à réduire la portion d’incitatifs et à offrir un
salaire et des avantages sociaux inférieurs à son marché de référence. Ces résultats
appuient, d’une certaine manière, le concept d’« équifinalité » vu précédemment.
En effet, qu’elle adopte l’une ou l’autre des stratégies importe peu, l’important c’est
qu’elle demeure cohérente, car l’entreprise qui s’éloigne de son modèle idéal
obtient de moins bonnes performances que celle qui le respecte. Cette prise de
conscience permet de sortir du paradigme « one size fit all » trop souvent véhiculé
et enseigné à nos étudiants.
Les pratiques de gestion à haute implication
Le même constat peut se faire au sujet des approches fondées sur l’implantation des
meilleures pratiques de gestion. Qu’on les appelle les pratiques à haute implication
ou les systèmes à haute performance, leurs effets réels sur la performance au travail
ne sont pas toujours aussi évidents qu’on veut bien le laisser croire. Comme
mentionné précédemment, ces pratiques sont liées à la participation au processus
19
de prise de décisions, au développement des compétences, au partage de
l’information et à la reconnaissance. Mon questionnement est le suivant : si leurs
effets étaient universels pourquoi les entreprises n’ont-elles pas toutes implanté ces
pratiques ?
Nos études dans le réseau de la santé et des services sociaux à l’égard de ce type de
pratiques nous suggèrent qu’ils n’ont pas d’effet direct sur la performance au
travail, mais un effet indirect par l’entremise d’un plus grand sentiment
d’empowerment chez les employés (Chênevert, Jourdain et Tremblay, 2013;
Chênevert, Jourdain et Vandenberghe, 2016). Si le personnel soignant n’a pas le
sentiment de posséder les compétences nécessaires pour performer dans ses tâches,
s’il n’a pas suffisamment d’autonomie pour prendre des décisions ayant un impact
sur la qualité de son travail et si les responsabilités qui lui sont conférées l’éloignent
de sa pratique médicale et réduisent le sens de son travail, l’investissement dans la
mise en œuvre de pratiques de gestion, quelles qu’elles soient, n’influencerait en
rien la performance au travail. Il a donc lieu de se questionner sur le climat de travail
et la dynamique des acteurs organisationnels avant de développer et d’investir dans
de nouvelles pratiques de gestion. Pour pousser un peu plus loin cette réflexion, les
résultats de cette recherche suggèrent également qu’un climat de confiance entre le
personnel soignant et les médecins était nécessaire à l’influence des pratiques de
gestion à haute implication sur le sentiment d’empowerment des employés. Encore
une fois, la cohérence est de mise, car les établissements de santé qui investiraient
dans de nouvelles pratiques de gestion obtiendraient peu de résultats si, de prime
abord, ils ne s’assuraient pas d’établir un lien de confiance entre les employés et les
médecins. À cet effet, j’ai souligné antérieurement la difficulté relationnelle que
pouvaient éprouver certaines infirmières avec les médecins. Il peut s’avérer difficile
de générer un climat de confiance lorsqu’on est en présence de comportements
hostiles.
20
La santé des médecins
Je me permets toutefois de faire une parenthèse à ce moment-ci de mon exposé pour
parler de l’état de santé des médecins. En fait, les comportements hostiles observés
par le personnel infirmier chez certains médecins ne seraient pas étrangers à leur
état de santé. L’entrevue que j’ai réalisée avec la docteure Anne Magnan, directrice
générale du Programme d’aide aux médecins du Québec, dans le cadre des
séminaires du Pôle santé a permis de mieux comprendre le niveau de détresse
psychologique vécue par les médecins. Les données disponibles aux États-Unis
parlent de 52 % de médecins manifestant des signes d’épuisement professionnel.
Ce taux serait de 36 % supérieur à celui de la population en générale et aurait
augmenté de 40 % au cours des quatre dernières années (Schrijver, 2016). Au
Québec, les résultats préliminaires de mes dernières études suggèrent un taux
d’épuisement de près de 40 %. Est-ce que cet état psychologique pourrait expliquer
en partie certains problèmes de comportements au travail ? Est-ce que des médecins
en situation d’épuisement professionnel pourraient être plus colériques, plus
irritables, plus conflictuels, voir difficiles d’approche ? Ceux qui connaissent les
comportements entourant la détresse psychologique vous diront qu’il s’agit des
principaux signes. À regarder la gestion du changement opérée depuis quelques
années dans le réseau de la santé, ou plutôt l’absence de gestion, il n’est pas
étonnant de constater, également au Québec, une augmentation de la prévalence de
l’épuisement professionnel chez nos médecins. Selon Madame Magnan, il y a eu
une augmentation de près de 25 % des demandes de consultation au Programme
d’aide aux médecins au cours de la dernière année. Nos études suggèrent que ces
problèmes ne seraient pas étrangers aux ambiguïtés et aux conflits de rôle qui
règnent dans le système de la santé et qui contreviennent à l’adhésion aux
changements. Dans un sondage récent, nous avons demandé à des médecins ce
qu’ils pensaient de certains changements en cours. Près de 90 % d’entre eux ont
mentionné que la vision du ministère n’était pas claire à l’égard des changements
en cours. De plus, 85 % ont indiqué ne pas avoir été consultés ou impliqués dans
ces changements. Après cela, on se plaindra qu’il y a de la résistance aux
changements. Fin de la parenthèse.
21
Le soutien social
Cela m’amène à vous parler du soutien social et de l’importance de son alignement
pour la performance, la santé au travail et le roulement du personnel. Le soutien
social en milieu de travail peut provenir de l’organisation, du supérieur immédiat
ou des collègues et apporte une ressource supplémentaire afin de faire face aux
difficultés vécues. En situation d’épuisement professionnel, cela peut jouer un rôle
déterminant. L’employé doit avoir la conviction que l’on va prendre le temps de
l’écouter s’il vivait un problème de quelque nature que ce soit ? Cela est d’autant
plus important dans un environnement où l’on côtoie quotidiennement la maladie
et la souffrance. Dans le domaine hospitalier, le personnel soignant vit des
situations difficiles qui l’amènent à devoir compter sur les autres. Ce n’est pas par
hasard si le premier instrument de mesure de l’épuisement professionnel a été
développé et testé auprès du personnel soignant.
Le fait de donner aux infirmières de l’autonomie dans leurs tâches et un certain
pouvoir décisionnel, donc plus d’empowerment, réduirait leur niveau d’épuisement
professionnel. Cela est en lien direct avec le modèle théorique de Karasek (1979)
qui stipule qu’un contrôle élevé sur ses tâches réduit les risques d’épuisement.
Toutefois, nos résultats de recherche suggèrent que cet effet est salutaire
principalement en contexte de soutien des collègues (Kilroy, Flood, Chênevert et
Bosak, 2015). La ressource additionnelle que constitue ce soutien comblerait
l’absence de ressources organisationnelles qui est trop souvent le propre du secteur
de la santé. En période d’austérité, où les ressources financières et humaines se font
rares, il ne reste simplement qu’à se serrer les coudes et à se soutenir mutuellement.
Investir dans le développement de l’empowerment par le biais des pratiques de
gestion à haute implication est une solution possible pour la santé psychologique
des infirmières, mais à condition d’instaurer un climat d’entraide. Le soutien entre
collègues agirait de manière instrumentale comme un bassin de ressources
permettant aux infirmières de faire face aux situations stressantes. C’est comme si
l’accès à une nouvelle ressource que constitue l’empowerment pavait la voie à
l’accessibilité d’autres ressources que constitue le soutien des collègues. Il s’agit
22
en fait du concept de « caravane de ressources » développé par Hobfoll en 2002,
qui stipule que des gains de ressources dans un aspect de son environnement de
travail facilitent l’accessibilité à d’autres formes de ressources. Un plus haut niveau
d’empowerment apporterait l’autonomie et le niveau de discrétion nécessaires pour
aller solliciter un soutien émotionnel chez ses collègues, accentuant ainsi les
bienfaits de l’empowerment sur la santé au travail.
L’adhésion aux changements
Ces constats s’appliquent également en ce qui concerne la gestion du changement.
Les spécialistes de la gestion du changement que sont Alain, Céline et Kevin vous
diront que l’absence d’information, de communication et de consultation en période
de changement génère de l’ambiguïté et des conflits de rôle réduisant par le fait
même l’adhésion aux changements. Les résultats de nos recherches réalisées auprès
de 550 employés du réseau de la santé suggèrent effectivement que le degré
d’ambiguïté et de conflits dans les rôles assumés par le personnel est lié
négativement à l’adhésion aux changements (Chênevert, Kilroy et Bosak, 2017).
En fait, c’est comme si l’énergie nécessaire pour faire face à l’ambiguïté et aux
conflits dans leur travail venait dissiper l’énergie dont ils auraient besoin pour
s’investir dans un changement organisationnel. Toutefois, cela doit être
contextualisé en fonction du climat de travail et principalement selon le niveau de
soutien obtenu des collègues. Le soutien des collègues minimiserait l’effet négatif
de l’ambiguïté et des conflits sur l’adhésion aux changements. Plus simplement, si
vous pouvez bénéficier du soutien de vos collègues dans le cadre de votre travail,
vos problèmes vous semblent moins lourds et vous êtes plus disposés à vous
impliquer dans un changement.
Le style de leadership
Un autre exemple d’alignement horizontal est celui entre le soutien social et le style
de leadership des gestionnaires. Bon an mal an, il y aurait environ 20 % des
gestionnaires dont le style de leadership serait qualifié de passif par leurs employés.
23
Qu’est-ce qu’un gestionnaire passif ? Un gestionnaire passif est celui qui tarde à
apporter des réponses à vos requêtes, qui intervient uniquement lorsque la situation
dégénère et qui est rarement là lorsque vous avez besoin de lui. On peut facilement
imaginer les conséquences de ce type de gestionnaire sur le climat de travail. Je suis
persuadé que vous en avez déjà connu un, en dehors de HEC naturellement ! Dans
une étude sur le lien entre l’influence du soutien social et la performance au travail
du personnel soignant, nos résultats ont révélé que les effets positifs du soutien
social provenant de l’organisation, des collègues et des médecins, étaient
contrecarrés par la présence d’un leader passif (Chênevert, Vandenberghe et
Tremblay, 2014). Un bon climat de travail dans lequel les gens s’entraident et se
soutiennent serait vain si on est en présence d’un supérieur immédiat dont le style
de leadership est passif. Ce qui est encore plus désolant, c’est que l’effet
d’interférence, soit l’effet négatif, est plus fort que l’effet de synergie, soit l’effet
positif. Qu'est-ce que cela veut dire ? C’est qu’un mauvais gestionnaire sera
toujours plus dommageable pour la dynamique de son équipe que pourrait être
profitable un bon gestionnaire. En fait, cela me fait penser à un article que j’ai lu
dans la revue « Review of General Psychology », intitulé « Bad is Stronger Than
Good » (Baumeister, Bratslavsky, Finkenauer et Vohs, 2001). Il semblerait que
l’on réagit plus fortement aux éléments négatifs de son environnement qu’aux
éléments positifs et que cela remonte au début des temps où l’instinct de survie
nous enseignait à réagir plus fortement aux menaces de l’environnement qu’aux
opportunités.
Par conséquent, attendez à la fin de ma présentation avant de réagir, car pour
l’instant, il n’y a rien de menaçant.
La reconnaissance non monétaire
Pour en finir avec l’alignement horizontal, nous nous sommes questionnés sur
l’impact de l’alignement de l’énoncé d’une politique de gestion des ressources
humaines et son application au quotidien. La politique que nous avons étudiée est
celle de la reconnaissance non monétaire. Cette politique a été identifiée dans la
24
littérature comme étant l’une des plus importantes en matière de climat de travail.
En fait, dans le réseau de la santé l’absence de budget discrétionnaire pour les
gestionnaires réduit considérablement les autres formes de reconnaissance, les
incitatifs financiers et autres étant également proscrits. Néanmoins, un nombre
important d’études ont souligné le rôle nettement plus déterminant de la
reconnaissance non monétaire en matière d’attitudes et de comportements au
travail. Dans les études qui ont cherché à connaître les facteurs les plus importants
au travail, la reconnaissance et le feed-back personnalisé arrivent habituellement
bons premiers. Étant donné que c’est gratuit et que c’est à la portée de tous les
gestionnaires, on s’est dit qu’il serait intéressant d’en mesurer l’impact sur les
mécanismes de retrait que sont l’intention de quitter, l’absentéisme et le départ réel.
Il y a effectivement un lien entre la perception de la présence d’une politique de
reconnaissance institutionnelle et l’intention de quitter l’organisation. Plus le
personnel soignant perçoit la présence d’une politique de reconnaissance et moins
il a l’intention de quitter. De la même façon, plus il reçoit de reconnaissance au
quotidien de la part de son supérieur immédiat et moins il a l’intention de quitter
et, indirectement, moins il quittera son organisation. À la lumière de ces résultats,
il serait donc logique d’implanter une politique de reconnaissance. Pas si vite, et je
pense que vous me voyez venir. Cela est vrai, mais ça dépend du contexte. En fait,
il doit y avoir cohérence entre la perception que l’on a de l’existence d’une politique
de reconnaissance et le fait d’en recevoir personnellement. Autrement dit, si je
perçois qu’il existe une bonne politique de reconnaissance dans mon organisation
et que j’en reçois personnellement, mon intention de quitter l’organisation sera au
plus bas. Toutefois, si je perçois qu’il existe une bonne politique de reconnaissance,
mais que personnellement je n’en reçois pas, mon intention de quitter l’organisation
augmentera significativement. Ce qui est plus désolant, c’est que l’incohérence
augmente davantage l’intention de quitter que ne la réduit la cohérence. Le fait de
promouvoir la présence d’une politique de reconnaissance dans un contexte où les
employés n’ont pas le sentiment d’en recevoir personnellement serait coûteux en
ce qui a trait au taux de roulement volontaire. Nos résultats suggèrent qu’il ne s’agit
pas d’un cas isolé. En effet, plus de 40 % des répondants ont mentionné recevoir
25
peu de reconnaissance au travail et près de 25 % ont indiqué qu’ils songeaient à
quitter éventuellement. Au lieu d’agir sur la rétention des employés, une politique
de reconnaissance mal implantée sur le terrain aurait l’effet inverse. L’alignement
et la cohérence sont donc encore une fois de mise.
26
Conclusion
La recherche incessante d’une plus grande performance organisationnelle par
l’entremise d’un meilleur alignement entre les pratiques de gestion des ressources
humaines et les caractéristiques organisationnelles permet de mieux comprendre
les succès et les échecs des entreprises. Ma quête de solutions m’a continuellement
poussé à remettre en question les postulats établis afin de contextualiser les résultats
des efforts entrepris par les organisations en matière de gestion des ressources
humaines. Éviter de tomber dans de grandes généralités tout en cherchant à
démontrer l’importance d’un meilleur alignement entre la stratégie RH et le
contexte de l’entreprise a été mon leitmotiv.
Toutefois, lorsque j’observe l’évolution du marché du travail et les changements
technologiques qui pointent à l’horizon, je me demande si cette recherche
d’alignement et de contingence n’est pas sans risque. Comme le souligne
Mintzberg, la stratégie d’affaires est de plus en plus émergente et de moins en moins
délibérée, ce qui limite énormément la possibilité pour les services des ressources
humaines d’aligner leurs pratiques sur la stratégie d’affaires. Si la stratégie d’une
entreprise est en partie informelle et que cette dernière change régulièrement pour
s’ajuster à un environnement des plus turbulents, serait-il illusoire de vouloir y
aligner les pratiques de gestion des ressources humaines ? À mon avis, il serait
contre-productif de changer constamment les pratiques de gestion des ressources
humaines pour suivre la stratégie d’affaires, car les employés ont besoin de stabilité
et de continuité à l’égard des signaux qui leur sont transmis.
En effet, la notion d’alignement et de contingence ne reconnaît pas le besoin de
devoir s’abstraire d’un alignement hermétique lorsque les organisations sont en
période de transition ou lorsqu’elles poursuivent des buts multiples et souvent
conflictuels. Dans ce contexte, l’alignement pourrait être contre-productif parce
qu’il inhibe l’innovation et contraint le répertoire de compétences disponibles dans
l’entreprise (Snell et coll., 1996). La maximisation de l’alignement entre les
pratiques de gestion des ressources humaines et les caractéristiques
27
organisationnelles n’est peut-être pas souhaitable lorsque des changements
organisationnels sont nécessaires ou qu’il faut absolument adopter des objectifs
conflictuels pour correspondre à un environnement changeant. Il faut également
reconnaître que les différentes pratiques de gestion des ressources humaines n’ont
pas la même capacité d’alignement et de flexibilité. Par exemple, certaines
pratiques telles que les régimes de bonis peuvent être implantées rapidement et
avoir un impact immédiat sur l’organisation, alors que d’autres, telles que les
programmes de recrutement et de formation, prennent plus de temps à développer
et ont un impact à plus long terme. Par conséquent, certaines pratiques de gestion
des ressources humaines répondraient davantage au besoin de flexibilité des
organisations qu’à celui de l’alignement et de la contingence (Wright et Snell,
1998).
De plus, je me questionne sur le postulat à l’effet que la stratégie RH découlerait
impérativement de la stratégie d’affaires et que le rôle des systèmes de gestion des
ressources humaines serait de soutenir l’implantation de la stratégie d’entreprise
(Kerr, 1985). Cette relation de cause à effet m’est souvent apparue trop simpliste.
Pour quelle raison les hauts dirigeants ne formuleraient-ils pas leurs stratégies, à
tout le moins partiellement, en réponse au bassin de compétences et d’habiletés
disponibles au sein de leur entreprise ? Étant donné la rapidité des changements
technologiques et la formulation de nouveaux contrats psychologiques dans nos
organisations, la direction des ressources humaines devrait veiller à ce que les
objectifs stratégiques puissent être réalisables à l’égard du potentiel humain de
l’entreprise.
Développer un système de ressources humaines qui peut s’adapter rapidement est
une réalité qui repositionne mon discours sur le rôle central de l’alignement et de
la contingence en matière de gestion des ressources humaines. En fait, au lieu de
développer une série de compétences permettant de répondre aux exigences
spécifiques de la stratégie d’affaires courantes, il serait peut-être plus opportun de
développer un capital humain possédant un large éventail de compétences et une
28
plus grande autonomie à l’égard des comportements à adopter (Wright et Snell,
1998). La stratégie RH ne devrait-elle pas promouvoir le développement de
compétences génériques et transversales afin de doter les entreprises d’une
meilleure capacité d’adaptation tout en gardant le cap sur les éléments plus
structurants que sont le secteur d’activités et la culture organisationnelle ?
Il est vrai cependant que plusieurs gestionnaires sont issus de nos universités, qui
fonctionnent, la plupart du temps en silos, et qui dispensent l’enseignement dans un
mode tout aussi compartimenté. Je mentionne souvent à mes étudiants que les
principaux enjeux auxquels ils seront confrontés dans leur carrière ne seront pas
des enjeux de gestion des ressources humaines, mais des enjeux d’affaires dans
lesquelles la gestion des ressources humaines apportera une contribution
significative. Toutefois, pour être en mesure d’en saisir toute la complexité, ils
doivent renoncer, en partie, au réflexe qu’on leur a transmis, soient celui
d’appréhender les problèmes à la seule lumière de leur spécialisation.
Merci de votre attention.
29
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