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le Courrier SEPTEMBRE 1988 9 FF L' Egypte au temps des Pharaons EHMHii

L'Egypte au temps des Pharaons; The UNESCO Courier: a ...unesdoc.unesco.org/images/0008/000809/080991fo.pdf · histoire. De toute façon, le rôle du Nil et plus généralement dela

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le CourrierSEPTEMBRE 1988 9 FF

L' Egypte au temps des Pharaons

EHMHii

Aída à LouxorEn mai 1987, soit 116 ans après sa créationen 1871, le célèbre opéra du compositeuritalien Giuseppe Verdi a été donné dans lesruines du temple de Louxor, l'ancienneThèbes où se déroule une partie de l'action,devant un public international. Celui-ci apu admirer une distribution brillante et ledéploiement, sur cette scène grandiose, de1 500 choristes, danseurs et figurants, ainsique des chevaux et même un lion nonsans que le Service des Antiquités del'Egypte se fût assuré au préalable que lematériel technique ne risquait pasd'endommager les monuments. Inspiréd'une idée de l'égyptologue AugusteMariette, le livret repose sur la rivalitéd'Amnéris, fille du pharaon éprise du jeunegénéral Radamès, et de la captive Aida, filledu roi d'Ethiopie vaincu par Radamès.Ayant trahi pour l'amour d'Aïda,Radamès est enseveli vivant avec elle.

Septembre 1988

Le fleuve du tempsL 'Egypte vivait au rythme des crues du Nilpar John Baines

8

Savants et aventuriers à la découverte

de l'Egypte oubliéepar Jean Vercoutter

12

La science des bâtisseurs de pyramidespar Rainer Stadelmann

17

La conception égyptienne du mondepar Jean Yoyotte

26

La vie au pays des pharaonspar Christiane Desroches-Noblecourt

30

L'Egypte et le monde méditerranéenpar Gaballa Ali Gaballa

33

Rêve et réalité

La persistance d'une certaine image del'Egyptepar Richard Fazzini

36

L'Unesco et le sauvetage des trésors del'EgypteDes temples de Nubie à la bibliothèqued'Alexandrie

par Gamal Mokhtar

Notre couverture : peinture de la tombe dePachedou à Thèbes (XIXe dynastie, v. 1307-1196avant J.-C). Le défunt boit l'eau d'un étang, àl'ombre d'un palmier.Photo ©G. Dagli Orti, Paris

Couverture de dos : chambre funéraire de

Merenptah (v. 1224-1214 avant J.-C), treizièmefils et successeur de Ramsès II.

Photo B. Brake© Rapho, Paris

le CourrierMUnefenêtre ouverte sur le monde 4 1e année

pc Mensuel publié en 35 langues Français&> Anglais Espagnol Russe AllemandQ Arabe Japonais Italien Hindi'§ Tamoul Persan Hébreu Néerlandaisg Portugais Turc Ourdou Catalan

Malais Coréen Kiswahili Croato-

Serbe Macédonien Serbo-Croate

u Slovène Chinois Bulgare Greco Cinghalais Finnois Suédois Basque£ Thaï Vietnamien Pachto Haoussa

L'Egypte ancienne, qui a de tout temps séduitsavants et voyageurs, conserve aujourd'hui encore,deux cents ans après la naissance de l'archéologieégyptienne moderne, son pouvoir de fascination.L'égyptologie est un domaine qui ne fait ques'étendre à mesure que les spécialistes progressentdans leur patient travail de reconstitution à partirde vestiges remarquablement conservés dans l'airsec et le sable du désert d'une civilisation quilivre ses richesses tout en gardant bien des secrets.Et les foules qui se pressent aux expositionsinternationales d'art égyptien témoignent del'attrait croissant qu'exerce la culture de l'Egypteancienne sur le grand public. Mais l'imaginationgarde aussi ses droits et la grandeur des pyramides,la splendeur des tombeaux et des temples de lavallée du Nil, le mystère des hiéroglyphes gravésdans la pierre ou peints sur le papyrus entretiennentune vision de l'Egypte ancienne qui, si elle s'écarteparfois de la réalité historique, n'en a pas moins faitrêver, au fil des siècles, les artistes, les architectes,les écrivains et les musiciens.

La redécouverte de l'Egypte ancienne à l'époquemoderne et les réalisations monumentales de

l'architecture pharaonique sont quelques-uns dessujets abordés dans le présent numéro du Courrierde l'Unesco, dont le propos essentiel est toutefois defaire ressortir certains aspects plus intimes (mis enlumière par l'égyptologie actuelle) de la vie desanciens Egyptiens, leur perception d'eux-mêmes etde leur univers, leur existence et leurs occupations

quotidiennes au rythme des saisons et de la crueannuelle du Nil, les divinités étranges, complexes etomniprésentes de leur panthéon, leur conception del'au-delà. L'image qui en ressort est celle d'unesociété dans laquelle le sacré et le sublime sefondaient intiment dans la trame du quotidien,d'une civilisation qui fit une synthèse unique de cequi est éphémère et de ce qui est éternel. Cela, c'estpeut-être l'art qui l'exprime le mieux, dans laprécision du détail, le rendu des nuances les plussubtiles dans l'expression et le mouvement, leportrait saisissant qu'il donne d'un peuple, d'unpays et d'une époque où tous les éléments de la vieterrestre le travail de la terre, la famille, les

divertissements revêtaient un caractère sacré et

cosmique.

Ce numéro comprend 40 pages et un encan publicitaire de 4 pages situécntrelesp. 2-3ct 38-39.

ve du temps-3LR JOHN BAINES L'Egypte vivait

au rythmedes cru^du Nil

AVEC un taux de pluviosité presquenul, l'Egypte serait un désert à peuprès inhabitable sans la présence du

Nil, qui la traverse du sud au nord depuis leshauts plateaux éthiopiens et l'Afrique cen¬trale jusqu'à la Méditerranée. En fait, c'estgrâce à ce fleuve qu'elle fut pendanttrois millénaires, de 3000 avant J.-C. jusqu'àla conquête romaine en 30 avant J.-C, l'Etatle plus vaste et le plus prospère de laMéditerranée orientale. Elle a retrouvé cette

position eminente au Moyen Age, et c'estencore aujourd'hui le pays le plus importantet le plus peuplé du Proche-Orient. Cettecontinuité millénaire est d'autant plus re¬marquable que les frontières de l'Egypten'ont guère varié au cours des siècles.

Pendant toute l'Antiquité, la prospérité del'Egypte dépendit de la richesse de son agri¬culture et donc du Nil : pourtant cette agri¬culture n'est pas née spontanément, mais est

apparue progressivement au cours de la pré¬histoire. De toute façon, le rôle du Nil et plusgénéralement de la géographie de l'Egypten'a pas seulement été économique, mais aussipolitique et même idéologique.

Voici quelque 12 000 ans, à la fin duPleistocene, l'Egypte faisait encore partie duSahara occidental, sillonné par des bandes dechasseurs-cueilleurs nomades. Le climat

était plus hospitalier qu'aujourd'hui et cer¬taines régions actuellement arides et déserti¬ques étaient alors habitées. La vallée et ledelta du Nil n'étaient qu'un immense maré¬cage dont les réserves d'eau attiraient chas¬seurs et gibier, et dont on exploitait les res¬sources végétales et halieutiques. Vers cettemême époque, les habitants de la régioncommencent également à cueillir des plantessauvages qui pourraient être des céréales etdont la consommation exige davantage depréparation que les autres produits de la

cueillette. On peut en déduire que la pressionsur les ressources naturelles allait en

augmentant.

A partir de là s'amorce un lent processusde désertification du Sahara, qui présentaitdéjà, vers 2000 avant J.-C, la même physio¬nomie qu'aujourd'hui. De 10 000 à 5000avant J.-C, les derniers représentants del'âge de pierre se concentrent sur les pointsd'eau, exploitant encore plus intensivementles ressources disponibles, dans le désertcomme au bord du Nil. Le mode d'exploita¬tion n'était pas encore diversifié comme il ledeviendra avec l'apparition des premièrescommunautés villageoises individualisées.Le passage à l'agriculture est intervenu quel¬que part dans le désert ou au bord du Nil, entout cas à proximité de l'eau, à des dates quel'on situe vers 7000 à 5000 avant J.-C, soitbeaucoup plus tard qu'en Asie mineure.Mais l'absence de vestiges ne permet pas

La crue du Nil, qui tous les ans transformait lavallée du fleuve en un long ruban verdoyant dansle désert.

Cette statuette d'un homme barbu en brèche

rose, mesurant 50 cm, fut sculptée dans la Valléedu Nil par un artisan de la première période du

Nagada, une culture qui se développa auxalentours du quatrième millénaire avant

notre ère.

Photo{¡0 Almasy, Pans

d'exclure l'hypothèse d'une date plusreculée.

La vallée du Nil a commencé à se peupleravec le développement de l'agriculture.Vers 4000 avant J.-C, on ne comptait plusen Egypte que deux grandes civilisations, lavieille culture Merimdeh dans la région duDelta, et la culture badarienne autour

d'Assiout en Haute-Egypte. De leur unionnaquit, avant 3100 avant J.-C, l'Etat égyp¬tien le premier grand Etat-nation del'histoire.

Depuis cette date, l'Egypte n'a cessé deprospérer et sa population de croître jusqu'àla conquête romaine. L'unité politique et lastabilité des institutions, mais aussi la possi¬bilité d'exploiter de nouvelles terres fertiles,y contribuèrent considérablement. Les se¬mailles s'effectuaient après la crue annuellequi recouvrait la vallée et le delta du Nil de lafin juillet à septembre : irriguer était à peine

nécessaire et la moisson s'effectuait de mars à

mai. On pouvait augmenter le rendement encanalisant les eaux en crue pour les retenir,tandis que le drainage des eaux résiduelles etle dépôt des limons permettait d'étendre lessurfaces cultivables. En revanche, les par¬celles consacrées aux cultures maraîchères

devaient être arrosées toute l'année, ce qui sefaisait à la main jusqu'à ce qu'apparaissent,vers 1500 avant J.-C, les premières norias.D'autres cultures, comme le palmier dattierdont les fruits mûrissent à la fin de l'été et

dont les racines vont chercher l'eau du sous-

sol, ne nécessitaient pas d'arrosage.On ignore encore à quelle date ces pro¬

cédés artisanaux ont fait place à un systèmecollectif d'irrigation à grande échelle. La pra¬tique de l'irrigation par bassin, traitantcomme une seule grande unité d'importantessections de la plaine inondable, était déjàbien établie sous le Moyen Empire(vers 2040 - 1640 avant J.-C), mais rien neprouve qu'elle ait été connue dans l'AncienEmpire (3e millénaire avant J.-C), à l'épo¬que des grandes pyramides. Les rares men¬tions de problèmes d'eau et d'irrigation dansles textes égyptiens fournissent peu d'infor¬mations quant à l'évolution des techniquesemployées. Seule exception, les inscriptionsà la gloire des potentats locaux de la périodetroublée marquant la transition entrel'Ancien et le Moyen Empire (2134 - 2040avant J.-C), qui leur attribuent la construc¬tion de canaux et la fourniture d'eau à leurs

sujets alors que d'autres en étaient privés. Enpériode de prospérité, de tels détails étaientsans doute jugés trop anodins pour figurerdans des proclamations publiques. La seuleentreprise d'irrigation de grande envergureattestée avant la période gréco-romaineconcerne la dépression marécageuse duFayoum, vaste oasis située au sud-ouest duDelta. Les souverains du Moyen Empireavaient entrepris d'en assécher les terres enconstruisant un canal latéral pour irriguer lebassin en contrebas, mais leur oeuvre ne leur

survécut pas.

La régularité des crues et la fécondité desterres le long du Nil et dans le Delta faisaientde l'Egypte une oasis de prospérité, d'autantplus que la stabilité politique permettait deconstituer des réserves de vivres en prévisiond'éventuelles disettes. Mais cette situation

n'offrait qu'un avantage relatif : des cruesinsuffisantes ou excessives, de mauvaises ré¬

coltes, des épidémies et d'autres dangers demême nature pouvaient à tout moment frei¬ner la croissance de l'Egypte ancienne, où

contrairement à ce qui se passe de nosjours on ne pratiquait qu'une récoltepar an.

Les deux cultures principales étaient descéréales : le blé pour le pain et l'avoine pourla bière. Ces produits faciles à conserverconstituaient la base de l'alimentation. On

cultivait aussi le lin, dont on tirait aussi bien

des cordages que les plus fins tissus pourl'exportation, ainsi que le papyrus (plantemarécageuse, qui poussait peut-être d'ail¬leurs à l'état sauvage). La racine du papyrusservait d'aliment, et ses tiges étaient affectéesà de multiples usages, allant de la fabricationde barques et de tapis, à celle de feuilles pourécrire, que l'on exportait aussi. On cultivaitpar ailleurs divers fruits et légumes. Les an¬ciens Egyptiens consommaient relativementpeu de viande d'élevage, mais ils chassaientles oiseaux des marécages et péchaient lespoissons du Nil, qui constituaient la princi¬pale source de protéines animales pour laplupart d'entre eux.

Nourricier de l'Egypte, le Nil était aussison principal axe de communication, à telle

enseigne que l'image d'un bateau figure dansla plupart des hiéroglyphes se rapportant auvoyage. Tout ce qui était lourd pouvait êtretransporté par voie d'eau, avec une facilitéqui a contribué à forger l'unité du pays, enmême temps que le labyrinthe des chenauxdu Delta protégeait l'arrière-pays des inva¬sions. En fait, les communications avec

l'Afrique saharienne ou l'Asie étaient incom¬parablement plus difficiles qu'entre la Hauteet la Basse Egypte. Mais le fleuve pouvait

de main-d'luvre disciplinée, celle-là mêmequi construisit les tombes royales et les mo¬numents funéraires des hauts dignitaires duMoyen Empire, ses fortifications et ses pyra¬mides; celle aussi qui érigea les temples et lesnécropoles du Nouvel Empire (vers 1550 -1070 avant J.-C), dont elle alimentait égale¬ment les armées conquérantes, et que l'onretrouvera enfin sur les chantiers de la pé¬riode gréco-romaine.

Tout cela a été rendu possible par le per

Fragment de la tête en calcaire d'une massue ^cérémonielle de la période prédynastique tardive

(v. 3000 avant J.-C), figurant le roi appelé« Scorpion » du nom de l'animal représenté

près de son visage creusant les fondations d'untemple.

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4 Osiris, roi des morts, portant la crosse et le fouet,les deux principaux insignes de la royauté quiétaient à l'origine des accessoires pastoraux.Tombe de Sennedjem, creusée à Thèbes sous lerègnedeSéthi Ier (v. 1306-1290 avant J.C.).

aussi séparer les hommes. Le pauvre était« celui qui n'a même pas de bateau » et queles plus fortunés se devaient de prendre àleur bord. De là aussi vient la symboliquede la mort, cette « autre rive », le passagedans l'au-delà étant considéré comme une« traversée ».

Le fait qu'elle soit ramassée autour du Nila favorisé l'unification de l'Egypte, et permisà la fois l'exploitation intensive de ses res¬sources et la concentration du pouvoir. Pro¬priétaires du sol, les pharaons avaient lahaute main sur l'agriculture, dont ils taxaientla production et réglementaient les cours pardes mesures administratives et le recours au

travail forcé. En contrepartie, ils s'occu¬paient de constituer des réserves en prévisiondes mauvaises récoltes, assumant" ainsi

nombre des fonctions d'un système coopéra¬tif dans des sociétés plus restreintes. L'orga¬nisation centralisée qui se développa à partirdu 3e millénaire avant J.-C. créa une masse

fectionnement de l'agriculture irriguée, quilibérait une importante main-d' pen¬dant la période creuse de l'été et permettait àcertains de se consacrer entièrement à des

tâches plus spécialisées et plus nobles. Dansles périodes de transition marquées parl'effondrement du pouvoir central (entre2134 et 2040, 1640 et 1532, 1070 et 712

avant J.-C approximativement) on neconstruit guère de monuments et l'expan¬sion politique est faible, mais les bases agri¬coles du pouvoir et de la prospérité demeu¬rent, assurant la continuité de la vie culturelle

et permettant la reprise des grands projetsaprès la fin des troubles. Cela dit, il ne fautpas oublier que la main-d' ainsi libéréepar l'efficacité et la productivité de l'agricul¬ture ne travaillait pas pour elle-même, maispour les rois et les puissants. Hormis l'incer¬titude politique, les périodes intermédiairesn'étaient donc pas forcément plus péniblespour le commun des gens; il est vrai que nous

Relief du petit temple d'Abou Simbel à l'effigie deKhnoum, le dieu à tête de bélier, seigneur de la

première cataracte et des cavernes mythiques oùl'on situait la source des crues du Nil. Il était

surtout révéré dans cette région de la Haute-Egypte, particulièrement à Elephantine.

ignorons quels pouvaient être leurs senti¬ments envers leur pays et la personne de leursouverain.

On peut s'étonner que le Nil, qui joue untel rôle dans l'économie de l'ancienne

Egypte, ait occupé si peu de place dans sareligion. Pour les Egyptiens, leur ordre étaitl'ordre du monde et le Nil était simplement« le fleuve ». Il n'est même pas certain que lemot Nil soit d'origine égyptienne. D'ail¬leurs, ce n'était pas le fleuve placide quiapportait richesse et prospérité, mais bienson mouvement de crue, incarné par le dieuHapy. Et s'il personnifiait l'abondance, Ha-py n'était même pas une figure marquante dupanthéon égyptien, plutôt un dieu familierauquel les rois et les potentats aimaient às'identifier pour signaler leur prospérité etcelle qu'ils étaient censés apporter à leurssujets. Nous avons conservé un hymne àHapy qui chante le caractère bienfaisant deson action mais sans le rattacher aux autres

dieux, comme c'était pourtant la coutume.

En fait Hapy est moins représenté comme undieu que comme un personnage adipeux quiapporte aux dieux les fruits de l'abondance.Il n'avait d'ailleurs pas de temple, mais oncélébrait son culte chaque année au début descrues par des sacrifices et des hymnes àGabal-al-Silsila, site sans doute révéré depuisles temps préhistoriques, où la vallée dufleuve se resserre au nord d'Assouan.

L'importance du Nil se retrouve dansd'autres aspects de la vie de l'ancienneEgypte. Par exemple, contrairement à la plu¬part des peuples, les Egyptiens s'orientaientvers le sud, c'est-à-dire vers les sources du

Nil, si bien que pour eux, la direction bénéfi¬que (celle de la main droite) se trouvait àl'ouest, où ils situaient le passage vers l'autremonde. Le calendrier suivait les mouve¬

ments du fleuve et des étoiles, l'année

commençait à la mi-juillet, début des crues,qui coïncidaient avec la réapparition dans le

ciel après 70 jours d'éclipsé de l'étoile Sothis(Sirius). L'année était divisée en trois saisonsde quatre mois correspondant aux grandesphases du Nil : la crue, akhet (été - autom¬ne); Péclosion et la croissance, perer (denovembre à mars) lorsque la terre réapparaîtet peut être cultivée; et la moisson, chemou,période des récoltes où le fleuve est à sonétiage.

Le grand dieu égyptien le plus étroitementassocié au Nil est Osiris, pharaon mythiqueassassiné sur le bord du fleuve par son frèreSeth, qui avait ensuite dépecé son cadavre. Sas et épouse Isis parvint toutefois à re¬constituer son corps et à le ranimer pourconcevoir son fils posthume, Horus. Osirisne revient pas à la vie mais devient roi desenfers. Le cycle de sa mort et de sa résurrec¬tion symbolise la fertilité de la terre .d'Egypte. Pendant la période de crue, on .plantait en grande cérémonie dans des sta¬tuettes d'Osiris en argile humide des grainesd'avoine dont la germination symbolisait leréveil de la terre fécondée par l'eau du Nil : ily avait donc toute une symbolique complexeassociant Osiris, la terre, et les crues du Nilautour des idées-forces de fertilité et de

renaissance.

L'autre divinité associée au fleuve était

Khnoum, le dieu à tête de bélier que l'onvénérait à Elephantine dans l'extrême sud dupays. Dieu créateur et bienfaisant, il régnaitsur la cataracte par laquelle le Nil pénètre enEgypte. Mais ce culte ne faisait que se substi¬tuer à celui, plus ancien, de la déesse Satis,dans le temple de laquelle on célébrait laconjonction de l'astre Sothis et de la montéedes eaux. Bien qu'elle fût plus précoce quepour les régions plus peuplées du nord, ladate des cérémonies était celle de la montée

des eaux à Elephantine.Nous sommes peut-être plus sensibles à

l'importance et au rôle bénéfique du Nil queles anciens Egyptiens, qui parlaient de lapluie, si rare chez eux, comme d'une « inon¬dation du ciel ». Pour comprendre cette ap¬parente indifférence, il faut tenir compte desdistinctions opérées par les anciens entre lesacré et le profane, l'humain et le divin. LesEgyptiens acceptaient l'existence du Nilcomme un phénomène naturel, dont lescrues pouvaient être dévastatrices, mais quiexerçait une influence bénéfique sur leur vie;la plupart de leurs dieux étaient des êtresbeaucoup plus complexes et qui se situaienten dehors du monde de tous les jours. Para¬doxalement, c'est aux Grecs et aux Romains

qu'il appartiendra de diviniser le Nil, commeils le faisaient d'ailleurs pour n'importe quelfleuve. *

JOHN BAINES, du Royaume-Uni, est professeurd'égyptologie à l'Université d'Oxford depuis 1976.Il est l'auteur d'un Atlas de l'Egypte ancienne(1980) réalisé en collaboration avecjaromir Máleket traduit en de nombreuses langues, ainsi que d'unouvrage, Fecundity Figures (1985, Symboles defécondité), qui contient une étude consacrée audieu Hapy, personnification des crues du Nil, ainsique divers articles portant, entre autres, sur lareligion et la royauté dans l'Antiquité égyptienne,lia donné de nombreuses conférences sur ces sujetsen Afrique, en Europe et aux Etats-Unis.

Savants et aventuriersà la découverte de l'Egypte oubliée

LE 27 septembre 1822, Jean-FrançoisChampollion lisait devant l'Acadé¬mie des inscriptions et belles-lettres

la Lettre à M. Dacier relative à l'alphabet desécritures phonétiques employées par lesEgyptiens, texte célèbre qui est à la source dela redécouverte de l'Egypte ancienne.

De tout temps, la civilisation pharaoniquea suscité intérêt et étonnement par la majestéde ses monuments et les aspects bizarres de

.sa religion. Déjà, les récits d'Hérodote,Diodore de Sicile, Strabon et Plutarqueabondaient en détails précieux sur la vie et lespratiques religieuses des anciens Egyptiens.Cependant, au 4e siècle de notre ère, la reli

gion chrétienne s'imposa dans l'empire ro¬main et, en 391, Théodose Ier ferma tous les

temples païens. Les prêtres égyptiens, quiseuls enseignaient l'écriture hiéroglyphique,disparurent peu à peu, et celle-ci devint enconséquence lettre morte. Dès le 6e siècle,personne ne sait plus lire les textes gravés surles monuments ou conservés sur les papyrus.

Il faudra attendre le 17e et surtout le

18e siècle pour que des voyageurs curieuxattirent l'attention sur l'Egypte, ses monu¬ments et son écriture mystérieuse. Les ou-

-4 Découverte près de l'embouchure duNil par un officier de l'armée deNapoléon Bonaparte en 1799, la pierrede Rosette (ci-contre) livra la clé del'écriture hiéroglyphique, perduedepuis longtemps. Cette stèle en basaltenoir, datant de 196 avant J.-C, portaitdes inscriptions en hiéroglyphes, endémotique (la langue populaire del'Egypte à l'époque) et en grec,correspondant visiblement à troisversions d'un même texte : tin décret

commémoratif du couronnement de

Ptolémée V Epiphane rédigé par desprêtres. Parmi les spécialistes deslangues orientales qui s'attelèrent à sondéchiffrement, le Français Jean-François Champollion ( 1 790- 1 832) 'ci-dessus, dans un portrait anonymedul9csiècle fut le premier à établir :une liste complète des hiéroglyphes etde leurs équivalents grecs, qui devaitservir par la suite de base à toutes lestraductions des textes égyptiens.

PAR JEAN VERCOUTTER Les nombreux savants qui se joignirent à l'Expéditiond'Egypte de Napoléon Bonaparte en 1798-1799 avaient pourmission d'étudier la civilisation égyptienne, ancienne etmoderne, sous tous ses aspects. Ils consignèrent leursobservations dans une monumentale Description de l'Egypte(1809-1830) qui contribua à la vogue que connaissait alors cepays en Europe. Ci-dessous, deux illustrations de cetouvrage représentant les temples de Dendérah en Haute-Egypte, dues au graveur Vivant Denon (1747-1825).

vrages de Benoit de Maillet et Claude Sicard,le Voyage en Egypte et en Syrie (1787) deConstantin François de Volney apportentdes précisions sur la géographie et les grandstemples du pays. Enfin, un personnage trèsattachant, à la vie mouvementée, VivantDenon, va par ses dessins faire connaîtrel'Egypte aux Européens.

Après avoir été gentilhomme de lachambre de Louis XV, secrétaire d'ambas¬sade à Saint-Pétersbourg et à Naples sousLouis XVI, Vivant Denon obtient deBonaparte d'accompagner l'Expéditiond'Egypte malgré son âge : il a 50 ans ! Auretour d'Egypte, Napoléon le nomme Direc¬teur des Musées, et c'est lui qui créera leMusée Napoléon, le Louvre actuel.

L'ouvrage de Vivant Denon, Voyage dansla Basse et la Haute Egypte marque le débutde la renaissance de l'Egypte ancienne. Pu¬blié en 1 802, il connaît un succès foudroyantdans l'Europe entière : quarante éditionssuccessives, ainsi que des traductions en an¬glais et en allemand. Denon avait suivi ledétachement du général Desaix en HauteEgypte où, souvent au péril de sa vie, parfoismême faisant le coup de feu, il avait dessinétous les monuments pharaoniques qu'il dé¬couvrait. Le charme de ses dessins évoca-teurs contribue à 1'« égyptomanie » quitouche le monde savant, mais aussi le grand

public : meubles et bibelots à l'image de l'artégyptien se multiplient et, conséquence inat¬tendue, le vol des antiquités se développe.

La publication de l' de VivantDenon précède de peu celle des travaux desquelque 150 savants que Bonaparte avait em¬menés avec lui en Egypte. Ceux-ci ont mesu¬ré, dessiné tous les monuments, composant

l'impressionnante Description de l'Egypte enneuf volumes de textes et onze grands atlasde planches qui paraissent de 1809 à 1822. Acette date encore, faute de pouvoir lire leshiéroglyphes qui couvraient les murs desmonuments égyptiens, il était impossibled'avoir une connaissance réelle de l'Egypte

des pharaons.En août 1799, au cours de travaux de

terrassement près de Rosette, à l'estd'Alexandrie, un officier de l'armée de

Bonaparte remarqua une pierre noire cou¬verte d'inscriptions. Son chef, le généralMenou, la fit transporter à Alexandrie et lamontra aux savants de l'Expédition. Lapierre comportait trois textes : l'un, en haut,en caractères hiéroglyphiques, le second, aumilieu, dans des caractères rappelant un peul'arabe et le troisième, en bas, en caractères

grecs. Les savants, dont plusieurs connais¬saient le grec, déchiffrent immédiatement ledernier texte, un décret de l'époque dePtolémée V(196 av. J.-C.) et supposent àjuste titre qu'il est une traduction desdeux premiers; il est donc susceptible defournir la clé de l'écriture hiéroglyphique. Ilsen prennent des estampages et de nom¬breuses copies. Heureuse initiative ! Car,lors de la capitulation des troupes françaises,

les Anglais saisissent la « pierre de Rosette »comme butin de guerre. Elle est aujourd'huiexposée au British Museum, à Londres.

La découverte de la pierre de Rosette futtrès vite connue en Europe. Aussitôt, se dé¬clencha une vive compétition : qui saurait lepremier déchiffrer la mystérieuse écriture ?

Le plus ardent, le plus jeune aussi, desconcurrents est Jean-François Champollion,âgé alors d'une douzaine d'années. Né àFigeac en 1790, il grandit dans un milieupassionné d'Egypte. Son frère, Jacques-Joseph, qui n'a pas pu participer à l'Expédi¬tion, est le secrétaire de Fourier, préfet del'Isère; celui-ci, au retour d'Egypte, colla¬bore à la Description de l'Egypte dont ilrédige la longue préface historique. Elevéentre ces deux hommes, Jean-François seprend, lui aussi, de passion pour l'Egypte. Ala vue d'une copie de la pierre de Rosette, ilse jure d'être le premier à lire les hiérogly¬phes. Dans ce but, il apprend (à 13 ans !) nonseulement le grec et le latin, mais aussi l'hé¬breu, l'arabe, le syriaque, l'araméen.A 17 ans, il y ajoute le persan et surtout lecopte, car dès ce moment, il est convaincuque le copte n'est rien d'autre que l'égyptienancien transcrit en caractères grecs.

Après avoir connu diverses mésaventurespour s'être mêlé de politique, Jean-FrançoisChampollion s'installe en 1821 à Paris, prèsde son frère, maintenant secrétaire de Bon

Joseph Dacier, un helléniste qui est le Secré¬taire perpétuel de l'Académie des inscrip-

tions et belles-lettres. Il se consacre alors

entièrement à ses recherches, tout en suivant

avec angoisse les progrès de ses rivaux : l'An¬glais Thomas Young, le Suédois Johan DavidAkerblad et le Français Sylvestre de Sacy,qui de leur côté travaillent au déchiffrementde l'écriture égyptienne.

Tous, comme Champollion lui-même, seheurtent à la même difficulté : l'écriture

égyptienne est-elle idéographique ou phoné¬tique ? Autrement dit, chaque signe corres¬pond-il à une idée ou à un son ? C'est le14 septembre 1822 que Champollion a l'in¬tuition que l'égyptien est à lafois idéographi¬que et phonétique. A l'aide de la pierre deRosette et de copies d'inscriptions provenantd'autres monuments envoyées d'Egypte pardes amis, il déchiffre les noms de souverains

grecs et romains : Alexandre, Cléopâtre,Arsinoé, Auguste, Néron... A partir de cesnoms, il trouve les signes alphabétiques debase. Des noms des Ptolémées et des Césars,

il passe à ceux des pharaons égyptiens, lesThoutmosis, les Ramsès. Augmentant cha¬que fois le nombre de signes hiéroglyphiquesqu'il comprend, il arrive à les lire tous. Ils'attaque à des textes de plus en plus longs : ilmaîtrise l'égyptien !

Malgré la jalousie qu'elle suscite, sa décou¬verte est peu à peu reconnue. Soutenu parquelques grands seigneurs de la Cour, il estnommé Conservateur des collections égyp¬tiennes du musée du Louvre. En 1827, on lui

confie une mission d'exploration en Egypte :

Le buste en granit de Ramsès II (v. 1290-1224avant J.-C.) était tout ce qui restait d'une statuecolossale du pharaon qui se dressait dans son vastetemple funéraire, le Ramesséum, sur la rive ouestdu Nil à Thèbes. Cette aquarelle représentant lehalage à bras d'homme du buste vers le fleuve a étéréalisée en 1816 par Giambattista Belzoni,chasseur d'antiquités italien qui avait été chargéd'en organiser l'expédition au British Museum àLondres.

le rêve de sa vie. Il part en 1828. Pendantquinze mois, accompagné de bons dessina¬teurs comme Nestor L'Hôte, et d'une équipeitalienne dirigée par son élève et amiRossellini, il parcourt la vallée du Nild'Alexandrie à Assouan, séjourne à AbouSimbel, se rend jusqu'à la deuxième catarac¬te. Il peut alors écrire avec fierté à Dacier, sonprotecteur : « J'ai le droit de vous annoncerqu'il n'y a rien à modifier dans notreLettre sur l'alphabet des hiéroglyphes, notrealphabet est bon, il s'applique avec un égalsuccès (...) aux inscriptions de tous lestemples, palais et tombeaux des époquespharaoniques. »

Alors que Champollion, tout comme sesrivaux, travaillait avec acharnement au dé¬

chiffrement des hiéroglyphes, 1'« égyptoma-nie » mise à la mode par Vivant Denon et laDescription de l'Egypte avait eu pour pre¬mier effet d'exciter les convoitises des collec¬

tionneurs, et en particulier des grands mu¬sées européens. Tous voulaient leur collec¬tion d'antiquités égyptiennes. Par ailleurs,nombreux étaient les aventuriers attirés en

Egypte par l'espoir d'une fortune rapide.L'Egypte était en principe sous la tutelle

du sultan de Constantinople, mais en fait levice-roi, Mehemet Ali, régnait en souverainabsolu. Il voulait moderniser le pays, lesantiquités ne l'intéressaient guère. Aussi,profitant des facilités que leur donnent leursqualités de diplomates, les consuls étrangersobtiennent de Mehemet Ali les autorisations

nécessaires pour faire des fouilles et trans¬porter les monuments anciens. Ils recrutentdes agents parmi les aventuriers, qu'ils char¬gent d'effectuer les fouilles pour eux et derapporter des antiquités découvertes ouachetées en leur nom. Ainsi se constituent

d'importantes collections.Le célèbre diplomate et collectionneur ita¬

lien, Bernardino Drovetti, nommé consul de

France en 1810 (poste qu'il gardera jus¬qu'en 1829), en profite pour faire de fruc¬tueuses opérations de trafic d'antiquités.Parfois, il dirige lui-même les recherches etses agents pillent sans vergogne, surtout la

Le nom de FEgyptologue français AugusteMariette(1821-1881)est resté associé à ladécouverte, à Saqqarah, du Sérapeum de

Memphis, la nécropole souterraine des taureauxApis, incarnations du dieu memphite Ptah.

En 1851, Mariette exhuma des chambres

souterraines 64 momies de taureaux Apis. Surcette gravure de 1858, on voit l'une des portes

d'entrée nouvellement découvertes du Sérapeum.

région thébaine. Il propose une premièrecollection à Louis XVIII, qui en trouve leprix trop élevé : elle est acquise par le roi du'Piémont. Le musée de Turin devient ainsi

possesseur de la première collection égyp¬tienne de grande qualité.

Encouragé par ce résultat, Drovetti réunitune deuxième collection. Sur les conseils de

Champollion, Charles X l'achète pour lemusée du Louvre. Puis il constitue une troi¬

sième collection, que le roi de Prusseacquiert en 1836. Moins importante que lespremières, celle-ci est cependant très belle.

Le peintre Henry Sait, nommé consuld'Angleterre en 181 6, suit l'exemple deDrovetti. Lui aussi réunit trois collections

successives. La première est achetée par leBritish Museum, sauf la plus belle pièce lesarcophage en albâtre de Séthi Ier qui estvendue à un particulier pour le même prixque le reste de la collection. La seconde,beaucoup plus importante, est acquise parCharles X en 1824. Grâce à ses collections

Sait et Drovetti, le Louvre devient l'égal dumusée du Turin. La troisième collection sera

vendue après la mort de Sait et achetée engrande partie par le British Museum.

Ces collections exceptionnelles n'auraientpu être réunies sans l'activité inlassable desagents des consuls, en particulier du FrançaisJean-Jacques Rifaud pour Drovetti et, pourSait, du Grec Giovanni d'Athanasi et surtoutde l'extraordinaire Giambattista Belzoni. Ce

dernier, né à Padoue, pense à l'âgé de vingtans se faire moine, puis part pourl'Angleterre où, devenu saltimbanque, ilétonne les foules par son extraordinaire forcephysique. On le retrouve ensuite auPortugal, en Espagne, à Malte, en Egypteenfin, où il met au point une machine hy¬draulique pour faciliter l'irrigation. Son in-,vention n'a guère de succès : Mehemet Alirefuse de l'acquérir. Sans ressources, il estrecommandé à Sait, qui le prend à son servi¬ce. Son habileté et sa force prodigieuse appa¬raissent tout au long du récit qu'il a laissé deses Voyages en Egypte et en Nubie, durantlesquels il amassa des antiquités pour Sait.

La découverte de Champollion et les publi¬cations dont elle fut suivie servirent à former

les premiers égyptologues dont certains sedistinguent tout particulièrement.

L'Allemand Karl Lepsius, venu à Parissuivre les cours du Collège de France, ap¬prend à lire les hiéroglyphes dans les ou¬vrages posthumes de Champollion. Il dirigede 1842 à 1845 une grande expédition enEgypte organisée par le roi de Prusse.

Nommé professeur à l'Université de Berlin,il fonde l'égyptologie allemande avec sonsuvre maîtresse Denkmäler aus Aegyptenund Aethiopien (Monuments d'Egypte etd'Ethiopie) qui décrit tous les monuments dela vallée du Nil, de la quatrième cataracte à laMéditerranée.

John Wilkinson renonce à une carrièremilitaire pour s'installer en Egypte, où il faitdes fouilles pendant plus de dix ans. Il peutêtre considéré comme le père de l'égyptolo¬gie anglaise. Il est le premier à décrire dansManners and Customs ofAncient Egyptians(MAurs et coutumes des anciens Egyptiens)la vie quotidienne des artisans et paysans del'époque pharaonique représentée dans lespeintures des tombes.

Le Français Emile Prisse d'Avennes, aprèsdes études d'ingénieur et d'architecte, a unejeunesse aventureuse : il combat en Morée(Grèce) contre les Turcs, devient le secrétairedu Gouverneur général des Indes, et finit pars'installer en Egypte et par se consacrer àl'archéologie. Prisse offrit au Louvre la« chambre du roi » ou « salle des ancêtres »

enlevée du temple de Karnak juste avantl'arrivée de Lepsius qui venait pour enprendre possession ! Il fit don à la France du« Papyrus Prisse », long et précieux docu¬ment datant de 2000 av. J.-C, que l'on a puqualifier de plus vieux livre du monde.

Enfin, Auguste Mariette assure l'avenir del'archéologie égyptienne naissante en met

tant fin au trafic qui, depuis le début du19e siècle, avait permis à nombre d'antiqui¬tés, monuments et papyrus de quitterl'Egypte sous le couvert d'autorisations offi¬cielles, mais aussi à la suite de fouillesclandestines.

C'est en regardant les dessins de NestorL'Hôte que Mariette, professeur au collègede Boulogne-sur-Mer, est saisi d'un attraitirrésistible pour l'Egypte. Avec la Gram¬maire de Champollion, il s'initie seul à lalecture des hiéroglyphes, puis après avoirobtenu un modeste emploi au musée duLouvre, il est envoyé en mission en 1850pour acheter des manuscrits coptes enEgypte. En attendant les autorisations néces¬saires pour cet achat, il visite Saqqarah. Lavue de quelques sphinx, à demi enfouis dansle sable, lui rappelle un texte de Strabon quifait allusion à une allée bordée de sphinx quiconduisait aux tombes des taureaux Apis.Renonçant aux manuscrits coptes, il suit l'al¬lée qu'il a découverte et arrive bien auSérapeum, où il va dégager les énormes sar¬cophages des taureaux sacrés et tout ce quiles entourait.

Cette découverte fait grand bruit et vaut àMariette une réputation internationale. Maissurtout, pendant ces mois de recherches fié¬vreuses, il a connu les joies du travail sur leterrain, l'ivresse de la découverte : il ne peutplus s'en passer. Grâce à l'intervention deFerdinand de Lesseps, le vice-roi d'Egypte,

Saïd Pacha, confie à Mariette la mission de

protéger les antiquités égyptiennes. En 1858,il le nomme directeur des travaux d'antiquitéen Egypte et lui donne tous les moyens pouragir. Dès lors, Mariette entreprend desfouilles à Gizeh, Saqqarah, Abydos, Thèbes,Elephantine et réunit toutes ses trouvaillesau Caire.

Mariette, qui veut assurer la protection detous les objets et monuments de l'Egypteancienne, aura les plus grandes difficultés àfajre appliquer les mesures nécessaires. Ce¬pendant, grâce à lui, les fondements de ce quiva devenir le Service des antiquités del'Egypte et le Musée du Caire sont posés. Asa mort, en 1881, Gaston Maspero, qui leremplace, pourra continuer son ouvre. Dé¬sormais, la voie est tracée. Elle mène vers les

grandes découvertes qui feront mieuxconnaître l'Egypte pharaonique : la cachettedes momies royales à Deir-el-Bahari, le tom¬beau de Toutankhamon, les tombes royalesdeTanis.

JEAN VERCOUTTER, membre de l'Académiedes inscriptions et belles lettres de l'Institut deFrance, a dirigé le Service des Antiquités duSoudan et l'Institut français d'archéologie orien¬tale au Caire. Il a également enseigné l'égyptologieà l'Université de Lille en France. Il est l'auteur de

nombreux ouvrages sur l'ancienne Egypte, dontTextes biographiques du Sérapeum de Memphis(1962) et A la recherche de l'Egypte oubliée(1986).

11

La science des bâtisseurs

de pyramides PAR RAINER STADELMANN

La grande salle hypostyle du temple d'Amon àKarnak, érigée par Séthi Ier et achevée par son

fils Ramsès II (v. 1290-1224 avant J.-C). Sescolonnes aux chapiteaux papyriformes portantd'énormes architraves jusqu'à 24 m de hauteur,témoignent par leur imposante monumentalité

de techniques de construction parfaitementmaîtrisées.

QUI a contemplé, ne serait-ce qu'unefois, la masse extraordinaire des py¬ramides, s'est inévitablement posé

la question de savoir comment ces merveillesont été construites, comment on a transportéces énormes pierres, quelles connaissancestechniques et mathématiques possédaient lesanciens Egyptiens et quels étaient les instru¬ments ou les machines qu'ils employaient.

Ces questions, on se les pose à nouveaudevant les obélisques de Louxor ou deKarnak, et en particulier devant les colossesde Memnon, monolithes extraits des car¬

rières au nord-est du Caire et transportésjusqu'à Thèbes sur une distance de 700 km.

Techniques et sciences ne représentaientpas pour l'Egyptien ancien des disciplinesspéciales : elles faisaient partie de la forma¬tion et de la fonction du scribe, un homme

attaché au service des gouverneurs des pro¬vinces ou du roi. L'éducation du scribe dé¬

butait avec l'apprentissage difficile de l'art dela lecture et de l'écriture, dans des textes decaractère littéraire certes, mais sûrement aus¬

si dans des ouvrages mathématiques et tech¬niques, dont quelques exemplaires sur papy¬rus, moins nombreux que les textes littérai¬res, nous sont néanmoins parvenus.

Il existait par ailleurs, et depuis l'époque laplus reculée, un certain nombre de métiersordinaires qui étaient fort probablement or¬ganisés dans des sortes de corporations fami¬liales. L'artisanat spécialisé est attesté enEgypte dès l'époque archaïque par la pro¬duction de poteries très élaborées, d'un ou¬tillage lithique hautement perfectionné, derécipients en pierre aux formes variées etd'une métallurgie. Dès l'époque préhistori¬que, l'on découvrit sans doute les mines d'ordu désert oriental ou les gisements de cuivredu Sinaï, et l'on prospecta différents filons de'pierres précieuses des vallées désertiques dusud-est. A l'époque historique, ce fut la dé¬couverte et l'exploitation de carrières depierres dures rares, souvent très éloignées dela vallée du Nil. Sous l'Ancien, Empire(3e millénaire avant J.-C), la technique de lataille de la pierre se perfectionne dans lasculpture, en bas-relief et en ronde-bosse,pour aboutir aux premières statues colossa¬les, comme le Grand Sphinx de Gizeh ou leseffigies royales de la Ve dynastie(v. 2465-2323 avant J.-C).

Les conditions naturelles du sol égyptien,soumis sur les rives du Nil à des crues an¬

nuelles exigeant à chaque fois la redistribu¬tion des terres à cultiver, ont favorisé le

développement de l'arpentage et donc du

calcul mathématique. La montée des eaux, lahauteur annuelle de la crue, étaient calculées

et enregistrées à l'aide de nilomètres ausud à Elephantine, au nord près deMemphis , car de la hauteur de l'eau dé¬pendait la perception des taxes sur les reve¬nus des différentes catégories de champs, etsurtout des plantations situées sur des ter¬rains surélevés. L'observation de la venue

plus ou moins régulière de la crue du Nil et samise en relation avec des phénomènes astro¬nomiques ont entraîné l'établissement d'uncalendrier annuel suivant le rythme natureldes saisons, qui a marqué un progrès sensiblepar rapport à l'ancien calendrier lunaire. Lesconnaissances tirées de l'organisation agraireet de l'observation du ciel et des astres ont

constitué le fondement théorique des futuresconstructions monumentales de l'Ancien

Empire.Le fleuve était aussi l'artère principale du

pays. On remontait et on descendait le Nil en. bateau et en barque. Dans le Delta lui-même,

les ramifications du Nil servaient de voies decommunication. Des canaux les reliaient les

unes aux autres, et c'est également un réseaude canaux qui assurait la liaison entre lesinstallations bordant la vallée du Nil. Même

d'un temple à l'autre, les transports de mar¬chandises s'effectuaient par voie d'eau. Letransport de charges plus légères, parexemple de sacs de grains à l'intérieur d'unchamp, et d'un champ à un canal ou aufleuve, se faisait à dos d'âne. En revanche, lesvéhicules à roues, dont l'usage ne s'est répan¬

du que sous le Nouvel Empire (v. 1550-1070avant J.-C), étaient exclusivement des charsde guerre ou des voitures de chasse. S'ilspouvaient servir aux promenades desmembres des classes élevées, ils ne consti¬

tuaient jamais des moyens de transport àproprement parler. Sous l'Ancien Empire,les hauts dignitaires employaient des chaisesà porteurs sur de courts trajets, mais em¬pruntaient le Nil pour les longs parcours.

On a exhumé au sud de la pyramide deChéops une barque royale de 44 m environ.Equipée de cinq paires d'avirons et de deuxénormes rames tenant lieu de gouvernail, elleporte des traces d'usure prouvant à l'évi¬dence qu'elle a navigué. Elle n'a probable¬ment servi qu'à relier la résidence royale auxvilles voisines du Delta, car les bâtiments

parcourant le Nil étaient habituellement mu¬nis de mâts escamotables. Vers l'amont, ilsallaient au vent du nord, et vers l'aval, lamâture était rabattue- et la force des rames

suffisait. La navigation en haute mer vers les

villes du littoral phénicien est attestée depuisla Ire dynastie (v. 3000 avant J.-C). Des ba¬teaux à un mât apportant les produits descontrées syriennes furent représentés sous laVe dynastie. Les charges très lourdes étaienttransportées sur des chalands spéciaux. Letransport par chalands de colonnes palmi-formes arrimées sur des traîneaux est repré¬senté sur le mur sud de la voie d'accès du

temple funéraire d'Ounas (v. 2356-2323avantJ.-C). Celui des obélisquesd'Hatchepsout (v. 1473-1458 avant J.-C.) fi¬gure sur le portique sud de la terrasse infé¬rieure du temple de la reine, à Deirel-Bahari : les deux obélisques alignés,pointés l'un vers la poupe l'autre vers laproue, sont maintenus par des cordages. Uneflotte entière, composée de 27 bateaux, haiele chaland qu'accompagne un bateau pilote.

Pour le transport du colosse nord dutemple de Memnon, qui pèse 800 tonnes,Amenophis fils de Hapou, architecte degénie qui fut le maître d' du templede Louxor et du temple funéraired'Amenophis III à Thèbes, fit construirevers 1350 avant J.-C. un bateau spécial qu'il

L'une des barques retrouvées dans l'ensemblefunéraire de Chéops (v. 2551-2528 avant J.C.);elles devaient, pense-t-on, servir à la traversée

du pharaon dans l'au-delà. Mise au jour en 1954près de la face sud de la pyramide, celle-ci mesure

plus de 40 m de long. Ses éléments en bois decèdre étaient marqués et purent être assemblés

comme un jeu de construction.

baptisa « bateau de huit », ce qui semblesignifier que ses dimensions étaient huit foisplus grandes que celles d'un chaland normal.Un problème technique épineux a dû cepen¬dant se poser au moment du chargement dumégalithe et ensuite, une fois à Thèbes, pourson délestage. Le transport des obélisquesnécessitait la construction de plans inclinéssur lesquels on halait les mégalithes jusqu'àun canal spécialement creusé entre la carrièreet le Nil. On a donc dû imaginer un procédéanalogue pour le transport du colosse deMemnon : chargé de masses de pierres ou debriques, le chaland attend au fond du canal;

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>«5- :.»5M*HfcÄ

La « résidence d'éternité » du roi Djéser(v. 2630-261 1 avant J.-C.) à Saqqarah. Cettepyramide à six degrés de calcaire blanc estconsidérée comme le premier monument enpierre de l'histoire.

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on y hisse l'obélisque ou le colosse amarréhorizontalement sur un traîneau; on déleste

le chaland des pierres ou des briques; celui-cifait alors surface et peut être halé par desremorqueurs.

Sur des parcours réduits, on pouvait tirerune charge d'environ 60 tonnes sur une pisteaplanie, comme le montre la fameuse repré¬sentation du transport par traîneaud'une statue colossale du nomarque1Djehoutihotep dans sa tombe à El-Bercheh.Le colosse d'albâtre qui mesurait 13 coudéesd'après les inscriptions, aurait pesé prèsd'une soixantaine de tonnes : calé sur un

énorme traîneau de bois par des cordages, ilest halé par 172 hommes répartis sur 4 files.Une cruche à la main, un ouvrier juché sur lespieds du colosse verse de l'eau devant letraîneau pour faciliter son glissement sur lapiste argileuse.

Quant aux obélisques, on les faisait proba¬blement glisser, après les avoir arrimés àl'aide de cordes solides, sur une rampeconstruite avec des briques crues et du sablevers un puits quadrangulaire rempli de sable.Pendant que l'obélisque, à demi incliné, étaitencore maintenu par les cordages, oncommençait à vider le puits de son sable, oubien on laissait le sable couler par des fentes

ménagées dans les parois du puits. Néan¬moins, lorsqu'on redressait sur sa base l'obé¬lisque jusque là couché sur un de ses flancs,maniuvre compliquée, on courait le risqued'endommager ses arêtes, et surtout de voirsa masse énorme rebondir sur le socle et s'ydécentrer, les arêtes de sa base n'étant plus dece fait parallèles aux arêtes du socle. On peutobserver un incident de cet ordre, bien queminime et à peine visible, sur le socle del'obélisque de Thoutmosis III à Karnak.

Cependant, c'est dans la technique de laconstruction monumentale que réside laprouesse la plus extraordinaire. Dès laIIe dynastie (v. 2770-2649 avant J.-C), lesarchitectes égyptiens connaissent la voûte eten font usage dans les superstructures destombes, comme sans doute dans les habita¬

tions, qui n'ont pas été conservées. De plus,pendant cette même dynastie, on voit l'em¬ploi progressif de la pierre de taille dans lesmonuments funéraires en brique, et aussil'introduction des pierres dures. La grandeinnovation a lieu sous le roi Djéser(v. 2630-261 1 avant J.-C.) vers le début de laIIIe dynastie à Saqqarah, avec la premièreconstruction monumentale en pierre de tail¬le, la pyramide à degrés, qui fut élevée en unetrentaine d'années. En analysant les diffé¬rentes phases de sa construction, nousconstatons que les architectes égyptiens ontappris, en l'espace d'une génération, à maî¬triser le nouveau matériau.

Pendant la première phase de la construc¬tion du mastaba2 initial à degrés, on sembleavoir manié la pierre exactement comme s'ils'agissait de la brique habituelle : les blocs depierre, conçus comme des briques de dimen¬sions plus larges, sont disposés par assises

horizontales et liés à l'aide d'un gros mortierd'argile. En revanche, la deuxième phase, quiest celle de la transformation du mastaba à

degrés en pyramide à degrés, montre unetechnique différente : la masse du matériauemployé est de loin plus importante : lesblocs de pierre de taille pèsent à présent unedemi-tonne chacun. La maçonnerie est dis¬posée en tranches inclinées, dont les lits sedéversent vers le c de l'édifice avec un

angle d'inclinaison de 1 8 degrés, de sorte queleur face extérieure présente déjà le fruit de72 degrés qu'offrira, en sa dernière phase, lapyramide agrandie.

L'emploi de blocs de grandes dimensionset la disposition des assises à lit déverséconstituent indubitablement une innovation

géniale permettant une économie importantede travail d'équarissage et un gain de temps,puisqu'on évitait ainsi de tailler en biseau laface extérieure des blocs de parement et,parallèlement, on obtenait plus facilement ;l'angle d'inclinaison voulu. Cette techniquene sera abandonnée, à la dynastie suivante,que lorsqu'on aura atteint la forme de lapyramide définitive dont l'angle d'inclinai¬son plus aigu (45 à 54 degrés) favorisera le lithorizontal et exigera la taille de la face exté¬rieure des blocs de parement en biseau.

La construction d'une pyramide mettaitl'Etat devant des problèmes d'organisationet des difficultés techniques. L'organisationdes masses de travailleurs, la prospection descarrières et leur exploitation, le transport

1. Nomarque : gouverneur d'une province ou nome.(N.D.L.R.)

2. Mastaba : tombeau en forme de pyramide tronquée.(N.D.L.R.)

^ « L'hypothèse selon laquelle une seule rampeperpendiculaire à l'une des faces de la pyramideaurait servi au transport et à la pose des blocsjusqu'au sommet est aujourd'hui dépassée... Ilest plus probable qu'on a eu recours au début àune série de petites rampes rayonnant autour dela pyramide (fig. 1) sur lesquelles on pouvaithaler les blocs sur une hauteur de 25 à 30 m...

puis à une rampe latérale plus importante (fig 2)dont le côté s'appuierait sur l'une des faces de lapyramide... »

. Niveau utilisé pour le nivellement du litde la pyramide de Chéops.T

Instrument permettant de déterminer lenord sur le tracé de la bissectrice de

l'angle formé par les visées sur les levers etcouchers d'une étoile polaire sur

l'horizon.

A

régulier des blocs de pierre jusqu'au chantieret leur stockage, la formation des tailleurs depierre, des ouvriers-maçons, des transpor¬teurs, des architectes et des maîtres-d''uvre,sont autant de réalisations qui témoignent del'admirable organisation de l'administrationégyptienne.

Entre la pyramide à degrés de Djéser etcette merveille du monde qu'est la grandepyramide de Gizeh (v. 2550 avant J.-C),nous assistons à une amélioration considé¬

rable du savoir-faire technique, ainsi qu'auperfectionnement des connaissances géomé¬triques, qui deviennent de plus en plus préci¬ses. Les monuments funéraires ont toujoursune orientation extraordinairement précise.Dans la pyramide à degrés, cette orientationprésente encore un écart moyen de 3 degrés.Dans la pyramide de Chéops, il n'est déjàplus que de 3 minutes 6 secondes. Uneorientation parfaite s'obtenait, sur un terrainpréalablement nivelé, par l'observation desétoiles polaires à partir d'un point situé àl'angle nord de la future pyramide. Les ins¬truments utilisés sont le merkhet, barre hori¬

zontale munie d'un fil à plomb, et le bay,baguette de bois à cran de mire dans l'extré¬mité supérieure. On note sur un arc de cerclela position du lever et du coucher d'uneétoile du nord. Pour déterminer le « vrai »

nord, les Egyptiens divisaient en deux l'angleformé par la position d'une étoile polaire aulever, celle de l'observateur et celle de lamême étoile au coucher. Une fois déterminé

ce nord, une cordelette reliant différentspoints fixes dans la direction nord-sud per¬mettait d'obtenir l'un des côtés de la pyrami¬de. A l'aide de règles, on déterminait lalongueur voulue. L'angle droit était obtenu

Dessins © Rainer Sladclmann

Pour ériger un obélisque, il est probable qu'on lefaisait glisser sur une rampe de briques crues etde sable vers un puits quadrangulaire rempli desable. Pendant que l'obélisque, à demi incliné,était encore maintenu par des cordages, oncommençait à vider le puits de son sable et àredresser l'obélisque sur sa base, jusqu'à ce qu'ilrepose sur son socle.

Cet obélisque inachevé dans une ^carrière aux environs d'Assouan

aurait mesuré 42 m. Son poids estestimé à près de 1 200 tonnes.

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par un jeu d'arcs de cercle. Si le théorème dePythagore sur la relation des côtés d'untriangle n'était pas encore formulé, il devaitnéanmoins être appliqué dans la pratique.

La précision des angles droits à la pyra¬mide de Chéop^.qui accuse' un écart moyende 2 minutes 48 secondes seulement, force,

aujourd'hui encore, l'admiration, de mêmeque le nivellement des quatre coins, quimontrent un écart minime de 2,1 cm. Le

nivellement n'a pu être réalisé qu'au moyend'un niveau présentant la forme d'unegrande équerre de bois munie d'un fil àplomb, composé de branches égales se cou¬pant à angle droit; entre ces deux, une bar¬rette transversale placée horizontalementporte un cran de repère médian sur lequelpasse le fil du peson lorsque le plan sur lequelrepose le peson est parfaitement horizontal.Toute autre théorie, comme par exemplecelle qui consiste à remplir d'eau un lacartificiel ménagé autour de la pyramide, est àécarter.

Aucune description antique ne nous ren¬seigne sur la méthode de construction pro¬prement dite. Ce que Hérodote rapporte à cesujet repose sur des informations recueilliesauprès de ses contemporains; or, 2000 ansaprès la construction des pyramides, ceux-cin'en savaient pas plus que nous à leur sujet.Près des pyramides de Meidoun et de

Imhotep, le ministre-architecte du roi Djéser,dont il conçut le tombeau comme unmonumental escalier vers le ciel, qu'ilconstruisit entièrement en pierre pour le rendreéternel. Penseur et moraliste, il rédigea aussi lepremier recueil sapiential, inaugurant un desgenres les plus riches de la littératureégyptienne. Divinisé quelque deux mille ans plustard, il fut honoré à la Basse Epoque (713 - 332avant J.-C.) par des statuettes (ci-contre enbronze) comme divinité protectrice,notamment des scribes. Les Grecs l'identifièrent

à Asklépios en raison de ses talents médicaux.

Un scribe et ses assistants mesurent un champde blé pour la perception de l'impôt. Tombe de

Menna, fonctionnaire du cadastre sous la

XVIIIe dynastie (v. 1550-1307 avant J.-C).

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Dahchoûr, on discerne encore aujourd'huiles restes de rampes ayant servi à transporterle matériau de pierre. L'hypothèse selon la¬quelle une seule rampe perpendiculaire àl'une des faces de la pyramide aurait servi autransport et à la pose des blocs jusqu'ausommet de la pyramide est aujourd'hui dé¬passée. Pour la pyramide de Chéops, unetelle rampe aurait mesuré 3,3 km et repré¬senté un volume 3,5 fois plus important quecelui du monument lui-même. De même,

une ramp -iveloppante est du point de vuetechnique impossible à imaginer, puisqu'elleaurait masqué et les quatre faces de la pyra¬mide et les quatre arêtes, rendant impossiblele contrôle des angles et de l'inclinaison desfaces. Il est plus probable qu'on a eu recoursau début à une série de petites rampes rayon¬nant autour de la pyramide, sur lesquelles onpouvait haler les blocs sur une hauteur de 25à 30 m; à ce stade, 50 % de la masse est déjàen place. Ensuite, une rampe latérale plusimportante dont le côté s'appuierait sur l'unedes faces de la pyramide permettant uneéconomie de la moitié du volume d'une

rampe libre et lui donnant en même tempsplus de stabilité servait au transport despierres jusqu'à une hauteur légèrement infé¬rieure au sommet de la pyramide. A 100 mde hauteur, on aurait déposé, en prenantl'exemple de la pyramide de Chéops avec des146,60 m de hauteur, les 96 % de la masse,les derniers 20 à 30 m ont probablement né¬cessité une construction en gradins. Quantau pyramidion, pierre de sommet, il n'a puêtre posé qu'au moyen d'un échafaudageapproprié, ce qui laisse supposer que lesEgyptiens auraient connu la poulie, même siaucune représentation ne nous en est parve¬nue. L'existence de leviers plus simples, ainsique de traîneaux est attestée. Dans l'illustra¬tion de travaux d'irrigation, on a représentéle Chadouf, qui permet un levage par sus¬pension. Ce procédé a très bien pu être appli¬qué aux matériaux de construction.

Ce qui est remarquable, c'est que les plusgrandes conquêtes scientifiques, techniqueset artistiques, non seulement de la civilisa¬tion égyptienne mais aussi de l'histoire del'humanité, de la découverte de l'écriture aux

progrès de la médecine, ont eu lieu manifes¬tement dans la première moitié du troisièmemillénaire avant notre ère. Dans les siècles

suivants, on ne fera qu'approfondir lesconnaissances et perfectionner les techni¬ques acquises à cette époque. Pour que sur¬viennent d'autres innovations capablesd'agrandir le champ de vision du mondescientifique et technique, il faudra attendrel'avènement des penseurs grecs des 7e et6e siècles avant J.-C.

RAINER STADELMANN, de la Républiquefédérale d'Allemagne, dirige l'Institut archéologi¬que allemand au Caire, ainsi que les fouilles del'Institut au temple de Séthi I" à Gourna/Thèbeset de la Pyramide de Snéfrou à Dahchoûr. Il apublié de nombreux articles spécialisés et diversouvrages, dont Syrisch-Palästinensische Gotthei¬ten in Ägypten (Les divinités syro-palestiniennesen Egypte) et Die Ägyptischen Pyramiden (1986,Les pyramides d'Egypte).

La conception égyptiennedu monde

PAR JEAN YOYOTTE

Relief d'un temple figurant, à droite,Thoutmosis III (v. 1479-1425 avant J.-C.) coifféde la couronne rouge de Basse-Egypte.A gauche, le dieu Amon, créateur du monde etprotecteur des vivants, tenant YAnkh, lesymbole de vie, et portant le mortier surmontéde deux plumes qui est l'un de ses principauxattributs.

LyEGYPTE antique a laissé d'im¬menses temples et de vastes monu¬ments funéraires. Ces construc¬

tions et la profusion d'hiéroglyphes qu'on yvoit étonnent, leur utilité et leur significationne sont pas évidentes pour un esprit d'au¬jourd'hui : les Grecs, déjà, considéraient lespyramides de Gizeh comme une absurde etoppressive manifestation d'orgueil royal.Pareils monuments gardent leur majesté etperdent de leur gigantisme inquiétant, si l'ony reconnaît le fruit des conceptions que lesEgyptiens avaient formées de leur univers etdes réponses que ces conceptions appor¬taient aux problèmes de leur propre société,selon des façons de penser et d'agir qui noussont aujourd'hui proches et lointaines.

Le surhumain n'est pas réductible par une

analyse linéaire. Les mêmes processus ouphénomènes peuvent être approchés par plu¬sieurs images, par plusieurs récits sacrés. Leciel impénétrable est un océan, un toit, unevache, un corps féminin. Toute image ancréedans la tradition reste pertinente, en dépit dece qui nous semble contradictoire, et permetde traiter, de gérer le divin. Cette « diversitédans les approches » s'exprime souvent àtravers un mode de penser dualiste, une tota¬lité se réduisant à l'opposition et l'union dedeux modalités : la monarchie est double¬

ment double, terre noire et désert, haute et

basse Egypte. En outre, le langage, l'écritureet l'image sont autre chose que des symbolesconventionnels. Entre ce qu'on nomme etdessine et l'objet, il y a sympathie. Ainsi lesmots créent les choses d'où la place du

PAGES EN COULEUR

Reliefen granit rose à l'effigie de Nout, déesse duciel et protectrice des morts, qui ornaitl'intérieur du couvercle du sarcophage dePsousennès Ier (1040-992 avant J.-C) à San el-Hagar (la Tanis grecque) dans le delta du Nil.Conservé au Musée du Caire, le mobilierfunéraire de Psousennès rivalise de richesse avec

celui de la tombe de Toutankhamon.

calembour dans les récits de la création et

la parole contraint les choses. Ce sont là deuxprincipes de la pensée dite « magique ». Por¬tant les « paroles divines », le système hiéro¬glyphique, fait d'images empruntées à la na¬ture et né en même temps que les arts graphi¬ques, explicite la réalité. La représentationd'un être vivant, dûment accompagnée deson nom, est dédoublement de cette person¬ne. Une passion quasiment maniaque du direet du figurer durablement la réalité pour la« réassurer » par une haute magie caractérisela culture pharaonique et explique ses mer¬veilleuses performances monumentales etépigraphiques.

L'horizon des Egyptiens embrassel'étroite « terre noire » (kernet, ce qui donne¬ra Kêmi, nom copte de l'Egypte), autrementdit la plate vallée alluviale du Nil, et la « terrerouge » (desherei), l'immense Sahara d'alen¬tour, sec et montueux. Le Noir est l'espacecultivé, humanisé, familier. Le Rouge estterrible, étrange, et cela de deux manières.De rares populations arriérées et agressivesle hantent et les invasions, venues de plus oumoins loin, déboucheront de ses pistes (l'hié¬roglyphe figurant le gehel note l'idéed'« étranger »). Mais le désert confine aussi,là-bas, avec les horizons où le soleil naît et

meurt; ses roches immuables, ses sables purssont accueillants aux morts et cachent des

renaissances. Une masse liquide infinie en¬globe l'univers solide. Les mers en sont lesproches affleurements. Cette eau constitue lavoûte céleste où croisent les astres. Elle ali¬

mente le fleuve souterrain où le soleil navi¬

gue d'ouest en est durant la nuit et il enmonte chaque année un flux nouveau : la

mm crue du Nil.

Peuplé de mystérieux êtres somnolents,cet océan et les ténèbres emplissaient toutl'espace jusqu'au jour où le soleil, Rê-Atoum, se leva, rejetant les ténèbrescompactes à la périphérie. Une butte émer¬gea d'où le dieu organisa le monde actuel, yinsufflant l'air, la lumière, la vie, non sansavoir à combattre les forces du néant. Puis il

créa les dieux et les hommes, les animaux et

les plantes. Ce ne fut que « La PremièreFois ». Chaque soir, le soleil vieillit, chaquematin, rajeuni et purifié dans les eaux, ilrecrée l'univers et livre combat; chaque jourle dragon Apopi menace son périple. Unerévolte des hommes a fait fuir Rê vers les

cieux, mais il veille toujours au maintien de lajuste règle, Maât, qu'il a instaurée et qui faitsa vie. Les êtres vivants sont voués à vieillir et

rajeunir ici-bas, au rythme d'un perpétueltemps cyclique (neheh) à l'instar du soleil,jusqu'au jour où, touchés par la mort, ilsentreront dans l'éternité statique (djet)comme Osiris. Quand Atoum retournera àson inertie première il n'y aura plus ni espaceni temps.

Diversité des approches et prétentions lo¬cales obligent, plusieurs mythes, plusieursdoctrines racontent à leur manière l'

du démiurge unique. Selon la doctrine pré¬dominante, née à Héliopolis, c'estRê-Atoum qui a mis les choses en place,mais, selon les prêtres de Memphis, c'estPtah, la terre, qui est apparue la première,puis a élevé le ciel et suscité le soleil. Lessavants disent que Dieu a conçu l'univers ensonc (c'est-à-dire dans son esprit) et l'aréalisé par sa bouche (c'est-à-dire son verbecréateur).

La pensée pharaonique pose la dualitésexuelle comme inhérente à l' de vie,

bien avant que les hymnes du NouvelEmpire ne chantent en Dieu « le père et lamère ». Deux mythes, celui du Kamoutef'etcelui de 1'« de Rê » situent la dimension

féminine. Tout dieu majeur est flanqué d'unecompagne qui est à la fois sa fille, son épouseet sa mère. Il est mis au monde par cettedéesse et il la féconde, étant son propre fils etle « Taureau de Sa Mère » (Kamoutef).

Page de droite

La tombe de Sennefer, maire de Thèbes et

intendant des jardins d'Amon sousAmenophis II (v. 1427-1401 avant J.-C), estl'une des plus richement décorées de la nécropoledes notables thébains dans la région de l'actuelCheikh Abd-el-Gourna. Elle est aussi appelée« Tombe des vignes » à cause des pampres quiornent son plafond. Sennefer y est représentésur les piliers, parfois en compagnie de l'une deses trois épouses.Photo B. Brake © Rapho. Paris

Pages centrales

A gauche en haut : pectoral à l'effigie d'Osiris,l'un des nombreux trésors livrés par la tombe dujeune roi Toutankhamon (v. 1333-1323avant J.-C), découverte en 1922 parl'égyptologue britannique Howard Carter etdont le contenu est conservé au Musée Egyptiendu Caire.

Photo © G. Dagli Orti, Paris

«Je ne te quitteraipas,Ma main restera en ta main.

Toi et moi nous nouspromèneronsEn toutes sortes de lieuxplaisants. »(Poème extrait du Papyrus Harris datant del'époque de Ramsès II).A gauche en bas : détail d'une peinture de latombe de Néfertari, première épouse deRamsès II (v. 1290-1224 avant J.-C). (Voiraussi photo page 22).Photo B Brake© Rapho, Paris

A droite en haut : tête démesurément allongéed'une princesse, réalisée dans le très particulierstyle amarnien. Les artistes de la cour du roiAkhenaton (v. 1353-1335 avant J.-C.)attribuaient les défauts anatomiques dusouverain, notamment son crâne ovoïde, à tout

son entourage.

Photo ©J Vertut, Paris

A droite en bas : le bateau, dont on trouve de

nombreuses représentations en bois dans lestombes, était le moyen de transport privilégié enEgypte. Celui-ci date du Moyen Empire(v. 2040-1640 avant J.-C.) : il est équipé àl'arrière de deux grandes rames faisant office degouvernail. Les vents dominants dans la valléedu Nil étant des vents du nord, on remontait lefleuve à la voile mais on le descendait à la rame.

Photo©G Dagli Orti, PansV

Lectures

Textes sacrés et textes profanes de l'ancienneEgypte, traduction et commentaires par ClaireLalouette, préface de Pierre Grimai. CollectionUnesco d'oeuvres représentatives, série Egypte an-'cienne, Ed. Gallimard 1984.

L'Egypte ancienne, par Arne Eggebrecht. Ed.Bordas, Paris 1986.

Les bâtisseurs de Karnak, par J.-C. Golvin et J.-C.Goyon. Ed. Presses du CNRS 1987.

La femme au temps des pharaons, par ChristianeDesroches-Noblecourt. Ed. Stock/Laurence

Pernoud, Paris 1987.

A la recherche de l'Egypte oubliée, par JeanVercoutter. Ed. Découvertes Gallimard, Paris 1986.

La découverte des trésors de Tanis, par GeorgesGoyon. Ed. Persea, Paris 1986.

L'art égyptien, Ecole du Louvre. Ed. Desclée deBrouwer 1973.

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D'autre part, cette compagne est aussi sonsource des flammes et de la lumière, qui

s'est éloigné de lui en colère et qu'il a dûpacifier : image de l'ambivalence du sacré,elle est la bonne Hathor, désir et joie, et ladangereuse Sekhmet, agent léonin des cala¬mités et cobra qui est la force de frappecontre les ennemis et les pécheurs.

Deux couples divins issus du démiurgereprésentent la mise en place de l'universphysique : air, lumière-feu, terre et ciel. Lagénération suivante, proche de la conditionhumaine, affronte ses drames : la questiondu pouvoir et de la mort. Osiris tué par Sethtrouve une nouvelle vie par les soins d'Isis etde Nephthys, et gagne la souveraineté sur lamort et les morts. Son fils posthume Horusreconquiert la royauté terrestre sur son oncleSeth. Celui-ci, le perturbateur qui ne devien¬dra un Satan absolu que dans la religion desépoques récentes, est une figure ambiguë. Saviolence divine est incontournable et fait

déboucher la vie sur l'éternité et elle aide Rê

et le pharaon contre l'étranger et le dragondu néant. D'où des légendes contradictoi¬res : le pouvoir partagé entre Horus maîtredu Noir et Seth maître du Rouge; ou Seth roidu Sud et Horus roi du Nord, indissoluble¬

ment confédérés; ou encore, le plus souvent,Horus expulsant Seth et régnant seul sur lemonde organisé.

Ces enchevêtrements d'images et d'idéesservent de support à une théologie politiquequi a marqué si fortement l'histoire et laculture égyptiennes que les historiens quali-

, fient légitimement celles-ci de « pharaoni¬ques », le mot pharaon, à nous transmis parla Bible, étant une désignation spécifique du

Page de gauche

Sur cette peinture murale de la tombe deNéfertari, l'une des plus belles de la Vallée desReines, on voit à gauche le dieu Khépri,incarnation du soleil levant; son emblème, unscarabée, lui tient lieu de tête. A droite, la déessede l'Occident, Hathor, et Rê-Horakhti ou

« Horus de l'horizon », la forme diurne du dieu

du soleil, représenté par un homme à la tête defaucon surmontée d'un disque solaire.Photo ©E.Thiem, Lotus I ilm, Kauibcurcn

roi d'Egypte. Ce roi représente le divin et,dogmatiquement, il est le seul acteur dans lesprocessus économiques, sociaux et politi¬ques. Incarnation d'Horus depuis les tempsarchaïques, fils de Rê depuis l'époque desgrandes pyramides, le « dieu parfait » rem¬plit le rôle des dieux dont il est l'image,l'héritier et le serviteur. Il unit en lui Horus

et Seth. Son avènement est celui d'Horus et

en même temps une nouvelle apparition dusoleil, le début d'une ère nouvelle. Il main¬

tient Maât parmi les hommes et assure lasécurité en repoussant les barbares et enimposant l'ordre égyptien hors de la valléedu Nil. Lui seul est dépositaire de la forcesurnaturelle qui assure la victoire et de lasagesse politique. Il décrète seul et nomme àtous les emplois. Initié et lettré, il entretientla vie des divinités par les arts et par les rites.

Les bases doctrinales de la légitimité desrois se trouvent, non dans l'hérédité, mais

dans une immédiate prédestination, un choixde Dieu, ce qu'illustre la fiction de sa pro¬création par le dieu lui-même (mythe de lathéogamie). Du moment où il a pris lescouronnes et fixé le cobra sur son front, le

nouvel Horus est entré parmi les dieux. C'esten être surhumain qu'il passera dans l'éterni

té. Sa tombe, les cérémonies de son enterre¬ment, traduisent cette différence d'avec les

hommes : pyramides de l'Ancien et du Nou¬vel Empires avec leurs vastes templesroyaux, syringes de la Vallée des Rois et« Châteaux de Millions d'Années » du

Nouvel Empire. Une des rares conquêtessociales des sujets au long de l'histoire égyp¬tienne sera la « démocratisation des privi¬lèges funéraires » qui s'instaure au profit desmortels ordinaires à chacune des Périodes

intermédiaires, quand le pouvoir centralfaiblit. Mais chaque Empire qui restaurel'unité monarchique invente de nouvellesdifférenciations.

Assurément, l'Egypte ancienne n'a conçuni pratiqué la démocratie. Elle a poussé àl'extrême, intégrée dans sa cosmologie, ladélégation du pouvoir transcendé à un chef.Peu porté à l'abstraction, l'Egyptien « pré¬philosophique » n'eut pas de mot pour« Etat », ni pour « Nation », mais il investitla personne du roi solaire de tous les attributsde l'Etat. Les vocables divers qui désignent leroi ne s'appliquent pas aux souverains étran¬gers, et, eh parlant de Pharaon, l'hommeantique intériorise son sentiment national,même si les conteurs savent bien que ce dieu

Relief amarnien en calcaire peint, représentantle roi Akhenaton (v. 1353-1335 avant J.-C.) avecson épouse Néfertiti et trois de leurs filles. Cette

scène familiale intime, propre à l'iconographieroyale sous Akhenaton, est éclairée par lesrayons bienfaisants d'Aton, le dieu solaire

représenté par un disque. Pendant une douzained'années, Akhetaton (l'actuelle Tell-el-Amarna)

fut la capitale de l'Egypte et le foyer du culteexclusif d'Aton imposé par le roi. Ce fut la seulepériode monothéiste dans l'histoire de l'Egypte

ancienne.

^ Bas-reliefen bois de la tombe de Hésiré, Chefdesscribes, des dentistes et des médecins sous la

IIIe dynastie (v. 2649-2575 avant J.-C), àSaqqarah. Il porte sur son épaule le matériel duscribe : l'étui de roseau et la palette pour délayerles encres rouge et noire.

Sur cette peinture de la tombe de Sennedjem,haut fonctionnaire sous Séthi rr(v. 1306-1290avant J.-C), le défunt et son épouse Iynefertisont représentés en adoration devant un groupede divinités (voir aussi photo de gauche, page 6).

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partage les faiblesses physiques et morales denotre espèce. Scribes et prêtres cultivèrent leloyalisme monarchique et lui donnèrent fi¬nalement une dimension icuménique quifacilita l'acceptation de maîtres étrangers,détenteurs d'un Empire universel : lesPerses Cambyse et Darius, Alexandre leGrand, Auguste le Romain.

Cette société unanimiste et dont les

poèmes sacrés chantèrent l'unité de la créa¬tion et le mystère du créateur fut en mêmetemps radicalement polythéiste et obstiné¬ment idolâtre. La nation égyptienne prenden compte toutes les divinités que révèlentles immémoriales traditions des divers ter¬

roirs. Les noms, les légendes, les attributsmajeurs, les représentations consacrées dechacune la rendent « unique en son genre ».Chaque « dieu de ville » est cher aux habi

tants du canton dont il est le « seigneur » etdont il assure le bonheur. Mais « tous les

dieux et déesses » sont simultanément recon¬

nus comme père ou mère du pharaon quipourvoit à l'entretien de tous et en attend laprotection.

Avec le temps, une certaine logique orga¬nise cet innombrable panthéon par des hié¬rarchisations et des identifications. Ainsi

tout dieu principal d'une province est unemanifestation du soleil : on dit Amon-Rê,Montou-Rê, Sobek-Rê. Finalement, toutes

les divinités deviennent, théoriquement, desformes ou des enfants d'un lointain Dieu

unique, tandis que leurs personnalités of¬frent aux rituels d'Etat et aux dévotions lo¬

cales un médium pour approcher la Divinitélà où elle est et comme elle se manifeste. Le

coup d'Etat éclairé du célèbre Akhenaton,

imposant le culte exclusif du soleil visible(Aton) ne pouvait durablement réussir, d'au¬tant que le polythéisme avait profondémentmodelé, non seulement la spiritualité tolé¬rante des Egyptiens mais les structures éco¬nomiques et sociales du pays.

Quelle fut donc la place des hommes et desfemmes dans cet univers où tout le collectif

semble pensé et géré en termes de communi¬cation entre un seul être de chair le roi

et le divin multiforme ? L'espace de l'indivi¬du y est étonnamment large ! Par comparai¬son avec les autres peuples du Proche-Orientancien, l'Egypte est singulièrement « moder¬ne ». Les humains sont égaux devant le créa¬teur et ne doivent en principe leur promotionqu'au choix judicieux du pharaon. Ni aristo¬cratie statutaire, ni instance intermédiaireentre l'Etat et l'individu. Un homme se défi¬

nit par le nom de ses géniteurs immédiats etpar son titre dans l'appareil administratif. Lacapacité juridique de la femme est égale àcelle de l'homme, encore que le foyer soitpatrilocal et l'activité des épouses tournéevers leur rôle, honoré, de « maîtresse de

maison ». L'aspiration à un bonheur casaniers'exprime joliment dans les images des tom¬beaux et dans la littérature. Les enfants sont

souhaités et soignés, non pour perpétuer unelignée, mais pour le plaisir et pour fairerevivre leurs parents par les rites funéraires.La convivialité est intense à l'échelle du

village.

Maât prescrit d'assister les démunis, et,dès le IIIe millénaire, les Sagesses disent lacharité et l'aumône en des formules qui pré¬figurent nos religions abrahamiques. CesSagesses de fonctionnaires, paternalistes etformalistes au demeurant, prêchent la bonnetenue, la réserve, l'absence de gesticulation,toute une discipline qu'on retrouve, typique,dans le dessin et la statuaire pharaoniques.

La médiation royale omniprésente est loind'exclure les relations directes de l'individu

avec les dieux. Certes les particuliers quandils n'exercent pas leur fonction de prêtre, nepénètrent pas dans l'enceinte des templesmajeurs qui sont en quelque sorte des usinesà entretenir l'énergie de l'univers, mais, à laporte des enceintes sacrées, dans des ora¬toires de village et dans leur for intérieur, ilsprient les dieux de leur choix et consultentleurs oracles pour résoudre leurs problèmesde santé et de carrière. Les théories du nom, '

de l'écrit, de l'image, offrent d'ailleurs unmoyen magique d'obtenir la faveur divine deson vivant : une statue, une stèle, placée dansun lieu saint vous transforme en commensal

du dieu et fait bénéficier indirectement- de

1'« offrande que lui donne le Roi », laquellepermet au dieu de vous dispenser la prospéri¬té, la longévité et la promesse d'une bonnesépulture.

Car il est un champ où la conceptionpharaonique accorde à l'homme la possibi¬lité d'affirmer son ego, en usant de toutes lesmagies de l'art, de l'écriture et du rite pourassurer la pérennité de sa dépouille momi¬fiée, de son nom, de son âme mobile (bai) etde son énergie individuelle (ka). Une vieéternelle leur est offerte, vie vraiment royalepuisque chacun se transforme en Osiris, vie

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Dans la chambre ovale du sarcophage deThoutmosis III (v. 1479-1425 avant J.-C), une

peinture murale illustrant une scène del'Amdouat, nom d'un livre décrivant le parcours

souterrain du soleil la nuit et qui est écrit, àpartir de la XVIIIe dynastie, sur les parois destombes royales. Ici, la barque du dieu Soleil a

atteint la 12e heure de la nuit, heure à laquelle ledieu et sa suite entrent dans le corps d'un

serpent géant pour en ressortir rajeunis, sous laforme de« jeunes enfants ». La justification du mort, une des nombreuses

formules placées dans les tombes sous le NouvelEmpire et faisant partie de ce qu'il est convenud'appeler le Livre des morts. Sur ce fragment de

papyrus, le dieu Anubis à tête de chacal,inventeur des rites d'embaumement et maître de

la nécropole, pèse le cyur du défunt dans unplateau opposé à celui deMaât la « juste

règle ». A ses côtés, Thot, dieu de l'écriture,observe et note le résultat. Si le coeur du mort et

Maât (dont le symbole est une plume ou unedéesse accroupie tenant une plume) sont en

équilibre, le défunt est présenté triomphalementà Osiris.

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vraiment divine puisque chacun deviendracompagnon du soleil. A partir du MoyenEmpire, la moralité de l'homme conditionnecette survie. Si Pharaon seul tient dans les

temples le rôle et le discours de l'humanité,c'est tout Egyptien qui, selon ses ressourceset ses mérites, s'exprime par son tombeau.

Au IIIe millénaire, première apogée desfils du Soleil ! Les évidences de la conceptionpharaonique du monde se matérialisent dansles « Villes de pyramides », échelonnéesdans la région de Memphis, à la jonction desDeux Terres. Sous chaque règne, des agricul¬teurs aménagent dans la vallée une nouvellezone cultivée, tandis qu'une ville royale estbâtie au bord du désert. Cette ville dessert un

temple où l'Horus régnant rend un culte auxdieux. Le Saint des Saints du temple n'estautre que la pyramide, image de la butteprimordiale et de la course du soleil au seinde laquelle revivra le nouvel Osiris. Al'entour, remplies d'images des travaux quo¬tidiens, les tombes des princes et des minis¬tres, puis celles des prêtres et tenanciers dela pyramide forment une cité des mortsau-dessus de la cité vivante. Souvenir

d'une conquête du sol, la chaîne des pyra¬mides fut le signe d'une gestion du cosmoségyptien, avant d'être la prestigieuse etdéconcertante collection de mausolées quenous admirons.

JEAN YOYOTTE, de France, est un spécialiste del'histoire de l'Egypte à la Basse Epoque pharaoni¬que, et a étudié la géographie historique et reli¬gieuse de l'Egypte ancienne à partir des sourcesécrites et des données archéologiques. Chargéd'études à l'Ecole pratique des hautes études àParis, il a dirigé la mission française des fouilles deTanis jusqu'en 1985. Il a publié, entre autres, Letrésor des pharaons (1968) et, en collaborationavec P. Vernus, un Dictionnaire des pharaons(1988).

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La vie au paysdes pharaons

PAR CHRISTIANE DESROCHES-NOBLECOURT

Aparcourir les rives du Nil, jalonnéesdes prestigieux vestiges de l'antiquepays d'Egypte, le visiteur le moins

averti est très vite pénétré par les traits essen¬tiels de la lumineuse civilisation pharaoni¬que : d'abord, l'expression d'une religiositéexceptionnelle, traduite par des immensessanctuaires divins ou funéraires, puis, égale¬ment, cette intense et joyeuse ardeur de vivrequi se reflète quasiment sans fin, en registresimagés, peints ou sculptés, sur les murs inté-rieurs des chapelles des tombes.

L'étude de ces deux sources d'information

montre, dès l'abord, que les templesd'Egypte n'ont jamais été fondés pour rece¬voir des fidèles venant s'incliner en prièresdevant l'évocation du Dieu. Les sanctuaires,

fondés par Pharaon, devaient, avant tout,entretenir la machine cosmique grâce auxsoins les plus attentifs du souverain, repré¬sentant la force divine sur terre, le pontifesuprême, et toute une hiérarchie de prêtres.Le commun des mortels n'y avait pas accès ;imprégné du sacré, comme « tout ce qui vitsur terre, dans les airs et au fond de l'eau »

(règnes minéral et végétal compris), il recon¬naissait et vénérait son créateur dans toutes

les manifestations de la nature qui le cer¬naient, sans l'aide apportée par la fréquenta¬tion des temples. Aussi, se rapprochant dudieu par cette simple étape qu'est la mort, ilpouvait, en fonction de son équipement fu¬néraire, se faire représenter devant les formesdivines chtoniennes avec lesquelles il seradirectement en rapport jusqu'à sa complèteincorporation au Cosmos.

Qu'on ne s'y méprenne pas davantage, à lavisite des tombes : les si chatoyantes évoca¬tions de la vie de tous les jours, aux murs deschapelles et retrouvées souvent en décora¬tion sur des objets rituels, devaient êtretransposées sur le plan mystique et tradui¬saient, par ces images symboliques le « quo¬tidien » des épreuves auxquelles le trépassédevait échapper et les divers avatars au coursdu cheminement post-mortem dans leslimbes osiriens d'où il ressortait glorieux,n'en doutons pas, pour gagner l'Eternité.

Par son support figuré, ce langage n'enemprunte pas moins son inspiration auximages de la vie journalière au bord du Nil :banquet funéraire incitant le défunt àconnaître l'ivresse divine, fourré de papyrusévoquant le marécage primordial dans lequelil doit entreprendre, par étages, sa « gesta¬tion » vers son apothéose; chasse à l'hippo¬potame ou extermination des canards sau¬vages afin de paralyser les démons suscep¬tibles d'entraver sa progression; pêche dupoisson mystique, symbole de son « deve¬nir »; moissons et vendanges pour obtenir le

^ Tête de jeune fille amarnienne en calcaire. Lecourt épisode amarnien du Nouvel Empire, sousle règne d'Akhenaton (v. 1353-1335) qui quittaThèbes pour fonder sa nouvelle capitale non loinde l'actuelle Tell-el-Amarna, a laissé une

statuaire d'un très grand naturalisme, enrupture avec les canons traditionnels.

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Sur cette peinture murale de la tombe du vizirRekhmiré (XVIIIe dynastie v. 1550-1307avant J.-C) à Thèbes, le défunt navigue dans unesquif en papyrus tiré par des haleurs sur unepièce d'eau entourée de rangées de sycomores etde palmiers-dattiers, au centre d'un jardin clos.La nature est abondamment représentée dansl'art égyptien sous le Nouvel Empire, où lesartistes jouissaient de plus de liberté dans lechoix des sujets, notamment pour décorer lestombeaux des particuliers.

pain et le vin de l'offrande osirienne; appari¬tion du petit veau évoquant la renaissancesolaire.

Ainsi peut-on à travers ce panoramaanimé et coloré, utilisé à d'autres fins re¬

trouver néanmoins dans ses grandes lignes lecadre journalier dans lequel se mouvait « leBétail de Dieu »,pour emprunter les termesemployés par les vieux Egyptiens.

Ce cadre est un paysage presque totale¬ment agraire régi, comme on le sait, par « leplus grand et le plus intelligent calendrier dumonde » disait Jules César, qui l'adopta etl'imposa dans le monde romain. Il s'agit, onl'a compris, du Nil et de son inondation,laquelle, au bout de trois cent soixante cinqjours un quart, revenait ainsi, chaque année,recouvrir les terres assoiffées d'Egypte (neconnaissant ni autre cours d'eau, ni pluies

réelles) et les fécondait régulièrement pourun nouveau cycle de vie.

Cette régularité du flot providentiel créa,depuis l'aube des temps, un calendrier detrois saisons de quatre mois : elle règne aussi,naturellement, sur le début de chacune de ces

périodes qui, chacune, symbolisait un « re¬commencement ». Ces perpétuels renouvel¬lements ont pénétré l'Egyptien infinimentsensible à son environnement d'une certi¬

tude en un éternel retour dont rien ne doit

troubler l'accomplissement.Hommes et femmes vivaient à l'image des

couples divins des « temps primordiaux »,connaissant dans leur diversité propre uneparfaite égalité. La capacité juridique del'Egyptienne, à l'encontre du statut de biendes femmes de l'Antiquité classique, étaittotale. Elle pouvait, même mariée, gérer sapropre fortune, partager une partie de cellede son époux, tester librement ou deshériterqui elle voulait parmi ses enfants si soncomportement avait été taxé d'ingratitude.Après son union, elle devenait la Maîtressede Maison, conseillait son conjoint et gou¬vernait le foyer à la prospérité duquel ellecontribuait grandement. Choyée par sonmari, respectée par ses enfants qu'elle sou¬haitait nombreux, sa joie était de se sentir lepivot de la maison et du cercle familial. Filscomme filles partageaient équitablementl'attention de leurs parents.A vrai dire tous les petits Egyptiens ne

semblent pas avoir suivi l'enseignementd'une école filles encore moins générale¬ment que< garçons : certaines recevaientpourtant une instruction assez poussée, carelles pouvaient exercer divers métiers dansl'administration, le commerce et même les

professions relevant des disciplines scientifi¬ques; par exemple la première femme méde¬cin connue de l'humanité « pratiquait », dèsle temps des pyramides : c'était la DamePéséchèt qui vivait à Memphis au troisièmemillénaire avant notre ère.

L'Egyptien, très patriote, n'était nulle¬ment xénophobe. On retrouve, dans ce do¬maine encore, un des traits fondamentaux de

son caractère. Très tôt des prisonniers ont étéfaits au cours des conflits engendrés par lanécessité de préserver les frontières, carl'homme de la Terre Noire (Kemi qui est àl'origine du mot Chimie) est foncièrementpacifique et, pour lui, « la guerre est un jourde malheur ». Les détenus, traités avec hu¬manité, souvent confiés aux soldats ou offi¬

ciers qui les avaient capturés, pouvaient êtreaffranchis et parfois mariés dans la famille deleurs anciens conquérants. Ils gardaient,quoi qu'il en soit, la liberté de vénérer lesdieux de leur contrée d'origine.

Le mariage, comme c'était encore le casà quelques variantes près sur les bords

du Nil au début de notre siècle, n'était ni

validé par une cérémonie religieuse, ni enre¬gistré devant une instance administrative.

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seul, 1 agrément contracte devant témoinspar l'homme et la femme qui désiraient créerune famille, élevait cet événement à la hau¬

teur d'un exceptionel engagement moral.L'union pouvait cependant être assortie del'établissement d'un contrat reconnaissant

les biens propres à chacun des deuxconjoints; le but était de préserver surtout lesdroits de la femme si un divorce était de¬

mandé par l'un ou l'autre des époux. On peutmême avancer que lorsque le mari devaitrestituer à sa femme ce qu'elle avait apporté(ou ce qu'il avait jadis reconnu avoir étéapporté par elle), il était virtuellement ruiné !La sagesse aidant, toutes ces conditionscontribuaient à assurer la stabilité de l'union.

La demeure, pour les gens modestes,comportait toujours, après une cour fermée,une pièce principale où se réunissaient seshabitants. A l'arrière de la maison étaient

aménagés les locaux secondaires. Dans lacour, un escalier donnait accès à une terrasse

où la famille pouvait, entre autres, passer lesnuits d'été, bénéficiant, avec délices, d'un

peu de fraîcheur.Les vestiges des habitations les plus opu¬

lentes, dans les ruines des rares aggloméra¬tions antiques accessibles, ont révélé un planlogique répété pendant des millénaires. Ré¬servant, comme toujours, la pierre, matériaunoble et durable, à l'édification des monu¬

ments religieux, les bâtisseurs utilisaientpour toutes les constructions civiles la briquecrue, faite de limon du Nil mélangé à de lapaille et de la cendre : le pisé. Ainsi dotaient-ils les maisons rurales, édifiées sur un vaste

terrain, de trois groupes de pièces corres¬pondant aux besoins de la vie journalière. Ungrand vestibule d'accueil donnait accès à lasalle centrale au plafond surélevé et soutenupar une ou quatre colonnes. Les fenêtres, à lapartie supérieure, étaient petites et munies debarreaux. Les réceptions et les festivitéschères aux Egyptiens s'y tenaient, et despièces latérales permettaient aux maîtres deles affecter à des réserves ou à des bureaux

afin d'y loger des secrétaires ou même desintendantes. On y trouvait, aussi, l'escalierconduisant à une longue loggia aménagée surtoute l'étendue du vestibule d'accueil.

La troisième partie de la maison était

consacrée à la vie familàle : un « salon »

central commun, plus intime, et des locauxoù travaillaient et jouaient les enfants lesjours froids d'hiver, des chambres à coucheret tout un secteur pour la toilette compre¬nant salles de douches, d'onction, et sani¬

taires avec dispositifs d'évacuation.Le domaine organisé en une petite écono¬

mie privée était complété, à l'extérieur de lademeure principale, par les cuisines, la bou¬langerie, les silos à grains, la boucherie, di¬vers ateliers, dont la brasserie et aussi les

ateliers de tissage, constituant la grande spé¬cialité des femmes de la maison pour toutesles classes de la société. En revanche, la

domesticité, en général masculine, était prin¬cipalement affectée aux cuisines, fabricationde la pâte à pain et celle de la bière mises àpart. Les écuries abritaient les ânes puis,dès le Nouvel Empire, des chevaux

récemment introduits en Egypte quin'étaient guère utilisés que pour tirer deschars légers, également importés du Proche-Orient.

Un jardin planté de sycomores, de saules,de tamaris, de palmiers, émaillé de fleurs,enrichi de vignes en tonnelle, et d'un bassinrafraîchissant, constituait le rêve de tout

Egyptien. A la ville le terrain très mesuré nepermettait que des plantations limitées, en¬tourant une demeure à plusieurs étages quirecevaient les différentes parties de l'habitat,distribuées au même niveau dans la maison

rurale.

Au sous-sol étaient aménagés l'atelier detissage et sans doute aussi la cave pour tenir

Le sarcophage de l'épouse royale Kaouit, dansl'enceinte funéraire de Mentouhotep (v. 2061-201 0 avant J.-C.) à Deir-el-Bahari, est orné debas-reliefs évoquant la vie quotidienne de laprincesse défunte et la perpétuant dans l'au-delà. A droite, la princesse est assise sur unfauteuil à haut dossier, un miroir à la main,

pendant que sa suivante arrange les boucles desa perruque; elle porte à ses lèvres la coupe de laitque lui tend un intendant. A gauche, la vachedont on a tiré le lait, son veau attaché à sa patte.

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^feríí1 1

A gauche, portrait d'entants sur une paroi de latombe de Ramosé, vizir et gouverneur deThèbes sous Aménophis III et IV (v. 1391-1335avant J.-C). D'un modelé délicat et d'unegrande finesse dans le détail, ces reliefs decalcaire sont caractéristiques du style de laXVIIIe dynastie, avant l'époque amarnienne.Ci-dessus, procession apportant le mobilierfunéraire de la tombe.

Dans le tombeau du fonctionnaire du cadastre

thébain Menna (XVIIIe dynastie), toutes lesphases du travail des champs sont illustrées : ici,

le dépiquage du blé.

au frais les aliments et boissons en réserve (levin, en particulier). Sur la terrasse on trouvaitles cuisines et les silos à grains.

Les enfants se rendaient à l'école du

Temple, qu'ils soient fils de nobles oud'humbles origines, puisque les inscriptionsnous apprennent qu'un modeste garçon avaitpu * arriver jusqu'aux pieds de Pharaongrâce à son écritoire » . La mère venait chaquejour apporter en aliments le salaire duMaître; ceux des écoliers qui présentaient desdispositions pour l'étude séjournaient ainsiplusieurs années dans l'enceinte du Temple.Connaissance des nombreux signes hiéro¬glyphiques, apprentissage de la langue écriteet des Belles Lettres, arithmétique, géomé¬trie, géographie figuraient au programmedu cycle secondaire qui débouchait surl'obtention du titre de « Scribe qui a reçuVEcritoire ».

Alors le postulant était pris en charge parles diverses administrations. Ou encore, par¬ticulièrement doué, il allait continuer des

études dites supérieures dans une * Maison

de Vie » également sise dans l'aire d'un tem¬ple, qui dispensait l'enseignement des grandsmaîtres d'architecture, de sciences (médeci¬ne, pharmacie, chimie, astronomie, géomé¬trie), de Lettres et aussi d'une certaine philo¬sophie ou pratique de la Sagesse. Ces ensei¬gnements étaient doublés par des exercices etdes travaux pratiques en laboratoire.

Les congés libéraient la population entièrepour le déroulement des grandes fêtes sai¬sonnières qui scandaient l'année, et au coursdesquelles les défilés, les représentationsthéâtrales, les réjouissances entouraient l'ap¬parition, en public et hors des sanctuaires, dusymbole divin véhiculé dans des nefs sacrées.

Les plus importantes de ces cérémoniesétaient naturellement célébrées au jour del'An et dans les semaines suivant l'inonda¬

tion, qui recouvrait toute l'Egypte agricoleet libérait les habitants des travaux des

champs; cela leur permettait, parallèlementaux corvées de travaux publics, de circulerd'une agglomération à l'autre, de retrouverparents et amis et, tout en communiant aveceux de fêter et de rendre grâce, aux ancêtresvénérés et au Créateur, de ce divin et provi¬dentiel phénomène qui leur était échu pour lacontinuité de la vie.

CHRISTIANE DESROCHES-NOBLE¬

COURT, est Inspecteur général et Conservateuren chefhonoraire des Musées de France, professeurhonoraire d'archéologie égyptienne à l'Ecole duLouvre et Médaille d'or du Centre national de la

Recherche scientifique (CNRS). Ancien conseillerde l'Unesco près du Centre de documentation etd'étude sur l'ancienne Egypte au Caire, qu'elle acontribué à créer, elle a participé dès le début à laCampagne internationale pour la sauvegarde des-sites et monuments de Nubie. Membre fondateurdu Centre franco-égyptien de Karnak, elle dirigeactuellement la rénovation de la Vallée des Reines,à Louxor. Elle a publié de nombreux articles etouvrages, dont Toutankhamon, vie et mort d'unpharaon (1963), Le petit temple d'Abou Simbel(1968), et, plus récemment, La femme au temps despharaons (1987).

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L'Egypte et le mondeméditerranéen

PAR GABALLA ALI GABALLA

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L5 EGYPTE unifiée et disposant d'unsystème original d'écriture entredans l'histoire vers la fin du qua¬

trième millénaire avant Jésus-Christ. Elle netarde pas à devenir le foyer d'une civilisationbrillante qui s'épanouit dans les différentsdomaines de la pensée et des lettres, de l'ar¬chitecture et de l'art, de la science et de la

médecine, de l'administration et de l'organi¬sation sociale. Grâce à son littoral méditerra¬

néen, elle multiplie, dès l'Antiquité, sescontacts avec l'Europe, qu'elle marque deson influence. Elle contribue en particulierau développement de la civilisation occiden¬tale, tout en enrichissant d'une manière gé¬nérale la civilisation universelle.

Presque à la même époque, une autre civi¬lisation vit le jour autour de la mer Egée et enparticulier dans l'île de Crète : la civilisationminoenne (de Minos, roi légendaire).

Bien que la Méditerranée ne fût pas unobstacle entre l'Egypte et la mer Egée, lescontacts entre marchands et émissaires égyp¬tiens et égéens eurent d'abord lieu dans lesports du littoral phénicien, notamment àByblos. Sans doute, des bateaux decommerce égyptiens mirent-ils ensuite le capsur la Crète et firent-ils escale à Chypre,Rhodes, Kárpathos et Kássos avant de rega¬gner directement l'Egypte (séparée de laCrète par quelque 270 milles marins) en s'ai-dant des vents du nord qui soufflent en été.Ce trajet était alors parcouru en trois jour¬nées et deux nuits.

Les preuves archéologiques attestantl'existence de ces rapports entre les deuxpeuples ne manquent point. Nombreux sontles vases en pierre égyptiens, de forme cylin¬drique, trouvés en Crète; les Cretois finirentd'ailleurs par adopter la technique égyp¬tienne de fabrication de ces vases. Dans l'île

de Cythère, on a découvert un vase en albâtreportant le nom d'un roi égyptien de la Ve dy¬nastie (v. 2465-2323 avant J.-C). A partir du22e siècle avant notre ère, les textes égyptiens'commencent à parler de Kaftiou (adaptationégyptienne du nom sémitique de la Crète :Kaphtor) que l'on retrouve également dansla Bible.

Au début du deuxième millénaire

avant J.-C, les relations commerciales s'in¬tensifient entre le Moyen Empire(v. 2040-1640 avant J.-C.) égyptien et lesCretois de la période dite du Minoen moyen.Là encore, on a découvert en Crète de nom¬

breux objets égyptiens remontant à cette

<4 Petite figure minoenne en terre cuite du 14e oudu 13e siècle avant J.-C. arborant une coiffureégyptienne.

iOÊmÊtWÊrn/^amm

Cet objet votif du Nouvel Empire représentantune Egyptienne a été trouvé dans une grotte à

Tzouzoura, en Crète.

époque : ustensiles quotidiens, scarabéesservant de sceaux et une statuette en diorite.

De même, des poteries minoennes du stylede Camarès et des vases en argent d'inspira¬tion égéenne, ont été identifiés dans untemple situé près de Louxor.

Vers 1500 avant J.-C, l'Egypte s'affran¬chit du joug des Hyksôs1 et sort de sonisolationnisme traditionnel pour devenir,grâce à des conquêtes militaires successives,une puissance internationale. Elle assujettitla Phénicie et la Syrie. Sa flotte impose sa loidans les ports phéniciens et étend probable¬ment son influence jusqu'à l'île de Chypre.Cette présence égyptienne crée une nouvellesituation dans le bassin oriental de la

Méditerranée. Les Egéens de la dernière pé¬riode minoenne et les Mycéniens del'Hellade2 doivent désormais traiter directe¬

ment avec les Egyptiens afin que leurs na¬vires marchands puissent avoir accès auxmarchés traditionnels de Palestine et de

I ^ Sur ce bas-relief de la tombe de Pouiemré, un desgrands prêtres d'Amon à l'époque deThoutmosis III (v. 1479-1425 avant J.-C), desétrangers apportent leurs « tributs » au templed'Amon à Karnak. Entre deux Syriens, onreconnaît un Cretois à ses longs cheveuxtombant sur ses épaules.

Syrie. Selon toute probabilité, les Cretois etles Mycéniens conclurent un accord avec lepuissant pharaon Thoutmosis III (1479-1425 avant J.-C.) : la tombe de son vizirRekhmiré, à la nécropole de Thèbes, nousmontre les émissaires crétois apportant lestributs de leur île. Le texte égyptien décrit lascène : « L'arrivée des princes de Kaftiou etdes îles du milieu de la mer, soumis et têtebasse devant la puissance de Sa MajestéThoutmosis III ». Tout porte à croire queces « îles du milieu de la mer » étaient les îles

de l'est méditerranéen et la ville de Mycènes,dans le Péloponnèse.

La vue des Egéens au teint mat vêtus depagnes chamarrés, à l'abondante chevelureretombant sur les épaules ou formant une ouplusieurs tresses qui leur ceint le front, de¬vient familière aux Egyptiens. Ils les voienttraverser les rues de Thèbes pour apporter aupharaon leurs cadeaux (que les Egyptiensappellent tributs) : grandes coupes décorées,dotées d'anses aux formes animalières ou

longs vases à petites anses, ornés de motifsfloraux ou de lignes horizontalespolychromes.

Vers le milieu du 15e siècle avant J.-C, lacivilisation Cretoise s'effondre, peut-être à lasuite de luttes intestines. Il n'est donc pasétonnant que le nom de Kaftiou ait disparu,dès la fin de ce siècle, des sources égyptien¬nes. En revanche, on retrouve encore fré¬

quemment l'expression « îles du milieu de lamer », jusqu'à ce qu'elle disparaisse à sontour, vers le 12e siècle avant J.-C En effet,des vagues successives de peuples barbares,que les Egyptiens appellent « les peuples dela mer », déferlent alors sur la péninsule duPéloponnèse et la saccagent. Leurs hordestraversent l'Anatolie (où elles anéantissentl'empire hittite) et la Grèce, convergent versl'Egypte par voie de terre en traversant laSyrie et par mer à travers les îles de laMéditerranée. Mais elles sont repoussées pardes pharaons puissants comme Ramsès II,Merenptah et Ramsès III, qui sauventl'Egypte d'une destruction massive.

Au début du 7e siècle avant J.-C, la pré¬sence grecque en Egypte devient sensiblegrâce à des mercenaires qui servent dans lesarmées égyptiennes et à des marchands quifondent des comptoirs dans diverses cités duDelta. Des philosophes, des historiens et desgéographes grecs les suivent, éblouis par lacivilisation de l'Egypte, ses monuments gi¬gantesques, ses croyances et son savoir.

Ainsi, l'astronome, philosophe et mathé¬maticien grec Thaïes de Milet aurait rapporté

1. Envahisseurs asiatiques venus de l'Est qui dominèrentl'Egypte entre 1674 et 1550 avant J.-C. (N.D.L.R.)2. Du grec Hellas, nom de provinces centrales delà Grèceancienne; conservé par les Grecs, il désigne la Grèceactuelle. (N.D.L.R.)

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d'Egypte à la fin du 7e siècle avant J.-C. lecalendrier solaire divisé en 365 jours. SelonHérodote, Solon (v. 640-560 avant J.-C.)l'homme d'Etat athénien, visita l'Egypte àl'époque où Amasis II, roi de la XVIe dy¬nastie promulgua une loi selon laquelle#cha-que Egyptien devait faire une déclarationannuelle de ses revenus et la remettre au

gouverneur de sa province. Toute personneayant réalisé des gains illicites était condam¬née à la peine de mort. Solon fit adopter àAthènes une loi identique. Selon un autrehistorien grec, Diodore de Sicile, Lycurgue,roi légendaire de Sparte, ainsi que Platon seseraient inspirés aussi des lois égyptiennes.

L'influence de l'Egypte est également sen¬sible dans l'art grec naissant. Le Kouros,figure de jeune homme caractéristique de lastatuaire archaïque, révèle une inspirationégyptienne : le jeune homme au corps droitet »élancé est debout, la jambe gauche enavant, les bras plaqués le long du corps, lesmains fermées. Les statues de ce type n'imi¬tent pas seulement l'attitude des personnageségyptiens, elles respectent aussi les règlestraditionnelles de l'art égyptien, notamment« le principe des proportions » que ses créa¬teurs appliquaient depuis plus de 2000 ans :le corps fut d'abord divisé en 18 carréségaux, puis en 21 à partir de l'époque saïte3(7e siècle avant J.-C), lorsque l'unité desmesures de longueur, la coudée, fut modi¬fiée. Diodore de Sicile relate qu'au 6e siècleavant J.-C, Téléklès et Théodorus, deux cé¬lèbres sculpteurs grecs, s'inspirèrent pourune statue d'Apollon de cette tradition endivisant le corps en 21 carrés 1/4.

Au fil des siècles, les Grecs se trouveront

de plus en plus mêlés à l'histoire du pays duNil. En 332 avant J.-C, Alexandre le Grandconquiert l'Egypte. Une nouvelle dynastiemacédonienne, les Lagides, monte sur letrône et gouverne le pays pendanttrois siècles environ. L'Egypte fait désor¬mais partie du monde hellénistique qui en¬globe le bassin oriental de la Méditerranée.Alexandrie, nouvelle capitale fondée par lesGrecs, redonnera un lustre à l'hellénisme

grâce à ses écrivains, ses géographes, seshistoriens, ses architectes et ses astronomes.

Lorsque le général romain Marc Antoine,l'allié de Cléopâtre VII, perd la batailled'Actium en 31 avant J.-C, l'Egypte de¬vient une province romaine. Considéréecomme le grenier de Rome, elle contribue àapprovisionner l'armée romaine pendant sesgrandes conquêtes.

Sur le plan religieux, le culte d'Isis etd'Osiris (sous sa forme ptolémaïque Sérapis)et de leur fils Horus-Harpocrates sera large¬ment répandu dans le monde gréco-romain.Le mythe osirien de la survie de l'âme dansun monde meilleur est très proche de lasensibilité populaire, car il promet le salut àtous les hommes, conception qui fait défautau culte officiel des divinités grecques etromaines. Pour les Grecs, Isis incarne la

destinée, car elle a pu s'affranchir de l'em¬prise des dieux, ce qui lui a assuré une puis¬sance absolue. Son culte à Rome concurrence

Statue romaine en basalte noir de la déesse

égyptienne Isis, dont le culte était fort répandudans le monde gréco-romain.

La main de Sechat, déesse de l'écriture et

protectrice des chroniques et annales royales.Avec Thot, patron des scribes et des lettrés, elle

écrivait sur les feuilles de l'arbre de vie le nom et

les années de chaque roi. C'est ainsi qu'elle estreprésentée sur ce relief du trône de Ramsès II

(v. 1290-1224 avant J.-C.) à Louxor.

32 ' £*u nom de 'a capitale, Sais, de la XXVI' dynastie, qui^ régna à cette époque. (N.D.L.R.)

la religion romaine et le culte impérial. Deplus, la triade osirienne préfigure la Trinitéchrétienne. Avant l'avènement du christia¬

nisme, l'adoration d'Isis prit une importancecomparable à celle qu'aura plus tard le cultede la Vierge.

Le monde entier doit également auxEgyptiens deux inventions : le calendrier etl'alphabet.

Comme d'autres peuples, les Egyptiensconçurent d'abord un calendrier qui divisaitle temps en années lunaires et comptait354 jours. Mais ils ne tardèrent pas à voirqu'il manquait de rigueur et convenait mal àl'organisation de leur système administratiftrès élaboré, aussi ne s'en servirent-ils plusque pour célébrer certains événements reli¬gieux. Vers le troisième millénaire avantnotre ère, ils inventèrent un calendrier so¬

laire composé de 365 jours divisés en12 mois de 30 jours chacun, auxquels onajoutait à la fin de l'année cinq jours supplé¬mentaires ou épagomènes. Les Egyptienssavaient que leur année comptait six heuresde moins que l'année solaire (365 joursun quart), mais pendant longtemps ils nefirent rien pour remédier à ce décalage. Cen'est que sous le règne des Lagides qu'ilsajoutèrent, tous les quatre ans, un jour àl'année officielle afin qu'elle corresponde àl'année solaire. Ce calendrier fut adopté parJules César et suivi à Rome à partir de45 avant J.-C. Le calendrier julien fut utiliséen Europe et en Occident jusqu'à ce qu'à lafin du 16e siècle, le pape Grégoire XIII yintroduise une légère modification et qu'ildevienne le calendrier, dit grégorien, répan¬du dans le monde entier.

Dès la fin du quatrième millénaireavant J.-C, les Egyptiens inventèrent unsystème d'écriture qui utilisait les signes hié¬roglyphiques, c'est-à-dire des images et nondes lettres. Ces images étaient choisies, nonpour leur sens, mais pour le son qu'ellesreprésentaient.

Certes, l'alphabet européen moderne apour origine l'alphabet gréco-romain, lequeldécoule directement de l'alphabet phénicien.Mais quel est le système d'écriture qui ainfluencé les Phéniciens ? Les plus ancienstextes sémitiques qui nous sont connus re¬montent au 15e siècle avant J.-C. Décou¬verts dans le Sinaï, ils contiennent des vo¬

cables sémitiques transcrits avec désignesqui ressemblent à des hiéroglyphes. On peutsupposer que cette écriture sémitique, avecson système de sons dessinés, était inspiréedes hiéroglyphes et qu'après une évolutionde quelques siècles elle a abouti à l'alphabetphénicien où chaque son est représenté par 'une seule lettre. Ainsi, l'alphabet, l'une desplus grandes conquêtes de l'esprit humain,aurait l'Egypte pour berceau.

GABALLA ALI GABALLA, d'Egypte, est pro¬fesseur d'égyptologie à l'Université du Caire. An¬nen professeur invité des universités Mohamed V(Maroc), Central Florida (Etats-Unis) et deKoweït, d a publié divers articles et deux ouvragesen langue anglaise : Narrative in Egyptian Art(1976, La narration dans l'art égyptien) et TheMemphite Tomb Chapel of Mose (1977, Latombe memphite Chapelle de Mose).

Rêve et réalité

La persistance d'unecertaine image de l'Egypte

PAR RICHARD FAZZINI

LE sens de l'identité nationale, fonde¬ment même du mouvement nationa¬

liste égyptien, se trouva renforcé parla redécouverte archéologique de l'Egypteancienne, ce dont témoignent descomme « L'éveil de l'Egypte », sculpture« pharaonisante » de Mahmoud Mokhtar(1891-1934) au Caire, ou bien l'évocation del'histoire de l'Egypte ancienne dans les pre¬mières nouvelles allégoriques de l'écrivaincontemporain Naguib Mahfouz.

Cette utilisation d'éléments de l'histoire et

de l'art égyptiens antérieurs n'aurait guèreétonné les pharaons du début du NouvelEmpire (16e siècle avant J.-C.) qui expulsè¬rent les Hyksôs ces « rois-pasteurs » ve¬nus de l'Est et réunifièrent le pays. S'esti-mant les héritiers des rois du début du

Moyen Empire (fin du 21e, début du20e siècle avant J.-C), époque où l'Egyptefut réunifiée après l'effondrement de l'An¬cien Empire, ces pharaons établirent des pa¬rallèles étroits dans leurs pratiques reli¬gieuses et leur art archaïsant avec ceux deleurs « ancêtres ». En fait, la civilisation de

l'ancienne Egypte, suffisamment dynamiquepour connaître un changement artistiquestupéfiant, fut en même temps assez rebelleau changement pour assurer une continuitéartistique et spirituelle remarquable, le passélui paraissant toujours offrir des modèlespour le présent.

Dès lors, on comprend mieux pourquoil'art qui se développa au 4e siècle avant J.-C,y compris sous les XXIXe et XXXe dynas¬ties (399-343 avant J.-C.) dont les souverainsétaient originaires du pays, associa traditionet innovation. Il se caractérise par un styleriche en figures, en particulier animales, parune surabondance d'images de dieux et desymboles religieux, et, en général, par uneplus grande complexité formelle et décorati¬ve. C'est ce type d'art égyptien qui se répan¬dit dans le monde hellénistique et romain, àtravers la diffusion de cultes égyptiens. EnItalie, et surtout à Rome, des créations nou¬

velles d'inspiration égyptienne s'ajoutèrentaux objets importés d'Egypte pour servir auxcultes locaux, où entraient aussi des éléments

non égyptiens, ou pour refléter la gloireimpériale, ou simplement pour décorer mai¬sons et jardins.

Après la chute de Rome, la montée duchristianisme et de l'islam, l'Egypte ancienneentra dans le domaine de l'inconnu, du mys¬térieux, du légendaire. Cette vision persistaencore lorsqu'on commença à redécouvrirl'Egypte à la Renaissance : on cherchait, no¬tamment, des liens entre la doctrine chré¬

tienne et la sagesse ou la magie de l'Egypteancienne. Plus tard, pour étudier celle-ci, ons'appuya surtout sur les objets égyptiens etégyptisants trouvés à Rome et en Italie. Or,les premiers n'étaient guère représentatifs del'art égyptien, et chez les seconds, le respectdes normes égyptiennes variait beaucoup.

^ Cette fantaisie égyptisante évoquant une visionthéâtrale mais courante de l'Antiquitéégyptienne est une affiche publicitaire pour undisque du groupe rock Iron Maiden.

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La découverte de la Mensa Isiaca joua à cetégard un rôle décisif. Cet objet égyptisant dela période romaine, ressemblant au plateaud'une table (mensa en italien) et dont le décorévoque le culte d'Isis, d'où son nom, est faitde bronze et d'argent; il est orné de figures dedivinités et de symboles égyptiens, ainsi qued'hiéroglyphes en partie indéchiffrables. Al'instar de la sculpture égypto-classique du2e siècle de notre ère représentant le favori del'empereur Hadrien, Antinous, que l'on dé¬couvrit à Tivoli en 1740, la Mensa Isiaca

devint une source d'inspiration égyptisantedans l'art de la Renaissance. Citées comme

références artistiques exemplaires, ces di¬verses suvres égyptiennes et égyptisantes del'époque romaine continuèrent à jouer unrôle dans les études égyptiennes comme dansl'art égyptisant, et ce malgré l'intérêt accrupour l'Egypte et la connaissance directe dupays au 17e et surtout au 18e siècle. Toute¬fois, d'autres facteurs non scientifiques ex¬pliquent également l'intérêt particulierqu'on a porté à l'Egypte ancienne et soninfluence accrue sur l'art occidental : la

franc-maçonnerie, alors en plein essor, legoût du Sublime (le pouvoir de l'art et del'architecture d'ébranler la sensibilité, en

provoquant, par exemple, la stupéfaction oul'effroi) et le souci de la grandeur, de lasimplicité et du monumental propre au néo¬classicisme naissant.

Les reconstructions de temples égyptienspubliées en 1739 par le peintre et dessinateurfrançais Louis-François Cassas, ou encoreles plans d'énormes monuments égyptisantsdus à l'architecte Etienne-Louis Boullée

(1728-1799), français lui aussi, obéissent à detelles idées. Les dessins de salles et de chemi¬

nées d'un style égyptien extravagant que fiten 1769 le dessinateur et architecte italien

Giambattista Piranesi, dit Piranèse, bien que

d'une veine différente, vont dans le même

sens. Puisant essentiellement dans l'art égyp¬tien tardif et l'art romain égyptisant, cesdessins traduisent la volonté de créer un stylepropre, au lieu de reproduire de simplesmotifs égyptiens. Piranèse fut en fait l'un despremiers à savoir apprécier l'art égyptienpour sa beauté décorative et non pour samajesté ou son mystère. L'Europe s'intéres¬sait donc déjà à l'Egypte ancienne quand lacampagne de Bonaparte en Egypte (1798-1801) suscita la première et la plus ample desrenaissances égyptiennes, éveillant une cu¬riosité qui ne s'est jamais démentie depuis.

Avec cette campagne commence égale¬ment la redécouverte archéologique del'Egypte : dorénavant, les savants seront enmesure de reconstituer avec de plus en plusd'exactitude l'histoire et la civilisation égyp¬tiennes et de mieux comprendre le chemine¬ment de l'art égyptien à ses différentes épo¬ques. Du coup, le style d'inspiration égyp¬tienne dans la littérature, l'art, l'architecture

ou le décor de théâtre se fit plus précis.Certes, ces changements ne survinrent pastout de suite, comme l'atteste la figure de lafontaine à l'égyptienne (1808) qu'on peutvoir rue de Sèvres à Paris et qui a pourmodèle la statue d'Antinous découverte

en 1740. Des modèles égyptiens plus anciensfraîchement redécouverts apparurent, maissans supplanter pour autant les modèles plusrécents, familiers depuis longtemps : ce sontles spécialistes, en définitive, et non les artis¬tes, qui s'efforcent de recréer les civilisationsanciennes dans toute leur authenticité.

Au 20e siècle, plusieurs facteurs, qui nesont pas tous nouveaux, ont favorisé unemeilleure connaissance de l'Egypte ancienneet de son art : les découvertes archéologiqueset les expositions d'art égyptien notam¬ment celle des trésors de la tombe de

Ci-dessus, La grandepyramide, gravure dupeintre et dessinateur français Louis-François

Cassas (1756-1827). Cette compositionimaginaire associe une pyramide de l'Ancien

Empire et un temple d'un style bien plus tardif,desservi par une allée bordée de sphinx qui ne

sont guère plus égyptiens que le paysagemontagneux qui leur sert de toile de fond.A droite, la pyramide de verre, conçue par

l'architecte américain I.M. Pei, qui marquel'entrée principale du musée du Louvre, à Paris.

A gauche, torse romain d'Antinous, le favori del'empereur Hadrien (2e siècle). Déifié parl'empereur après s'être noyé dans le Nil,Antinous est représenté ici en Osiris. Ce type destatue a servi de modèle pour la fontaineci-dessous, érigée en 1808 dans la rue de Sèvresà Paris.

Toutankhamon ont ranimé un puissantintérêt pour divers aspects de la civilisationégyptienne, au même titre que le développe¬ment du tourisme en Egypte, les progrès del'éducation de masse et un respect croissanten Occident pour l'art non occidental.Comme au 19e siècle, l'art égyptien continued'inspirer des architectes, des artistes et desdessinateurs confirmés, sans qu'il y ait deleur part imitation servile.

D'autres aspects, réels ou imaginaires, dela culture de l'Egypte ancienne, continuentégalement à fasciner et à influencerl'Occident. Au vrai, dès avant l'époque dessuperproductions cinématographiques, lespièces de théâtre, les opéras (surtout Aida),les romans historiques, les contes fantasti¬ques ou les récits d'épouvante (la thématiqueégyptienne naît au 19e siècle, donc bien avantque la « malédiction » de la tombe de

Toutankhamon ne défraye la chroniquemondiale) ont popularisé une certaine imagede la civilisation égyptienne. La publicité etles emballages de nombreux produits, no¬tamment les cigarettes et les produits debeauté, ont eu aussi une grande influence.

Effet et cause de l'intérêt pour l'Egypteancienne, Hollywood et consorts ont, dès ledébut, exploité les thèmes égyptiens avec uneexactitude historique ou artistique très varia¬ble, pour toucher un plus vaste public.Autres influences déterminantes sur la per¬ception populaire de l'Egypte ancienne, cor¬recte ou erronée : la télévision, les bandesdessinées américaines (qui n'intéressent pasque les enfants) et les « BD » françaises, d'unstyle plus recherché. Dans beaucoup decelles-ci, les dessins très précis du pays mo¬derne et de ses monuments anciens alternent

avec des images de l'Egypte ancienne d'uneinvention non moins saisissante.

Les grands moyens d'information, héri

tiers de la tradition hollywoodienne, maisaussi des ouvrages du 18e et du 19e siècle,perpétuent des mythes anciens et nouveauxde l'Egypte ancienne : qu'on lui donnel'Atlantide pour origine, qu'on évoque l'in¬tervention des « extra-terrestres » ou qu'onparle de « pouvoir des pyramides ».

Un exemple récent et très parlant de cetteinspiration égyptisante dans les médias po¬pulaires est l'affiche et la couverture du dis¬que Powerslaves du groupe rock IronMaiden. Il aurait été impossible de faire cedessin sans connaître les temples d'AbouSimbel, qui ont joui d'une grande publicité àla faveur de la campagne de l'Unesco pour lasauvegarde des monuments de Nubie. Maisloin de représenter le véritable templed'Abou Simbel, il s'agit plutôt d'une visionthéâtrale inspirée de l'Antiquité égyptiennequi éveille chez l'homme moderne toute unesérie d'associations d'idées courantes sur

l'Egypte.Une- chose paraît certaine : on apprendra

sans doute à avoir une connaissance" et une

vue plus justes de l'Egypte et de son art, maisle pays des pharaons à propos duquelHérodote, l'historien grec ancien, disait« On trouvera ici, plus que nulle part aumonde, des monuments qui défient toutedescription » continuera d'être unesource d'émerveillement et de rêves n'ayantqu'un rapport lointain avec la réalité.

RICHARD FAZZINI, des Etats-Unis, est conser¬

vateur du Musée de Brooklyn pour les arts égyp¬tien, classique et de l'Antiquité moyen-orientale.Egyptologue spécialisé dans l'art de l'ancienneEgypte, il est aussi archéologue et dirige lesfouillesdu Musée dans l'enceinte du temple de la déesseMoût, à Karnak.

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Des temples de Nubie à la bibliothèque d'Alexandrie

L'Unesco et le sauvetagedes trésors de l'Egypte

PAR GAMAL MOKHTAR

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LA Campagne internationale pour lasauvegarde des sites et monumentsde Nubie reste la manifestation la

plus spectaculaire de l'intérêt que portel'Unesco aux vestiges de l'Egypte ancienneet son succès est un exemple particulière¬ment éloquent de solidarité et de coopéra¬tion internationales dans le domaine culturel

pour la préservation du patrimoinecommun.

La décision prise par le gouvernementégyptien en 1954, après mûre réflexion, deconstruire au sud de la ville d'Assouan un

gigantesque barrage destiné à transformer etmoderniser l'économie du pays posait àl'Egypte comme au Soudan un problèmeculturel majeur : des dizaines d'édifices et desites archéologiques risquaient d'être en¬gloutis par les eaux' de l'immense lac de

Le découpage des deux temples rupestres ^d'Abou Simbel et la reconstitution du site et des

sanctuaires, exactement dans la même

orientation mais 64 m plus haut et 180 m enretrait, comptent parmi les travaux les plusspectaculaires de la Campagne internationale desauvegarde des sites et monuments de Nubie,lancée par l'Unesco en 1960. Sur le dessinci-contre, le grand temple aux colosses assis(à gauche) et le petit temple (à droite), sont tousdeux protégés du Nil par une digue. Derrière legrand temple, la montagne a été évidée pourdémonter les salles intérieures. A droite, les

temples tels qu'ils ont été reconstitués au niveausupérieur, hors d'atteinte des eaux. Deux dômesde béton recouverts de rochers et de sable

restituent la forme initiale de la montagne. Lestravaux furent achevés en 1968.

retenue du futur barrage, qui s'étendrait sur500 km dans la partie nubienne de la valléedu Nil, à cheval sur la frontière égypto-soudanaise.

Ainsi, les deux temples d'Abou Simbel, à270 km au sud d'Assouan, se trouvaient me¬

nacés. En effet, leur base se situait respective¬ment à 124 et 122 m au-dessus du niveau de

la mer, c'est-à-dire juste au niveau des eauxdu réservoir de l'ancien barrage d'Assouan(construit au début du siècle) qui ne dépas¬saient jamais 121 m. Mais avec la construc¬tion du nouveau barrage, le niveau des eauxs'élèverait jusqu'à 182 m, soit 62 m de plusque le niveau maximum antérieur; lestemples risquaient donc d'être engloutis.

Pour prendre un second exemple, lestemples de Philae, situés à 104 m au-dessusdu niveau de la mer entre l'ancien et le

nouveau barrage, étaient presque entière¬ment submergés par les eaux une bonne par¬tie de l'année. La construction du nouveau

barrage (en aval de ces temples, qu'il n'affec¬terait donc pas directement) aurait néan¬moins pour effet de faire baisser le niveau deseaux de l'ancien réservoir, qui fluctueraientquotidiennement entre 102 et 110 m enfonction des besoins en électricité. Les

temples ne seraient plus inondés que partiel¬lement, mais le mouvement des eaux risquaitd'avoir sur la structure des temples des effetsbien plus dommageables que leur immersiontotale et permanente.

Les gouvernements de l'Egypte et duSoudan se trouvaient donc confrontés à de

graves responsabilités envers la vieille terrenubienne, si étroitement associée à l'histoire

de l'Egypte depuis les temps pharaoniques et

siège d'une intense activité architecturale dece fait même. Cette région contient en effetdes temples et des forteresses destinées àgarantir les routes commerciales et la paix del'empire. L'histoire y est inscrite dans lapierre des villes, des nécropoles et destombes qui y furent érigées à différentespériodes, ainsi que dans leurs innombrablesstèles, inscriptions et bas-reliefs, pour ne riendire des trésors engloutis dans les sables.

C'est pourquoi le gouvernement égyptiena demandé, le 6 avril 1959, l'aide active de

l'Unesco sur les plans matériel, technique etscientifique pour concevoir et exécuter desprojets de sauvegarde des monuments deNubie. Cette démarche était justifiée parl'ampleur et le coût de l'entreprise et aussipar l'importance des vestiges à préserver :ceux-ci faisaient partie du patrimoine mon¬dial et appartenaient donc à l'humanité toutentière. En outre, l'Unesco, ayant pour vo¬cation de préserver le patrimoine mondial,apparaissait comme la seule organisation in¬ternationale capable de mobiliser dans lemonde entier les appuis financiers, ainsi queles techniciens et les spécialistes nécessaires àcette entreprise. Quelques mois plus tard, legouvernement soudanais intervenait à sontour dans le même sens auprès de l'Unesco.

L'Unesco réagit à ces démarches en lan¬çant un double appel. Le premier, d'ordregénéral, fut adressé le 8 mars 1960. Le se¬cond, lancé le 5 novembre 1968, concernait

plus spécifiquement le sauvetage des temples

de Philae. Dans les deux cas, le Directeur

général de l'Organisation invita les gouver¬nements, les organismes publics et privés ettous les donateurs potentiels à apporter leurcontribution financière, scientifique et tech¬nique à la sauvegarde des monuments deNubie.

La Campagne se donna les objectifs sui¬vants :

1. Le recensement exhaustif des monu¬

ments de la Nubie, qui fut réalisé avec unetrès grande minutie par le Centre de docu¬mentation et d'étude sur l'histoire de l'art et

de la civilisation de l'Egypte ancienne, insti¬tué au Caire en 1955 en vertu d'un contrat de

coopération conclu entre l'Unesco et le gou¬vernement égyptien pour l'étude des monu¬ments égyptiens et de leurs inscriptions etbas-reliefs. Le Centre avait été créé et financé

par le gouvernement égyptien, et pourvu entechniciens et en matériel par l'Unesco.

2. Le repérage des sites et des monumentssusceptibles d'être inondés, ainsi que deszones non encore fouillées. Plus de

70 missions archéologiques venues de25 pays ont ainsi exploré toutes les régionsde la Nubie vouées à l'inondation, en Egyptecomme au Soudan.

3. la sauvegarde des temples nubiensd'Egypte et du Soudan, y compris :

Les deux temples taillés dans le roc àAbou Simbel. Après examen de nombreusespropositions et des études de terrain appro¬fondies, on décida finalement de démonter

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Le sauvetage des temples de Philae a marqué ladernière étape de la Campagne internationale deNubie. Ces temples, dédiés au culte d'Isis,étaient encore presque intacts au 19e siècle,comme en témoigne la gravure de gauche, quidate de cette époque. Ils commencèrent d'êtremenacés au début du siècle quand le premierbarrage d'Assouan fut construit en aval.Après 1934, le barrage ayant été surélevé, l'île etles temples furent engloutis par les eaux deretenue pendant une bonne partie de l'année.Au centre, vue du temple d'Isis et du kiosque deTrajan submergés par les eaux du Nil. En 1960,la construction du haut barrage d'Assouanmenaçant de les faire disparaître définitivement,il fut décidé de les démonter et de les transportersur l'île voisine d'Agilkia, préalablementaménagée pour ressembler à Philae. Lestravaux, commencés en 1972, furent achevésen 1979. Ci-dessus, les monuments reconstituésdans leur nouveau site.

les deux temples et de les remonter in situ surdes socles artificiels exhaussés de 64 m. Les

temples ainsi restaurés furent inaugurésen 1967.

Les temples de Philae. Après soumissionde plusieurs projets, l'exécution de celui quifut finalement retenu fut confiée à un

consortium italo-égyptien. Il fallut démon¬ter entièrement les temples et les remontersur un site préalablement nivelé et aménagédans l'île voisine d'Agilkia. L'achèvement dece projet et le succès de la Campagne furentcélébrés avec solennité en 1980.

O Une bonne vingtaine de temples, ainsique diverses chapelles, stèles et bas-reliefs,qui ont dû être sciés et détachés du roc pourêtre démontés et remontés plus loin, hors deportée des eaux du nouveau réservoir, le lacNasser. Ce travail fut réalisé par le Servicedes Antiquités de l'Egypte, à l'exception destemples de Kalabcha et une partie du templed'Amada, sauvés respectivement par la Ré¬publique fédérale d'Allemagne et la France.Ce dernier fut transpone sur des rails mé¬talliques vers son nouveau site.

Ainsi ont été préservées pour la postéritéles antiquités d'une région étroitement asso¬ciée à l'Egypte pharaonique. Symboles ma¬gnifiques de l'effort humain dressés pendant

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Le grand sphinxen danger

Ce colosse en forme de lion couché à

tête humaine, sculpté dans le rocher au

pied des grandes pyramides de Gizehpour garder le tombeau du pharaonChéfren (v. 2520-2494 avant J.-C), fils

et successeur de Chéops, qui lui fitdonner ses traits, est menacé à la fois

par l'érosion due aux intempéries et lesremontées d'eaux souterraines à fort

taux de salinité. En février dernier, un

bloc de pierre de près de 300 kg s'estdétaché de son épaule droite et s'estbrisé en deux. Le ministre égyptien de laculture a adressé un appel à l'Unesco

pour lui demander d'aider à sauver cemonument qui figure, avec les autresédifices de Gizeh, parmi les biensculturels de valeur universelle inscrits

sur la Liste du patrimoine mondial. LeDirecteur général de l'Organisation,qui s'est rendu récemment sur le site eta pu constater l'ampleur des dégâts, adéclaré que l'Unesco se tenait prête à

apporter son concours au sauvetage dusphinx.

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des millénaires dans un environnement hos¬

tile et désertique, ces monuments sont deve¬nus aujourd'hui l'exemple même de ce quepeuvent la science et la technologie mo¬dernes pour préserver les richesses de notrepassé.

La Campagne pour la sauvegarde des siteset monuments de Nubie marque une dateimportante dans l'histoire de l'Unesco, carelle a amené l'Organisation à se lancer dans laplus ambitieuse opération scientifique etculturelle jamais entreprise. L'incontestablesuccès de cette campagne est le fruit d'unecollaboration intense de toutes les partiesconcernées pendant plus de vingt ans. Laréussite finale témoigne de la volonté duSoudan et de l'Egypte de préserver leur pa¬trimoine, de la générosité des Etats membreset de l'enthousiasme et de la compétence detous ceux qui ont participé aux opérations desauvegarde, en particulier les architectes, ar¬chéologues, ingénieurs et spécialistes ras¬semblés sous l'égide de l'Unesco.

Mais l'Unesco a également contribué à lamise en valeur du patrimoine de l'ancienneEgypte par d'autres initiatives :

Amélioration des musées, notamment du

Musée des antiquités pharaoniques du Caire.Aménagement de plusieurs sites archéolo¬

giques célèbres comme les pyramides deGizeh, Louxor et divers monuments islami¬

ques du Caire.Inscription de plusieurs sites égyptiens sur

la Liste du patrimoine mondial.Aide à la publication des manuscrits coptes

de Nag'Hammad, dits « Codex gnostiques ».Le lancement en 1982 d'une Campagne

internationale pour la création du Musée dela Nubie à Assouan et du Musée national de

la civilisation égyptienne au Caire, avec l'oc¬troi de toute l'aide financière, technique etdocumentaire nécessaire pour la mener àbien. Le Musée national a pour mission deprésenter les civilisations qui se sont succédéen Egypte de la préhistoire à nos jours.Quant au Musée de la Nubie, il permettra dedécouvrir tous les aspects géologique,géographique, ethnologique et historiquede la région, ainsi que ses richesses artisti¬ques et archéologiques. Il abritera égalementun Centre de recherche qui étudiera l'his¬toire de la Nubie et les liens avec l'Afrique de

ce grand carrefour des influences continen¬tales et méditerranéennes.

Aide au projet de reconstitution de la cé¬lèbre Bibliothèque d'Alexandrie*, cettesomme de la pensée philosophique et scienti¬fique du monde hellénique à l'époque oùAlexandrie était un centre culturel et scienti¬

fique au rayonnement mondial. L'Unesco alancé un appel de contributions pour laconstruction des bâtiments et la fourniture

de l'équipement de base, et a offert de parti¬ciper à l'exécution de ce projet, dont l'achè¬vement est prévu pour la fin du siècle.

* La renaissance de la Bibliothèque d'Alexandrie feral'objet d'un article dans le numéro de novembre duCourrier de ¡'Unesco. (N.D.L.R.)

GAMAL MOKHTAR, archéologue égyptien, estl'ancien directeur du Service des Antiquités de sonpays. Il a écrit divers ouvrages sur l'histoire del'Egypte et a dirigé la publication ¿'Afrique an¬cienne (1981), le Volume II de /'Histoire généralede l'Afrique publiée par l'Unesco. Il a apporté uneaide précieuse à la préparation du présent numérodu Courrier de l'Unesco.

le CourrierUnejenètre ouverte sur le monde

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Une édition trimestrielle en braille est publiée enfrançais, en anglais, en espagnol et en coréen.

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ISSN 0304-3118

N° 9 - 1988 - OPI - 88 - 3 - 460 F

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