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UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT ET SCIENCES HUMAINES L’ÉLABORATION D’UNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (RETOUR SUR UN INSTRUMENT DE LA MISE EN ŒUVRE D’UNE SÉPARATION DU « POLITIQUE » ET DE L’« ÉCONOMIQUE » EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS) THÈSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC Présentée et soutenue publiquement le 19 février 2010 par Sandrine GARCERIES Tome 1 Jury : M. Patrice CHRÉTIEN, professeur à l’université de Cergy-Pontoise (Directeur de thèse ) Mme Laetitia JANICOT, professeur à l’université de Cergy-Pontoise Mme Hélène PAULIAT, professeur à l’université de Limoges Mme Dominique POUYAUD, professeur à l’université de Paris Descartes, Paris V (Rapporteur ) M. Gérard QUIOT, professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis (Rapporteur )

l'élaboration d'une notion juridique de service public industriel et

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  • UNIVERSIT DE CERGY-PONTOISE COLE DOCTORALE DE DROIT ET SCIENCES HUMAINES

    LLABORATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC

    INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

    (RETOUR SUR UN INSTRUMENT DE LA MISE EN UVRE DUNE SPARATION DU

    POLITIQUE ET DE L CONOMIQUE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANAIS)

    THSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC

    Prsente et soutenue publiquement le 19 fvrier 2010

    par

    Sandrine GARCERIES

    Tome 1

    Jury :

    M. Patrice CHRTIEN, professeur luniversit de Cergy-Pontoise (Directeur de thse)

    Mme Laetitia JANICOT, professeur luniversit de Cergy-Pontoise

    Mme Hlne PAULIAT, professeur luniversit de Limoges

    Mme Dominique POUYAUD, professeur luniversit de Paris Descartes, Paris V (Rapporteur)

    M. Grard QUIOT, professeur luniversit de Nice-Sophia Antipolis (Rapporteur)

  • LLABORATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

    (RETOUR SUR UN INSTRUMENT DE LA MISE EN UVRE DUNE SPARATION DU POLITIQUE ET DE L CONOMIQUE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANAIS)

  • LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABRVIATIONS

    aff. affaire

    AJDA Actualit juridique Droit administratif

    AJFP Actualit juridique de la fonction publique

    al. alina

    AN Assemble nationale

    APD/APDSJ Archives de Philosophie du droit / et de sociologie juridique

    Arch. Parl. Archives parlementaires

    art. article

    Ass. Assemble du contentieux du Conseil dEtat

    BDP Bibliothque de droit public

    BPD Bibliothque de philosophie du droit

    BSA Bibliothque de science administrative

    C. civ. Code civil

    C. com. Code de commerce

    c/ contre

    CA Cour dappel

    CAA Cour administrative dappel

    CC Conseil constitutionnel

    CCAAOF Conseil du contentieux administratif de lAfrique occidentale franaise

    CCass. Cour de cassation

    CE Conseil dEtat

    CGCT Code gnral des collectivits territoriales

    CGI Code gnral des impts

    chron. chronique

    CJCE Cour de justice des Communauts europennes

    CJEG Cahiers juridiques de llectricit et du gaz

    coll. collection

    concl. conclusions

    D. Recueil Dalloz

    DA (ou Dr. adm.) Droit administratif

    dir. sous la direction de

    DP Recueil Dalloz priodique

    Droits Revue franaise de thorie juridique. Droits.

    d. dition

    EDCE tudes et documents du Conseil dEtat

    Europe Revue Europe

    fasc. fascicule

    GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative

    Gaz. Pal. Gazette du Palais

    GDJDA Grandes dcisions de la jurisprudence de droit administratif

    JCP Juris-Classeur priodique (La Semaine juridique)

    JCP A Juris-Classeur priodique (La Semaine juridique) administrations et collectivits territoriales

    JEV Annuaire europen dhistoire de ladministration publique

    JOCE Journal officiel des Communauts europennes

    JORF (ou JO) Journal officiel de la Rpublique franaise

    L. Loi

    LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence

    LPA Les Petites Affiches

    not. notamment

    obs. observations

    op. cit. ouvrage prcit

  • prc. prcit

    PUF Presses universitaires de France

    PUG Presses universitaires de Grenoble

    PULIM Presses universitaires de Limoges

    QSJ Que sais-je ?

    RA La Revue administrative

    RCLJ Revue critique de lgislation et de jurisprudence

    RDP Revue du droit public et de la science politique

    Rec. Recueil des dcisions du Conseil dEtat (Lebon)

    Rec. CJCE Recueil des arrts de la Cour de justice des Communauts europennes

    rd. rdition

    RFAP Revue franaise dadministration publique

    RFDA Revue franaise de droit administratif

    RGA Revue gnrale dadministration

    RHD Revue historique de droit franais et tranger

    RHMC Revue dhistoire moderne et contemporaine

    RMC UE Revue du March commun et de lUnion europenne

    RTD eur. ou RTDE Revue trimestrielle de droit europen

    S. Recueil Sirey

    SPA service public administratif

    SPIC service public industriel et commercial

    St (ou Soc.) Socit

    suppl. supplment

    t. tome

    TA Tribunal administratif

    TC Tribunal des conflits

    TCE Trait instituant la Communaut europenne (avant sa modification par le Trait de Lisbonne)

    TFUE Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne

    trad. traduction

    Trib. Tribunal

    TUE Trait sur lUnion europenne

    v. (ou V.) voir

    vol. volume

  • SOMMAIRE

    (Tome 1)

    INTRODUCTION GENERALE

    Premire Partie LE TEMPS DES PRECURSEURS

    Constitution dune problmatique juridique au XIXe sicle et les premires rponses du droit

    CHAPITRE I DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX ASSUMES OU ASSURES PAR LETAT ET LES COMMUNES, UNE EXPANSION AVEREE AU COURS DU XIXE SIECLE Elments pour la constitution dun problme

    CHAPITRE II DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX ASSURES PAR LTAT : LES REPONSES DU DROIT AVANT LA REVELATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC

    CHAPITRE III LA MUNICIPALISATION DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX SAISIE PAR LE DROIT Elments pour la dtermination lchelon local des conditions juridiques de lavnement dune notion de

    service public industriel et commercial

    (Tome 2)

    Deuxime Partie LE TEMPS DES FONDATEURS

    Lavnement dune notion juridique de service public industriel et commercial

    CHAPITRE I DES ELEMENTS TIRES DE LA REVELATION DE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

    CHAPITRE II LINVENTION SANS LA LETTRE Larrt du Bac dEloka ou le mythe des origines dune notion juridique de service public industriel et

    commercial

    CHAPITRE III LINVENTION DANS LA LETTRE La perce en droit positif dune notion juridique de service public industriel et sa rception (annes

    1920/1930)

    Troisime Partie LE TEMPS DES RENOVATEURS

    Devenir dune notion fonctionnelle de service public industriel et commercial

    CHAPITRE I LA MISE EN PLACE DUNE DISTINCTION CONTEMPORAINE Le jeu dune instrumentalisation

    CHAPITRE II RE-NOUVEAU DUNE ELABORATION SOUS LEFFET DE LA CONSTRUCTION DE NOTIONS COMMUNAUTAIRES APPROCHANTES Hypothse du retour dune imagination constituante

    CONCLUSION

    BIBLIOGRAPHIE GENERALE

    TABLE DES MATIERES

  • 1

    INTRODUCTION GENERALE

    Depuis quune notion juridique de service public industriel et commercial a

    fait son apparition en droit positif, au lendemain de la Premire Guerre mondiale, les

    questions de son bien-fond, de son utilit, de sa cohrence, de sa consistance, et partant

    de sa prennit, nont cess dtre poses, au point dailleurs de paratre en constituer le

    ressort. A tout le moins, cette notion des plus familires du droit administratif ainsi

    quen atteste du reste ce frquent recours lacronyme SPIC prsente demble la

    particularit davoir fait couler beaucoup dencre, sans jamais tre vritablement

    parvenue recueillir les faveurs de publicistes qui, pourrait-on dire, au mieux sen sont

    accommods, au pire lont rejete sans appel. Pourquoi ds lors inviter une fois de plus

    revenir sur cette notion ? Quest-ce qui peut justifier dentreprendre nouveau une

    recherche juridique dans un domaine qui en compte dj tellement ? Tout na-t-il pas

    t dit ou tent ? Lorsquune notion savre pareillement de nature susciter autant de

    controverses et de questionnements sur sa consistance relle et sur son avenir en droit

    administratif, difficile a priori de ne pas penser que, finalement, nul aspect la

    concernant, nul problme sy rattachant na pu chapper aux recherches doctrinales 1

    dj si nombreuses Tant de rflexions ont t livres quassurment ici aussi il

    peut paratre vain desprer apporter encore une pierre ldifice 2 !

    Prcisment ! Dun ct, tout semble avoir t dit, redit et dmontr propos de

    cette notion, mais de lautre, force est pourtant de sincliner : aujourdhui encore, le

    service public industriel et commercial subsiste, il fait plus que jamais partie du

    droit positif , et en dfinitive les critiques formules contre lui ny [auront] rien

    [chang] 3 ! Incontestablement, une notion de service public industriel et commercial

    gnre une distinction des services publics administratifs et des services publics

    industriels et commerciaux qui oriente toujours le droit positif 4, qui existe ()

    1 - Selon une formule emprunte M. HECQUARD-THERON, Essai sur la notion de rglementation, Paris, LGDJ,

    1977, dans son Introduction gnrale. 2 - Observation emprunte M. DEGUERGUE, De quelques difficults de la notion de service social , AJDA

    2008.179. 3 - J.-F. LACHAUME, Actualit des conclusions de Matter et de la jurisprudence "Bac dEloka" , in Services

    publics industriels et commerciaux : questions actuelles, J.-B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Paris, LGDJ, coll.

    Dcentralisation et dveloppement local , 2003, p. 6. 4 - P. ESPLUGAS, Le service public, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit/ Droit public , 1997, p. 67.

  • 2

    reprise et maintenue, malgr les critiques dont elle est la cible 5. Et, sans nul doute,

    mme pour les partisans dun Droit du service public, cette distinction demeure

    essentielle en pratique 6, compte tenu des consquences juridiques qui en dcoulent

    7,

    parce que toujours la jurisprudence confre la qualification des services publics une

    importance considrable 8. Aussi, par-del la controverse doctrinale, subsiste une

    ralit incontournable du droit positif. Dune part, quand bien mme parfois le

    lgislateur semble se jouer de la distinction, nombre de services ou encore

    dtablissements publics sont expressment qualifis dindustriels et commerciaux9. Si,

    ainsi que le constatait B. SEILLER, dans un certain nombre de domaines, de plus en plus

    frquemment les autorits normatives prfrent plutt () ignorer la distinction, en

    dcidant de soumettre aux mmes dispositions les services publics administratifs et

    industriels et commerciaux 10

    , paralllement, J.-B. AUBY observait toutefois que la

    liste se faisait impressionnante des services publics locaux dont les textes et la

    jurisprudence () ont rcemment prcis quils taient industriels et commerciaux,

    alors que leur nature ntait [jusqu prsent] pas certaine, ou pouvait varier en fonction

    de leurs modalits de fonctionnement 11

    . Dautre part, assurment, la notion de service

    public industriel et commercial est toujours trs prsente, encore aujourdhui, en

    jurisprudence. Lanne 2009, entre autres, en apporte lillustration relativement au

    contentieux des services dexploitation des pistes de ski et des remontes mcaniques

    5 - J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, Paris, Armand Colin, coll. U, 2

    e d.,

    2000, p. 53. Pour S. BRACONNIER galement Force est pourtant dadmettre que () la distinction () a

    subsist (Droit des services publics, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2e d., 2007, p. 240).

    6 - V. G. J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Montchrestien, coll. Domat/Droit public , 2000,

    n 192, p. 77, mme sils considrent quil nexiste pas de synonymie entre service public et services publics

    (op. cit., n 182, p. 73) et que Le droit des services publics nest ni la source ni une consquence dun droit du

    service public. Il est issu dun approfondissement de la distinction entre service public administratif et service

    public industriel ou commercial () rsultat de la relecture du droit du service public travers le prisme du

    march () (op. cit., n 186, p. 75). 7 - Un service public administratif est soumis en grande partie au droit public pour ses rapports avec les usagers,

    le personnel et la plupart des tiers, tout comme son rgime financier, fiscal ou comptable, alors quun service

    public industriel et commercial est en principe soumis au droit priv. La distinction des deux catgories de

    services publics concourt lidentification du droit applicable et du juge comptent pour trancher les litiges. 8 - V. B. SEILLER, Lrosion de la distinction SPA- SPIC , AJDA 2005, p. 417 : hormis le respect des "lois

    de Rolland ", la notion de service public ne dploie par elle-mme que fort peu de consquences juridiques. En

    revanche, la jurisprudence confre la qualification des services publics une importance considrable. Le

    caractre administratif ne sera pas attribu dans les mmes conditions aux actes unilatraux ou contractuels selon

    quils se rapportent la gestion dun [SPA] ou dun [SPIC]. Le constat est identique pour lattribution de la

    qualit dagent public ou pour lengagement de la responsabilit des personnes publiques () . 9 - V. par exemple, pour une liste (non exhaustive), R. MOULIN et P. BRUNET, Droit public des interventions

    conomiques, Paris, LGDJ, coll. Droit des affaires , 2007, n 82, p. 226. 10

    - B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 421. 11

    - J. B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles, op.

    cit. notre note 3, Conclusion , p. 236 : La qualification prospre en dpit des hsitations que lon peut avoir

    sur son soubassement intellectuel .

  • 3

    avec les dcisions du Conseil dEtat Mlle Beaufils et autres et du Tribunal des conflits

    Syndicat mixte des stations de lAudibergue12

    . Tout un discours tenu sur une notion

    juridique de service public industriel et commercial parat bien se heurter cette ralit

    qui subsiste, en dplorer lartifice, pour finalement dboucher en quelque sorte sur une

    impasse : la vacuit dnonce nempche pas cette notion de perdurer ! Adopter une

    approche consistant non plus interroger sa pertinence, mais comprendre les raisons

    de son laboration et de sa survivance ne permettrait-il pas, sinon den sortir, du moins

    davoir de nouvelles perspectives ?

    Force est de le constater, jusqu il y a peu, cette voie ne constituait pas

    vritablement, loin sen fallait, le chemin de prdilection des juristes qui dploraient

    avant toute chose linconsistance dune notion juridique de service public industriel et

    commercial : le raisonnement tenu conduisait en effet le plus souvent tablir, pour

    celle-ci, des raisons de ne pas ou de ne plus tre ! Cependant, depuis quelque temps,

    une volution est pour le moins perceptible dans lapproche de cette notion. Si toujours

    lambigut de la distinction des deux services publics reste dnonce, la question du

    devenir de la notion de service public industriel et commercial sapprhende

    diffremment. J.-F. LACHAUME prsentait de manire loquente le ton dun renouveau

    du discours juridique : la permanence de la notion amne () ncessairement

    sinterroger sur les raisons de cette longvit, alors mme quelle na gure les faveurs

    de la doctrine et que le juge lui-mme a parfaitement conscience que lidentification du

    SPIC et la dfinition de son rgime juridique sont quelque fois dune redoutable

    complexit (). Pourtant, cest ainsi et, ds lors, on doit ncessairement sinterroger sur

    12

    - CE 19 fvrier 2009, Mlle Beaufils et autres, RFDA 2009.777, note D. POUYAUD ; DA 2009, n 76, note G.

    MOLLION : lexploitation des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur scurit, constitue un

    service public industriel et commercial, mme lorsque la station de ski est exploite en rgie directe par la

    commune ; quen raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et

    commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit priv, les tribunaux judiciaires sont seuls

    comptents () (unification de la situation de lusager des remontes mcaniques et de celle de lusager des

    pistes de ski ; la solution retenue, comme lindique D. POUYAUD, ntait pas vidente : le service dexploitation

    des pistes de ski est qualifi de service public industriel et commercial alors quil sagit l dun service gratuit,

    visant assurer la scurit, assur au surplus en rgie en lespce) et TC 6 avril 2009 Syndicat mixte des

    stations de lAudibergue ( mentionner au Recueil Lebon, source : Lgifrance.gouv.fr), aff. C3684 :

    Considrant que larticle L 342-13 du Code du tourisme issu de larticle 47 de la loi du 9 janvier 1985 relative

    au dveloppement et la protection de la montagne dispose que lexcution du service des remontes

    mcaniques et pistes de ski est assure soit en rgie directe, soit en rgie par une personne publique sous forme

    de service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant pass cet effet une convention dure

    dtermine avec lautorit comptente ; queu gard la nature juridique du service industriel et commercial

    assur en lespce () laction engage par [un] usager de ce service, relve de la comptence des tribunaux de

    lordre judiciaire (renvoi la jurisprudence prcite du Conseil dEtat).

  • 4

    ce que cette notion a dactuel () 13

    . Dans ce changement de perspective, la

    nouvelle donne europenne 14

    y est pour beaucoup. La bataille qui stait engage au

    dbut des annes 1990 ne le laissait toutefois pas prsager. Sans nul doute, la question

    du devenir des services publics industriels et commerciaux tait pose. Est-ce pour eux

    le "chant du cygne" ou un "autrement" ? , avait-on pu se demander15

    . Le pire tait

    mme envisag, le droit communautaire tant globalement suspect dattenter au

    caractre de service public des services publics industriels et commerciaux pour

    mieux les assimiler aux entreprises ordinaires sur le march. Nanmoins, par-del le

    dualisme des catgories juridiques service public administratif et service public

    industriel et commercial , ctait bien davantage la dfense du service public la

    franaise qui se trouvait au cur de toutes les proccupations. Depuis, la bataille du

    service public et du droit communautaire a volu. Le dbat a port ses fruits, et tout

    le monde reconnat peu ou prou, mme si des difficults subsistent, que lon assiste

    une certaine forme de rconciliation 16

    : si, en France, il est tenu compte des impratifs

    de la construction europenne emportant une mutation des services publics, lapproche

    communautaire a, elle aussi, volu. Assurment, dans cette relativisation dun impact,

    la parent dcouverte entre la notion europenne de service dintrt conomique

    gnral et la notion franaise de service public industriel et commercial, a jou un rle

    notable. Mais pourtant, l encore, ce nest pas ncessairement de bon augure pour la

    notion juridique de service public industriel et commercial

    En effet, si globalement la prennit dune notion franaise de service public nest

    plus aujourdhui vritablement perue comme tant menace par le droit

    communautaire, force est de constater que la construction dune notion europenne de

    service dintrt conomique gnral est prsente par certains juristes comme arrivant

    au secours dune notion juridique de service public industriel et commercial juge

    dfaillante en droit administratif franais17

    . Les dveloppements du droit

    13

    - J.-F. LACHAUME, Actualit des conclusions de Matter , article prcit notre note 3, p. 6. 14

    - Selon la formule issue du Rapport public du Conseil dEtat pour 1994, Service public, services publics :

    dclin ou renouveau, Paris, La Documentation franaise, EDCE n 46, 1995, p. 38. 15

    - M. VOISSET, Le service public autrement. De quelques effets du droit communautaire sur le droit franais

    des services publics industriels et commerciaux , RFDA 1995.305. 16

    - V. par exemples Y. GAUDEMET, Le service public lpreuve de lEurope : vrais et faux procs ,

    Mlanges B. Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 480, ou encore J.-F. LACHAUME, Service public, service

    dintrt conomique gnral, service universel : une mutation communautaire ? , in Lavenir des missions de

    service public en Europe, H. PAULIAT (dir.), PULIM, 1999, p. 26. 17

    - V. A.-S. MESCHERIAKOFF, SPIC locaux et droit communautaire , in Services publics industriels et

    commerciaux : questions actuelles, op. cit. notre note 3, p. 19 : Le droit europen a donc contribu non

    seulement la cohrence conceptuelle de la notion de SPIC, mais galement une meilleure dtermination de

  • 5

    communautaire lui auraient fait prendre un vritable bain de jouvence 18

    , aboutissant

    au renforcement de la notion 19

    . Cette notion parat donc quelque peu retrouver, dans

    le discours juridique, sinon sa, du moins une raison dtre20

    . Nanmoins, si elle semble

    ainsi reprendre actuellement sens et intrt aux yeux de certains, cest parce quelle est

    perue sortir remodele21

    de sa confrontation avec les impratifs du droit

    communautaire. Autant dire alors que la nouvelle approche ne marque pas un

    renoncement au discours juridique tenu jusque l et visant dnoncer son inconsistance

    et son incohrence ! Au contraire, pourrait-on dire, celui-ci se trouve par l mme,

    dune certaine manire, confort et valid

    Au demeurant, et pour de plus en plus de juristes, le sort de la notion juridique de

    service public industriel et commercial parat en ralit dores et dj scell, tout

    comme celui dune distinction des services publics administratifs et des services publics

    industriels et commerciaux. De mme que lmergence dun vocabulaire en droit

    communautaire a pu quasiment conduire D. TRUCHET renoncer lexpression de

    service public pour lui prfrer celle de service dintrt gnral 22

    , ladoption des

    distinctions formules par le droit communautaire ne sera certainement pas sans

    consquence pour la notion juridique de service public industriel et commercial. Pour S.

    son rgime juridique et B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, qui compte

    tenu de la proximit conceptuelle , envisageait, en consquence, la re-constitution dune dualit des services

    publics , suggrant un retour aux sources dune distinction franaise SPA-SPIC (p. 421). 18

    - Le droit europen donne ainsi un "coup de jeune" notre thorie du SPIC qui parat vieille avant davoir

    t adulte , concluait A.-S. MESCHERIAKOFF dans son article prcit notre note prcdente ( SPIC locaux et droit

    communautaire , p. 28) ; le droit communautaire allait lui donner un sacr coup de jeune , expliquait J.-F.

    LACHAUME ( Actualit des conclusions de Matter , article prcit notre note 3, p. 10). 19

    - J.-B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles, op.

    cit. notre note 3, p. 13. 20

    - Selon que lon considre quil sagit dun salutaire retour aux sources de la notion (la parent

    dinspiration librale mise en vidence entre la philosophie des conclusions du commissaire du gouvernement P.

    MATTER sur la dcision Bac dEloka TC 22 janvier 1921 Colonie de la Cte dIvoire c/ Socit commerciale

    de lOuest africain et celle de larticle 86 2 du Trait CE / nouvel article 106-2 du TFUE), ou dune salutaire

    correction dune notion franaise juge incohrente parce que signifiant que lintrt gnral doit tre

    satisfait selon des moyens conus pour la ralisation des intrts particuliers (le droit communautaire fait

    apparatre que le service public industriel et commercial est une activit industrielle et commerciale affecte de

    contraintes dintrt gnral). 21

    - La conception du service dintrt conomique gnral, explique A.-S. MESCHERIAKOFF ( SPIC locaux et

    droit communautaire , article prcit notre note 17), va pouvoir servir de modle celle du service

    public industriel et commercial. 22

    - D. TRUCHET, Renoncer lexpression service public , AJDA 2008.553, et en raction : G. MARCOU,

    Maintenir lexpression et la notion de service public , AJDA 2008.833, ainsi que G. J. GUGLIELMI et G.

    KOUBI, Le droit, comme la langue, vit dans la conscience populaire , AJDA 2008.1169 et M. LOMBARD,

    Mots et valeurs du service public , AJDA 2008.1225. Mais D. TRUCHET a pour linstant ! renonc

    renoncer : v. son Droit administratif, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2008, p. 321 : Nous navons pas

    os franchir le pas () par fidlit au vocabulaire, vieilli mais traditionnel, qui est encore celui de la lgislation

    et de la jurisprudence. Pour combien de temps ? Cependant, v. le choix de lintitul du Chapitre II de sa

    Cinquime Partie : Le service public (Le service dintrt gnral)

  • 6

    BRACONNIER, le droit communautaire promeut une conception du service public qui,

    sans remettre en cause les fondements dgags par le droit franais depuis des

    dcennies, contribue redessiner les frontires tablies entre les diverses activits

    dintrt gnral, au point dencourager lmergence dune nouvelle typologie du

    service public : une nouvelle distinction se substitue celle, obsolte , des services

    publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux23

    . Pour S.

    BOUSSARD, la jurisprudence du Conseil dEtat Ordre des avocats au barreau de Paris

    en date du 31 mai 200624

    suggrait dj, littralement , labandon de la

    catgorie des services publics industriels et commerciaux pour lui substituer une autre

    catgorie, lactivit conomique exerce dans un intrt public, laquelle voque la

    notion communautaire de service dintrt conomique gnral 25

    . Derrire la question

    du vocabulaire, la disparition annonce de la notion de service public industriel et

    commercial impliquerait que les activits conomiques dintrt gnral des personnes

    publiques ne soient plus ligibles au titre dune qualification juridique de service

    public ! Evolution ou rvolution ? La notion juridique de service public industriel et

    commercial ne serait-elle pas, par essence, un instrument juridique capable de rpondre

    aux mutations quimplique le droit communautaire ? Seul un retour sur llaboration

    dune notion juridique de service public industriel et commercial pourrait apporter des

    lments de rponse Assurment la lecture des lments constitutifs dun discours

    contemporain offre des perspectives pour une nouvelle recherche juridique (I.) en lui

    dictant son objet et sa mthode (II.).

    23

    - S. BRACONNIER, Droit des services publics, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2e d., 2007, p. 241.

    24 - RFDA 2006.1048, concl. D. CASAS ; AJDA 2006.1584, chron. C. LANDAIS et F. LENICA ; JCP/A 2006.113,

    note F. LINDITCH. 25

    - S. BOUSSARD, Lclatement des catgories de service public et la rsurgence du "service public par

    nature" , RFDA 2008.43.

  • 7

    I. LECTURE DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DUN DISCOURS CONTEMPORAIN

    - Les enjeux dune nouvelle recherche juridique -

    La notion de service public industriel et commercial a-t-elle un avenir en droit

    administratif franais ? Depuis les annes 1920, et peut-tre mme ds linstant o le

    vocable est apparu formul en toutes lettres dans la jurisprudence du Conseil dEtat26

    ,

    cette question na cess dtre pose par les juristes27

    . Il semble, lire les

    dveloppements dun discours contemporain, quelle pourrait bien finir par ne plus se

    poser du tout, ou ne plus tre pose. Ltat des lieux dun discours tenu entre

    permanence (1-), renouveau (2-) et perspectives offertes par une mutation (3-)

    dmontre lenvi lintrt de sattacher nouveau cette question.

    1- Permanence

    Des difficults existentielles rcurrentes

    Lide a toujours t forte de se dfaire de cette catgorie juridique, considre ici

    comme une erreur majeure de notre droit administratif 28

    , juge l ni trs glorieuse,

    ni trs enrichissante pour lesprit 29

    , voire foncirement dtestable 30

    ou encore

    tellement nfaste 31

    , dune hrdit incertaine, associant contre nature service

    public et mthodes du secteur priv, lui [ayant] valu demble une constitution

    dbile 32

    . Rpute ne, plus ou moins directement, la suite dun naufrage, celui du

    26

    - Il est permis de considrer que le commissaire du gouvernement RIVET cartait ab initio lintrt dune

    notion de service public industriel et commercial dans ses conclusions sur laffaire Robert Lafrgeyre juge par

    le Conseil dEtat le 26 janvier 1923 (RDP 1923 p. 237), alors mme que le Conseil dEtat y avait fait

    expressment rfrence dans sa dcision du 23 dcembre 1921 Socit gnrale darmement (RDP 1922 p.74). 27

    - B. SEILLER, il y a peu, posait encore la question : Quatre-vingts ans aprs son laboration, la jurisprudence

    du Bac dEloka () a-t-elle encore un avenir ? Est-il encore possible de prsenter le droit des services publics

    comme clat entre les services publics administratifs, qui seraient soumis au droit administratif et au juge du

    mme nom et les services publics industriels et commerciaux relevant le plus souvent du droit priv et du juge

    judiciaire ? (Droit administratif, 2. Laction administrative, Flammarion, coll. ChampsUniversit/Droit , n

    3056, 2e d, 2005, p. 303).

    28 - P. WEIL, Le critre du contrat administratif en crise , Mlanges offerts Marcel Waline, Paris, LGDJ,

    1974, tome II, p. 837. 29

    - M. WALINE, note sous TC 22 janvier 1955, Naliato, RDP 1955, p. 716. 30

    - F.-P. BENOIT, note sous CCass. 30 octobre 1957, Veuve Radux c/ Ville dAsnires, JCP 1958-II-10418 (bis). 31

    - J. LEMASURIER, A propos de service public des Postes et Tlcommunication. Rflexions sur la distinction

    des services publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux , AJDA 1969 p. 149. 32

    - B. SEILLER, Droit administratif, 2. Laction administrative, op. cit. notre note 27, p. 303.

  • 8

    Bac dEloka33

    , elle est suspecte den avoir provoqu son tour un autre, celui de tout

    un droit administratif34

    .

    Globalement, et sans entrer ds prsent dans les dtails, trois types darguments

    ont t opposs la constitution dune catgorie juridique de service public caractre

    industriel et commercial :

    ces services tant objet conomique , ils ont t rputs, en raison dune certaine

    conception des attributions de lEtat, de nature prive ; ils ne pouvaient tre en

    consquence qualifis de services publics .

    ces services ne pouvaient tre considrs comme de vritables services publics en

    raison dune certaine systmatisation associant service public et droit

    administratif , puisque ces services restaient dans une large mesure soumis aux rgles

    du droit priv.

    en consquence de ladoption dune conception unitaire de la notion de service public,

    ces services ont t rputs tre des services publics comme les autres , soumis un

    mme rgime juridique ; ils ne pouvaient donc constituer en aucune faon une catgorie

    juridique spcifique de service public.

    Force est de constater quaujourdhui encore, en dpit des controverses, non

    seulement une notion de service public industriel et commercial demeure toujours une

    ralit du droit positif, mais quen outre cette ralit reste perue comme tant

    problmatique. Dun ct, pourrait-on dire, des juges et des textes35

    continuent

    qualifier des services de service public industriel et commercial pour en tirer un

    certain nombre de consquences juridiques. Une Union nationale des services publics

    industriels et commerciaux (UNSPIC) sest mme constitue et semble bien participer

    33

    - TC 22 janvier 1921, Socit commerciale de lOuest africain (arrt dit du Bac dEloka ), D. 1921-3-1, concl.

    P. MATTER. 34

    - Cest tout le sens de cette crmonie commmorative du cinquantenaire de larrt Socit commerciale de

    lOuest africain relate par A.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du Bac dEloka. Lgende et ralit dune gestion

    prive de la puissance publique , RDP 1988.1059) au cours de laquelle les professeurs de droit en poste

    Abidjan ont immerg un vieux manuel de droit administratif lendroit mme o le naufrage du Bac dEloka

    avait eu lieu. 35

    - Certains textes qualifient une activit de service public industriel et commercial (par exemple larticle L.

    2224-11 du Code gnral des collectivits territoriales pour les services publics dassainissement qui doivent tre

    financirement grs comme des services publics caractre industriel et commercial ), dautres qualifient

    une entit (par exemple article 10 de la loi du 1er

    aot 2003 dorientation et de programmation pour la ville et la

    rnovation urbaine qualifiant de tel lAgence Nationale pour la rnovation urbaine), dautres enfin se rfrent

    expressment la catgorie juridique (par exemple larticle L 2221-1 du Code gnral des collectivits

    territoriales propos des rgies locales), mme si la tendance est plutt lindistinction dans les textes, comme

    la mis en vidence B. SEILLER ( Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 420).

  • 9

    au processus de formation du droit36

    . De lautre, faisant face, et tout en prenant acte de

    cette ralit, des juristes prsentent toujours des analyses mettant en vidence une

    notion insaisissable, inconsistante, fluctuante, complexe dans le rgime juridique quelle

    engendre, et finalement dune toute relative valeur opratoire37

    . Les efforts dune

    critique paraissent avoir t vains et la situation semble quelque peu bloque . Telle

    quelle est perue par le discours juridique, cette notion de service public industriel et

    commercial ressort moribonde. Nanmoins elle subsiste. Il faudrait pouvoir

    lexpliquer Et sil y a l le symptme de ce qui pourrait tre un dcalage entre le droit

    tel quil est et le droit tel quil devrait tre ou tel quil est peru, il faudrait pouvoir en

    comprendre les mcanismes !

    a/ Ralit du droit positif, le service public industriel et commercial prsente

    toutes les caractristiques dune notion, au sens o lentendait par exemple F.-P.

    BENOIT, savoir un outil qui permet doprer des "qualifications" en vue de procder

    "limputation" de rgimes juridiques dtermins , un outil permettant de qualifier

    des faits, cest dire de les faire rentrer dans une catgorie connue et rpertorie,

    laquelle ces faits paraissent correspondre et, en consquence, de leur dclarer applicable

    le rgime juridique tabli pour cette catgorie 38

    . Si des qualifications textuelles

    existent, cette opration est principalement conduite par les juges39

    . Depuis 195640

    , et

    36

    - Il existe une Union nationale des services publics industriels et commerciaux qui est intervenue par exemples

    auprs du Haut Conseil du secteur public dans le cadre de la rgulation des services publics (v. S. BRACONNIER,

    La rgulation des services publics , RFDA 2001.52) ou auprs des parlementaires dans le cadre de la

    rdaction de Rapports sur les projets ou propositions de loi notamment en matire locale. Elle est lorigine

    galement de la dcision du Conseil dEtat (Ass.) en date du 5 mars 2003 UNSPIC publie au Lebon (JCP/A

    2003.1322 ; AJDA 2003.722). Constitue au dbut de 1986, elle regroupe des syndicats professionnels qui

    rassemblent leur tour de grandes entreprises prives (comme la Compagnie gnrale des eaux) qui prennent en

    charge les services publics locaux dans les secteurs de la distribution de leau, du retraitement des dchets, du

    ramassage des ordures mnagres Cette Union a pour objet de promouvoir les services publics industriels et

    commerciaux grs par le secteur priv , ou encore convaincre le politique que la gestion de ces services

    publics est la vocation des entreprises prives (v. R. HERTZOG, P. HEITZ, T. SCHMITT et G. SIAT, Grands

    services publics locaux , Annuaire des collectivits locales, t. 6, 1986, p. 247, et notamment p. 258). 37

    - B. SEILLER indiquait quen raison de la complexit de la matire , pour le seul premier semestre 2004,

    cette distinction tait en cause dans un tiers des arrts rendus par le Tribunal des conflits ( Lrosion de la

    distinction , article prcit notre note 8, p. 418). En entreprenant, fin 2009, une recherche rapide sur le site

    Internet du Conseil dEtat partir de lexpression service public industriel et commercial , il est permis

    dobserver que cette inflation se confirme dans la jurisprudence du Tribunal des conflits. Depuis la dcision Bac

    dEloka de 1921, au total 150 dcisions ont t rendues par la Haute juridiction paritaire (95 ont t publies au

    Recueil Lebon) dont 58 depuis 2004 (source : Lgifrance.gouv.fr) ! 38

    - F.-P. BENOIT, Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leons de la philosophie

    du droit de Hegel , Mlanges en lhonneur du professeur Gustave Peiser, PUG, 1995, p. 27. 39

    - Cette qualification est en ralit systmatique en dehors de toute qualification lgislative expresse, le juge

    nhsitant pas requalifier le caractre dun service ou dun tablissement public fix par dcret sil considre

    quil ne correspond pas lactivit relle de celui-ci, v. notamment : TC 24 juin 1968 Socit Distilleries

    Bretonnes et Socit dapprovisionnements alimentaires (2 arrts), Rec. p. 801, concl. GEGOUT ; AJDA 1969 p.

    311, note A. de LAUBADERE ; D. 1969 p. 117, note J. CHEVALLIER ; JCP 1969-II- 15 764, concl. GEGOUT, note

  • 10

    suite un effort de systmatisation du juge administratif crivait P. SANDEVOIR41

    ,

    les composants, toujours actuels, dun critre jurisprudentiel didentification du service

    public industriel et commercial ont t poss : un service public est reconnu comme

    tant caractre industriel et commercial par les juridictions si, au point de vue de

    son objet, de lorigine de ses ressources et de ses modalits de fonctionnement42

    , il

    ressemble une entreprise prive43

    . Jusqu il y a peu, il suffisait quil en diffre

    lun de ces trois points de vue pour quil soit tenu pour administratif, tout service public

    tant prsum administratif , quil soit gr par une personne publique ou par une

    personne prive44

    . La qualification "industriel et commercial" dun service public

    emporte des consquences juridiques importantes, qui font dailleurs tout lintrt dune

    distinction au sein des services publics : les relations juridiques qui stablissent entre

    les services publics industriels et commerciaux et les usagers, le personnel et les tiers

    sont en principe rputes tre rgies par le droit priv et leur contentieux relever en

    consquence de la comptence du juge judiciaire, la diffrence des services publics

    administratifs.

    Reste quen premire analyse, par-del cette mcanique somme toute assez

    simple, cest labsence, mme encore lheure actuelle, de critre sr

    J. DUFAU ( propos du FORMA) ; TC 26 octobre 1987 Centre franais du commerce extrieur, JCP 1988-

    21042, note J. DUFAU ; TC 19 fvrier 1990 Espie, AJDA 1990 p. 468, concl. B. STIRN. 40

    - CE (Ass.) 16 novembre 1956 Union syndicale des industries aronautiques, Rec p. 434, AJDA 1956 p. 489,

    chron. J. FOURNIER et G. BRAIBANT, D. 1956 p. 759, concl. P. LAURENT, JCP 1957-II-9968 note C. BLAEVOET,

    S. 1957 p. 38, concl. LAURENT. 41

    - P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion de service public industriel et commercial , Mlanges

    Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 323. 42

    - Trois conditions cumulatives, comme le prsente clairement le Conseil dEtat dans son avis du 20 octobre

    2000 (AJDA 2001 p. 394, avec les conclusions du commissaire du gouvernement D. CHAUVAUX rappelant que

    les trois conditions doivent se trouver remplies simultanment ), relatives sa comparabilit avec une

    activit prive commerciale selon la formule de J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT (Grands services

    publics, coll. U, Armand Colin, 2e dition 2000, p. 58). Mais depuis la jurisprudence du Tribunal des conflits du

    21 mars 2005 Mme Alberti-Scott (RFDA 2006.119 avec la note de J.-F. LACHAUME, Lidentification dun

    service public industriel et commercial : la neutralisation du critre fond sur les modalits de gestion du

    service ), la question se pose de savoir si une volution nest pas en cours, volution que confirmerait du reste

    la dcision du Conseil dEtat du 19 fvrier 2009 Mlle Beaufils et autres, prcite notre note 12. Lide se fait jour

    que le critre tir de lobjet de lactivit primerait sur les deux autres (v. dans le mme sens L. JANICOT,

    Lidentification du service public gr par une personne prive , RFDA 2008.72 et la note 44). 43

    - Selon la formule du commissaire du gouvernement BERTRAND, un service public nest industriel et

    commercial, quand il na pas t dfini comme tel par une loi, qu la triple condition que les oprations formant

    son activit soient identiques celles auxquelles se livrent ou pourraient se livrer des particuliers ou des

    entreprises prives, que son financement soit assur pour lessentiel par des recettes provenant des redevances

    verses par les usagers comme prix des prestations fournies, et quenfin sa gestion soit assure selon les rgles

    du droit priv (concl. sur CE 26 janvier 1968, Dame Maron, AJDA 1968 p. 293). 44

    - On ne trouve pas crivaient J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT une prsomption inverse selon

    laquelle tout service public gr par une personne prive serait rput industriel et commercial (Grands

    services publics, op. cit. notre note 42, p. 58), pour souligner limportance actuelle du phnomne de la gestion de

    service public administratif par des personnes prives.

  • 11

    didentification 45

    du service public industriel et commercial qui prsente une difficult

    majeure. Des qualifications textuelles coexistent avec des qualifications

    jurisprudentielles. Certains textes posent des qualifications contraires celles

    auxquelles aurait abouti la jurisprudence, ou encore envisagent des qualifications

    incertaines46

    . Dans le mme temps, des difficults et des doutes naissent de la mise en

    uvre du critre jurisprudentiel didentification qui, au fil du temps, sest diversifi et

    complexifi47

    . La mthode du faisceau dindices, si elle laisse une large libert

    dapprciation au juge, ne facilite pas la conceptualisation. Les trois conditions formant

    actuellement le critre didentification du service public industriel et commercial sont

    censes tre cumulatives, et pourtant des carts ont pu tre faits48

    . Au surplus, analyse

    45

    - P. ESPLUGAS, Le service public, Dalloz, coll. Connaissance du droit/Droit public , 1997, p. 64. 46

    - Il est rare quun texte qualifie expressment un service dtermin dindustriel et commercial. En revanche,

    ltablissement public charg de grer un ou plusieurs services publics fait souvent lobjet dune qualification par

    le texte linstituant. Il serait somme toute assez logique de sattendre ce que la qualification donne sinspire de

    la nature du service public gr, ce qui permettrait de dduire de cette qualification textuelle le caractre

    administratif ou industriel et commercial du service. Sil arrive quil en soit ainsi, la concidence est loin dtre

    systmatique. Sans compter les hypothses o les textes sabstiennent de toute qualification et celles o

    ltablissement public est charg la fois dun service public administratif et dun service public industriel et

    commercial (hypothse dite des tablissements publics double visage ), auxquels peuvent sajouter des

    activits qui ne prsentent pas un caractre de service public, certains tablissements publics qualifis d

    "industriels et commerciaux" par un texte dorigine lgislative ou rglementaire savrent grer un service public

    qui serait qualifi d "administratif " par le juge et inversement (hypothse des tablissements publics visage

    invers ). De nombreux juristes ont dailleurs soulign lattitude opportuniste de lautorit lgislative ou

    rglementaire instituant ltablissement public : la qualification d "industriel et commercial" dun tablissement

    public dcoulait davantage de la volont dchapper aux contraintes juridiques dune gestion administrative

    que de la nature du service public gr. Il y a l de quoi enrichir, considrait B. SEILLER la tratologie

    juridique de biens despces effrayantes ( Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p.

    420). V. en outre sur ces points notamment P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article prcit

    notre note 41, p. 317 et s. ; D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, Litec,

    2e dition, 1992, p. 70, n 115 et J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit.

    notre note 42, p. 57. 47

    - V. les analyses de J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note

    42, p. 53-57 et, entre autres, les Thses de C. BURON, La distinction entre les services publics administratifs et

    les services publics industriels et commerciaux, Thse dactylographie, Universit dOrlans, 1971, 2 tomes

    (518 pages) et de E. GOUGUIA, Lambigut de la distinction SPA/SPIC, Thse dactylographie, Universit de

    Caen, 1990 (442 pages). 48

    - En plus de ce qui a dj t dit sur une volution actuellement constate (primaut du critre tir de lobjet :

    v. notre note 42), parfois remarque-t-on que labsence de lune des trois conditions nempche pas de faire tomber

    la prsomption dadministrativit de service. Ainsi, quant la condition relative au mode de financement du

    service qui suppose que le service public industriel trouve les ressources ncessaires son fonctionnement dans

    les redevances payes par les usagers en contrepartie de la prestation assure, J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et

    H. PAULIAT constatent quil existe, ils sont trs rares, quelques SPIC gratuits (), et de nombreux SPA pour

    lesquels les usagers, ou tout au moins certains dentre eux, acquittent des redevances en contrepartie du service

    () (Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 60) et expliquent que le mode de fonctionnement nest

    quun seul lment pris en considration par le juge parmi dautres et, lui seul, il nest pas dterminant . De

    la mme faon, R. CHAPUS (Droit administratif gnral, tome I, Montchrestien, Prcis Domat/Droit public,

    2000, 14e d.) relve quen principe un service public assur en rgie par une personne publique est prsum

    administratif, mais que parfois le caractre industriel ou commercial est reconnu par le juge alors mme que le

    service public est exploit en rgie. Lexplication avance ne peut tre que de la mme nature que celle prsente

    par J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT : sil y a doute, il profite la prsomption. Il y a l un facteur

    intressant de simplification de diagnostic. Mais lorsquil ny a pas matire douter, la gestion en rgie ne

  • 12

    une une, chacune des trois conditions est susceptible de soulever un problme

    dinterprtation, pouvant donner lieu des conclusions divergentes selon le juge qui

    entreprend la qualification.

    Tous ces problmes tenant lidentification du service public industriel et

    commercial rendent trs incertaines les frontires de cette catgorie 49

    . Le cadre des

    difficults inhrentes toute opration de qualification est dpass : loutil lui-mme est

    peru comme tant fuyant. La conclusion tombe dune seule et mme voix : une activit

    de service public peut, selon les poques, ou au cours dune mme priode, dune

    collectivit publique lautre, tre dclare soit administrative, soit industrielle et

    commerciale. En droit franais, les textes et la jurisprudence semblent bien faire preuve

    de cette agilit faire passer une activit de la catgorie du service public

    administratif celle du service public industriel et commercial, ou inversement 50

    . Il

    est permis de se rsigner et de se contenter () de dresser des listes dexemples sans

    la moindre prtention de parvenir une tude exhaustive 51

    . Sophie NICINSKI52

    prsente ainsi une typologie reprsentative de lensemble des incertitudes et des

    fluctuations : On distinguera trois types de services. Les premiers ont toujours t

    considrs comme industriels et commerciaux, sauf exception53

    . Les seconds sont tantt

    considrs comme industriels et commerciaux, tantt comme administratifs, en vertu

    dune analyse au cas par cas de leur objet, de leurs modalits de fonctionnement ou de

    saurait tre une contre-indication la qualification de service industriel et commercial (Grands services

    publics, op. cit. notre note 42, p. 588). Pourtant, parfois, la rationalit ne parat tre daucun secours : lorsquun

    service bnficie dun monopole lgal, on devrait estimer que ses modalits de fonctionnement lui impriment un

    caractre administratif. [Or] la jurisprudence ne fait pas dun tel monopole une contre-indication du caractre

    industriel et commercial du service. On aimerait savoir pourquoi (ibidem, p. 588). Dautres juristes ont pu

    estimer que lexistence dun monopole empchait de considrer que, du point de vue son objet, le service en

    question pouvait tre comparable celui dune activit prive, ce qui ne manque pas de poser dautres

    problmes 49

    - Formule emprunte D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, op.

    cit. notre note 46, p. 67. 50

    - L. DUBOUIS, Le service public et la construction communautaire , RFDA (2) mars-avril 1995, p. 292. Et

    sans voquer cette hypothse envisage par J.-F. LACHAUME du Service public double visage : On est en

    droit de se demander aujourdhui sil nexiste pas des hypothses dans lesquelles un mme service public

    appartiendrait simultanment [ la catgorie des services publics administratifs et la catgorie des services

    publics industriels et commerciaux] pour le mme service public, dpendant de la mme autorit organisatrice

    et cela sur une mme priode, en raison de deux modes de rmunrations adopts selon les usagers ( Brves

    remarques sur les services publics double visage , RFDA 2003.662). 51

    - P. SANDEVOIR, ( Les vicissitudes de la notion , article prcit notre note 41, p. 317) le constatait dj,

    tout comme le font aujourdhui J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT (Grands services publics, op. cit.

    notre note 42, p. 59). 52

    - S. NICINSKI, Lusager du service public industriel et commercial, Prface Laurent RICHER, Paris,

    LHarmattan, coll. Logiques juridiques , 2001, p. 2, n 4. 53

    - Rentreraient dans ce type de service public industriel et commercial, selon lauteur, notamment la

    distribution dlectricit et de gaz, les transports ferroviaires, les abattoirs, lexploitation des halles et marchs,

    ladministration des monnaies et mdailles

  • 13

    la provenance de leurs ressources. Le juge opre au coup par coup, sans que lon puisse

    discerner dans le temps de grands revirements jurisprudentiels54

    . Les troisimes sont

    ceux qui ont fait lobjet de nets revirements de jurisprudence, ou dont la nature a t

    dfinitivement fixe par une loi 55

    .

    Le droit positif distingue nettement des services publics industriels et

    commerciaux et des services publics administratifs, et exclusivement ces services56

    . Des

    consquences juridiques opposes en dcoulent. Il faudrait donc pouvoir clairement les

    identifier pour les distinguer. Le caractre administratif se prsume, le caractre

    industriel et commercial juridiquement se recherche. Tout le jeu de la prsomption

    consiste faire reposer la distinction sur la dtermination du caractre industriel et

    commercial du service. Or cette recherche savre complexe. Ces difficults nourrissent

    une critique lgard de la notion de service public industriel et commercial qui parat

    peu homogne et bien insaisissable. En fin de compte, cest un problme de dfinition

    des frontires qui se pose.

    54

    - Essentiellement en raison des modalits de fonctionnement ou de lorigine des ressources dailleurs ! Les

    bacs et passages deau pour S. NICINSKI seraient un service public industriel et commercial de ce type, dautres

    considreront quils sont dfinitivement administratifs , soit pour marquer que le juge a remis en cause la

    notion de service public industriel et commercial sur le terrain mme o elle avait vu le jour larrt dit du Bac

    dEloka , soit simplement pour indiquer quil y a dsormais un SPIC de moins (Cour Suprme de Cte

    dIvoire, 14 janvier 1970, Socit des Centaures routiers, AJDA 1970 p. 560, rapport BERNARD ; TA Poitiers 7

    juin 1972, Denoyez, D. 1974, p. 29 ; CE 10 mai 1974 Denoyez et Chorques, AJDA 1974, p. 298, RDP 1975, p.

    467, RA 1974, p. 440, D. 1975, p. 393 ; TC 15 octobre 1973 Barbou, AJDA 1974, p. 94, JCP 1975-II-18045, D.

    1975, p. 185 ; CE 10 juillet 1989 Rgie dpartementale des passages deau de la Charente-Maritime RFDA

    1991, p. 180). Lenlvement des ordures mnagres, lexploitation dune piscine ou dun camping municipal

    sont les types mmes de ces services publics soumis au cas dune analyse minutieuse. 55

    - Cest notamment le cas des services des postes et tlcommunications, autrefois qualifis dadministratifs (V.

    TC 24 juin 1968 Ursot, Rec. p. 797 ; JCP 1968-II-15 646 concl. GEGOUT, note J. DUFAU ; D. 1969, p. 416, note

    J. du BOIS DE GAUDUSSON ; J. LEMASURIER, A propos de service public des postes et tlcommunications.

    Rflexions sur la distinction des services publics administratifs et les services publics industriels et

    commerciaux , AJDA 1969, p. 139), et qui aujourdhui sont considrs comme tant industriels et

    commerciaux en raison de la loi du 2 juillet 1990 (Loi n 90-568 du 2 juillet 1990, JO du 8 juillet 1990

    modifie par la loi n 660 du 26 juillet 1996) qui soumet au droit priv les relations des exploitants publics

    avec leurs usagers, leurs fournisseurs et les tiers, qui donne comptence au juge judiciaire pour connatre de ces

    litiges sauf ceux relevant par leur nature du juge administratif (art. 25), et qui soumet leur comptabilit aux

    mmes rgles que celles applicables aux entreprises de commerce (art. 15). Rentre galement dans ce type de

    service public industriel et commercial, le service extrieur des pompes funbres (Avis CE, section de lintrieur,

    19 dcembre 1995, n 135 102, EDCE n 47, p. 427). 56

    - Cest, pour reprendre la formule de R. CHAPUS (Droit administratif gnral, op. cit. notre note 48, p. 59),

    toute l exhaustivit de la distinction des services publics administratifs et des services publics industriels et

    commerciaux que consacre le Tribunal des conflits en abandonnant la jurisprudence Naliato (TC 29 janvier

    1955, Rec. p. 614 ; D. 1956, p. 58 note C. EISENMANN ; DA 1955, p. 53, concl. J. CHARDEAU ; RDP 1955, p.

    716, note M. WALINE). V. TC 4 juillet 1983, Gambini, Rec. p. 540 ; JCP 1984, n 20 275, concl. D.

    LABETOULLE ; RDP 1983, p. 1381, note J. M. AUBY.

  • 14

    b/ Lopposition entre ce qui est administratif et ce qui est industriel et

    commercial est juge fort artificielle57

    . Ce que lanalyse du droit positif met en

    vidence lorsquil est conclu au flou, lambigut de la distinction des services publics

    administratifs et des services publics industriels et commerciaux, cest labsence dune

    diffrenciation objective. On saperoit nettement crivait J.-F. LACHAUME, quil

    nexiste pas ou pratiquement pas objectivement des SPIC et des SPA 58

    . La

    distinction ne concerne pas les activits en soi 59

    : il ny a pas dactivits par nature

    administratives ou industrielles ou commerciales60

    . Cest dj prendre le contre-pied des

    conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER sur larrt Bac dEloka,

    perues pourtant traditionnellement comme tant lorigine de cette distinction et de

    linvention de la notion de service public industriel et commercial61

    .

    Si une distinction, en tant quelle tmoigne dune volont dexplication des

    solutions juridictionnelles, existe indpendamment des notions distingues en elles-

    mmes, essentiellement de par les fonctions quelle assure 62

    , force est de constater que

    dans le discours actuel, cette fonction nest plus trs bien perue, et tout le moins nest

    plus perue comme tant celle dune diffrenciation objective faite au sein des activits

    de services publics. Une activit qui serait par nature industrielle ou commerciale peut

    tre qualifie de service public administratif ou de service public industriel et

    commercial en raison du type de la gestion adopte. En mme temps, certains services

    57

    - G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, Droit administratif, Armand Colin, coll. U, 7e d., 2000, p. 427.

    58 - J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 60.

    59 - G. J. GUGLIELMI, G. KOUBI, Droit du service public, op. cit. notre note 6, n 190, p. 76.

    60 - Ctait dj la position de F.-P. BENOIT qui ajoutait que ni les activits, ni les services, nont de nature par

    eux-mmes. Il nexiste donc aucun service qui par sa nature soit, objectivement, industriel ou commercial (Le

    droit administratif franais, Dalloz 1968, n 1500, p. 798). 61

    - Certains services sont de la nature, de lessence mme de lEtat ou de ladministration publique ; il est

    ncessaire que le principe de la sparation des pouvoirs en garantisse le plein exercice, et leur contentieux sera

    de la comptence administrative. Dautres services, au contraire, sont de nature prive, et sils sont entrepris par

    lEtat, ce nest quoccasionnellement, accidentellement, parce que nul particulier ne sen est charg, et quil

    importe de les assurer dans un intrt gnral ; les contestations que soulve leur exploitation ressortissent

    naturellement de la juridiction de droit commun . (Extrait des conclusions MATTER sur TC 22 janvier 1921

    Socit commerciale de lOuest africain, Rec. p. 91, D. 1921-3-1 et S. 1924-3-34). 62

    - M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine dans llaboration du droit de la responsabilit administrative,

    Paris, LGDJ, BDP tome 171, 1994, p. 517 : Si ltablissement de la distinction est exclusivement doctrinal, les

    concepts dont la distinction spcifie les divers sens sont incontestablement crs par le juge dans la recherche des

    solutions juridictionnelles. Ce qui nimplique pas pour autant que le juge sattache dfinir ncessairement les-

    dits concepts. Il les utilise certes, mais souvent sans sinterroger sur les notions et les dfinitions quils

    supposent. Conus fonctionnellement pour rsoudre des litiges, le juge ne cherche pas lessence des concepts, et

    le plus souvent ne donne pas leur dfinition (). Il revient alors la doctrine de prciser les dfinitions afin

    dexprimer lessence dune notion ou dun concept. Mais cette tape relve de la conceptualisation qui est

    totalement absente de ltablissement des distinctions. En effet, la rflexion doctrinale oppose un sens un

    autre, mieux une fonction de la notion une autre, sans chercher dfinir la notion en elle-mme (p. 516,

    souligns par nous).

  • 15

    publics ne sont commerciaux que de nom, afin dtre soustraits aux contraintes de

    puissance publique inhrentes au rgime des services administratifs 63

    . Autrement dit,

    des activits administratives dintrt gnral sont qualifies de service public industriel

    et commercial, tandis que des activits industrielles ou commerciales dintrt gnral

    peuvent tre qualifies de service public administratif.

    A tout le moins, cette ambigut conceptuelle de la distinction des deux catgories

    de services publics pourrait ventuellement [tre] tolrable si, dun autre ct,

    concrtement elle favorisait une identification simple du rgime juridique

    applicable 64

    . Or, il nen est rien. La dtermination du caractre du service public ne

    suffit pas tablir le droit applicable ce dernier. Autrement dit, sur le plan de lanalyse

    du rgime juridique, des difficults subsistent galement65

    . Idalement, le rattachement

    dun service public lune des deux catgories emporte lapplication dun rgime

    juridique prtabli, lun constitu en majorit de rgles de droit public, lautre constitu

    en majorit de rgles de droit priv66

    . La distinction du service public administratif

    et du service public industriel et commercial renvoie limage dune distinction droit

    public/droit priv au sein dune notion fdrative de service public . Limage est

    nanmoins floue et la reprsentation demeure imparfaite puisque les services publics

    industriels et commerciaux ne sont pas entirement soumis au droit priv et que les

    services publics administratifs ne sont pas non plus entirement rgis par le droit

    public67

    . Service public administratif et service public industriel et commercial relvent

    tous deux dun rgime mixte. Seule la part respective du droit public et celle du droit

    priv varie lintrieur de chacune des deux catgories. Si ltablissement dune

    distinction met en uvre () particulirement labstraction des cas despce, dans le

    but prcis dexpliquer une rgle en lopposant une autre et possde une vertu

    63

    - D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, op. cit. notre note 46, p. 70

    n 115 ; V. galement P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article prcit notre note 41, p. 329,

    relevant quun service dont lactivit nest pas en elle-mme industrielle et commerciale peut tre assimil la

    notion de SPIC ds lors que sa gestion diffre plus ou moins de la gestion administrative classique . 64

    - B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 419. 65

    - La notion a t et est encore prsente comme tant lune des causes de la crise de la notion de service

    public. V. J.-L. DE CORAIL, La crise de la notion juridique de service public en droit administratif franais,

    Prface de P. COUZINET, Paris, LGDJ, 1954 et J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services

    publics, op. cit. notre note 42, p. 64. 66

    - Cest la prsentation que fait par exemple D. LOSCHAK dans sa Thse de doctorat : les deux catgories de

    services sont soumises des rgimes juridiques opposs, notamment en matire de responsabilit, de contrats, ou

    de statut du personnel (Le rle politique du juge administratif franais, Paris, LGDJ, BDP tome CVII, 1972, p.

    147, soulign par nous). 67

    - V. J. LAMARQUE, Recherches sur lapplication du droit priv aux services publics administratifs, Paris,

    LGDJ, BDP tome XXV, 1960.

  • 16

    pdagogique, une fonction explicative 68

    , force est de constater que telle quelle ressort

    du discours, la distinction du service public administratif et du service public industriel

    et commercial ny parviendrait pas.

    Actuellement, pour le plus grand nombre, la distinction des services publics

    administratifs et des services publics industriels et commerciaux nest autre quune

    distinction de la gestion publique et de la gestion prive 69

    . A ct de lhypothse

    de lusage fait par ladministration de certains procds de droit priv loccasion de la

    gestion dun service public (la gestion prive des services publics ), certains services

    publics ont t considrs dans leur ensemble comme fonctionnant sous le rgime de

    la gestion prive 70

    (les services publics gestion prive ). Ds lors quau cas

    particulier de la gestion prive des services publics sest ajoute lhypothse des

    services publics gestion prive, il est possible denvisager la constitution dune

    distinction des services publics gestion publique qui peuvent avoir recours la

    gestion prive , et des services publics gestion prive . Dautres juristes,

    considrant que tous les services publics sont affects par une multiple privatisation71

    ,

    proposent de clarifier la diversit des rgimes juridiques en fonction des organes et de

    la nature des activits . Une certaine graduation stablit : chaque service public a

    son rgime propre fait de droit public et de droit priv mais, globalement, les services

    grs par des personnes publiques sopposent aux services grs par des personnes

    prives, plus nettement que les services administratifs aux services industriels et

    commerciaux 72

    .

    Jeu de la prsomption dadministrativit de toute activit de service public, il

    devrait revenir une notion de service public industriel et commercial le soin de

    68

    - M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine, op. cit. notre note 62, p. 515. 69

    - Cette assertion ne fait cependant pas lunanimit. Pour J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT,

    lappellation souvent utilise pour les SPIC et selon laquelle ils constituent des "services publics gestion

    prive" () doit tre utilise avec prudence car [les juges] ont clairement montr depuis une quarantaine

    dannes leur volont de ne pas soumettre intgralement au droit priv lorganisation et mme la gestion des

    SPIC. A vrai dire, le juge a limit en surface mais, lintrieur de cette surface, tendu en profondeur,

    lapplication du droit priv (Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 64). 70

    - Cest la prsentation faite notamment par les auteurs des Grands arrts de la jurisprudence administrative,

    loccasion de la prsentation de larrt dit Bac dEloka (par exemple la 12e d., 1999, n 39, p. 224) : avant

    1921 cette notion [de gestion prive] demeurait limite des oprations isoles, telles que la gestion du domaine

    priv ou la conclusion de certains contrats : nul naurait admis alors que des services entiers puissent tre

    considrs comme fonctionnant sous le rgime de la gestion prive. Linnovation fondamentale de larrt Socit

    commerciale de lOuest africain consiste prcisment dans lapplication de la notion de la gestion prive des

    services publics entiers, pris dans leur ensemble, en bloc . 71

    - G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, considrent en effet que la privatisation se prsente sous trois

    formes () : utilisation du droit priv, transfert de la gestion dun organisme public une association prive ou

    une socit commerciale, introduction de capitaux privs (Droit administratif, op. cit. notre note 57, p. 507).

  • 17

    marquer, au sein du service public, une dlimitation entre ce qui est administratif et

    ce qui est industriel et commercial . Or, la capacit dune notion de service

    public industriel et commercial tracer cette frontire apparat douteuse, et le sens

    dune distinction du service public administratif et du service public industriel et

    commercial napparat plus clairement. Du reste, cette notion de service public

    industriel et commercial, qui repose finalement sur une analogie du service public et de

    lentreprise prive, est de nature remettre en question cette distinction fondamentale

    faite en droit administratif entre ce qui constitue un service public et ce qui nen

    constitue pas un. Difficile en consquence de distinguer parmi les activits

    industrielles et commerciales, ce qui est service public et ce qui ne lest pas 73

    , ceci

    dautant plus que, par suite dune politique de diversification des activits des

    entreprises publiques, certaines entreprises de service public se sont trouves assurer

    galement des activits caractre purement industriel ou commercial74

    . Lide dune

    ressemblance du service public et de lentreprise prive quinduit une notion de service

    public industriel et commercial, perue comme tant dune efficacit et dune utilit

    douteuse dans le cadre dune distinction SPA/SPIC , savre cette fois dangereuse

    pour le maintien dune distinction du service public et de lentreprise qui ne constitue

    pas un service public. La question est pose : ne vaudrait-il pas mieux abandonner cette

    notion de service public industriel et commercial et renoncer toute distinction, qui ne

    serait du reste quartificielle, au sein dune notion de service public ?

    2- Renouveau

    La fin dune catgorie juridique ?

    Depuis vingt ans, un certain nombre de travaux mens sur un plan conceptuel

    donnent penser quune volution sest produite dans le discours juridique tenu. Tout

    dabord, dmarche pour le moins significative, sest gnralise une tendance la

    relecture des origines de la notion de service public industriel et commercial (a/).

    Ensuite, certaines tudes invitent considrer que le stade des difficults

    existentielles que connat cette notion doit tre dpass, certains publicistes nhsitant

    plus en quelque sorte dresser un constat de dcs son endroit (b/). Faut-il voir l

    72

    - G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. notre note 57, p. 508. 73

    - G. DUPUIS, M. J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. notre note 57, 8e dition, 2002, p. 503.

    74 - V. sur ce point les nombreux dveloppements de P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article

    prcit notre note 41, p.317 et s.

  • 18

    de nouvelles tentatives doctrinales pour sortir dune impasse ? Ny a-t-il pas l plus

    profondment des signes indiquant quune rupture sest produite ? Toujours est-il que,

    dans ce cadre, la question, pourtant bien rcurrente, de savoir si une notion de service

    public industriel et commercial peut avoir un quelconque avenir en droit administratif,

    pourrait bien ne plus se poser du tout !

    a/ Alors quil tait traditionnellement enseign depuis plusieurs dcennies que

    larrt Socit commerciale de lOuest africain, avait introduit en droit une notion de

    service public industriel et commercial en dcidant de soumettre un service public

    aux rgles du droit commun, provoquant ainsi une scission au sein du service public

    ou une division des services publics en deux catgories juridiques, des voix se sont

    leves, essentiellement depuis la fin des annes 1980, pour affirmer quil nen avait

    rien t75

    , et que chose rellement stupfiante, proprement parler incroyable ()

    voil maintenant plus de cinquante ans que la doctrine du droit administratif, peu prs

    unanime, sacharne faire dire ceux qui jugrent laffaire du Bac dEloka exactement

    le contraire de ce quils voulurent dire et dirent effectivement 76

    . On le pressent dj,

    proposer une relecture des origines supposes de cette notion est loin de constituer une

    dmarche insignifiante. En brisant le lien unissant pour le plus grand nombre cette

    catgorie de service public la jurisprudence dite du Bac dEloka , on ne tente pas autre

    chose que dbranler ce qui pourrait tre les fondements classiques du service public

    industriel et commercial.

    ) Au pire concluait A.-S. MESCHERIAKOFF77

    , le Bac

    dEloka nest mme pas un service public, au mieux, il ny a quun cas de gestion

    prive du service public comme on en connaissait dj en 1921 ; ni la dcision du

    Tribunal des conflits, ni les conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER

    sur cette affaire ninventrent cette catgorie juridique, contrairement ce quaffirme le

    rcit traditionnel de ses origines. G. QUIOT est all plus loin : si A.-S. MESCHERIAKOFF

    hsite encore, il ne fait aucun doute pour lui que quoi quen pensent tous ceux,

    75

    - Principalement la suite des travaux dA.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du Bac dEloka. Lgende et ralit

    dune gestion prive de la puissance publique , RDP 1988.1059 ; Droit des services publics, Paris, PUF, coll.

    Droit fondamental , 1re

    d., 1991, n 20, p. 58), de G. QUIOT (Aux origines du couple gestion prive -

    gestion publique . Recherche sur la formation de la thorie de la gestion prive des services publics, Thse

    dactylographie, Universit de Nice-Sophia-Antipolis, 1992, p. 542 et s.) et de F. BURDEAU (Histoire du droit

    administratif, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 1re

    d., 1995, p. 310 et s.). 76

    - G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 548. 77

    - A.-S. MESCHERIAKOFF, Larrt du Bac dEloka , article prcit notre note 75, p. 1067.

  • 19

    innombrables, qui () enseignent que larrt du Bac dEloka a introduit dans notre

    droit la notion de service public industriel et/ou commercial, les magistrats du Tribunal

    dnient ce service la qualit de service public 78

    . Par cette dcision du 22 janvier

    1921, les juges du Tribunal des conflits nont pas reconnu la comptence judiciaire pour

    cette raison que le service du Bac tait un service public gr comme laurait t une

    entreprise exploite par un industriel ordinaire . En consquence, cette dcision na

    pas pu introduire une distinction des services publics administratifs et des services

    publics industriels et/ou commerciaux, ou si lon prfre , G. QUIOT relevant qu

    un service public nest industriel et commercial que sil est gestion prive 79

    , une

    distinction des services publics gestion publique et des services publics gestion

    prive . La vritable rvolution de la jurisprudence Bac dEloka serait ailleurs, elle

    consisterait prcisment exclure de la catgorie des services publics certains services

    administratifs dintrt gnral, considrant que ceux-ci sont de nature prive, et non

    publics . Ce nest donc pas dun service public industriel et commercial dont il aurait

    t question dans cette jurisprudence place pourtant son origine.

    Cette catgorie juridique reposerait par consquent sur une interprtation

    collective errone de la dcision du Tribunal des conflits et des conclusions de P.

    MATTER. Mais, si erreur il y a, sest-on vritablement intress ses causes ? Sest-

    on vritablement interrog sur les raisons pour lesquelles depuis plusieurs dcennies

    la doctrine du droit administratif, peu prs unanime, sacharne faire dire cette

    jurisprudence ce que manifestement elle ne dit pas ? Ne serait-ce pas l prcisment

    dans cet acharnement quune notion de service public industriel et commercial

    prendrait finalement un sens ? Autrement dit, si ce qui est traditionnellement enseign

    constitue effectivement une lgende, comme laffirme A.-S. MESCHERIAKOFF rcit

    caractre merveilleux, o les faits historiques sont transforms par limagination

    populaire ou par linvention potique selon une dfinition usuelle , ny aurait-il pas

    l trs exactement ce qui doit tre lu , comme lindique clairement ltymologie du

    terme lgende ? Une lgende nest-elle pas galement une cl qui claire la

    comprhension dune reprsentation du rel comme par exemples une carte

    gographique ou un plan topographique , qui la prcise en lui donnant un sens et une

    dimension ?

    78

    - G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 617. 79

    - G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 10.

  • 20

    Cette question mrite dtre pose dautant plus que J. CADART, dans les annes

    1950, en mettant jour lexistence dune notion judiciaire de service public ,

    adoptait dj cette soi-disant nouvelle interprtation de la jurisprudence dite du Bac

    dEloka, sans pour autant briser le lien intime qui la retenait une notion

    administrative de service public industriel et commercial80

    . Pour ce juriste, deux

    conceptions du service public coexisteraient cette poque en droit positif, lune

    administrative, orthodoxe, dominante, donnant naissance en son sein une distinction

    des services publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux,

    lautre plus hrtique, minoritaire, mais dune relative constance chez les magistrats

    judiciaires, aboutissant une autre classification des services organiss par les

    collectivits administratives, la distinction des services publics et des services privs. Si,

    selon son analyse, les frontires de ces deux distinctions ne concidaient pas le service

    public des juges judiciaires tant infiniment plus restreint que le service

    public proprement administratif des tribunaux administratifs et les services privs

    comprenant non seulement les SPIC mais aussi bon nombre de services dits

    administratifs par les juges administratifs81

    , il nen restait pas moins, pour J.

    CADART, que la notion administrative de service public industriel et commercial et la

    notion judiciaire de service priv [avaient] une origine commune , les conclusions

    MATTER de 1921 sur laffaire du Bac dEloka82

    . Briser le lien sacr tiss entre la

    jurisprudence Bac dEloka et le service public industriel et commercial, en mettant

    jour que, dans la lettre, cette jurisprudence ninvente pas une nouvelle catgorie de

    service public , puisquil ntait question que dun service priv, ne peut donc suffire

    tuer dans luf notre notion.

    ) Ny aurait-il alors l quun coup dpe dans leau ? Si

    effectivement un consensus sest form autour dune relecture de la jurisprudence Bac

    dEloka, sil nest plus vritablement crit que par cette dcision, suivant les

    conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER, les juges du Tribunal des

    conflits ont soumis un service public au droit commun83

    , crant une nouvelle catgorie

    80

    - J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public : la notion judiciaire de service public.

    Contribution ltude du problme de la rpartition des comptences entre les deux ordres de juridictions,

    Annales de lUniversit de Lyon, Librairie du recueil Sirey, 1954. 81

    - J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public, op. cit. notre note 80, p. 56. 82

    - J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public, op. cit. notre note 80, p. 68. 83

    - J. LEMASURIER navait pas hsit en 1969 inscrire au cur de la dcision du Tribunal des conflits de 1921

    la notion de service public : en effectuant, moyennant rmunration, les oprations de passage des pitons et

    des voitures dune rive lautre de la lagune, la colonie de la Cte dIvoire exploite un service public de

  • 21

    juridique, le service public industriel et commercial, distincte du service public

    administratif, force est de constater que le consensus sarrte bien l. Des divergences

    apparaissent ds lors quil sagit de mesurer la porte de cette relecture quant

    lmergence dune catgorie juridique de service public industriel et commercial. Pour

    A.-S. MESCHERIAKOFF, cette invention nest pas dorigine jurisprudentielle, mais est un

    pur produit doctrinal visant combattre le dveloppement dune thorie de la

    gestion prive84

    . Pour G. QUIOT, elle rsulte de la jurisprudence du Conseil dEtat

    Socit gnrale darmement du 23 dcembre 192185

    , homologue bien plus tard par le

    Tribunal des conflits86

    , et na toujours t quune mise en uvre de la thorie de la

    gestion prive. Le professeur R. CHAPUS, dans les diffrentes ditions de son Droit

    administratif gnral87

    , quant lui, campait sur sa position premire dtudier la notion

    de service public industriel et commercial telle quelle rsultait du droit positif le plus

    rcent, cest--dire suivant la mise en uvre des critres issus de la jurisprudence du

    Conseil dEtat Union syndicale des industries aronautiques du 16 novembre 195688

    .

    Mais pour le plus grand nombre, cette notion de service public industriel et

    commercial reste dune faon ou dune autre lie la jurisprudence du Tribunal des

    conflits de 1921. Elle est issue dune interprtation de larrt du Bac dEloka Et quoi

    quon en dise, difficile de ne pas penser que quelque chose dessentiel rside sous cette

    perptuation dun rcit des origines. Si J.-F. LACHAUME ncrit plus par exemple que les

    transport, dans les mmes conditions quun industriel ordinaire ( A propos de service public des Postes et

    Tlcommunication , article prcit notre note 31, p. 149, soulign par nous). 84

    - V. notamment A.-S. MESCHERIAKOFF, Larrt du Bac dEloka , article prcit notre note 75. 85

    - G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, notamment p. 660 et s. 86

    - TC 22 janvier 1955 Naliato, Revue pratique de droit administratif, 1955, p. 53, concl. J. CHARDEAU ; G.

    QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 787 et s. 87

    - R. CHAPUS, Droit administratif gnral, Tome I, Montchrestien, Prcis Domat (15e dition 2001).

    88 - CE (Ass), conclusions LAURENT, S. 1957, p. 38. R. CHAPUS, indiquait A.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du

    Bac dEloka , article prcit notre note 75, p. 1063 et la note 20), prfre citer la jurisprudence Socit

    gnrale darmement, lappui de ses dveloppements sur le service public industriel et commercial, plutt que

    la jurisprudence du Bac dEloka. Cette assertion nous parat devoir tre nuance. Dans la 4e dition de son Droit

    administratif gnral (1988, p. 384, n 641) tout comme dans la 14e (2000, p. 577, n

    os 761 et 762), ces deux

    jurisprudences sont tudies dans le cadre de la problmatique de la qualification de service public pour

    certaines activits administratives. La jurisprudence Socit commerciale de lOuest africain vient illustrer la

    thse librale qui refusait de considrer juridiquement un service industriel et commercial comme tant un

    service public . Si R. CHAPUS ncrit pas que le service du Bac dEloka tait pour le Tribunal des conflits un

    service priv, il relve clairement que celui-ci a bien pris soin de ne pas qualifier ce service de service

    public ! La jurisprudence Socit gnrale darmement, quant elle, est cite propos dun courant de pense

    qui tendait ne rputer service public que les services soumis un rgime juridique de droit public. Ds

    1921 relve R. CHAPUS, le Conseil dEtat avait qualifi de service public industriel et commercial une activit

    commerciale de lEtat, ce qui revenait dire que la considration du rgime applicable tait indiffrente quant

    la qualification de service public de lactivit en cause. On peut donc considrer que le professeur CHAPUS

    semble bien vouloir viter de tomber dans le pige dune quelconque gnalogie abusive : la notion de service

    public industriel et commercial qui soffre ltude en droit positif, cest pour lui celle qui rsulte de la

    jurisprudence Union syndicale des industries aronautiques de 1956.

  • 22

    services publics industriels et commerciaux sont ns juridiquement avec la clbre

    dcision du Tribunal des conflits () dite du Bac dEloka 89

    , il nen demeure pas

    moins pour lui que cest bien larrt de 1921 qui, par ricochet en quelque sorte, va se

    trouver lorigine de la catgorie des SPIC 90

    : le juge administratif a qualifi de

    SPIC , ce que P. MATTER appelait service de nature prive 91

    . F. BURDEAU

    nadopte pas une autre position92

    . Si la jurisprudence Bac dEloka ninaugure en rien

    une thorie des services publics industriels et commerciaux , parce quil est jug que

    le service en cause tait de sa nature priv , elle nen demeure pas moins le

    dtonateur suivant lexplication quil avance : si, pour particuliers quils fussent,

    ces services taient dits publics, la juridiction administrative recouvrait des titres

    revendiquer au moins une partie du contentieux n de leur fonctionnement 93

    , ce qui

    fut dit et fait par le Conseil dEtat ds laffaire Socit gnrale darmement94

    de 1921.

    Cette relecture des origines supposes dune notion de service public industriel et

    commercial est trs certainement de nature semer le trouble sur sa consistance et

    accentuer son caractre artificiel. Elle semble surtout tre destine dterminer une

    histoire de la construction de cette notion en droit qui lgitimerait un discours

    actuellement tenu sur la ralit dune distinction du service public administratif et

    du service public industriel et commercial . G. QUIOT notamment a bien pris soin de

    dfinir sa dmarche historique. Il part dune conception actuelle du service public

    industriel et commercial un service public gestion prive et en recherche lorigine.

    Autrement dit, sa recherche porte sur cette question de savoir comment sest labor en

    droit ce qui aujourdhui parat constituer une notion de service public industriel et

    commercial. Ce faisant, il npuise pour autant pas tout ce quaurait nous enseigner

    lhistoire de llaboration dune notion de service public industriel et commercial. La

    dmarche adopte peut donner penser quen fin de compte, la notion de service public

    industriel et commercial a toujours t catgorie permanente un service public

    gestion prive. Or, rien ninterdit de penser au contraire que, par-del les fausses

    89

    - J.-F. LACHAUME, Grands services publics, Paris, Masson, coll. Droit/sciences conomiques , 1989, p. 54-

    57. 90

    - J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 47-64. 91

    - Ibidem, p. 51. 92

    - F. BURDEAU, Histoire du droit administratif, op. cit. notre note 75, p. 312. 93

    - Larrt du Bac dEloka aurait logiquement eu pour consquence de soustraire la connaissance du juge

    administratif un vaste domaine, et celui-ci, afin de prserver une comptence quimpliquait ses yeux la

    df