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UNIVERSIT DE CERGY-PONTOISE COLE DOCTORALE DE DROIT ET SCIENCES HUMAINES
LLABORATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC
INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
(RETOUR SUR UN INSTRUMENT DE LA MISE EN UVRE DUNE SPARATION DU
POLITIQUE ET DE L CONOMIQUE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANAIS)
THSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC
Prsente et soutenue publiquement le 19 fvrier 2010
par
Sandrine GARCERIES
Tome 1
Jury :
M. Patrice CHRTIEN, professeur luniversit de Cergy-Pontoise (Directeur de thse)
Mme Laetitia JANICOT, professeur luniversit de Cergy-Pontoise
Mme Hlne PAULIAT, professeur luniversit de Limoges
Mme Dominique POUYAUD, professeur luniversit de Paris Descartes, Paris V (Rapporteur)
M. Grard QUIOT, professeur luniversit de Nice-Sophia Antipolis (Rapporteur)
LLABORATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
(RETOUR SUR UN INSTRUMENT DE LA MISE EN UVRE DUNE SPARATION DU POLITIQUE ET DE L CONOMIQUE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANAIS)
LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABRVIATIONS
aff. affaire
AJDA Actualit juridique Droit administratif
AJFP Actualit juridique de la fonction publique
al. alina
AN Assemble nationale
APD/APDSJ Archives de Philosophie du droit / et de sociologie juridique
Arch. Parl. Archives parlementaires
art. article
Ass. Assemble du contentieux du Conseil dEtat
BDP Bibliothque de droit public
BPD Bibliothque de philosophie du droit
BSA Bibliothque de science administrative
C. civ. Code civil
C. com. Code de commerce
c/ contre
CA Cour dappel
CAA Cour administrative dappel
CC Conseil constitutionnel
CCAAOF Conseil du contentieux administratif de lAfrique occidentale franaise
CCass. Cour de cassation
CE Conseil dEtat
CGCT Code gnral des collectivits territoriales
CGI Code gnral des impts
chron. chronique
CJCE Cour de justice des Communauts europennes
CJEG Cahiers juridiques de llectricit et du gaz
coll. collection
concl. conclusions
D. Recueil Dalloz
DA (ou Dr. adm.) Droit administratif
dir. sous la direction de
DP Recueil Dalloz priodique
Droits Revue franaise de thorie juridique. Droits.
d. dition
EDCE tudes et documents du Conseil dEtat
Europe Revue Europe
fasc. fascicule
GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative
Gaz. Pal. Gazette du Palais
GDJDA Grandes dcisions de la jurisprudence de droit administratif
JCP Juris-Classeur priodique (La Semaine juridique)
JCP A Juris-Classeur priodique (La Semaine juridique) administrations et collectivits territoriales
JEV Annuaire europen dhistoire de ladministration publique
JOCE Journal officiel des Communauts europennes
JORF (ou JO) Journal officiel de la Rpublique franaise
L. Loi
LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
LPA Les Petites Affiches
not. notamment
obs. observations
op. cit. ouvrage prcit
prc. prcit
PUF Presses universitaires de France
PUG Presses universitaires de Grenoble
PULIM Presses universitaires de Limoges
QSJ Que sais-je ?
RA La Revue administrative
RCLJ Revue critique de lgislation et de jurisprudence
RDP Revue du droit public et de la science politique
Rec. Recueil des dcisions du Conseil dEtat (Lebon)
Rec. CJCE Recueil des arrts de la Cour de justice des Communauts europennes
rd. rdition
RFAP Revue franaise dadministration publique
RFDA Revue franaise de droit administratif
RGA Revue gnrale dadministration
RHD Revue historique de droit franais et tranger
RHMC Revue dhistoire moderne et contemporaine
RMC UE Revue du March commun et de lUnion europenne
RTD eur. ou RTDE Revue trimestrielle de droit europen
S. Recueil Sirey
SPA service public administratif
SPIC service public industriel et commercial
St (ou Soc.) Socit
suppl. supplment
t. tome
TA Tribunal administratif
TC Tribunal des conflits
TCE Trait instituant la Communaut europenne (avant sa modification par le Trait de Lisbonne)
TFUE Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne
trad. traduction
Trib. Tribunal
TUE Trait sur lUnion europenne
v. (ou V.) voir
vol. volume
SOMMAIRE
(Tome 1)
INTRODUCTION GENERALE
Premire Partie LE TEMPS DES PRECURSEURS
Constitution dune problmatique juridique au XIXe sicle et les premires rponses du droit
CHAPITRE I DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX ASSUMES OU ASSURES PAR LETAT ET LES COMMUNES, UNE EXPANSION AVEREE AU COURS DU XIXE SIECLE Elments pour la constitution dun problme
CHAPITRE II DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX ASSURES PAR LTAT : LES REPONSES DU DROIT AVANT LA REVELATION DUNE NOTION JURIDIQUE DE SERVICE PUBLIC
CHAPITRE III LA MUNICIPALISATION DES SERVICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX SAISIE PAR LE DROIT Elments pour la dtermination lchelon local des conditions juridiques de lavnement dune notion de
service public industriel et commercial
(Tome 2)
Deuxime Partie LE TEMPS DES FONDATEURS
Lavnement dune notion juridique de service public industriel et commercial
CHAPITRE I DES ELEMENTS TIRES DE LA REVELATION DE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC
CHAPITRE II LINVENTION SANS LA LETTRE Larrt du Bac dEloka ou le mythe des origines dune notion juridique de service public industriel et
commercial
CHAPITRE III LINVENTION DANS LA LETTRE La perce en droit positif dune notion juridique de service public industriel et sa rception (annes
1920/1930)
Troisime Partie LE TEMPS DES RENOVATEURS
Devenir dune notion fonctionnelle de service public industriel et commercial
CHAPITRE I LA MISE EN PLACE DUNE DISTINCTION CONTEMPORAINE Le jeu dune instrumentalisation
CHAPITRE II RE-NOUVEAU DUNE ELABORATION SOUS LEFFET DE LA CONSTRUCTION DE NOTIONS COMMUNAUTAIRES APPROCHANTES Hypothse du retour dune imagination constituante
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
TABLE DES MATIERES
1
INTRODUCTION GENERALE
Depuis quune notion juridique de service public industriel et commercial a
fait son apparition en droit positif, au lendemain de la Premire Guerre mondiale, les
questions de son bien-fond, de son utilit, de sa cohrence, de sa consistance, et partant
de sa prennit, nont cess dtre poses, au point dailleurs de paratre en constituer le
ressort. A tout le moins, cette notion des plus familires du droit administratif ainsi
quen atteste du reste ce frquent recours lacronyme SPIC prsente demble la
particularit davoir fait couler beaucoup dencre, sans jamais tre vritablement
parvenue recueillir les faveurs de publicistes qui, pourrait-on dire, au mieux sen sont
accommods, au pire lont rejete sans appel. Pourquoi ds lors inviter une fois de plus
revenir sur cette notion ? Quest-ce qui peut justifier dentreprendre nouveau une
recherche juridique dans un domaine qui en compte dj tellement ? Tout na-t-il pas
t dit ou tent ? Lorsquune notion savre pareillement de nature susciter autant de
controverses et de questionnements sur sa consistance relle et sur son avenir en droit
administratif, difficile a priori de ne pas penser que, finalement, nul aspect la
concernant, nul problme sy rattachant na pu chapper aux recherches doctrinales 1
dj si nombreuses Tant de rflexions ont t livres quassurment ici aussi il
peut paratre vain desprer apporter encore une pierre ldifice 2 !
Prcisment ! Dun ct, tout semble avoir t dit, redit et dmontr propos de
cette notion, mais de lautre, force est pourtant de sincliner : aujourdhui encore, le
service public industriel et commercial subsiste, il fait plus que jamais partie du
droit positif , et en dfinitive les critiques formules contre lui ny [auront] rien
[chang] 3 ! Incontestablement, une notion de service public industriel et commercial
gnre une distinction des services publics administratifs et des services publics
industriels et commerciaux qui oriente toujours le droit positif 4, qui existe ()
1 - Selon une formule emprunte M. HECQUARD-THERON, Essai sur la notion de rglementation, Paris, LGDJ,
1977, dans son Introduction gnrale. 2 - Observation emprunte M. DEGUERGUE, De quelques difficults de la notion de service social , AJDA
2008.179. 3 - J.-F. LACHAUME, Actualit des conclusions de Matter et de la jurisprudence "Bac dEloka" , in Services
publics industriels et commerciaux : questions actuelles, J.-B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Paris, LGDJ, coll.
Dcentralisation et dveloppement local , 2003, p. 6. 4 - P. ESPLUGAS, Le service public, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit/ Droit public , 1997, p. 67.
2
reprise et maintenue, malgr les critiques dont elle est la cible 5. Et, sans nul doute,
mme pour les partisans dun Droit du service public, cette distinction demeure
essentielle en pratique 6, compte tenu des consquences juridiques qui en dcoulent
7,
parce que toujours la jurisprudence confre la qualification des services publics une
importance considrable 8. Aussi, par-del la controverse doctrinale, subsiste une
ralit incontournable du droit positif. Dune part, quand bien mme parfois le
lgislateur semble se jouer de la distinction, nombre de services ou encore
dtablissements publics sont expressment qualifis dindustriels et commerciaux9. Si,
ainsi que le constatait B. SEILLER, dans un certain nombre de domaines, de plus en plus
frquemment les autorits normatives prfrent plutt () ignorer la distinction, en
dcidant de soumettre aux mmes dispositions les services publics administratifs et
industriels et commerciaux 10
, paralllement, J.-B. AUBY observait toutefois que la
liste se faisait impressionnante des services publics locaux dont les textes et la
jurisprudence () ont rcemment prcis quils taient industriels et commerciaux,
alors que leur nature ntait [jusqu prsent] pas certaine, ou pouvait varier en fonction
de leurs modalits de fonctionnement 11
. Dautre part, assurment, la notion de service
public industriel et commercial est toujours trs prsente, encore aujourdhui, en
jurisprudence. Lanne 2009, entre autres, en apporte lillustration relativement au
contentieux des services dexploitation des pistes de ski et des remontes mcaniques
5 - J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, Paris, Armand Colin, coll. U, 2
e d.,
2000, p. 53. Pour S. BRACONNIER galement Force est pourtant dadmettre que () la distinction () a
subsist (Droit des services publics, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2e d., 2007, p. 240).
6 - V. G. J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Montchrestien, coll. Domat/Droit public , 2000,
n 192, p. 77, mme sils considrent quil nexiste pas de synonymie entre service public et services publics
(op. cit., n 182, p. 73) et que Le droit des services publics nest ni la source ni une consquence dun droit du
service public. Il est issu dun approfondissement de la distinction entre service public administratif et service
public industriel ou commercial () rsultat de la relecture du droit du service public travers le prisme du
march () (op. cit., n 186, p. 75). 7 - Un service public administratif est soumis en grande partie au droit public pour ses rapports avec les usagers,
le personnel et la plupart des tiers, tout comme son rgime financier, fiscal ou comptable, alors quun service
public industriel et commercial est en principe soumis au droit priv. La distinction des deux catgories de
services publics concourt lidentification du droit applicable et du juge comptent pour trancher les litiges. 8 - V. B. SEILLER, Lrosion de la distinction SPA- SPIC , AJDA 2005, p. 417 : hormis le respect des "lois
de Rolland ", la notion de service public ne dploie par elle-mme que fort peu de consquences juridiques. En
revanche, la jurisprudence confre la qualification des services publics une importance considrable. Le
caractre administratif ne sera pas attribu dans les mmes conditions aux actes unilatraux ou contractuels selon
quils se rapportent la gestion dun [SPA] ou dun [SPIC]. Le constat est identique pour lattribution de la
qualit dagent public ou pour lengagement de la responsabilit des personnes publiques () . 9 - V. par exemple, pour une liste (non exhaustive), R. MOULIN et P. BRUNET, Droit public des interventions
conomiques, Paris, LGDJ, coll. Droit des affaires , 2007, n 82, p. 226. 10
- B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 421. 11
- J. B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles, op.
cit. notre note 3, Conclusion , p. 236 : La qualification prospre en dpit des hsitations que lon peut avoir
sur son soubassement intellectuel .
3
avec les dcisions du Conseil dEtat Mlle Beaufils et autres et du Tribunal des conflits
Syndicat mixte des stations de lAudibergue12
. Tout un discours tenu sur une notion
juridique de service public industriel et commercial parat bien se heurter cette ralit
qui subsiste, en dplorer lartifice, pour finalement dboucher en quelque sorte sur une
impasse : la vacuit dnonce nempche pas cette notion de perdurer ! Adopter une
approche consistant non plus interroger sa pertinence, mais comprendre les raisons
de son laboration et de sa survivance ne permettrait-il pas, sinon den sortir, du moins
davoir de nouvelles perspectives ?
Force est de le constater, jusqu il y a peu, cette voie ne constituait pas
vritablement, loin sen fallait, le chemin de prdilection des juristes qui dploraient
avant toute chose linconsistance dune notion juridique de service public industriel et
commercial : le raisonnement tenu conduisait en effet le plus souvent tablir, pour
celle-ci, des raisons de ne pas ou de ne plus tre ! Cependant, depuis quelque temps,
une volution est pour le moins perceptible dans lapproche de cette notion. Si toujours
lambigut de la distinction des deux services publics reste dnonce, la question du
devenir de la notion de service public industriel et commercial sapprhende
diffremment. J.-F. LACHAUME prsentait de manire loquente le ton dun renouveau
du discours juridique : la permanence de la notion amne () ncessairement
sinterroger sur les raisons de cette longvit, alors mme quelle na gure les faveurs
de la doctrine et que le juge lui-mme a parfaitement conscience que lidentification du
SPIC et la dfinition de son rgime juridique sont quelque fois dune redoutable
complexit (). Pourtant, cest ainsi et, ds lors, on doit ncessairement sinterroger sur
12
- CE 19 fvrier 2009, Mlle Beaufils et autres, RFDA 2009.777, note D. POUYAUD ; DA 2009, n 76, note G.
MOLLION : lexploitation des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur scurit, constitue un
service public industriel et commercial, mme lorsque la station de ski est exploite en rgie directe par la
commune ; quen raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et
commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit priv, les tribunaux judiciaires sont seuls
comptents () (unification de la situation de lusager des remontes mcaniques et de celle de lusager des
pistes de ski ; la solution retenue, comme lindique D. POUYAUD, ntait pas vidente : le service dexploitation
des pistes de ski est qualifi de service public industriel et commercial alors quil sagit l dun service gratuit,
visant assurer la scurit, assur au surplus en rgie en lespce) et TC 6 avril 2009 Syndicat mixte des
stations de lAudibergue ( mentionner au Recueil Lebon, source : Lgifrance.gouv.fr), aff. C3684 :
Considrant que larticle L 342-13 du Code du tourisme issu de larticle 47 de la loi du 9 janvier 1985 relative
au dveloppement et la protection de la montagne dispose que lexcution du service des remontes
mcaniques et pistes de ski est assure soit en rgie directe, soit en rgie par une personne publique sous forme
de service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant pass cet effet une convention dure
dtermine avec lautorit comptente ; queu gard la nature juridique du service industriel et commercial
assur en lespce () laction engage par [un] usager de ce service, relve de la comptence des tribunaux de
lordre judiciaire (renvoi la jurisprudence prcite du Conseil dEtat).
4
ce que cette notion a dactuel () 13
. Dans ce changement de perspective, la
nouvelle donne europenne 14
y est pour beaucoup. La bataille qui stait engage au
dbut des annes 1990 ne le laissait toutefois pas prsager. Sans nul doute, la question
du devenir des services publics industriels et commerciaux tait pose. Est-ce pour eux
le "chant du cygne" ou un "autrement" ? , avait-on pu se demander15
. Le pire tait
mme envisag, le droit communautaire tant globalement suspect dattenter au
caractre de service public des services publics industriels et commerciaux pour
mieux les assimiler aux entreprises ordinaires sur le march. Nanmoins, par-del le
dualisme des catgories juridiques service public administratif et service public
industriel et commercial , ctait bien davantage la dfense du service public la
franaise qui se trouvait au cur de toutes les proccupations. Depuis, la bataille du
service public et du droit communautaire a volu. Le dbat a port ses fruits, et tout
le monde reconnat peu ou prou, mme si des difficults subsistent, que lon assiste
une certaine forme de rconciliation 16
: si, en France, il est tenu compte des impratifs
de la construction europenne emportant une mutation des services publics, lapproche
communautaire a, elle aussi, volu. Assurment, dans cette relativisation dun impact,
la parent dcouverte entre la notion europenne de service dintrt conomique
gnral et la notion franaise de service public industriel et commercial, a jou un rle
notable. Mais pourtant, l encore, ce nest pas ncessairement de bon augure pour la
notion juridique de service public industriel et commercial
En effet, si globalement la prennit dune notion franaise de service public nest
plus aujourdhui vritablement perue comme tant menace par le droit
communautaire, force est de constater que la construction dune notion europenne de
service dintrt conomique gnral est prsente par certains juristes comme arrivant
au secours dune notion juridique de service public industriel et commercial juge
dfaillante en droit administratif franais17
. Les dveloppements du droit
13
- J.-F. LACHAUME, Actualit des conclusions de Matter , article prcit notre note 3, p. 6. 14
- Selon la formule issue du Rapport public du Conseil dEtat pour 1994, Service public, services publics :
dclin ou renouveau, Paris, La Documentation franaise, EDCE n 46, 1995, p. 38. 15
- M. VOISSET, Le service public autrement. De quelques effets du droit communautaire sur le droit franais
des services publics industriels et commerciaux , RFDA 1995.305. 16
- V. par exemples Y. GAUDEMET, Le service public lpreuve de lEurope : vrais et faux procs ,
Mlanges B. Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 480, ou encore J.-F. LACHAUME, Service public, service
dintrt conomique gnral, service universel : une mutation communautaire ? , in Lavenir des missions de
service public en Europe, H. PAULIAT (dir.), PULIM, 1999, p. 26. 17
- V. A.-S. MESCHERIAKOFF, SPIC locaux et droit communautaire , in Services publics industriels et
commerciaux : questions actuelles, op. cit. notre note 3, p. 19 : Le droit europen a donc contribu non
seulement la cohrence conceptuelle de la notion de SPIC, mais galement une meilleure dtermination de
5
communautaire lui auraient fait prendre un vritable bain de jouvence 18
, aboutissant
au renforcement de la notion 19
. Cette notion parat donc quelque peu retrouver, dans
le discours juridique, sinon sa, du moins une raison dtre20
. Nanmoins, si elle semble
ainsi reprendre actuellement sens et intrt aux yeux de certains, cest parce quelle est
perue sortir remodele21
de sa confrontation avec les impratifs du droit
communautaire. Autant dire alors que la nouvelle approche ne marque pas un
renoncement au discours juridique tenu jusque l et visant dnoncer son inconsistance
et son incohrence ! Au contraire, pourrait-on dire, celui-ci se trouve par l mme,
dune certaine manire, confort et valid
Au demeurant, et pour de plus en plus de juristes, le sort de la notion juridique de
service public industriel et commercial parat en ralit dores et dj scell, tout
comme celui dune distinction des services publics administratifs et des services publics
industriels et commerciaux. De mme que lmergence dun vocabulaire en droit
communautaire a pu quasiment conduire D. TRUCHET renoncer lexpression de
service public pour lui prfrer celle de service dintrt gnral 22
, ladoption des
distinctions formules par le droit communautaire ne sera certainement pas sans
consquence pour la notion juridique de service public industriel et commercial. Pour S.
son rgime juridique et B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, qui compte
tenu de la proximit conceptuelle , envisageait, en consquence, la re-constitution dune dualit des services
publics , suggrant un retour aux sources dune distinction franaise SPA-SPIC (p. 421). 18
- Le droit europen donne ainsi un "coup de jeune" notre thorie du SPIC qui parat vieille avant davoir
t adulte , concluait A.-S. MESCHERIAKOFF dans son article prcit notre note prcdente ( SPIC locaux et droit
communautaire , p. 28) ; le droit communautaire allait lui donner un sacr coup de jeune , expliquait J.-F.
LACHAUME ( Actualit des conclusions de Matter , article prcit notre note 3, p. 10). 19
- J.-B. AUBY et S. BRACONNIER (dir.), Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles, op.
cit. notre note 3, p. 13. 20
- Selon que lon considre quil sagit dun salutaire retour aux sources de la notion (la parent
dinspiration librale mise en vidence entre la philosophie des conclusions du commissaire du gouvernement P.
MATTER sur la dcision Bac dEloka TC 22 janvier 1921 Colonie de la Cte dIvoire c/ Socit commerciale
de lOuest africain et celle de larticle 86 2 du Trait CE / nouvel article 106-2 du TFUE), ou dune salutaire
correction dune notion franaise juge incohrente parce que signifiant que lintrt gnral doit tre
satisfait selon des moyens conus pour la ralisation des intrts particuliers (le droit communautaire fait
apparatre que le service public industriel et commercial est une activit industrielle et commerciale affecte de
contraintes dintrt gnral). 21
- La conception du service dintrt conomique gnral, explique A.-S. MESCHERIAKOFF ( SPIC locaux et
droit communautaire , article prcit notre note 17), va pouvoir servir de modle celle du service
public industriel et commercial. 22
- D. TRUCHET, Renoncer lexpression service public , AJDA 2008.553, et en raction : G. MARCOU,
Maintenir lexpression et la notion de service public , AJDA 2008.833, ainsi que G. J. GUGLIELMI et G.
KOUBI, Le droit, comme la langue, vit dans la conscience populaire , AJDA 2008.1169 et M. LOMBARD,
Mots et valeurs du service public , AJDA 2008.1225. Mais D. TRUCHET a pour linstant ! renonc
renoncer : v. son Droit administratif, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2008, p. 321 : Nous navons pas
os franchir le pas () par fidlit au vocabulaire, vieilli mais traditionnel, qui est encore celui de la lgislation
et de la jurisprudence. Pour combien de temps ? Cependant, v. le choix de lintitul du Chapitre II de sa
Cinquime Partie : Le service public (Le service dintrt gnral)
6
BRACONNIER, le droit communautaire promeut une conception du service public qui,
sans remettre en cause les fondements dgags par le droit franais depuis des
dcennies, contribue redessiner les frontires tablies entre les diverses activits
dintrt gnral, au point dencourager lmergence dune nouvelle typologie du
service public : une nouvelle distinction se substitue celle, obsolte , des services
publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux23
. Pour S.
BOUSSARD, la jurisprudence du Conseil dEtat Ordre des avocats au barreau de Paris
en date du 31 mai 200624
suggrait dj, littralement , labandon de la
catgorie des services publics industriels et commerciaux pour lui substituer une autre
catgorie, lactivit conomique exerce dans un intrt public, laquelle voque la
notion communautaire de service dintrt conomique gnral 25
. Derrire la question
du vocabulaire, la disparition annonce de la notion de service public industriel et
commercial impliquerait que les activits conomiques dintrt gnral des personnes
publiques ne soient plus ligibles au titre dune qualification juridique de service
public ! Evolution ou rvolution ? La notion juridique de service public industriel et
commercial ne serait-elle pas, par essence, un instrument juridique capable de rpondre
aux mutations quimplique le droit communautaire ? Seul un retour sur llaboration
dune notion juridique de service public industriel et commercial pourrait apporter des
lments de rponse Assurment la lecture des lments constitutifs dun discours
contemporain offre des perspectives pour une nouvelle recherche juridique (I.) en lui
dictant son objet et sa mthode (II.).
23
- S. BRACONNIER, Droit des services publics, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 2e d., 2007, p. 241.
24 - RFDA 2006.1048, concl. D. CASAS ; AJDA 2006.1584, chron. C. LANDAIS et F. LENICA ; JCP/A 2006.113,
note F. LINDITCH. 25
- S. BOUSSARD, Lclatement des catgories de service public et la rsurgence du "service public par
nature" , RFDA 2008.43.
7
I. LECTURE DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DUN DISCOURS CONTEMPORAIN
- Les enjeux dune nouvelle recherche juridique -
La notion de service public industriel et commercial a-t-elle un avenir en droit
administratif franais ? Depuis les annes 1920, et peut-tre mme ds linstant o le
vocable est apparu formul en toutes lettres dans la jurisprudence du Conseil dEtat26
,
cette question na cess dtre pose par les juristes27
. Il semble, lire les
dveloppements dun discours contemporain, quelle pourrait bien finir par ne plus se
poser du tout, ou ne plus tre pose. Ltat des lieux dun discours tenu entre
permanence (1-), renouveau (2-) et perspectives offertes par une mutation (3-)
dmontre lenvi lintrt de sattacher nouveau cette question.
1- Permanence
Des difficults existentielles rcurrentes
Lide a toujours t forte de se dfaire de cette catgorie juridique, considre ici
comme une erreur majeure de notre droit administratif 28
, juge l ni trs glorieuse,
ni trs enrichissante pour lesprit 29
, voire foncirement dtestable 30
ou encore
tellement nfaste 31
, dune hrdit incertaine, associant contre nature service
public et mthodes du secteur priv, lui [ayant] valu demble une constitution
dbile 32
. Rpute ne, plus ou moins directement, la suite dun naufrage, celui du
26
- Il est permis de considrer que le commissaire du gouvernement RIVET cartait ab initio lintrt dune
notion de service public industriel et commercial dans ses conclusions sur laffaire Robert Lafrgeyre juge par
le Conseil dEtat le 26 janvier 1923 (RDP 1923 p. 237), alors mme que le Conseil dEtat y avait fait
expressment rfrence dans sa dcision du 23 dcembre 1921 Socit gnrale darmement (RDP 1922 p.74). 27
- B. SEILLER, il y a peu, posait encore la question : Quatre-vingts ans aprs son laboration, la jurisprudence
du Bac dEloka () a-t-elle encore un avenir ? Est-il encore possible de prsenter le droit des services publics
comme clat entre les services publics administratifs, qui seraient soumis au droit administratif et au juge du
mme nom et les services publics industriels et commerciaux relevant le plus souvent du droit priv et du juge
judiciaire ? (Droit administratif, 2. Laction administrative, Flammarion, coll. ChampsUniversit/Droit , n
3056, 2e d, 2005, p. 303).
28 - P. WEIL, Le critre du contrat administratif en crise , Mlanges offerts Marcel Waline, Paris, LGDJ,
1974, tome II, p. 837. 29
- M. WALINE, note sous TC 22 janvier 1955, Naliato, RDP 1955, p. 716. 30
- F.-P. BENOIT, note sous CCass. 30 octobre 1957, Veuve Radux c/ Ville dAsnires, JCP 1958-II-10418 (bis). 31
- J. LEMASURIER, A propos de service public des Postes et Tlcommunication. Rflexions sur la distinction
des services publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux , AJDA 1969 p. 149. 32
- B. SEILLER, Droit administratif, 2. Laction administrative, op. cit. notre note 27, p. 303.
8
Bac dEloka33
, elle est suspecte den avoir provoqu son tour un autre, celui de tout
un droit administratif34
.
Globalement, et sans entrer ds prsent dans les dtails, trois types darguments
ont t opposs la constitution dune catgorie juridique de service public caractre
industriel et commercial :
ces services tant objet conomique , ils ont t rputs, en raison dune certaine
conception des attributions de lEtat, de nature prive ; ils ne pouvaient tre en
consquence qualifis de services publics .
ces services ne pouvaient tre considrs comme de vritables services publics en
raison dune certaine systmatisation associant service public et droit
administratif , puisque ces services restaient dans une large mesure soumis aux rgles
du droit priv.
en consquence de ladoption dune conception unitaire de la notion de service public,
ces services ont t rputs tre des services publics comme les autres , soumis un
mme rgime juridique ; ils ne pouvaient donc constituer en aucune faon une catgorie
juridique spcifique de service public.
Force est de constater quaujourdhui encore, en dpit des controverses, non
seulement une notion de service public industriel et commercial demeure toujours une
ralit du droit positif, mais quen outre cette ralit reste perue comme tant
problmatique. Dun ct, pourrait-on dire, des juges et des textes35
continuent
qualifier des services de service public industriel et commercial pour en tirer un
certain nombre de consquences juridiques. Une Union nationale des services publics
industriels et commerciaux (UNSPIC) sest mme constitue et semble bien participer
33
- TC 22 janvier 1921, Socit commerciale de lOuest africain (arrt dit du Bac dEloka ), D. 1921-3-1, concl.
P. MATTER. 34
- Cest tout le sens de cette crmonie commmorative du cinquantenaire de larrt Socit commerciale de
lOuest africain relate par A.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du Bac dEloka. Lgende et ralit dune gestion
prive de la puissance publique , RDP 1988.1059) au cours de laquelle les professeurs de droit en poste
Abidjan ont immerg un vieux manuel de droit administratif lendroit mme o le naufrage du Bac dEloka
avait eu lieu. 35
- Certains textes qualifient une activit de service public industriel et commercial (par exemple larticle L.
2224-11 du Code gnral des collectivits territoriales pour les services publics dassainissement qui doivent tre
financirement grs comme des services publics caractre industriel et commercial ), dautres qualifient
une entit (par exemple article 10 de la loi du 1er
aot 2003 dorientation et de programmation pour la ville et la
rnovation urbaine qualifiant de tel lAgence Nationale pour la rnovation urbaine), dautres enfin se rfrent
expressment la catgorie juridique (par exemple larticle L 2221-1 du Code gnral des collectivits
territoriales propos des rgies locales), mme si la tendance est plutt lindistinction dans les textes, comme
la mis en vidence B. SEILLER ( Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 420).
9
au processus de formation du droit36
. De lautre, faisant face, et tout en prenant acte de
cette ralit, des juristes prsentent toujours des analyses mettant en vidence une
notion insaisissable, inconsistante, fluctuante, complexe dans le rgime juridique quelle
engendre, et finalement dune toute relative valeur opratoire37
. Les efforts dune
critique paraissent avoir t vains et la situation semble quelque peu bloque . Telle
quelle est perue par le discours juridique, cette notion de service public industriel et
commercial ressort moribonde. Nanmoins elle subsiste. Il faudrait pouvoir
lexpliquer Et sil y a l le symptme de ce qui pourrait tre un dcalage entre le droit
tel quil est et le droit tel quil devrait tre ou tel quil est peru, il faudrait pouvoir en
comprendre les mcanismes !
a/ Ralit du droit positif, le service public industriel et commercial prsente
toutes les caractristiques dune notion, au sens o lentendait par exemple F.-P.
BENOIT, savoir un outil qui permet doprer des "qualifications" en vue de procder
"limputation" de rgimes juridiques dtermins , un outil permettant de qualifier
des faits, cest dire de les faire rentrer dans une catgorie connue et rpertorie,
laquelle ces faits paraissent correspondre et, en consquence, de leur dclarer applicable
le rgime juridique tabli pour cette catgorie 38
. Si des qualifications textuelles
existent, cette opration est principalement conduite par les juges39
. Depuis 195640
, et
36
- Il existe une Union nationale des services publics industriels et commerciaux qui est intervenue par exemples
auprs du Haut Conseil du secteur public dans le cadre de la rgulation des services publics (v. S. BRACONNIER,
La rgulation des services publics , RFDA 2001.52) ou auprs des parlementaires dans le cadre de la
rdaction de Rapports sur les projets ou propositions de loi notamment en matire locale. Elle est lorigine
galement de la dcision du Conseil dEtat (Ass.) en date du 5 mars 2003 UNSPIC publie au Lebon (JCP/A
2003.1322 ; AJDA 2003.722). Constitue au dbut de 1986, elle regroupe des syndicats professionnels qui
rassemblent leur tour de grandes entreprises prives (comme la Compagnie gnrale des eaux) qui prennent en
charge les services publics locaux dans les secteurs de la distribution de leau, du retraitement des dchets, du
ramassage des ordures mnagres Cette Union a pour objet de promouvoir les services publics industriels et
commerciaux grs par le secteur priv , ou encore convaincre le politique que la gestion de ces services
publics est la vocation des entreprises prives (v. R. HERTZOG, P. HEITZ, T. SCHMITT et G. SIAT, Grands
services publics locaux , Annuaire des collectivits locales, t. 6, 1986, p. 247, et notamment p. 258). 37
- B. SEILLER indiquait quen raison de la complexit de la matire , pour le seul premier semestre 2004,
cette distinction tait en cause dans un tiers des arrts rendus par le Tribunal des conflits ( Lrosion de la
distinction , article prcit notre note 8, p. 418). En entreprenant, fin 2009, une recherche rapide sur le site
Internet du Conseil dEtat partir de lexpression service public industriel et commercial , il est permis
dobserver que cette inflation se confirme dans la jurisprudence du Tribunal des conflits. Depuis la dcision Bac
dEloka de 1921, au total 150 dcisions ont t rendues par la Haute juridiction paritaire (95 ont t publies au
Recueil Lebon) dont 58 depuis 2004 (source : Lgifrance.gouv.fr) ! 38
- F.-P. BENOIT, Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leons de la philosophie
du droit de Hegel , Mlanges en lhonneur du professeur Gustave Peiser, PUG, 1995, p. 27. 39
- Cette qualification est en ralit systmatique en dehors de toute qualification lgislative expresse, le juge
nhsitant pas requalifier le caractre dun service ou dun tablissement public fix par dcret sil considre
quil ne correspond pas lactivit relle de celui-ci, v. notamment : TC 24 juin 1968 Socit Distilleries
Bretonnes et Socit dapprovisionnements alimentaires (2 arrts), Rec. p. 801, concl. GEGOUT ; AJDA 1969 p.
311, note A. de LAUBADERE ; D. 1969 p. 117, note J. CHEVALLIER ; JCP 1969-II- 15 764, concl. GEGOUT, note
10
suite un effort de systmatisation du juge administratif crivait P. SANDEVOIR41
,
les composants, toujours actuels, dun critre jurisprudentiel didentification du service
public industriel et commercial ont t poss : un service public est reconnu comme
tant caractre industriel et commercial par les juridictions si, au point de vue de
son objet, de lorigine de ses ressources et de ses modalits de fonctionnement42
, il
ressemble une entreprise prive43
. Jusqu il y a peu, il suffisait quil en diffre
lun de ces trois points de vue pour quil soit tenu pour administratif, tout service public
tant prsum administratif , quil soit gr par une personne publique ou par une
personne prive44
. La qualification "industriel et commercial" dun service public
emporte des consquences juridiques importantes, qui font dailleurs tout lintrt dune
distinction au sein des services publics : les relations juridiques qui stablissent entre
les services publics industriels et commerciaux et les usagers, le personnel et les tiers
sont en principe rputes tre rgies par le droit priv et leur contentieux relever en
consquence de la comptence du juge judiciaire, la diffrence des services publics
administratifs.
Reste quen premire analyse, par-del cette mcanique somme toute assez
simple, cest labsence, mme encore lheure actuelle, de critre sr
J. DUFAU ( propos du FORMA) ; TC 26 octobre 1987 Centre franais du commerce extrieur, JCP 1988-
21042, note J. DUFAU ; TC 19 fvrier 1990 Espie, AJDA 1990 p. 468, concl. B. STIRN. 40
- CE (Ass.) 16 novembre 1956 Union syndicale des industries aronautiques, Rec p. 434, AJDA 1956 p. 489,
chron. J. FOURNIER et G. BRAIBANT, D. 1956 p. 759, concl. P. LAURENT, JCP 1957-II-9968 note C. BLAEVOET,
S. 1957 p. 38, concl. LAURENT. 41
- P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion de service public industriel et commercial , Mlanges
Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 323. 42
- Trois conditions cumulatives, comme le prsente clairement le Conseil dEtat dans son avis du 20 octobre
2000 (AJDA 2001 p. 394, avec les conclusions du commissaire du gouvernement D. CHAUVAUX rappelant que
les trois conditions doivent se trouver remplies simultanment ), relatives sa comparabilit avec une
activit prive commerciale selon la formule de J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT (Grands services
publics, coll. U, Armand Colin, 2e dition 2000, p. 58). Mais depuis la jurisprudence du Tribunal des conflits du
21 mars 2005 Mme Alberti-Scott (RFDA 2006.119 avec la note de J.-F. LACHAUME, Lidentification dun
service public industriel et commercial : la neutralisation du critre fond sur les modalits de gestion du
service ), la question se pose de savoir si une volution nest pas en cours, volution que confirmerait du reste
la dcision du Conseil dEtat du 19 fvrier 2009 Mlle Beaufils et autres, prcite notre note 12. Lide se fait jour
que le critre tir de lobjet de lactivit primerait sur les deux autres (v. dans le mme sens L. JANICOT,
Lidentification du service public gr par une personne prive , RFDA 2008.72 et la note 44). 43
- Selon la formule du commissaire du gouvernement BERTRAND, un service public nest industriel et
commercial, quand il na pas t dfini comme tel par une loi, qu la triple condition que les oprations formant
son activit soient identiques celles auxquelles se livrent ou pourraient se livrer des particuliers ou des
entreprises prives, que son financement soit assur pour lessentiel par des recettes provenant des redevances
verses par les usagers comme prix des prestations fournies, et quenfin sa gestion soit assure selon les rgles
du droit priv (concl. sur CE 26 janvier 1968, Dame Maron, AJDA 1968 p. 293). 44
- On ne trouve pas crivaient J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT une prsomption inverse selon
laquelle tout service public gr par une personne prive serait rput industriel et commercial (Grands
services publics, op. cit. notre note 42, p. 58), pour souligner limportance actuelle du phnomne de la gestion de
service public administratif par des personnes prives.
11
didentification 45
du service public industriel et commercial qui prsente une difficult
majeure. Des qualifications textuelles coexistent avec des qualifications
jurisprudentielles. Certains textes posent des qualifications contraires celles
auxquelles aurait abouti la jurisprudence, ou encore envisagent des qualifications
incertaines46
. Dans le mme temps, des difficults et des doutes naissent de la mise en
uvre du critre jurisprudentiel didentification qui, au fil du temps, sest diversifi et
complexifi47
. La mthode du faisceau dindices, si elle laisse une large libert
dapprciation au juge, ne facilite pas la conceptualisation. Les trois conditions formant
actuellement le critre didentification du service public industriel et commercial sont
censes tre cumulatives, et pourtant des carts ont pu tre faits48
. Au surplus, analyse
45
- P. ESPLUGAS, Le service public, Dalloz, coll. Connaissance du droit/Droit public , 1997, p. 64. 46
- Il est rare quun texte qualifie expressment un service dtermin dindustriel et commercial. En revanche,
ltablissement public charg de grer un ou plusieurs services publics fait souvent lobjet dune qualification par
le texte linstituant. Il serait somme toute assez logique de sattendre ce que la qualification donne sinspire de
la nature du service public gr, ce qui permettrait de dduire de cette qualification textuelle le caractre
administratif ou industriel et commercial du service. Sil arrive quil en soit ainsi, la concidence est loin dtre
systmatique. Sans compter les hypothses o les textes sabstiennent de toute qualification et celles o
ltablissement public est charg la fois dun service public administratif et dun service public industriel et
commercial (hypothse dite des tablissements publics double visage ), auxquels peuvent sajouter des
activits qui ne prsentent pas un caractre de service public, certains tablissements publics qualifis d
"industriels et commerciaux" par un texte dorigine lgislative ou rglementaire savrent grer un service public
qui serait qualifi d "administratif " par le juge et inversement (hypothse des tablissements publics visage
invers ). De nombreux juristes ont dailleurs soulign lattitude opportuniste de lautorit lgislative ou
rglementaire instituant ltablissement public : la qualification d "industriel et commercial" dun tablissement
public dcoulait davantage de la volont dchapper aux contraintes juridiques dune gestion administrative
que de la nature du service public gr. Il y a l de quoi enrichir, considrait B. SEILLER la tratologie
juridique de biens despces effrayantes ( Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p.
420). V. en outre sur ces points notamment P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article prcit
notre note 41, p. 317 et s. ; D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, Litec,
2e dition, 1992, p. 70, n 115 et J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit.
notre note 42, p. 57. 47
- V. les analyses de J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note
42, p. 53-57 et, entre autres, les Thses de C. BURON, La distinction entre les services publics administratifs et
les services publics industriels et commerciaux, Thse dactylographie, Universit dOrlans, 1971, 2 tomes
(518 pages) et de E. GOUGUIA, Lambigut de la distinction SPA/SPIC, Thse dactylographie, Universit de
Caen, 1990 (442 pages). 48
- En plus de ce qui a dj t dit sur une volution actuellement constate (primaut du critre tir de lobjet :
v. notre note 42), parfois remarque-t-on que labsence de lune des trois conditions nempche pas de faire tomber
la prsomption dadministrativit de service. Ainsi, quant la condition relative au mode de financement du
service qui suppose que le service public industriel trouve les ressources ncessaires son fonctionnement dans
les redevances payes par les usagers en contrepartie de la prestation assure, J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et
H. PAULIAT constatent quil existe, ils sont trs rares, quelques SPIC gratuits (), et de nombreux SPA pour
lesquels les usagers, ou tout au moins certains dentre eux, acquittent des redevances en contrepartie du service
() (Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 60) et expliquent que le mode de fonctionnement nest
quun seul lment pris en considration par le juge parmi dautres et, lui seul, il nest pas dterminant . De
la mme faon, R. CHAPUS (Droit administratif gnral, tome I, Montchrestien, Prcis Domat/Droit public,
2000, 14e d.) relve quen principe un service public assur en rgie par une personne publique est prsum
administratif, mais que parfois le caractre industriel ou commercial est reconnu par le juge alors mme que le
service public est exploit en rgie. Lexplication avance ne peut tre que de la mme nature que celle prsente
par J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT : sil y a doute, il profite la prsomption. Il y a l un facteur
intressant de simplification de diagnostic. Mais lorsquil ny a pas matire douter, la gestion en rgie ne
12
une une, chacune des trois conditions est susceptible de soulever un problme
dinterprtation, pouvant donner lieu des conclusions divergentes selon le juge qui
entreprend la qualification.
Tous ces problmes tenant lidentification du service public industriel et
commercial rendent trs incertaines les frontires de cette catgorie 49
. Le cadre des
difficults inhrentes toute opration de qualification est dpass : loutil lui-mme est
peru comme tant fuyant. La conclusion tombe dune seule et mme voix : une activit
de service public peut, selon les poques, ou au cours dune mme priode, dune
collectivit publique lautre, tre dclare soit administrative, soit industrielle et
commerciale. En droit franais, les textes et la jurisprudence semblent bien faire preuve
de cette agilit faire passer une activit de la catgorie du service public
administratif celle du service public industriel et commercial, ou inversement 50
. Il
est permis de se rsigner et de se contenter () de dresser des listes dexemples sans
la moindre prtention de parvenir une tude exhaustive 51
. Sophie NICINSKI52
prsente ainsi une typologie reprsentative de lensemble des incertitudes et des
fluctuations : On distinguera trois types de services. Les premiers ont toujours t
considrs comme industriels et commerciaux, sauf exception53
. Les seconds sont tantt
considrs comme industriels et commerciaux, tantt comme administratifs, en vertu
dune analyse au cas par cas de leur objet, de leurs modalits de fonctionnement ou de
saurait tre une contre-indication la qualification de service industriel et commercial (Grands services
publics, op. cit. notre note 42, p. 588). Pourtant, parfois, la rationalit ne parat tre daucun secours : lorsquun
service bnficie dun monopole lgal, on devrait estimer que ses modalits de fonctionnement lui impriment un
caractre administratif. [Or] la jurisprudence ne fait pas dun tel monopole une contre-indication du caractre
industriel et commercial du service. On aimerait savoir pourquoi (ibidem, p. 588). Dautres juristes ont pu
estimer que lexistence dun monopole empchait de considrer que, du point de vue son objet, le service en
question pouvait tre comparable celui dune activit prive, ce qui ne manque pas de poser dautres
problmes 49
- Formule emprunte D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, op.
cit. notre note 46, p. 67. 50
- L. DUBOUIS, Le service public et la construction communautaire , RFDA (2) mars-avril 1995, p. 292. Et
sans voquer cette hypothse envisage par J.-F. LACHAUME du Service public double visage : On est en
droit de se demander aujourdhui sil nexiste pas des hypothses dans lesquelles un mme service public
appartiendrait simultanment [ la catgorie des services publics administratifs et la catgorie des services
publics industriels et commerciaux] pour le mme service public, dpendant de la mme autorit organisatrice
et cela sur une mme priode, en raison de deux modes de rmunrations adopts selon les usagers ( Brves
remarques sur les services publics double visage , RFDA 2003.662). 51
- P. SANDEVOIR, ( Les vicissitudes de la notion , article prcit notre note 41, p. 317) le constatait dj,
tout comme le font aujourdhui J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT (Grands services publics, op. cit.
notre note 42, p. 59). 52
- S. NICINSKI, Lusager du service public industriel et commercial, Prface Laurent RICHER, Paris,
LHarmattan, coll. Logiques juridiques , 2001, p. 2, n 4. 53
- Rentreraient dans ce type de service public industriel et commercial, selon lauteur, notamment la
distribution dlectricit et de gaz, les transports ferroviaires, les abattoirs, lexploitation des halles et marchs,
ladministration des monnaies et mdailles
13
la provenance de leurs ressources. Le juge opre au coup par coup, sans que lon puisse
discerner dans le temps de grands revirements jurisprudentiels54
. Les troisimes sont
ceux qui ont fait lobjet de nets revirements de jurisprudence, ou dont la nature a t
dfinitivement fixe par une loi 55
.
Le droit positif distingue nettement des services publics industriels et
commerciaux et des services publics administratifs, et exclusivement ces services56
. Des
consquences juridiques opposes en dcoulent. Il faudrait donc pouvoir clairement les
identifier pour les distinguer. Le caractre administratif se prsume, le caractre
industriel et commercial juridiquement se recherche. Tout le jeu de la prsomption
consiste faire reposer la distinction sur la dtermination du caractre industriel et
commercial du service. Or cette recherche savre complexe. Ces difficults nourrissent
une critique lgard de la notion de service public industriel et commercial qui parat
peu homogne et bien insaisissable. En fin de compte, cest un problme de dfinition
des frontires qui se pose.
54
- Essentiellement en raison des modalits de fonctionnement ou de lorigine des ressources dailleurs ! Les
bacs et passages deau pour S. NICINSKI seraient un service public industriel et commercial de ce type, dautres
considreront quils sont dfinitivement administratifs , soit pour marquer que le juge a remis en cause la
notion de service public industriel et commercial sur le terrain mme o elle avait vu le jour larrt dit du Bac
dEloka , soit simplement pour indiquer quil y a dsormais un SPIC de moins (Cour Suprme de Cte
dIvoire, 14 janvier 1970, Socit des Centaures routiers, AJDA 1970 p. 560, rapport BERNARD ; TA Poitiers 7
juin 1972, Denoyez, D. 1974, p. 29 ; CE 10 mai 1974 Denoyez et Chorques, AJDA 1974, p. 298, RDP 1975, p.
467, RA 1974, p. 440, D. 1975, p. 393 ; TC 15 octobre 1973 Barbou, AJDA 1974, p. 94, JCP 1975-II-18045, D.
1975, p. 185 ; CE 10 juillet 1989 Rgie dpartementale des passages deau de la Charente-Maritime RFDA
1991, p. 180). Lenlvement des ordures mnagres, lexploitation dune piscine ou dun camping municipal
sont les types mmes de ces services publics soumis au cas dune analyse minutieuse. 55
- Cest notamment le cas des services des postes et tlcommunications, autrefois qualifis dadministratifs (V.
TC 24 juin 1968 Ursot, Rec. p. 797 ; JCP 1968-II-15 646 concl. GEGOUT, note J. DUFAU ; D. 1969, p. 416, note
J. du BOIS DE GAUDUSSON ; J. LEMASURIER, A propos de service public des postes et tlcommunications.
Rflexions sur la distinction des services publics administratifs et les services publics industriels et
commerciaux , AJDA 1969, p. 139), et qui aujourdhui sont considrs comme tant industriels et
commerciaux en raison de la loi du 2 juillet 1990 (Loi n 90-568 du 2 juillet 1990, JO du 8 juillet 1990
modifie par la loi n 660 du 26 juillet 1996) qui soumet au droit priv les relations des exploitants publics
avec leurs usagers, leurs fournisseurs et les tiers, qui donne comptence au juge judiciaire pour connatre de ces
litiges sauf ceux relevant par leur nature du juge administratif (art. 25), et qui soumet leur comptabilit aux
mmes rgles que celles applicables aux entreprises de commerce (art. 15). Rentre galement dans ce type de
service public industriel et commercial, le service extrieur des pompes funbres (Avis CE, section de lintrieur,
19 dcembre 1995, n 135 102, EDCE n 47, p. 427). 56
- Cest, pour reprendre la formule de R. CHAPUS (Droit administratif gnral, op. cit. notre note 48, p. 59),
toute l exhaustivit de la distinction des services publics administratifs et des services publics industriels et
commerciaux que consacre le Tribunal des conflits en abandonnant la jurisprudence Naliato (TC 29 janvier
1955, Rec. p. 614 ; D. 1956, p. 58 note C. EISENMANN ; DA 1955, p. 53, concl. J. CHARDEAU ; RDP 1955, p.
716, note M. WALINE). V. TC 4 juillet 1983, Gambini, Rec. p. 540 ; JCP 1984, n 20 275, concl. D.
LABETOULLE ; RDP 1983, p. 1381, note J. M. AUBY.
14
b/ Lopposition entre ce qui est administratif et ce qui est industriel et
commercial est juge fort artificielle57
. Ce que lanalyse du droit positif met en
vidence lorsquil est conclu au flou, lambigut de la distinction des services publics
administratifs et des services publics industriels et commerciaux, cest labsence dune
diffrenciation objective. On saperoit nettement crivait J.-F. LACHAUME, quil
nexiste pas ou pratiquement pas objectivement des SPIC et des SPA 58
. La
distinction ne concerne pas les activits en soi 59
: il ny a pas dactivits par nature
administratives ou industrielles ou commerciales60
. Cest dj prendre le contre-pied des
conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER sur larrt Bac dEloka,
perues pourtant traditionnellement comme tant lorigine de cette distinction et de
linvention de la notion de service public industriel et commercial61
.
Si une distinction, en tant quelle tmoigne dune volont dexplication des
solutions juridictionnelles, existe indpendamment des notions distingues en elles-
mmes, essentiellement de par les fonctions quelle assure 62
, force est de constater que
dans le discours actuel, cette fonction nest plus trs bien perue, et tout le moins nest
plus perue comme tant celle dune diffrenciation objective faite au sein des activits
de services publics. Une activit qui serait par nature industrielle ou commerciale peut
tre qualifie de service public administratif ou de service public industriel et
commercial en raison du type de la gestion adopte. En mme temps, certains services
57
- G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, Droit administratif, Armand Colin, coll. U, 7e d., 2000, p. 427.
58 - J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 60.
59 - G. J. GUGLIELMI, G. KOUBI, Droit du service public, op. cit. notre note 6, n 190, p. 76.
60 - Ctait dj la position de F.-P. BENOIT qui ajoutait que ni les activits, ni les services, nont de nature par
eux-mmes. Il nexiste donc aucun service qui par sa nature soit, objectivement, industriel ou commercial (Le
droit administratif franais, Dalloz 1968, n 1500, p. 798). 61
- Certains services sont de la nature, de lessence mme de lEtat ou de ladministration publique ; il est
ncessaire que le principe de la sparation des pouvoirs en garantisse le plein exercice, et leur contentieux sera
de la comptence administrative. Dautres services, au contraire, sont de nature prive, et sils sont entrepris par
lEtat, ce nest quoccasionnellement, accidentellement, parce que nul particulier ne sen est charg, et quil
importe de les assurer dans un intrt gnral ; les contestations que soulve leur exploitation ressortissent
naturellement de la juridiction de droit commun . (Extrait des conclusions MATTER sur TC 22 janvier 1921
Socit commerciale de lOuest africain, Rec. p. 91, D. 1921-3-1 et S. 1924-3-34). 62
- M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine dans llaboration du droit de la responsabilit administrative,
Paris, LGDJ, BDP tome 171, 1994, p. 517 : Si ltablissement de la distinction est exclusivement doctrinal, les
concepts dont la distinction spcifie les divers sens sont incontestablement crs par le juge dans la recherche des
solutions juridictionnelles. Ce qui nimplique pas pour autant que le juge sattache dfinir ncessairement les-
dits concepts. Il les utilise certes, mais souvent sans sinterroger sur les notions et les dfinitions quils
supposent. Conus fonctionnellement pour rsoudre des litiges, le juge ne cherche pas lessence des concepts, et
le plus souvent ne donne pas leur dfinition (). Il revient alors la doctrine de prciser les dfinitions afin
dexprimer lessence dune notion ou dun concept. Mais cette tape relve de la conceptualisation qui est
totalement absente de ltablissement des distinctions. En effet, la rflexion doctrinale oppose un sens un
autre, mieux une fonction de la notion une autre, sans chercher dfinir la notion en elle-mme (p. 516,
souligns par nous).
15
publics ne sont commerciaux que de nom, afin dtre soustraits aux contraintes de
puissance publique inhrentes au rgime des services administratifs 63
. Autrement dit,
des activits administratives dintrt gnral sont qualifies de service public industriel
et commercial, tandis que des activits industrielles ou commerciales dintrt gnral
peuvent tre qualifies de service public administratif.
A tout le moins, cette ambigut conceptuelle de la distinction des deux catgories
de services publics pourrait ventuellement [tre] tolrable si, dun autre ct,
concrtement elle favorisait une identification simple du rgime juridique
applicable 64
. Or, il nen est rien. La dtermination du caractre du service public ne
suffit pas tablir le droit applicable ce dernier. Autrement dit, sur le plan de lanalyse
du rgime juridique, des difficults subsistent galement65
. Idalement, le rattachement
dun service public lune des deux catgories emporte lapplication dun rgime
juridique prtabli, lun constitu en majorit de rgles de droit public, lautre constitu
en majorit de rgles de droit priv66
. La distinction du service public administratif
et du service public industriel et commercial renvoie limage dune distinction droit
public/droit priv au sein dune notion fdrative de service public . Limage est
nanmoins floue et la reprsentation demeure imparfaite puisque les services publics
industriels et commerciaux ne sont pas entirement soumis au droit priv et que les
services publics administratifs ne sont pas non plus entirement rgis par le droit
public67
. Service public administratif et service public industriel et commercial relvent
tous deux dun rgime mixte. Seule la part respective du droit public et celle du droit
priv varie lintrieur de chacune des deux catgories. Si ltablissement dune
distinction met en uvre () particulirement labstraction des cas despce, dans le
but prcis dexpliquer une rgle en lopposant une autre et possde une vertu
63
- D. LINOTTE, A. MESTRE et R. ROMI, Services publics et droit public conomique, op. cit. notre note 46, p. 70
n 115 ; V. galement P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article prcit notre note 41, p. 329,
relevant quun service dont lactivit nest pas en elle-mme industrielle et commerciale peut tre assimil la
notion de SPIC ds lors que sa gestion diffre plus ou moins de la gestion administrative classique . 64
- B. SEILLER, Lrosion de la distinction , article prcit notre note 8, p. 419. 65
- La notion a t et est encore prsente comme tant lune des causes de la crise de la notion de service
public. V. J.-L. DE CORAIL, La crise de la notion juridique de service public en droit administratif franais,
Prface de P. COUZINET, Paris, LGDJ, 1954 et J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services
publics, op. cit. notre note 42, p. 64. 66
- Cest la prsentation que fait par exemple D. LOSCHAK dans sa Thse de doctorat : les deux catgories de
services sont soumises des rgimes juridiques opposs, notamment en matire de responsabilit, de contrats, ou
de statut du personnel (Le rle politique du juge administratif franais, Paris, LGDJ, BDP tome CVII, 1972, p.
147, soulign par nous). 67
- V. J. LAMARQUE, Recherches sur lapplication du droit priv aux services publics administratifs, Paris,
LGDJ, BDP tome XXV, 1960.
16
pdagogique, une fonction explicative 68
, force est de constater que telle quelle ressort
du discours, la distinction du service public administratif et du service public industriel
et commercial ny parviendrait pas.
Actuellement, pour le plus grand nombre, la distinction des services publics
administratifs et des services publics industriels et commerciaux nest autre quune
distinction de la gestion publique et de la gestion prive 69
. A ct de lhypothse
de lusage fait par ladministration de certains procds de droit priv loccasion de la
gestion dun service public (la gestion prive des services publics ), certains services
publics ont t considrs dans leur ensemble comme fonctionnant sous le rgime de
la gestion prive 70
(les services publics gestion prive ). Ds lors quau cas
particulier de la gestion prive des services publics sest ajoute lhypothse des
services publics gestion prive, il est possible denvisager la constitution dune
distinction des services publics gestion publique qui peuvent avoir recours la
gestion prive , et des services publics gestion prive . Dautres juristes,
considrant que tous les services publics sont affects par une multiple privatisation71
,
proposent de clarifier la diversit des rgimes juridiques en fonction des organes et de
la nature des activits . Une certaine graduation stablit : chaque service public a
son rgime propre fait de droit public et de droit priv mais, globalement, les services
grs par des personnes publiques sopposent aux services grs par des personnes
prives, plus nettement que les services administratifs aux services industriels et
commerciaux 72
.
Jeu de la prsomption dadministrativit de toute activit de service public, il
devrait revenir une notion de service public industriel et commercial le soin de
68
- M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine, op. cit. notre note 62, p. 515. 69
- Cette assertion ne fait cependant pas lunanimit. Pour J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT,
lappellation souvent utilise pour les SPIC et selon laquelle ils constituent des "services publics gestion
prive" () doit tre utilise avec prudence car [les juges] ont clairement montr depuis une quarantaine
dannes leur volont de ne pas soumettre intgralement au droit priv lorganisation et mme la gestion des
SPIC. A vrai dire, le juge a limit en surface mais, lintrieur de cette surface, tendu en profondeur,
lapplication du droit priv (Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 64). 70
- Cest la prsentation faite notamment par les auteurs des Grands arrts de la jurisprudence administrative,
loccasion de la prsentation de larrt dit Bac dEloka (par exemple la 12e d., 1999, n 39, p. 224) : avant
1921 cette notion [de gestion prive] demeurait limite des oprations isoles, telles que la gestion du domaine
priv ou la conclusion de certains contrats : nul naurait admis alors que des services entiers puissent tre
considrs comme fonctionnant sous le rgime de la gestion prive. Linnovation fondamentale de larrt Socit
commerciale de lOuest africain consiste prcisment dans lapplication de la notion de la gestion prive des
services publics entiers, pris dans leur ensemble, en bloc . 71
- G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, considrent en effet que la privatisation se prsente sous trois
formes () : utilisation du droit priv, transfert de la gestion dun organisme public une association prive ou
une socit commerciale, introduction de capitaux privs (Droit administratif, op. cit. notre note 57, p. 507).
17
marquer, au sein du service public, une dlimitation entre ce qui est administratif et
ce qui est industriel et commercial . Or, la capacit dune notion de service
public industriel et commercial tracer cette frontire apparat douteuse, et le sens
dune distinction du service public administratif et du service public industriel et
commercial napparat plus clairement. Du reste, cette notion de service public
industriel et commercial, qui repose finalement sur une analogie du service public et de
lentreprise prive, est de nature remettre en question cette distinction fondamentale
faite en droit administratif entre ce qui constitue un service public et ce qui nen
constitue pas un. Difficile en consquence de distinguer parmi les activits
industrielles et commerciales, ce qui est service public et ce qui ne lest pas 73
, ceci
dautant plus que, par suite dune politique de diversification des activits des
entreprises publiques, certaines entreprises de service public se sont trouves assurer
galement des activits caractre purement industriel ou commercial74
. Lide dune
ressemblance du service public et de lentreprise prive quinduit une notion de service
public industriel et commercial, perue comme tant dune efficacit et dune utilit
douteuse dans le cadre dune distinction SPA/SPIC , savre cette fois dangereuse
pour le maintien dune distinction du service public et de lentreprise qui ne constitue
pas un service public. La question est pose : ne vaudrait-il pas mieux abandonner cette
notion de service public industriel et commercial et renoncer toute distinction, qui ne
serait du reste quartificielle, au sein dune notion de service public ?
2- Renouveau
La fin dune catgorie juridique ?
Depuis vingt ans, un certain nombre de travaux mens sur un plan conceptuel
donnent penser quune volution sest produite dans le discours juridique tenu. Tout
dabord, dmarche pour le moins significative, sest gnralise une tendance la
relecture des origines de la notion de service public industriel et commercial (a/).
Ensuite, certaines tudes invitent considrer que le stade des difficults
existentielles que connat cette notion doit tre dpass, certains publicistes nhsitant
plus en quelque sorte dresser un constat de dcs son endroit (b/). Faut-il voir l
72
- G. DUPUIS, M. J. GUEDON et P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. notre note 57, p. 508. 73
- G. DUPUIS, M. J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. notre note 57, 8e dition, 2002, p. 503.
74 - V. sur ce point les nombreux dveloppements de P. SANDEVOIR, Les vicissitudes de la notion , article
prcit notre note 41, p.317 et s.
18
de nouvelles tentatives doctrinales pour sortir dune impasse ? Ny a-t-il pas l plus
profondment des signes indiquant quune rupture sest produite ? Toujours est-il que,
dans ce cadre, la question, pourtant bien rcurrente, de savoir si une notion de service
public industriel et commercial peut avoir un quelconque avenir en droit administratif,
pourrait bien ne plus se poser du tout !
a/ Alors quil tait traditionnellement enseign depuis plusieurs dcennies que
larrt Socit commerciale de lOuest africain, avait introduit en droit une notion de
service public industriel et commercial en dcidant de soumettre un service public
aux rgles du droit commun, provoquant ainsi une scission au sein du service public
ou une division des services publics en deux catgories juridiques, des voix se sont
leves, essentiellement depuis la fin des annes 1980, pour affirmer quil nen avait
rien t75
, et que chose rellement stupfiante, proprement parler incroyable ()
voil maintenant plus de cinquante ans que la doctrine du droit administratif, peu prs
unanime, sacharne faire dire ceux qui jugrent laffaire du Bac dEloka exactement
le contraire de ce quils voulurent dire et dirent effectivement 76
. On le pressent dj,
proposer une relecture des origines supposes de cette notion est loin de constituer une
dmarche insignifiante. En brisant le lien unissant pour le plus grand nombre cette
catgorie de service public la jurisprudence dite du Bac dEloka , on ne tente pas autre
chose que dbranler ce qui pourrait tre les fondements classiques du service public
industriel et commercial.
) Au pire concluait A.-S. MESCHERIAKOFF77
, le Bac
dEloka nest mme pas un service public, au mieux, il ny a quun cas de gestion
prive du service public comme on en connaissait dj en 1921 ; ni la dcision du
Tribunal des conflits, ni les conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER
sur cette affaire ninventrent cette catgorie juridique, contrairement ce quaffirme le
rcit traditionnel de ses origines. G. QUIOT est all plus loin : si A.-S. MESCHERIAKOFF
hsite encore, il ne fait aucun doute pour lui que quoi quen pensent tous ceux,
75
- Principalement la suite des travaux dA.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du Bac dEloka. Lgende et ralit
dune gestion prive de la puissance publique , RDP 1988.1059 ; Droit des services publics, Paris, PUF, coll.
Droit fondamental , 1re
d., 1991, n 20, p. 58), de G. QUIOT (Aux origines du couple gestion prive -
gestion publique . Recherche sur la formation de la thorie de la gestion prive des services publics, Thse
dactylographie, Universit de Nice-Sophia-Antipolis, 1992, p. 542 et s.) et de F. BURDEAU (Histoire du droit
administratif, Paris, PUF, coll. Thmis/Droit public , 1re
d., 1995, p. 310 et s.). 76
- G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 548. 77
- A.-S. MESCHERIAKOFF, Larrt du Bac dEloka , article prcit notre note 75, p. 1067.
19
innombrables, qui () enseignent que larrt du Bac dEloka a introduit dans notre
droit la notion de service public industriel et/ou commercial, les magistrats du Tribunal
dnient ce service la qualit de service public 78
. Par cette dcision du 22 janvier
1921, les juges du Tribunal des conflits nont pas reconnu la comptence judiciaire pour
cette raison que le service du Bac tait un service public gr comme laurait t une
entreprise exploite par un industriel ordinaire . En consquence, cette dcision na
pas pu introduire une distinction des services publics administratifs et des services
publics industriels et/ou commerciaux, ou si lon prfre , G. QUIOT relevant qu
un service public nest industriel et commercial que sil est gestion prive 79
, une
distinction des services publics gestion publique et des services publics gestion
prive . La vritable rvolution de la jurisprudence Bac dEloka serait ailleurs, elle
consisterait prcisment exclure de la catgorie des services publics certains services
administratifs dintrt gnral, considrant que ceux-ci sont de nature prive, et non
publics . Ce nest donc pas dun service public industriel et commercial dont il aurait
t question dans cette jurisprudence place pourtant son origine.
Cette catgorie juridique reposerait par consquent sur une interprtation
collective errone de la dcision du Tribunal des conflits et des conclusions de P.
MATTER. Mais, si erreur il y a, sest-on vritablement intress ses causes ? Sest-
on vritablement interrog sur les raisons pour lesquelles depuis plusieurs dcennies
la doctrine du droit administratif, peu prs unanime, sacharne faire dire cette
jurisprudence ce que manifestement elle ne dit pas ? Ne serait-ce pas l prcisment
dans cet acharnement quune notion de service public industriel et commercial
prendrait finalement un sens ? Autrement dit, si ce qui est traditionnellement enseign
constitue effectivement une lgende, comme laffirme A.-S. MESCHERIAKOFF rcit
caractre merveilleux, o les faits historiques sont transforms par limagination
populaire ou par linvention potique selon une dfinition usuelle , ny aurait-il pas
l trs exactement ce qui doit tre lu , comme lindique clairement ltymologie du
terme lgende ? Une lgende nest-elle pas galement une cl qui claire la
comprhension dune reprsentation du rel comme par exemples une carte
gographique ou un plan topographique , qui la prcise en lui donnant un sens et une
dimension ?
78
- G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 617. 79
- G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 10.
20
Cette question mrite dtre pose dautant plus que J. CADART, dans les annes
1950, en mettant jour lexistence dune notion judiciaire de service public ,
adoptait dj cette soi-disant nouvelle interprtation de la jurisprudence dite du Bac
dEloka, sans pour autant briser le lien intime qui la retenait une notion
administrative de service public industriel et commercial80
. Pour ce juriste, deux
conceptions du service public coexisteraient cette poque en droit positif, lune
administrative, orthodoxe, dominante, donnant naissance en son sein une distinction
des services publics administratifs et des services publics industriels et commerciaux,
lautre plus hrtique, minoritaire, mais dune relative constance chez les magistrats
judiciaires, aboutissant une autre classification des services organiss par les
collectivits administratives, la distinction des services publics et des services privs. Si,
selon son analyse, les frontires de ces deux distinctions ne concidaient pas le service
public des juges judiciaires tant infiniment plus restreint que le service
public proprement administratif des tribunaux administratifs et les services privs
comprenant non seulement les SPIC mais aussi bon nombre de services dits
administratifs par les juges administratifs81
, il nen restait pas moins, pour J.
CADART, que la notion administrative de service public industriel et commercial et la
notion judiciaire de service priv [avaient] une origine commune , les conclusions
MATTER de 1921 sur laffaire du Bac dEloka82
. Briser le lien sacr tiss entre la
jurisprudence Bac dEloka et le service public industriel et commercial, en mettant
jour que, dans la lettre, cette jurisprudence ninvente pas une nouvelle catgorie de
service public , puisquil ntait question que dun service priv, ne peut donc suffire
tuer dans luf notre notion.
) Ny aurait-il alors l quun coup dpe dans leau ? Si
effectivement un consensus sest form autour dune relecture de la jurisprudence Bac
dEloka, sil nest plus vritablement crit que par cette dcision, suivant les
conclusions du commissaire du gouvernement P. MATTER, les juges du Tribunal des
conflits ont soumis un service public au droit commun83
, crant une nouvelle catgorie
80
- J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public : la notion judiciaire de service public.
Contribution ltude du problme de la rpartition des comptences entre les deux ordres de juridictions,
Annales de lUniversit de Lyon, Librairie du recueil Sirey, 1954. 81
- J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public, op. cit. notre note 80, p. 56. 82
- J. CADART, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public, op. cit. notre note 80, p. 68. 83
- J. LEMASURIER navait pas hsit en 1969 inscrire au cur de la dcision du Tribunal des conflits de 1921
la notion de service public : en effectuant, moyennant rmunration, les oprations de passage des pitons et
des voitures dune rive lautre de la lagune, la colonie de la Cte dIvoire exploite un service public de
21
juridique, le service public industriel et commercial, distincte du service public
administratif, force est de constater que le consensus sarrte bien l. Des divergences
apparaissent ds lors quil sagit de mesurer la porte de cette relecture quant
lmergence dune catgorie juridique de service public industriel et commercial. Pour
A.-S. MESCHERIAKOFF, cette invention nest pas dorigine jurisprudentielle, mais est un
pur produit doctrinal visant combattre le dveloppement dune thorie de la
gestion prive84
. Pour G. QUIOT, elle rsulte de la jurisprudence du Conseil dEtat
Socit gnrale darmement du 23 dcembre 192185
, homologue bien plus tard par le
Tribunal des conflits86
, et na toujours t quune mise en uvre de la thorie de la
gestion prive. Le professeur R. CHAPUS, dans les diffrentes ditions de son Droit
administratif gnral87
, quant lui, campait sur sa position premire dtudier la notion
de service public industriel et commercial telle quelle rsultait du droit positif le plus
rcent, cest--dire suivant la mise en uvre des critres issus de la jurisprudence du
Conseil dEtat Union syndicale des industries aronautiques du 16 novembre 195688
.
Mais pour le plus grand nombre, cette notion de service public industriel et
commercial reste dune faon ou dune autre lie la jurisprudence du Tribunal des
conflits de 1921. Elle est issue dune interprtation de larrt du Bac dEloka Et quoi
quon en dise, difficile de ne pas penser que quelque chose dessentiel rside sous cette
perptuation dun rcit des origines. Si J.-F. LACHAUME ncrit plus par exemple que les
transport, dans les mmes conditions quun industriel ordinaire ( A propos de service public des Postes et
Tlcommunication , article prcit notre note 31, p. 149, soulign par nous). 84
- V. notamment A.-S. MESCHERIAKOFF, Larrt du Bac dEloka , article prcit notre note 75. 85
- G. QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, notamment p. 660 et s. 86
- TC 22 janvier 1955 Naliato, Revue pratique de droit administratif, 1955, p. 53, concl. J. CHARDEAU ; G.
QUIOT, Aux origines du couple , thse prcite notre note 75, p. 787 et s. 87
- R. CHAPUS, Droit administratif gnral, Tome I, Montchrestien, Prcis Domat (15e dition 2001).
88 - CE (Ass), conclusions LAURENT, S. 1957, p. 38. R. CHAPUS, indiquait A.-S. MESCHERIAKOFF ( Larrt du
Bac dEloka , article prcit notre note 75, p. 1063 et la note 20), prfre citer la jurisprudence Socit
gnrale darmement, lappui de ses dveloppements sur le service public industriel et commercial, plutt que
la jurisprudence du Bac dEloka. Cette assertion nous parat devoir tre nuance. Dans la 4e dition de son Droit
administratif gnral (1988, p. 384, n 641) tout comme dans la 14e (2000, p. 577, n
os 761 et 762), ces deux
jurisprudences sont tudies dans le cadre de la problmatique de la qualification de service public pour
certaines activits administratives. La jurisprudence Socit commerciale de lOuest africain vient illustrer la
thse librale qui refusait de considrer juridiquement un service industriel et commercial comme tant un
service public . Si R. CHAPUS ncrit pas que le service du Bac dEloka tait pour le Tribunal des conflits un
service priv, il relve clairement que celui-ci a bien pris soin de ne pas qualifier ce service de service
public ! La jurisprudence Socit gnrale darmement, quant elle, est cite propos dun courant de pense
qui tendait ne rputer service public que les services soumis un rgime juridique de droit public. Ds
1921 relve R. CHAPUS, le Conseil dEtat avait qualifi de service public industriel et commercial une activit
commerciale de lEtat, ce qui revenait dire que la considration du rgime applicable tait indiffrente quant
la qualification de service public de lactivit en cause. On peut donc considrer que le professeur CHAPUS
semble bien vouloir viter de tomber dans le pige dune quelconque gnalogie abusive : la notion de service
public industriel et commercial qui soffre ltude en droit positif, cest pour lui celle qui rsulte de la
jurisprudence Union syndicale des industries aronautiques de 1956.
22
services publics industriels et commerciaux sont ns juridiquement avec la clbre
dcision du Tribunal des conflits () dite du Bac dEloka 89
, il nen demeure pas
moins pour lui que cest bien larrt de 1921 qui, par ricochet en quelque sorte, va se
trouver lorigine de la catgorie des SPIC 90
: le juge administratif a qualifi de
SPIC , ce que P. MATTER appelait service de nature prive 91
. F. BURDEAU
nadopte pas une autre position92
. Si la jurisprudence Bac dEloka ninaugure en rien
une thorie des services publics industriels et commerciaux , parce quil est jug que
le service en cause tait de sa nature priv , elle nen demeure pas moins le
dtonateur suivant lexplication quil avance : si, pour particuliers quils fussent,
ces services taient dits publics, la juridiction administrative recouvrait des titres
revendiquer au moins une partie du contentieux n de leur fonctionnement 93
, ce qui
fut dit et fait par le Conseil dEtat ds laffaire Socit gnrale darmement94
de 1921.
Cette relecture des origines supposes dune notion de service public industriel et
commercial est trs certainement de nature semer le trouble sur sa consistance et
accentuer son caractre artificiel. Elle semble surtout tre destine dterminer une
histoire de la construction de cette notion en droit qui lgitimerait un discours
actuellement tenu sur la ralit dune distinction du service public administratif et
du service public industriel et commercial . G. QUIOT notamment a bien pris soin de
dfinir sa dmarche historique. Il part dune conception actuelle du service public
industriel et commercial un service public gestion prive et en recherche lorigine.
Autrement dit, sa recherche porte sur cette question de savoir comment sest labor en
droit ce qui aujourdhui parat constituer une notion de service public industriel et
commercial. Ce faisant, il npuise pour autant pas tout ce quaurait nous enseigner
lhistoire de llaboration dune notion de service public industriel et commercial. La
dmarche adopte peut donner penser quen fin de compte, la notion de service public
industriel et commercial a toujours t catgorie permanente un service public
gestion prive. Or, rien ninterdit de penser au contraire que, par-del les fausses
89
- J.-F. LACHAUME, Grands services publics, Paris, Masson, coll. Droit/sciences conomiques , 1989, p. 54-
57. 90
- J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, op. cit. notre note 42, p. 47-64. 91
- Ibidem, p. 51. 92
- F. BURDEAU, Histoire du droit administratif, op. cit. notre note 75, p. 312. 93
- Larrt du Bac dEloka aurait logiquement eu pour consquence de soustraire la connaissance du juge
administratif un vaste domaine, et celui-ci, afin de prserver une comptence quimpliquait ses yeux la
df