Lemann Joseph - Les Juifs Dans La Revolution Francaise

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    Les juifs dans la rvolution franaise

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    Les juifs dans la rvolutionfranaise

    LA PRPONDRANCE JUIVEPREMIRE PARTIE

    SES ORIGINES (1789-1791)D'APRS DES DOCUMENTS NOUVEAUX

    (Suite lentre des Isralites dans la socit franaise)

    par L'ABB JOSEPH LEMANN

    LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE90, RUE BONAPARTE, 90

    PARIS

    Imprimatur Cardinal Foulon 26 Aug. 1889

    1889

    rdition 1988, Ed. AvalonComptoir de vente: Mercure Diffusion

    10, rue des Pyramides, 75001 Paris.Tel 42 86 99 20

    Texte intgral

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    Selon Joseph Lmann, l'acte de naissance de l'intgration de la communaut juive au sein dela socit franaise peut se rdiger ainsi: "Est ne des Droits de l'Homme et de la Francedchristianise, dans le local de l'Assemble nationale: du 14 aot 1789 au 27 septembre

    1791." L'auteur poursuit: "A Jricho, les droits de Dieu marchaient devant Isral, avec le bruitdes trompettes; en France, ce sont les droits de lHomme, avec la hache rvolutionnaire, quilui frayent la voie.

    Faisant suite au clbre "Entre des isralites dans la socit franaise", ce nouvel ouvragedcrit, avec une grande prcision, par quelles dmarches les Juifs ont obtenu le titre decitoyen et l'galit des droits. L'auteur tudie en dtail les liens tisss entre les Juifs et lessocits secrtes, ainsi que les nombreux et trs divers moyens mis en uvre pour venir

    bout des rsistances de l'Assemble Nationale et du peuple franais.

    L'auteur, N en 1836, Joseph Lmann tait le contraire de ce que l'on appelle aujourd'hui un raciste,voire un antismite. Juif converti devenu prtre catholique, consacra toute son existence,

    jusqu' sa mort en 1915, tenter de convertir ses anciens coreligionnaires au christianisme.Son uvre majeure, que publient les Editions Avalon, reprsente le rsultat de plus de vingtans de recherches.

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    A QUI S'ADRESSE L'HOMMAGE DE CE LIVRE

    I

    Nous ne venons pas appeler l'attention sur la prpondrance juive, ce qui n'est plus ncessaire;encore moins la prconiser, ce qui serait un mal, mais nous venons l'expliquer.

    On sait vaguement qu'elle est issue de la Rvolution franaise, mais on ignore lescirconstances et les pripties de sa gense. Ce livre les raconte.

    C'est un acte de naissance que nous nous permettons de faire passer sous les yeux de M. SadiCarnot, Prsident actuel de la Rpublique franaise, sous les yeux de l'Assemble nationalercemment sortie des comices de septembre 1889, et sous les yeux de MM. les Membres deces loyales Assembles provinciales, qui, d'un bout de la France l'autre, ont rapproch dansune belle synthse patriotique les choses anciennes et les choses nouvelles.

    L'hommage s'adresse d'abord M. Sadi Carnot, parce que le pre de Monsieur le Prsident dela Rpublique a crit la vie de celui qui fut le principal agent de l'mancipation juive auprsde la Constituante, du prtre-dput Grgoire (1). Le biographe s'est tenu dans le voisinage de

    la vrit plutt que dans la vrit elle-mme. Mieux renseign par ces pages qui sollicitentl'honneur d'tre lues, le chef de l'tat jugera peut-tre opportun de prserver le palais del'Elyse de l'influence hbraque que lui a lgue la maison de son pre (2).

    Nous nommons ensuite, dans notre hommage, l'Assemble nationale sortie des comices deseptembre 1889, parce qu'elle se trouve rappeler, et pour le nom et pour les dates, la premireassemble franaise qui incomba le fardeau de s'occuper pour la premire fois de la question

    juive. L'expression ne semblera pas trop forte, quand on aura pris connaissance de cetouvrage. De 1789 1791, l'Assemble nationale, devenue la Constituante, eut le cauchemarde cette question. Dans l'hypothse o l'Assemble nationale de 1889 viendrait en tre saisiede nouveau durant sa lgislature qui commence (ce qui ne serait nullement impossible), il

    reste savoir si elle se rsignerait aux hsitations et aux perplexits de sa devancire, et si, enfin de compte, elle capitulerait, comme elle, devant les juifs.

    Aurions-nous pu oublier, dans notre hommage, Messieurs les membres des Assembles provinciales de ce centenaire ? En reprenant, avec une largeur de vues et une prcisionadmirables, toutes les questions contenues dans les cahiers de 1789, ils n'ont dlibr sur laquestion isralite qu'avec une extrme rserve, uniquement propos de l'accaparement et del'agiotage (3). Les documents authentiques leur manquaient pour juger, sur les autres points,l'isralitisme contemporain. Qu'ils veuillent bien nous permettre de leur prsenter cesdocuments: ils pourront leur tre utiles, si les rnes du pouvoir reviennent entre leurs mains.Les termes pleins de noblesse et de mesure qu'ils ont employs l'gard des isralites, dansleur rcente et trop courte dlibration (4), prouvent qu'ils sauraient combattre et conjurer le

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    pril smitique en ne lsant pas ces deux choses saintes: les gloires de l'ancien peuple deDieu, et le mouvement des conversions vers le catholicisme.

    II

    C'est un acte de naissance, avons-nous dit, que nous plaons sous des yeux capables del'apprcier.

    L'acte de naissance, en effet, peut se rdiger ainsi qu'il suit :

    LA PRPONDRANCE JUIVEEst ne des Droits de l'homme et de la France dchristianise, dans le local de l'Assemblenationale: du 14 aot 1789 au 27 septembre 1791, dure de cet enfantement laborieux.

    Mise au jour, cette prpondrance va grandir. Ses dveloppements seront l'objet d'tudessubsquentes. Signalons tout de suite l'auxiliaire de sa prodigieuse croissance, par unapologue greff sur un mot historique:

    La Rvolution fera le tour du monde , annonce, un jour, Mirabeau. Tenant parole au tribunqui s'engageait ainsi pour elle, la Rvolution se met en marche;

    Ds le dbut de sa gigantesque tourne, elle est aborde par un singulier compagnon: le juif-errant. Ils se regardent et se disent: unissons-nous.

    Je commence le tour du monde, ajoute, avec un empressement juvnile, la Rvolution.

    Il y a dix-huit sicles que je l'accomplis, rpond le juif-errant; je te guiderai !...

    Depuis lors, tous les continents et tous les peuples les ont vus passer ensemble.

    Cet apologue suffit faire comprendre la rapidit d'accroissement qui s'est manifeste dans laprpondrance juive.

    videmment, les Juifs avaient tout gagner dans la compagnie de la Rvolution. Ils n'ont plus

    besoin de discuter, comme jadis, pour leur mode dexistence, auprs des gouvernements: laRvolution discute en leur faveur. Ils ne batailleront plus comme au temps du moyen ge, elle

    bataille pour eux. Ils n'ont qu' laisser faire leur jeune et sauvage allie, qu' l'exciterseulement quand elle n'avance pas assez vite leurs cts: marche, marche !

    A l'heure o nous traons cette prface, la prpondrance juive (pour ne parler que de sondveloppement en France) se trouve nergiquement dcrite dans ces rflexions du journallUnivers, propos de la circulaire du grand rabbin de Paris sur le centenaire de 1789 (5) :

    En France, les Juifs ne sont-ils pas chez eux ? Ils n'y sont que depuis cent ans, et dj ilsl'ont moiti conquise. Bientt elle sera eux tout entire. Ne possdent-ils pas aujourd'hui laterre, l'argent, l'influence ? Ne disposent-ils pas du gouvernement et de la presse ? A l'heureactuelle, M. de Rothschild et ses coreligionnaires sont plus matres en France que le Prsident

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    de la Rpublique et ses ministres. Ils rgnent la Bourse, et ce palais l, c'est le vrai centre dupouvoir et de l'action (6).

    Quel chemin parcouru, grand Dieu ! de l'acte de naissance prsent plus haut, cettemainmise sur le gouvernement de la France !

    Mais les fils d'Isral ont dress eux-mmes le barrage de bois qui subjugue et humilie touteprpondrance: la Croix !

    Elle seule peut tre, contre eux, le salut de la socit moderne, et leur salut, eux dans lasocit moderne.

    Lyon, le 6 octobre 1889.

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    LA PREPONDRANCE JUIVE.

    CHAPITRE PREMIERINITIATIVE DANGEREUSE DU PHILOSOPHISME DANS L'OUVERTURE D'UN

    CONCOURS A METZ EN FAVEUR DES JUIFS (1785-1788)

    I. Contraste douloureux qui, partir de la rvolution de 1789, va remplir lhistoire du peuple franais et prendre des proportions toujours croissantes: le Christ rejet et les juifs admisdans la socit. II. Pareil contraste ne pourra tre pos par un si grand peuple qu'autantquun breuvage empoisonn et assoupissant lui aura pralablement enlev la claire vue de cequ'il va faire. Quel est ce breuvage ? Le libralisme rvolutionnaire. III Premier essai

    public du libralisme dans un concours ouvert en faveur des juifs dans la ville de Metz, en1788. IV. Signification du choix de Metz pour ce concours. V. Sa tenue et sa dure.

    Dangers qui sy rvlent. VI. L'abb Grgoire, cur d'Embermnil prs de Lunville, syfait connatre et obtient la palme.

    I

    Deux faits d'une incalculable gravit se juxtaposent au dbut de la Rvolution franaise: lerenvoi du Christ et l'admission des juifs.

    Racontant tout au long de ce livre, dans les plus minutieux dtails, la manire dont ces deuxfaits ont t amens et se sont produits, nous nous bornons ici prsenter leur formule

    prcise:

    Premier fait historique: Le Christ rejet en tte de la Dclaration des droits de lhomme;

    Second fait historique: Les juifs admis dans la socit, en vertu de cette mme Dclarationdes droits.

    Ces deux faits, enchans l'un lautre, rappellent un contraste douloureux du pass: laprfrence donne Barabbas sur Jsus; consquemment l'change de Barabbas contre Jsus,puisque l'auguste fils de David appartenait, en propre, au peuple d'Isral, par son sang, sesmiracles, son patriotisme. Ils rappellent cette prfrence, cet change; hlas ! ils devaientaussi faire entrer le peuple franais dans des phases de dception, de dcadence etd'appauvrissement, o les juifs ont march les premiers.

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    Un mot sur cette primaut malheureuse:

    L'immense clameur: Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! n'a pas t, pour lepeuple juif, l'pisode le plus calamiteux de la Passion, quoiqu'il ait t le plus grave. La raisonen est qu'ici-bas le sang du Christ n'exclut personne de ses effluves de misricorde et de

    tendresse. Il purifie, en rose d'amour et de rafrachissement, les juifs aussi bien que n'importequels autres hommes, ds que ces pauvres aveugles, se souvenant de la bienheureuse Passion(suaves et consolantes expressions de la sainte Liturgie (7), consentent profiter du sangdivin. L'pisode le plus calamiteux de la Passion, source d'ignominies et de dsastres pour le

    peuple d'Isral, a t la prfrence donne Barabbas sur Jsus.

    Le Juste, le bienfaiteur de la Jude, est mis en parallle avec un infme voleur et assassin.Une indescriptible vocifration dsigne la prfrence: Barabbas ! Pilate insiste pour donneraux juifs le temps de revenir sur leur choix. Avec plus de fureur, ils lui rpondent: Pas celui-ci, mais Barabbas ! Ces hommes, dont l'exaspration ne connat plus de bornes, ne daignentmme pas dire JSUS, prononcer son nom, tant il leur semble que le prononcer souilleraitleur bouche; ils scrient: CELUI-CI ! non, nous nen voulons plus; cest Barabbas que nouschoisissons !

    Les rsultats de l'change ne se sont pas fait longtemps attendre. Autrefois, Isral tait unenation trs noble, ayant grande figure, nonobstant ses dfauts combattus par Mose et lesProphtes. Mais si, depuis dix-neuf sicles, isralites de la dispersion, vous avez t rputs

    pillards et trompeurs, si vous avez t considrs comme gens de rien et de rapine, sil'accusation d'homicide contre les chrtiens vous a t mme, parfois, adresse, voussupportez, en cette transmission dgradante, la consquence du choix fait par vos anctres,devant Ponce-Pilate. Au royal fils de David, n'ont-ils pas prfr un voleur; au sceptre, n'ont-

    ils pas prfr des fausses clefs ?...

    Une prfrence, non pas aussi catgorique, amene peut-tre subrepticement, mais non moinsdplorable, devait, un jour, s'taler dans l'histoire du peuple de France. Elle devait, galement,impliquer un change. Nous l'avons dsigne ainsi: Le Christ rejet et les juifs admis dans lasocit. On avait cri en Jude: Grce pour Barabbas, mort au Christ ! On devait dcrter enFrance: Renvoi du Christ, entre des juifs ! Les lois ont t l'expression de ce contrastelugubre. Les lois manifestent les penses et les volonts d'un peuple. Si, une heure de la viedu peuple franais, les mmes lois ont dit au Christ: Sortez ! et aux juifs: Entrez ! un grandmfait a t commis. L'change, pour la France, ne sera que trop rel: en lui tant le Christ, onlui donne les juifs ! Quelle disproportion, ciel !

    Le Christ rejet du nouvel ordre social tandis que les juifs y sont admis: lugubre et pniblecontraste, affront la Divinit qui ne s'est pas accompli, comme Jrusalem, dansl'effervescence d'une matine, mais la longue, avec un calme effrayant, aprs une sried'vnements amens par une logique inexorable. Cet affront n'a pas t un acte criminel,explicite et rapide comme le fut la prfrence de Barabbas sur Jsus; mais il a t laconsquence d'ides criminelles, de doctrines criminelles, attendu que, depuis lechristianisme, les peuples ne se conduisent que par les ides. L'affront et le contraste ontdescendu, lentement et graduellement, des gestes de la Constituante, dans les gestes du pays,se sont tendus comme une tache sombre, et maintenant qu'aperoivent, bon gr mal gr, tousles yeux ? Ceci : le Christ rejet bruyamment de partout, et les juifs admis superbement

    partout. Pour l'expansion douloureuse du contraste, la Providence a permis un sicle !

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    Au nombre des personnes qui furent spectatrices et aussi victimes de la sombre tragdie de lafin du sicle dernier, une seule, peut-tre, pressentit, avec son intuition de femme chrtienneet de princesse de France, ce qui allait advenir; nous voulons parler de Madame Elisabeth. Lelendemain de ladmission des juifs tous les emplois par l'Assemble constituante, la royale

    princesse crivait en ces termes madame de Bombelles:

    LAssemble a mis hier le comble toutes ses sottises et ses irrligions en donnant aux juifsle droit dtre admis tous les emplois. Je ne puis te rendre combien je suis en colre de cedcret. Mais Dieu a ses jours de vengeance, et sil souffre longtemps le mal, il ne le punit

    pourtant pas avec moins de force (8).

    Et encore la pieuse princesse n'entrevit-elle qu'une partie de la vrit ! Elle signale, proposdes irrligions de lassemble qui excitent sa colre, l'entre des juifs, elle ne songea pas aucontraste avec le renvoi du Christ. Cest ce contraste que nous allons mettre en relief.

    II

    Avant tout, nous nous sommes pos cette question: Comment un pareil contraste le renvoidu Christ et ladmission des juifs a-t-il pu arriver se produire en pays de France ? Ce n'est

    pas de sang-froid, lorsqu'on s'appelle la France, qu'on dit au Christ: Sortez, et aux juifs:Entrez. Il faut qu'il y ait eu pralablement quelque chose qui ait troubl la raison du peuple le

    plus clair de la terre, le plus religieux, le plus courtois dans ses formes et le pluschevaleresque dans ses procds. De fait, une grande cause de trouble a prpar ce contraste.

    A la fin du XVIIIe sicle, la France buvait une coupe empoisonne et assoupissante. Unbreuvage perfide commenait bouleverser son temprament.

    Quel tait ce breuvage ?

    La Rvolution, brillante, hardie, fascinatrice et terrible comme une Athalie ou une Agrippine,devait, ainsi que ces femmes ambitieuses des temps anciens, procder avec astuce et nereculer devant aucun moyen. Tous les mtiers sont bons qui est dvor par l'ambition ! Dsle principe, la Rvolution s'est faite empoisonneuse, mais avec art, avec habilet; elle arappel et dpass les combinaisons d'Agrippine et de Locuste.

    Refaisons, un instant, par la pense, Rome paenne:

    Locuste est une fameuse empoisonneuse du temps des Csars. Elle doit d'abord faire prirl'empereur Claude, par ordre d'Agrippine. Elle est appele au Conseil; on lui demande demettre du gnie dans ses creusets ! un poison trop rapide rendrait manifeste le meurtre deClaude; un poison trop lent lui donnerait le temps de se reconnatre, et de rtablir les droits deBritannicus, son fils. Locuste comprend, et trouve quelque chose de recherch en fait de

    poison, qui troublera la raison et n'teindra que lentement la vie (9).Un eunuque fait prendre l'infortun Csar le poison dans un champignon qu'il savoure avecdlices: il meurt hbt !

    Un an aprs, Locuste dbarrasse Nron de Britannicus qui le gnait. Cette fois, on luidemande non un poison lent, timide, secret, comme celui qu'elle avait si raffinement compos

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    pour Claude, mais un poison actif, prompt, foudroyant. Britannicus tombe raide mort latable impriale.

    Locuste eut des lves, Nron lui permit de former des disciples, de tenir coled'empoisonnement. L'histoire, en effet, et la peinture, la reprsentent essayant ses venins sur

    de malheureux esclaves, dont les uns se tordent ses pieds, et les autres deviennent fous (10).

    Revenons notre poque.

    Qui et jamais pens que Locuste put tre dpasse ? La Rvolution s'est charge de cesinistre progrs.

    En effet, depuis l'apparition du christianisme dans le monde, tout a revtu une forme plushaute, plus spiritualise, mme le mal, mme l'empoisonnement. On empoisonne les esprits etles murs, comme autrefois on empoisonnait les corps: avec gnie ! Ne dit-on pas, sous lessicles chrtiens, le poison de l'hrsie, le poison de l'erreur ? L'ombre de Locuste,assurment, hantait dj les conciliabules du manichisme, de l'arianisme, du calvinisme, duvoltairianisme; mais, la date de 1789, la Rvolution, s'inspirant de l'empoisonneuse et avidede la dpasser, imaginera dans l'ordre intellectuel et social quelque chose de recherch en faitde poison, qui troublera la raison, nteindra que lentement la vie chez les peuples chrtiens:qu'est-ce donc .qu'elle imaginera ?

    Le libralisme (11).

    En effet, pour arriver troubler la raison chez un peuple comme celui de France et teindrelentement sa vie, il faut un breuvage qui soit tout la fois poison, philtre, narcotique :

    Le poison tue;

    Le philtre enivre;

    Le narcotique assoupit.

    Tous ces effets runis sont ncessaires pour venir bout de la robuste constitution dunenation chrtienne.

    Il s'agit de tuer en elle les ides chrtiennes; en mme temps, d'enivrer les mes gnreuses;

    en mme temps encore, d'endormir les honntes gens: tout cela, du mme coup. Lelibralisme sera cette habile mixture, ce terrible breuvage. Qu'on le dcompose, on y trouveles trois lments, poison, philtre, narcotique.

    Le poison d'abord :

    De mme qu'on rencontre, dans les champs, des plantes vnneuses, on rencontre aussi, dansl'ordre intellectuel, des doctrines mauvaises, des opinions pernicieuses. L'Eglise a beau lesextirper, elles reparaissent avec la facilit et la tnacit des mauvaises herbes: par exemple, langation du pch originel; par exemple encore, l'omnipotence de la raison au tribunal delaquelle tout doit se soumettre, la suffisance des forces humaines pour faire son chemin et lasuffisance des forces sociales pour conduire les peuples. Productions vnneuses de tous lessicles, le philosophisme du XVIIIe les avait considrablement fait surgir, et propages. La

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    Rvolution n'aura qu' se baisser pour les cueillir. Elles formeront le premier lment de sonterrible breuvage.

    Outre le poison, le philtre :

    Il y a, dans le trsor des langues humaines, des mots qui ont le pouvoir d'exciter destransports, d'enivrer, de passionner, ce sont: les mots magiques de libert, de fraternit,d'galit. L'Evangile avait purifi ces mots, les avait expliqus, et, dposant en eux un fermentdivin, les avait tellement largis qu'ils exprimaient des ides nouvelles. Aussi longtemps qu'ilstaient demeurs rattachs l'vangile, ils avaient pntr et travaill le monde d'une faond'autant plus sre et salutaire qu'elle tait douce, pondre, respectueuse. Mais voici qu'auXVIIIe sicle le philosophisme s'empare de ces mots et les explique. Aussitt, ils perdent leurferment divin et tournent au philtre (12). L'Assemble nationale dans la clbre nuit du 4 aot1789, qui sera un enivrement sans prcdent dans l'histoire des peuples, fera l'exprience dece philtre (13). Ils entrent donc comme deuxime lment dans le breuvage enchanteur etfuneste que prpare la Rvolution. Le narcotique, enfin, s'y trouve comme un troisimelment.

    Entre tous les sentiments dont le cur de l'homme a t dou, il en est un qui se distingue parune grande noblesse quand la vrit est son guide, mais qui devient un extrme dangerlorsqu'il ne s'inspire que de lui-mme: c'est le sentiment de tolrance, d'indulgence. En effet,quand elle prend pour guide la vrit, la tolrance se traduit en compassion pour les

    personnes; mais elle se refuse reconnatre les erreurs: compassion pour la personne,rprobation de l'erreur, telle est l'expression de la tolrance catholique. Au contraire,lorsqu'elle ne s'inspire que d'elle-mme, la tolrance, s'garant dans la mollesse des croyancesou dans une sensibilit fausse et outre, devient l'indulgence pour les erreurs non moins que

    pour les personnes, et excuse tout inconsidrment: actes de faiblesse et doctrines coupables.L'Eglise avait toujours rattach soigneusement ce sentiment la vrit. Le philosophisme auXVIIIe sicle l'en dtache. C'est alors que dans la socit prennent cours des maximes commecelles-ci: La tolrance est mre de la paix; La tolrance seule a pu tancher le sangqui coulait d'un bout de l'Europe l'autre; Si Dieu l'avait voulu, tous les hommesauraient la mme religion, comme ils ont le mme instinct moral: soyez donc tolrant. Cesystme de tolrance, encourag, propag, sera l'opium, le narcotique dont la Rvolution a

    besoin. Elle s'en servira pour endormir toutes les querelles religieuses, mieux encore, pourendormir, si c'est possible, les religions elles-mmes. Une foule dhonntes gens, de bonnesgens, ne demanderont plus qu' s'engourdir, s'assoupir et rester neutres, nonobstant lessvrits de la thologie. Troisime lment du breuvage rvolutionnaire ! Et ainsi :

    Omnipotence de la raison au tribunal de laquelle tout doit se soumettre; suffisance des forceshumaines pour faire son chemin, et suffisance des forces sociales pour conduire les peuples(poison);

    Grands mots de libert, d'galit, de fraternit (philtre);

    Sentiment de tolrance rciproque non seulement pour les personnes, mais pour les doctrines(narcotique);

    Tel est le perfide breuvage qui, comme au temps de Locuste, doit troubler la raison, etn'teindre que lentement la vie. Les uns seront enivrs, les autres assoupis, un grand nombretus la longue. Cette mixture recevra, dans la suite, son nom caractristique: le libralisme.

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    III

    Ce fut, comme bien on pense, le philosophisme prparateur de la Rvolution qui entreprit defaire le premier essai public du funeste breuvage. Il le fit propos de la question juive.

    Observation pralable, importante :

    Avant d'tre transports dans une question aussi publique que l'tait celle des Isralites, lesessais des poisons et pavots de la nouvelle doctrine furent longtemps privs et, mme, trsmultiplis. Les sophistes, progniture du philosophisme, faisaient le vilain mtier, auprs dunoble peuple de France, d'tre des valets d'empoisonnement, d'enivrement et de folie.

    Il n'est pas inutile de rappeler que le philosophe digne de ce nom n'a rien de commun avec lesophiste: le premier cherche connatre ou faire connatre la vrit; le second ne cherchequ' la dfigurer ou lobscurcir par de fausses subtilits. Le mot sophiste signifie, d'aprsl'tymologie grecque, trompeur dans ses subtils et insidieux raisonnements. Ne semble-t-il pasquon aperoive un homme qui prpare et infiltre, dans la pense d'autrui, un poison subtil ?Platon, dans un de ses admirables dialogues, appelle tour tour le sophiste: chasseur de

    jeunes gens riches, pcheur l'hameon, commerant faisant ngoce de connaissances lusage des mes, charlatan. Sous ce badinage, le grand moraliste laissait percer une ironie

    profonde et un sens srieux; aussi, quand il veut opposer la sophistique la vraie philosophie,le pur amour du beau et du bien la recherche des faux brillants et des vaines apparences, il

    caractrise; et pour ainsi dire grave en deux traits profonds la diffrence du philosophe et dusophiste: Celui-l, dit-il, tend vers l'tre; celui-ci va au nant (14).

    Combien cet arrt de la sagesse antique se trouvait justifi au XVIIIe sicle par les doctrinessubversives des malfaiteurs intellectuels devenus plus dangereux sous le soleil de la vritchrtienne ! On a dit d'eux, en les rattachant ceux du temps de Platon: Race des sophistes !race ternelle, moqueuse, implacable, qui cherche l'erreur avec passion, et pour qui lombre,quelque forme qu'elle prenne, est une dcouverte et une flicit. Socrate entendait leurs voixautour de lui, lorsqu'il enseignait la jeunesse athnienne l'existence et l'unit de Dieu; cefurent eux qui lui versrent la cigu pendant qu'il prophtisait ses disciples l'immortalit deson me et de la leur. Jsus-Christ les vit au pied de sa croix, et l'Eglise, hritire de toutes les

    vrits qu'il a donnes au monde, n'a pas cess un seul jour de les traner sa suite. Il n'est pasun progrs dans la lumire qu'ils ne combattent par un progrs dans l'art du doute et de langation. Socrate fut leur premire victime, Jsus-Christ fut la seconde; ils esprent que legenre humain sera la troisime, et ils y travaillent ardemment (15).

    Le genre humain, leur victime ! C'est ce grand meurtre, en effet, qui se prparait et allaitcommencer en 89. Le sophiste, dont le style enchanteur distillait avec plus de perfidie les

    pavots de la tolrance, la vapeur enivrante des ides librales et le venin du disme, tait leclbre citoyen de Genve, Jean-Jacques Rousseau.

    Il est juste de reconnatre qu' ct des sophistes astucieux, il y en avait d'inconscients quidevaient contribuer l'empoisonnement du beau pays de France, uniquement par ignorance,

    par ducation incomplte, par prjugs. Moins dangereux au premier abord, ils le deviennent,

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    parce qu'ils servent, hlas ! d'intermdiaires. L'histoire raconte que dans certainsempoisonnements de Locuste, deux esclaves taient employs. Le premier servait un

    breuvage trop chaud, mais inoffensif; les lvres des convives pouvaient s'en approcher pourmieux tromper la victime; l'autre esclave, avec l'eau froide, versait le poison. Pareillement, ily aura deux sortes d'chansons du breuvage rvolutionnaire: les uns disposeront les peuples

    l'accepter, les autres le feront prendre.

    Aprs cette observation pralable, revenons la question juive :

    Les essais du libralisme, avons-nous dit, furent longtemps privs, en ce sens qu'ilsn'manaient point d'une runion publique, d'une assemble. Les brochures, les pamphletstaient ses organes; les salons, les dners entendaient ses premiers panchements, mls ceux du champagne. Fronde des salons, libralisme des femmes, tel est le titre d'un trscurieux passage dans un des savants ouvrages de Taine: Les salons s'ouvrent la

    philosophie politique, par suite au Contrat social, l'Encyclopdie, aux prdications deRousseau, Mably, d'Holbach, Raynal et Diderot (16). Un mot redoutable, celui decitoyen, import par Rousseau, est entr dans le langage ordinaire, et, ce qui est dcisif, lesfemmes s'en parent comme d'une cocarde. Vous savez combien je suis citoyenne, crit une

    jeune fille son amie. Comme citoyenne et comme amie, pouvais-je recevoir de plusagrables nouvelles que celle de la sant de ma chre petite et de la paix (17) ? En tout cela,il n'y avait encore que des essais privs de libralisme Mais voici venir un essai public, etc'est propos de la question juive qu'il va se tenter.

    Les juifs avaient suivi en observateurs trs habiles le dveloppement du mouvement libral.Evitant avec soin, par religion autant que par prudence, la protection, du moins ouverte, des

    philosophes qui se posaient en adversaires dclars du Christianisme et de la Rvlation, ils

    s'taient particulirement attachs aux clbrits qui confinaient la fois au philosophisme etau christianisme, par exemple Malesherbes, Montesquieu.

    Ce dernier surtout tait leur homme. L'auteur de l'Esprit des lois avait parl des juifs entermes extrmement favorables dans un chapitre intitul: Trs humbles remontrances auxinquisiteurs d'Espagne et de Portugal (18). Aussi l'autorit de son nom tait-elle invoque pareux tout propos, dans leurs requtes Versailles, dans les plaidoiries de leurs avocats. Ils

    profiteront de Rousseau, mais ne s'appuieront pas sur lui. Ils s'appuient sur Montesquieu. Unecritique trs fine, quoique non chrtienne, comparant entre eux Montesquieu et Rousseau, anot ces diffrences: L'Esprit des lois marqua, dans l'histoire de la pense humaine, une desgrandes dates du XVIIIe sicle. Comme la statue dont parle Bacon, qui, sans marcher elle-

    mme, indique du doigt la route, lEsprit des lois posait sous tous leurs aspects les problmes politiques dont la solution proccupait tous les esprits, ceux, du moins, auxquels l'avenirapparaissait incertain et couvert de sombres nuages. Il s'adressait aux hommes de raison etd'exprience, aux hommes d'tat et aux penseurs; il chappait, par cela mme, auxentranements de la foule, qui ne veut pas tre claire, mais mue. Au contraire, Rousseau,moins rserv que Montesquieu, amoureux jusqu' l'excs de la popularit, ne craignait pas de

    parler, en ces terribles matires, le langage de la passion. Aussi Rousseau fit-il de nombreuxdisciples; il cra vritablement une cole et un parti dont la Dclaration des droits de l'hommefut l'expression et le drapeau. Montesquieu n'obtint que l'admiration des sages et des espritscultivs, et l'Esprit des lois resta ignor du peuple (19). Les juifs, eux, ne l'ont pas ignor !ils ont compris le signe indiqu par le doigt de la statue. Avant de profiter du grand agitateurqui est Rousseau, ils s'attachent aux modrateurs, qui sont Montesquieu et Malesherbes (20).

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    Tout a coup, le journal le Mercure de France annonce cette nouvelle :

    La ville de Metz vient de mettre au concours cette question: EST-IL DES MOYENS DERENDRE LES JUIFS PLUS UTILES ET PLUS HEUREUX EN FRANCE ? Linitiative dece concours est prise par la Socit royale des sciences et des arts de la ville.

    Un pareil sujet, premire vue, ne prsentait rien que de trs pacifique et de convenablementlibral. Il ne pouvait qu'exciter la curiosit et la sympathie. Il produisit une certaine motion. Ce concours, ouvert par une socit littraire des plus importantes, eut un grandretentissement, et le Mercure de France en parla dans d'excellents termes (21).

    Mais il s'en faut de beaucoup que les chefs et les publicistes du peuple franais aient comprisla gravit de la tentative du philosophisme en faveur des juifs; effet du breuvage ! On nes'aperut pas que l'ouverture de ce concours quivalait celle d'une brche; Metz, malgr sescitadelles, allait laisser passer l'invasion smitique, et le philosophisme tait le tratre ! M. deBonald a dit, avec grande justesse, dans ses Mlanges : La philosophie, lasse de ne rgner quedans la littrature, prit les rnes du gouvernement politique.... Les juifs furent les premiersobjets de ses affections philanthropiques (22). C'est vrai, les juifs furent les premiers objets deses affections philanthropiques; mais l'minent publiciste se trompe, et sa suite d'autrescrivains, en plaant le dbut des sympathies du philosophisme pour les juifs la date del'Assemble constituante, en 1791: c'est Metz qu'il faut placer ce dbut, en 1788.

    IV

    Le choix de Metz n'tait pas sans signification.

    A cette ville, comme celle de Strasbourg, se rattachaient, pour les juifs de France, lessouvenirs les plus amers.

    Nous avons racont, dans notre premier volume, comment, durant quatre cents ans, les juifsavaient t contraints de sortir chaque soir de Strasbourg, au son de la trompe, pour allerchercher gte et sommeil ailleurs; et aussi comment, la fiert de Cerfberr se rvoltant un soirdevant cette coutume, l'adroit et tenace isralite avait conquis, dans Strasbourg, nonseulement le droit de sjour, mais mme celui de proprit. De Strasbourg donc, l'ide de

    devenir propritaires avait t rveille, communique et stimule chez tous les isralites dureste de la France.

    Au choix de Metz venait se rattacher une autre ide: celle de rhabilitation, de rparation,nous croirions presque de revanche, tant les documents sont tranges !

    En effet, c'tait Metz qu'avait eu lieu l'excution de Raphal Lvy, qui fit tant de bruit enFrance, vers la fin du XVIIe sicle.

    Voici ce qui l'avait motive; nous empruntons le rcit aux Archives isralites :

    C'tait en 1669. Raphal Lvy, n au village de Chellaincourt, quatre lieues de Metz,habitait Boulay, bourgade du dpartement de la Moselle et qui dpendait alors du duch de

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    Lorraine. C'tait un pauvre marchand de bestiaux, comme il s'en trouve encore aux environsde cette ville; et avec ce commerce trs pnible, peu lucratif, il levait une famille composede sa femme, d'un fils et d'une fille, dj fiance; il tait parvenu l'ge de 56 ans, sansqu'aucune plainte se ft leve contre lui, jusqu' la fatale journe du 25 septembre 1669,veille de la grande fte des Trompettes. Il partit ce jour-l, un mercredi, 7 heures du matin,

    de Boulay, cheval, et accompagn de son fils, pour aller acheter Metz de l'huile et ychercher une corne de blier pour la fte du lendemain. A 3 heures de l'aprs midi, il setrouvait de retour aux Etangs, o il fit ferrer son cheval, et 4 heures il rentrait Boulay avecson fils et le meunier de l'endroit. On sait d'ailleurs que la veille des ftes, les juifs rentrent de

    bonne heure pour ne pas s'exposer violer certains prceptes.

    Le mme jour, 1 heure du soir, une nomme Mangeote Willemin, femme de GillesLemoine, charron du village de Glatigny, allait une fontaine, deux cents pas du village,

    pour y laver quelques linges; son enfant, nomm Didier, g de 3 ans, marchait derrire elle;il parait qu'elle n'y fit pas attention et que l'enfant courut sur la route et entra dans la fort deHayez, o il s'gara, et comme ctait aux approches de l'hiver, il fut probablement dvor parles loups, et, en effet, le 26 novembre suivant, quatre porchers trouvrent dans ce bois une tted'enfant trs dfigure avec un col de chemise.

    La mre s'tant retourne, ne voyant plus son fils, courut avertir son mari; ils se mirentensemble la recherche et dcouvrirent les vestiges des pas de l'enfant sur la route; mais, aulieu de traverser cette route et d'entrer dans le bois, le pre eut la malheureuse ide quel'enfant avait pris le chemin de Metz et il se dirigea vers cette ville; ayant rencontr uncavalier de la compagnie du comte de Vaudemont et lui ayant demand des nouvelles del'enfant, ce cavalier dit qu'il avait trouv un juif avec une grande barbe noire et mont sur uncheval blanc, qui portait un enfant devant lui, et qu' sa rencontre il s'tait loign du grand

    chemin de la porte d'un coup de pistolet. Le pre courut Metz jusqu' la porte dite desAllemands. L, on lui apprend qu'on avait vu entrer le nomm Lvy de Boulay, et quillogeait ordinairement dans la rue des Juifs, chez son parent nomm Garon. Il se rend danscette rue et demande son enfant; on lui rpond qu'on ne sait ce qu'il veut dire. Huit joursaprs, le 30 Octobre, le pre dposait sa plainte chez le lieutenant criminel du bailliage deMetz.

    L'instruction du procs prouva que l'enfant n'avait pas t dvor par les loups. Le Parlementde Metz conclut l'enlvement, au crime; Raphal Levy fut condamn tre brl vif, et lasentence fut excute le 17 janvier 1670. Continuons avec les Archives :

    Vendredi 17 janvier, au matin, on lui fit lecture de l'arrt; de son cachot, on le conduisit lachambre destine aux tortures; alors il dit aux commissaires de consigner par crit ce qui suit:Que tout ce qu'il pourrait dire, tout aveu que la douleur de la torture pourrait lui arracher, n'estque mensonge; car lui, il est innocent, et tout Isral est innocent; qu'il n'en accusait pas ses

    juges, mais bien les tmoins. Sur cela, l'homme saint et pieux supporta toutes les tortures sansdvier de la vrit et de la justice depuis le commencement jusqu' la fin, et les douleurs les

    plus aigus ne purent le dcider avouer ce mensonge par la plus faible parole; il persistadans la vrit, disant que lui, ainsi que tout Isral, tait innocent. Comme il faillit perdre l'me

    par les grandes souffrances, on voulut lui faire boire du vin pour le fortifier, mais il le refusa, parce qu'il n'tait pas selon les rites hbraques; alors on le retira de la torture et on leconduisit dans une chambre, o on le fit asseoir devant le feu pour le rchauffer: plusieurs

    personnes vinrent ensuite pour l'engager parler, mais il ne prta l'oreille personne et ildsira qu'on lui envoyt des isralites. Cette demande lui ayant t accorde, alors Seligman,

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    le syndic, et rabbi Zanville, allrent le trouver et le consoler; il leur recommanda sa femme etses enfants, puis il pleura, pria, mit ses phylactres. A 2 heures aprs midi, on le fit extraire desa prison et on le conduisit devant l'glise mtropolitaine, afin de demander pardon; mais il nevoulut ni prendre le cierge, ni demander pardon, car, disait-il, il ne veut ni ne doit demander

    pardon pour un forfait quil n'avait pas commis; de l on le conduisit jusqu'en Fournirue, o

    une voiture l'attendait pour l'asseoir; il dit que, comme Dieu lui avait donn la force desupporter de pareilles souffrances, il continuera lui en donner encore pour sanctifier sonsaint nom et aller au lieu du bcher. Plusieurs vinrent encore l'engager faire des aveux; maisil les repoussa, leur disant: Ne voyez-vous donc pas le ciel ouvert et deux anges prts recevoir mon me ? Plusieurs chrtiens attestent avoir entendu ces paroles sortir de sa

    bouche.

    C'est ainsi qu'il alla pied jusqu'en Champ--Seille, lieu o tait allum le bcher; on lui fitencore lecture de l'arrt, lavertissant de bien faire ses rflexions et de faire ses aveux; mais ilresta toujours fidle la vrit, protestant de son innocence. Il s'approcha du bcher qu'on luiavait apprt; alors le bourreau lui couvrit le visage de paille pour ne point voir le feu, mais ill'ta de sa figure, et en moins d'un quart d'heure son corps fut brl et ananti (23).

    Les Archives isralites font suivre le rcit de cette rflexion: Si cet homme avait appartenu la communion chrtienne, les Chateaubriand, les Lamartine auraient chant sa mort; mais un

    pauvre juif, marchand de bestiaux, qui s'en inquit (24) ?

    Dtrompez-vous, Archives isralites, le marchand de bestiaux a trouv mieux que le chantred'Eudore dans les Martyrs: Metz, elle-mme, aprs l'avoir condamn et brl, a pris en mainsla cause de son peuple. Toutefois l'impartialit nous fait dire: L encore l'effet du breuvage !car un sicle de distance (1670-1788), Metz tait retourne; en voici la preuve, dans cet

    aveu propos du concours ouvert en faveur des juifs:

    L'initiative prise par la Socit littraire de Metz avait une grande importance. Ce rleappartenait bien la cit de Metz, ville librale par excellence, qui depuis plusieurs sicles

    possdait dans son sein une juiverie modle, et qui, rfractaire la perscution contre lesprotestants, eut au contraire, et plusieurs reprises, des chevins de la religion rforme. Ilappartenait aussi aux hommes libraux, qui composaient la Socit royale des sciences et desarts et qui taient en contact frquent avec les juifs du pays, de faire revenir l'opinion publiquede l'erreur sculaire dans laquelle on tait tomb au sujet des juifs, et de rechercher lesmoyens de les rendre plus utiles au pays et heureux eux-mmes, en les affranchissant de larprobation que l'on faisait peser sur eux (25).

    Pour nous, nous ne pouvons que raisonner ainsi :

    Si Raphal Lvy a t innocent, la Providence, qui se sert de tout, consolait les cendres dupauvre marchand de bestiaux par le premier signal d'une rparation envers son peuple;

    Sil a t coupable, l'audace juive est effrayante puisque, du lieu du crime et du bcher quil'avait puni, elle jetait la socit chrtienne le dfi de son mancipation.

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    V

    Rechercher les moyens de rendre les isralites plus utiles et plus heureux en France , tel estdonc le but du concours ouvert Metz. C'est, avons-nous dit, la Socit royale des sciences etdes arts de cette ville qui en a pris l'initiative.

    Le concours a t annonc en 1785.

    Les concurrents ont eu, pour envoyer leurs mmoires, le laps de deux annes, jusqu' la fin de1787.

    En effet, sept mmoires sont envoys.

    La commission qui les examine en discerne deux; mais, au lieu de donner les prix, elle engageles auteurs les perfectionner, et, prorogeant la dure du concours, en reporte la nouvellesanction lanne 1788. En tout cela, ce semble, il n'y a rien que de trs inoffensif. La Socitroyale des sciences et des arts semble mme mriter des louanges pour avoir provoqu ceconcours et en avoir prolong la dure. Voici cependant les dangers qui s'y dissimulaient.

    Le projet d'amliorer le sort des isralites tait entr profondment dans le cur du gnreuxLouis XVI. Ds janvier 1784, plus d'une anne avant la premire annonce retentissante duconcours ouvert Metz, le roi avait rendu un dit qui abolissait les pages corporels auxquelsles juifs taient soumis. Puis, de Versailles, taient venues les Lettres Patentes de 1784 quirglaient, en l'adoucissant, la situation critique des juifs d'Alsace. Enfin, le monarque avaitmis l'tude la question d'manciper les isralites, et l'avait confie Malesherbes, qui s'enoccupait avec une commission du conseil d'Etat; un dit se prparait sous les yeux du roi, o

    la prudence chrtienne s'allierait avec la bienveillance royale (26) . Or c'est sur cesentrefaites que part de Metz la deuxime annonce bruyante: le concours est prolong. C'esttrange. Pourquoi cette prolongation (27) ? Pourquoi maintenir Metz un centre indpendantd'tudes et d'ides, alors que la question est srieusement tudie Versailles ? N'est-ce pasdans le but de discuter et de contrler l'dit royal ? Et mme, n'est-ce pas dans le but, si lesvnements viennent se prcipiter, de soustraire la question la dcision de la monarchie ?Premier danger de ce concours.

    Deuxime danger, plus grave encore: le philosophisme prside au concours et dcerne lesrcompenses. A Versailles, la direction que la Couronne imprime ltude de la question estchrtienne, et Malesherbes, tout philosophe qu'il est, n'oserait y introduire, sous les yeux du

    roi et de la reine, rien qui soit contraire aux intrts de l'Eglise et du royaume (28). Mais Metz, en pleine communaut juive, la question glisse sous l'influence hbraque qui ne peutmanquer de la diriger subrepticement. Tous les membres de la commission qui lisent lesrapports envoys et dcernent les rcompenses sont des philosophes. Ils devraient juger avecimpartialit et ils empoisonnent eux-mmes la question d'ides librales. Quoi de plus

    pernicieux que ces paroles du prsident, M. Le Payen, la sance solennelle du 25 aot 1788,pour la distribution des prix :

    Ce n'a pas t sans prouver une grande satisfaction que la Socit royale a remarqu queles trois ouvrages qu'elle couronne, fonds sur les mmes principes, appuys sur les mmesfaits, tendant au mme but et peu prs, par les mmes moyens, ont pour auteurs des

    personnes sur lesquelles la diffrence d'tat, de patrie et vraisemblablement de religion, n'apoint arrt l'action des vrits ternelles de la nature et de la raison. En gnral, tous les

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    mmoires que nous avons reus, un ou deux prs, accusent nos prjugs contre les juifsd'tre la cause premire de leurs vices, et notamment de celui de tous qui nous rvolte le plus(l'usure). Nous les rduisons l'impossibilit d'tre honntes; comment voudrions-nous qu'ilsle fussent ? Soyons justes envers eux, pour qu'ils le deviennent envers nous, c'est le vu del'humanit et de tous les gens raisonnables; tout porte croire que le gouvernement l'a

    recueilli et ne tardera pas le raliser (29). Un pareil langage tait une trahison enversl'Eglise et la France; il accusait moins les juifs que les chrtiens. Ce prsident, secrtaireperptuel de la Socit royale des sciences et des arts, justifiait son nom: M. Le Payen.

    Trois mmoires furent jugs dignes de rcompense, sur neuf qui avaient t adresss laCommission. Les auteurs couronns taient: MM. Grgoire, cur d'Embermnil, prs deLunville; Thiry, avocat au Parlement de Nancy; et Zalkind-Houritz, juif polonais, habitantParis.

    On se garda bien d'accorder une mention honorable au sixime mmoire; son auteur, qui taitun bndictin de Saint-Avold et ancien cur de Charleville, du nom de dom Chais, y disaitque: Les juifs tant des oiseaux de proie, il faut, sans vouloir les tuer, leur couper les becs etles serres; et pour les rendre utiles, l'auteur ne voyait rien de mieux, en ce temps-l, que deles employer faire la rcolte du miel et de la cire dans tout le royaume, attendu leur gotdcid pour ces substances . Plus d'un lecteur sera tent de convenir, un sicle de distance,que si l'on eut cout et couronn le naf bndictin, l'emploi de vider les ruches et empch,

    peut-tre, le vide des caisses de l'Etat, et que ce travail la Ruth et sauv la fortune publiqued'un naufrage la Pharaon !...

    VI

    La Rvolution est une voleuse, jugement que nous avons motiv dans notre premier volume(30). Elle devait prendre d'une manire violente, elle devait drober aussi d'une faonsubreptice. C'est Metz que s'inaugure ce deuxime procd de vol.

    La Rvolution s'y approprie subrepticement la question de l'amlioration du sort des juifs,dont la Couronne avait eu la pense et l'initiative Versailles, et dont la solution, pleine de

    prudence, devait figurer parmi ses titres d'honneur devant l'histoire. A Metz, le larcincommence, pour s'achever et se faire lgitimer devant l'Assemble constituante.

    Un homme avait, jusqualors, dirig la question: Malesherbes. Le roi l'avait dsir, et les juifsl'entouraient de leurs obsquiosits. Mais la Rvolution pousse un autre homme en avant,l'abb Grgoire, cur d'Embermnil . Il est le principal laurat du concours de Metz, pour son

    Essai sur la rgnration physique, morale et politique des juifs. Bon Malesherbes, vous voustiez donn beaucoup de peine pour le compte des hbreux ! ils vous laissent, ils vontentourer, dsormais, le cur d'Embermnil et s'attacher lui, mais, hlas ! comme la rouille un ustensile du Temple.

    Dans les principales crises qui ont boulevers la socit chrtienne, l'Esprit de tnbres s'esttoujours servi d'un prtre. Le mal, alors, y entre plus profondment, parce que la corruption dece qu'il y a de meilleur devient ce quil y a de pire, et que le ferment divin, dont le prtredchu tait dpositaire, acquiert une efficacit terrible dans son retour contre Dieu. Le prtre

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    Arius a servi pour l'arianisme; l'vque Photius, pour le schisme grec; le moine Luther, pourle protestantisme; le cur Grgoire, pour la prpondrance juive. A leur apparition, l'clat dusacerdoce qui rehausse leurs qualits naturelles respectives les dsigne la foule, et bientt,au charbon drob l'encensoir, l'incendie s'allume ! Certains noms ont laiss derrire eux,sur les flots du temps, une trace blouissante et jettent dans l'histoire un grand clat. Que cet

    clat ne vous sduise pas ! Regardez avec attention: leurs splendeurs sont les splendeurs del'incendie; leurs feux, les feux de l'clair et de la foudre. On dirait la flamme sinistre queprojette au loin un vaste amas de matires impures s'embrasant tout coup; ce n'est point ladouce et pure lumire si harmonieusement rpandue sur les votes du ciel par le pinceausouverain du souverain artiste (31). Tel sera l'clat du prtre Grgoire, cur d'Embermnil,dans la question juive, clat qui n'aura rien non plus de la discrte clart de la lampe dusanctuaire !

    Au concours de Metz, se placent donc ses dbuts; il y est le laurat le plus flicit. Commenous retrouverons sa physionomie, ses paroles et ses actes dans le cours de ce livre, nous nous

    bornons citer ici la proraison de son mmoire prsent au concours de Metz :

    Un sicle nouveau va s'ouvrir; que les palmes de l'Humanit en ornent le frontispice, et quela postrit applaudisse d'avance la runion de vos curs. Les juifs sont membres de cettefamille universelle qui doit tablir la fraternit entre tous les peuples; et sur eux, comme survous, la Rvlation tend son voile majestueux. Enfants du mme pre, drobez tout prtexte l'aversion de vos frres, qui seront, un jour, runis dans le mme bercail; ouvrez-leur desasiles o ils puissent tranquillement reposer leurs ttes et scher leurs larmes; et qu'enfin, le

    juif, accordant au chrtien un retour de tendresse, embrasse en moi son concitoyen et son ami(32).

    Quoi de plus rassurant, de plus enchanteur mme, que ce portique orn de palmes queGrgoire annonce et clbre ? Le malheur est qu' sa base il y a un gouffre, un vide affreux.Voyons ce gouffre, sondons ce vide.

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    CHAPITRE IILE CHRIST REJET PAR L'ASSEMBLE NATIONALE

    1789

    I. Nom donn dans les Ecritures l'Adversaire de Dieu: le serpent barre ou levier. Ce nom seralise dune faon saisissante en 1789. II. Absence lugubre qui clate dans la Dclarationdes droits de lhomme et du citoyen, nonobstant toutes les apologies qu'on a essay d'en

    faire: la pierre angulaire de l'ordre social, le Christ en a t rejet. III. Il esthistoriquement certain que les lgislateurs de 89 ont voulu se dbarrasser du Christ comme

    pierre de l'angle. IV. Noirceur de ce rejet du Christ. Contraste poignant entre la Dclaration des droits de l'homme et la Loi salique, lune, constitution de la France songe mr, lautre, constitution de la France dans son enfance. V. Les destines de la pierreangulaire et les destines de la France officielle se sparent. VI. Ce que cette sparation

    sera pour la France.

    I

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    En tte d'un pareil chapitre, il faut prononcer, la dcharge de la nation franaise, le nom deSatan.

    C'est lui le grand artisan des rvolutions, et en cela, il justifie son nom de Satan, ladversaire !car telle est la signification, en hbreu, de ce nom maudit. Adversaire de Dieu, il l'est aussi,

    dans l'humanit, des volutions du vrai, du bien, du beau. Il contrarie les volutions par desrvolutions.

    Adversaire rarement debout, rarement en face, parce qu'il a senti, et ne l'a pas oubli, lebras du Tout-Puissant; mais oblique, dtourn, sinueux, la manire du serpent, dont il aemprunt la figure et dgrad la marche au paradis terrestre.

    Qu'on mdite avec attention les diffrentes phases du mal dans l'histoire du monde, et l'on yreconnatra aisment les traces sinueuses de l'adversaire qui rampe, pie et profite. A l'poquede Mahomet, il se sert de la Bible et du nom d'Abraham pour dtacher l'Orient du Christ. Al'poque de Luther, il profite du besoin de rformation qui se fait sentir universellement, pourenlever l'Eglise, par la Rforme, la moiti de l'Occident. Sa marche est presque toujourstortueuse et dtourne. Mais voici qu'avec la Rvolution franaise elle se modifie.L'Adversaire change d'attitude. Ce n'est plus en oblique qu'il vient combattre, mais en face !

    Aussi, dans la lutte gigantesque qu'il va engager, un nouveau nom caractristique lui convient.La Bible, encore, le contient. L'Adversaire se montre toujours serpent, mais avec cettequalification trange et terrible que lui donne Isae: le serpent barre, le serpent levier(33).

    Quelle nergie dans cette figure !

    On sait quelle est la puissance du levier pour branler et soulever.

    Quand donc Satan s'est-il montr comme un levier ?

    En 1789, alors que la socit, mue par une force insolite et infernale, s'est sentie tout coupsouleve contre Dieu, mais souleve une hauteur d'orgueil qui ne s'tait jamais vue, les

    Droits de l'homme venant supplanter les droits de Dieu !

    Archimde disait: Qu'on me donne un point d'appui, et avec le levier je soulverai la terre. Ce que le gomtre ne pouvait faire, Satan l'a fait. L'Adversaire a trouv enfin, en 1789, un

    point d'appui longuement cherch, longuement prpar, dans la raison superbe et solitaire de

    l'homme, cette raison mancipe de la foi; et, venant s'y insinuer lui-mme, s'y appliquer, ilforme le levier: la socit est alors remue et bouleverse jusque dans ses fondements.

    En effet, il n'y a que lui d'assez fort pour obtenir que, dans l'branlement de tout l'dificesocial, la Rvolution, qui signifie retournement, renversement, atteigne cette fois sa plnitude:mettant en haut ce qui, selon les lois ternelles, devrait tre en bas, et en bas ce qui avait trang en haut.

    Pour arriver un tel rsultat, le premier effort du serpent-levier consiste soulever, et fairesortir de sa place l'antique pierre angulaire place par Clovis aux racines de la socitfranaise: le Christ qui aime les Francs, et lui substituer une autre base. Cest l le vide, legouffre qui se creuse au-dessous du pompeux portique social, chant par Grgoire propos

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    des juifs: Un sicle nouveau va s'ouvrir, que les palmes de l'Humanit en ornent lefrontispice (34) !

    C'est l'heure, ou jamais, de sonder le vide, le gouffre, au-dessous du portique qui porte sonfrontispice les palmes de l'Humanit.

    II

    Ce portique, annonc par Grgoire, n'est pas rest imaginaire. L'Assemble nationale l'a levet lui a donn un nom: la Dclaration des droits de l'homme et du citoyen.

    En voici le pompeux frontispice ou prambule:

    Les reprsentants du peuple franais, constitus en Assemble nationale, considrant quel'ignorance, l'oubli ou le mpris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs

    publics et de la corruption des gouvernements, ont rsolu d'exposer, dans une dclarationsolennelle, les droits naturels, inalinables et sacrs de l'homme, afin que cette dclaration,constamment prsente tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droitset leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir lgislatif et ceux du pouvoir excutif, pouvanttre chaque instant compars avec le but de toute institution politique, en soient plusrespects; afin que les rclamations des citoyens, fondes dsormais sur des principes simpleset incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.

    En consquence, l'Assemble nationale reconnat et dclare, en prsence et sous lesauspices de l'tre suprme, les droits suivants, de l'homme et du citoyen...

    Or, quelque indulgente que puisse tre l'interprtation donne ce prambule de laDclaration, et nonobstant toutes les apologies qu'on a essay d'en faire, une absence lugubrey clate, un vide y donne le frisson: le Christ n'est pas nomm.

    Pass sous silence, il est rejet. C'est quivalent ! Car, se taire sur le Christ, quand on lui doittout, c'est le renier;

    Ne pas le nommer, alors qu'il s'agit, ainsi que le porte ce prambule, de la dtermination la

    plus grave pour la socit, d'un nouvel ordre de choses qui doit assurer le bonheur du genrehumain, c'est commettre une radiation, une apostasie;

    Silence d'autant plus lugubre et formidable dans ses consquences, qu'il part de la grandeassemble de la nation franaise et d'une assemble compose comme elle l'tait en 1789.

    En effet, comment est-elle compose ?

    Par leur ducation, par leur naissance, par leur position sociale, par leurs lumires, lesmembres qui forment les Etats gnraux, sont l'lite de la nation. On compte parmi eux desvques, des prtres, des religieux minents, de plus, tous sont catholiques. levs dans lesmaisons chrtiennes, ils ont eu exclusivement pour matres des jsuites, des oratoriens, des

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    sulpiciens, des bndictins, des barnabites, des prtres sculiers, recommandables par leursavoir et respects pour leurs vertus . Enfin, ils sont les lgislateurs d'un peuple chrtien.

    Il est donc naturel de penser qu'ils vont s'inspirer des doctrines sociales de l'Evangile, et qu'ilsvont faire passer dans leur uvre, sinon le texte, du moins l'esprit de ce code divin; qu'ils vont

    chercher les bases principales du nouvel ordre de choses dans les anciennes traditions de lamonarchie de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis; qu'ils vont interroger avec soin leschartes et les institutions des Etats catholiques de l'Europe; en un mot, que les monuments etles lgislateurs des sicles chrtiens seront leurs oracles, de manire faire servir la sagessedes pres l'avantage des enfants.

    C'est tout le contraire qui a lieu.

    L'Assemble, ou plutt la Rvolution qu'elle personnifie, coupe en deux la vie de la socitfranaise, en rpudiant le pass chrtien, et, pour bien montrer qu'elle ne s'inspire plus de ce

    pass, elle se tait sur le Christ:

    Silence sur lui, dans le prambule de la Dclaration;

    Silence sur lui, dans l'nonc des articles;

    Silence sur lui, pendant la discussion qui dure plusieurs mois. Pas une fois les noms de Jsus-Christ, de l'Evangile, du christianisme, ne se trouvent sur les lvres de ces lgislateurs,

    pendant la discussion des droits de l'homme. Un tel silence prolong est funbre: on ne se taitainsi que sur les morts ! Le nouvel difice social s'lve avec la rpudiation manifeste del'ancienne pierre angulaire. Les fondements de la socit franaise sont remus, remanis.

    L'homme y supplante l'Homme-Dieu. Ce n'est plus l'Homme-Dieu qui forme la nouvelle basesociale, c'est l'homme. La socit humanitaire est proclame.

    Faisons une supposition:

    Si revenant dans le temps, par une permission divine, saint Paul tait entr dans l'Assemblenationale, qu'eut il pens de la Dclaration des droits de l'homme ? Saint Paul a t justementnomm l'Aptre des nations, parce que, se dpensant pour elles, il les a amenes de l'idoltrie la connaissance et l'amour de Jsus-Christ. Quand il entra au milieu de l'AropagedAthnes, il emprunta le dbut de sa harangue cette inscription clbre qu'il avaitrencontre sur sa route: Au Dieu inconnu (35). S'il ft entr au milieu des Etats gnraux de la

    nation franaise, il et, la lecture de la Dclaration des droits de l'homme, laiss tomber, coup sur, cette apprciation attriste: Au Dieu mconnu !

    Le grand Aptre, au cours de son apostolat, avait trac aux nations cette rgle de conduite l'gard du Christ: Qu'en toutes choses, il ait le premier rang (36). Mais ici, non seulement leChrist est dchu du premier rang, il n'a plus de rang, il ne compte plus (37).

    III

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    On a dit de l'Assemble nationale, pour expliquer et attnuer sa faute, qu'elle s'tait borne viter le nom du Christ dans la Constitution, sans parti pris d'hostilit.

    Eviter le Christ, surtout quand on est la nation franaise: quelle excuse !

    Le serpent a t bien fin, il a inspir de procder par limination. Elimin de la loi, le nom duChrist le sera des murs, et bref dlai. Les lois ne crent-elles pas les murs ? Un jourviendra o chez la nation qui fut la valeureuse France, on n'aura plus le courage de prononcer

    publiquement le nom de Jsus-Christ. Au sein des parlements, ce sera miracle quand undput le fera entendre: on ricanera gauche, beaucoup droite baisseront la tte. Dans lesautres runions publiques, on consentira bien, quand on devra nommer la Divinit, dire:Dieu, mais on vitera soigneusement le nom de Jsus-Christ. Et enfin, au milieu mme desfamilles chrtiennes et entre chrtiens, la prononciation de ce nom auguste deviendra timideet rare. Silence de faiblesse qui aura eu pour principe, et qui allguera pour justification, lesilence de l'Assemble nationale. Les lgislateurs de 89 ont pos la pierre de scandale. Non, ilne leur tait pas permis de passer sous silence Celui que les cieux adorent et qui a form dansl'espace le concert harmonieux des nations chrtiennes, et au milieu d'elles la nation franaise!

    Ils se sont borns viter son nom sans parti pris d'hostilit, a-t-on dit, leur prtantl'attitude de ces hommes bien plaindre qui, par un reste de crainte rvrencielle, vitent surleur chemin la rencontre d'un sanctuaire, o ils ne voudraient pas entrer. Plt Dieu que telet t, chez les lgislateurs de 89, le fond de leur pense et le mobile de leur silence ! Mais,hlas ! il n'en a pas t ainsi. Il est, au contraire, historiquement certain qu'ils ont tenu sedbarrasser du Christ comme pierre de l'angle dans la socit nouvelle qu'ils fondaient.

    Trois choses le prouvent surabondamment :

    A. En premier lieu, le butqu'ils poursuivaient.

    En effet, que voulaient-ils ?

    Refaire la socit de fond en comble, en se servant, pour cette reconstruction, du Contratsocial de Rousseau, qui a t leur catchisme et qu'ils ont appliqu de point en point. Ils ont

    pris, comme type du citoyen qu'ils voulaient former, l'homme abstrait, isol de la civilisationchrtienne, que Rousseau met en scne, c'est--dire l'homme sans la Rvlation, l'homme dela nature. Voil leur type, ils le disent hautement: Quand on voulait se reprsenter la

    fondation d'une socit humaine, on imaginait vaguement une scne demi-bucolique, demi-thatrale, peu prs semblable celle qu'on voyait sur le frontispice des livres illustrs demorale et de politique. Des hommes demi-nus ou vtus de peaux de btes sont assembls sousun grand chne; au milieu d'eux un vieillard vnrable se lve et leur parle la langue de lanature et de la raison; il leur propose de s'unir et leur explique quoi ils s'obligent par cetengagement mutuel; il leur montre l'accord de l'intrt public et de lintrt priv et finit enleur faisant sentir les beauts de la vertu. Tous aussitt poussent des cris dallgresse,s'embrassent, s'empressent autour de lui et le choisissent pour magistrat; de toutes parts ondanse sous les ormeaux, et la flicit dsormais est tablie sur la terre. - Je nexagre pas. Lesadresses de l'Assemble nationale la nation seront des harangues de ce style. Pendant desannes, le gouvernement parlera au peuple comme un berger de Gessner (38). Ainsi donc,ce n'tait plus le chrtien qui allait tre l'objet des sollicitudes des lgislateurs de 89, cestl'homme de la nature, l'homme avant et sans la Rvlation.

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    Or, en bonne vrit,

    Restait-il, dcemment, place pour le Christ dans une entreprise qui faisait table rase, cepoint, du christianisme ?

    Ils ont donc limin le Christ sciemment. Ne tenant plus compte, pour les Franais, de leurqualit de chrtiens, ils ont forcment supprim, dans la Constitution franaise, le divinMatre des chrtiens. Ddaignant, pour leur difice, les pierres vivantes, ils ont, plus forteraison, rejet la Pierre de l'angle. Les uns l'ont fait avec prmditation, les autres, par lchecomplaisance. L'influence de Rousseau les a, presque tous, fascins.

    B. Les meneurs et une notable partie de l'Assemble ont, du reste, rvl et ratifipubliquement leur hostilit l'gard du Dieu vivant. Il avait t dcid que l'numration desDroits de l'homme serait prcde d'un prambule ou frontispice qui, par ses termes solennels,imposerait le respect aux gnrations futures. On peut le relire au IIe de ce chapitre. Or,lorsque l'Assemble en arrta les termes, non seulement il ne fut nullement question duChrist, mais les orages les plus violents clatrent quand quelques dputs voulurent rattacherce prambule, ce frontispice, la notion de la Divinit comme une vote tutlaire.

    Les journaux de l'poque rapportent ces sances orageuses. En voici l'abrg fidle:

    L'impit, dguise sous le nom de philosophisme, propose d'inscrire dans le prambule quel'homme tient ses droits de la nature. M. le comte de Virieu observe avec force; Eh ! qu'est-ce que la nature ? Quelle ide prsente-t-elle? C'est un mot vide de sens, qui nous drobel'ide du Crateur, pour ne considrer que la matire.

    Appuyant M. de Virieu, Lally-Tollendal demande quon n'oublie pas l'tre suprme .

    Ce nom d' tre suprme n'exprimait, il faut, hlas ! le reconnatre, que le minimum de laDivinit; nanmoins, lorsque, plusieurs fois, ce minimum de la Divinit est sollicit auprs del'Assemble, le tumulte des opposants et des tribunes couvre la voix des orateurs, et le parti

    pris de ne pas entendre se manifeste de la faon la plus vidente.

    Il en fut ainsi surtout dans les dernires sances:

    L'vque de Clermont avait expos que les principes de la Constitution franaise devaient

    reposer sur la religion comme sur une base ternelle;

    Cette fois, Mirabeau prend la peine de rpondre. Il le fait sur un ton ddaigneux et parfoisironique: Nous n'avons, dit-il, qu nous occuper des choses de ce monde... Permettons lalibert des cultes, ne disons pas autre chose et dormons en paix.

    La discussion reprend un autre jour; Maillet et le comte de Clermont-Lodve insistent pourque la ncessit de la religion soit affirme et le respect du culte de chacun proclam commeun droit; mais Talleyrand rpond qu'on s'occupera de cela dans la Constitution, mais que la

    place de ces affirmations n'est pas dans la Dclaration . Cette rpartie empreinte de ddainest accueillie par une approbation bruyante. La discussion ne peut continuer. Un dsordrevidemment calcul empche les contradictions de se produire. Le tumulte est tel, que le

    prsident offre deux fois sa dmission (39).

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    Finalement, ce minimum de la Divinit, conu en ces termes: En prsence et sous lesauspices de l'tre suprme , parvint passer, parce qu'il excluait la reconnaissance du Dieuvivant de la Rvlation. Semblable un dogue froce qui est encore retenu, l'impitrvolutionnaire consentait en grognant laisser crire dans le prambule la vague constatation

    de l'tre suprme expressment rduit au rle d'un tmoin sans autorit, dont la prsencen'embarrasse gure l'Assemble, qui le salue pour la forme en lui donnant cong (40).

    C. Est-il besoin d'apporter, en dernire preuve de l'exclusion bien arrte du Christ dans lapense des lgislateurs, les articles de la Dclaration qui font suite au prambule et formentles principes de 89 (41) ? Un historien peu suspect a eu le courage de dire: Ce sont autant de

    poignards dirigs contre la socit : il suffira de pousser le manche pour faire entrer la lame(42). Les lgislateurs de 89 ont effil la lame, les clubs et les hordes de 93 se chargeront de

    pousser le manche. Qu'on en juge :

    PRINCIPES EN 89 APPLICATIONS EN 93ART. I Les droits naturels et imprescriptiblesde l'homme sont... la rsistance l'oppression.

    Nous sommes opprims, rsistons et levons-nous en armes.

    ART. XV. La socit a le droit dedemander compte tout agent public de sonadministration.

    Allons l'Htel de Ville, interrogeons nosmagistrats tides ou suspects, surveillonsleurs sances, vrifions s'ils poursuivent les

    prtres et sils dsarment les aristocrates;empchons-les de machiner contre le peuple,et faisons marcher ces mauvais commis.

    ART. I. les hommes naissent et demeurentlibres et gaux en droit. Par consquent, que nul ne soit exclu de lagarde nationale; tous, mme aux indigents,une arme, pique ou fusil; pour dfendre leurlibert.

    ART. III. Le principe de toute souverainetrside essentiellement dans la nation.

    La royaut hrditaire est donc illgitime :allons aux Tuileries et jetons le trne bas.

    ART. VI. La loi est l'expression de lavolont gnrale.

    Ecoutez ces clameurs de la place publique,ces ptitions qui arrivent de toutes les villes:voil la volont gnrale qui est la loi vivanteet qui abolit la loi crite. A ce titre, lesmeneurs de quelques clubs de Paris

    dposeront le Roi et violenteront l'Assemblelgislative. En d'autres termes, la minorit

    bruyante et factieuse va supplanter la nationsouveraine; et dsormais rien ne lui manque

    pour faire ce qui lui plat et quand il lui plat(43).

    L'enchanement entre les principes de 89 et leurs applications en 93 n'est-il pas manifeste ? Ilne pouvait en tre diffremment. Sur les ruines encore sanglantes de la Bastille, tait lefoyer de cette flamme patriotique qui devait bientt embraser et rgnrer la nation. Ce n'tait

    plus Paris, mais une ville nouvelle et un peuple nouveau... La jeunesse se portait, en foule, descorps de garde aux districts et sexerait dans ces assembles populaires discuter et soutenir les droits des hommes (44). Moins de trois ans aprs, un grand nombre de ceux qui

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    avaient collabor ou applaudi la rdaction des principes de 89, ou Droits de l'homme, purentrelire leur Dclaration affiche sur les poteaux de la guillotine et mditer, en montant lesdegrs qu'ils ne devaient pas redescendre, sur la sagesse de leurs prvisions et sur l'efficacitde leur uvre pour le bonheur de tous .

    Voil ce que portait en prparation, dans ses flancs, la Dclaration des droits de lhomme; et,encore, ne sont-ce l que ses consquences les plus rapproches; des consquencesultrieures, non moins pernicieuses, y demeurent enveloppes, attendant leur tour d'closion.

    On se demande non sans quelque surprise, lorsqu'on lit dans le Moniteurle compte rendu dessances consacres la fameuse Dclaration, comment il a pu se faire que, sur 290ecclsiastiques qui taient membres de l'Assemble nationale, aucun n'ait propos deremplacer la vague dnomination de l'Etre suprme par le nom clair de Jsus-Christ. On est

    presque tent de blmer le clerg d'alors de ce silence. Mais l'tonnement cesse quand on prend la peine de dduire, ainsi que nous l'avons essay, ce qui tait contenu dans lesredoutables prmisses. Un douloureux pressentiment a du faire entrevoir tous ces prtres,nonobstant l'garement de quelques-uns, ce qui allait sortir de la Dclaration. Or, apporter lenom de Jsus-Christ une pareille uvre, n'eut-ce pas t mettre la tte du Christ sur un corpsde Belial ? Voil pourquoi, videmment, le clerg qui faisait partie de lAssemble s'estabstenu de rclamer en faveur du nom de son divin Matre : il a agi avec sagesse.

    Cercle vicieux, cercle terrible ! Le dessein bien arrt de se passer du Christ comme pierre del'angle fit laborer de pareils articles, dissimuler ces perfides poignards; et quand une fois lesarticles furent rdigs, ils ne pouvaient plus dcemment supporter le nom pur, radieux ettutlaire du Sauveur du monde.

    IV

    Il est donc historiquement certain que, lorsqu'il s'est agi de poser les bases de la socitnouvelle, le Christ a t positivement limin comme pierre de l'angle: on s'est pass de luiavec prmditation.

    Nous avons, au dbut de ce chapitre, nonc cette conviction que, seul, ladversaire de Dieu,Satan, avait t capable de bouleverser de la sorte les fondements de la nation franaise. En

    nous efforant de faire retomber sur l'infernal serpent la responsabilit premire d'unbouleversement si radical et si lamentable, nous ne pouvons cependant dissimuler et voiler,sur le blason de La France, une noirceur que suppose, du reste, l'intelligence des faitshistoriques qui vont suivre. A notre grand regret, il faut donc la faire remarquer.

    Eh bien, oui, la France, jusqu'ici si noble, si reconnaissante, si tendre, a commenc cette tachenoire, cette noirceur qui va s'tendre aux blasons des autres nations et qui s'appellel'ingratitude.

    Noirceur ! parce que depuis le Sanhdrin (cette grande assemble de Jrusalem qui, Caphe sa tte, avait rejet le Christ) aucune autre assemble nationale n'avait recommenc cettefaute; et c'tait une assemble de France qui reprenait l'aveuglement et l'ingratitude duSanhdrin !

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    Noirceur ! parce que, quand le Christ tait descendu ici-bas, ayant trouv les nationsgmissantes dans l'esclavage et assises dans les ombres de la mort, il les avait, au prix de sonsang, dlivres, rachetes, conduites la lumire; il les avait, vritablement, acquises: ellestaient devenues, ainsi que s'exprime admirablement l'aptre saint Pierre, le peuple de

    l'acquisition (45). Or, opposer au double droit de librateur et de propritaire que le Christpossdait sur elles, les droits de l'homme, et se servir du prtexte de ces droits de l'hommepour se dbarrasser du Christ, n'tait-ce pas de l'ingratitude ?

    Noirceur ! parce que, si la France tait devenue la France, n'tait-ce pas au Christ qu'elle ledevait ? Ne l'avait-il pas choisie entre toutes les nations, comme le laboureur choisit un plantde vigne dlectable ? Ne s'tait-il pas complu faire d'elle son plus beau royaume, aprs celuides cieux ? A elle, n'avait-il pas accord une succession de rois semblable celle qui avait

    prpar sa naissance en Jude ? Au pied de son trne, Charlemagne ne donne-t-il pas la main David ? A elle, n'avait-il pas confi la garde de son Eglise, comme, saint Jean, il avaitconfi la garde de sa mre ? Sur elle, enfin, n'avait-il pas enchan les regards du reste dumonde, afin qu'on l'admirt, qu'on l'imitt, qu'on la suivit ? Et c'tait elle qui donnait aumonde le signal du rebut du Christ !

    Nous avons prouv un indicible serrement de cur en entreprenant le parallle qu'on va lire,et qui ne s'est pas encore fait. Puisse ce serrement de cur se communiquer, avec la lecture du

    parallle !

    La France s'est donn deux constitutions clbres, entre toutes celles qui ont maill lesphases de son histoire: la Loi salique et la Dclaration des droits de l'homme; l'une, charte deson enfance; l'autre, charte de son ge mr. Comparons-les.

    PREAMBULE DE LA LOI SALIQUE (46)

    La nation des Franks, illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte sous les armes, ferme dans lestraits de paix, profonde en conseil, noble et saine de corps, d'une blancheur et d'une beautsingulire, hardie, agile et rude au combat, depuis peu convertie la foi catholique, libred'hrsie; elle tait encore sous une croyance barbare, mais avec l'inspiration de Dieu ellerecherchait la clef de la science, selon la nature de ses qualits, dsirant la justice, gardant la

    pit; alors la loi salique fut dicte par les chefs de cette nation qui, en ce temps-l,commandaient chez elle.

    On choisit, entre plusieurs, quatre hommes, savoir: le gast (47) de Wise, le gast de Bode, legast de Sale et le gast de Winde, dans les lieux appels canton de Wise, canton de Sale,canton de Bode et canton de Winde. Ces hommes se runirent dans trois mls (48),discutrent avec soin toutes les causes de procs, traitrent de chacune en particulier etdcrtrent leur jugement en la manire qui suit. Puis, lorsque, avec l'aide de Dieu,Chlodwigh le chevelu, le beau, lillustre roi des Franks, eut reu le premier le baptmecatholique, tout ce qui dans ce pacte tait jug peu convenable fut amend avec clart par lesillustres rois Chlodwigh, Childeber et Chloter, et ainsi fut dress ce dcret :

    Vive le Christ, qui aime les Franks ! Qu'il garde leur royaume et remplisse leurs chefs de lalumire de sa grce ! Quil protge l'arme, qu'il leur accorde des signes qui attestent leur

    foi, la joie, la paix, la flicit ! Que le Seigneur Jsus-Christ dirige dans le chemin de la pitceux qui gouvernent ! Car cette nation est celle qui, petite en nombre, mais brave et forte,

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    secoua de sa tte le dur joug des Romains, et qui, aprs avoir reconnu la saintet du baptme,orna somptueusement d'or et de pierre prcieuses les corps des saints martyrs que les

    Romains avaient consums par le feu, mutils par le fer, ou fait dchirer par les btes.

    A la suite de ce prambule, qui a une vivacit toute guerrire, la Loi salique est expose en

    408 articles. Cette loi des premiers Francs tait surtout un code pnal (49). Ainsi, sur ces 408articles, 343 sont consacrs la pnalit judiciaire, dont 77 prvoient et punissent les volsd'animaux, de la manire suivante: 19, les vols de porcs; 17, les vols de chevaux; 14, les volsde taureaux, bufs ou vaches; 6, les vols de brebis ou de chvres; 5, les vols de chiens, 9, lesvols d'oiseaux; 7, les vols d'abeilles. La loi entre, pour chacun de ces dlits, dans les plusminutieux dtails. Ensuite, 113 articles ont rapport aux violences contre les personnes, dont20 prvoient toutes les varits de mutilation, 24, les outrages envers les femmes, etc. Ensorte qu'il est vrai de dire que les violences et les vols, c'est--dire les attentats contre les

    personnes et contre les choses, forment la grande proccupation de la Loi salique. Elle est, ilfaut en convenir, un amas indigeste; elle rvle, chaque page, et la barbarie d'un peuple chezlequel les actes de violence sont frquents, et la grossiret d'un lgislateur qui, faute desavoir gnraliser, formule une disposition nouvelle pour chaque cas qui se prsente lui;mais, au demeurant, scurit de la vie, scurit de la proprit, voil les deux principes autourdesquels se droulent tous les articles de cette primordiale lgislation du peuple franc, encoreagreste et catchumne.

    Passons maintenant la Dclaration des droits de l'homme.

    PRAMBULE

    Les reprsentants du peuple franais, constitus en assemble nationale, considrant que

    lignorance, l'oubli ou le mpris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont rsolu d'exposer, dans une dclarationsolennelle, les droits naturels, inalinables et sacrs de l'homme, afin que cette dclaration,constamment prsente tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leursdroits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir lgislatif et ceux du pouvoir excutif,

    pouvant tre chaque instant compars avec le but de toute institution politique, en soient plus respects; afin que les rclamations des citoyens, fondes dsormais sur des principessimples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur detous.

    En consquence, l'Assemble nationale reconnat et dclare, en prsence et sous les auspices

    de l'tre suprme, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

    A la suite de ce prambule, o les expressions vagues et creuses En prsence et sous lesauspices de l'tre suprme ont remplac la vivacit toute guerrire de ce cri Vive le Christqui aime les Francs , la Dclaration numre en 17 articles les diffrents droits de l'hommeou principes de 89 (mentionns ci-dessus p. 43-44). On a reproch la Loi salique de n'avoir

    pas su gnraliser; la Dclaration des droits de l'homme prsente le dfaut contraire; sesarticles sont des formules abstraites; le Contrat social, d'o ils sont tirs, a l'autorit de lagomtrie; l'Assemble nationale a construit la politique sur le modle des mathmatiques(50).

    Telles sont, en regard l'une de l'autre, les deux Constitutions fondamentales du peuplefranais, alors qu'il tait jeune et lorsqu'il est parvenu sa pleine maturit.

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    Eh bien, nous n'hsitons pas nous prononcer, le peuple enfant a t mieux inspir que lepeuple mr. Sa premire Constitution, quoique informe, est une page damour, le Christ est entte; sa deuxime Constitution, quoique savante et philosophique, est une page d'oubli, leChrist n'y est plus. De la premire sortira un peuple ardent et loyal; de la seconde, un peuple

    oblique et mconnaissable. La premire est une sve, la seconde, un volcan; l'une prpare laruche laquelle le beau royaume de France a t compar, l'autre prpare toute la Rvolutionet ses dcombres. Quand on lit la premire, on n'prouve aucune apprhension, on sent mmeun parfum de scurit qui s'en exhale; ses articles sur les vols des porcs, les vols des bufs,les vols des abeilles, etc., en mme temps qu'ils sont nafs, sont prcis, nets; si le dfaut desynthse s'y rencontre, l'esprit est satisfait de ces cas de dlits bien prsents: les voleurs neseront pas mnags. Mais quand on lit la seconde, on prouve un effroi secret devant cesarticles aux formes abstraites et gomtriques, on croirait des cavernes: il en sortira descrimes et le vol lgal; on dira justement: la Rvolution, c'est le vol.

    Qu'on suppose le fondateur de la nation franaise, le vieux roi chevelu, si irrit un jour propos du vase de Soissons, reparaissant tout coup au milieu de l'Assemble nationale de1789: quel formidable coup de sa francisque n'eut-il pas dcharg sur la Dclaration des droitsde l'homme, vase de misres et de hontes !

    V

    La grande Assemble franaise a donc pos les bases d'une socit nouvelle sans le Christ.

    Que va-t-il advenir et du Christ considr comme pierre de l'angle qu'on rebute, et de laFrance officielle qui ne le possde plus dans sa constitution fondamentale ?

    D'abord, le Christ.

    Il est la pierre angulaire, la pierre de langle. Nous l'avons dsign plusieurs fois par cettelocution clbre. C'est le moment de l'expliquer.

    Un court aperu pralable d'architecture est ncessaire: qu'est-ce que la pierre angulaire dansun difice, dans une construction ?

    L'angle d'une maison est form, comme on peut le constater chaque pas, par la jonction dedeux murailles En se rencontrant l'une contre l'autre, deux murailles forment un angle: il ny aqu' regarder pour comprendre. Dans cet angle, la pierre angulaire est la solide pierre de taillequi, pose et enfouie dans le sol, supporte sur elle-mme les deux murailles et leur permetainsi de se joindre, de se runir. Grce elle, les deux murs, celui de droite et celui de gauche,se rencontrent, s'unissent et persistent dans leur union. Tel est le rle de la pierre angulaire.Ainsi qu'on le voit, c'est un rle de runion.

    Applique Jsus-Christ, cette locution signifiait que, puisqu'il tait le Messie, son rle avaitd consister rapprocher et unir ce qui tait divis, ce qui tait distant, soit de Dieu l'homme, soit de l'homme l'homme. Et en effet, Jsus-Christ n'apparaissait-il pas vraiment,dans l'imposante srie de dix-huit sicles comme l'angle d'amour qui avait tout runi ? Qu'onen juge :

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    En Lui, ces deux familles, dont l'une est la trs sainte Trinit, et l'autre l'humanit, nes'taient-elles pas unies dune faon ravissante ? Ainsi que chante l'glise dans une de seshymnes de triomphe, le Verbe de Dieu stant fait chair, ces deux maisons, dont l'une est celledu Trs-Haut, et l'autre, bien infime, la ntre ! se sont trouves troitement unies. Participant

    l'une et l'autre, le Christ est devenu leur angle d'amour (51) !

    Ce rle, il le continue, tous les jours, dans l'Eglise catholique, o faisant devenir, par sessacrements, les chrtiens enfants de Dieu, il joint incessamment la terre au ciel.

    Mais, de plus, avant que vnt la Rvolution, le Christ n'tait-il pas l'angle d'amour dans lasocit civile elle-mme ? N'avait-il pas rapproch, uni, et les riches et les pauvres, et lesmatres et les esclaves, et les Barbares et les peuples de Rome et d'Athnes, et la race blancheet la race noire ? En Lui, tous les enfants d'Adam s'taient inclins les uns vers les autres,

    joignant leurs curs et leurs mains. Parmi eux, hlas ! ont toujours exist des distances, descontrastes, des castes, des inimitis, des extrmes; mais en Jsus-Christ, ces distances s'taienteffaces, ces contrastes s'taient harmoniss, ces castes s'taient fondues, ces inimitiss'taient adoucies, ces extrmes s'taient touchs: lattrayante pierre angulaire avait fini partout subjuguer, par tout faire rentrer en conjonction d'amour !

    C'est de la sorte qu'avaient pu se former les nations chrtiennes. Qu'taient-ce, en effet, queles nations chrtiennes ? D'admirables communauts d'hommes et de peuples unis par la foi,

    par la tradition, par la langue, par les murs, par le sol, et aussi par la vocation de rpandre lavrit, d'clairer les nations moins avances vers Dieu, et de leur porter, au prix du travail etau hasard de la mort, les biens ternels, la justice et la civilisation. Mais de toutes ces gloiresdont les nations chrtiennes taient justement fires: de leur foi, de leurs traditions, de leur

    langue, de leurs murs, de leur sol, de leur vocation, n'tait-ce pas le Christ qui en tait labase ? n'tait-ce pas Lui leur angle de runion ?

    Et ainsi, autour du Christ, divine pierre angulaire, s'tait forme et se dveloppait, depuis dix-huit sicles, dans un magnifique concert de pondration et d'avancement, cette triplemerveille: l'glise catholique, les nations chrtiennes, la civilisation.

    Mais voici qu'en 1789, la France donne le signal d'un nouvel ordre de choses, et dansl'inauguration qu'elle en fait, la pierre angulaire, le Christ, est rejet.

    Ddaigne, que va devenir la clbre pierre de l'angle ? Va-t-elle demeurer dans le rebut o

    l'Assemble nationale l'a mise et relgue, comme inutile ? Si elle s'y prtait, elle ne seraitplus la pierre vivante. C'est son nom encore, dans les critures (52). N'importe quelle autrepierre est inerte; dplace, elle demeure dans le coin o on la relgue; mais celle-l, elle estvivante, elle ne se rsigne point l'inertie ! Ds l'aurore des sicles, quoique tenue en rserve,elle faisait mouvoir les empires. En tte du livre du monde c'est de moi quil est crit (53); lesempires s'arrangeaient et se drangeaient en vue de sa rception (54). Et maintenant qu'elles'est manifeste et que, visible la conjonction des sicles anciens et des sicles nouveaux,elle a vaincu le chaos paen et en a tir, aux regards des hommes et des anges, ces merveillesnommes l'glise catholique, la chrtient, la civilisation, on s'imagine qu'elle se soumettra un tat de rebut et d'inertie ? Dtrompez-vous, orgueilleux lgislateurs de 89. La pierrevivante, humble dans ses fondements qui sont la crche et la croix, est fire dans son dificequi est l'glise catholique ou universelle. Vous ne voulez plus d'elle la base de la socitnouvelle et des nations modernes: le ciel va prendre en sa faveur d'autres dispositions.

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    Lesquelles ?

    Le Livre inspir de Job les fait pressentir :

    Le Seigneur parla Job du milieu d'un tourbillon et lui dit: O tiez-vou