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LES COMPnETTnNSToNS FoUcALDIENNES DE LA nEvorunoN FMNqATSE Thlrashi Sakamoto Alors que la pensie de Michel Foucault se ddroule aurour d'une question : u Qu est-ce que les Lumitres ? >, il rapporte rarement la question des LumiEres I la RCvolution frangaise, que l'on considbre souvent comme un rdsultat des LumiEres. Foucault essaie, de prCfCrence, de faire apparattre des processus cachds sous I'iclat de cet evdnement. Pour la formation de la psychiatrie moderne ou pour l'histoire du systbme carc5ral,la rupture ddcisive n'est pas la R&olution, mais des dvinements souvent minuscules qui ne coincident nCcessairement pas avec la pdriodisation dablie par I'histoire trhditionnelle de la Rdvolutionl. Foucaultentame cependant une reconsidCration de la Rdvolution vers 1977, eumoment oir il tente de rdorienter la direction de ses recherches, de la critique des Lumibres I la reprise du projet des Lumitsres au sens kantien. C'est aprbs ce tournant que Foucauh envisage diffdremment la I Roger Chartier fait la remarque suivante de la position de la R&olution chez Fou- cuit : " D'Hisnirc & k folie \ Surue;lbr et punir, la RCvolution est prCsente dans tous les livres majeures de Foucault. Mais, dans aucun, elle nest considCrCe comme le temps d'une rupture totale et globde, rCorganisant I'ensemble dcs savoirs, des discours et des pratiques. Lessentiel est d'ailleurs: dans les dCcalages qui traversent la Rdvolution et dans les conti- nuit6 qui I'inscrivent dans des dqrCes qui la dCbordent. o (Roger Chartier, o Foucault et les historiens, les historiens et Foucault ,, Au risqae dr Foucauh, Paris, Editionr du Centre Pompidou, 1997, p. 230. (Cdition anglaise lCgirement diffCrente : u The Chimera of the Origin : Archeology, Cultural History and the French Revolution ,, Foucauh and the'Vrit- ingofHisnry,Cd.,parJanGoldstein,OxfordetCambridge,Blackwell, 1994,p. 167-186.)

SAKAMOTO Les Comprehesions Foucaldiennes de La Revolution Francaise

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SAKAMOTO Les Comprehesions Foucaldiennes de La Revolution Francaise

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LES COMPnETTnNSToNS FoUcALDIENNES DE LAnEvorunoN FMNqATSE

Thlrashi Sakamoto

Alors que la pensie de Michel Foucault se ddroule aurour d'unequestion : u Qu est-ce que les Lumitres ? >, il rapporte rarement la questiondes LumiEres I la RCvolution frangaise, que l'on considbre souvent commeun rdsultat des LumiEres. Foucault essaie, de prCfCrence, de faire apparattredes processus cachds sous I'iclat de cet evdnement. Pour la formation dela psychiatrie moderne ou pour l'histoire du systbme carc5ral,la ruptureddcisive n'est pas la R&olution, mais des dvinements souvent minusculesqui ne coincident nCcessairement pas avec la pdriodisation dablie parI'histoire trhditionnelle de la Rdvolutionl.

Foucaultentame cependant une reconsidCration de la Rdvolution vers1977, eumoment oir il tente de rdorienter la direction de ses recherches,de la critique des Lumibres I la reprise du projet des Lumitsres au sens

kantien. C'est aprbs ce tournant que Foucauh envisage diffdremment la

I Roger Chartier fait la remarque suivante de la position de la R&olution chez Fou-cuit : " D'Hisnirc & k folie \ Surue;lbr et punir, la RCvolution est prCsente dans tous leslivres majeures de Foucault. Mais, dans aucun, elle nest considCrCe comme le temps d'unerupture totale et globde, rCorganisant I'ensemble dcs savoirs, des discours et des pratiques.Lessentiel est d'ailleurs: dans les dCcalages qui traversent la Rdvolution et dans les conti-nuit6 qui I'inscrivent dans des dqrCes qui la dCbordent. o (Roger Chartier, o Foucault etles historiens, les historiens et Foucault ,, Au risqae dr Foucauh, Paris, Editionr du CentrePompidou, 1997, p. 230. (Cdition anglaise lCgirement diffCrente : u The Chimera of theOrigin : Archeology, Cultural History and the French Revolution ,, Foucauh and the'Vrit-ingofHisnry,Cd.,parJanGoldstein,OxfordetCambridge,Blackwell, 1994,p. 167-186.)

t94 Takashi Sakamato

Rivolution, tout en I'articulant sur la question des Lumibres.

Cet exposd vise I penser la position de la RCvolution chez Foucault en

se focalisant sur ce tournant. Comment Foucault pense-t-il la Rdvolutionavant et aprls le tournant? Quel est le rapport entre laRdvolution et les

Lumilres? Ou bien, qtiest-ce que la RCvolution pour Foucault?

Nous abordons ces questions par trois €tapes. PremiErement, nous

prenons comme point de ddpart un livre de Frangois Furet, Penser kRiuo lution frangaise pour dlgager quelques questions d'historiographierdvolutionnaire2. DeuxiBmement, nous repdrons les comprdhensionsde la Rdvolution chez Foucault avant le tournant.Tioisibmement, nousmontrerons la riflexion foucaldienne sur Ia Rdvolution aprls l9 tournantautour de trois axes : 1 . Archdologie de la notion de rdvolution ; 2. Rapportentre la Rdvolution, les Lumiires et le prdsent; 3. La RCvolution et soi.

Ce faisant, nous remarquerons plusieurs comprChensions foucaldiennesde la R€volution frangaise qui se ddveloppent parallblement I la reprise

du projet des Lumibres.

I. Penser la Rdvolution frangaise

Dans Penser k Riaolution frangaise, Frangois Furet remet en

question le statut m6me de la RCvolution frangaise tout en critiquantItristoriographie traditionnelle, notamment celle du marxisrne. Ala comprdhension marxiste de la Rdvolution, il oppose une histoirepour ainsi dire n rCvisionniste > de la Rdvolution, en prenant commeprdcurseur deux auteurs, Alexis de Tocqueville et Augustin Cochin.Furet situe son historiographie au croisement de ces deux auteurs: pourle premier, la Rivolution est un Cvdnement qui a accompli le processus

de centralisation administrative qui avait commencC depuis I'AncienRdgime. Pour le second, elle est une rupture absolue, un ivinement ayantdonnd naissance i une novelle forme de sociCti, socidti dCmocratique.

La spdcificitd et la difficultC de I'historiographie r&olutionnairerCsident, selon Furet, dans le fait que parler de la Rdvolution impliqueindvitablement un jugement prdalable sur cet &Cnement. o Il fautd'abord, dit-il, qu[e I'historien de la RCvolution] dise d'oir il parle, ce

qu'il pense, ce qu il cherche; et ce qu'il Ccrit sur la R&olution a un sens

prdalable h son travail m€me : c'est son opinion, cette forme de jugement

2 Frangois Furet, Penser k Rluolutionfrangaise, Paris, Gallimard, collection u Folio histoire r,

rCCdition 1985.

Les compr6hensians foucaldiennes de ta Rdvolution frangaise 19:

qui n est pas requise sur les MCrovingiens, mais qui est indispensable sur

hAg "u1lgl oE. Puisque la RCvolution est un Cvdnement fondateur du

monde moderne dans lequel nous vivons encore' toute tentative d'en

parler suppose un jugement sur cet dvCnement ou sur son actualitC'

Er, ". r.trr, penser la R&olution, c'est I la fois Penser le prdsent par

rapport I cet dvdnement fondateur et Penser la R€volution Par rapPort

au prCsent.

Furet donne un exemple d'un tel rapport: les socialistes de la fin du

xrr sibcld. A l..t.t yeux, la Rdvolution est une phase prCalable de la

rdvolution socialiste. Ils ddfinissent l'idde de rCvolution par le schimalindaire selon lequel la Rdvolution est ) la fois comme origine et comme

promesse d'une autre rCvolution, rdvolution socialiste. En 1917, laRdvolution frangaise, n'itant plus une simple Promesse' devient lamatrice d'une rdvolution r€elle. Les historiens de la R&olution se

rdfbrent ddsormais I la deuibme rCvolution tout en projetant leurs

jugements sur 1917, et en tentant de lire des signes de la deuibmerdvolution dans la premiEre.

Ce faisant, toutes les histoires de la Rdvolution cherchent des

origines du pr€sent dans cet &Cnement I leur manibre. De lI surgissent

des positions diverses d'histoire rdvolutionnaire: royaliste, libdrale,

sociJistes, etc. Ce qui est commun ir ces positions, c'est qu elles

commdmorent la Rdvolution comme origine de leur identitd.

Or Furetmet en question lavaliditC de telles histoires de I'identitC pour

deux raisons. D'une part, le ddtournement.des socidtCs rCvolutionnaires,

tel que l'existence du Goulag, ne Perm€t irlus de Penser la Rdvolutionfrangaise comme origine ou comme promesse de l'avEnement d'un temps

nouveau. D'autre part, les mutations du savoir historique Permettentde poser autrement le probllme de la R€volution. La deuxibme est

importante pour Furet. Ilhistoriographie rdvolutionnaire n est plus le

ricit de l'identitC. Ainsi prdcise-t-il:

En ffit, ce que cene historiographie deuait annoncer, ce ne sontphts ses coulears,

ce tont tes conccPts. L'histoire en gCnCral a cessC d'ttre ce sauoir olt les o faits 'sont censls parlzr toat seilb, pourau quils aient /t/ Ctablis dans hs rlglcs. Elle

doit dire b probltme qu'ellz cherche h analyser, hs donnCes qu'elle utilise, hs

Irypothlses sur lesqaelles elh traaailh et les conclusiont qa'elk obienf,

t lhd., p. 13.4 lbid.,p.t9-20.5lhd.,p.29-30.

196 Takashi Sakamoto

C'est en se fondant sur cette mutation de I'historiographie rCvolu-tionnaire que Furet critique I'histoire marxiste de la RCvolution. Il re-marque d'abord une confusion dans I'histoire mamiste entre I'idCe derdvolution comme avbnement d'un temps nouveau et un dlargissementdu champ d'andyse historique vers I'Cconomique et le socid. ks itu-des de I'dconomique et du social sur la base de la notion d'avbnementintroduisent une hypothtse qui itend des effets de la rupture politiqueqda produit la RCvolution jusqu aux domaines dconomiques et sociaux.Ainsi disent les mandstes: ( avant, le ftoddisme; aprbs, le capitalisme.Avant, la noblesse; aprbs la bourgeoisie ,6. Ces hypothtses, mettant l'ac-cent sur la totalitC de la rupture produite par la RCvolution,.. ne sont niddmontrables ni vraisemblables. Alors qu il est vrai qu'enge 1789 etITg4,ladisparition de la monarchie a marqui une rupture considCrabledans le systlme politique, peut-on dire qu'une pareille rupttrre s'est pro-duite parallllement dans les systbmes dconomiques ou sociaux ? Cetterupture, que les acteurs de la Rdvolution ont ressentie, ne serait-ellequ une illusion ? Ainsi conclut Furet:

[,,,J toute concEtualisation de I'histoire rlaolationnaire comTnence pdrh titique de I'idle de RCuolution telle qu'elh a Ct/ ulcue par lcs acttars etulhicullc par hurs httim: iat-hdirc, commc an changemmt radical" etcomme lbrigine dhn temps neuf .

Clest pour cette dCprise de l'idCe de rCvolution-rupftre que Furetmesure le gCnie deTocquwille qui cherche une continuitC entre l'AncienRCgime et la sociCti post-rCvolutionnaire, indCpendante d'expCriencesrdvolutionnaires vCcues des acteurs.

Ce faisant, Furet distingue dans I'historiographie revolutionnairedeux objets d'analyse. Le premier est n la R&olution cornme procbshistorique, ensemble de causes et de consCquences ,. Le second estu la RCvolution comme modalitd du changement, comme dynamiqueparticulibre de l'action collective > qui rend possible une nouvelleconscience n rdvolutionnaire >8. La confusion de ces deux objets pose II'historiographie revolutionnaire un autre problEme, ce qu'on pourraitappeler n postulat de la nCcessitC o selon lequel la RCvolution se comprendcomme nCcessitC. Furet critique ce postulat de fagon suivante:

Lc postuht de k nlcessitl de o ce qui a cu lieu, est un? illusion rltrospectiueclassiquc fu h conscicnce historiqut: h passl cst an champ * possiblzs t

6 lud., p.31.7 lbid, p.31-32.8 lbi/.,p.38-39.

Les comprdhensions foucaldiennes de la RAvolution frangaise I97

I intcrieur duqacl r cc qti est a,iac D a?paratt apis coup comme lz.seul auenirdz ce passP.

si l'historien restait fidlle ). la conscience des acreurs, conscience dela rupture, il essayerait en vain de montrer la nccessitc de cet dvdnementqddprouvent fort les acteurs. De ll surgit fidde de rcvolution bourgeoisequi n est rien.d'autre que, selon Furet, u un masque sous lequel se

"i.h.rrtces de'x prcsupposds celui de la nccessiti de-l'evcnement et celui dela rupture du temps >10. selon cette idce, la Rcvolution est comprisecomme rup_ture nccessaire et totde qui a changc d'un coup tous lesniveaux de la socidtd. En rcalitc, la rupture total-e n'est qu une illusionplgd*t par la conscience des a.t.,rti. Les historiens ,ipr.rr*t ..ttidce illusoire, la rcorganisent dans I'idce de rcvolution bourgeoise.

. . Ot: en se proposant d'analper la Rdvoludon comme processushistorique, Furet remarque qu une telle recherche de continuitc ou decausditc objective ne peur expliquer suffisamment la R&orution entant qu'€vCneme,nt. De ll une question; o pourquoi ce processus decontinuitc enue I'Ancien Rcgime et le nouveau a+-il empruntc les voiesd'une rCvolution ? ,'r Il pouriuit:

Il 1 a dans h concept dc rluolution [.,.] qucQue chosc qui concspond b son< oCca > hisniqae et qui nbblit pas ) E stquence hgiqac fu, ffets a descauses: cbst lhpparition sur h sdne dz lhirto* dani nodalitliratia*e etidlobgique dc lbction sociab, qui n'e:t itc.ritc dans im le cc qatt,a p*ceilc;un type dc *ise politiqac k rend possiblc, mzis non pas nrcessiire ; ei k rcaohene lui frunit auan modlh, pubqablh fait partii par dlfnition dz l,ancienrystimc politiquc et athurell2.

.C'est Augustin Cochin qui dintCressel ce probltme, probltme de la

naissance d'une o nouvelle sociabilitc politique i,, matrice de h consciencer&olutionnaire et de la socictc dcmocratiquer:. cefte sociabilitc rendpossible la formation d'une opinion sur les communications horizontalesenue les individus, tout en rcorganisant un co{ps social r panir deI'individuel. c'est la naissance et le dcvclopp.*.rit de cette sociabilit€dimocratique que Furet envisage en r.pren*nt le problbme de cochin.

Furet analyse cette sociabilitd autour de la formation de ce qu'ilappelle langage de la Rcvolution ou de la dcmocratie. A travers l'"rrjyr.

e lkd., p.40.t0 lbid.tt lbid, p.45.t2 lbid., p.46.t3 lbid,p.67.

198 Takashi Sakamoto

de ce langage, il ddcrit la manibre dont I'opinion figure symboliquementla volontC du peuple. l,a RCvolution, dit-il, < inaugure un monde[..,] otr le circuit sdmiotique est mattre absolu de la politique >ra. LaRCvolution est ainsi comprise comme surgissement d'un langage dela dCmocratie et d'une sociCtd ddmocratique sur la base de I'opinion,qu'aucune explication causde ne peut rCduire I un effet logique deI'Ancien RCgime.

l,a discussion de Furet porte donc sur les trois points suivants: lerapport entre le prCsent et I'historiographe rCvolutionnaire, les probllmesipistCmologiques de I'historiographie traditionnelle et la possibilitCd'Ccrire une nouvelle histoire de la RCvolution. Nous dibtuteronsensuite sur la position de la Rdvolution dans la pensCe foutaldiennetout en nous rdfCrant I ces points.

II. Foucault et la Rdnolution frangaise z *ant L977

Avant 1977, pour Foucault, la R&olution est un &Cnement dontpade sans cesse I'historiographie traditionnelle pour en repdrer les causes,

les effets et I'importance inCpuisable. Foucault se dimarque d'une tellecomprdhension d'historiographie pour ainsi dire o CvCnementielle >,

tout en cherchant I situer la RCvolution au niveau discursive. Il expliquebien sa position dansl'archlologie du saaoir;

Ainsi h Rdaolution fiangaise - puisqac c'est aatorr dblh qubnt &C ccnt4esjusqu'ici toutes les andbscs archlologiques - nc joue pas h rAb d'un ludncmentcxtlrieur aax discours, funt on deurait, pour pcnser comnte il faut, retrouaerlffit de partage dans tous hs dhcours; clb frnctionnc comrne rn nscmblccomplexe, articul|, dlsctiptibh de transfonnations qui ont kissC intactel unccrtain nombrc dz posfiuitCs, qai ont fxl pour un certain nombre d'autesdes rlgbs qui sont encore lcs n6tres, qai ont ltabli 4galcmmt dzs positittitls qaiuiennent de se dCfaire ou se d4frnt encorc sous nos yeul,,

Deux points importants. Premibrement, Foucault place la R€volutiondans I'analyse de la formation discursive. La RCvolution est comprisenon pas comme une sCrie de fameux CvCnements tels que la prise de laBastille ou I'exCcution de Louis XVI, mais cornme des efFets discursifsqu elle produit. Derxitmement, la Rdvolution n'est pas une rupturetotale, mals des transformations qui n'ont infuencC que sur certainespositivitCs. Il dClimite la portCe de la RCvolution frangaise tout en prenant

ta lbid.,p.84.t5 L'archlologie da sauoir, Ptis, Gallimard, 1969 , p. 231.

Les comprdhensions foucaldiennas de la R6volution frangaise 199

comme objet d'dtude des discours qui se trouvent, soit entierement soitpartiellement, hors de I'infuehce de la R€volution.

Dans la rnesure oir Foucault met I'accent sur I'aspect discursif de laRdvolution, et qu il ne consiibre pas cet CvCnement comme ruptr.ueddcisive, on pourrait dire qu'il partage la position sur la Rdvolutionavec Furet. Ou bien, commq le disent certains, I'historiographie deFuret pourrait se comprendre comme une reprise de l'histoire diicursiveesquissCe par Foucaultr6. De fait, Foucault sugglre une analysearchCologique du savoir politique I la fin de LArchiihgie du sauoiri

Iz question, par acemph, u serait pat dz dltcrmintr t partir de qucl mornent

lppnail anc conscicncc rluolationnaire [. . ,]; il ne shgirait pat dc rcttucer hbiogmphie glnlrale ct exemphire dc I'honme rlaolationniire, oa de trouaerI'cnracincmmt dz son proja; nais & monttcr commcnt sc sont formC uncpratique disatrsiae et ai sauoir rdaolutionnaire qai s'inucs*smt dans dcscomportcmcntt ct dts stratlgies [. ../7.

Bien que Foucault rfapprofondisse pas I'analyse de la consciencerdvolutionnaire, il propose, semble-t-il, dans ce passage un projet deI'arch€ologie de la sociabilitC dCmocratique.

Foucault mentionne cependant parfois la R&olution selon le schdmatraditionnel ou marxistes, c'est-l-dire la rCvolution bourgeoise. Enadmettant qu il y ait eu plusieurs processus rCvolutionnaires-, FoucaultcaractCrise la RCvolution cornme prise de I'hCgCmonie politique par labourgeoisie. Il parle de la RCvolution u bourgeoise u en la rapporiant Ila rCdisation du Panoptique au xnf silcle;

La bougcoiric compmdpafaitctncttt qa?uc nowelh llgislation ou une nontelhAnstiuttion ne lui gamtirson hetnonie; elb comprndqu'clbdait inamta une nouuclh achnolagie qui asnnralidgation darx L coryisocialy *tia a jusqub sa gnins bs plas fnr, dn tfrx et p*wix Et clat h qac hboargeobic afah non scubmcnt une rhtolution poktette, nais aatsi qu'el| a ninsuuv anc h$ttnonic sociab nr laquellc clb nbx jimais mcnue depaifE.

Il n'est pas question, dans ce passage, de la RCvolution elle-m€me,mais de I'invention d'une houvelle technologie de pouvoir dans la

16 syr cc point, voir les toces suivanm qui caraccrisent I'analpe de Furet comme cclle dcs

__ r9l$-ons. d9 gouvoir qui se reprCsenteni dans lc langage politique.Keith Micahel Baker, n A Foucauldien French Revolution i ,, Foica*lt and thc Vriting of His-

ary, p.187-2O1.Mark Postcr, culnral History and PostmodanitT, New York, colunbia university press, 1997,

notamment chapitre 3 n Furet and the Deconstruction of 1789 ,p,72-107 ,t7 tarchtol4ic dt sauh, p. 254-255.r8 n Lcil du pouvoir u, Dits et ltits, t. III, p. 198-199.

200 Takashi Sakamota

socidtd bourgeoise. Il semble que Foucault dlargisse, ainsi que le faitl'histoire *"Lir.., I'analyse politique de la Rdvolution jusqu'l l'analyse

du socid'r. Si on prend en considdration ses discussions sur les relations

de pouvoir, elles seraient incompatibles avec I'idde selon laquelle la prise

d. i'hdgdtttonie politique par la bourgeoisie change toute- la socidtd.

Selon lianalyse foucaldienne du micro-pouvoir, I'hdgdmonie politique

riassurerait point la mutation totale de la socidtd. I-lacceptation de.ce

schdma traditionnel proviendrait du fait que la R€volution frangaise

n'est pas le sujet principal pour Foucault dans cette pdriode-li..Alorsqu il met .r, q.,.r,iott l'&idence de la notion de rdvolution, son objectif

.rt, de prdftrlnce, I'analyse des relations de pouvoir qui se siqent au-

dessus iu niveau dvdnementiel. Lintdr€t port€ I la R€volution.ne serait

qu un effet de son analyse.

De surcroit, Foucault utilise le mot rdvolution pour disigner la

rdvolution comme promesse dans les anndes soixante-dix oir Foucault

participe aux activiids politiques telles que celles de G.I'P' En 1976'

Fo,r.".rlt menrionne l'idde de rdvolution de manibre trbs positive r

Au xrx'sibcle, Ia rdvolution dtait ddsirde par les masses' Mais lestalinisme, les dvdnements qui lui ont succddd et les phdnombnes _que

la

rdvolution communiste a pioduits )r titre d'dchantillons Partout dans le

monde ont fini par faire baiss.r considdrablement le taux de ddsirabilitd

de la rdvolution- [...] Auiourd'hui, la rdvolution a fini par devenir aux

yeux des masses quelques chose d'inaccessible ou d'effroyable'

A mon auis, le rble dintellectuel aujourd.'hui doit 0,e fu rCtablir pour I'image

d.e h rCuolution le m\me taux de d.liirabilitC que celui qui exittait au t:tt( sibcle.

Et il est urgent pour les intellectuets [...] deiestituer I k rCuolution aatant dc

charrnes {"'rtti ," aaait au xtX siicle. Pour cek, il est nlcessaire dinaenter

de nouaiux modes dz rdpports hamains, cbst-h-dire de nouueaux mod.es de

saaoir, de nouueaw nod'es dz pkisir et de uie sexuelld9'

Il ne s'agit pas ici de la Rdvolution frangaise, mais de la promesse

d'une autrJ rdvolution I laquelle la Rdvolution a donnd naissance.

C'est la rdvolution .o**.r.rirt. et le stalinisme, selon Foucault, qui

ont ddgradd la disirabilit€ deLa rdvolution. La restitution de la valeur

de rdviution impliquerait donc une valorisation ou une revalorisation

19 Foucault reprend ce schCma d'explication.marxiste dans Santeilh et pzzlr : n Historiquement,

l. procer.us'pa, lequel la bourg"oiri. e.t dwenue au cours du xlrrf sibcle la classe politique-

-i.,t domirr"nt" s'est abritg deiriere la mise en place dun cadre juridique o<plicite (...). Mais

le d&eloppement et la gCnCralisation des dispositifs disciplinaires ont constituC l'autre versant,

obr"ur, i. "..

pro casui. , (Sartteillz, tt puni,, Paris, Gallimard, p' 223-224')

20 o Le savoir comme crime ,, Dits et Cctits, t. III, p. 85-86'

Les comprdhensions foucaldiennes de la R6votution frangaise 201

de la Rcvolution frangaise, contre la dcgradation communiste de I'iddede rdvolution. La rcvolution I I'avenii ne se ddroule cependant pas,souligne Foucault, autour du polidque, mais dans les io*ain., desavoir et de sexualitd sur lesquels il s'interroge sans cesse. Il vise ici unddplacement de pratique u rCvolutionnaire ,,-du domaine politique auxdomaines divers, rout en rcorganisant ses objets de rechercie auiour deI'idde de rdvolution.

RCsumons : avanr 19.77 , alors que sa mCthode pourrait €tre applicablel.l'analyse.historique de la Revolution, Foucauli ne prend p", .o--.objectifprincipal cet &Cnement en faisant apparaltre d'".r..J, pro..rr,r,historiques contemporains r la Rcvolution. Mafure h mise en questionde I'dvidence de la nodon de rivolution, Foucault accepte le modele d.la rCvolution bourgeoise, qui serait contradictoir.

"rr.. i., rdfexions sur

le pouvoir. Fn outre, la rdvolution demeure pour lui toujours dcsirableet possible, bien qu'il critique les iddes et les rcsultats des Lumidres.

III. Foucault et la R€rolution frangaise aprbs 1977

Archdologie de la Revolution

. C'est l-partir de L977_que la position de la Rdvolution change dansla pensde foucaldienne. ce ddpla-ement se produit autour de deix axes.Foucault comprend d'une part la Rdvolution en tant qu une ruprurefondatrice de la modernitC, tout en la rappott*t

"., problbme du

prcsent. Il critique d'autre part I'idce du retour de la r&olution commetouchant I sa fin. ce sont dans deux textes publid en 1977 qu il abordece problbme d'une manitre inddite, I savoii n Non au sexe roi , et u Lagrande colEre des fai$ rr'. ,

. Fgucault caractdrise la question de la philosophie depuis le xnr" sitclede fagon suivante: n Qu'est-ce qui si p"rr.

".tu.ilement, et que

sommes-nous' nous qui ne sommes peut-etre rien d'autre et rien deplus que ce qui se passe actuellement ?1,r, C'est exactement le problEmede l'ontologie historique du prdsent que Foucault dcveloppera dans lesannies quatre-vingts par rapport ). la question des Lumibre s. En 1977,Foucault envisage cependant le probl8me du prdsent par rapport r la

2r o Non au se.re roi >, Dits ct /tits, t.lII, p. 256-269.n La grande coldre des faits ,, Dits a tcri:*, t. III,, p. 277-291.

22 n Non au sexe roi >, Dits et lcritt, t.IIl, p. 266,

dflt

202 Takashi Sakamoto

RCvolution non pas aux Lumibres, c'est la probl€matique de.rcvolution-

prisent que Foucault Clabore avant que la probldmatique de lumitres-

prdsent ne se forme explicitement.

Il repbre la singularitd de la Rcvolution frangaise au travers de la

co*p"iaisott avec la rdvolution anglaise :

La Rlaolution frangaise, elle, auait posl,un tout d'atre tlPe de pr2bbmes [que krcuolution an{laisei. Moins par ses icsubau qne par l'y'ay'nement lui-mel": 9'aient-il de se"p*ser? En qioi a consistC cette rCuolution ? Est-ce h rCuolution

? Peut-elle, ao;t'* ,rroii.rrrr, ? Si elh est incompl'lte, faat-il lhcheaei Si

elle est acheu1e, quelh autre histoire iinaugure mdintcnant? Comment fairedlsormais pour fairc h rCuolution, ou pour l'laiter ?

Dls qubn gratte un pca sotts lcs discoun dzs phibsophes, mais aussi sous.luconomie

poliiq"z,Vhitnio,'bt tri*ca lrumaina du xN tilch, ce qubn trouuc' eu.!f"'nujoin: constitua. un sauoir h pmpos de k Rluolution, pour ellz ou contrc cll&.

Dans ce passage, la R&olution est d€crite en rlt qd&dnement qui a

inaugurC to .lt"-pr de savoir du xnf sibcle en faisgt une nrPture avec

l,AnJien Rdgime. L Rdvolution est un moment fondateur des temps

modernes, une origine et une Promesse auxquels revient sans cesse toute

forme de savoir du-xnf sibcle. si tel est le cas, la pensce foucaldienne, quiprend comme obiet des formes diverses de savoir, est par excellence un effon

pour repdrer I'influence de cet Cvcnement dans les domaines de savoir. laiUuol.r,io.t obtient un stadrt tout diffdrent dans la pensCe foucaldienne,

celui de fondateur du savoir moderne. n Qtiest-ce que la Rdvolution? o est,

I ce momentJ)r, pour Foucault, une question fondamentale'

Il n est cependant plus question de restaurer la valeur de la rcvolution.

Foucault prlvoit ",,

.orrrr"it la fin de la rdvolution sous forme telle

quelle #rt"it depuis la R&olution. Il remarque.l'analogie :lt:: l"p.nrd. chr€tienne des premiers si€cles et la pensCe moderne'a'. Si la

premibre pose le probllme du prCsent par raPport du retour.de Dieu, la

,.corrde rimpl"ce la position du Dieu par I'idCe de rCvolution comme

promesse. u Rgvolution a inaugurc non seulement les domaines de

lauoir, mais aussi la politique ,.rJd..n., car la politique ne se dCroule

qu'aurour de la question de la rcvolution, de son processus en cours et

de son retour ir l'avenir'5'

23 n I-a grrnde collre des faits t, Dits a Ccrits, r. lll, p. 279.

24 o Non au sexe roi ", Dix et lnits, t. lIl, p. 266.25 Foucault parle de la naissance de la polidque dans un manuscrit sur la gouvernementalitc

: n la polirique, dit Foucaul, n est rien de plus, rien de moins que ce qui nait avec la rCsis-

,*". i l" go'uvernementalitc, le premier soullvement, l:!-*It-tl aftontemcnt' t f/nitC'territoire, iopuktior, cours au Colage de France, ,^€e1977-1978, Paris' n Hautes Etudes >'

Les comprdhensions foucaldiennes de la R6volution frangaise 203

Or, si la RCvolution frangaise a donnC naissance I la politique moderne,la rdvolution communiste et le stalinisme ont posC une nouvelle quesrion:le retour d'une autre rCvolution est-il encore dCsirable ? Il ne s'agit plus dela restitution de sa valeur, mais de la mise en question de la dCsirabilit€et de la possibilitC de la rCvolution. Foucault parle d'une consdquencepossible de cette interrogatlon: u si la question de la rCvolution ne peutplus se poser €n ces termes, alors la politique risque de disparaltre ,t6. Lafin de la r&olution, si elle oriste, impliquerait aussi la disparition deschamps de savoir qui ont dtd ouvert par la R&olution. Parler de la finde la rdvolution qui domine la sociCtC occidentde depuis 1789 signifieparadoxalement que, pour Foucault, les temps modernes sont fort dominCspar la R&olution et ses effets. La Rdvolution demeure un momentfondateur de la modernitd qui ne perd pas encore son imponance, biengue sa dCsirabilitd soit mise en question.

Foucault rdpbte dans un auffe texte la fin de fidie de r€volutionfondatrice: n Nous sommes peut-etre en train de vivre la fin d'une pCriodehistorique qui, depuis 1789-1793, a 4t(, au moins pour I'Occident,dominCe par le monopole de la r&olution [...]o".lr monopole de lardvolution signifie deux choses. Premidrement, tor.ls les domaines depensCe moderne sont dominCs par la r€volution. Deuxilmemenr, depuis lexnf sibcle, toutes les luttes pour la rdalisation de la rdvolution par les paniesou par les mouvemens r&olutionnaires se dCroulent autour du pouvoirdconomique. Au monopole de la r€volution par les lunes contre le pouvoirdconomique, il oppose des luttes dans les domaines sp€cifiques, tels queceux de la maladie mental€, des relations soruelles, de la mCdecine, etc.Les enjeux de ces luttes sont non seulement"dconomiques, mais aussi desformes multiples de pouvoir dans la sociCtd. Foucault rCfbre implicitementses pratiques miliantes I ce modtle de lutte anti-r&olutionnaire alors que,a:vant le tournant, il les considCrait comme situant I c6td de la r&olution.

Gallimard / Le Seuil, 2004, p.221.). kt dCbut de la kgon du 8 mars, il inscrit la R&olu-tion frangaise sur une histoire des insurrections de conduitc ou de la contre-conduite, quiest par excellcnce histoire des luttes contre le pouvoir pastoral dont la forme plus radicaleest la RCforme protestante. Jusqu'I la RCvolurion anglaise, c'est toujours le pouvoir pastoralauquel esaienr de rCsister toutes les formes de r&olte. En revanche, l'enjeu de la RCvoludon&angaise n'est plus le pouvoir pastoral. Elle a inaugurC une autre dimension de la rCvolte,comme la R&olution russe, m€me si la seconde n'est qd o une manifestation r de la nou-velle forme de rCvolte. Bien que Foucault ne d&eloppe pas I'histoire des rCvoltes contre lepouvoir non-pastoral, il est au moins cenain que, selon lui, une rCorganisation du champpolitique se produit dans la pCriode de la R&olution frangaise. Yoir Sleui{ territoire, po-palation, p. 233-234. Voir aussi le texte de Jean-Claude Monod dans le m€me volume.

-

26 n Non au sexe roi >, Dits a letits, t.Ill, p, 267.27 < La philosophie analytique de la polirique ,, Dits et ltits, t. lll, p. 547 ,I

204 Takashi Sakamoto

En 1979, Foucault critique I'aspect tClCologique de la rCvolutionen I'opposant I l'idde de soullvement, idCe affranchie de la pensCe

tClCologique:

La riuolution lorganhe selon toute une lconomie intCieure au temps: des

conditions, dzs pmmesses, des ntcesitCs; clh hgc donc dans I'hisnire, y faitson lit etfnalement iy coachc, Le soulluement, lui, coupant h temps, drase hshommes I h urticah dc lear tent ct dz har hananit&.

La rdvolution se compris comme promesse, ndcessitd, alors que lesoultvement se caractCrise comme verticalitd qui permet aux hommesde se d€gager du temps lindaire et de penser leur prdsent sans le lier Iaucune fin.

Ceme opposition entre la rdvolution et le soulbvement fait tCfCrence,

sans aucun doute, I un Cvdnement contemporain sur lequel Foucaultporte son intCr€t vif: la rdvolution iranienne. Pour Foucault, lar&olution iranierine, malgrC son nom, est un exemple du soulbvement,n par lequel un homme seul, un groupe, une minoritC ou un peupletout entier dit: itJe n obdis plus u >2e. DCfinissant le soulbvement I la foisdans I'histoire et n hors d'histoire o, il remarque que I'idCe de r€volutionfonctionne pour intCgrer complbtement le soulbvement dans I'histoire.C'est o un gigantesque effort pour acclimater le soulbvement I l'intCrieurd'une histoire rationnelle et maitrisable >30. LidCe de rdvolution, selonFoucault, ne fonctionne que pour dCgrader la singularitC du soullvementen le mettant dans le temps linCaire.

C'est ainsi que se produit un tournant autour de la RCvolution oude I'idde de r&olution en gCnCral dans la pensCe foucaldienne: il a deuxc6tds qui, I premibre lrue, s'opposent I'un I I'autre. II commence dunepan I envisager la R&olution comme le moment fondateur de tous les

domaines de savoir qu il dtudie depuis l'Histoire de h folie. Ce momentfondateur a ouvert un champ d'interrogation sur le prCsent oil l'idCe derdvolution a remplacC la position du Dieu, tout €n promettant son retour.D'autre part, en mettant en question la dCsirabilitC de la rCvolution,Foucault se demande si le rdle central de la rdvolution est en train dedisparaltre dans la politique ainsi que dans les autres domaines.

2E o Vivre autrement Ie temps ,, Ditt a lcrits, t.Ill, p, 790.2e o Inutile de se soulever ? u, Dits ct loix, t.Ill, p.790-791,la R&olution iranienne est donc, commc le dit Michcl Senellan, une forme des u r&oltes deconduite, dans lcs temps modcrnes pour Foucault. Voir : Michel Senellart, n Situation des

<r,ws r, it Slcwitl, texritoirc, popuktion, p.388-392.30 Michel Foucault, < Inutile de se soulever ? u, Dits et lerits, t. III, p.791.

Les comprAhensions foucardiennes de ra RAvorution frangaise 2os

.- ce qu'il vise r faire dans ce tournant, iest prcciscment repcrer lalimite de la rdvolution tout en posant une scrie de questions, q"tri-..que la R&olution frangais. po,tr no's? La rcvolution comme pio.*.est-elle ce que nou' avons r-reprendre ou ). espcre*or, ,",o,rri Si nousdevons nous dCprendre de I'idCe de rCvolution, comment une telledCprise se fait-elle ?

Alors qu'il est vrai que Ia Rcvolution frangaise et l'idce de rcvolutioncomme promesse.ont permis de poser le probltme du prCsent autrementque celui du christianisme, cette question de r&olution-prcsent n'est

lout dem€me quun_e variante de pensCe tClCologique qui pr&rppor.ur.fin de I'histoire. si I'on demeuredans ra ptobii-atique'de r&ii"iiln-prCsent, toute tentative de savoir ce qui est le prCsent'*rr.,r.rger.it *r,la question de la rcvolution comme pro-.rr.. Foucault fai"t ainsi cequ'on pourrait appeler I'archCologie de la rdvolution.

fV. De la Rdvolution aux Lumibres

En 1978, dans o Qu'est-ce que la critique? u, Foucault fait unebrlve histoire de l'attitude critique en occidint autour d'*. qo.rtio'se dcveloppant au cours du piocessus de la gouvernementalisation:n comment ne pas €tre gouveinc? > Dans cette-amitude, que Foucault

lapporte f !'lyfhhrunS kantienne, il s'agit de mettre en questionleprcsenr oi I'on est gouvernc de telle ou telle fagonr. la questionn Comment ne pas

_€tre gouvetnC > se dCfinit comme un .ffo'rt pou,sonir de.ce. prCsent. La critique est, avant tout, une nCgation, soit tltalesoit partielle, du prCsent sans aucune ddtelmination dI fin.

, Il y a donc une diffcrence importanre entre la Rcvolution et resLumilres chez Foucault. Penser le pr&enr par rapport r la Rcvolutionexige.une fin prdcise, retour de la rcvoluti-on,

"lois que les LumiEres,

dcfinies comme sortie de l'ctat actuel, n'impose "o".rni

fin r la tentativede penser le prCsent. Foucault caractCrisira, en 19g4, cette attitude:g-T. un Cthos philosophique, critique permanenre de notre €trehlsto'que-tout en rdinterprdtant sa pensie autour de cette questions2. Letournant foucddien, toui etr admenant I'importance de la Rcvolution:" -t*t que moment historique I analyser, met en lumibre la difficultide la notion de rCvolution en tanr que notion directrice p;u;;.;,

3t MichelFouc,lrf,u Q/est-cequeracritique,? lcritiqueerAaftkrunfr,,Builctin&ksocittcfangaisc dc phihsophic,34. errrn&,

""2, att-jui" tilO, p, 3Z_n.

32 n Qu est-cc que les Lumilres ? >, Dits ct lcits, t. ly, p. 562-57g.

206 Takashi Sakamoto

le prCsent. C'est en affrontant cette aporie que Foucault dlabore laproblCmatique de lumitres-prdsent.

la position de Foucault I I'dgard de la RCvolution est donc bien diffCrentede celle de IGnt, En 1984, dans u Qtfest-ce que les Lumitre u, Foucaultcommente les deux terctes de Kant, u Quest-ce que les Lumilres? > et laseconde disseration du Anfl.it desfacuhee. il dagit l) de deux questions:o Qu'est-ce que les Lumitres? > et < Qrfest-ce que la r&olution? > PourIiant, elles se lient itroitement en ce sens que toutes les deux meftent enquestion le prCsent oir nous vivons. Elles ne sont que deux formes dun m€meprobl0me, celui du prdsent. la Revolution se uouve dans le processus m€medes Lumibres et son importance ne rCside pas dans le drame rCvolutionnairelui-m€me, mais dans sa fone infuence sur l'esprit des contempbrains quine sont pas acteurs princrpatrx de cet Cvdnement.

A la diffdt nce de Kant, Foucault ne considbre pas la Rdvolutioncomme un risultat des Lumilres. La RCvoludon, pour lui, est unprocessus qui a ouvert une pensCe tClCologique ou de la nCcessitC ayantpour fin le retour de la revolution, alors qu'il interprbte les Lumibrescomme une attitude qui met en question sapropre actualitC sans supposeraucune fin. Reprendre le projet des Lumitres, iest, pour Foucault, de se

dCprendre de la RCvolution et de la promesse de la rCvolution, tout enandysant de fagon historico-philosophique les effets de la R&olution.

V. La Rdvolution et soi

Ainsi Foucault ne vise-t-il plus )L reprendre la rdvolution, mais) andyser historiquement la rCvolution et ses effets. Il ardcule cetteCtude sur le probltme de soi. Dans la legon du 10 fCvrler 1982 deL'Herrn*neutique du sujet, il parle de ce qu'il appelle n la subjectivitCrCvolutionnaire ) par rappoft ir la notion de conversion, notion de n se

convertir I soi >4. Il pricise I'apparition de cette subjectivitC non pas aumon-rent de la Rdvolution, mais I la premibre moitiC du xr:f silcle.

[. ..J cat h panir dil n( ilcb [, . .], um lzs annla 183G1840 nns doutc, a an

tftvnn justcncnt h cet ludnmntfondaatr hborico-nythiqu [. . .], 14 Rluktiortfun{nite, ctat par nppott I celz qabn a commencd h dlfnir dzs schhns d'aplrinceindiuidadb a wbjeaiu qui saaiznt: k t wnwsion h lz r&nbtion f5.

3t " Qticst-ce que lcs Lumibres ? ,, Dir a lctits, t.lY, p. 679-688.

ta Hcrmhtcutiquc &r s{et, Cous au Collbgc de France, anndc L98l-1982, Paris, < HautesEtudes ,, Gallimard / Le Seuil, 2001, p, 199.

35 lbid",p.200.

Les comprAhensions foucardiennes de ra R$vorution frangaise zo7

. Dans la subjcctivitc rcvolutionnaire, la technologie uaditionnelle de

soi qui existe depuis l'Antiquitc se branche sur I'cvcn-ement fondateur dela modernitC, c'est-l-dire la RCvolution, qui rend possibles a", ,.i!rrr",infdits d'orpcrience individuelle et subjeitive, sunour dans le domainepolitique. Dans un tel schima d'expciience, Ia conversion r soi se lieinscparablement I la pratique rcvolutionnaire. c'est r ce croisement desoi et de la Rdvolution que prend sens le probllme du prCsent.

Mais, selon Foucault, ce schCma n'est plus valable I cause de I'existenced'un parti rcvolutionnaire. c'esr dcsoimais un tel parti qui dcfinitquelles sonr les modlles de pratiques r€volutionnai..,

"*q.r.l, doiventobiir les individus.

" 9n ": se convertit plus, souligne-r_il,'de nor lo*,qu'au renoncement I Ia rivolution. ,. i faudrait?on" eirr"id.r, porr:oppt:"+. ce changement, ( comment on est passC de l'"pp.rt *r".I la.rCvolutiol par le schCma de conversion, I I'apparr.rr*.. i t"rCvolution par I'adhCsion I un parti ))36.

. fouc3ult propose dans ce passage une Ctude historique de I'apparitionde la subjectivitc rcvolutiotttt"it it son cchec p",

"dircrio' l u'i f*,i.Au travers de cette ctude, findement inachevce, ir ne tente."p.id*a

pas de restituer un tel rapport de soi r la rcvolution. ce n est plus autourde la rcvolution, mais des Lumilres que Foucaurt pose r. plure*. a.soi et du prCsent. Il.suggtre, de prCfCience, une eniu€te sri, un. fig,rrehistorique, c'est-l-dire ce qdon apperlerait la conscience rivolutionnlire,en l'intCgrant dans I'histoire desiechniques de soi.

Foucault aborde ce thtme de rCvoluiion_soi, en 19g4, dans unentretien avec Hubert Dreyfus et paul Rabinow n A propos de lagCnCalogie de I'Cthique ), tour en meftanr I'accent ,u, ur,

".f."arbid

Foucault rapporte en 1979 l'apparition du parti ou de la gouvcrncmentalitC de pani au dCve_loppement des rcgima mtalitai-ru : " Il faui en fd" E;i;;.li;J;il;;i";;;;;"q*.d"ry J" gouvernementditc ctatisantc ou cratisce quc I'on voit naiue

"u *rl .t

",i *u.silclc, il faut le chercher du c6tc d'unc gour.rn"-.ni.ri* de parti. c'est re parti,

",est cette

trAs cxtraordinaire, trls curicuss trls noriwelle organisation,;?s'r;;;r;;;Jr.il;;;;.-mentalitc dc parti apparuccn Europc I la 6n du":<oesilcle i...i ;;il;ffi;;;ffi#;ce quelquc chose commc rcs rcgimcs totalitaig, de querque chorc commcie na"isme,ieqgelque chose commc tc Ascismel de quelque chosc coiiet rtalinirme. , (Michel Foucault,

{ffi::':t^trk!'irr:^ffa;:,?,!ffi#,ifi fi ,ff itH',i".',iln;,'#Ji#iH:pourrair 0trc inscrirc, dors qu9 Foucault nc dCveioppc pas cc thtme, dan, ,".;J;;;Lgouvernementalitc de pani qui monuerait une deui"iion ae riaee d;dr.L,i;i;;;.,rCgimes rotalitaires.

208 Takashi $akamota

spdcifique de ce rapport3T. Comme il y a deux versions de cet entretien,ilfaudrait prdciser que le passage que nous citons napparait que dans laversion frangaise, version rdvisde :

Il 1t aurait d faire ane bistoire dcs techniqaes de soi et des esthltiq*es de lbxistence dzns

le rnonde modcrne, J'luoquais tout I lheure h uie o artiste r, qai a eu une si grandz

imporunce aa xN si\cle. Mais on pounait a*ssi enaisager k Rluolution non pas

simplzment comme un proja politiq*e, mais cotnme un style, an modc d'existence aaec

son estb/tiqae, son asehisme, les formes particulilres de rapport I soi et aax autrefs.

Il vise dans ce passage | dcrire une histoire du rapport de soi )L la

Rivolution, rapport non pas politique, mais esthdtique. La RCvolutionse caractdrise comme ce qui permet ) un individu de construire sa ProPrevie de fagon artistique ou esthdtique. Elle est comprise comme un pointde repbre de la construction d'un sujet < rdvolutionnaire o plut6t que

comme une fin politique i rddiser. C'est ainsi que la R€volution comme

style esth€tique introduit un dCplacement Par raPport ) la tdldologie de

larCvolution. Il ne s'agit plus d'atteindre une fin, accomplissement de la

rdvolution I I'avenir, mais de [a construction perpCtuelle de soi autourde I'idde de rCvolution. La rdvolution apPartient donc au prdsent, nonpas au futur, si elle est comprise comme style'

Dans I'enuetien citd ci-dessus, Foucault rappofte la vien r&olutionnaire , h la vie ( artiste ,. A la seconde, il donne une rdftrence

concrete: le dandysme. Ce thbme est reptls dans I'analyse de la modernitd

chez Baudelaire qu il dweloppe dans n Qu est-ce que les LumiEres ? >3e.

Foucault dCcrit d'abord trois dlCments de la modernitd baudelairienne: 1.

hdroisation ironique du prdsent; 2. transfiguration du rCel; 3. dlaboration

ascCtique de soi ou o dandysme >. Or ces trois dlCments n ont qu un lieuspdcifique oir ils sont valables: I'art. Alors que Foucault met en avant

Baudeliire comme un bon exemple de I'attitude de modernitd, I'attitudebaudelairienne n'est ni philosophique, ni politique, ni dthique, mais

esthdtique. Si on prend en considdration I'analyse foucaldienne du texte

de Kant, n Qu'est-ce que les Lumibres ? ,, il eniste, comme le remarque

Fabienne Brugbre, un ddcalage entre I'attitude baudelairienne et larifexion kantienne qui se caractirise n I la fois politique, philosophique

37 n A propos de la gCnCalogie de l'Cthique >, Dits a /cirs, t. IV p. 609-631.

38 u A propos de la gdnCalogie de l'Cthique o, Dhs a lrits, t.lY, p. 629.

3e o Qu'est-ce que les Lumibres? ,, Dits et Cctits, r.IY' p. 568-571.Nous devoni ce rapprochement entre la rCvolution et le dandysme I la remarque de Fabien-

ne Brugtre lors dJ l'intervention. Voir aussi : Fabienne Brugbre, n Foucault et Baudelaire.

Llenjeu-de la modernitC D, Lech4res de Miehel Fo,acaab:.sar les Dits et dcrits, vol. 3, textes

rCunis par Pierre-Frangois Moreau, Lyon, ENS Editiotts, 2003, p.79-91.

Les compr6hensions foucaldiennes de la Rdvalution fran6aise 209

et Cthique >a0. Ijattitude baudelairienne de modernit€, attitudeprincipalement esthdtique, ne recouvre donc pas I'attitude kantiennedes Lumibres, Alors que nous ne sommes pas en mesure d'analysercomment ces deux attitudes s'aniculent lune sur I'autre, il nest pasinutile de souligner le rapport de la Rdvolution ). I'attitude esthCtiquecaractirisie par le dandysme et Baudelaire. Comme nous I'avons vu plushaut, la notion de rCvolution dans le domaine es*ritique, n Ctant plustdliologique, se comprend par rapport au prdsent otr se produit sans

cesse la construction de soi. De surcroit, si I'attitude baudelairienne, liCe

)r la notion de rdvoludon, rt'est qu'esthCtique, la portie de cette notionpourrait €tre aussi ddlimitde au domaine esthdtique. En rdinterprdrant lardvolution comme style, Foucault la distingue rdsolument de la questiondes Lumibres. l,a rdvolution n'est ainsi possible et ddsirable que dans leproblbme esthdtique du prisent.

Conclusion

Pour conclure, revenons I la question que nous avons posde aud€but : n Qu'est-ce que la R&olution frangaise pour Foucault ? o

Avant le tournant, Foucault essaie d'icrire un autre type d'histoire quel'histoire traditionnelle de la Rdvolution. En faisant apparaltre plusieurssiries de processus historique indCpendantes de ce bouleversement, ilmet en question I'unitC de la notion de rdvolution.

Mais, la critique de la notion de rdvolution n'est pas exhaustive danscette pdriodeli, dans la mesure oii il utilise la notion de rdvolutionbourgeoise et qu'il yise la restitution de le valeur rdvolutionnaire. Lar6volution est pour lui encore une promesse.

C'est prdcisdment de la mise en question de la notion de r&olutioncomme promase qu il s'agit dans le tournant. Tout en repdrant l'importancehistorique de la Rdvolution en tant qtiwdnement fondateq il dCcouvre lalimite de l'idde de r&olution qui ne permet de penser le prdsent que dansla finalitd. Il se ddprend ainsi de l'idCe de r&olution, rout en cherdrantla possibilitd de reprendre le projet des Lumibres en tant que c€ qui luipermet d'dtablir une attitude philosophique pour penser le pr€sent sans lerapporter I aucune fin. En ce sens, iest I'impossibilitd de la r&olution quirend possible la reprise des Lumibres par rapport au problbme du prdsent.La question de la R&olution dans la pensde foucaldienne s'afticule donc,de fagon paradoxde, sur la question des LumiSres.

40 Fabienne Bruglre, art. cit., p, 89.