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Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél.: 01 43 25 80 15 Fax : 01 43 54 03 24 Prix : 19 € ISBN 978-85944-569-0 ISSN 1255-183X Dans la « déduction transcendantale » – pièce centrale de l´édifice de la Critique de la raison pure – Kant cherche à résoudre le problème du rapport de la pensée à l´être. Soucieux de parvenir à une explication intelligible et concluante de la possibilité de cette relation, le philosophe a reformulé à diverses reprises sa solution du problème. Malgré cela, le texte présente bien des difficultés qui ont fait l´objet de nombreuses interprétations. La « déduction » devient cependant plus accessible, si l´on tient compte du fait qu´elle est structurée autour d´un principe fondamental : le « principe de l´aperception », selon lequel toutes les représentations doivent être constituées de telle manière qu´elles puissent appartenir à un sujet unique. A partir d’ un commentaire des paragraphes 15 à 27 de la Critique de la raison pure, le présent travail se propose de montrer que, pris comme fil conducteur, ce « principe de l´aperception », qui s´enrichit progressivement tout au long du texte, permet de restituer l´enchaînement rigoureux de l´argumentation kantienne. vient de paraître Philosophie Publications de la Sorbonne Publications de la Sorbonne Mario Caimi Leçons sur Kant La déduction transcendantale dans la deuxième édition de la Critique de la raison pure Leçons sur Kant La déduction transcendantale dans la deuxième édition de la Critique de la raison pure Mario Caimi Mario Caimi est docteur en philosophie de l´Université de Mayence. Il enseigne l´histoire de la philosophie moderne à l´Université de Buenos Aires. Auteur de plusieurs livres sur la philosophie kantienne, il a également traduit en espagnol diverses oeuvres de Kant, dont la Critique de la raison pure et les Prolégomènes.

Leçons sur Kant · 2007-03-06 · Mario Caimi est docteur en philosophie de l´Université de Mayence. Il enseigne l´histoire de la philosophie moderne à l´Université de Buenos

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Publications de la Sorbonne212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris

Tél.: 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24

Prix : 19 €ISBN 978-85944-569-0ISSN 1255-183X

Dans la « déduction transcendantale »

– pièce centrale de l´édifi ce de la Critique

de la raison pure – Kant cherche à résoudre

le problème du rapport de la pensée à l´être.

Soucieux de parvenir à une explication

intelligible et concluante de la possibilité

de cette relation, le philosophe a reformulé

à diverses reprises sa solution du problème.

Malgré cela, le texte présente bien des

diffi cultés qui ont fait l objet de nombreuses

interprétations. La « déduction » devient

cependant plus accessible, si l on tient

compte du fait qu elle est structurée autour

d un principe fondamental : le « principe

de l aperception », selon lequel toutes les

représentations doivent être constituées de

telle manière qu elles puissent appartenir

à un sujet unique. A partir d’ un commentaire des paragraphes 15 à 27 de

la Critique de la raison pure, le présent travail se propose de montrer que,

pris comme fi l conducteur, ce « principe de l aperception », qui s enrichit

progressivement tout au long du texte, permet de restituer l enchaînement

rigoureux de l argumentation kantienne.

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Publications de la SorbonnePublications de la Sorbonne

Mario Caimi

Leçons sur KantLa déduction transcendantale

dans la deuxième édit ionde la Crit ique de la raison pure

Le çons sur KantL a dé duction transcendantale dans la deuxième é dition

de la Cr itique de la rai son pure

Mario Caimi

Mario Caimi est docteur en philosophie de l´Université de Mayence.

Il enseigne l´histoire de la philosophie moderne à l´Université de Buenos Aires.

Auteur de plusieurs livres sur la philosophie kantienne, il a également traduit

en espagnol diverses oeuvres de Kant, dont la Critique de la raison pure

et les Prolégomènes.

Table des matières

Préface .............................................................................................................. 9Avant-propos .................................................................................................. 11

Introduction ................................................................................................... 13Quelques considérations sur le contexte historique de la déduction ................. 13Sur le but de la déduction .......................................................................... 20Le procédé d’exposition .............................................................................. 21La question de la déduction se pose. Le paragraphe 13 ................................ 24

Chapitre 1

Sur la liaison, et la synthèse en général. Le paragraphe 15 ............................ 25Le paragraphe 16 et le principe de la déduction ........................................... 27L’identité du je .......................................................................................... 29Le principe de l’aperception ........................................................................ 34La forme de l’unité synthétique dans les représentations ................................ 36La note du § 16 : unité analytique et synthétique ........................................ 38Résumé ..................................................................................................... 39Le paragraphe 17 ...................................................................................... 40L’objet ...................................................................................................... 41La condition dernière de l’objectivité .......................................................... 43L’exemple de la ligne .................................................................................. 46Comment le principe de l’aperception devient une connaissance .................... 47La comparaison avec l’intellect infini .......................................................... 47Résumé du paragraphe 17 .......................................................................... 48Transition. Le paragraphe 18 : Unité objective et unité subjective ................. 49La structure de la synthèse fondamentale : le jugement (§ 19) ....................... 52Les jugements à valeur objective s’opposent aux jugements dits de perception ................................................................. 54La valeur objective du jugement n’est pas sa vérité ........................................ 55Le jugement est la structure de l’aperception ................................................ 56Résumé du paragraphe 19 .......................................................................... 57Première conclusion de la déduction. Introduction des catégories (le paragraphe 20) ............................................. 58Qu’est-ce que déterminer les intuitions par rapport aux fonctions du jugement ? ....................................................................... 60

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Chapitre 2

L’absence de l’objet. (Le paragraphe 21) ...................................................... 63Retour à l’interprétation du paragraphe 21 ................................................. 64Le vide ..................................................................................................... 65Vers une nouvelle formulation du principe de l’aperception (le paragraphe 22) ..................................................................................... 68L’usage des catégories pour la connaissance métaphysique est impossible (i) ........................................................................................ 71La justification de la restriction. Le paragraphe 23 ...................................... 71L’usage des catégories pour la connaissance métaphysique est impossible (ii) ....................................................................................... 74Résumé. Le rôle des paragraphes 22 et 23 dans le développement de l’argumentation ................................................... 75Considération prospective sur la stratégie argumentative à suivre. ................. 76Considérations générales sur le paragraphe 24 .............................................. 76L’application des catégories aux objets du sens en général : le paragraphe 24. (Analyse du texte) ........................................................... 77Le temps ................................................................................................... 79Une nouvelle condition: l’unité du temps .................................................... 80La synthèse pure ........................................................................................ 81Introduction du concept d’imagination. ...................................................... 81Comment l’imagination accomplit sa fonction ............................................ 83L’imagination appartient à la sensibilité aussi bien qu’à la spontanéité. ........ 84Digression sur l’imagination. ..................................................................... 85Résultat du paragraphe 24. ........................................................................ 88Les paradoxes du sens interne. La fin du paragraphe 24 et le paragraphe 25. .............................................. 89Le paradoxe de la conscience de soi. Ses modalités. ....................................... 90L’existence du je dans le cogito kantien. ...................................................... 92L’affection de soi-même et le je comme phénomène. ...................................... 96

Chapitre 3

L’application des catégories à des objets réels. Le paragraphe 26.L’achèvement de la déduction. .................................................................... 99L’appréhension. ....................................................................................... 100Digression. La possible raison du détour par l’intuition formelle. ............... 103Les exemples, i. La maison. ...................................................................... 104Les exemples, ii. L’eau. ............................................................................. 106

leçons de kant 133

Résultat des exemples. .............................................................................. 108Le concept de nature. Nouvelle formulation du principe de l’aperception. .................................... 108Le « résultat » de la déduction. (Le paragraphe 27). ................................... 110Épigenèse et préformation. ....................................................................... 111L’épigenèse comme métaphore de la déduction. ........................................... 112La clôture de la déduction. Le « résumé » final. ......................................... 114

Conclusions ................................................................................................. 115

Bibliographie ................................................................................................ 117Œuvres de Kant. ..................................................................................... 117Autres sources citées. ................................................................................. 117Autres œuvres consultées. .......................................................................... 118

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PréfaceSi la déduction transcendantale des concepts purs de l’entendement, c’est-à-dire la tentative pour établir la validité objective de ces derniers dans leur application à la réalité empirique, est assurément l’un des moments décisifs, voire en un sens la pierre angulaire de la Critique de la raison pure, elle en est aussi l’un des passages les plus difficiles, sinon le plus difficile, de l’aveu même de Kant, soucieux que son lecteur « se rende bien compte d’avance de l’inévitable difficulté, afin de ne pas se plaindre d’une obscu-rité qui enveloppe profondément la chose même, ou de ne pas se laisser trop tôt décourager par les obstacles à écarter, car il s’agit ou d’abandonner complètement toutes les prétentions à des connaissances de la raison pure, comme ce qui constitue le champ le plus attrayant, celui qui s’étend au-delà des limites de toute expérience possible, ou bien de porter cette recherche à son point de perfection » 1.

Une telle difficulté et un tel enjeu expliquent le soin apporté par Kant à la rédaction de ces pages, dont il confessait en 1781 qu’elles étaient de celles qui lui avaient « coûté le plus de peine » 2 et qui constituent l’un des deux seuls passages, avec les paralogismes de la raison pure, à avoir fait l’objet en 1787, dans la deuxième édition de la Critique, d’une refonte totale destinée à remédier à son « obscurité » 3.

La déduction transcendantale a de tout temps suscité la perplexité des commentateurs et a été l’objet d’interprétations contradictoires. Estimant pour sa part que le problème philosophique, dont traite Kant est celui, au fond classique, de la relation entre la pensée et les choses, Mario Caimi – à rebours de l’interprétation « épistémologique » de la déduction transcen-dantale proposée notamment par Hermann Cohen, selon qui cette dernière aurait essentiellement pour fin de fonder les principes synthétiques a priori de la physique – nous en propose une lecture pour ainsi dire « ontologique » ou « métaphysique », toutefois très différente de celle de Heidegger, dont il ne partage ni la prédilection pour la déduction transcendantale de 1781 ni la conception du statut de l’imagination. Sans négliger l’examen minu-tieux de certains passages parmi les plus délicats et sur lesquels il apporte de précieuses clarifications, il sait cependant se garder de tout enfermement scolastique dans le texte qu’il étudie. Il s’attache à en dégager la structure et les lignes de force, à l’inscrire dans l’économie d’ensemble de la Critique de

1. Critique de la raison pure, B 121.2. Op. cit., A XVI.3. Op. cit., B XXXVIII.

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la raison pure et du projet philosophique de Kant, et à montrer pour finir que la déduction transcendantale des concepts purs de l’entendement a sans doute une portée beaucoup plus large qu’on ne le suggère parfois. Ce faisant, la perspective adoptée renouvelle heureusement la compréhension de ces pages. La rigueur, la précision et la clarté du travail de Mario Caimi, professeur à l’université de Buenos-Aires et spécialiste internationalement reconnu de Kant, font de ces Leçons sur Kant, issues d’un cours professé à la Sorbonne en 2004, un outil sans équivalent dans notre langue.

Christian Bonnet

Avant-proposLa tradition kantienne nous a fourni d’excellents commentaires de la déduction transcendantale dans la deuxième édition de la Critique de la raison pure (dite déduction B), lesquels résolvent pratiquement tous les problèmes d’interprétation posés par le texte. Aussi ne pouvions-nous guère espérer innover en ce sens. Nous nous sommes par conséquent concentrés sur l’argumentation considérée dans son ensemble, plutôt que sur l’expli-cation de tel ou tel passage isolé. Nous avons, ce faisant, essayé de faire ressortir les traits structuraux du texte ainsi que les lignes de force qui en commandent la composition.

Cette question ayant été elle-même l’objet de nombreux travaux, il nous faut donc ici avant tout préciser la spécificité de notre exposé.

1) Nous soulignerons le rôle du principe de l’aperception et essaie-rons de montrer que c’est l’enrichissement synthétique de ce principe qui commande le développement de l’argumentation.

2) Nous prêterons une attention particulière aux textes dans les-quels Kant précise ce que serait l’échec de la déduction. Ce qui amène à assigner en quelque sorte à cette dernière un but négatif : la déduction vise à démontrer que les concepts purs ne sont pas vides, et c’est cette démons-tration qui permet, à son tour, de concevoir clairement, comme nous le verrons, l’unité de la déduction.

3) Nous accorderons, enfin, une importance cruciale à la méthode synthétique suivie par Kant dans son exposition.

Nous ne prétendons certes pas non plus ici à l’originalité absolue, mais espérons toutefois attirer l’attention sur certains aspects du texte générale-ment négligés.

Nous nous sommes servis, dans nos citations, de la traduction de la Critique de la raison pure par J. Barni, revue et corrigée par P. Archambault, Paris, Flammarion, [sans date (1869)].

Le présent ouvrage n’aurait pas été possible sans l’assistance savante et engagée de Madame le professeur Laura Miñones, de l’Institut de Linguistique de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Buenos Aires. À Monsieur Christian Bonnet, maître de conférences à l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), je dois l’enrichissante révision intégrale du texte. Monsieur Bonnet m’a, en outre, fourni l’occasion de la rédaction de ce texte, qui a été l’objet d’un cours donné à la Sorbonne en 2004, grâce à son aimable invitation. Je les remercie l’un et l’autre de la manière la plus sincère et cordiale.

Introduction

QuelQues considérations sur le contexte historiQue de la déduction

Dans sa forme la plus générale, le problème dont s’occupe Kant dans la « déduction transcendantale » est celui des relations de la pensée avec les choses. Comment la pensée peut-elle se rapporter aux choses ? Cette question ainsi formulée, à un tel degré de généralité, n’a rien de nouveau. On pourrait la rapprocher de celle posée jadis par Parménide et à laquelle celui-ci répondait en affirmant l’unité et l’identité de la pensée et de l’être, en une formule bien connue : « Car penser c’est la même chose que être. » Les structures logiques de la pensée sont, de droit, applicables à l’être, car l’ordre de la pensée est le même que l’ordre de l’être. La diversité des cho-ses, leurs changements, ne sont que des apparences trompeuses. C’est à ce prix que le problème est résolu chez Parménide.

Mais pour revenir à des exemples que Kant lui-même a mentionnés, nous trouvons, dans la philosophie de l’école, la doctrine scotiste 4 des trans-cendantaux, c’est-à-dire des concepts tout généraux, tels que unum, verum, bonum, lesquels, tout en appartenant à la pensée pure, s’appliquent légi-timement à toute chose. Kant fait la critique de cette application dogma-tique de la pensée aux objets au paragraphe 12 de la Critique de la raison pure.

Pour Descartes, la radicale hétérogénéité (distinction réelle) de la subs-tance pensante et de la substance étendue oblige à poser le problème de leur rapport et à expliquer la possibilité de celui-ci. Il se pourrait bien que les idées des choses matérielles fussent vides et qu’il n’y eût point d’objets auxquels elles puissent se rapporter. Il faut donc démontrer l’existence des choses étendues, ce que Descartes fait dans la sixième Méditation :

« Or, Dieu n’estant point trompeur, il est tres-manifeste qu’il ne m’enuoye point ces idées immediatement par luy-mesme, ny aussi par l’entremise de quelque creature, dans laquelle leur realité ne soit pas contenuë formellement, mais seulement eminemment. Car ne m’ayant donné aucune faculté pour connoistre que cela soit, mais au contraire vne tres-grande inclination à croire qu’elles me sont enuoyées ou qu’elles partent des choses corporelles, ie ne voy pas

4. Duns Scotus, Metaphysica, iv, 9 (selon Eisler, Handwörterbuch der Philosophie, p. 673).

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comment on pouroit l’excuser de tromperie, si en effect ces idées partoient ou estoient produites par d’autres causes que par des choses corporelles. Et partant il faut confesser qu’il y a des choses corporelles qui existent. » 5

Cette démonstration de l’existence des choses corporelles a pour but de montrer que les idées qui se rapportent à elles ne sont pas des supercheries d’un Dieu trompeur, mais ont un véritable rapport aux choses.

Kant reprend de manière critique cette question cartésienne (qu’il désigne comme « l’idéalisme problématique ») dans la Critique de la raison pure, dans le chapitre sur la « Réfutation de l’idéalisme » (B 274-275) et dans les Prolégomènes, § 49, A. A. iv, 336-337.

Malebranche se pose, lui aussi, le problème du rapport de la pensée à ce qui n’est pas de la pensée, c’est-à-dire aux choses étendues :

« Nous assurons donc qu’il est absolument nécessaire que les idées que nous avons des corps et de tous les autres objets que nous n’aper-cevons point par eux-mêmes, viennent de ces mêmes corps ou de ces objets ; ou bien que notre âme ait la puissance de produire ces idées, ou que Dieu les ait produites avec elle en la créant, ou qu’il les produise toutes les fois qu’on pense à quelque objet, ou que l’âme ait en elle-même toutes les perfections qu’elle voit dans ces corps, ou enfin qu’elle soit unie avec un être tout parfait, et qui renferme généralement toutes les perfections intelligibles ou toutes les idées des êtres créés. » 6

La difficulté majeure de ce problème a son origine, ici comme ailleurs, dans la distinction réelle de la pensée et de l’étendue. Produire une idée à partir d’un objet corporel est aussi difficile que de tirer un ange d’une pierre :

« Il est même plus difficile de produire un ange d’une pierre que de le produire de rien, parce que pour faire un ange d’une pierre, autant que cela se peut faire, il faut anéantir la pierre, et ensuite créer l’ange ; et pour créer simplement un ange, il ne faut rien anéantir. Si donc l’esprit produit ses idées des impressions matérielles [que le cerveau reçoit des objets] il fait toujours la même chose, ou une chose aussi difficile, ou même plus difficile que s’il les créait, puisque les idées étant spirituelles, elles ne peuvent pas être produites des

5. Descartes, Méditations métaphysiques, AT ix, 63.6. Malebranche, De la recherche de la vérité, livre troisième, p. 236.

leçons sur kant 15

images matérielles qui sont dans le cerveau et qui n’ont point de proportion avec elles. » 7

Les idées des créatures existantes ne sont donc pas produites par ces objets mêmes, le rapport de ces idées à leurs objets n’est pas celui de la production. Cependant,

« […] nos sensations qui ne sont point distinguées de nous, & qui par conséquent ne peuvent jamais représenter rien de distingué de nous, peuvent néanmoins représenter l’existence des êtres, ou plutôt nous faire juger qu’ils existent. Car Dieu, excitant en nous nos sensations à la présence des objets par une action qui n’a rien de sensible, & que nous n’apercevons pas, nous nous imaginons recevoir de l’objet non seulement l’idée qui représente son essence, mais encore le sentiment qui nous fait juger de son existence. » 8

C’est donc l’assistance divine qui rend possible, chez Malebranche, le rapport des idées aux choses corporelles. Cette assistance tient donc lieu de déduction des idées. Kant mentionne le systema assistentiae dans la Critique de la raison pure, notamment en A 275 = B 331.

La question du rapport des idées aux objets étendus est aussi présente chez Spinoza. La solution proposée par Spinoza est loin d’être partagée par Kant. Elle est peut-être la plus proche de Parménide et l’exemple le plus remarquable de solution dogmatique, au sens kantien du terme. Puisque la pensée et l’étendue sont deux des attributs de la substance, elles coïn-cident absolument en ce qu’elles expriment l’essence de celle-ci. C’est ce qu’on a appelé le parallélisme des attributs, exprimé par Spinoza dans la proposition vii de la deuxième partie de l’Éthique lorsqu’il écrit que Ordo, & connexio idearum idem est, ac ordo, & connexio rerum.

L’intérêt de Kant envers la philosophie de Spinoza s’est particulière-ment développé pendant la rédaction de l’Opus postumum, apparemment sous l’influence de Lichtenberg 9.

C’est le système de l’harmonie préétablie qui, chez Leibniz, tient lieu de déduction transcendantale. Certes, Kant prend ce concept leibnizien dans un sens différent, car il tient à montrer l’impossibilité qu’il y a à expliquer la causalité et l’action réciproque par concepts seulement, sans recours à la sensibilité 10. Mais chez Leibniz lui-même nous trouvons que c’est précisé-ment cette harmonie qui explique le rapport entre les représentations et ses

7. Malebranche, op. cit., p. 240.8. Id., De la recherche de la vérité, Éclaircissements, éd. Vrin, t. iii, p. 142-143.9. José Gómez Caffarena, El teísmo moral de Kant, p. 144-145.10. Kant, Fortschritte der Metaphysik, A. A. xx, 283 et suiv.

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objets, même si les monades n’ont pas de fenêtres : « Lorsque nous voyons le soleil et les astres, c’est Dieu qui nous en a donné et qui nous en conserve les idées, et qui nous détermine à y penser effectivement, par son concours ordinaire, dans le temps que nos sens sont disposés d’une certaine manière, suivant les lois qu’il a établies. » 11 C’est donc ainsi que Leibniz explique comment des concepts a priori, indépendants de toute expérience, peuvent s’appliquer aux objets.

Kant critique la doctrine de Leibniz à plusieurs reprises, notamment dans l’« Amphibologie des concepts de la réflexion », Critique de la raison pure A 271 = B 327 et suiv., et dans les Progrès de la métaphysique, A. A. xx, 282-285. Il rapproche le problème de la déduction de l’harmonie préétablie dans les Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, A. A. iv, 476 :

« […] ainsi le pénétrant critique ne sera pas mis dans l’obligation, qu’il trouverait sans doute désagréable, de trouver refuge dans une harmonie préétablie, en raison de l’étrange concordance entre les phénomènes et les lois de l’entendement, quoique les uns et les autres aient des sources très différentes ; ce serait un moyen de salut encore pire que le mal auquel il doit remédier, et qui en fait ne serait d’aucune utilité. Car d’une telle harmonie ne peut provenir la nécessité objective qui caractérise les concepts purs de l’entendement (et les principes de leur application aux phénomènes), par exemple dans le concept de cause en liaison avec un effet ; mais, dans cette hypothèse, tout cela demeurerait une conjonction nécessaire subjectivement, mais objectivement purement contingente, exactement comme le prétend Hume lorsqu’il nomme cette conjonction une pure illusion venue de l’habitude. » 12

Les auteurs que nous venons de mentionner conçoivent la pensée comme indépendante de l’expérience des choses matérielles, c’est-à-dire comme pensée a priori. D’où leur difficulté à la rapporter à la matière étendue. Mais on pourrait concevoir la pensée, ou du moins les concepts et les idées qui la constituent, comme dépendante des choses. Alors, semble-t-il, on aurait moins de difficulté à expliquer le rapport de la pensée aux

11. Leibniz, Discours de métaphysique, § 28, éd. Le Roy, p. 65. Voir aussi Monadologie, § 56 et § 60.12. A. A. iv, 476. Nous citons selon la traduction de François de Gandt (Bibliothèque de la Pléiade), p. 374. Voir aussi la lettre à Markus Herz du 21 février 1772, A. A. x, p. 131, et Critique de la raison pure, B 293. Voir sur l’harmonie préétablie dans la déduc-tion Claude Piché, « Feder et Kant en 1787. Le § 27 de la déduction transcendantale », p. 74-75.

leçons sur kant 17

choses. Ce rapport se présente ici comme celui de l’effet à sa cause. C’est ainsi que Locke a conçu le problème de la déduction. Locke a bien sûr pleine conscience de la difficulté du problème qu’il pose en des termes presque kantiens. Car il sait « que l’esprit, dans toutes ses pensées et ses raisonnements, n’a d’autre objet immédiat que ses propres idées, qui sont la seule chose qu’il contemple ou qu’il peut contempler » 13. Il ne peut donc éviter de se poser la question : How shall the mind, when it perceives nothing but its own ideas, know that they agree with things themselves ? (« Comment l’esprit, lorsqu’il ne perçoit que ses propres idées, peut-il savoir qu’elles concordent avec les choses elles-mêmes ? ») 14. Or toutes les idées simples doivent s’accorder avec les choses, car elles ne sont que le produit des choses. Pour ce qui concerne les idées complexes, leurs objets sont produits par l’entendement. C’est ce dernier qui rassemble les collections d’idées simples qu’on nomme des objets ; et il le fait ainsi d’après des concepts qu’il établit lui-même. Enfin, « l’existence particulière des choses finies hors de nous », qui correspondent à notre connaissance, est démontrée par une évidence de fait qui appartient aux idées qui proviennent des sens 15. C’est en somme l’origine empirique des idées qui assure que les idées ont un rapport aux choses.

Kant a rejeté cette déduction empirique des idées dans la Critique de la raison pure en B 127 et suiv. et aussi en A 271 = B 327.

Chez Hume le problème général se résout de manière sceptique : le monde extérieur (auquel la pensée se rapporte) a seulement une réalité imaginaire 16.

La signification toute particulière de la solution de Hume pour l’idéa-lisme transcendantal tient au fait que, pour poser la question du rapport de la pensée à l’objet correspondant, ce dernier envisage un concept particulier (il le nomme une idée), celui de la connexion nécessaire de la cause avec son effet. Pour rester cohérent avec ses présupposés empiristes, il cherche d’abord l’impression des sens dans laquelle cette idée peut trouver son ori-gine. Hume admet donc que c’est un rapport de production qui unit la chose avec l’idée. Mais il cherche en vain l’impression sensorielle qui aurait pu produire en nous cette idée de la connexion nécessaire de la cause avec son effet. Il conclut donc au caractère imaginaire de ce lien qui se présente comme nécessaire :

13. Locke, An Essay Concerning Human Understanding, Book iv, Chapter i, 1, Alexander Campbell Fraser éd., vol. ii, p. 167.14. Ibid., Chapter iv, 3, p. 228.15. Ibid., Chapter ii, 14, p. 186.16. David Hume, A Treatise of Human Nature, livre i, 4e partie, section ii, Selby Bigge éd., p. 199. Voir aussi les pages 208-209. Alois Riehl, Der philosophische Kritizismus. Geschichte und System, t. i, p. 189.

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