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DEPARTEMENT DE RECHERCHE SUR LES MENACES CRIMINELLES CONTEMPORAINES © 2002 Université de Paris Panthéon-Assas – Paris II 1 UNIVERSITE PANTHEON ASSAS – PARIS II DEPARTEMENT DE RECHERCHE SUR LES MENACES CRIMINELLES CONTEMPORAINES L ES A CTIVITES DE B LANCHIMENT DES O RGANISATIONS C RIMINELLES I TALIENNES Mémoire présenté dans le cadre du Diplôme d’Université (D.U.) de 3 e Cycle Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines par Claudio BELISARIO sous la direction de M. Xavier RAUFER

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UNIVERSITE PANTHEON ASSAS – PARIS II

DEPARTEMENT DE RECHERCHE SUR LES MENACES CRIMINELLES CONTEMPORAINES

LES ACTIVITES DE BLANCHIMENT

DES ORGANISATIONS CRIMINELLES ITALIENNES

Mémoire présenté dans le cadre du Diplôme d’Université (D.U.) de 3e Cycle Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines

par

Claudio BELISARIO

sous la direction de M. Xavier RAUFER

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SESSION 2000-2001

LES ACTIVITES DE BLANCHIMENT DES ORGANISATIONS CRIMINELLES ITALIENNES

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : LES ACTIVITES DE BLANCHIMENT DES MAFIAS ITALIENNES.

I.1. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE COSA NOSTRA. I.1.1. LES REVENUS CRIMINELS DE COSA NOSTRA I.1.1.1. L’extorsion de fonds : la collecte du Pizzo. I.1.1.2. La collusion avec les partis politiques, les marchés publics arrangés et les détournements des subventions italiennes et européennes. I.1.1.3. Trafic international de stupéfiants et blanchiment. I.1.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE COSA NOSTRA. I.1.2.1. Le blanchiment au travers du contrôle des activités agricoles en Sicile. I.1.2.2. L’internationalisation des investissements de Cosa Nostra. I.1.2.3. Trois grandes figures de blanchisseurs au profit de Cosa Nostra : Sindona, Calvi et Gelli. I.1.2.4. Le cas Silvio Berlusconi : proximité ou collusion avec Cosa Nostra ? I.2. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CAMORRA. I.2.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA CAMORRA. I.2.1.1. Le trafic de stupéfiants. I.2.1.2. La contrebande de cigarettes. I.2.1.3. Le détournement des fonds publics et la corruption des élus locaux. I.2.1.4. Les fraudes agro-alimentaires et le trafic de déchets. I.2.1.5. Les loteries clandestines, les courses et les paris clandestins. I.2.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CAMORRA. I.2.2.1. Les investissements immobiliers et l’industrie du tourisme. I.2.2.2. La prise de contrôle d’établissements de jeux : l’exemple de la Sofextour. I.2.2.3. Une véritable stratégie économique : l’exemple de l’Alleanza di Secondigliano.

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I.3. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA ‘NDRANGHETA. I.3.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA ‘NDRANGHETA. I.3.1.1. Le racket des commerçants et des petits entrepreneurs. I.3.1.2. La mainmise sur le secteur agricole et les fraudes aux subventions européennes. I.3.1.3. L’infiltration mafieuse des secteurs de la construction, de la santé et des marchés publics. I.3.1.4. L’utilisation de la franc-maçonnerie calabraise par la ‘Ndrangheta. I.3.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA ‘NDRANGHETA I.3.2.1. Un parasitisme étendu à la plupart des secteurs de l’économie calabraise. I.3.2.2. L’utilisation à des fins de blanchiment des établissements bancaires locaux. I.3.2.3. Une stratégie de développement national et international étroitement liée au trafic de stupéfiants. I.4. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES (SACRA CORONA UNITA). I.4.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES. I.4.1.1. L’extorsion de fonds et l’usure. I.4.1.2. La contrebande de cigarettes. I.4.1.3. Le trafic de stupéfiants. I.4.1.4. Les machines à sous (Video Poker). I.4.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES.

DEUXIEME PARTIE : EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DES MAFIAS ITALIENNES

II.1. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE COSA NOSTRA II.1.1. De la mafia des Jardins à la création de la Commission Régionale (1860-1957). II.1.2. Le trafic de stupéfiants et l’essor des activités de blanchiment (1957-1981). II.1.3. La stratégie militaro-terroriste des Corléonais (1981-1992). II.1.4. Vers une Cosa Nuova (depuis 1994). II.2. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA CAMORRA. II.2.1. Une organisation criminelle aux origines urbaines. II.2.2. Le tournant de 1974 : l’alliance avec Cosa Nostra pour le trafic de stupéfiants. II.2.3. La Camorra aujourd’hui. II.3. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA ‘NDRANGHETA.

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II.4. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DE LA REGION DES POUILLES (SACRA CORONA UNITA). II.4.1. La structuration d’une criminalité organisée dans la région des Pouilles (1950-1981). II.4.2. La naissance de la Sacra Corona Unita (1981-1991). II.4.3. Crise des Balkans et développement de la criminalité organisée des Pouilles (1991-2001). REPERES CHRONOLOGIQUES BIBLIOGRAPHIE RESSOURCES INTERNET INDEX DES NOMS CITES TROMBINOSCOPE Quelques figures célèbres de Cosa Nostra Quelques figures célèbres de la Camorra Quelques figures célèbres de la ‘Ndrangheta Quelques figures célèbres de la criminalité organisée des Pouilles (Sacra Corona Unita)

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I N T R O D U C T I O N

Une étude, réalisée en novembre 2001, par la fondation CENSIS, considère que l’économie souterraine représente désormais près de 20 % du produit intérieur brut de l’Italie. En novembre 2000, un autre rapport, rédigé cette fois par la Confédération générale du Commerce (Confcommercio) italienne indique que le produit économique des mafias italiennes représente environ 15 % du P.I.B. de l’Italie soit près de 834 milliards d’Euros. Le patrimoine détenu par les mafieux est estimé par cette dernière étude à 5,5 milliards d’Euros, soit 6 à 7 % de la richesse nationale italienne disponible. Toujours selon la Confcommercio, 20 % des sociétés commerciales et 15 % des entreprises manufacturières italiennes seraient sous la coupe d’intérêts mafieux. En termes de chiffre d’affaires comparé, la deuxième entreprise d’Italie après le conglomérat public IRI, serait donc le crime organisé. Le rapprochement de ces deux analyses autorise à penser que deux tiers de la richesse produite par l’économie souterraine italienne sont en fait issus de l’économie d’origine criminelle1. Hypothèse d’autant plus vraisemblable dans la mesure où l’étude du CENSIS précise que les deux régions les plus concernées par l’économie souterraine sont la Sicile et la Campanie. Ces deux études estimatives illustrent en tout cas le poids considérable pris, dans la vie économique et sociale de l’Italie, par les quatre grandes organisations criminelles italiennes : la Cosa Nostra sicilienne, la Camorra napolitaine, la ‘Ndrangheta calabraise et la criminalité organisée des Pouilles (Sacra Corona Unita). Contrairement aux pratiques de blanchiment du grand banditisme et de la criminalité de droit commun, les affaires menées par les mafias italiennes s’inscrivent sur le long terme. Elles participent à la pérennisation de l’entreprise mafieuse qui transcende les individualités des ses différents chefs. Les mafieux peuvent être interpellés, la structure criminelle mafieuse demeure et se régénère alors qu’un groupe de malfaiteurs classique se disperserait et disparaîtrait rapidement à la suite d’interpellations. Passant presque sans transition du vol de chevaux au trafic international d’héroïne, les organisations criminelles italiennes ont vu de surcroît leurs bénéfices exploser à partir de la fin des années 1950. Autrefois étroitement liés à la mainmise d’un clan sur un territoire, les revenus criminels mafieux proviennent désormais d’un spectre d’activités et d’opérations largement internationalisées. L’emprise mafieuse se retrouve aujourd’hui autant dans les grandes filières classiques de trafics illicites (stupéfiants, armes de guerres, cigarettes de contrebande, oeuvres d’art volés), que dans des affaires criminelles plus inattendues : circuits clandestins d’exportation de déchets industriels et hospitaliers, fraudes aux subventions agricoles européennes (huiles, viandes et agrumes), détournements de l’aide au développement régional, rackets d’entrepreneurs et prêts usuriers, arrangements d’appels d’offres pour les marchés publics et les grands travaux d’infrastructure. 1 « Italie : l’économie souterraine approche le cap des 20 % du PIB », in Les Echos, 22 novembre 2001.

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Depuis la fin des années 1960, les capitaux accumulés par ces activités mafieuses sont blanchis avec les moyens les plus modernes mis à disposition par le système financier et monétaire international. La délimitation stricte entre activité licite et illicite est devenue en conséquence de plus en plus difficile à tracer. L’accumulation primaire tirée d’un revenu criminel telle que la pratiquait des chefs mafieux comme Salvatore (Toto) Riinà2 laisse la place à des comportements beaucoup plus dynamiques où les liquidités sont rapidement bancarisés par le biais de prête-noms et de conseillers financiers complices. Deux exemples traduisent cette adaptation des pratiques de blanchiment à la sphère financière et boursière : dans les années 1970-1980, on prête aux mafias italiennes l’acquisition massive d’obligations et d’actions sur la place boursière milanaise, et dans les années 1980-1990, ces dernières auraent joué un rôle décisif dans les importants achats de bons du trésor, qui permettaient de financer le déficit public italien3.

Paradoxalement, certains journalistes interprètent cette dissimulation progressive du périmètre réel des organisations criminelles italiennes comme un aveu de faiblesse de la part de ces dernières, précurseur d’un déclin pourtant déjà, à tort, si souvent annoncé4. Si d’un point de vue médiatique et sécuritaire immédiat (taux d’homicide, nombre d’arrestations et de condamnations pénales), une organisation comme Cosa Nostra peut sembler affaiblie, une lecture attentive des événements pourrait montrer au contraire un délitement progressif de l’appareil répressif anti-mafia italien face à une organisation criminelle devenue de plus en plus insaisissable. Depuis l’élection de Silvio Berlusconi à la Présidence du conseil italien, plusieurs signaux inquiétants témoignent du retour à une forme d’arrangement entre monde politique et dirigeants mafieux. La mise en application du décret-loi n°350, voulue par le ministre de l’économie Giulio Tremonti, est un premier indice de la permissivité retrouvée de l’Etat italien à l’endroit des intérêts mafieux. Contre le paiement d’une pénalité anonyme de 2,5 %, ce décret permet le rapatriement des capitaux italiens illégalement exportés à l’étranger. Plus de 50 milliards d’Euros détenus à l’étranger ont ainsi pu revenir en Italie sans que les pouvoirs publics italiens puissent être en mesure de discriminer entre ceux qui relevaient de simples

2 A la suite de l’arrestation de Salvatore Riinà, les autorités judiciaires italiennes procédèrent en 1996 à la saisie du trésor personnel du chef mafieux, dissimulé au domicile de M. Francesco Geraci, bijoutier et ami de Riinà, domicilié à Trapani. Toto Riinà avait caché chez ce dernier 32 lingots d’or, 46 bracelets en or, 24 montres de luxe serties de diamants et plus de 500 autres pièces en argent et en or. En septembre 2001, la mise aux enchères du trésor de Riinà était estimée entre 200 000 Euros et 600 000 Euros. (Dépêche AFP du 5 septembre 2001). 3 80 % des bons et certificats du Trésor italien servaient en 1989 à financer le déficit public de 700 milliards de dollars accumulé par l’Etat italien selon un rapport de 1989 présenté devant la commission anti-mafia. 4 Cf. par exemple l’article de Marcelle Padovani, correspondante en Italie de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, intitulé « Le crépuscule des parrains », paru au printemps 2002. Dans les années 1980, le sociologue calabrais Pino Arlacchi annonçait également la disparition progressive de la mafia. Dans les années 1950, l’historien britannique Eric Hosbawn considérait que la fin de la société rurale traditionnelle sicilienne aboutirait à la disparition rapide de la mafia.

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opérations de défiscalisation et ceux qui provenaient directement d’activités criminelles5. La stratégie dite « d’invisibilité » adoptée depuis l’arrestation de Salvatore (Toto) Riinà par Cosa Nostra est caractéristique de l’évolution de la criminalité organisée italienne. Sous la férule de son nouveau parrain des parrains, Bernardo Provenzano6, fugitif légendaire, recherché par les polices italiennes depuis 1963, Cosa Nostra a délaissé la confrontation directe et meurtière avec l’Etat italien pour privilégier une immersion de ses activités criminelles au cœur du tissu économique sicilien et italien. Plus que les trafics de stupéfiants, d’armes ou de cigarettes de contrebande, ce sont désormais les marchés publics et les appels d’offres des collectivités locales qui concentrent l’attention de l’organisation mafieuse. Celle-ci y déploie sa science de la corruption, de la collusion, de la compromission et de l’intimidation à l’abri des regards judiciaires. L’abandon de la confrontation terroriste avec le gouvernement italien a transformé Cosa Nostra en organisation criminelle furtive. Les activités criminelles les plus visbles et risquées pénalement sont laissées à la petite délinquance locale ou sous-traitées auprès de groupes criminels étrangers (Nigérians, Asiatiques, Albanais). Dès 1995, Luciano Violante, ancien magistrat devenu vice-président de la Chambre des députés, dressait le constat de cette mutation criminelle en estimant que la mafia moderne était désormais concentrée sur la conquête du plus grand pouvoir économique possible7. Délaissant en apparence les moyens de contrôler les leviers du pouvoir politique, syndical ou administratif, les organisations mafieuses italiennes s’intéressent désormais en priorité à l’infiltration des milieux économiques. L’affirmation de l’emprise mafieuse se déplace du contrôle physique d’un territoire criminel vers la maîtrise des réseaux commerciaux et des flux financiers.

A leurs rythmes, les autres organisations criminelles italiennes (‘Ndrangheta, Camorra et criminalité organisée des Pouilles), suivent un modèle d’évolution identique. En Calabre, plutôt que de s’enfermer dans une marge criminelle réprouvée par la population (rapts et enlèvements), la ‘Ndrangheta se rapproche des décideurs locaux et s’impose à eux comme l’intermédiaire indispensable pour la conduite des affaires économiques. En Campanie, l’absence de famille camorriste dominante n’empêche 5 « Argent sale : l’incroyable cadeau de Berlusconi », Marcelle Padovani, Le Nouvel Observateur, 11-17 juillet 2002. 6 Né à Corleone (Sicile) le 31 janvier 1933, Bernardo Provenzano, surnommé « U Binnu » (Bernardo) , « Belva » (le fauve) ou « U Tratturi » (le tracteur), fut en compagnie de Salvatore Riinà, l’un des lieutenants de Luciano Leggio, dit Luciano Liggio, chef de file du clan des Corleonesi de Cosa Nostra. Incarcéré en 1974 suite à l’assassinat du parrain Michele Navarra, Luciano Liggio est décédé en prison en novembre 1996. En 1993, à la suite de l’arrestation de Salvatore Riina, Bernardo Provenzano a pris sa succession au poste de Capo di Capi (chef des chefs) de Cosa Nostra. Il serait depuis toujours à la tête de l’organisation criminelle sicilienne en dépit d’une santé fragile. Certains journalistes lui prête d’avoir passé un accord secret avec les Carabiniers pour garantir son impunité en l’échange d’un abandon de la politique militaro-terroriste suivie par Cosa Nostra au début des années 1990. 7 « Non è la Piovra : Dodici tesi sulle mafie italiane », Rome, 1995.

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pas la constitution de cartels criminels axés sur le profit économique illicite à l’exemple du groupe camorriste de l’Alleanza di Secondigliano. Enfin, dans la région des Pouilles, les familles criminelles débutent leur progression vers des formes plus structurées et sophistiquées de blanchiment de leurs revenus criminels. Depuis une trentaine d’années, les organisations criminelles italiennes parachèvent leur transformation en superpuissances économiques illicites, pratiquant une forme exacerbée de capitalisme, d’autant plus redoutable qu’il peut s’affranchir de toutes les règles admises des relations économiques et commerciales. En mesure de s’autofinancer grâce aux ressources financières très importantes que leurs fournissent leurs activités illicites, les mafias italiennes s’affirment comme des acteurs économiques atypiques, dotés d’atouts concurrentiels hors normes. Fortes de la marge d’autofinancement que leurs procurent les revenus criminels, elles sont capables, avec quelques complicités, d’obtenir des facilités bancaires et financières au point de parvenir parfois à prendre le contrôle d’établissements financiers. En outre, les activités mafieuses supportent un coût du travail moindre du fait des pratiques d’intimidation que peuvent mettre en œuvre les familles mafieuses à l’égard des salariés et des syndicats. Enfin, les mafias échappent aux règles concurrentielles de l’économie de marché (jeu de l’offre et de la demande, importance de la qualité des produits et des services fournis) par le biais de la dissuasion, au besoin physique, de la concurrence, de la corruption des autorités de contrôle et de la conquête de positions commerciales monopolistiques (marché du ciment, distribution de carburants, marché de la viande, production d’huile d’olive, etc ...). Au travers d’exemples concrets, ce travail se propose d’étudier, pour chacune des quatre grande organisations criminelles italiennes, leur histoire et leur évolution, de cerner l’origine de leurs revenus criminels et d’esquisser enfin les stratégies de blanchiment qu’elles mettent en oeuvre.

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PREMIERE PARTIE :

LES ACTIVITES DE BLANCHIMENT DES MAFIAS ITALIENNES

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I.1. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE COSA NOSTRA. I.1.1. LES REVENUS CRIMINELS DE COSA NOSTRA I.1.1.1. L’EXTORSION DE FONDS : LA COLLECTE DU PIZZO. La collecte du Pizzo8 est à la base de l’édifice mafieux sicilien : elle est l’affirmation par la contrainte et la violence d’une autorité criminelle sur un quartier ou un village. Aux yeux des mafieux, le paiement du Pizzo par leurs « assujettis » est une reconnaissance de leur légitimité. Le Pizzo constitue en outre une source de revenus importante et constante pour les cosche. Cette forme de fiscalité mafieuse fut d’abord imposée aux commerçants de Palerme, assurés en retour de retrouver leur marchandise ou leur vitrine intacte. Elle a depuis été largement généralisée sous des formes très variées d’intermédiation contrainte : les moulins au début du siècle, les dockers des ports puis les comités d’affaires pour les marchés publics aujourd’hui. A Palerme, en 2001, une association anti-racket italienne évaluait que neuf commerçants sur dix payaient le Pizzo9. A la collecte illicite du Pizzo, s’ajouta, pendant longtemps, le revenu des détournements de fonds mafieux pratiqués directement sur le prélèvement fiscal régulier. La Sicile déléguait en effet sa collecte fiscale à de grands percepteurs, dont les plus connus furent les cousins Ignazio10 et Nino Salvo11. Membres de la famille mafieuse de Salemi, leur ville natale, Ignazio et Nino Salvo détinrent longtemps la plus grosse fortune de Sicile12. Ils eurent en effet pendant 30 ans la charge de gérer les centres de perception des impôts moyennant une commission de 6,72 % à 10 % prélevée sur les contributions fiscales recouvertes. I.1.1.2. LA COLLUSION AVEC LES PARTIS POLITIQUES, LES MARCHES PUBLICS ARRANGES ET LES DETOURNEMENTS DE SUBVENTIONS ITALIENNES ET EUROPEENNES. La proximité entre Cosa Nostra et la classe politique sicilienne n’est pas nouvelle. Dès le début du XXe siècle, Cosa Nostra faisait et défaisait certaines élections locales en Sicile. Salvatore Avellone, député de Corleone de 1897 à 1913, fut l’un des premiers politiciens à dépendre complètement des votes mafieux avec Raffaele Palizzolo, élu député de Caccamo en 1882. Au début du XXe siècle, ce dernier sera d’ailleurs impliqué dans l’affaire Notarbartolo, étrangement similaire aux futures affaires politico-mafieuses des années 1970-1990. Le 1er février 1893, le marquis Emanuele 8 En dialecte sicilien « U Pizzu » désigne le bec des oiseaux et signifie au sens figuré « tremper son bec ». 9 « Mafia : les pigeons se rebiffent » par Danielle Rouard, Le Monde, 3 janvier 2001. 10 Ignazio Salvo a été assassiné par les Corleonesi le 17 septembre 1992. Il avait été condamné à 3 ans de prison suite aux révélations de Tommaso Buscetta qui entrainèrent en novembre 1984 l’arrestation d’Ignazio et de son cousin. 11 Nino Salvo est décédé en Suisse d’une tumeur au cerveau le 18 janvier 1986. 12 « Cosa Nostra a tué son percepteur », Le Parisien, 20 septembre 1992.

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Notarbartolo di San Giovanni était découvert assassiné. Maire de Palerme de 1873 à 1876 puis directeur général de la Banco di Sicilia de 1876 à 1890, Notabartolo s’opposait à Palizzolo au sein du conseil d’administration de la Banco di Sicilia. Palizzolo cherchait alors à utiliser cette banque pour renflouer la compagnie maritime Navigazione Generale Italiana (NGI) qu’il contrôlait avec des intérêts mafieux. Suspecté de vouloir mettre un terme a ces arrangements et de vouloir reprendre la direction de la Banco di Sicilia, Notabartolo fut assassiné par deux mafieux de la Cosca de Villabate, Matteo Filippello et Giuseppe Fontana. Condamné en 1902 pour le meurtre de Notarbartolo, Palizzolo parvint à faire pression sur la justice milanaise grâce à un comité de soutien « Pro-Sicilia » fort de 200 000 adhérents. Le 23 juillet 1904, Palizzolo fut acquitté pour insuffisance de preuves. Une affaire emblématique des relations politico-mafieuse, où se mêlent criminalité de droit commun, politique et intérêts économiques. L’étape décisive fut franchie entre 1943 et 1947, lorsque que pour favoriser le socle de la Démocratie Chrétienne face aux communistes, les troupes américaines promurent une génération de nouveaux élus, proches ou parfois même membre à part entière de Cosa Nostra. Dans les années 1960-70, on estimait que Cosa Nostra était en mesure de contrôler jusqu’à 15 % des voix à Palerme13. En mai 2001, Ignazio De Francisci, procureur de la république pour la province d’Agrigente, considérait que Cosa Nostra était toujours en mesure de mobiliser une frange importante de l’électorat au bénéfice des candidats de son choix estimée entre 5 et 10 % du corps électoral. La proximité entre la mafia et la DC sicilienne n’est pas exclusive. Les autres formations politiques présentes en Sicile n’échappent guère aux pratiques corruptrices de l’organisation mafieuse. Il est par exemple significatif qu’en 2002, Bobo Craxi, fils de Bettino Craxi, ancien chef du PSI, se soit présenté aux élections législatives à Trapani, en plein cœur d’un des fiefs de Cosa Nostra. Les larges victoires électorales remportées en Sicile par Forza Italia (FI), un parti dont la base militante est pourtant essentiellement constituée de petits entrepreneurs du Nord de l’Italie plutôt hostiles au Mezzogiorno, font également suspecter la proximité de certains responsables siciliens de la formation politique de Silvio Berlusconi avec Cosa Nostra. Le député Forza Italia Gaspare Giudice est ainsi réputé être « le porte-parole politique de Bernardo Provenzano »14. Des écoutes téléphoniques avaient mis en évidence le fait que la campagne législative de Giudice était financée par des fonds provenant de Gino Scianna, un entrepreneur mafieux de Bagheria, qui a depuis été incarcéré. En juillet 1998, le Parlement italien refusa la levée de l’immunité parlementaire de Giudice en dépit des nombreux éléments de preuves avancés par le parquet de Palerme prouvant que Giudice apportait « un concours externe à une association mafieuse ». D’autre part l’origine même de la fortune de Silvio Berlusconi laisserait entrevoir une proximité ancienne et directe avec des membres de Cosa Nostra comme Vittorio Mangano15, employé dans la résidence de Berlusconi, et proche ami Marcello

13 L’Espresso, Peter Gomez et Marco Lillo, juin 2001. 14 « Provenzano : il grande vecchio di Cosa Nostra » par Fabrizio Fea, Narcomafie, octobre 2000. 15 Né le 18 août 1940, membre de la famille de Porta Nuovà, dirigée par Giuseppe (Pipo) Calo.

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Dell’Utri16, l’homme de confiance de Silvio Berlusconi. Même la branche sicilienne du Parti des Verts est l’objet de manœuvres d’infiltration. Au cours de l’année 2000, des élus palermitains se plaignirent de la présence de personnalités douteuses parmi les adhérents de la formation écologiste, parmi lesquels un trafiquant de Catane, arrêté avec 600 pastilles d’ecstasy, et 160 autres adhérents, liés à des familles mafieuses de Catane impliquées dans le trafic de stupéfiants. L’infiltration mafieuse de la classe politique sicilienne répond à un impératif criminel simple : profiter au maximum des appels d’offres, des adjudications de marchés publics et des projets d’infrastructures (transports, télécommunications, grands équipements collectifs) sur lesquels les responsables politiques siciliens et italiens ont une influence. Très décentralisatrice, la constitution italienne de 1948 a en effet donné de larges pouvoirs à la représentation régionale sicilienne17. L’article 117 du texte constitutionnel énumère en plus de dix-sept domaines où la région sicilienne peut délibérer indépendamment de l’exécutif romain (police locale, urbaine et rurale, agriculture et forêts, travaux publics, construction et urbanisme, transports urbains, régime d’expropriation, organisation des services publics, etc …). D’autres dispositions légales adoptées par le Parlement italien en 199818 permettent au pouvoir exécutif d’accorder des « incitations, contributions, subventions et avantages en tout genre » aux sociétés qui en feraient la demande. Ces aides peuvent être versées sous la forme de « crédit-impôt », d’ « allégement fiscal », d’ « octroi d’une garantie », d’une « participation au remboursement du capital d’un emprunt » ou d’ « une bonification d’intérêts ». De ce fait, la manne des aides publiques au Mezzogiorno, et les marchés publics qui en découlent, constituent une cible criminelle stratégique pour les différents clans de Cosa Nostra. Cet intérêt se traduit par une corruption politique et administrative endémique. Au mois d’avril 1995, le parquet de Palerme inculpait 32 personnalités politiques, dont plusieurs anciens ministres, pour corruption et prévarication. Parmi les personnalités mises en cause figuraient certaines des grandes figures de la vie politique sicilienne : Calogero Mannino, Nicola Caporia, ancien ministre PSI, Severino Citaristi, secrétaire exécutif de la DC sicilienne de 1945 à 1992, Sergio Mattarella, député du Parti Populaire Italien (PPI), Michelangelo Russo, ancien président de l’Assemblée régionale de Sicile et sénateur du PCI et Mario D’Acquisto, ancien président DC de la Chambre des Députés19. En Sicile, le secteur de la construction et du BTP20 a toujours été au cœur des affaires politico-mafieuses. L’effort de reconstruction après 1945, et notamment

16 Né en 1939, originaire de Sicile. 17 « Cinq régions italiennes jouissent d’un statut spécial » par Michel Bôle-Richard, Le Monde, 21 juillet 2000. 18 Décret-loi du 31 mars 1998. Article 7. Cité dans« Panorama européen du droit des aides publiques aux entreprises », par Jérôme Michon, in Le Moniteur N°5033, mai 2000. 19 Dépêche AFP du 11 avril 1995. 20 Il est significatif de noter qu’à Bruxelles, la Fédération de l’Industrie Européenne de la Construction (FIEC) est présidée depuis l’année 2000 par le romain Franco Nobili, 75 ans, ancien P-DG du groupe de BTP Cogefar et du groupe public IRI, très proche ami de Giulio Andreotti.

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l’aménagement urbain de Palerme, a scellé des liens d’affaires et de corruption inextricables entre Cosa Nostra et la classe politique sicilienne. C’est en effet sur ce secteur d’activité que se concentrent les montants d’aides publiques les plus importants et où la classe politique sicilienne est la plus directement concernée pour les démarches et procédures administratives. L’exemple le plus évident de cette proximité politico-mafieuse fut ce que l’on appela « le sac de Palerme ». De 1958 à 1964, le Palais des Aigles – la mairie de Palerme – fut dirigée par Salvo Lima21, le chef de la Démocratie Chrétienne sicilienne depuis 1954, qui était à la fois le représentant du courant de Giulio Andreotti en Sicile et l’intermédiaire avec les chefs de Cosa Nostra. Au début des années 1960, Salvo Lima engagea la « rénovation » urbaine de Palerme avec la complicité d’un groupe de promoteurs immobiliers et d’entrepreneurs du BTP « agréés » par les différentes familles mafieuses, surnommé le comité d’affaires « Valigio » (pour Vassallo, Lima et Gioia22). En 1964, le préfet Bevivino rédigea un rapport sur la restructuration urbaine de Palerme où il s’étonnait que cinq prête-noms aient pu obtenir 80 % des permis de construire proposés par la ville. Jugé trop proche des familles palermitaines « perdantes », Salvo Lima fut remplacé à la tête de la ville de Palerme par Vito Ciancimino. Originaire de Corleone, Vito Ciancimino était entièrement dévoué à Salvatore Riinà. Dans l’ombre de Lima, il était responsable des projets d’aménagement et d’urbanisme de la ville. D’abord chef du service des travaux publics de la commune de Palerme, Ciancimino parvint à se faire élire maire de la ville en 1971. Pour avoir voulu contester la candidature de Ciancimino à l’intérieur de la Démocratie Chrétienne sicilienne, son prédécesseur et concurrent à la mairie de Palerme, Nello Martellucci23, vit sa maison être dynamitée par les Corleonesi. Officiellement retiré de la vie politique palermitaine, Vito Ciancimino continua à exercer une mandature « invisible » sur Palerme24 et à gérer les avoirs mafieux au travers des sociétés romaines Inim et Raca. Associé à son ami Francesco Paolo Alamia, Ciancimino fit fructifier les fonds de Cosa Nostra par l’intermédiaire de Filippo Alberto Rapisarda, un sicilien originaire de Sommatino, président de l’Inim. En 1977, Marcello Dell’Utri, futur conseiller de Berlusconi, fut embauché par

21 Mis à l’écart par les Corleonesi, Salvo Lima se fit élire en 1979 député au Parlement européen. Il fut assassiné le 13 mars 1992 par Francesco Onorato, né en 1960, interpellé le 27 novembre 1993. Ce dernier agissait pour le compte des Corleonesi qui souhaitait faire pression sur les responsables de la Démocratie Chrétienne pour obtenir la fin des poursuites judiciaires à leur encontre. 22 Originaire de Tommaso Natale près de Palerme, Francesco Vassallo a fait fortune dans l’entre-deux guerres comme directeur de plusieurs coopératives sous influence mafieuse. Devenu entrepreneur de travaux publics et proche de la DC, il fut l’un des grands bénéficiaires de la « rénovation » de Palerme. 23 Nello Martellucci sera par la suite élu maire de Palerme en juillet 1980 sous l’étiquette DC. 24 Lors du procès de Ciancimino à Palerme en 1992, Giuseppe Insalaco, ancien maire de Palerme, déclara que Ciancimino continuait « à gérer les affaires de Palerme, non pas en qualité de titulaire de mandats mais en raison du très important groupe de pression de ses alliés qui le soutenait et dont il était l’expression ». Insalaco prétendit que son éviction de la vie politique palermitaine était liée à son refus de transiger avec Ciancimino pour les marchés publics de l’éclairage urbain, de l’entretien des rues et du réseau d’égoûts de la ville de Palerme.

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Rapisarda au sein de l’Inim25. Il logea même avec son frère jumeau, Alberto, dans les locaux de la holding. En 1979, Alberto Dell’Utri et d’Alamia furent incarcérés. Autre exemple de carrière politico-mafieuse, Graziano Verzotto, sénateur de la Démocratie Chrétienne de Sicile entre 1965 et 1975, président de l’Office Minier Sicilien, incarna la mainmise d’intérêts mafieux sur les grandes industries siciliennes. En 1975, sa carrière politique fut ruinée par le dévoilement de ses activités d’intermédiation entre des familles de Cosa Nostra et l’Ente Minerario Siciliano (EMS), la principale entreprise d’extraction et de commercialisation du soufre de Sicile. Cette société est connue de longue date pour attirer l’intérêt des familles mafieuses. Dans les années 1920-1930, un cartel s’était constitué sur le marché mondial du soufre entre la société sicilienne et des financiers britanniques. Verzotto a également contribué au détournement de subventions pour le développement de l’industrie soufrière sicilienne et participa à des adjudications de marchés publics arrangés. Réfugié à Beyrouth à la fin des années 1970 pour échapper à la justice, Verzotto fut par la suite en relation d’affaires étroite avec Michele Sindona, le banquier utilisé par Cosa Nostra pour ses opérations de blanchiment. A la fin des années 1960, Verzotto utilisait également les services de Giancarlo Paretti26 comme homme de paille pour ses investissements dans le secteur de l’hôtellerie. Paretti s’illustra ultérieurement dans l’affaire du Crédit Lyonnais lors de la reprise financièrement catastrophique des studios de cinéma de la Metro Goldwin Mayer (MGM). Bien souvent, la présence mafieuse parasite la conduite des projets d’aménagement et de développement, y compris lorsqu’il s’agit de programmes majeurs. L’exemple le plus emblématique sur ce point est le projet de construction du pont entre la Sicile et la Calabre. En 1968, un concours avait été organisé pour la construction d’un lien fixe routier et ferroviaire entre le continent et la Sicile et en 1971, la société à capitaux publics Società Stretto di Messina s’était vue confier la mission de mener à bien cet important projet d’infrastructure. Il fallut attendre vingt-cinq ans pour que la Società Stretto di Messina indiqua ses 9 préférences parmi les 147 projets de réalisation envisagés. Quatre années supplémentaires furent nécessaires pour la définition précise des spécifications techniques. C’est seulement en 1992 qu’un schéma directeur fut adopté. Ce schéma ne reçut l’aval du conseil supérieur des travaux publics italien qu’au mois d’octobre 1997, soit 29 ans après le lancement du programme. Autant d’atermoiements resteraient inexplicables si l’on ne tenait pas compte du fait que, durant toutes ses années, environ 700 millions d’Euros furent dépensés en frais divers au profit de bureaux d’études sous influence mafieuse. Pour ce projet, l’organisation mafieuse contrôle en outre la distribution et la commercialisation du ciment nécessaire pour l’édification de l’ouvrage. Sur la rive calabraise, les terrains envisagés pour la construction du pont ont déjà fait l’objet d’âpres rivalités au sein de 25 L’odeur de l’argent : les origines et les dessous de la fortune de Silvio Berlusconi, p.40. 26 « Les plans du sicilien » in Les dossiers du Canard Enchaîné , N°64, juillet 1997. Giancarlo Paretti était associé avec l’affairiste Florio Fiorini, ancien responsable des finances de l’ENI, directeur de la Société Anonyme Suisse d’Exploitation Agricole (SASEA) à Genève, une société financière fondée par le Vatican en 1893, qui fut mise en faillite par Fiorini.

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la ‘Ndrangheta. Le 11 octobre 1985, Nino Imerti, chef d’un puissant ‘ndrine local avait miraculeusement échappé à un attentat à la bombe. Cette tentative d’homicide était liée au contrôle des terrains prévus pour l’édification du pont. Angelo Siino, surnommé le ministre des travaux publics de Cosa Nostra, devenu un repenti suite à son arrestation en 1997, avait mis en garde les autorités judiciaires italiennes au sujet du projet de pont du détroit de Messine, en soulignant que ce chantier constituait, un objectif prioritaire pour Cosa Nostra. Au sein de Cosa Nostra, Siino était chargé entre 1985 et 1993 des affaires de corruption dans le cadre des adjudications marchés publics. Ses dépositions devant la justice permirent de préciser la répartition des commissions : pour un marché public donné, Cosa Nostra prélève 2/3 des commissions perçues, les 4/5 restants sont versés aux formations politiques et le solde est destiné à la corruption des administrations de contrôle des appels d’offres. Les familles mafieuses de Messine étaient tenues à l’écart des versements de commissions (tangente). En cas de litige, c’était directement Benedetto Santapaola et ses hommes de Catane qui intervenaient. A Messine, les appels d’offres étaient selon Siino téléguidés et se négociaient avec les entreprises directement à l’échelon politique national comme pour la construction du stade de San Filippo. Les entreprises qui n’acceptaient pas de verser les commissions étaient systématiquement écartées des appels d’offres. En juillet 2000, le gouvernement italien décida d’adopter un schéma directeur des transports prévoyant un investissement de plus de 100 milliards d’Euros sur dix ans. Sur les 7 autoroutes prévues par ce schéma, quatre étaient situées dans des régions sicilienne et calabraise connues pour leur très forte infiltration mafieuse (autoroutes Salerne-Reggio di Calabria, Messine-Palerme, Messine-Siracuse et Cagliari-Sassari)27. Sans vouloir nier le fait que ces projets visent à faire rattraper au sud de l’Italie son retard en matière d’aménagement du territoire, il faut noter que la priorité donnée aux grands contrats avec le sud par le ministère italien des Transports s’accompagne d’une infiltration de longue date de cette administration par des intérêts mafieux, à l’exemple de Calogero Mannino28, ministre de l’Agriculture et des Transports, importante figure de la Démocratie Chrétienne sicilienne, qui fut convaincu d’appartenance à Cosa Nostra par la justice. Autre exemple flagrant de détournements de fonds, l’obtention de subventions et de prêts pour la construction d’hôpitaux et de cliniques fantômes est une grande spécialité sicilienne. Sur les 134 hôpitaux fantômes identifiés en 2000 par une commission parlementaire italienne29, pas moins de 50 établissements de ce type étaient fictivement domiciliés en Sicile. Le montant global des détournements de fonds relatifs à ces hôpitaux s’élèverait pour la Sicile à environ 2 milliards d’Euros. Dans le cadre de ce type d’affaires, le 26 avril 1999, Nuccio Cusumano, secrétaire d’Etat au Trésor, membre de l’Union Démocratique pour la République (UDR),

27 « L’Italie adopte son schéma directeur des transports », Le Moniteur, N°5046 du 11 août 2000. 28 L’appartenance mafieuse de Calogero Mannino, ancien ministre des Transports et de l’Agriculture, a été établie à la suite de révélations faites par des repentis de Cosa Nostra. 29 Dépêche AFP du 25 juillet 2000.

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formation dissidente de la Démocratie Chrétienne créée en juillet 1999 par Francesco Cossiga, était arrêté. Une enquête des Carabiniers, initiée au mois d’octobre 1999 sur des irrégularités dans l’adjudication de la deuxième tranche des travaux de l’hôpital Garbibaldi de Catane (56 000 m², 200 millions d’Euros), avait mis en évidence l’implication d’une dizaine d’excellences (personaggi eccellenti), les soutiens occultes de la Mafia dans la classe politique et la société civile. En dépit de plusieurs directives européennes30 et de l’adoption de la Loi Merloni en 1994 par le Parlement italien, qui tend à modifier les règles et les procédures des marchés publics, la criminalité organisée est toujours plus présente dans ce secteur de la vie économique. Face à l’ampleur du phénomène, un groupe de travail de la Direction générale Justice et Affaires Intérieures de la Commission Européenne s’est inquiété ouvertement en 1997 de la forte présence mafieuse dans le secteur des appels d’offres et des marchés publics communautaires. Cosa Nostra, comme souvent, fut l’organisation criminelle pionnière en la matière. I.1.1.3. TRAFIC INTERNATIONAL DE STUPEFIANTS ET BLANCHIMENT. Prétendument proscrit par les règles de fonctionnement interne de l’organisation mafieuse, le trafic de stupéfiants est pourtant rapidement devenu une des activités stratégiques pour Cosa Nostra au cours des années 1960-1970. En 1974, désigné comme président de la commission provinciale de Palerme, Gaetano Badalamenti était le précurseur de ce trafic depuis la Sicile. Il commença à exporter l’héroïne vers les Etats-Unis depuis l’aéroport de Punta Raisi, situé sur son territoire de Cinisi. Cette initiative suscita l’ire des Corleonesi et fut vraisemblablement à l’origine du conflit du début des années 1980. Gaetano Badalamenti mit sur pieds au début des années 1970 la filière d’exportation connue plus tard sous l’appellation de Pizza Connection. S’appuyant sur les familles palermitaines des Salmone et des Badalamenti, ce réseau achetait massivement de l’héroïne au trafiquant turc Musululu, avant de l’exporter vers les Etats-Unis et de la distribuer sur place, à l’insu des familles italo-américaines, au travers un réseau étoffé de petits commerces (dont une chaîne de pizza), tenus par des émigrés siciliens, calabrais ou albanais. Démantelé progressivement au début des années 1980, la Pizza Connection marqua une étape importante dans les méthodes de blanchiment et de transfert de liquidités. C’est au cours de cette période que se sont imposées de nouvelles figures de l’organisation mafieuse. Des familles de la Sicile occidentale, considérées jusqu’alors comme « mineures », ont profité pleinement des filières de la Pizza Connection pour s’imposer progressivement au sein de Cosa Nostra, à l’exemple des Caruana et Cuntrera de Siculiana, devenus à la fois proches et indispensables aux catanais de Santapaola et aux familles de Trapani, dirigées par Messina Denaro. On peut également mentionner le parcours de Vito Roberto Palazzolo, chef de la famille de Cinisi, apparenté à Salvatore Riinà, qui fut interpellé en 1984 dans le cadre de l’enquête sur la Pizza Connection. Evadé de sa prison helvétique, il s’installa en Afrique du Sud à la fin des années 1980 et, sous le pseudonyme de Robert von Palace 30 N°89/440/CEE et N°93/37/CEE.

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Kobaltschenko, devint la tête de pont des opérations de blanchiment de Cosa Nostra en Afrique australe et dans l’Océan indien (diamants, complexes hôteliers, propriétiés agraires, vignobles, sociétés immobilières et casinos). Au milieu des années 1970, le démantèlement des réseaux de la French Connection31, facilita la montée en puissance des familles de Cosa Nostra dans le trafic international d’héroïne. En 1978, Cosa Nostra abandonnait provisoirement la contrebande de cigarettes en raison de la multiplication des contentieux internes à l’organisation et de la plus grande attention portée à ce trafic par les douanes italiennes. Cette décision accéléra la reconversion des filières de contrebande vers le trafic de stupéfiants. Tommaso Spadaro, Nunzio La Mattina et Pino Savoca devinrent les pourvoyeurs incontournables en morphine-base des différentes familles mafieuses siciliennes tandis que des laboratoires de transformation en héroïne s’installaient dans un triangle constitué des communes de Bagheria, Casteldaccia et Villabate. Ce territoire était contrôlé par Michele Greco. Au début des années 1980, la Drug Enforcement Agency (DEA) américaine estimait que la Cosa Nostra sicilienne couvrait un tiers des besoins du marché nord-américain, soit environ quatre tonnes d’héroïne pure par an. En 1984, une raffinerie d’héroïne, installée à Caccamo, localité située à 40 km de Palerme, fut démantelée. Ce laboratoire était contrôlé par les Corleonesi qui l’utilisait pour leurs exportations vers la famille italo-américaine new-yorkaise de John Gambino. Interpellé à cette occasion, Salvatore Cancemi devint un repenti sur les affaires de trafic de stupéfiants et apporta des révélations sur les filières d’exportation d’héroïne de la Sicile vers les Etats-Unis, tandis que Francesco Marino Mannoïa32, chimiste du laboratoire de Caccamo, également repenti, porta des accusations sévères de collusion entre Salvatore (Toto) Riinà et Giulio Andreotti. Cette affaire entraîna en 1994 la condamnation par contumace à 20 ans de prison de Pietro Aglieri. Au début des années 1990, plusieurs affaires judiciaires permirent de mettre en évidence la collaboration entre certaines familles mafieuses siciliennes et des membres de cartels colombiens autour du trafic de cocaïne. En 1991, l’arrestation de Giuseppe Lottusi à Milan fut à ce titre significative : ce dernier était l’homme de confiance du cartel de Medellin pour ses opérations financières avec l’Italie. Lottusi utilisait la société financière helvétique FIMO, installée dans le canton du Tessin, pour blanchir les fonds qui lui étaient confiés par les familles siciliennes pour le paiement de la cocaïne colombienne. On estime que 500 millions de dollars 31 Démantelée en partie dans les années 1970 par le DEA et l’OCRTIS, la French Connection désignait l’ensemble de la filière de production et d’exportation d’héroïne mise en place par le grand banditisme corse de Marseille à destination des Etats-Unis. L’Opium était importé de Turquie ou d’Indochine, transformé en morphine-base dans des laboratoires en Syrie et au Liban, puis convoyé depuis Beyrouth vers des laboratoires de transformation installés dans les environs de Marseille où la morphine-base devenait de l’héroïne n°4. La distribution vers le marché nord-américain était ensuite assurée à partir du Canada (Montréal et Toronto). 32 Rattaché à la famille des Corleonesi, Mannoïa avait organisé après son arrestation en 1984 un réseau de trafic de drogues concurrent de celui des corléonais depuis sa cellule de prison. Le 23 novembre 1989, les corléonais exécutèrent en représailles la mère, la soeur et la tante de Mannoïa. C’est à partir de cette date que ce dernier est devenu un repenti.

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transitèrent ainsi par la FIMO. Les fonds étaient ensuite expédiés en partie vers Genève par colis postaux, où ils étaient crédités sur un compte d’une société vénézuélienne auprès de la BCI-TDB, une filiale de l’Union de Banque Privée. L’argent était ensuite transféré au cartel de Medellin. Ce système de blanchiment supposait des complicités politiques en Suisse. Gianfranco Cotti, administrateur de la FIMO était en même temps conseiller national démocrate-chrétien et présidait la commission parlementaire chargée de la lutte contre le blanchiment. Dans le cadre de ses opérations, Lottusi utilisait également les services de la Banque Albis, où une autre parlementaire suisse, ancienne vice-président de la World Anti-Communist League (WACL), était administratrice33. En 1993, Gustavo Delgado Upegui, conseiller financier personnel de Pablo Escobar, passé au service du cartel de Cali, était à son tour interpellé en Italie à Bassano del Grappa. En moins d’une année, l’intéressé avait blanchit en Italie pour le compte de Carlos Londono, un des chefs du cartel de Cali, près de 100 millions de dollars provenant du trafic de cocaïne. Au travers de multiples comptes bancaires et de sociétés écrans (Tower bank, Banco Nacional de Panama, South America Exchange, Astrocambio, Jurina International Panama, SBS, UBS, Crédit Suisse, Caja de Madrid, Algemeine Bank de Gibraltar, Chase Manhattan Bank, Credito Deposito, Delta Corp., Sud America express et Banco Intercontinental dal Sud America), Upegui injectait l’argent à blanchir dans la société italienne de négoce d’or Eurocatene des frères Pataro. En 1995, 5,5 tonnes de cocaïne colombienne provenant du cartel de Cali furent saisies à Turin après leur déchargement dans le port de Gênes. Ce chargement était pris en compte par des membres des familles de Catane contrôlées par Benedetto Santapaola34. La valeur à la revente de ce chargement, fractionnable en quelques 22 millions de doses, était estimée à 300 millions de dollars. Cette saisie intervint dans le cadre d’une opération de grande ampleur engagée aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays à l’encontre des familles siciliennes Cuntrera, Caruana et Vella, originaires de Siculiana.

33 La Dépêche Internationale des Drogues, OGD, N°3, janvier 1992. 34 Dépêche AFP du 9 mars 1994.

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I.1.2.. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE COSA NOSTRA En 1993, une enquête de la Garde des Finances sur les activités de blanchiment d’une famille mafieuse de Sicile avait mis en lumière l’étroite imbrication entre économie légale et illégale dans les stratégies de blanchiment de Cosa Nostra. Les fonds délictueux de cette famille avaient ainsi été réinvestis selon la répartition suivante : 60 % vers des placements financiers (bons du Trésor, actions et obligations), 17 % vers le secteur de l’immobilier, 11 % dans l’achat de commerces et 4 % dans des sociétés industrielles et agro-alimentaires. Cet exemple illustre la répartition globale estimée des capitaux de l’organisation mafieuse sicilienne et montre la part primordiale qui revient au secteur financier dans le blanchiment des fonds mafieux. I.1.2.1. LE BLANCHIMENT AU TRAVERS DU CONTROLE DES ACTIVITES AGRICOLES EN SICILE. Née historiquement du système féodal des grands domaines agraires, Cosa Nostra resta longtemps farouchement hostile aux syndicats agricoles. Ces derniers invitaient les paysans siciliens à s’organiser en coopératives, ce qui contrariait le système des grands domaines, sous-traités aux gabelotti de la mafia. Entre 1911 et 1920, la plupart des grands leaders syndicaux siciliens furent assassinés par la Mafia : Lorenzo Panepinto, instituteur et fondateur d’une coopérative agricole (16 mai 1911), Bernardino Verro, militant socialiste, élu maire de Corleone en 1914 (3 novembre 1915), Giuseppe Rumore, Nicolo Alongi et Salvatore Bonfiglio (entre 1919 et 1920). En 1947, suite à l’élection d’une majorité de gauche lors du vote des régionales, 12 paysans furent assassinés le 1er mai à Portella della Ginestra par les hommes d’honneur de Cosa Nostra. Cette action visait à empêcher que se mette en place la réforme agraire et le démantèlement des vastes domaines privés agraires. Elle marqua les débuts de l’alliance tacite entre l’organisation criminelle et la Démocratie Chrétienne, qui, forte de cet appui occulte, obtint la majorité à tous les autres scrutins électoraux régionaux et nationaux (élections du 18 avril 1948). En décembre 1950, l’adoption de la réforme agraire entraîna toutefois le démantèlement progressif des latinfundi, ces gigantesques propriétés agricoles co-gérées par la Mafia et les grands propriétaires. 500 000 hectares de terres changèrent de mains. Cette réforme à laquelle Cosa Nostra s’était toujours opposée, entraîna un changement de stratégie de la part de l’organisation mafieuse qui entreprit d’infiltrer les coopératives et les institutions agricoles. Exemple caractéristique de cette infiltration du secteur agricole, Michelangelo Aiello, maire de 1970 à 1973 de la commune de Bagheria, et fondateur en 1976 de l’Industrie des Dérivés d’Agrumes (IDA), utilisa pendant dix ans son activité agricole comme couverture pour ses opérations criminelles. Quatre ans après sa création, l’IDA avait multiplié son chiffre d’affaires par 200 en devenant le carrefour de toutes les fraudes aux subventions européennes. En relation avec l’URSS, la Bulgarie et la Roumanie, Aiello avait organisé un vaste réseau de fraude au remboursement de la TVA, notamment avec la société roumaine ICE-Frutex Port. Par la suite, Aiello fut confondu par la Garde des Finances pour ses activités de direction d’une autre

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société, la Derivati Elaborati di Agrumi (DEA), dont la comptabilité servait à blanchir les fonds issus du trafic d’héroïne. Aiello était associé à Leonardo Greco, chef de la famille de Bagheria et important producteur d’héroïne, et Michele Greco, chef de la famille de Cicaculli Croce Verde et secrétaire exécutif de la commission régionale de Cosa Nostra. En sur-déclarant des exportations hors de la CEE de productions agricoles, les sociétés d’Aiello dégageaient auprès des acheteurs étrangers un déficit qu’Aiello comblait par des versements sous forme de liquidités provenant de la commercialisation de l’héroïne sicilienne. Par la suite, Aiello vendit fictivement ses chargements d’agrumes à Raymond Charles Kingsland, un intermédiaire britannique installé à Londres, qui devint progressivement un nouveau relais pour le blanchiment des fonds dégagés par la Pizza Connection. Le système de blanchiment mit en place par Greco et Aiello se complexifia encore un peu plus lorsqu’il utilisa les services d’assurance-crédit de l’Italtrade, la société publique chargé du soutien au développement économique du Mezzogiorno. Cet établissement était alors présidé par Gaetano Liccardo, membre de la P2. Le 25 janvier 1985, Aiello fut arrêté. Libéré pour raisons médicales, il est décédé en décembre 1988. En 1981, Cersuso, secrétaire de la fédération du PCI de la commune de Ficarazzi, adressa un mémoire à la Commission nationale de contrôle du PCI pour dénoncer les irrégularités de gestion et les détournements de subventions européennes pratiqués par certaines coopératives agricoles communistes. Lorsqu’il devint secrétaire régional du PCI pour la Sicile, le député Pio La Torre s’attaqua à l’infiltration mafieuse de certaines de ces coopératives, en particulier celles de Villabate, Ficarazzi et Bagheria. Ces coopératives étaient en fait tombées sous le contrôle de la famille mafieuse de Ciaculli Croce Verde, dirigée par Michele Greco. Les coopératives sous influence mafieuse pratiquaient la fraude aux subventions européennes destinées à la stabilisation des prix des agrumes. La CEE indemnisait à l’époque les coopératives pour qu’elles détruisent leurs surplus de production. Les mafieux profitaient de ce dispositif pour alourdir en eau et en sable les chargements de fruits destinés à être détruits afin d’augmenter indûment les indemnisations. Fin avril 1982, Pio La Torre se sentit de plus en plus menacé. Il fut assassiné à Palerme le 30 avril 1982 ainsi que son garde du corps. L’enquête du procureur de Palerme sur cet homicide désigna les Corleonesi comme les exécutants de ce contrat mais n’excluait pas que les commanditaires véritables aient pu être en réalité certains responsables communistes mafiosés du PCI sicilien35 comme Elio Sanfilipo, secrétaire de la fédération communiste de Palerme ou un sénateur communiste de Sicile, proche de la confrérie des Chevaliers du Travail de Catane, infiltrée de longue date par Cosa Nostra. A la même époque, des capitaux mafieux furent investis dans le quotidien communiste L’Ora. Autant d’affaires troubles qui expliquent l’élimination de Pio La Torre, co-auteur de la première loi véritablement efficace pour la répression anti-mafia. Les institutions européennes restèrent longtemps apathiques face aux pratiques frauduleuses massives des mafias italiennes : en 1986, 150 millions d’oliviers siciliens étaient subventionnés alors que moins de 110 millions d’arbres avaient été réellement décomptés par les autorités de contrôle, 220 000 têtes de bétail bénéficiaient 35 Procura della Repubblica di Palermo. Procedimento Penale contre Greco Michel ed Altri. N°3162/89A.PM.

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également de primes d’élevage alors que le troupeau réel était estimé à moins de 80 000 bêtes. A la fin des années 1980, les scandales se multiplièrent autour de la gestion de l’Azienda di Stato per gli Interventi sul Mercato Agricolo (AIMA). Cet organisme public italien était le récipiendaire des subventions européennes versées par la CEE à l’Italie au titre du Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA). L’AIMA gérait toutes les interventions sur les marchés agricoles à l’exception des productions de sucre et de riz, placées sous la responsabilité respective de la Cassa Conguaglio Zucchero et de l’Ente Nazionale Risi. Du 13 avril 1988 au 19 mai 1989, l’AIMA fut présidé par le démocrate chrétien Calogero Mannino, par la suite ministre de l’Agriculture et des Transports. Comme le révélèrent plusieurs repentis, Mannino appartenait à Cosa Nostra. Ami avec Giuseppe Settecasi, chef de la famille d’Agrigente, Mannino fut même le témoin de mariage du boss mafieux Gerlando Caruana36 avec Maria Parisi le 10 octobre 1977 en l’église San Crucifisso de Siculiana

37. Sous la présidence de Mannino, l’AIMA se « siciliannisa » à grande vitesse : douze des dix-huit employés du service des inspections de l’AIMA étaient siciliens et originaires de la circonscription électorale de Mannino38. Cosa Nostra n’hésita pas non plus à utiliser les établissements bancaires du secteur agricole à des fins de blanchiment. La Caisse rurale et artisanale de Monreale (CRAM), un établissement bancaire coopératif de Sicile, était utilisée par Raffaele Ganci, chef mafieux proche de Salvatore Riinà, pour le blanchiment des capitaux de Cosa Nostra39. Suite à l’arrestation des dirigeants de la CRAM à l’automne 1996, la Guardia di Finanza mis à jour le réseau de prête-noms utilisé par Ganci. Entre 1993 et 1996, plus de 3,5 millions de dollars avaient transité par cet établissement. Plus de 2600 transactions suspectes ont également été relevées par les enquêteurs. I.1.2.2. L’INTERNATIONALISATION DES INVESTISSEMENTS DE COSA NOSTRA. Outre les Etats-Unis au début du siècle, la Tunisie dans les années 1920 et les pays concernés par la contrebande de cigarettes et le trafic d’héroïne dans les années 1950 (Maroc, Liban40, Turquie), les premières implantations de Cosa Nostra à l’étranger furent étroitement liées aux opérations de blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants. La Suisse fut le premier pays « bénéficiaire » de cette internationalisation du fait de la proximité entre Milan, la capitale économique et financière italienne, et l’enclave italophone helvétique du Tessin, à quelques dizaines de kilomètres, qui offrait toutes les conditions de confidentialité et de technicité bancaire pour servir de coffre-fort à

36 Gerlando Caruana est le fils du capomandamento Leonardo (Nanà) Caruana, membre de la puissante famille sicilo-américaine des Cuntrera-Caruana-Vella, active dans le blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants en Amérique du Nord, au Vénézuela et en Europe. 37 Rapport N°6696/19 « P » de la Légion des Carabiniers de Siculiana daté du 17 octobre 1981. 38 « All’Ombra dell’AIMA : frodi, truffe, sprechi, clientellismo negli aiuti all’agricoltua », Rapport du groupe PDS au Parlemeny italien. 39 Dépêche AFP du 24 juillet 1996. 40 Au début des années 1990, plusieurs familles de Cosa Nostra réactivèrent leurs contacts au Liban pour blanchir des fonds dans la reconstruction de Beyrouth.

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Cosa Nostra. Depuis la fin des années 1960, le Tessin et ses deux principales places financières, Chiasso et Lugano, ont connu une croissance exponentielle de l’activité des banques privées et des sociétés de gestion financière. Plus d’une vingtaine d’établissements bancaires italiens prospèrent ainsi depuis cette région41. Autre place financière appréciée par Cosa Nostra, le Liechtenstein a été dénoncé en novembre 1999 dans un rapport rendu public du Bundesnachrichtendienst (BND) - le service de renseignement extérieur allemand – comme étant largement utilisé pour les opérations de blanchiment des mafias italiennes42. La Principauté monégasque est également très souvent concernée par des affaires de blanchiment liées à la criminalité organisée italienne. Dès l’ouverture des pays de l’Est, Cosa Nostra comme les autres organisations criminelles italiennes, a voulu profiter des opportunités offertes pour se développer dans ces pays. En mars 1992, une enquête judiciaire sur les familles palermitaines dirigées par Giovanni Lo Cascio et Partanna Mondello, mit en évidence des circuits de blanchiment très importants (plusieurs dizaines de millions de dollars) avec la République Fédérale de Yougoslavie. Les trafics réalisés avec ce pays portaient sur des ventes d’armes, le rachat de bons au porteur d’origine sud-américaine, des roubles soviétiques, des stocks d’or et des faux dollars produits dans une imprimerie d’Agrigente (Sicile). Au cœur de ce réseau, les familles palermitaines utilisaient depuis le début des années 1980, les services d’Ulrich Bahal, un financier allemand qui vécut à Palerme de 1980 à 1985. Ce dernier utilisait les contacts bancaires de Silvia Hartweger, sa compagne autrichienne. Ulrich Bahal a notamment été impliqué dans la négociation pour le compte des familles siciliennes d’un chargement d’armes comprenant 300 AK-47 Kalashnikov, 300 pistolets automatiques, 10 viseurs de nuit et 10 lance-roquettes RPG-7, destinés à la RFY. Ce sont les importants dépôts réalisés par Bahal pour cette transaction auprès de la Yugobank qui seraient à l’origine de son interpellation aux Etats-Unis43. Autre pays de prédilection pour Cosa Nostra, la Roumanie a fait l’objet depuis 1989 d’importants investissements criminels de la part des Corleonesi. Par l’intermédiaire de Paul Brener, né en 1926 à Foscani (Italie), un homme d’affaires italien naturalisé roumain, de nombreuses sociétés d’import-export ont été mises en place en Roumanie : Euro Agri Srl (1994), Inca 2000 Prodcom srl (1994), Habitat Srl, Erre 2 International Srl (1999), Process Romania Srl et Brai-Cata SA (2000). Dans la plupart de ces sociétés, Brener est associé à des personnalités telles que Giacinto Scianna, né le 14 janvier 1943 à Bagheria et membre de la famille des Corleonesi, Antonino Fontana, né le 31 octobre 1947 à Villabate, en relation d’affaires avec des membres de

41 L’annuaire Etablissements bancaires en Suisse 2000, édité par les Publications bancaires à Petit Lancy (Suisse), répertorie la présence à Lugano et à Chiasso de nombreuses banques connues pour leurs liens avec l’Italie, et leur implication fréquente dans des affaires de blanchiment : Banca Adamas, Banca del Ceresio, Banca Commerciale Lugano, Banca di Credito e Commercio, Banca Euromobiliare, Banca del Gottardo, Banca Monte Paschi, Banca Privata Edmond de Rotschild Lugano, Banca del Sempione, Banca Unione di Credito, BDL Banco di Lugano, Finter Bank Zürich, IBZ Investment Bank et Kredietbank (Suisse) Lugano. 42 « Les services secrets allemands accusent le Liechtenstein », in 24 heures du 8 novembre 1999. 43 Dépêche AFP du 18 mars 1992.

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Cosa Nostra, Giuseppe Mattina, né le 14 novembre 1959 à Porto Empedocle, lieutenant de Pietro Aglieri, Rosario Raneri, consultant des sociétés Aversa et Rartel, utilisées pour le blanchiment de fonds de Cosa Nostra, Florian Chiriac, ancien consul de Roumanie à Rome, Nunzio Psalia, Vicenzo Antonutti et Rocco Alabiso, proches de Cosa Nostra44. Cette implantation s’est accompagnée de la corruption de plusieurs responsables politiques et administratifs roumains dont Gheorge Fulga, actuel chef du Service d’Information Extérieur (SIE), Gheorghe Paunescu, ex-député PDSR et secrétaire d’Etat à l’Industrie, Constantin Nita et Alexandru Popa, responsables du PSD ainsi que de nombreuses autres personnalités de la vie économique de Brasov. Les pays européens d’accueil de la diaspora sicilienne ont également vu se développer des formes de criminalité mafieuse, reliées à certaines familles siciliennes. En Allemagne, à la fin des années 1980, le BND estimait que près de 500 siciliens soupçonnés d’appartenance à la Mafia s’étaient installés sur le territoire allemand, ouvrant des dizaines de commerces, principalement des restaurants et des hôtels, servant à la fois au commerce de stupéfiants et à son blanchiment. En Belgique, la présence d’une forte diaspora sicilienne s’est traduite par l’implantation durable de familles originaires des provinces occidentales de la Sicile, liées pour la plupart à la Stidda, une organisation criminelle dissidente de Cosa Nostra. En Espagne, l’implantation de Cosa Nostra remonte au début des années 1980, lorsque certains membres des familles « perdantes » de la guerre des mafias à Palerme se réfugièrent sur la Costa del Sol. Le littoral espagnol est depuis devenu un des bastions de l’organisation mafieuse sicilienne au point d’obliger les autorités judiciaires et policières espagnoles à signer un accord de coopération spécial avec leurs homologues italiens. En France, il fallut attendre le rapport de la commission parlementaire de 1993, présidée par François d’Aubert, pour que l’on s’inquiéta de la présence de capitaux mafieux sur le territoire. Parmi les affaires évoquées dans ce rapport figurent notamment les investissements immobiliers réalisés sur l’île de Cavallo (Corse du Sud) par Lillo Lauricella45, un intermédiaire palermitain proche de Cosa Nostra utilisé par le blanchisseur Fausto Pellegrinetti46. En 1988, Lauricella prit le contrôle de la Compagnie des Iles Lavezzi (CODIL), la société gestionnaire du port de Cavallo et du complexe immobilier attenant47. Il noua des relations d’affaires étroites avec le leader indépendantiste Alain Orsoni, chef de file du Mouvement pour l’Autodétermination (MPA) et de son émanation clandestine, le FLNC-Canal Habituel48. Dès le début des années 1980, Lillo Lauricella tissa également des liens 44 Evenimentul Zilei, février 2002, Bucarest. 45 Né le 25 août 1945 à Palerme, Lillo Rosario Lauricella est depuis 1993 soupçonné d’être un des blanchisseurs utilisé par Cosa Nostra. Le 9 mars 2001, Lauricella a été condamné en première instance par le Tribunal de Rome à 7 ans et 8 mois de prison. 46 Né le 22 janvier 1942 à Rome, Fausto Pellegrinetti s’était installé à Malaga en Espagne suite à une première affaire de stupéfiants survenue en Italie. En mars 2001, il a été condamné par contumace à 15 ans de prison par la justice italienne. 47. Cf. « Cavallo : l’île suspecte », par Christophe Deloire, in Le Point, 5 juillet 2002 et « Une île à l’ombre de Cosa Nostra », par Jean Chichizola, in Le Figaro du 26 juillet 2002. 48 L’alliance entre Lauricella et Orsoni entraîna une vague d’attentats de la part du mouvement rival FLNC-Canal Historique de François Santoni : en 1990, deux restaurants de Cavallo furent plastiqués,

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avec les frères Julien et François Filipeddu49 qui devinrent les intermédiaires de Lauricella dans le milieu des machines à sous et développèrent pour son compte des affaires et des projets au Panama, au Brésil et au Proche Orient. Avec l’aide de Julien Filipeddu, Lauricella tenta, en 1996, de racheter la caserne désaffectée Montlaur à Bonifaccio. Début septembre 1998, les frères Filipeddu cédèrent tous leurs actifs dans le domaine des machines à sous au groupe franco-catalan Pefaco, contrôlé par des intérêts français, actif notamment en Afrique et en Amérique centrale. Parmi les consultants utilisés par Pefaco figure notamment Alain Orsoni, installé depuis 1997 au Nicaragua. En 1998, le préfet Bonnet fit fermer la piste aérienne des îles Lavezzi, longue de plus de 1000 mètres et large de 50 mètres, exploitée sans aucune autorisation. Des vols nocturnes non identifiés y étaient signalés. Le démantèlement partiel de la Pizza Connection au milieu des années 1980 provoqua le début d’un travail de longue haleine de la part des forces de police américaine, canadienne, italienne, helvétique, vénézuélienne et brésilienne sur les réseaux de blanchiment mis en place à travers le monde par les familles des Cuntrera, Caruana et Vella, toutes originaires de la ville de Siculiana dans la province d’Agrigente. Ces trois familles « mineures » de Cosa Nostra, à l’écart des rivalités entre familles palermitaines et corléonaises, s’imposèrent dans les années 1960-1970 comme les spécialistes de la mise en place des filières de trafic d’héroïne puis de cocaïne, grâce à leurs liens avec le Canada et l’Amérique latine où une partie de la famille était partie s’installer. Dans les années 1980, les Caruana-Cuntrera mirent en place le réseau des sociétés nécessaires à la fois à l’acheminement de la drogue, à son paiement et au blanchiment de ses revenus : le premier réseau de la famille fut constitué principalement par des sociétés de négoce agro-alimentaire (Elongate Ltd, Ital Provisions Ltd et Fauci Continental Import Ltd). Dès 1974, un autre réseau de sociétés, beaucoup plus étendu, fut bâti entre Montréal et Caracas. Le blanchiment des revenus du trafic de stupéfiants était réalisé aux travers de compagnies relevant de secteurs aussi différents que l’immobilier, la construction, l’élevage, l’industrie agro-alimentaire, la fabrication de meubles, la décoration d’intérieur, les agences de voyage, l’exploitation pétrolière, les casinos, le traitement et la distribution d’eau, la distribution de gaz urbain, la vente de voitures, la fabrication de vêtements ou le commerce maritime. Contrairement aux autres familles siciliennes, les Caruana-Cuntrera n’hésitaient pas à s’associer avec des familles italo-américaines, comme celle de John Gambino à New-York, et sud-américaines. L’énorme capacité financière dégagée par le trafic de stupéfiants permettait d’obtenir des protections de haut niveau. Au Canada, les

en 1992, un commando fit irruption sur l’île par hélicoptère, et en 1994, le FLNC-Canal Historique procèda au mitraillage des façades du village. Lauricella fut contraint de faire appel à des bureaux d’études proches de Santoni pour que cessent les actions contre le complexe de Cavallo. D’autre part, 15 millions de dollars auraient également été versés à Santoni et à son mouvement et des membres de la mouvance autonomiste furent recrutés comme agents de sécurité. 49 Julien, alias Jules, Filipeddu, né le 10 février 1950 à La Maddalena Arzachanas (Sardaigne), de nationalité française, est le frère de François Filipeddu, né le 20 mars 1956 à Ajaccio et d’André-Noël Filipeddu, impliqués dans les affaires Carrefour du développement, VA/OM et du golf de Spérone (Corse du Sud).

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Caruana-Cuntrera parvinrent sans mal à s’attacher les services d’Alfonso Gagliano, originaire de Siculiana50, homme de confiance du Premier ministre canadien Jean Chrétien. En 1994, une enquête révéla que Gagliano avait servi de prête-nom à Agostino Cuntrera. En 2001, Gagliano était à nouveau sur la sellette pour avoir facilité la délivrance d’un visa à l’épouse de Gaetano Amedeo, homme d’honneur de Cosa Nostra51. Au Vénézuela, la collusion avec la classe politique fut encore plus flagrante puisque la famille de Siculiana pouvait compter sur l’appui affiché de Carlos Andres Perez, président de la République du Vénézuela et profita ainsi largement du programme de privatisation des années 197052. I.1.2.3. TROIS GRANDES FIGURES DE BLANCHISSEURS AU PROFIT DE COSA NOSTRA. D’extraction rurale, souvent peu éduqués, voire illétrés, la plupart des chefs mafieux n’étaient pas en mesure de gérer techniquement l’immense fortune que leur procurait le trafic de stupéfiants. Le placement et le blanchiment des fonds de Cosa Nostra devint ainsi rapidement l’affaire de spécialistes. Dans les années 1960-1980, trois célèbres figures de blanchisseurs illustrèrent à la fois la puissance économique et politique décuplée que procurait le trafic de stupéfiants en même temps que les vicissitudes de l’activité de conseiller financier de l’organisation mafieuse. Michele Sindona fut le premier et le plus flamboyant trésorier de Cosa Nostra. C’est lui qui scella les liens inextricables entre l’organisation mafieuse sicilienne et les institutions financières vaticanes. Plusieurs affaires récentes indiquent d’ailleurs que ces liens n’ont toujours pas été rompus53. C’est lui, encore, qui domina au début des années 1970 la place boursière milanaise avant de connaître une longue descente aux enfers. Roberto Calvi, autre banquier partagé entre ses accointances maçonniques, ses relations mafieuses et son implication dans les circuits financiers du Saint-Siège, eut une carrière au service de Cosa Nostra encore plus abrupte que Sindona. Licio Gelli, enfin, s’il ne fut pas à proprement parler un des financiers de Cosa Nostra, peut être qualifié de compagnon de route de l’organisation mafieuse et de trait-d’union entre Cosa Nostra et une partie de la classe politico-économique italienne et internationale.

50 Né en 1942. Député de Saint-Léonard (Québec) depuis 1984, président du Caucus libéral du Québec de 1988 à 1991, porte-parole du gouvernement fédéral canadien de 1993 à 1994, secrétaire d’Etat aux affaires parlementaires de 1994 à 1996, ministre du Travail de 1996 à 1997, ministre des Travaux publics de 1997 à 2000. 51 « Gagliano s’est enquis du dossier d’immigration d’un mafioso » André Cédilot et André Noël, La Presse, Montréal, mai 2001. 52 Les liens du sang. L’apogée et la chute d’une grande famille de la mafia, Nicaso et Lamothe, Editions de l’Homme, Montréal, 2001. 53 Au cours des années 1990, l’Istituto per le Opere di Religione (IOR) a été impliqué dans un trafic d’armes au profit d’une famille mafieuse de Catane et dans une tentative récente de détournement informatique de subventions européennes.

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Michele Sindona. Né le 8 mai 1920 à Patti, près de Messine en Sicile Michele Sindona, a fait ses études de droit à l’université de Messine (Sicile) après avoir été l’élève des Jésuites. En 1942, il parvient à éviter la conscription grâce à une intervention de Mgr Ameleto Tondini alors en poste à la Secrétairie d’Etat du Vatican. Dès 1943, il s’entremet dans le marché noir de la viande à Palerme, une activité traditionnellement monopolisée par les familles de Cosa Nostra. Suite au débarquement des alliés en juin 1943, Sindona s’immisce dans les circuits d’approvisionnement en vivres des forces armées. En 1944, il participe à des trafics d'armes depuis Palerme au profit des séparatistes italiens. Lucky Luciano, le célèbre parrain italo-américain, lui sert d’intermédiaire pour ses contacts avec l'U.S. Army. En 1946, il quitte la Sicile et part s’installer à Milan. D’abord employé par une petite société d’expertise-comptable, Michele Sindona devient rapidement un conseiller en placements et investissements reconnu dont les compétences sont rapidement mises à profit par ses anciennes relations d’affaires de Palerme. La famille mafieuse italo-américaine des Gambino l’utilise pour blanchir en Italie les dollars de ses trafics réalisés aux Etats-Unis. Fort de la confiance des Gambino, Michele Sindona fait partie le 2 novembre 1957 des convives invités à la réunion de l’hôtel des Palmes à Palerme, véritable sommet entre les familles de Cosa Nostra et leurs cousines implantées aux Etats-Unis. A cette occasion, Sindona se voit officiellement chargé du blanchiment des revenus du trafic d'héroïne entre la Sicile et les Etats-Unis. A lui désormais de gérer les bénéfices énormes générés par le trafic de stupéfiants. Dès le moi de mai 1959, sous couvert de la Fasco AG, une société-écran enregistrée au Liechtenstein, Sindona achète sa première banque : la Banca Privata Finanziara (BPF) de Milan, un petit établissement fondé en 1930 par un financier proche des fascistes, spécialisé dans les opérations d’évasion fiscale hors d’Italie. En 1961, il parvient à faire entrer au capital de la Banca Privata Finanziara le prestigieux Istituto per le Opere di Religione (IOR)54, qui gère pour le compte du Vatican les affaires financières des congrégations religieuses et des paroisses. L’IOR est devenu l'actionnaire majoritaire de la Banca Privata Finanziara de Sindona grâce à la recommandation de l'archevêque de Messine auprès de Monseigneur Giovanni Battista Montini, alors archevêque de Milan et futur pape Paul VI. Afin de s’assurer de la bienveillance de l’Eglise à son égard, Michele Sindona avait fait un don de plus de 2 millions de dollars pour la construction d'une maison de repos pour personnes âgées, la Casa della Madonnina, au profit de l’archevêché de Milan. Mgr Montini et Michele Sindona inaugurèrent ensemble l’établissement. A la suite de ce geste, Michele Sindona obtient la responsabilité des placements financiers du diocèse de Milan. Par l’entremise du cardinal Ameleto Tondini, Sindona est également présenté à Giulio Andreotti, chef de file de la Démocratie Chrétienne. Peu de temps après, 54 Fondé en 1887, l’Administration des Oeuvres des Religions fut transformé en 1942 en Istituto per le Opere di Religione (IOR) à l’initiative de Pe XII qui lui confia un rôle accru dans la gestion des avoirs mobiliers et immobiliers du Saint-Siège. En 1978, l’IOR gérait des actifs bruts supérieurs de plus de 1,2 milliards de dollars répartis sur environ 11 000 comptes dont seulement moins de 5 % appartenaient à des congrégations ou à des diocèses.

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Mgr Montini est élu Pape et nomma Michele Sindona au poste de conseiller financier du Vatican. En 1964, Sindona rachète la Banque de Financement de Lausanne (Finabank), qu’il rebaptisa par la suite Franklin Bank. Au conseil d’administration de cet établissement, Sindona fit cohabité des actionnaires comme le Vatican, la Hambros Bank de Londres et la Continental Illinois of Chicago, un établissement utilisé discrètement par la Central Intelligence Agency (CIA) pour réaliser les transactions nécessaires au financement des différents mouvements anti-communistes répartis à travers le monde. En février 1965, sur les conseils de Carlo Bordoni, l’ancien directeur de la filiale milanaise de la First National City Bank de New-York, Sindona débute également une activité de courtage monétaire international sous couvert de la société Moneyrex. En 1968, Sindona se porte acquéreur de la Banca Unione de Milan. Bien que l’IOR ne soit que minoritaire au capital de la Banca Unione, Sindona en profite pour resserrer les liens avec le Vatican en offrant le poste de président du conseil d’administration au cardinal Paul Claudius Marcinkus, un écclésiastique proche des milieux italo-américains de Chicago, devenu en 1971 le nouveau président de l’IOR. Surnommé à l’époque « le Requin », Sindona était déjà devenu l’étoile montante de la place boursière de Milan. En dépit de l’origine mystérieuse des liquidités qu’il injecte dans ses sociétés, on ne veut alors retenir de lui que sa frénésie de rachat d’établissements et ses liens étroits avec le Vatican. Rien ne semblait devoir résister à Michele Sindona : ces trois banques obtiennent d’être associées au capital des trois plus grandes banques publiques italiennes (la Banco di Roma, le Credito Italiano et la Banca Commerciale). En 1969, le Vatican décide de se défaire d’une partie de l’important patrimoine immobilier qu’il détenait en Italie. Paul VI confia à Sindona le soin de réaliser ces cessions avec l'appui de l'IOR et de l'APSA (Administration du Patrimoine du Saint-Siège)55. Fort de cette caution vaticane, Sindona obtient sans mal des lignes de crédits de la part de la place bancaire italienne. Ces opérations spéculatives scellent le sort de Sindona. Dès 1973, le représentant à Rome du Federal Bureau of Investigation (FBI) informe le Vatican de la participation de Sindona à des opérations boursières frauduleuses, réalisées en 1971 sous le couvert de l'IOR et avec la complicité de Mgr Paul Marcinkus. En 1974, les sociétés de Sindona croulent sous les dettes. La Franklin Bank fait faillite ainsi que la Banca Privata Finanziera. Des milliers de petits épargnants sont ruinés. Le scandale est énorme. Fort de ses contacts avec la Démocratie Chrétienne et le Vatican, Sindona cherche par tous les moyens à sauver son groupe : il use de ses relations auprès de Giulio Andreotti, alors Président du Conseil, de Cossiga, ministre de l’Intérieur, et de Stammati, ministre des Finances et membre de la loge maçonnique Propaganda Due (P2), pour tenter d’obtenir la prise en charge du renflouement de ses dettes par l’Etat. En 1977, il adresse même un ultimatum à Andreotti afin que

55 Présidé dans les années 1970 par le cardinal Villot, l’APSA gérait les biens mobiliers et immobiliers du Saint-Siège. A Rome, le Saint-Siège est par exemple propriétaire de plus de 5 000 appartements.

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cessent les différents instructions judiciaires engagées à son encontre. Sindona est condamné pour la faillite de la Franklin Bank mais laissé en liberté provisoire. Mis en examen pour banqueroute frauduleuse, Sindona est également suspecté d’avoir commandité en 1979 l’assassinat de Giorgio Ambrosoli, le liquidateur judiciaire désigné par les tribunaux pour s’occuper de la Banca Privata Italiana56. Au printemps 1979, le tribunal de Palerme inculpe Sindona de complicité de trafic de stupéfiants avec les parrains Stefano Bontate (Palerme) et John Gambino (New-York). Sindona panique. et menace de tout révéler. A l'automne, il est contraint de simuler un faux enlèvement pour tenter de se faire rembourser. Plusieurs personnes soutiennent discrètement Sindona afin de sauver ce qui pouvait l’être encore : les chefs mafieux siciliens Salvatore Inzerillo, Micelli Crimi, Salvatore Macaluso et Rosario Spatola, ainsi que Gaetano Piazza, membre de la loge P2, qui hébergera Sindona à Caltanisetta. En réalité, ces appuis occultes ne peuvent plus rien pour Sindona. Les fonds qu’il gérait proviennent pour la plupart des activités de trafic d’héroïne des familles palermitaines de Bontate et d’Inzerillo. Or ce sont précisément ces familles que les Corleonesi sont résolus à exterminer pour prendre le contrôle complet sur Cosa Nostra. La reprise en main par les Corleonesi est brutale : interpellé aux Etats-Unis et extradé vers l’Italie, Sindona est empoisonné à la strychnine dans sa cellule de la prison de Voghera le 22 mars 1986. Quelques mois auparavant, Boris Giuliano, le chef de la police de Palerme, et Cesare Terranova, le magistrat instructeur, chargés de l’affaire Sindona, ont été assassinés afin de clôre définitivement le dossier Sindona.

56 La Banca Privata Italiana résultait de la fusion en 1974 de la Banca Unione et de la Banca Privata Finanziara. Nommé liquidateur judiciaire de cette banque en 1974, Giorgio Ambrosoli avait accumulé depuis 1975 des informations sensibles sur les opérations financières réalisées par Michele Sindona.

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Roberto Calvi Né le 13 avril 1920 à Milan, Roberto Calvi est issu d’une famille originaire de Valtellina à proximité de la frontière helvétique. Après des études à l’université des sciences économiques de Bocconi à Milan et une campagne militaire sur le front russe pendant la seconde guerre mondiale, Roberto Calvi entre dans la banque en 1947. Il est recruté par la très catholique Banco Ambrosiano de Milan, surnommée la « Banque des Prêtres ». Pour devenir client de l’Ambrosiano, il fallait à l’époque être en mesure de présenter un certificat de baptême attestant de sa foi catholique. Dès le début des années 1960, Roberto Calvi entreprend de transformer à marche forcée la respectable institution bancaire diocésaine en une banque internationale, dotée de filiales et de succursales enregistrées dans des paradis fiscaux. Dans un premier temps, la Banco Ambrosiano prend le contrôle de la Banca del Gottardo, installée à Lugano dans le canton du Tessin en Suisse. En 1963, Calvi créé ensuite au Luxembourg la société Compendium, qui deviend la Banco Ambrosiano Holdings SA. En 1971, Roberto Calvi devient directeur général de l’Ambrosiano, date à laquelle il fait la connaissance de Mgr Paul Marcinkus et de Michele Sindona. La même année, il installe à Nassau aux Bahamas la Banco Ambrosiano Overseas Ltd qui accueille dans son conseil d’administration Mgr Marcinkus. En mars 1972, Calvi obtient le contrôle de la Banca Cattolica del Veneto. A partir du début des années 1970, Roberto Calvi lance la Banco Ambrosiano dans de complexes opérations financières de compensation inter-bancaire qui visaient à faire sortir le maximum de capitaux d’Italie vers les structures off-shore de la banque catholique. Dès 1974, la Banco Ambrosiano doit faire face à la crise boursière et monétaire. Roberto Calvi se lance alors dans des opérations illicites de soutien des cours de l’action de l’Ambrosiano par le biais de la société milanaise Suprafin SA. Entre 1974 et 1978, cette société rachète inlassablement les titres de l’Ambrosiano. Officiellement contrôlée par deux autres sociétés enregistrées au Liechtenstein, la Teclefin et l’Imparfin, Suparfin était en fait une société-écran dont Calvi était l’unique actionnaire et qu’il finançait par la souscription d’emprunts auprès de l’Ambrosiano. En 1977, Roberto Calvi est placé dans une situation très inconfortable. Entraînée dans des transactions suspectes, la Banco Ambrosiano est contrainte de couvrir à fonds perdus deux débiteurs particulièrement gênants : d’un côté, Michele Sindona et ses créanciers mafieux, de l’autre, Licio Gelli et sa clientèle de la P2. A partir de 1978, la Banque d’Italie commence à enquêter sur les opérations suspectes menées par la Banco Ambrosiano. Calvi est contraint d’opérer des virements et des transferts financiers massifs vers des sociétés enregistrées au Nicaragua et au Pérou (ouverture de la Banca Ambrosino Andino en 1979). A la fin de l’année 1979, Calvi avait accumulé plus de 500 millions de dollars de dettes mais parvenait encore à tenir à distance la Banque d’Italie. En janvier 1980, la Banco Ambrosiano de America del Sud ouvre ses portes à Buenos Aires.

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Le 18 juin 1982, le corps de Roberto Calvi est découvert pendu sous le pont des Black Friars à Londres. Quelques heures auparavant, la secrétaire personnelle de Roberto Calvi venait d’être défénestrée depuis le 4e étage de la Banco Ambrosiano. Le 2 octobre 1982, Giuseppe Dellacha, directeur de la la Banco Ambrosiano, était à son tour « suicidé » depuis une fenêtre du siège de la banque à Milan. Comme put l’établir par la suite l’enquête du magistrat italien Otello Lupacchini, Roberto Calvi fut étranglé par Vincezo Casillo57, un membre de la Camorra agissant sur les ordres de Francesco Di Carlo58, homme d’honneur de Cosa Nostra et ancien chef de la famille d’Altofonte, impliqué dans le trafic de stupéfiants et exilé au Royaume-Uni depuis 1979. En mai 1982, une rencontre se serait tenue en Sardaigne entre l’homme d’affaires sarde Flavio Carboni59, Vincenzo Casillo et un représentant de l’Istituto per le Opere di Religione (IOR) pour décider du sort de Roberto Calvi. A l’issue de cette réunion, Flavio Carboni aurait pris contact avec Francesco Di Carlo pour commanditer le meurtre du banquier italien. Quelques jours avant sa mort, ce dernier cherchait toujours à recouvrir auprès de l’IOR plus de 400 millions de dollars que Mgr Paul Marcinkus avait promis de commencer à rembourser à compter du 30 juin 1982. Le 5 juin 1982, Roberto Calvi eut l’imprudence d’adresser un courrier directement au Saint-Père, menaçant de révéler les pratiques occultes de financement de partis politiques et de mouvements anti-communistes à travers le monde couvertes par les institutions financières vaticanes. Une semaine plus tard, Calvi était assassiné à Londres. Par l’intermédiaire de Mgr Pavel Hnilica, prélat d’origine tchèque, le Vatican déploiera par la suite tous ses efforts pour racheter à la Mafia les documents récupérés dans les bureaux de Roberto Calvi par ses assassins. Sur l’insistance de son fils, Carlo Calvi, l’enquête sur les circonstances de la mort du banquier se poursuivit une vingtaine d’années. En mai 2002, après une nouvelle autopsie du corps de Roberto Calvi, un groupe d’experts en médecine légale dirigé par le professeur allemand Bernd Brimkmann rendit ses conclusions définitives. La thèse de l’homicide fut largement confortée et l’hypothèse du suicide définitivement écartée.

57 Membre de la Camorra, Vincezzo Casillo décéda en 1983 suite à l’explosion criminelle de sa voiture. 58 En 1987, Francesco Di Carlo fut interpellé dans le cadre d’une enquête commune à Scotland Yard, la Gendarmerie Royale du Canada, la DEA et le FBI sur un filière de trafic d’héroïne entre la Thaïlande, le Pakistan, le Canada et le Royaume Uni. Francesco Di Carlo fut condamné dans cette affaire à 25 ans de prison. Di Carlo fut interrogé au Royaume Uni par Antonino Cassarà, adjoint au chef de la police de Palerme. Trois jours après son retour à Palerme, Cassarà fut assassiné par les Corleonesi. 59 D’origine sarde, Flavio Carboni était un ami de Pippo Calo, chef de la famille palermitaine de Porta Nuova et chargé d’importantes opérations de blanchiment de fonds issus du trafic d’héroïne.

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Licio Gelli Né le 21 avril 1919 à Pistoia, Licio Gelli quitte l’école à l’âge de 15 ans pour rejoindre quelques mois plus tard, sous le pseudonyme de Livio Gommina, la division italienne des Chemises noires qui partait combattre en Espagne pour soutenir l’armée du général Franco. Anti-communiste virulent, Licio Gelli combat par la suite en Albanie avant de devenir à l’automne 1943 officier de liaison du régime de Salo auprès des Allemands avec rang de sous-lieutenant dans la Waffen S.S. Au cours de cette période, Gelli aurait subtilisé à son bénéfice personnel une partie des trésors nationaux de Yougoslavie, cachés dans la ville italienne de Cattaro. En 1944, inquiet de la tournure des événements, Gelli fuit la Toscane et facilite l’évasion de résistants communistes, auxquels il fournit également des armes. Ce revirement tardif lui permet d’obtenir d’Italo Carobbi, le président communiste du Comité de Libération Nationale (CLN) de Pistoia, un sauf-conduit qui lui fut utile au moment de l’épuration. Quelques semaines avant la fin du conflit, Gelli devient également un agent du Counter Intelligence Corps, le service militaire de contre-espionnage de la Ve Armée Américaine. Arrêté par les Carabiniers en septembre 1945, Gelli est amnistié en dépit de ses activités de collaboration avec les nazis et le régime fasciste. Il est alors recruté comme le secrétaire de Tomolo Diecidue, député de la Démocratie Chrétienne et responsable important de la franc-maçonnerie italienne. Agent de la nouvelle Central Intelligence Agency (CIA), Gelli profite de son retour à la vie civile pour mettre en place une filière d’évasion pour les anciens nazis qui cherchent à fuir vers l’Amérique latine. Pour couvrir ses activités clandestines, il achète une librairie. A cette époque, la police italienne le décrit comme proche à la fois de la Démocratie Chrétienne, du Parti Monarchiste et du Mouvement Social Italien (MSI). En 1954, il part pour l’Argentine et devient un proche conseiller du général Juan Peron. Suite au coup d’Etat militaire de 1956 qui destitue Peron, Licio Gelli se rapproche de la nouvelle junte tout en continuant de servir d’informateur aux services soviétiques et roumains. Il développe alors un réseau de contacts et de relations étoffé au Paraguay, au Brésil, en Bolivie et en Colombie. Ayant acquis la nationalité argentine, Gelli n’en continue pas moins de faire des affaires en Italie. Directeur des relations publiques de la société de fabrication de matelas Permaflex, il fait fortune en 1962 en obtenant pour cette société un très important contrat de la part de l’OTAN grâce à l’intervention de son ami, Giulio Andreotti. Il occupe également des fonctions de direction dans la société toscane Remington Trand. Parmi les membres du conseil d’administration de cette société figurent le financier sicilien Michele Sindona. En novembre 1963, sur la recommandation du Grand Maître Adjoint, Roberto Ascarelli, Licio Gelli est initié dans une loge du Grand Orient d’Italie où il obtient rapidement le 3e degré de Maître qui lui permet de postuler à la direction d’un atelier. En décembre 1965, le Grand Maître Giordano Gamberini initie Licio Gelli au sein de la loge P2. Inspirée de la dénomination d’une loge du XIXe siècle, la P2 est une loge dite « couverte » du fait de son caractère de stricte clandestinité. Elle est

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également utilisée comme un lieu de rencontre entre maçons italiens et américains. En 1971, Licio Gelli prend le contrôle complet de la P2 en devenant le secrétaire exécutif de cette loge. Dès 1972, Licio Gelli change le nom de la loge qui devient la Raggruppamento Gelli-Propaganda Due (P2). Une autre loge secrète, Giustizia e Liberta, fondée en 1973 fut associée à la nouvelle P2, qui prenait une importance croissante dans les cercles dirigeants administratifs, militaires et policiers italiens. Très vite, la P2 devient une loge incontournable pour les milieux anti-communistes : industriels, haut-fonctionnaires, magistrats et militaires s’y bousculent. Le Grand Orient d’Italie s’inquiète de cette montée en puissance trop rapide et tente, lors du convent de la Grande Loge de Naples en décembre 1974, de scinder la P2 pour l’affaiblir. Licio Gelli parvient à contrecarrer cette initiative et obtient le 12 mai 1975 la reconnaissance définitive de la P2. Entre 1974 et 1981, Licio Gelli et la P2 sont au faîte de leur puissance. Outre l’Italie, la P2 tisse sa toile en Uruguay, au Brésil, au Vénézuela, aux Etats-Unis, en Suisse et en Roumanie. Au cours des années 1970, le passé trouble de Licio Gelli, notamment sa collaboration présumée avec les services secrets roumains60, et l’implication de plus en plus forte des membres de la P2 dans des opérations de subversion politico-mafieuse, attirent progressivement l’attention de la justice italienne. Le 10 juillet 1976, le magistrat Vittorio Occorsino, qui enquête sur les connections entre la loge P2 et Cosa Nostra, est retrouvé assassiné. Rétrospectivement, l’influence occulte de la P2 fut avancée comme explication pour un grand nombre d’affaires restées inexpliquées des années 1970-1980 : les attentats du train Italicus, de Bologne, d’Ustica, de la Plazza Fontana et de l’express 904, les homicides de Roberto Calvi, de Mimo Pecorelli, d’Olof Palme et de Semerari, la tentative de coup d’Etat de Valerio Borghese, le renversement de Salvadore Allende en Argentine, les activités illicites des réseaux Gladio, le faux enlèvement de Michele Sindona, l’échec des négociations avec les Brigades Rouges pour la libération d’Aldo Moro, les enlèvements de Bulgari, Ortolani, Amedeo, Danesi et Amati, les relations avec la bande mafieuse romaine de la Magliana, etc ... A la fin des années 1980, Licio Gelli sert de blanchisseur dans la capitale romaine pour le compte à la fois de Giuseppe (Pipo) Calo, chef de la famille palermitaine de Porta Nuovà, de Francesco Madonia et de Salvatore Riinà. La majeure partie de ces fonds transite par les filiales de la Banco Ambrosiano de Roberto Calvi61. Le 17 mars 1981, au cours d’une perquisition au domicile de Licio Gelli à Arezzo, dans le cadre de l’instruction sur la faillite des banques de Michele Sindona, les enquêteurs obtiennent une liste de 962 membres de la P2 parmi lesquels figurent plus de 50 généraux et amiraux, la plupart des chefs des services secrets italiens, deux ministres en fonction à l’époque, des industriels (dont Silvio Berlusconi), le directeur du Corriere della Sera et plusieurs de ses journalistes, 36 parlementaires, des artistes de variété, des prélats et des officiers de police. Cette liste ne comportait toutefois pas l’ensemble des membres de la P2 qui compterait en réalité entre 1 500 et 2 000

60 « Ceausescu a fost imbrodit de masonerie prin Propaganda Due », par Viorel Patrichi, in Lumeam, N°4, 2000, Bucarest. 61 « Les assasins du banquier Roberto Calvi », p. 168, in L’Europe des parrains, par Fabrizio Calvi, Grasset, Pari, 1993.

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adhérents (la cotisation annuelle pour ces derniers était fixée à 25 000 dollars par an). A la suite de cette découverte une commission d’enquête parlementaire italienne, présidée par Tina Anselmi, fut mise en place et prononça le 9 décembre 1981, la dissolution officielle de la P2. Réfugié depuis 1981 en Amérique latine, Licio Gelli revient discrètement en Italie pour tenter de négocier l’acquisition de missiles AM-39 Exocet pour le compte de l’Argentine, alors en pleine guerre des Malouines. Il s’agissait en réalité d’une provocation organisée par les services secrets britanniques. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Gelli est interpellé le 13 mars 1982 alors qu’il s’apprête à se rendre à l’Union des Banques Suisses (UBS) de Genève. L’Italie réclame son extradition mais le 10 août 1983, Gelli parvient à s’évader de la prison helvétique du Champ Dollon et se réfugie en Uruguay. Le 21 septembre 1987, de retour en Suisse, Gelli est à nouveau interpellé et cette fois extradé vers l’Italie le 17 février 1988. Les autorités judiciaires italiennes décident de le placer en résidence surveillée à son domicile de Santa Maria delle Grazie à Arezzo. En novembre 1991, Gelli est renvoyé devant le tribunal de Rome pour des faits de corruption aggravée. Le procès dure d’octobre 1992 à février 1994. Le 16 avril 1994, Gelli est reconnu coupable et condamné à 17 années de prison. Les avocats de Gelli font aussitôt appel. Entre temps, en décembre 1993, Charles Poncet62, un très influent avocat d’affaires genevois, membre du parti libéral, est inculpé par la justice milanaise pour complicité de blanchiment au profit de la P2 et de Licio Gelli63. Suite aux révélations de Christopher Delaney, un expert-comptable de Jersey, Charles Poncet est suspecté avoir réalisé en 1991 de faux documents concernant des ventes fictives d’œuvres d’art servant à dissimuler le virement de 10 millions de dollars des comptes bancaires helvétiques de Licio Gelli vers ceux de Marco Ceruti, un financier italo-brésilien également membre de la P2. En avril 1992, Ceruti avait déjà été condamné par contumace à 9 mois et demi de prison dans le cadre de l’affaire de la faillite de la Banco Ambrosiano. Dominique Poncet, le frère de Charles Poncet, est par ailleurs connu en Suisse pour avoir été l’avocat de Licio Gelli64. Le 19 octobre 1999, la Cour européenne des droits de l’homme rend son jugement concernant une requête en poursuite abusive de procédure pénale soulevée en 1997 par les avocats de Licio Gelli65 contre l’Etat italien. Défendu par Me Michele Gentiloni Silverj, un avocat romain, Licio Gelli obtient plusieurs millions d’Euros de dédommagements. Le 6 décembre 2000, Licio Gelli est hospitalisé dans le service du professeur Fabbrucci à l’hôpital de Santa Maria Annunziata de Firenze pour un ulcère grave à l’estomac66. Dans le même temps, sa résidence sur la Côte d’Azur est mise en vente. 62 Charles Poncet est actuellement avocat de l’une des parties impliquées dans le procès du Fondo (FSCE), un petit établissement financier ayant servi au financement du Parti Républicain français. 63 Le Nouveau Quotidien, 15 janvier 1995. 64 « Affaire Geli : Charles Poncet inculpé à Milan », par Paolo Fusi et Alain Maillard, in L’Hebdo du 6 janvier 1994. 65 Requête N°37752/97 et sentence du 19 octobre 1999. 66 « Gelli operato d’urgenza a Firenze », Quotidiano, 6 décembre 2000.

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En février 2001, une enquête du journal La Tribune du Mont-Blanc67 dénonce les activités d’un des fils de Licio Gelli, placé à la tête d’une ONG appelée Agence des cités unies pour la coopération Nord-Sud, inscrite parmi les organisations admises à siéger à la 57e session de la commission des droits de l’homme à Genève du 19 mars au 27 avril 2001. Domicilié au technoparc de Saint-Genis-Pouilly dans l’Ain, cette ONG aurait été enregistrée en Suisse en 1984. Présidée jusqu’à son décès par Henry Blandier68, un ancien collaborateur proche de la mouvance templière, l’Agence des cités unies pour la coopération Nord-Sud servait en réalité depuis plusieurs années de couverture pour les activités d’anciens franquistes et d’opposants cubains. En 1997, le gouvernement cubain avait d’ailleurs réclamé l’exclusion de l’agence d’Henry Blandier de la liste des ONG bénéficiant d’un statut consultatif auprès du conseil économique et social des Nations unies. A partir de 1999, l’Agence fut progressivement reprise en mains par Raffaelo et Maria Gelli, le fils et la belle-fille du Grand Maître Licio Gelli. Interdit de séjour à Monaco, Raffaelo Gelli cherchait avec l’aide de l’ONG d’Henry Blandier à obtenir un semblant de statut diplomatique lui facilitant ses déplacements. Son frère, Maurizio Gelli, s’était vu impliquer dans une affaire de blanchiment d’argent survenu à Vienne en Autriche.

67 La Tribune du Mont-Blanc, 31 février 2002, Alain Jourdan et Olivier Annequin. 68 Né en 1915 à Lyon, Henry Blandier, alias Bandelair, a été collaborateur du régime de Vichy pendant l’occupation. En 1962, depuis Madrid, il a apporté son aide aux réseaux de l’OAS. Contraint à l’exil, il revient en France en 1979 et s’installe à Ferney-Voltaire (Ain), à proximité immédiate de la ville de Genève. Proche de la mouvance templière, il préside le Conseil International de Recherche Culturel et Spirituel (CIRCES), une couverture utilisée par l’Ordre Rénové du Temple (ORT) dirigé par Julien Origas, un ancien milicien. En 1982, il est exclu de la Fédération mondiale des villes jumelées à la suite de l’élection de Pierre Mauroy à la présidence de cette association. Henry Blandier en profite pour créer l’Agence des Cités Unies pour la Coopération Nord-Sud et le 1er janvier 2000 parvient à faire accréditer par les Nations unies Raffaelo et Marta Gelli, le fils et la belle-fille de Liccio Gelli, par le biais de son Agence. Henry Blandier est décédé le 27 février 2001 à l’âge de 86 ans. Depuis cette date, Raffaelo Gelli est le président exécutif de l’ Agence des Cités Unies pour la Coopération Nord-Sud.

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I.1.2.4. LE CAS DE SILVIO BERLUSCONI : PROXIMITE OU COLLUSION AVEC COSA NOSTRA ? Interrogé le 21 mai 1992 par le journaliste français Fabrizio Calvi69, sur les liens entre le mafieux Vittorio Mangano et l’entourage de Silvio Berlusconi, le juge Paolo Borsellino considéra comme probable l’instrumentalisation de Silvio Berlusconi par les familles mafieuses siciliennes. Il s’en expliquait ainsi :

« Au début des années 1970, Cosa Nostra s’est transformée elle aussi en une sorte d’entreprise. Grâce à des infiltrations de plus en plus importantes, elle a acquis le monopole du trafic de stupéfiants. Cosa Nostra a commencé alors à gérer une masse de capitaux considérable ... une masse considérable de capitaux pour lesquels elle a cherché un débouché, car ils étaient en partie exportés ou déposés à l’étranger. C’est ainsi que s’explique la proximité des représentants de Cosa Nostra et de certains financiers qui s’occupaient de ces mouvements de capitaux [...] Il est normal que les détenteurs de grosses quantités d’argent recherchent des instruments pour employer cet argent, aussi bien pour le blanchir que pour le faire fructifier.70 »

Deux jours après cette entrevue, le juge Giovanni Falcone était assassiné. Moins de deux mois plus tard, le 19 juillet 1992, Borsellino était à son tour exécuté devant son domicile à Palerme. A la veille de l’élection de Silvio Berlusconi à la Présidence du Conseil italien, une polémique particulièrement violente éclata sur l’origine de la fortune du Cavaliere et sur les nombreuses poursuites judiciaires dont il faisait l’objet71. On lui reprocha notamment les conditions dans lesquelles ses sociétés finançèrent leur développement à la fin des années 1970 au moyen d’injections massives de liquidités de provenance inconnue. Plusieurs autres indices indiquent à tout le moins une proximité ancienne entre l’homme d’affaires milanais et des membres de Cosa Nostra. Interwievé en 1985 par Nick Tosches, un journaliste du New-York Times, Michele Sindona indiqua que deux établissements bancaires étaient utilisés pour les transferts de fonds de Cosa Nostra : il s’agissait de la Banco di Sicilia, l’un des grandes banques de Sicile, aujourd’hui propriété du groupe financier Banca Sella, et de la Banca Rasini72, un petit établissement bancaire, propriété de Carlo Rasini, installé piazza dei Mercanti à Milan. Parmi les collaborateurs de cette banque figurait Luigi Berlusconi, le père du futur homme d’affaires et président du conseil italien. Or c’est précisément 69 Ancien militant d’extrême-gauche, Fabrizio Calvi, de son vrai nom Jean-Claude Zagdoun, fut journaliste à Libération (1976-1981) puis correspondant en Italie du Matin de Paris. 70 Cité pp.51-52, in L’odeur de l’argent, Elio Veltri et MarcoTravaglio, Fayard, 2002. 71 Depuis le milieu des années 1980, 14 procédures judiciaires ont été engagés à l’encontre de Silvio Berlusconi pour faux témognage (loge P2), corruption de la Garde des Finances, financement illégal du PSI de Bettino Craxi (All Iberian 1), faux bilan (All Iberian 2), faux bilan (Medusa Cinematografica), fraude fiscale (Terrains de Macherio), corruption de magistrats (Affaire Lodo Mondadori), corruption de magistrats (Affaire SME-Ariosto), faux bilan (Affaire Lentini), faux bilan (Fininvest), concussion (contrats publicitaires), corruption (versement de pots-de-vin à l’administration fiscale), complicité d’attentats (dénonciations des repentis) et fraude fiscale (Affaire Telecinco). 72 Les actifs de la Banca Rasini ont depuis été rachetés par la Banca Popolare di Lodi.

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avec l’aide de la Banca Rasini que Silvio Berlusconi finança un partie de la croissance de son groupe à ses débuts. Lors de l’opération policière « Saint Valentin » déclenchée à Milan le nuit du 14 février 1983, plusieurs chefs mafieux furent interpellés (notamment les frères Bono, Gaetano Fidanzati, Vittorio Mangano et Ugo Martello). La plupart d’entre eux était titulaire d’un compte à la Banca Rasini. Dans l’entourage immédiat de Silvio Berlusconi figurèrent également plusieurs hommes d’honneur, pour la plupart introduits auprès de Berlusconi par son ami et secrétaire personnel Marcello Dell’Utri. Né en 1941 à Palerme, Dell’Utri entra au service de Berlusconi en 1973 lorsqu’il quitta son emploi à la Caisse d’Epargne de Belmonte Mezzagno en Sicile pour rejoindre Berlusconi à Milan. En 1977, Marcello Dell’Utri s’éloigna de Berlusconi pour partir s’occuper du groupe de Filippo Alberto Rapisarda, un sicilien né en 1931, originaire de Sommantino près de Caltanisetta, président de la holding Inim, utilisée par les familles palermitaines pour leurs opérations de blanchiment de fonds. A cette époque, Berlusconi était placé dans une situation financière délicate due au gel d’un certain nombre de ces projets de construction et à des problèmes d’emprunts bancaires. Après la faillite frauduleuse de la société de Rapisarda, Marcello Dell’Utri revint en 1980 au service de Silvio Berlusconi et devint le directeur de Publitalia 80, l’agence publicitaire du groupe de Berlusconi. Entre temps, entre 1978 et 1979, le groupe de Berlusconi avait été largement recapitalisé. En 1980, Marcello Dell’Utri fut mis en examen en raison de ses relations mafieuses. L’affaire fut classée en 1989 par le juge Giorgio Della Lucia. Dans les années 1990, ce magistrat fut par la suite mis en examen pour corruption. Il avait perçu des fonds de Rapisarda pour étouffer l’affaire Dell’Utri. En 1995, Marcello Dell’Utri fut à nouveau mis en examen dans le cadre d’une affaire de fausses factures de Publitalia. Lors de la perquisition de son bureau, les policiers relevèrent une correspondance professionnelle entre Dell’Utri et le mafieux Vittorio Mangano. Proche de Vito Ciancimino, Marcello Dell’Utri a été un des principaux artisans de la création de Forza Italia à l’été 1993. Vers 1974-1975, sur la recommandation de Dell’Utri73, Berlusconi embaucha Vittorio Mangano74 comme palefrenier pour les écuries de sa villa San Martino à Arcore près de Milan. Mangano avait été recommandé à Dell’Utri et Berlusconi par Gaetano (Tanino) Cinà, homme d’honneur de la famille de Malasapina75. Né le 18 août 1940 à Palerme, Vittorio Mangano était en réalité membre de la famille palermitaine de Porta Nuovà, dirigée par Giuseppe (Pipo) Calo et constituait pour Berlusconi une sorte de garantie pour protéger sa famille des tentatives d’enlèvement en même temps qu’un trait d’union entre l’industriel milanais et l’organisation criminelle sicilienne. Mangano resta plusieurs années au service de Berlusconi. Prétendûment 73 Selon, Mangano, Dell’Utri a fait sa connaissance à la fin des années 1960 au club de foot de l’Arenella à Palerme. 74 L’Intoccabile, Leo Sisti, Milan, Ed. Kaos, 1997. 75 Né en 1930 à Palerme, Gaetano Cinà était lié à Mimmo Teresi, bras-droit du parrain Stefano Bontate. Son épouse était une Citarda, une puissante famille mafieuse qui dirigea un temps la famille de Maspina à laquelle appartinrent des personnalités comme le repenti Francesco Marino Mannoia et le député Salvo Lima.

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licencié en 1976, Mangano serait en fait resté jusqu’en 1986 dans l’entourage immédiat de Berlusconi. De retour en Sicile, Mangano devint le chef de la famille de Porta Nuovà à la suite de l’arrestation de Pipo Calo. Il fut par la suite interpellé et condamné pour un double meurtre, association mafieuse et trafic de drogue. Il est décédé au cours de l’été 2000. Dans les années 1970, d’autres témoignages, en particulier de Francesco Di Carlo, chef de la famille d’Altofonte de 1974 à 1978 et commanditaire de l’assassinat de Roberto Calvi, font état de rencontres entre Silvio Berlusconi, Marcello Dell’Utri et les mafieux Gaetano Cinà, Mimmo Teresi et Stefano Bontate via larga à Milan au siège d’Edilnord, une des sociétés du groupe de Berlusconi. Salvatore Cancemi, un repenti, proche de Mangano, déclara même que plusieurs mafieux en fuite, condamnés par contumace, trouvèrent refuge dans les années 1970 dans la propriété de Silvio Berlusconi, notamment les frères Nino et Gateano Grado, Giuseppe Contorno et Francesco Marafa, pour la plupart proches de la famille palermitaine Santa Maria di Gesù. A la fin des années 1990, le repenti Salvatore Cancemi affirma que des membres du groupe Fininvest de Silvio Berlusconi versaient périodiquement des sommes conséquentes à Cosa Nostra destinés à protéger les émetteurs télévisés de Silvio Berlusconi en Sicile. Ces installations étaient situés sur le territoire mafieux de Raffaele Ganci. Toujours selon Cancemi, Salvatore Riinà se serait employé dès 1990-1991 à entretenir une relation directe avec les dirigeants de la Fininvest, écartant ainsi définitivement Mangano de son rôle d’intermédiaire. L’objectif était de négocier les modalités d’un très important projet de rachat immobilier qu’envisageait la Fininvest dans les vieux quartiers de Palerme. A l’audience du 22 octobre 1999, Cancemi ira même jusqu’à affirmer que Riinà avait rencontré au moins une fois Berlusconi et Dell’Utri pour négocier l’abrogation de la loi sur les repentis. Au mois d’avril 2000, les doutes sur les origines des financements du groupe de Silvio Berlusconi furent largement étayés par le travail d’enquête réalisé par Francesco Paolo Giuffrida, fonctionnaire de la Banque d’Italie, à la demande du parquet de Palerme dans le cadre de l’instruction judiciaire engagée par la DDA contre Marcello Dell’Utri. Le rapport de Giuffrida, confirmé par un second rapport de contre-expertise réalisé par la DIA, se concentra sur la provenance de près de 970 millions d’Euros injectés dans les sociétés Holding Italiana 1 à 22, à l’origine de la formation du groupe de Silvio Berlusconi à la fin des années 1970. Ces deux rapports démontrèrent l’extrême opacité des 38 holdings constitutives du groupe de Berlusconi. La plupart des très nombreuses augmentations de capital des sociétés de Berlusconi était en effet réalisée par le versement de liquidités. Entre 1977 et 1978, il fut par exemple noté l’injection en 28 versements d’importantes liquidités représentant un montant total de 32 millions d’Euros visant à renflouer deux sociétés importantes du groupe, la SAF et la Servizio Italia. Au cours des années 1978-1985, le flux d’argent qui a transité sur les comptes des 22 holdings Italiana dans la plus grande opacité aurait dépassé 1,7 milliard d’Euros. Sur ce montant, plus d’1 milliard d’Euros sont de provenance inconnue. A partir de 1985, disposant de tout l’appui du président du conseil Bettino Craxi qu’il avait largement contribué à financer à Milan,

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Berlusconi n’eut plus besoin de cette mécanique financière étrange et reçut le soutien massif de la place bancaire italienne (Cariplo, Comit, Banca di Roma, Credito Italiano) pour continuer à financer l’expansion à crédit de son groupe, notamment dans le secteur audiovisuel. Une des hypothèses avancées fut que les liquidités injectées dans le groupe de Berlusconi provenaient en réalité du trésor de guerre accumulé par la P2 en Suisse. L’une des banques partenaires de Berlusconi à cette époque, était la Banca Nazionale del Lavoro (BNL), établissement bancaire considéré comme le plus profondément infiltré par les piduistes. Son président, le socialiste Nerio Nesi, fut d’ailleurs l’un des membres éminents de la loge P2. Or, c’est la BNL qui contrôlait les deux fiduciaires à l’origine de la création de la Fininvest et qui resta l’une des banques les plus généreuses à l’égard du groupe en dépit de son endettement massif.

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I.2. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CAMORRA I.2.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA CAMORRA La Camorra est active dans pratiquement tout le spectre d’activités illégales envisageable : usure, contrebande de cigarettes, trafics de stupéfiants, détournements des fonds de l’Union Européenne, extorsion de fonds, proxénétisme, rapts et enlèvements, importation clandestine de viandes, trafics d’armes, monopole clandestin du marché du ciment, trafics de déchêts, contrefaçon, filières d’immigration clandestine. Les revenus actuels des clans camorristes tirés de ces diverses activités sont estimés à plus d'1 milliard d’Euros par an. Maria Licciardi, 51 ans, arrêtée en juin 2001 par la police italienne76, est l’illustration de cette polyvalence criminelle. Suite à l’arrestation de ses deux frères camorristes, Maria Licciardi avait repris à son compte l’ensemble des activités du clan jusqu’à son interpellation : elle dirigeait simultanément des activités relevant du proxénétisme, du trafic de stupéfiants, de la contrebande de cigarettes et de l’extorsion de fonds. Maria Licciardi était la sœur aînée de Gennaro Licciardi, important chef mafieux camoriste, décédé de mort naturelle en prison en 1994. I.2.1.1. LE TRAFIC DE STUPEFIANTS En juin 1995, un groupe de trafiquants de stupéfiants, implanté à Rio de Janeiro, fut identifié comme le fournisseur en cocaïne de la Camorra de Forcela (un des quartiers de Naples). La distribution de cette cocaïne était assurée à Naples par les frères Carmine, Luigino et Salvatore Giulano, propriétaires de la discothèque Cachassa, fréquentée par les footballeurs professionnels du club de Naples, des artistes et des hommes d’affaires. Fiancé de l’actrice Gioia Tibiletti, connue sous le nom de Gioia Scola et qui fut mise en examen dans cette affaire, Paolo Berlusconi77, frère de Silvio, fut suspecté d’être un client régulier de ce club. En septembre 1997, les policiers italiens démantelèrent dans la région des Abruzzes une raffinerie clandestine de cocaïne, tenue par quatre chimistes colombiens Nepomucento Carvajal Bohorquez, Efrain Vivas Vargas, William Cuadrado Castellanos et Vincente Vivas Vargas78. Installée dans une villa de Pescara, sur la côte adriatique, cette installation était utilisée pour approvisionner des membres de la Camorra, de la ‘Ndrangheta et de la Sacra Corona Unita. Selon la police italienne, ce laboratoire permettait de fournir chaque semaine une centaine de kilos de cocaïne d’une valeur estimée entre 12 et 14 millions de dollars. Les chargements de drogue étaient dissimulés dans des containers à ordures. 76 Dépêche AFP du 15 juin 2001. 77 Le 12 juillet 2002, Paolo Berlusconi a été condamné à 1 an de prison pour abus de biens sociaux. Il était accusé de corruption, de détournements de fonds, et de faux en écriture dans le cadre d’une enquête sur la gestion d’une décharge régionale à Milan. Il a été laissé en liberté contre le versement d’une amende de 49 millions d’Euros. (AFP Rome). 78 Dépêche AFP du 12 septembre 1997.

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Au cours du mois d’avril 2001, la lutte pour le contrôle du trafic de stupéfiants à Naples a entraîné de violents combats entre le clan Ascione, dirigé par Costanzo Calcagno, né en 1954, et celui de Giovanni Birra. Le 17 avril, Costanzo Calcagno était assassiné de huit balles alors qu’il jouait aux cartes dans un centre de loisirs catholique. En juin 2001, c’était au tour des clans Viascino et Pesacana-Annunziata de s’affronter pour le contrôle de la zone de Boscoreale dans la banlieue de Naples. Le 10 juin 2001, Andrea Cirillo, né en 1963, et Carlo Varone, né en 1974, étaient abattus en pleine rue à Boscoreale alors qu’ils conduisaient une moto79. Le 4 mai 2001, en Espagne, Antonio Bianco (dit Cerasella) était interpellé et écroué pour association mafieuse et trafic de stupéfiants80. Chef du clan Baratto de la Camorra napolitaine, auteur et commanditaire de nombreux homicides, Bianco et son clan se livraient aux extorsions de fonds, à l’organisation de loteries clandestines et au trafic de stupéfiants. I.2.1.2. LA CONTREBANDE DE CIGARETTES Au cours de l’année 2000, la Guardia di Finanza a constaté une augmentation de 86 % des ventes de marques étrangères de cigarettes importées clandestinement à Naples et dans sa région. En 1997, la vente de cigarettes de contrebande en Italie représentait un chiffre d’affaires estimé à plus de 7 milliards d’euros et portait sur un volume de marchandises d’environ 90 000 tonnes de cigarettes. Avec la ‘Ndrangheta, la Camorra est l’une des organisations criminelles la plus impliquée dans la contrebande de cigarettes (Conttrabando di Tabacchi Lavorati Esteri T.L.E.)81. A Naples, on estime couramment que 200 000 personnes, soit 20 % de la population, vivent du trafic des cigarettes de contrebande. Cette activité, aux bénéfices largement mais très inéquitablement partagés, permet à la Camorra de se prévaloir d’une utilité sociale dans des quartiers populaires napolitains ravagés par le chômage (38 % de sans emploi parmi les jeunes). En 1993, la municipalité napolitaine avait tenté de mettre un frein à ce trafic : elle avait aussitôt dû faire face à des manifestations importantes pour la défense de la contrebande de cigarettes, principale source de revenus de nombreuses familles pauvres napolitaines82. L’organisation criminelle napolitaine s’implique à tous les niveaux de ce trafic particulièrement rémunérateur. Par le biais de cette activité, les clans camorristes gardent à la fois le contrôle sur la petite délinquance de rue, qui assure la distribution locale et la revente au détail, en même temps qu’ils développent des circuits logistiques et financiers internationaux sophistiqués de blanchiment entre la Suisse, Chypre, le Monténégro et l’Italie.

79 Dépêche AFPdu 10 juin 2001 et Reuters du 18 avril 2001. 80 Dépêche AFP du 4 mai 2001. 81 « I Re del Contrabbando » par F.F., in Narcomafie, mai 2000. 82 « La Camorra : plongée dans les ghettos de la mafia napolitaine » par Ana Paola Merone, in VSD du 30 juillet 1998.

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Le clan de Pesacana-Annunziata est particulièrement actif dans la contrebande de cigarettes. En mai 2001, à l’issue d’une enquête d’un an, la Guarda di Finanza a interpellé 41 mafieux appartenant à ce clan qui se livraient au trafic de cigarettes entre la Grèce, l’Albanie et la région d’Ancône83. Les chargements de cigarettes, acheminés clandestinement à Naples, étaient distribués et commercialisés dans toute l’Europe (Milan, Paris, Londres, Madrid et Porto). I.2.1.3. LE DETOURNEMENT DES FONDS PUBLICS ET LA CORRUPTION DES ELUS LOCAUX La proximité historique entre la classe politique locale napolitaine et les clans de la Camorra est connue. Alors que Cosa Nostra a longtemps entretenu des liens étroits avec la Démocratie Chrétienne, la Camorra est réputée plus proche des socialistes. Antonio Bassolino, maire de Naples de 1993 à 2001, devenu président de la région de Campanie, est l’exemple même de ces hommes politiques napolitains qui ont fait le choix d’ignorer sciemment le problème mafieux afin d’éviter toute confrontation84 en se contentant tout au plus d’en dénoncer les travers les plus bénins. Cette tolérance va parfois beaucoup plus loin. En juillet 1995, Antonio Gava, ancien ministre de l’Intérieur, Rafaele Russo, député de la Démocratie Chrétienne, Raffaele Mastantuono, député du PSI et les anciens sénateurs Vincenzo Meo (DC) et Francesco Patriarca, étaient inculpés de collusion avec la Camorra. 74 autres personnes ont été mis en examen dans ce dossier d’enquête sur la passation des marchés publics pour la reconstruction après le tremblement de terre dans la région de Naples en 198085. En 1998, de nombreuses familles napolitaines vivaient encore dans les abris métalliques de fortune installés dans l’urgence après le tremblement de terre de 1980. Le racket des collectivités locales est parfois plus subtil. Ainsi, l’association écologiste Legambiente dénonce l’implication et la responsabilité de clans camorristes dans le déclenchement volontaire d’incendies qui ravagent tous les étés la région napolitaine. Sur des routes escarpées, le feu provoque des risques d’éboulements de terrain incompatibles avec la vie de municipalités étroitement dépendantes de l’activité touristique. Aussitôt après les incendies, ces communes ont alors recours à des procédures d’urgence pour l’attribution de marchés de travaux publics. La passation de ces marchés se réalise de gré à gré, au plus grand bénéfice des sociétés de construction contrôlées par la Camorra qui récupèrent ces contrats. Les camorristes attachent beaucoup d’intérêt aux opérations d’adjudication de marchés publics. Il s’agit pour eux d’une activité tout aussi importante, sinon plus, que le trafic de stupéfiants. L’arrestation de Rafaele Cutolo, dans les années 1980, était ainsi liée au meurtre de Domenico Beneventano, un conseiller municipal napolitain qui s’était élevé contre l’attribution de programmes immobiliers à des

83 Dépêche AFP du 9 mai 2001. 84 Le Figaro « Naples, royaume de la Camorra », le 10 août 2000. 85 Dépêche AFP du 18 juillet 1995.

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sociétés contrôlées par la Camorra 86. Les clans de la Camorra ne rançonnent plus les entreprises qui obtiennent ces marchés mais leurs imposent leurs propres fournisseurs agréés. A Bagnolli, une ville à l’abandon de 40 000 habitants dans la banlieue de Naples, plus de 6 milliards de Francs ont été versés pour la bonification de terrains, la construction d’un complexe touristique, d’une zone d’activités et de résidences. Ces fonds publics attirent aussitôt les clans camorristes qui s’affrontent pour le contrôle de la ville. Comme la ‘Ndrangheta, la Camorra se développe hors de sa région d’origine. Bien implantée en Ligure, la Camorra contrôlerait ainsi la moitié des marchés publics de la ville de Gênes. Claudio Burlando, maire de la ville, avait d’ailleurs été interpellé en mai 1992 pour escroquerie et abus de pouvoir. Les détournements de fonds et les manipulations de procédures de délégation d’ouvrage et d’attribution de marchés publics, portent aussi bien sur des projets locaux que sur des programmes de financement nationaux ou européens. Exemple caractéristique de ce type de détournements, une enquête du parlement italien sur le système sanitaire avait relevé le fait que l’hôpital de San Bartolomeo à Galdo di Benevento (sud de la Campanie), dont les travaux de construction avaient débuté en 1956, n’était toujours pas terminé. Un nouveau budget de 13 millions d’Euros avait même été à nouveau débloqué en 1996 pour terminer ce chantier87. En plein fief camorriste, la construction de l’hôpital de Boscotrecase à Torre Anunziata a été tout aussi chaotique : débuté en 1965, abandonné une première fois en 1972, relancé en 1984 puis de nouveau abandonné, le chantier n’a finalement jamais abouti. Au cours d’une fouille, la police a découvert des armes dissimulés au deuxième étage de l’hôpital inachevé. Il est significatif qu’une municipalité comme Naples, connue pour sa proximité avec des intérêts mafieux puissants, parvienne à décrocher les prêts les plus importants de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). En mars 2000, la BEI accordait ainsi plus 500 millions de Francs à la ville de Naples pour financer des projets d’aménagement urbain, des infrastructures et des moyens de transport. Ce prêt est l’un des deux plus importants réalisé par la BEI en 200088. I.2.1.4. LES FRAUDES AGRO-ALIMENTAIRES ET LE TRAFIC DE DECHETS. L’influence de la Camorra sur le secteur agro-alimentaire a été mis en lumière à l’occasion du scandale entourant les pratiques de la société Italgrani. Dirigé depuis 1992 par Francesco Ambrosio, un puissant industriel napolitain, le groupe Italgrani Spa était spécialisé depuis 1977 dans le commerce en gros de céréales. Implanté en Europe, en Amérique, en Algérie et en Libye avec plus d’une cinquantaine de filiales et de participation, le groupe avait le soutien financier de la Banco di Napoli, de la Banca di Roma et du Credito Italiano. En 1991, la Garde des Finances lança des investigations sur les principaux dirigeants d’Italgrani. Mis en cause pour des affaires de fraude massive aux subventions communautaires, les responsables

86 Dépêche Reuter du 20 octobre 1988. 87 Dépêche AFP du 25 juillet 2000. 88 Le Moniteur N°5023 du 3 mars 2000.

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d’Italgrani apparurent également très proches du chef camorriste Carmine Alfieri.89 Suite à l’adoption de la loi italienne d’aide au Mezzogiorno de 1988 instituant un régime général d’aides en faveur de la région napolitaine, la Camorra utilisait les activités d’Italgrani pour détourner des subventions européennes. Conséquence inattendue de cette affaire, la Cour européenne de Justice européenne adopta le 5 novembre 1994 l’arrêt Italgrani90 précisant les conditions d’acceptation ou de refus par la Commission européenne de tout régime d’aide régional mis en place par un état membre. Lieutenant de Michele Zazza, Gianninno Tagliamento procédait dans les années 1980 à des achats massifs de carcasses de viandes sous couvert de la société Ligue Leasing Service, installée à San Remo. Cette société revendait ensuite à des sociétés complices installées en Italie, en France, en Belgique et au Luxembourg La Camorra pratique également à l’échelle industrielle le trafic d’ordures ménagères, hospitalières et industrielles. L’activité est simple, très rentable et peu risquée sur le plan pénal : des camorristes achètent des terrains à l’écart des agglomérations et ouvrent des décharges sauvages clandestines. Les entreprises, et même parfois les établissements publics (cliniques et hôpitaux), soumis à des règles d’évacuation des ordures strictes (valorisation des déchets, recyclage, respect des normes de protection de l’environnement), préfèrent se débarrasser à moindre coût auprès des décharges mafieuses. Les clans camorristes dispersent alors ces ordures, où les exportent par bateaux vers l’Afrique de l'Est pour les plus dangereuses d’entre elles (fûts contenant des substances toxiques et des résidus chimiques, déchets hospitaliers normalement destinés à l’incinération). Ces chargements d’ordures clandestines sont ensuite déversés à terre ou immergés au large des côtes africaines. I.2.1.5. LES LOTERIES CLANDESTINES, LES COURSES ET LES PARIS CLANDESTINS. Comme les autres organisations mafieuses, la Camorra pratique l’usure avec des prêts à des taux avoisinant les 20 à 35 %, assortis de pratiques de recouvrement particulièrement énergiques. Cette activité, étroitement liée aux paris clandestins, permet de constituer une clientèle captive, très rémunératrice pour l’organisation criminelle. Elle est le plus souvent pratiquée au détriment de patrons de petites entreprises et d’exploitants agricoles, qui perdent brutalement leur outil de production à la suite d’incendies inexpliqués. Les familles de la Camorra organisent d’importants paris clandestins autour des compétitions de football. Le club professionnel de Naples est d’ailleurs notoiremment sous influence camorriste. Elles organisent également des courses de chevaux illicites qui se déroulent le matin dans certains faubourgs napolitains.

89 Il Mondo, 7 au 14 juin 1993. 90 « Aides d’Etat et contrôle communautaire : la sécurité juridique des entreprises renforcée », Alain Georges et Hugues Calvet (Cabinet Stibbe Simont Monahan), in Les Echos, 7 novembre 1994.

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Certains chefs de la Camorra s’enorgueillissent d’entretenir de véritables écuries de courses91 dont aucun des chevaux ne fréquentera jamais un véritable hippodrome. Enfin, certains membres de la Camorra sont réputés avoir pris le contrôle de deux casinos en Italie92 : celui de San Remo, qui dépend d’une autorité municipale, et celui de Saint-Vincent dans le Val d’Aoste, le plus important établissement européen en terme de volume de jeux. Ces deux casinos sont utilisés pour blanchir des fonds de l’organisation criminelle napolitaine au travers du système des changeurs, ces intermédiaires, qui acceptent d’endosser des chèques93 pour couvrir des dettes de jeux fictives, afin de dissimuler la provenance de l’argent.

91 La Repubblica, mars 1998. 92 Il existe très peu d’établissements de jeux en Italie. Les quatre casinos les plus importants sont ceux de Saint Vincent (Val d’Aoste), Venise, San Remo et Campione (enclave italienne en Suisse). 93 En Italie, les chèques sont endossables plusieurs fois et sont utilisés comme monnaie fiduciaire.

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I.2.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CAMORRA I.2.2.1. LES INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS ET L’INDUSTRIE TOURISTIQUE. Vecteur classique de blanchiment, l’immobilier garde tout son intérêt pour les chefs de la Camorra, soucieux de placer efficacement leur argent. Les prétextes de blanchiment sont en effet nombreux : l’achat des matériaux de construction, l’acquisition du terrain, les travaux des bureaux d’études et des studios d’architecture, l’aménagement des bâtiments. Entre 1985 et 1994, 570 000 logements ont été construits en Italie de manière illégale. Selon un rapport de l’organisation écologiste Legambiente, les différentes organisations criminelles seraient impliquées dans la constrution de 400 000 logements non autorisés sur lesquels elles prélèveraient 5 à 10 % du montant du coût de la construction (soit entre 10 et 15 milliards de Francs). Il va sans dire que la plupart de ces constructions ne répondent pas aux normes de sécurité comme la résistance anti-sismique ou la déformation des matériaux en cas d’incendies. La plupart des projets d’aménagement urbain d’envergure attire l’intérêt des clans de la Camorra. Entre 1997 et 1998, le quartier de Bagnolli à l’ouest de Naples faisait l’objet d’une véritable guerre : ancienne zone industrielle située en bord de mer, la commune de Bagnolli s’est transformée rapidement en station balnéaire grâce aux injections massives de capitaux mafieux et au racket des entreprises de construction. Les infrastructures touristiques sont également très recherchées. Dans le nord de l’Italie, la Camorra est parvenue à prendre entièrement le contrôle de la gestion de plusieurs petites stations de ski du Bas-Piémont. En perte de vitesse et en situation financière délicate dans les années 1980, ces stations de ski ont vu afflué vers elles les fonds de la Camorra au début des années 1990. Des capitaux douteux italiens sont régulièrement investis dans des sociétés insoupçonnables comme le groupe d’hôtellerie de luxe Boscolo, qui au cours de l’automne 2000, se porta acquéreur de plusieurs palaces à Nice (Plaza-Concorde, Park Hôtel, Atlantic), à Lyon et à Menton (Hôtel Méditerranée)94. Réfugiés pour beaucoup sur le Côte d’Azur à partir des années 1970, à l’image de Michele Zaza (O Pazzo), installé à Villeneuve-Loubet dès 1986-1987, les camorristes, comme d’autres familles mafieuses italiennes, ont largement participé la flambée spéculative immobilière dans cette région. Nice, Menton, Monaco et Toulon sont les villes les plus concernées par les investissements mafieux, réalisés le plus souvent au travers de sociétés civiles immobilières (SCI) détenues par des prête-noms.

94 La plupart de ces hôtels étaient la propriété de la société PAP dont l’un des principaux actionnaires n’est autre que Gilbert Stellardo, célèbre figure de la Grande Loge nationale française (GLNF) niçoise et premier adjoint, chargé des finances de la ville de Nice. Cf. Le Moniteur, N°5050 du 8 septembre 2000.

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I.2.2.2. LA PRISE DE CONTROLE D’ETABLISSEMENTS DE JEUX : L’EXEMPLE DE L’AFFAIRE SOFEXTOUR Déjà implantée, depuis les années 1970, dans le nord de l’Italie, certains clans de la Camorra manifestait un intérêt très vif pour le contrôle d’établissements de jeux à des fins de blanchiment. Après avoir pris partiellement le contrôle des rares établissements de jeux de la péninsule, notamment à San Remo, en novembre 1989, Giovanni Tagliamento et Sergio Corte, deux lieutenants de Michele Zazza, tentèrent par le biais d’un prête-nom d’obtenir la gérance du casino municipal de Menton. Déboutés par le ministère de l’Intérieur lors de leur première tentative, ils récidivèrent sous la couverture de la société Sofextour, après avoir préalablement largement corrompus les différents décisionnaires locaux du dossier95. I.2.2.3. UNE STRATEGIE ECONOMIQUE : L’EXEMPLE DE L’ALLEANZA DI SECONDIGLIANO. Acteurs majeurs du trafic de cocaïne avec la Colombie, interlocuteurs napolitains du grand trafiquant de drogues et chef mafieux sicilien Pietro Vernengo, les mafieux rassemblés au sein de l’organisation criminelle camorriste Alleanza di Secondigliano dirigée par Francesco Mallardo, ont développé clandestinement un véritable groupe financier et industriel, présent dans plusieurs secteurs économiques96. Démantelée au mois d’avril 2000, l’Alleanza di Secondigliano fonctionnait sur un modèle entrepreneurial avec comme objectif prioritaire le contrôle des activités économiques de son territoire. A l’occasion de l’arrestation de Francesco Mallardo, les autorités judiciaires et policières italiennes purent faire un point sur la surface économique de ce clan camorriste. Parmi les avoirs personnels accumulés par les associés d’Alleanza di Secondigliano et saisis par les policiers figuraient la société immobilière Cogefin srl à Naples, trois maisons construites sur un terrain de 7000 m² à Castelvolturno, neufs appartements, une vedette rapide, 66 véhicules de luxe (Mercedes, Porsche, BMW), trois motos de course, huit autocars et 23 comptes bancaires courants sur lesquels étaient déposés plusieurs dizaines de millions d’Euros. Mallardo et ses associés avaient en outre confié à Ciro Mantice, un chef d’entreprise né en 1941, le soin de gérer et de placer les profits dégagés par les activités illicites de l’organisation criminelle. Mantice devint véritablement le directeur financier de l’organisation, chargé de la politique d’investissement, en même temps que le gestionnaire des entreprises contrôlées par les mafieux déjà incarcérés. La plupart des marchés publics étaient placés sous la coupe de l’organisation mafieuse : restructuration de l’aéroport de Capodichino, travaux de la voie

95 « La fine équipe qui voulait le casino de Menton », Le Canard Enchaîné, 29 juillet 1992. 96 « Camorra 2000 : L’alleanza di Secondigliano e il suo capo, Francesca Mallardo », Fabrizio Feo, in Narcomafie, mai 2000.

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ferroviaire de Cumana, construction du parking de la place nationale ou modernisation de l’école de la rue Saint’Eframo Vecchio. Pour ces travaux d’infrastructures, soit les entreprises étaient directement contrôlées par l’Alleanza di Secondigliano, soit elles devaient payer le droit de travailler sur les chantiers tenus par l’organisation criminelle et étaient alors en outre contraintes d’utiliser les services et les prestations des sociétés mafieuses sous-traitantes. Dans ces conditions, il n’était pas étonnant que la construction et le BTP aient été les cibles prioritaires de l’organisation mafieuse à des fins de blanchiment. Adjudicataire de la construction des nouveaux bureaux du procureur de la République, l’entreprise de construction RO.MI était contrôlée par Francesco Mallardo et ses associés, ainsi que la société Motrer, spécialisée dans les travaux publics, et la société Bitum Beton, qui fournissait le ciment nécessaire à la construction de l’aéroport de Capodichino. Des sociétés immobilières comme Euromobilgroup ou Fines Immobiliare, des sociétés de ravalement telles que la Cimax et Denise, ainsi que la société Ascia, une entreprise de matériaux de construction, participaient à la mainmise de l’organisation sur ce secteur. Le clan avait également placé ses revenus tirés du trafic de stupéfiants et du racket dans des sociétés de distribution automobile comme Lem Cars, Motocenter SNC ou Elettogomme. Autre secteur de prédilection pour le blanchiment, les sociétés d’import-export et de distribution agro-alimentaire attiraient les capitaux de l’organisation, avec un préférence pour les sociétés de négoce de viandes. Le portefeuille de sociétés détenues dans ce secteur comprenait ainsi la Siniscalchi SAS, le Centro Importazione Alimentari SAS, la Cooperativa Lavoratori Interno Macello SAS, la CI.PA., la CO.MO SAS, la DI-SAL SAS, l’Industrie Carni Italiane SAS, la Pisana Carni et l’Altos SRL. Pour la surveillance de ses entrepôts, l’organisation camorriste contrôlait en outre sa propre société privée de sécurité : l’entreprise La Vigilante, implantée à Naples. Le secteur de la confection était également concerné avec les usines de textile Mondial Corredo et Vendetta Line, rattachées à la nébuleuse camorriste de Francesco Mollardo, comme les magasins Shopping House, fournisseur officiel du championnat de football italien, et les ateliers Kidstore Italia et Kidstore Service.

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I.3. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA ‘NDRANGHETA. I.3.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA ‘NDRANGHETA. I.3.1.1. LE RACKET DES COMMERCANTS ET DES PETITS ENTREPRENEURS. Sans surprise, l’extorsion de fonds est l’une des principales ressources financières de l’organisation criminelle calabraise. La collecte du Pizzo procède de stratégies plus ou moins élaborées. Bien souvent, le paiement des « assujettis » aux clans mafieux s’effectue par le biais de la souscription de contrats de gardiennage et de sécurité auprès de sociétés mafieuses suite à des dégradations et des cambriolages provoquées par ces dernières. Cette pratique parasitaire accélère la désertification commerciale de la Calabre et dissuade l’implantation des entrepreneurs dans cette région. Les seuls commerces qui parviennent à profiter de cette situation sont évidemment ceux que contrôlent directement les familles de la ‘Ndrangheta. A Reggio Calabria, selon Mme Loredana Canova, vice-présidente de la Confesercenti, en quelques années, les mafieux sont parvenus à prendre complètement le contrôle du Corso Garibaldi, un quartier commerçant de la ville, où ne subsistent désormais plus que des boutiques de jean’s et des bijoutiers contrôlés par des intérêts mafieux. La ‘Ndrangheta profite également de la réticence des banques à prêter aux petits commerçants et aux entrepreneurs pour imposer à ces derniers des prêts à des taux usuraires. Localement, cette frilosité des banques est surnommée ironiquement « Le risque calabrais ». L’usure se fait parfois avec la complicité des établissements bancaires locaux : à San Marco Argentano, l’agence locale de la Banca Popolare servait de relais pour le recouvrement des prêts usuriers tandis que dans la province de Cosenza, les banquiers proposaient le recours aux usuriers mafieux à leurs clients comme une alternative à leurs propres prestations bancaires. I.3.1.2. LA MAINMISE SUR LE SECTEUR AGRICOLE ET LES FRAUDES AUX SUBVENTIONS EUROPEENNES Au-delà des boutiques et des petites entreprises, ce commerce de la « protection » s’est étendu aux exploitations agricoles. La ‘Ndrangheta procède à « l’expropriation mafieuse » en obligeant les propriétaires à vendre leurs terrains contre leur gré et à un prix sous-évalué. Cette pratique avait fait l’objet de l’attention des médias autour des cas de la baronne Teresa Cordopatri, contrainte de céder ses terrains au clan des Mammoliti, et de Mme Maria Giuseppina Cordopatri, expropriée cette fois par les Raso-Albanese. En juillet 2000, la Fédération provinciale de Reggio Calabria de la Confédération Nationale des Cultivateurs Directs (CNCD) dénonçait ce type de pratiques, exercé à l’encontre des agriculteurs de la périphérie de Gioia Tauro et de Locride.

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Les marchés calabrais de grossistes alimentaires font également l’objet d’une importante infiltration mafieuse, notamment en ce qui concerne les circuits commerciaux de l’huile d’olive. Au début des années 1990, la Calabre connut une véritable guerre entre deux clans cherchant à obtenir le monopole sur les subventions de la CEE aux producteurs d’huile d’olive. Le 17 décembre 1990, le maire-adjoint de San Lorenzo était exécuté par balles. Il était employé de l’Association Provinciale des Producteurs Ovilicole (AIPO). Le 4 juin 1991, c’était au tour du président de l’AIPO d’être abattu dans les rues de Reggio Calabria. La nécessité pour la ‘Ndrangheta de contrôler des zones agraires s’explique aussi par le fait que de nombreuses plantations de marijuana ont été découvertes à travers la Calabre. Il ne s’agit pas de plantations artisanales mais de surfaces importantes équipées avec des systèmes horticoles d’irrigation sophistiqués d’origine israélienne. La culture calabraise de la marijuana permettrait la production de plus de 7 millions de doses commercialisables. I.3.1.3. L’INFILTRATION MAFIEUSE DES SECTEURS DE LA CONSTRUCTION, DE LA SANTE ET DES MARCHES PUBLICS La collecte des déchets est une source importante de revenus pour les clans de la ‘Ndrangheta, qui déploient une très forte activité dans ce secteur d’activités. Par le biais de sociétés locales, la ‘Ndrangheta achète des terrains qu’elle transforme en décharges sauvages. Dans les années 1980, des fûts toxiques contenant des produits provenant de Seveso furent découverts dispersés dans des décharges mafieuses. Près de Ciro, des sites miniers désaffectés et des grottes sous-marines furent utilisés par les mafieux calabrais pour dissimuler des déchets radioactifs. Le secteur de la santé est également devenu un objectif criminel en Calabre. La ‘Ndrangheta a par exemple largement contribué aux retards de construction de l’hôpital de Pizzo Calabro (sud de la Calabre). Lancé en 1959, ce projet de construction n’a toujours pas abouti alors que plus de 2,5 millions d’Euros ont été dépensés en pure perte pour relancer le chantier97. Dans le même temps, l’approvisonnement en matériels médicaux était entièrement acquis aux clans mafieux : les deux sociétés calabraises qui fournissent les établissements hospitaliers de la région de Reggio Calabria en gants, seringues et autres équipements médicaux et sanitaires, sont sous influence mafieuse. I.3.1.4. L’UTILISATION DE LA FRANC-MACONNERIE CALABRAISE PAR LA ‘NDRANGHETA. La ‘Ndrangheta évite désormais toute confrontation violente et directe avec les institutions policières et judiciaires italiennes. Elle privilégie systématiquement les pratiques de collusion et de corruption qui lui permettent de se concilier les pouvoirs établis sans entrer en conflit avec eux. Elle prend garde également à ménager la population dont elle dépend en perpétuant des activités criminelles faiblement 97 Dépêche AFP du 25 juillet 2000.

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rémunératrices mais pourvoyeuses en emplois pour ses hommes de main. En 1996, le député Enzo Ciconte a publié un ouvrage important98 insistant sur l’infiltration des loges maçonniques calabraises par la ‘Ndrangheta. Cité par Ciconte, le repenti Giacomo Lauro y relate les circonstances de l’entrée en maçonnerie de la ‘Ndrangheta à partir du milieu des années 1970 :

« Longtemps, la maçonnerie et la ‘Ndrangheta ont simplement été voisines. A cette époque-là les maçons recevaient un pourcentage sur les affaires qu’ils traitaient pour notre compte. Il y avait des maçons partout dans les institutions – des politiciens, des patrons, des juges, des représentants des forces de l’ordre, des banquiers - : nous avions donc intérêt à entretenir de bons rapports avec la maçonnerie. Dans ces conditions, nous étions obligés de déléguer la gestion de nos intérêts, mais cela nous obligeait pour un bénéfice somme toute insignifiant, à nous fier à des individus dont nous savions, précisément, qu’ils n’étaient guère fiables. C’est à ce moment-là que nous avons compris que si nous entrions nous-mêmes en maçonnerie, nous pourrions nous passer de ces intermédiaires, et nous représenter nous-même au sein des institutions. C’est ainsi que plusieurs responsables de la ‘Ndrangheta sont devenus maçons. A partir de là, il est évident que les familles ‘ndranghetistes ont été directement représentés au sein des institutions. Certains magistrats nous servaient de cautions : je pense que plusieurs de ces magistrats sont entrés en maçonnerie de façon très discrète sans laisser de traces écrites de leur adhésion.99 »

L’infiltration de la franc-maçonnerie calabraise par la ‘Ndrangheta s’est traduite par la constitution de comités d’affaires chargés de la répartition clandestine des adjudications de marchés publics. L’imbrication entre la classe politique locale et les affaires mafieuses est très forte autour des marchés de travaux publics et d’infrastructure. En 1982, la ‘Ndrangheta n’avait, par exemple, pas hésité à faire assassiner à la dynamite l’ingénieur Gennaro Musella de la ville de Regio Calabria qui refusait de se soumettre à ces arrangements. D’après une enquête du procureur de Palmi, ce type de racket sur des chantiers publics ne serait pas non plus étranger à l’exécution le 27 août 1989 de Lodovico Ligato, président des chemins de fer italiens, dans sa villa de Bocale di Reggio Calabria. Dans cette affaire, l’enquête démontra par la suite l’implication de deux personalités politiques calabraises, proches de l’organisation mafieuse et membre de la franc-maçonnerie locale : Paolo Romeo100, et Amadeo Matacena101, tous deux anciens députés. Une autre enquête, menée par le parquet de Palmi au début des années 1990, mit en évidence les liens entre le baron Pasquale Placido, grand maître de la loge calabraise Rocella Jonica et Licio Gelli, grand maître de la P2 102. A l’exemple de la Rocella

98 Processo alla ‘Ndrangheta, par Enzo Ciconte, Laterza, Rome, 1996 99 Processo alla ‘Ndrangheta. Passage cité par Sébastien Fontenelle, in Des Frères et des affaires, Denoël, 2002., pp.234-235. 100 Paolo Romeo fut accusé par la justice italienne d’appartenir au ‘ndrine De Stefano 101 Amadeo Matacena fut accusé par la justice d’avoir fait financer ses campagnes politiques par divers clans de la ‘Ndrangheta (Tripodoro, Carelli, Rosmini, Piromalli et Rugolo-Mammoliti) et d’être, en retour, intervenu dans plusieurs affaires et dossiers intéressant l’organisation criminelle calabraise. 102 Dépêches AFP du 5 novembre 1992.

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Jonica, le Grand Orient Orient d’Italie, seule obédience maçonnique « régulière », c’est à dire reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), est concurrencé par une trentaine de confréries et d’obédiences déviantes, principalement implantées dans le sud de l’Italie. La plupart de ces dernières sont installées en Sicile et en Calabre où elles servent de points de rencontre entre les milieux mafieux et les responsables économiques et administratifs. Par ce biais, les clans de la ‘Ndrangheta parviennent à contrôler directement le fonctionnement de nombreuses collectivités locales calabraises. En 1983, les autorités italiennes furent contraintes de dissoudre 18 conseils municipaux de Calabre pour collusion avec la ‘Ndrangheta. Entre 1991 et 1998, 19 autres conseils municipaux subirent le même sort en raison de l’infiltration mafieuse dont ils étaient l’objet103. A titre d’exemple, le village de Limbadi avait élu Francesco Mancuso à son conseil municipal alors que ce dernier, chef d’un important ‘ndrine104, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt. I.3.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA ‘NDRANGHETA I.3.2.1. UN PARASITISME ETENDU A LA PLUPART DES SECTEURS DE L’ECONOMIE CALABRAISE Comme Cosa Nostra et la Camorra, la ‘Ndrangheta déplace progressivement ses activités criminelles vers les secteurs les plus profitables et les moins exposés à la répression judiciaire. La ‘Ndrangheta investit ainsi massivement dans l’immobilier touristique. La ‘Ndrangheta privilégie pour ses opérations de blanchiment le rachat des fonds de commerce (alimentation, vêtements, salles de jeux), le détournement des aides européennes au développement (élevage, sylviculture, pêches), les ententes illicites sur les marchés publics du bâtiment et des travaux publics (ciments, traitement des eaux) et l’infiltration criminelle des circuits financiers locaux (banques mutuelles, caisses agricoles). La ‘Ndrangheta est très impliquée dans le détournement et la fraude aux subventions européennes (graines oléagineuses, tabac, huile d’olive). Au début des années 1990, le Centro Studi Investimento Sociale (CENSIS) estimait que la fraude agricole rapportait plusieurs centaine de millions d’Euros à la ‘Ndrangheta. Le port de Gioia Tauro (Calabre), première plate-forme portuaire pour la manutention de containers (3 100 navires et 2,1 millions de containers par an) en Méditerranée, est l’objet d’une infiltration mafieuse de longue date. En 1899, 1903 et 1930, plusieurs procès tentèrent de mettre fin aux opérations criminelles incessantes

103 Communes de Taurianova, San Andrea Apostolo sullo Jonio, Lamezia Terme, Delianuova, Melito Porto Salvo, Seminara, Isca sullo Jonio, Stefanaconi, Rosarno, San Ferdinando, Gioia Tauro, Molochio, Camini, Roghudi, Roccaforte Del Greco, Melito Porto Salvo, Cosoleto, Sinopoli et Santo Stefano d’Aspromonte. 104 La famille Mancuso, impliquée dans de nombreuses activités criminelles dont le trafic de stupéfiants, est historiquement alliée à la famille des Piromalli de Gioia Tauro. Les Mancuso occupent le territoire du district de Vibo Valentia

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pour le contrôle de ce port stratégique. Par la suite l’installation, financée par l’Etat italien au titre de l’effort d’industrialisation du Mezzogiorno, d’industries lourdes de la sidérurgie et la construction d’une usine de carbone par la société ENEL stimulèrent l’intérêt des ‘ndrines pour Gioia Tauro. La construction récente du port de containers est le dernier avatar de cette infiltration mafieuse calabraise déjà ancienne. Le transport des marchandises, l’engagement du personnel, la restauration collective et même la fourniture en eau potable y sont entièrement contrôlés par le clan des Piromalli de la ‘Ndrangheta au travers de sociétés comme la Babele Publiservice SRL, directement dirigée par Gioacchino Piromalli, neveu du boss Giuseppe Piromalli. En 1992, l’Effibanca, la banque d’affaires du groupe BNL, confiait à Babele les crédits nécessaires à un important projet d’informatisation des installations portuaires. Une enquête de DIA en 1996 identifia une quarantaine de sociétés de service liées aux activités portuaires contrôlées par des intérêts mafieux. En janvier 1999, une vaste enquête de police avait dévoilé que la société Medcenter Container Terminal (MCT), chargée de la gestion des activités de manutention portuaire à Gioia Tauro, faisait l’objet de nombreuses tentatives de racket en dépit de la présence de 150 policiers et de la mise en place d’un coûteux système de surveillance105. Le procureur de Reggio Calabria avait fait arrêté la même année 31 mafieux, suspectés de mettre en coupe réglée le fonctionnement du port de Gioia Tauro. I.3.2.2. L’UTILISATION D’ETABLISSEMENTS BANCAIRES LOCAUX L’opération « Armonia » menée par la DDA de Reggio Calabria montra l’étendue des compétences de la ‘Ndrangheta en matière de blanchiment. A l’occasion de cette importante enquête, la police anti-mafia italienne releva des pratiques d’infiltration d’établissements bancaires, de falsification de garanties bancaires et de bons au porteur. La ‘ndrina de Giuseppe Morabito (Tiradritto), visée par cette enquête, était parvenue à blanchir ses fonds en Calabre, à Naples, à Milan, en Allemagne, en Suisse et à effectuer des transactions financières par virements Swift avec la Russie, la Lituanie, la Pologne, Malte et l’Espagne. La plupart de ces virements bancaires étaient réalisés à partir de la Deutsche Bank de Milan, établissement dans lequel les mafieux étaient parvenus à se ménager d’importantes complicités. Le 4 mai 2000, le Tribunal de Crotone engageait des poursuites à l’encontre de la Banca Popolare di Crotone et de la filiale de la San Paolo di Torino à Crotone. Ces deux établissements se trouvaient au cœur d’un vaste système de détournement de primes européennes à l’abattage de têtes de bétail. Au travers de sociétés domiciliées en Allemagne et en Italie, la ‘ndrina de Cutro simulait l’abattage de bovins et falsifiait les documents de contrôle vétérinaire afin d’obtenir le versement des primes européennes. Le montant de ces primes était ensuite viré sur des comptes gérés par la Banca Popolare di Crotone, qui se chargeait de les blanchir avant de les mettre à disposition des mafieux calabrais106. 105 Le Point, 23 janvier 1999, « Gioia Tauro : La mafia infiltrait le port calabrais », Dominique Dunglas, correspondant à Rome. 106 Procura della Repubblica presso il Tribunale di Palmi, GIP di Crotone, 7-8 mars 2000.

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Toujours au cours de l’année 2000, cinq filiales italiennes de compagnies d’assurances françaises107 figuraient parmi les 93 établissements financiers mis en cause dans un rapport du Sénat italien sur la criminalité organisée en Calabre108. Il leur est reproché de ne pas avoir fait état de mouvements de fonds d’origine suspecte109. Ces accusations concernent également des banques et des caisses agricoles locales connues pour leurs liens avec la ’Ndrangheta. La compromission de personnalités en vue de la Jet Set et du monde des affaires est également une technique couramment usitée par Cosa Nostra et la ‘Ndrangheta. En 1997, le célèbre journaliste et mondain d’origine napolitaine, Massimo Gargia, né en 1940, avait été inquiété par le parquet de Catane (Sicile) italienne pour avoir contre rémunération (environ 300 000 Francs) mis son carnet d’adresses au service d’Alberto Cilona, né en 1956110. Associé à une agence de voyages de Catane (Sicile) contrôlée par des membres de familles mafieuses siciliennes, Cilona et ses complices, tous membres de la ‘Ndrangheta, attiraient par l’entremise de Gargia une clientèle de petits patrons du nord de l’Italie au casino de l’hôtel El Saadi à Marrakech (Maroc). Les invités de Gargia étaient alors incités à jouer dans cet établissement dont la plupart des tables avaient été préalablement truquées. Les fonds ainsi récoltés étaient réinvestis dans la construction d’un casino et de plus de 500 villas aux Caraïbes. I.3.2.3. UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT NATIONALE ET INTERNATIONALE ETROITEMENT LIEE AU TRAFIC DE STUPEFIANTS Initialement circonscrite à la région de la Calabre, l’activité de la ‘Ndrangheta s’est étendue vers le Nord de l’Italie, où cette organisation dispose désormais de solides points d’appui à Turin et à Milan, notamment, puis vers le reste de l’Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Etats-Unis, Belgique, Espagne), l’Amérique (Argentine et Canada) et l’Asie (Australie) La ‘Ndrangheta a profité pleinement des liens entre la Calabre et les nombreux émigrés de cette région pauvre partis s’installer aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. Grâce à ces relais et à cette infrastructure homogène, des chefs de la ‘Ndrangheta comme Paolo De Stephano se sont affranchis de la tutelle de Cosa Nostra ou de la Camorra pour se lancer dans le trafic international de stupéfiants. En 1984, la police italienne arrêtait Tommaso Agnello, 58 ans, responsable de l’aviation civile en Calabre et directeur de l’aéroport de Reggio di Calabria ainsi que 50 autres mafieux. Ce dernier avait mis son aéroport au service de la ‘Ndrangheta pour le transport de la drogue. Distribués depuis l’aéroport de Reggio di Calabria vers Rome, Padoue,

107 AXA Assicurazioni, GAN Italia, GAN Italia Vita, UAP Italiana et UAP Vita, filiales des groupes d’assurances français AXA et GAN-Groupama (liste dressée au 3 mars 2000). 108 Le rapport d’enquête sur la criminalité organisée en Calabre a été déposé au Sénat italien le 26 juillet 2000. Il fait suite aux rapports de 1993 sur Cosa Nostra (Sicile) et la Camorra (Naples). 109 Le signalement des opérations suspectes auprès de la Guardia di Finanza est obligatoire depuis la loi 197/91 de 1997. Les signalements effectués portent le plus souvent sur des versements en espèces et des opérations de change. 110 Le Figaro, 1er Décembre 1997, « La Fraude passait par Marrakech », Richard Heuzé, correspondant à Rome.

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Milan, Ravenne, Naples, Vérone et Turin, la cocaïne et l’héroïne provenaient de laboratoires siciliens111. La ‘Ndrangheta est une des organisations criminelles italiennes les plus avancées en matière d’internationalisation de ses activités : outre les Turcs et les Birmans pour l’héroïne, les calabrais travaillent également avec les Colombiens et les Mexicains pour la cocaïne et sont même allés jusqu’à prendre contact avec des Chinois de la province reculé du Yunan afin de diversifier leurs approvisionnements en provenance du triangle d’or. Depuis Turin et Milan, la ‘Ndrangheta est très impliquée dans le trafic de stupéfiants notamment l’héroïne dont elle contrôle une partie importante du trafic entre le Proche-Orient et l’Amérique du Nord de concert avec les organisations criminelles turques et colombiennes. En septembre 1989, la police italienne démantelait un réseau de trafic de stupéfiants et de blanchiment entre la Calabre et les Etats-Unis, dirigé par Antonino Saraceno. En juillet 1994, la police italienne procéda à Turin à la saisie de 11 tonnes de cocaïne d’origine colombienne détenus par Arturio Martucci, un membre du ‘ndrine calabrais de Pesce (entre Rosarno et Palmi)112. Importée de Colombie par bateau, la drogue avait été déchargée dans le port de Gênes. Cette affaire apporta aux Carabiniers italiens des certitudes quant aux liens étroits tissés entre la ‘Ndrangheta calabraise et les cartels colombiens. Plusieurs mafieux calabrais poursuivis par la justice s’étaient en effet réfugiés en Colombie depuis le début des années 1990. A partir de ce trafic, la ‘Ndrangheta pratique le blanchiment de ses revenus criminels dans l’immobilier, les sports professionnels, la vente d’armes, de diamants ou le trafic de déchets radioactifs. Le 14 octobre 1992, Alfonso Di Mascio était interpellé à Rome. Ce calabrais était chargé des opérations de blanchiment de la ‘Ndrangheta dans la capitale italienne. Impliqué dans le rapt et l’assassinat du jeune Cesare Casella en 1989, Di Mascio recevait des fonds à blanchir provenant aussi bien des rançons d’enlèvements que des trafics d’héroïne et de cocaïne113.

111 « Drogue : impressionnant coup de filet », in Le Journal de Genève, 6 juillet 1984.. 112 Dépêche AFP du 11 juillet 1994. 113 Dépêche AFP du 14 octobre 1992.

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I.4. REVENUS CRIMINELS ET PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES (SACRA CORONA UNITA). I.4.1. LES REVENUS CRIMINELS DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES Depuis le début des années 1990, la criminalité organisée des Pouilles a étendu très largement sa sphère d’activités criminelles : jeux de hasard et paris clandestins, proxénétisme, filières de travail au noir et d’immigration clandestine, escroqueries, extorsions de fonds, usure, vols de voitures, d’autocars, d’engins de chantier et de containers maritimes, trafics d’armes, de déchets industriels et radioactifs, trafics d’objets d’art et de biens culturels, falsification de cartes de crédit. I.4.1.1. L’EXTORSION DE FONDS ET L’USURE L’extorsion de fonds est à la base de l’activité mafieuse de la Sacra Corona Unita. Elle permet l’accumulation et le renouvellement d’un capital primaire nécessaire au développement de la logistique des trafics. En même temps, l’extorsion de fonds renforce la légitimation de l’emprise territoriale de l’organisation criminelle. Elle facilite l’immersion de l’organisation criminelle dans la vie économique, en la maintenant au contact permanent des commerçants et des petits entrepreneurs de la région. Preuve du renforcement de l’emprise mafieuse dans la région des Pouilles, entre 1996 et 1999, les autorités judiciaires italiennes constatèrent une baisse continue des plaintes pour extorsions alors que le nombre d’attentats à l’explosif contre des commerces et des petites entreprises continuait de progresser. Les différents clans de la Sacra Corona Unita se sont montrés particulièrement inventifs pour le prélèvement du Pizzo. Outre les pratiques classiques mais assez facilement répréhensibles de chantage direct, de nouvelles formes de « prélèvement » se sont développés : vente forcée, cession de biens immobiliers en dessous de leur valeur réelle, rétribution contrainte de services de gestion et de protection. Le détournement des appels d’offre et des marchés publics est également une technique employée pour racketer les sociétés, contraintes de sous-traiter les contrats obtenus auprès de sociétés contrôlées par la criminalité organisée des Pouilles. Autre versant de cette mainmise mafieuse sur les activités économiques, la pratique de l’usure permet de parvenir également au renforcement des liens de dépendance entre le milieu économique et l’organisation criminelle. L’usure est ainsi plus qu’une simple méthode d’extorsion de fonds. Elle est bien le souvent le premier pas vers la prise de contrôle de sociétés ou de commerces, devenus financièrement complètement dépendants d’un clan criminel. La Garde des Finances a recensé plus de 27 000 sociétés financières fictives, utilisées par la criminalité organisée des Pouilles pour pratiquer l’usure auprès des personnes physiques et morales en difficulté financière.

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Salvatore Annacondia, collaborateur de justice et ancien chef d’un clan criminel opérant dans la région de Trani (Pouilles) et à Milan dans le domaine du trafic de stupéfiants, concédait que l’usure représentait l’une des activités criminelles les plus rentables. Il est vrai qu’avec des taux d’intérêt illégaux (jusqu’à 150 % par mois) et des méthodes violentes de recouvrement des dettes, la rentabilité financière de l’opération est assurée. Vito Posa, autre collaborateur de justice, a expliqué devant les tribunaux italiens la méthode suivie : dans un premier temps, le clan mafieux repère une société en difficulté et la force à faire appel à son aide. Ensuite, l’entrepreneur n’a plus qu’une alternative : payer ses « bienfaiteurs » jusqu’à la faillite de sa société ou disparaître physiquement. I.4.1.2. LA CONTREBANDE DE CIGARETTES Historiquement, la région des Pouilles a toujours été un pays de contrebandiers. Longtemps spécialité de la Camorra napolitaine, la contrebande de cigarettes est devenue l’activité principale de la criminalité organisée des Pouilles depuis la fin des années 1970. La contrebande de cigarettes est exercée par trois grands groupes de trafiquants : le clan de Brindisi auquel sont ou étaient liés des trafiquants comme Francesco Prudentino, Benedetto Stano, Santo Vantaggiato, Antonio Pagano, Francesco Sparaccio, Bruno Rillo ou Cesario Monteforte, les criminels liés aux clans de Bari comme Giuseppe Cellamare ou les frères Raffaele, Tommaso et Donato Laraspata, et les affiliés des autres mafias italiennes comme Costantino Sarno, membre de la Camorra, ou Umberto Vitellaro, homme d’honneur de Cosa Nostra. Les personnes clefs de ce trafic sont les titulaires des licences d’importation de cigarettes installées au Montenegro, rémunérés 55 dollars par caisse de cigarettes exporté frauduleusement vers l’Italie (le trafic de chargements de cigarettes entre le Montenegro et l’Italie est estimé par les autorités italiennes à 25 000 caisses par mois). La contrebande de cigarettes est plus qu’un trafic local : elle repose sur des filières logistiques et financières transnationales étendues. Le démantèlement en 1999 par la DIA de Bari du réseau de Francesco Prudentino et de Gerardo Cuomo a été à ce titre révélateur. Les cigarettes étaient acquises en Suisse par Alfred (Freddy) Bossert, un négociant helvète, directeur de la société de négoce Intercambia S.A., installée à Lugano. Les cigarettes étaient ensuite légalement importées au Montenegro vers les entrepôts du port de Bar de la société monténégrine Zeta Trans. Avec la complicité des détenteurs des licences officielles, les cigarettes étaient ensuite massivement rapatriés vers l’Italie grâce aux filières de contrebande de la criminalité organisée des Pouilles tenues par Orazio Porro, Costantino Sarno, Benedetto Stano, Tommaso Laraspata, Giuseppe Cellamare et Adriano Corti. Le produit de leur vente illicite était blanchi grâce à de nombreuses complicités financières et judiciaires dans le canton du Tessin en Suisse. Alexander Hagsteiner, directeur adjoint de la filiale de la BNP à Lugano était ainsi au cœur des transactions financières suspectes réalisées par Gerardo Cuomo, le conseiller financier de Francesco Prudentino.

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Les sommes générés par la contrebande étaient telles que, peu avant le démantèlement de cette filière, les intéressés envisageaient de prendre le contrôle, par le biais de sociétés off-shore, du monopole italien des tabacs, l’Azienda Tabacchi Italiani (ATI), présidé à l’époque par Antonio Bellochio, ancien député du Parti Communiste Italien et ancien ministre. Au travers de la contrebande de cigarettes, la SCU s’internationalise comme l’atteste le réseau mis en place en Roumanie au travers de sociétés domiciliées dans les zones franches roumaines de Giurgiu, Arad, Galati, Braila et Constanta. Un ressortissant égyptien, Hamed Mohamed Moustafa Mamdouh dirigeait pour le compte de la SCU des sociétés servant à la contrebande de cigarettes. En 1999, Mamdouh a fondé à Bucarest la société Megarom Import-Export 2000 en association avec un égyptien installé à Londres et Ottaviano Mura, né le 26 octobre 1945 en Italie. Associé à Gabriela Secheres, de nationalité roumaine, né en 1975, Giuseppe Gazzo, un ressortissant italien né en 1967 à Vérone, directeur de la société de transport de marchandises Fiandra Com Srl, sert également de relais à la SCU. Il a collaboré par le passé avec la société Megarom114. I.4.1.3. LE TRAFIC DE STUPEFIANTS A partir des filières logistiques mises en place pour le trafic de cigarettes de contrebande et grace aux contacts avec les organisations criminelles napolitaines et calabraises expérimentées, la criminalité organisée des Pouilles s’est peu à peu mise à son tour au très lucratif trafic de stupéfiants. L’extension des activités délinquantes de la criminalité organisée des Pouilles vers le nord de l’Italie a permis la mise en place de filières d’importation de stupéfiants en provenance de Turquie (héroïne), de Colombie (cocaïne et héroïne), du Liban (héroïne et haschich) et du Maroc (haschich). En novembre 1986, Cosimo Ricchiuti (Mimmo de Tarente) et Joseph Calo furent interpellés alors qu’ils convoyaient un chargement de 109 kg d’héroïne pure à Milan115. En pointe dans le développement de ce trafic, la famille Modeo de Tarente a en effet développé une expertise particulière en la matière dès le début des années 1990. Cette dernière a notamment profité de la perturbation de la traditionnelle route des Balkans pour capter les flux de trafic de stupéfiants. On estime ainsi que 80 % de l’héroïne destiné au marché italien transite par la région de Greci et de Bari En se lançant dans le trafic de stupéfiants, la criminalité organisée des Pouilles s’est rapprochée des filières albanaises de trafic d’héroïne, de cannabis, d’armes et de prostituées. Entre 1997 et 1999, les autorités judiciaires italiennes constatèrent l’intensification du trafic de marijuana entre l’Albanie, les Pouilles et les Pays-Bas et

114 Evenimentul Zilei, Bucarest, 13 mars 2002. 115 « 109 kg d’héroïne sasis à Milan », par Guillemette de Véricourt, in Le Matin, 22 novembre 1986.

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la mise en place d’un système de troc avec des chargements de cocaïne importés de Roumanie à travers l’Allemagne et les Pays-Bas. L’opération Blue Moon conduite au printemps 2001 par le Raggruppamento Operativo Speciale (ROS) des Carabiniers dans la région de Bari mit en évidence le rôle central joué par le clan des Parisi dans les filières de trafic d’héroïne et de cocaïne depuis la région des Pouilles. D’autres clans, comme ceux de Biancoli à Bari et de Di Tommaso-Strafile à Cerignola tendent à étendre les activités de trafic de stupéfiants vers l’Ombrie. I.4.1.4.. LES MACHINES A SOUS (VIDEO POKER) Ultime avatar de la stratégie de maximisation des profits et de minimisation des risques judiciaires, la criminalité organisée des Pouilles s’intéresse comme les autres mafias italiennes au placement des jeux de café Video Poker dans les bars et les boîtes de nuit. En mai 2000, au cours de l’opération Jolly, les Carabiniers démantelèrent un important réseau de placement de ces machines de jeux clandestines opérant dans les villes de Bari, Foggia, Lecce et Potenza. Ce réseau était aux mains de membres de la Sacra Corona Unita. I.4.2. LES PRATIQUES DE BLANCHIMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES Les différents clans de la SCU sont impliqués dans la contrebande de cigarettes, le trafic de stupéfiants, l’extorsion de fonds, les jeux de hasard et les filières d’immigration clandestine. Autant d’activités qui nécessitent de blanchir des sommes de plus en plus importantes, le plus souvent sous forme de liquidités. La criminalité organisée des Pouilles ne semble pas avoir pour le moment une stratégie bien arrêtée pour ses activités de blanchiment et investit aussi bien dans des valeurs mobilières traditionnelles (bons du trésor par exemple) que dans des sociétés immobilières, des commerces et des petites entreprises locales. Compte tenu de l’environnement économique très dégradé de la région des Pouilles, cette injection de capitaux criminels constitue une des rares sources d’investissement pour les collectivités locales et encourage la collusion entre les édiles locaux et les chefs de clans mafieux au nom de la paix sociale. Pour recycler les capitaux criminels qu’ils investissent dans des sociétés, les clans de la Sacra Corona Unita ont recours à diverses techniques comptables de dissimulation : facturation de prestations fictives ou inexistantes, surfacturation de prestations déjà réalisées, évasion fiscale, corruption des fonctionnaires locaux, récupération forcée de sous-traitance sur des marchés et des appels d’offres publics ... Le mécanisme de blanchiment le plus courant est le suivant : l’entreprise « en odeur de mafia » facture des prestations imaginaires (comme par exemple des prestations de service non effectuées) ou surfacture des réalisations réelles. L’entreprise cliente

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de l’entreprise mafieuse, honore ses factures dans les règles et veille notamment au bon paiement des taxes fiscales. L’entreprise mafieuse dégage alors une marge financière extorquée à l’entreprise cliente et peut justifier de l’origine régulière de cette recette. En 1994 , une enquête judiciaire menée par le parquet de Bari avait mis en évidence le recours à ce type de stratagème pour le blanchiment de fonds dans le secteur des cliniques privées. Comme les autres organisations criminelles italiennes, les clans de la Sacra Corona Unita tendent à constituer des clubs d’affaires où se font et se défont l’attribution des marchés publics aux entreprises sous l’arbitrage de l’organisation criminelle. Cette propension à l’intermédiation corruptrice est caractéristique des organisations mafieuses. Elle nécessite une infiltration progressive des milieux politiques et économiques locaux (conseils municipaux, conseils d’administration des caisses locales d’épargne, de retraite ou de placement, chambres des métiers, etc ...). A l’exception de ses fiefs, la Sacra Corona Unita ne semble toutefois pas encore être parvenue à la maturité des organisations concurrentes en la matière.

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DEUXIEME PARTIE :

EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DES MAFIAS ITALIENNES

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II.1. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE COSA NOSTRA La Mafia sicilienne s’est développée à partir des bourgades rurales de la périphérie palermitaine. La première famille à s’implanter hors de la région de Palerme fut celle de Catane vers 1925. Jusque dans les années 1980, seules six provinces siciliennes sur neuf étaient réputées tenues par Cosa Nostra (Notre Chose). L’organisation mafieuse comprendrait aujourd’hui environ 5 000 hommes d’honneur dont plus de la moitié relèvent des 54 familles palermitaines. Schématiquement, la structure de base de Cosa Nostra est composée par la Famille ou Cosca (« l’artichaut ») qui contrôle un quartier, un faubourg ou une petite ville. La délimitation des territoires des cosche doit être strictement respectée sous peine d’entraîner de violents règlements de compte. Plus d’une centaine de cosche sont installées en Sicile, dont près de la moitié à Palerme et dans ses environs.

Chaque Cosca est dirigée par un chef (Capo), élu par les membres de la Cosca. Le Capo est assisté d'un adjoint (Vice Capo) et d’un conseiller (Consiglieri). La Cosca comprend généralement entre trente et quarante "hommes d'honneur", soldats ou picciotti (à Palerme). Lorsque la Cosca est plus importante, ses membres s’organisent en Decine, chacune placée sous les ordres d'un Capodecina. Calquée en partie sur la structure administrative de l’île, l’organisation de Cosa Nostra comporte ensuite l’échelon du canton qui regroupent deux à trois familles mafieuses mitoyennes. Chaque canton mafieux (Commissione) est placé sous l’autorité d’un Capomandamento. Ce dernier est placé en dernier ressort sous l’autorité d’un représentant provincial qui siège à la commission régionale (Commissione Regionale), appelée aussi Région ou Coupole, l’instance suprême de Cosa Nostra. En raison de sa prééminence en terme d’effectifs, la ville de Palerme est un cas particulier au sein de Cosa Nostra : contrairement aux autres provinces mafieuses, Palerme n’est pas dirigée par un représentant provincial mais par une commission provinciale où sont représentés les dix-huit capomandamenti palermitains. Les Familles de Cosa Nostra se caractérisent par leur extrême homogénéité. Elles rassemblent les membres de mêmes familles biologiques unies à la fois par des mariages croisés entre familles proches et des liens d’interdépendance géographique et économique :

« Presque tous les groupes d’hommes d’honneur sont constitués de la famille proche ou lointaine et des amis. Frères , cousins, compères tissent toujours la toile de la cellule de base, la cosca. Entrer dans une cosca, c’est être impliqué dans un cercle de compagnonnages, de mariages et de clientélisme de vastes proportions, qui peut inclure plusieurs centaines de personnes. La famille, les parentés, les liens du sang sont à Cosa Nostra ce que l’idéologie était au terrorisme politique. »116

116 Propos tenus par Mme Ilda Boccassini, magistrate italienne, in L’Europe des Parrains, de Fabrizio Calvi, Paris, éditions Grasset, p. 96.

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II.1.1. DE LA MAFIA DES JARDINS A LA CREATION DE LA COMMISSION REGIONALE (1860-1957). Aux confluences du grand banditisme rural et des traditions ésotériques et maçonniques siciliennes, l’organisation criminelle sicilienne Cosa Nostra (« Notre chose » 117) s’est structurée à partir du milieu du XIXe siècle comme une force supplétive au service des grands propriétaires terriens soucieux d’assurer la sécurité de leurs domaines en l’absence d’institutions publiques italiennes encore crédibles suite à la déchéance des Bourbons et au processus d’unification de l’Italie de 1860. A partir du contrôle des vastes propriétés agraires (latifundi), les activités des familles mafieuses s’étendirent rapidement aux marchés d’agrumes et aux principaux circuits commerciaux de la Sicile (minoteries, marchés de la viande, compagnies de transport, entrepôts portuaires). Cette influence criminelle contamina rapidement la vie politique communale puis régionale. La perméabilité criminelle de la vie sociale sicilienne était, il est vrai, facilitée par le paravent idéologique de la « siciliannité » affichée par l’organisation criminelle. Dès le début du XXe siècle, la prégnance mafieuse en Sicile est relevée par les autorités gouvernementales italiennes. Entre 1924 et 1929, le préfet Cesare Mori obtint de Benito Mussolini les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre en Sicile et entreprit d’éradiquer toute activité mafieuse sur l’île. Cette politique sécuritaire eut plusieurs conséquences importantes pour l’évolution de la Mafia. La répression renforça la clandestinité de l’organisation mafieuse. Elle favorisa ensuite la dissémination de l’organisation mafieuse hors des frontières insulaires traditionnelles. Au cours des années 1920, une famille mafieuse s’installe à Tunis tandis que d’autres mafieux profitent de l’implantation d’une diaspora sicilienne118 aux Etats-Unis pour s’implanter sur le continent nord-américain, à l’exemple des chefs mafieux italo-américains Joe Masseria, Carlo Gambino, Joseph (Bananas) Bonanno et Salvatore Lucania, alias Francky (Lucky) Luciano. L’histoire contemporaine de Cosa Nostra ne débuta toutefois véritablement qu’avec l’arrivée des troupes américaines en Sicile en 1943. Sous l’impulsion du mafieux italo-américain Francky Lucciano119, la vieille mafia sicilienne rurale emprunta aux

117 L’appellation Cosa Nostra (Notre Chose) n’est connue que depuis la publication dans les années 1980 des témoignages des repentis de l’organisation mafieuse sicilienne. Cette appellation dériverait d’une phrase d’identification employée couramment par les mafieux : « Sommes-nous de la même Chose ? ». Lucky Luciano avait par ailleurs popularisé la dénomination de La Cosa Nostra (LCN) pour désigner le regroupement des familles mafieuses italo-américaines. 118 Entre 1900 et 1914, plus d’un million de siciliens émigrèrent à l’étranger dont 800 000 en Amérique du Nord. Les familles mafieuses italo-américaines se sont formées à l’occasion de cette émigration. 119 Après avoir fait ses armes dans le trafic d’alcools pendant la prohibition, Francky (Lucky) Luciano, de son vrai nom Salvatore Lucania, s’est imposé en 1930-1931 à la tête des familles mafieuses italo-américaines, qu’il a contribué à structurer en 24 familles sur un modèle criminel de type entrepreunerial. Condamné aux Etats-Unis, il fut sorti de prison en 1943 par les services secrets de l’US Navy américains pour mettre fin à la grève des Longshormen (dockers) syndiqués du port de New-York qui bloquaient l’approvisionnement des troupes américaines. Il fut par la suite expulsé

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méthodes rationalisées des familles criminelles italo-américaines et se transforma progressivement en organisation criminelle transnationale. Installé dès 1947 près de Naples, Lucky Luciano noua des contacts avec les corses Joe Renucci et les frères Francisci pour développer des filières de trafic d’héroïne en Méditerranée. D’autres italo-américains rejoignirent également l’Italie : Franck Coppola et Serafino Mancuso, condamnés aux Etats-Unis pour trafic en 1935. II.1.2. LE TRAFIC DE STUPEFIANTS ET L’ESSOR DES ACTIVITES DE BLANCHIMENT (1957-1981) A la suite de la réforme agraire de 1950, qui démantela les grands domaines agraires, Cosa Nostra se métamorphosa en une nouvelle organisation criminelle. Les mafieux ne furent plus exclusivement attachés à l’univers rural. Ils s’impliquèrent dans les affaires, créèrent des sociétés, s’imposèrent comme intermédiaires obligés pour l’effort de reconstruction de l’après-guerre en profitant de la mise en place des nouvelles institutions politiques :

« La condition du mafieux s’est transformée dans les zones de latifondo. Celui-ci n’est plus nécessairement un campiere ou un administrateur appointé par le grand propriétaire. Il se présente plutôt sous les traits d’un propriétaire terrien petit ou moyen, il possède, individuellement ou en société, des tracteurs, des moissonneuses-batteuses ou des camions, il est propriétaire, en son nom ou en participation collective, de sociétés de constructions plus ou moins importantes pour l’adjudication des travaux publics, il est titulaire ou associé d’entreprises commerciales et de magasins. »120

Du 10 au 14 octobre 1957, se tint à l'hôtel des Palmes de Palerme (Sicile) le sommet des parrains où se rencontrèrent les principaux chefs des familles mafieuses de Sicile et d’Amérique du Nord. Franck Coppola y était représenté par Santo Sorge et Vito Vitale. Joseph Bonanno, dit Joe Banana, le puissant chef de famille new-yorkaise s’était également déplacé ainsi que Lucky Luciano, expulsé des Etats-Unis et installé à Naples. La Cosa Nostra sicilienne était représentée par Genco Russo, Vincezo Rimi, le palermitain Gaetano Badalamenti, assisté de Tomaso Buscetta121, Salvatore Greco, définitivement en Italie où il s’installa près de Naples. Il meurt après avoir bu un café empoisonné en janvier 1962. 120 « Funzioni e basi sociali della mafia », par Francesco Reda, in Il movimento contadino nella società siciliana, Palerme, 1956, cité p. 191 dans Histoire de la Mafia, par Marie-Anne Matard-Bonucci, 1994. 121 Né en 1938, Tomaso Buscetta, surnommé Don Masino, fut remarqué par la Famille de Porta Nuova (Palerme). Devenu homme d'honneur de Cosa Nostra en 1956 par l'entremise du parrain Gaetano Badalamenti, chef de la Famille de Cinci (village proche de Palerme), Buscetta participa au sommet de l’hôtel des Palmes à Palerme. Il devint l'intermédiaire entre la Sicile et les Etats-Unis. Proche de Vito Ciancimino, maire de Palerme, de Franco Restivo, ministre de l'Intérieur de 1968 à 1972, et de Salvo Lima, chef de file de la Démocratie Chrétienne en Sicile, il fut également l’ami des cousins Nino et Ignazio Salvo, les plus influents entrepreneurs de BTP de Sicile. En 1970, il quitte Palerme pour les Etats-Unis puis le Brésil où il s'expatrie définitivement en 1981. A la tête de sociétés d’import-export, il développe de nouvelles filières pour le trafic de stupéfiants au Vénézuela, au Pérou, en Colombie, au Guatemala et au Salvador. En contact avec les Gambino et les Genovese à New-York, il assiste impuissant au massacre implacable des Familles palermitaines proches de Bontate par les Corleonesi Toto Riina et Bernardo Provenzano. En 1984, il est extradé du Brésil vers l'Italie. Contre le bénéfice du

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originaire de Corleone et chef d’une autre famille palermitaine, les frères Angelo et Salvatore La Barbera, et enfin Michel Sindona, le conseiller financier de Cosa Nostra. Au cours de cette réunion historique, plusieurs décisions importantes furent prises. La première d’entre elles fut la mise à l'écart d'Albert Anastasia, le chef de l'organisation aux Etats-Unis122. Les autres décisions concernaient la nouvelle stratégie pour le trafic de stupéfiants entre l'Amérique du Nord et l'Europe : les Siciliens importèrent à partir de cette date la morphine-base depuis le Moyen-Orient (Turquie, Iran, Afghanistan) et la raffinèrent depuis la Sicile avec l’aide de chimistes du milieu marseillais avant de l'expédier vers New-York. Les Américains, quant à eux, inquiets des risques encourus avec la nouvelle législation répressive adoptée par le Congrès, se contentèrent de fournir la logistique nécessaire au trafic depuis les Etats-Unis. Cet accord entraîna l'installation de certaines familles palermitaines en Amérique du Nord. Enfin cette réunion fut le prétexte à la mise en place de la Commission régionale (Coupole), inspirée du modèle nord-américain inventé par Lucky Luciano dans les années 1930 entre les familles italo-américaines. Andrea Fazio, de Trapani, fut le premier secrétaire désigné pour prendre la tête de la Commission régionale. Dès 1958, les conflits éclatèrent entre les familles palermitaines. Pendant qu’à Corleone, Luciano Liggio s’imposait par la force, entre 1961 et 1963, une coalition de familles du quartier de Ciaculli menée par Salvatore Greco s’opposa violemment aux frères La Barbera, manipulés par Michele Catavaio. Le conflit fut meurtrier et provoqua une réaction énergique des autorités italiennes à la suite du massacre d’une équipe de Carabiniers : une centaine d’interpellations, des mesures de relégation et la création à Rome de la première commission antimafia. En 1963, Salvatore (Toto) Greco fut contraint de mettre en sommeil la Commission suite à l’offensive répressive des Carabiniers et de s’effacer au profit d’un triumvirat informel, composé des trois chefs de famille dominants : Gaetano Badalamenti, parrain de Cinisi près de Palerme, Luciano Liggio, chef de la famille de Corleone, et Stefano Bontate, chef du quartier palermitain de Santa Maria di Gesù. Entre 1964 et 1971, la commission régionale se reforma avec comme chef des chefs Gaetano Badalamenti dit Don Tano. Les tensions entre familles s’apaisèrent après l’assassinat de Michele Catavaio le 10 décembre 1969 et les premières libérations des chefs mafieux à la suite du procès de Catanzaro en 1968 et 1969. Arrêté en 1971, par le juge Fernando Imposimato, Badalamenti fut remplacé au poste de secrétaire de la commission régionale par Stefano Bontate. En 1975, c’est au tour de Giuseppe Calderone, originaire de Catane d’en devenir le secrétaire. Assassiné en 1978, il est remplacé par le palermitain Michele Greco, allié à la puissante famille des Corleonesi, dirigé par Lucciano Liggio.

programme de protection des témoins du FBI, Buscetta accepte de devenir le repenti le plus exceptionnel de l’histoire judiciaire italienne. Il est décédé en avril 2000. 122 Assassiné peu de temps après le sommet de Palerme par les frères Gallo, il sera remplacé à la tête des familles new-yorkaises par son adjoint, Genovese.

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Originaire de Corleone, Luciano Leggio, dit Luciano Liggio s'imposa à la tête de sa cosca en faisant assassiner en 1958 le Docteur Michele Navarra, parrain alors tout-puissant de Corleone et parfait exemple de notable mafieux, qui cumulait les fonctions de médecin-chirurgien attitré des chemins de fer italiens, directeur de l'hôpital Dei Bianchi de Corleone et de président de la coopérative des agriculteurs et des caisses maladie et des mutuelles des villages de Corleone, Misilmeri, Bolognetta et Lercara Friddi. Sur la dépouille mortelle de Michele Navarra, on releva pas moins de 124 impacts de balles tirés à bout portant. Dans les années 60, Liggio s’assura le soutien de deux proches de Giulio Andreotti : le député démocrate-chrétien Bernardo Mattarella, qui sera par la suite ministre du commerce extérieur, et Vito Ciancimino, maire de Palerme en 1971, ancien adjoint aux travaux publics de son prédécesseur, Salvo Lima, autre vieux compagnon de route de Cosa Nostra qui sera assassiné en 1992. En 1971, Liggio assassina lui-même Pietro Scaglione, le procureur de Palerme jugé responsable de l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre. Il était accompagné pour commettre cet homicide de Salvatore Riinà, de Bernardo Provenzano et d’Agostino Coppola, le neveu de Franck Coppola123. En mars 1974, il finit par être interpellé et fut incarcéré. La direction des Corleonesi revint alors à Salvatore Riinà. II.1.3. LA STRATEGIE MILITARO-TERRORISTE DES CORLEONAIS (1981-1992) La montée en puissance des Corleonesi au sein de l’organisation mafieuse sicilienne, sur fond de rivalités entre familles pour le contrôle du trafic d’héroïne, déclencha une nouvelle guerre interne, particulièrement meurtière pour les familles palermitaines, qui furent pour la plupart d’entre elles décimées. En août 1977, l’assassinat à Ficuzza du colonel des carabiniers Giuseppe Russo par les Corleonesi avait scellé la rupture définitive entre ces derniers et Gaetano Badalamenti, chef des chefs de l’organisation mafieuse. Alliés au palermitain Michele Greco et aux catanais de Benedetto Santapaola, les Corleonesi entreprirent d’éliminer méthodiquement les familles palermitaines concurrentes. Entre 1978 et 1982, les homicides se multiplièrent : les opposants aux Corleonesi au sein de Cosa Nostra (Giuseppe Di Cristina en mai 1978, Stefano Bontate en avril 1981, Salvatore Inzerillo en mai 1981), les représentants des autorités publiques (le colonel

123 Surnommé le Tsar ou Three Fingers (au cours d’un braquage aux Etats-Unis, les doigts pris dans une porte de coffre-fort, la légende veut que Coppola ait préféré se trancher les doigts pour échapper à la police), Francesco Paolo (Franck) Coppola est né en 1879 à Partinico (Sicile). En 1904, il a émigré aux Etats-Unis où il a débuté comme vendeur ambulant de fruits et légumes dans le quartier de Little Italy à New-York. Devenu un tueur de la Mafia italo-américaine, il devient le chef de la famille de Kansas City (Missouri) et fut l'un des trois boss de la Cosa Nostra italo-aémricaine entre 1941 et 1945 avec Lucky Luciano et Joe Adonis. Suspecté d’être le commanditaire de 27 meurtres, il est expulsé des Etats-Unis par le FBI en août 1948. Il parvient néanmoins à participer au financement de la campagne électorale de Harry Truman, ancien sénateur du Missouri (Kansas City). Exilé à Rome, il s'installe dans la villa de Tor San Lorenzo d'où il supervise une partie des trafics de stupéfiants de Cosa Nostra. Pour couvrir ses activités criminelles, il investit dans de très nombreux commerces (restaurants, hôtels, laveries, boucheries, teintureries, magasins d'habillement, usine de bouillons de légumes). En février 1982, il est interpellé et incarcéré. Il décède le 26 avril 1983 dans une clinique de Rome à la suite de troubles cardiaques.

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Giuseppe Russo en août 1977, l’inspecteur Boris Giuliano en juillet 1979, le magistrat et député Cesare Terranova en septembre 1979, le capitaine des Carabiniers Emanuele Basile en mai 1980, le préfet Dalla Chiesa en septembre 1982) et même certaines personnalités politiques (Michele Reina, secrétaire de la Démocratie Chrétienne de Palerme en mars 1979, le président de la région de Sicile Piersanti Matarella en janvier 1980) furent les premières victimes de la campagne d’assassinats conduite par les Corleonesi en vue de la conquête du pouvoir mafieux. Au cours de cette période, on relevait, en moyenne, un meurtre par jour à Palerme. Suite au retrait de Michele Greco, au début des années 1980, le clan des Corleonesi (Toto Riina, Bernardo Provenzano, Loluca Bagarella) prit complètement le contrôle de l’organisation mafieuse. D’après les déclarations le 30 juin 1992 du repenti Leonardo Messina au groupe d’enquête du tribunal de Palerme, la commission régionale de Cosa Nostra se composait au début des années 1990 du parrain des parrains Salvatore (Toto) Riinà et de son adjoint Bernardo Provenzano, tous deux chefs de file des Corleonesi, assistés de Giuseppe Madonia (Palerme), d’Angelo Barbero (Catane) et de Benedetto Santapaola (Catane). II.1.4. VERS UNE COSA NUOVA. Depuis l’arrestation de Salvatore Riinà, Cosa Nostra a engagé une stratégie dite d’invisibilité, fondée sur l’abandon de l’option terroriste pratiquée au début des années 1990. Affaiblie par la multiplication des interpellations, le recours systématisé aux repentis et les tensions internes provoquées par la brutalité des méthodes de commandement de Salvatore Riinà et des Corleonesi, Cosa Nostra aurait voulu au cours de l’année 2000 engager une tentative de conciliation avec l’Etat italien par le biais du chef mafieux Salvatore Biondino, désigné comme représentant de Salvatore Riinà, incarcéré depuis janvier 1993. Contre la reconnaissance de leur culpabilité et la dissolution de l’organisation mafieuse, la plupart des chefs de Cosa Nostra incarcérés réclament à Pier Luigi Vigna, le procureur national antimafia, le droit d’être libéré dans 15 ou 20 ans124. Selon le procureur de Palerme, Piero Grasso, la nouvelle Commission, dirigée par Bernardo Provenzano, se composerait des chefs mafieux suivants : Antonino (Nino) Giuffrè (chef de la famille de Caccamo), Giuseppe Balsano, Salvatore Lo Piccolo (chef de la famille de San Lorenzo à Palerme), Giovanni Motisi, Matteo Messina Denaro, Andrea Manciaracina, Luigi Putrone et Joseph Focosi. Compte tenu de la clandestinité stricte à laquelle est contraint Provenzano, ce serait en fait un triumvirat composé de Messina Denaro, Giuffrè et Lo Piccolo qui dirigerait Cosa Nostra au quotidien. Parmi ces trois chefs mafieux, Matteo Messina Denaro passe pour être le futur Chef des chefs de Cosa Nostra. Né le 26 avril 1962 à Trapani, Messina Denaro a fait un parcours exemplaire au sein de la famille de Castelvetrano dans la province de

124 « La mafia siclienne aurait décidé de négocier un armistice avec l’Etat italien », Eric Jozsef, Le Temps, 9 février 2001.

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Trapani. En 1998, il a été propulsé à la tête de la commission provinciale de Trapani suite à l’assassinat de son père, Francesco Messina Denaro (Don Ciccio). A 14 ans, Matteo participait à sa première opération armée. A 18 ans, il commet son premier homicide et à 31 ans, il participe à la campgne d’attentats à la bombe. En fuite depuis plusieurs années, il fait l’objet de neuf mandats d’arrêt et de plusieurs condamnations par contumace, dont une à perpétuité pour les attentats à la bombe de 1993 à Rome (églises Saint-Jean de Latran et Saint-Georges du Vélabre), à Florence (Galerie des Offices) et à Milan (Pavillons des Arts Contemporains). Associé pour l’occasion à Filippo et Giuseppe Graviano, deux chefs mafieux de la famille du Brancaccio à Palerme, Messina Denaro avait pour mission avec ses attentat (10 morts) d’imposer aux pouvoirs publics italiens une négociation autour de l’aménagement des peines infligées aux chefs incarcérés de Cosa Nostra. L’importance prise par Messina Denaro au sein de Cosa Nostra et la confiance que semble lui accorder Provenzano, sont certainement aussi liées à son habilité à gérer les fonds criminels. Lui-même propriétaire de sablières dans la province de Trapani, Messina Denaro est associé depuis le début des années 1990 avec les familles des Cuntrera et Caruana, originaires de Siculiana et installées en Amérique du Nord, pour le trafic de stupéfiants et le blanchiment. Messina Denaro est également au mieux avec une puissante famille de propriétaires terriens à laquelle appartient Antonio D’Ali, sénateur de Sicile et membre influent Forza Italia125. Le cousin d’Antonio, Giacomo D’Ali est administrateur de la banque d’affaires COMIT. En 1993, la famille D’Ali avait prêté son concours à Salvatore Riinà pour dissimuler une partie de ses avoirs.

125 Corriere della Serra, le 20 mai 2001.

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II.2. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA CAMORRA II.2.1. UNE ORGANISATION CRIMINELLE AUX ORIGINES URBAINES La Camorra présente la spécificité d’être avant tout une organisation criminelle d’origine urbaine. Parfois qualifiée, par comparaison avec Cosa Nostra, de « criminalité désorganisée » du fait de son mode d’organisation très déconcentrée, la Camorra est l’héritière indirecte d’une forme de confrérie criminelle qui existait dans le quartier misérable de la Viccaria de Naples : la Bella Società Riformata126. Au début du XIXe siècle, cette organisation avait codifié les règles criminelles informelles imposées aux habitants des quartiers pauvres napolitains. Dès 1819, les archives de la police italienne ont connaissance du déroulement d’un procès officieux devant le tribunal Grande Mamma de la Camorra. Un tribunal camorriste était en effet chargé de veiller aux respects de la hiérarchie au travers de deux instances : la Mamma, limitée au quartier, et la Gran Mamma compétente pour les litiges entre quartiers. Cette dernière institution est présidée par le Capintesta, au-dessus duquel existe encore un ultime niveau de médiation appelé Mammasantissima. Par la suite, la Camorra servira de force supplétive utilisée par les Bourbons contre les Libéraux, puis, par les Libéraux contre les Bourbons. Cette proximité ancienne avec la classe politique napolitaine reste une des grandes forces de cette organisation criminelle qui pratique l’entrisme et l’infiltration de ses membres jusqu’au sein même des forces de police. La Camorra doit son développement à la pratique de l’usure, de la prostitution, des jeux clandestins et surtout à la « protection » contre rémunération qu’elle impose à la population (commerçants, bistrotiers, marchands ambulants) des ruelles du vieux Naples. II.2.2. LE TOURNANT DE 1974 : L’ALLIANCE AVEC COSA NOSTRA POUR LE TRAFIC DE STUPEFIANTS Au début des années 1970, la Camorra faisait surtout parler d’elle pour ses pratiques de séquestrations et d’enlèvements à travers toute la Campanie. Aux yeux de beaucoup, la Camorra passe encore pour une organisation criminelle indisciplinée de second rang En 1974, les Corleonesi de Cosa Nostra choisissèrent pourtant de s’adresser à Michele Zazza et Lorenzo Nuvoletta pour associer la Camorra au développement du trafic de stupéfiants. Dans la propriété de Nuvoletta à Poggio Vallesana, eut une rencontre décisive pour sceller cette alliance entr ePippo Calo, Salvatore Riinà, Bernardo Brusca, les frères Pippo et Antonino Calderone, Tommaso Spadaro et Nunzio La Mattina. 126 La Bella Societa Riformata s’organisait en deux collèges : la Societa Maggiore qui regroupait les camorristi et la Societa Minore qui comprenait les membres honorables (giovanotti honorare), les soldats (picciotti) et les piciotti di sgarro. Au sein de chaque quartier de Naples, une Societa, divisée en Paranze (petits groupes spécialisés) était dirigée par un chef de société (caposocietà), assisté d’un capintrito et d’un contaiuolo, chargé du secrétariat et de la comptabilité des extorsions de fonds auprès des commercants du quartier.

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Cette alliance s’explique par les liens déjà anciens noués dans les années 1950 par Lucky Luciano avec des membres de la Camorra pour le transfert des activités de trafic de cigarettes de Tanger vers Naples. Au contact des familles palermitaines de Cosa Nostra, les clans camorristes passent toutefois de la contrebande de cigarettes au trafic d’héroïne. Les profits criminels explosent et l’organisation napolitaine monte en puissance, jouant de ses relations anciennes avec le milieu marseillais. II.2.3. LA CAMORRA ACTUELLE Victime d’une répression sévère pendant l’entre-deux guerres, la Camorra retrouva une nouvelle vigueur avec la reconstruction de Naples aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Jusqu’aux années 1970, la Camorra s’impliqua principalement dans l’industrie de la contrefaçon et les filières de contrebande à partir du port napolitain. Forte de plus d’une centaine de clans comprenant environ 7 000 affiliés, la Camorra est une organisation criminelle aux contours particulièrement souples. Contrairement à Cosa Nostra ou à la ‘Ndrangheta, elle n’applique pas de règles de recrutement fondés sur des liens de consanguinité. Elle n’a pas non plus de rituel d’intronisation bien arrêté. Elle constitue plus un milieu criminel particulièrement dense, fait d’alliances et de conflits entre des clans, où les coalitions se font et se défont127. Deux pôles majeurs ont néanmoins émergé en son sein : la Nuova Camorra Organizzata de Raffaele Cutolo et la Nuova Famiglia de Pietro Aglieri. Jusqu’au début des années 70, c’est la Nuova Camorra Organizzata (NCO)128 de Raffaele Cutolo129 qui domine la scène criminelle napolitaine. Inquiet de l’influence grandissante de Cosa Nostra dans les affaires de la Camorra, Cutolo craignait de voir la Camorra se transformer en simple organisation supplétive des siciliens. Il entreprit en conséquence de structrurer son organisation. Se baptisant lui-même, le Vangelo, il s’attribua la direction stratégique de la NCO et construit de toute pièce une hiérarchie entre ses subordonnés : les Santisti, les Sgarristi et les Capizona. A la tête d’un quartier, ces derniers commandent aux nombreux Picciotti, les soldats de l’organisation. Cutolo essaya également de mettre en place une cérémonie d’intronisation (fedelizzazzione) afin de renforcer la cohésion interne de son organisation Au cours des années 1980, la NCO fut supplantée130 par l’alliance entre les Bardellino, les Nuvoletta et le clan Alfieri qui tentèrent de prendre l’ascendant sur la

127 Entre 1989 et 1990, 427 personnes ont été assassinées dans le cadre de règlements de compte imputés à la Camorra. 128 Selon la commission d’enquête parlementaire italienne sur la Camorra en 1993, la NCO aurait disparu vers 1983 du fait de renversements d’alliances internes à la Camorra. 129 Rafaele Cutolo contrôlait dans les années 1970 l’essentiel des activités de prostitution, de racket, de jeux clandestins, de trafics de drogue et de contrebande de cigarettes dans la région de Naples. Il fut contacté par l'avocat Francesco Cangemi qui tentait d’obtenir la libération d'Aldo Moro, détenu par les Brigades rouges. 130 Rafaele Cutolo et quelques 600 camorristes de la NCO furent interpellés au cours d’une gigantesque opération de police au printemps 1983.

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Camorra en formant la Nuova Famiglia. Enfin en 1992, Alfieri tenta, seul, de structurer la Camorra sur le modèle centralisé et hiérarchique de Cosa Nostra. Rebaptisé Nuova Mafia Campana, cette expérience resta un échec. En dépit de son arrestation, Alfieri reste toujours la figure dominante de la Camorra qu’il continue de diriger avec l’aide de son lieutenant, Mario Fabroccino. A la fin des années 1990, la Camorra comprenait environ 111 familles, fortes de 6 700 affiliés. Près de 200 000 napolitains étaient en contact direct et quotidien avec la Camorra. La seule ville de Naples était partagée entre une vingtaine de clans. La Camorra s’est implantée aux Pays-Bas, en Allemagne où opère le groupe Licciardi-Contini-Mallardo, en Roumanie, où fut signalé notamment la présence d’Alfieri, en France avec le groupe autour de Michele Zaza131, en Espagne, au Portugal (les Casalesi) et en République Dominicaine (clan Bardellino). Partagée grossièrement entre les clans des quartiers populaires de Naples et ceux de la périphérie et des zones rurales de Campanie, la Camorra reste une organisation criminelle instable, constituée de clans rivaux en perpétuelle concurrence : en 2000, 136 personnes ont été abattues au cours de règlements de compte mafieux dans la région de Naples. Au mois d’avril 2000, une importante opération de la Squadra Mobile de Naples a permit l’arrestation de Francesco Mallardo132 et le démantèlement complet de l’organisation camorriste Alleanza di Secondigliano.133 Cette enquête permit aux magistrats et policiers italiens de faire un point sur l’état de structuration d’un clan important de la Camorra. Associé à Licciardi, Contini et Bosti, Francesco Mallardo faisait partie d’une sorte de cartel de clans camorristes, l’Alleanza di Secondigliano. Cette organisation, plus proche dans son mode de fonctionnement « égalitaire » d’un gigantesque ‘ndrine calabrais que d’une cosca sicilienne, voulait imposer sa loi sur un territoire très important, allant de l’ensemble de l’agglomération napolitaine à la province de Caserte.

131 Michele Zaza, dit O Pazzo (le Fou) est originaire de Naples. Il avait investi des fonds importants en France dans des maisons de jeux à Nice et à Menton. Propriétaire de maisons à Naples et à Beverly Hills, il a été arrêté par la Police judiciaire française à la fin des années 80 après une première évasion. 132 Francesco Mallardo a été inculpé pour homicide en 1981. Incarcéré, il s’évade en novembre 1983 de la prison de Benevento. Il est interpellé à nouveau en 1985 et condamné pour trafic de stupéfiants. Relâché faute de preuves, il est à nouveau inculpé pour trafic de drogues et gestion de loteries clandestines en 1988. En 1992, il est condamné par contumace dans le cadre d’une instruction pour délit d’association mafieuse à l’encontre de Licciardi. 133 « Camorra 2000 : Affari di Famiglia » par Fabrizio Feo, in Narcomafie, mai 2000.

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II.3. HISTORIQUE ET EVOLUTION DE LA ‘NDRANGHETA La Calabre, région montagneuse, isolée et très faiblement peuplée d’Italie, placée à l’écart des grands axes de communication, est marquée par la prévalence de codes symboliques ancestraux propres au Mezzogiorno. Le rapport au droit, à la loi et à l’autorité publique y reste largement supplanté par le respect de valeurs jugés supérieurs comme la fidélité au clan familial, le sens de l’honneur, de la dette et de la vengeance. La ‘Ndrangheta, l’organisation mafieuse d’origine calabraise, reproduit fidèlement ces spécificités locales. Connue depuis la fin du XVIIIe siècle sous la forme de la Picciotteria, le grand banditisme calabrais, la genèse de la ‘Ndranghetta débute à la fin du XIXe siècle, avec la construction de la liaison ferroviaire entre Reggio Calbria et Eboli. Ce chantier, très important pour l’époque, traversait le massif montagneux de l’Aspromonte, fief des bandes criminelles calabraises. L’Etat italien chercha à cette occasion à éradiquer cette forme de criminalité entre 1880 et 1885. En réaction, les premières ‘Ndrina se constituèrent comme celle de Locride. Dès 1884, Giorgio Tamajo, le préfet de Reggio Calabria, se plaignait auprès de ses supérieurs à Rome de la constitution de noyaux criminels mafieux dans sa ville134. La Calabre a le redoutable privilège de présenter la plus forte densité criminelle en Italie. En 1994, le ministère de l’Intérieur italien estimait que 27 % de la population de Calabre était en relation quotidienne avec la ‘Ndrangheta contre 12 % en Campanie avec la Camorra, 12 % dans les Pouilles avec la Sacra Corona Unita, et moins de 10 % en Sicile avec Cosa Nostra135. En 2000, dans la province de Crotone, le préfet Paolo Calvo estimait que 70 % des jeunes de 12 à 13 ans étaient rémunérés par la ‘Ndrangheta pour de petits services (surveillance des déplacements des Carabiniers, contrôle du territoire, vente de cigarrettes de contrebande). La ‘Ndrangheta a la réputation d’être à la fois l’organisation criminelle la plus sanguinaire et la plus cloisonnée d’Italie :

« La force des familles calabraises réside dans la solidarité existant à l’intérieur des groupes et entre les individus. Les mélanges sanguins sont si forts qu’il est pratiquement impossible de discerner les souches parentales. Dans certains cas, la recherche des états civils ne peut être effectuée, car nombre de registres furent détruits dans des incendies criminels, comme celui qui ravagea la mairie d’Africo où toute la documentation fut dispersée. »136

Originaire historiquement de la région montagneuse de l’Aspromonte, la ‘Ndrangheta se distingue des autres mafias italiennes comme Cosa Nostra (Sicile) ou la Camorra (Naples), par son organisation très décentralisée. Forte d’environ 155 clans (cosche), la

134 G.M. Galante, "Giornale di viaggio in Calabria - 1792", Edizione critica a cura di Augusto Placanica, Naples, 1985, p. 245 et alii. 135 Rapport La criminalita' organizzata di tipo mafioso di origine calabrese de la Direzione Investigativa Antimafia (DIA) de janvier 1994, p.211. 136 Propos tenus par Mme Ilda Boccassini, magistrate italienne, in L’Europe des Parrains, de Fabrizio Calvi, Paris, éditions Grasset, p. 94.

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‘Ndrangheta regrouperait entre 4 000 et 6 000 membres selon les estimations. La structure de base de la ‘Ndrangheta est la ‘ndrina, appelée aussi Cosca ou famille, qui exerce sa tutelle sur un quartier. La ‘ndrina, formée le plus souvent autour d’une famille naturelle, est dirigée par un capobastone. Ce dernier commande à un groupe mafieux d’une trentaine de personnes. Chaque ‘ndrina est autonome sur son territoire. Lorsqu’elle prend une certaine importance, la ‘ndrina peut ensuite s’organiser en plusieurs locali placés sous l’autorité d’un capo locale. Contrairement à Cosa Nostra, la ‘Ndrangheta n’a pas de structure supérieure permanente de coordination. Il a toutefois été relevé l’existence d’une sorte de réunion fédérative annuelle de tous les chefs de ‘ndrine, qui s’est longtemps tenue dans le village de San Luca, à proximité du massif de l’Aspromonte. En 1970, à Locri, la police italienne intervint au cours d’une de ces réunions. Selon Giacomo Lauro, la réunion de Locri avait pour objet la mise en place d’un comité de soutien au projet de coup d’Etat préparé par le prince Junio Valerio Borghese. D’autres témoignages de repentis font état du versement de fonds à la ‘ndrina de San Luca, considérée comme « La Mamma’ di tutti gli affiliati »137 et de la présence à ces réunions de délégations calabraises venues du Piémont, d’Australie et du Canada. Dans les années 1960, des calabrais s’initient à la contrebande de cigarettes au contact de membres de Cosa Nostra. Au début des années 1970, les calabrais prennent leur autonomie et développent leurs propres activités criminelles. Spécificité de cette organisation criminelle, la pratique industrielle du rapt avec rançon se développe au cours des années 1970 (plus de 200 cas entre 1960 et 1983). Entre 1985 et 1991, la sanglante guerre entre le clan de De Stefano et celui des Imerti (près de 700 homicides) réduisit à néant les efforts de coordination entre les différentes familles mafieuses calabraises et ce furent des médiateurs de Cosa Nostra qui parvinrent à apaiser les tensions entre clans calabrais. Cette médiation s’est vraisemblablement traduite par la mise en place d’une forme de commission régionale informelle sur laquelle il existe très peu de témoignages. La ‘Ndrangheta est certainement l’organisation criminelle réputée la plus cruelle et la plus violente d’Italie. Les opérations d’élimination physique, les règlements de compte ou les braquages menés par ses membres se caractérisent souvent par le recours à des systèmes d’armes sophistiqués (explosifs commandés à distance, projectiles spéciaux à haut pouvoir de perforation, fusils de précision, lance-roquettes, etc …). En juin 1988, Pasquale Rocco, le fils de Domenico Libri, âgé de 26 ans, avait été assassiné alors qu’il prenait l’air dans la cour de la prison de Reggio Calabria. Son assassin, un tireur d’élite embusqué, était installé à plusieurs centaines de mètres de l’établissement pénitentiaire.

137 Procura di Reggio Calabria, Richiesto di rinvio a giudizio a carico di Matacena Amedeo Gennaro, N°42/97 RGNR du 21 avril 1998.

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La ‘Ndrangheta fait peser sur la Calabre un climat de terreur qui est devenu un véritable handicap pour le développement économique de cette région enclavée138. En 1993, LucianoViolante, sénateur communiste et ancien président de la commission parlementaire italienne sur la Mafia, considérait que la montée en puissance de la ‘Ndrangheta avait fait reculé le développement de la Calabre de trente ans en arrière.139 Cette omniprésence criminelle se traduit par un climat général de défiance à l’égard des autorités policières et judiciaires qui compliquent énormément le travail de répression à l’encontre de la ‘Ndrangheta. En dépit de cet environnement hostile, les forces de sécurité sont parvenus dans les années 1990 à obtenir plusieurs succès notables avec l’arrestation de responsables importants de la ‘Ndrangheta comme Peppino Piromalli, Mico Libri, Nino Imerti, Sebastiano Romeo, Peppe Nirta, Vincenzo Pesce, Gioacchino Vrenna, Vittorio Ierino' ou Peppe Mazzaferro.

138« Storie di ‘Ndrangheta » in 'Ndranghete: le filiali della mafia calabrese, Monteleone, d’Antonio Nicaso et Diego Minuti. 139 Interview par Giuseppe Caldarola dans le supplément n° 216 du journal L'Unità du 11 septembre 1993, p.43.

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II.4. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES (SACRA CORONA UNITA) II.4.1. LA STRUCTURATION D’UNE CRIMINALITE ORGANISEE DANS LA REGION DES POUILLES (1950-1981) Dès les années 1950, plusieurs membres de Cosa Nostra, de la ‘Ndrangheta et de la Camorra se sont vus assignés à résidence par la justice dans des localités de la région des Pouilles. Ces mesures d’éloignement judiciaire ont concerné des figures mafieuses aussi importantes que Pietro Vernengo, Filippo Messina, Stefano Fontana, Giuseppe Baldi ainsi que les corléonais Luciano Leggio, Salvatore Riinà et Bernardo Provenzano. La présence de ces chefs mafieux dans la région des Pouilles s’est traduite rapidement par un rapprochement entre le milieu local traditionnel des contrebandiers et des membres d’organisations criminelles structurées. La ville de Fasano constitue le point de départ des premières connexions entre Cosa Nostra et la criminalité locale des Pouilles. En 1978, Amedeo Pecoraro, un membre de la famille palermitaine de Porta Nuovà (Cosa Nostra), est contraint par le Tribunal de Palerme de s’exiler à Fasano. Rapidement, ce dernier fait alliance avec Giuseppe D’Ononfrio, dit Bicicletta, un petit délinquant local qui devient en quelques années un important trafiquant d’héroïne et de cigarettes de contrebande. Les années 1970 voient également plusieurs membres de la Camorra et de la ‘Ndrangheta être transférés vers les cellules carcérales de la prison du port de Bari. En 1979-1980, le boss napolitain Raffaele Cutolo imagine d’étendre à la région des Pouilles la Nuova Camorra Organizzata (NCO). Le 5 janvier 1979, à l’hôtel Florio di Lucera, il intronise quarante criminels de la région au sein de son organisation. Sous l’impulsion de Cutolo et la supervision de Giuseppe Iannelli, la Nuova Grande Camorra Pugliese (NGCP) prend forme en 1981. A elle seule, cette organisation fut à l’origine de 40 % des activités délictuelles et criminelles dans la région des Pouilles. La guerre interne à Naples entre la NCO de Cutolo et les clans dissidents de la Nuova Famiglia entraîna toutefois rapidement une autonomisation progressive de la NGCP, qui se réorganisa en groupes criminels autonomes. II.4.2. LA NAISSANCE DE LA SACRA CORONA UNITA (1981-1991). Incarcéré à Bari, le mafieux calabrais Pino Rogoli proposa en 1981 à Umberto Belloco de mettre sur pieds une nouvelle organisation criminelle baptisée Sacra Corona Unita (SCU), qui visait dans un premier temps à faire obstacle à l’expansion de la Camorra de Cutolo. Cette organisation, opérationnelle à partir de 1982-1983, fédéra des criminels comme Giuseppe Iannelli, Giosuè Rizzi ou Cosimo Cappellari sur le modèle des ‘ndrines calabrais. Plusieurs arrestations firent néanmoins éclater en clans indépendants cette organisation. A partir du milieu des années 1980, les homicides se multiplièrent pour la répartition des territoires criminels entre les hommes proches de Rogoli et les autres clans restés

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indépendants. De ce premier conflit émergea en 1987 la Nuova Sacra Corona Unita (NSCU) qui avait pour but de constituer une commission provinciale chargée de résoudre les conflits entre les différents chefs de zones de l’organisation. Faute d’un véritable leadership au sein de cette organisation, des conflits internes violents reprirent et nécessitèrent en 1991 la médiation du mafieux Salvatore Anacondia. II.4.3. CRISE DES BALKANS ET DEVELOPPEMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES (1991-2001) La criminalité organisée des Pouilles a été l’une des principales mafias bénéficiaires de l’éclatement de la Yougoslavie. Porte d’entrée de l’Union Européenne, les Pouilles se sont ainsi transformés en plaque tournante pour les multiples filières de trafics qui traversent l’Adriatique (armes, cigarettes de contrebande, immigrants clandestins, prostituées, véhicules volés). Les côtes désolés des Pouilles, situées à quelques kilomètres des rives de l’Albanie ou du Monténégro, sont devenus en quelques années une véritable plate-forme logistique pour le développement des activités criminelles. Ce tropisme balkanique explique la concentration des clans de la S.C.U. le long de la côte adriatique entre Trani et Brindisi. Les liaisons maritimes avec les ports de Bar (Monténégro), Split et Dubrovnik (Croatie) et ceux de Durrës et de Vlorë (Albanie) sont autant de filières de trafics susceptibles d’attirer les appétits des organisations criminelles italiennes, albanaises, turques et même asiatiques lorsque les filières terrestres de la route des Balkans deviennent trop périlleuses ou incertaines. Très logiquement, la criminalité organisée des Pouilles a profité de cette opportunité historique pour se transformer en organisation criminelle de stature internationale en exerçant sa mainmise territoriale sur les entrepôts portuaires et les moyens logistiques nécessaires aux divers trafics. Très pragmatique, elle a en outre choisi de s’allier avec différents clans et familles de la ‘Ndrangheta, de la Camorra et de Cosa Nostra qui lui apportent leurs compétences respectives.

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REPERES CHRONOLOGIQUES

1860 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 4 avril Insurrection des partisans du Risorgimento à Palerme. 11 mai Débarquement des Mille de Garibaldi à Marsala. 1862 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 16 déc. La chambre des députés désigne une commission d’enquête chargée

d’enquêter le développement du brigandage dans les provinces méridionales.

1863 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 15 août Loi spéciale sur le brigandage dite « Loi Pica ». 30 sept. Décret créant de nouvelles compagnies d’armes en Sicile. 1866 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 16-22/09 Insurrection palermitaine des sette e mezzo. 1871 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 6 juillet Adoption d’une loi élargissant la pratique de l’avertissement de justice

aux mafieux et aux camorristes. Pour la première fois, le mot « mafieux » apparaît dans un texte législatif.

1873-1876 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Campagnes de répression du préfet Malusardi. 1874 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Victoire de la gauche aux élections en Sicile. 1875 ----------------------------------------------------------------------------------------------- Débat à la Chambre des députés sur les moyens de combattre la mafia

et la Camorra. Une commission d’enquête est désignée pour enquêter sur les conditions économiques et sociales en Sicile.

1877 ----------------------------------------------------------------------------------------------- Le rapport de la Commission d’enquête sur la Sicile est débattu au

Parlement. 1893 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Mouvement des fasci dei lavoratori en Sicile. 1er février Assassinat du marquis Emanuele Notarbartolo di San Giovanni, ancien

maire de Palerme (1873 à 1876), directeur de la Banco di Sicilia de 1876 à 1890, par Matteo Filippello et Giuseppe Fontana à la demande du député mafieux Raffaele Palizzolo. Palizzolo était en conflit avec Notarbartolo à propos de la privatisation de la Navigazione Generale Italiana (NGI).

9-25/12 Répression des fasci dei lavoratori par les milices mafieuses.

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1900 ----------------------------------------------------------------------------------------------- Début du premier procès de l’affaire Notarbartolo à Milan.

1901 -----------------------------------------------------------------------------------------------

A la suite de l’enquête du préfet de police Sangiorgi, mise en cause de plusieurs dizaines de mafieux dans le cadre du premier « maxiprocès » de l’histoire italienne.

1902 ----------------------------------------------------------------------------------------------- Raffaele Palizzolo est condamné à trente ans de prison pour le meurtre du marquis Notarbartolo par la Cour d’Assises de Bologne.

1904 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Palizzolo obtient son acquitement devant un tribunal de Florence. 1909 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Assassinat à Palerme du policier américain Joe Petrosino, venu en Sicile enquêter sur les liens entre le crime organisé new-yorkais et la mafia.

1915 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Assassinat du leader socialiste Bernardino Verro par la Mafia. 26 octobre Marche sur Rome de Benito Mussolini. 1922 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Avènement du régime fasciste. 1925 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 1er nov. Cesare Mori est nommé préfet de Palerme. 1943 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 9-10 juillet Débarquement des troupes alliées en Sicile. 25 juillet Chute de Mussolini. Juillet Naissance du Mouvement pour l’Indépendance de la Sicile (MIS). 2 septembre Assassinat d’un carabinier par Salvatore Giuliano. 1945 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Multiplication des assassinats de dirigeants politiques et syndicaux de gauche par des mafieux.

15 mai Adoption du nouveau statut d’autonomie régionale de la Sicile. 29 décembre Défaite des troupes séparatistes siciliennes à San Mauro, près de Caltagirone. 1946 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 2 juin Référendum établissant la République italienne. 1947 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 1er mai Salvatore Giuliano provoque le massacre de Portella della Ginestra.

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1948 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Assassinat de Placido Rizzotto, secrétaire de la Chambre du Travail de Corleone.

1950 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Création de la Cassa per il Mezzogiorno. Réforme agraire. 14 juillet Salvatore Giuliano est tué. 1957 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 10 au 14 oct. Rencontre entre les représentants des familles mafieuses siciliennes et

italo-américaines à l’Hôtel des Palmes de Palerme. Organisation du trafic d’héroïne vers les Etats-Unis. Michele Sindona est chargé d’organiser les filières de blanchiment de Cosa Nostra.

1958 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Salvatore Lima est élu maire de Palerme. Il reste à ce poste jusqu’en 1966.

2 août Le docteur Michele Navarra, chef de la famille de Corleone, est assassiné près de San Isidoro par Luciano Leggio, dit Liggio, qui prend la tête des corleonesi. Les lieutenants de Liggio sont Salvatore Riinà et Bernardo Provenzano.

1962 ----------------------------------------------------------------------------------------------- Décembre Loi instaurant la première commission d’enquête sur le phénomène de

la mafia en Sicile. 26 décembre Assassinat de Calcedonio Di Pisa, chef de la famille palermitaine de

Noce. Début de la grande guerre interne au sein de Cosa Nostra. 1963 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 30 juin Attentat de Ciaculli. Sept carabiniers sont tués par l’explosion d’une

voiture piégée. Après un an de guerre interne, Salvatore Greco, dit Cicchiteddu, dissout provisoirement la Coupole. Cosa Nostra est au bord de l’implosion.

1969 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 10 décembre Attentat de la Viale Strasburgo à Palerme. Quatre mafieux tombent sous

les balles d’un commando. Fin de la grande guerre des années 60. Formation d’un triumvirat à la tête de Cosa Nostra composé de Salvatore Riinà, bras-droit de Luciano Leggio, Stefano Bontate et Gaetano Badalamenti.

1970 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Vito Ciancimino devient maire de Palerme. 16 sept. Disparition du journaliste Mauro de Mauro. Son corps n’a jamais été

retrouvé.

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1971 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 5 mai Assassinat de Pietro Scaglione, Procureur de la République de Palerme.

Un des tueurs était Luciano Leggio en personne. 1973 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 30 mars Leonardo Vitale, mafioso de la famille d’Altarello, propose sa

collaboration à la police de Palerme. Pas pris au sérieux, il est interné dans un service psychiatrique. Son témoignage ne sera pris en compte qu’en 1983.

1974 -----------------------------------------------------------------------------------------------

Rapprochement entre Cosa Nostra et la Camorra autour du trafic de stupéfiants.

14 mai Interpellation de Luciano Liggio à Milan. Gaetano Badalamenti, chef de la famille de Cinisi, le remplace au poste de chef des chefs de la Coupole. Démantèlement de la French Connection.

1977 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 20 août Assassinat de Giuseppe Russo, colonel des carabiniers, à Ficuzza. Cet

assassinat est le prétexte de la mise à l’écart de Gaetano Badalamenti au sein de la Coupole. Michele Greco, dit le Pape, prend sa place.

1978 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 30 mai Assassinat du mafieux Giuseppe Di Cristina, chef de la famille de Riesi,

à Palerme. Di Cristina avait commencé à collaborer avec les carabiniers suite à la prise de pouvoir de Michele Greco au sein de Cosa Nostra.

1979 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 26 janvier Assassinat de Mario Francese, journaliste qui enquêtait sur le scandale

de la digue de Garcia (achat par des mafieux du terrain pour 2 milliards de Lires et expropriation par la région de Sicile du même terrain contre 17 milliards de Lires).

9 mars Assassinat de Michele Reina, secrétaire provincial de la Démocratie Chrétienne (DC) à Palerme.

11 juillet Assassinat de Maître Giorgio Ambrosoli à Milan. Me Ambrosoli était chargé de la liquidation de la Banque privée italienne de Michele Sindona.

21 juillet Assassinat de Boris Giuliano, chef de la Brigade Anti-Gang de Palerme. Boris Giuliano avait travaillé sur les filières de trafic d’héroïne de Cosa Nostra et venait de procéder à l’interpellation d’un homme de main de Luciano Leggio.

2 août Michele Sindona disparaît à New-York où il occupait une suite dans un hôtel. Il venait d’être inculpé un mois auparavant devant la cour fédérale de Manhattan pour la faillite frauduleuse de l’un de ses établissements bancaires. Michele Sindona se rend en fait en Sicile où il cherche des appuis avant de réapparaître à New-York le 16 octobre 1976 après avoir subi une opération visant à faire croire qu’il a été blessé par

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balles. Finalement condamné aux Etats-Unis à dix ans de prison, il est extradé vers l’Italie.

25 sept. Assassinat de Cesare Terranova, magistrat et député indépendant apparenté au PCI, membre de la commission anti-mafia, en compagnie de son chauffeur et garde du corps, le policier Lenin Mancuso. Cesare Terranova venait d’être nommé chargé de la lutte anti-Mafia au palais de justice de Palerme.

27 octobre Assassinat d’un conseiller municipal democrate-chrétien de Belmonte Mezzagano. Ce dernier était également secrétaire particulier du président de la province de Palerme et chargé, à ce titre des adjudications.

1980 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 6 janvier Assassinat de Piersanti Mattarella, président DC de la Région de Sicile,

à Palerme. Contrairement à son père Bernardo Mattarella, Piersanti avait pris ses distances avec les familles mafieuses.

3 mars Assassinat d’Emanuele Basile, capitaine de carabiniers, alors qu’il venait de reprendre certaines enquêtes initiées par le colonel Boris Giuliano, assassiné le 29 juillet 1979.

6 août Assassinat de Gaetano Costa, Procureur de la République de Palerme. Ce meurtre aurait été commandité par Salvatore Inzerillo, chef de la famille de Passo di Rigano et membre de la Coupole.

13 août Assassinat de Vito Lipari, maire démocrate-chrétien de Castelvetrano. 6 septembre Assassinat de Stefano Castronovo, devenu Frère Giacinto au couvent capucin de Santa Maria di Gesu (Palerme). En contact avec de nombreux mafieux, Frère Giacinto dissimulait quatre millions de Lires en petites coupures dans sa cellule monacale.

1981 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 23 avril Assassinat de Stefano Bontate, chef de la famille de Santa Maria di

Gesu, à Palerme. Bontate était un des opposants à Michele Greco au sein de la Coupole.

11 mai Assassinat de Salvatore Inzerillo, chef de la famille de Passo di Rigano. Inzerillo était également un opposant de Michele Greco.

25 juin Salvatore Contorno, soldat de la famille de Santa Maria di Gesu, échappe à un attentat en plein Palerme.

10 septembre Assassinat de Vito Jevolella, maréchal des carabiniers, à Palerme. 1982 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 30 avril Assassinat de Pio La Torre, député et secrétaire régional du Parti

Communiste Italien (PCI). 16 juin Assassinat du mafieux Alfio Ferlito et de cinq carabiniers qui assurait

son transfert vers le palais de justice. Ancien bras-droit, Ferlito était devenu le rival de Benedetto Santapaola, chef de la famille de Catane.

11 août Assassinat du docteur Paolo Giaccone, médecin légiste auprès du tribunal de Palerme. Il venait de procéder à l’identification de l’empreinte digitale d’un des tueurs du clan Marchese.

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3 septembre Assassinat d’Alberto Dalla Chiesa, général des carabiniers et préfet chargé de la coordination de la lutte anti-Mafia à Palerme.

13 sept. Adoption de la loi réprimant le déli d’association mafieuse, dite loi « Rognoni-La Torre ».

14 novembre Assassinat de Calogero Zucchetto, agent de police qui venait de procéder à l’arrestation de certains mafieux.

1983 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 25 janvier Assassinat de Giacomo Ciaccio Montalto, substitut du procureur de la

République à Trapani. 13 juin Assassinat de Mario d’Aleo, capitaine des carabiniers, commandant de

la caserne de Monreale. 28 juillet Assassinat de Rocco Chinicci, doyen des juges d’instruction du tribunal

de Palerme, par l’explosion d’un voiture piégée contenant 50 kg de TNT (5 morts).

1984 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 5 janvier Assassinat de Giuseppe Fava à Catane. Directeur du journal I Siciliani,

il était un militant anti-Mafia de longue date. 24 mars Arrestation au Brésil de Tomaso Buscetta, futur repenti. 26 juin Assassinat de Bruno Cuccia, substitut du procureur de la République de

Turin, qui enquêtait sur l’implantation mafieuse de la famille de Catane dans le nord de l’Italie.

10 juillet Extradition de Buscetta vers l’Italie. 7 août Arrestation d’Antonio Costa, substitut du procureur de la République

de Trapani, accusé de collusion mafieuse. Saise à son domicile de plusieurs dizaines de millions de Lires en petites coupures et de six armes à feu dont un révolver à l’immatriculation limée doté d’un silencieux.

29 sept. Premières révélations sur Cosa Nostra par Buscetta au juge Giovanni Falcone. Vaste opération de la police : 3 000 policiers quadrillent Palerme et procèdent à 300 arrestations de mafieux. La justice italienne dispose désormais d’une connaissance précise de l’organisation interne de Cosa Nostra.

18 octobre Huit jeunes siciliens sont retrouvés assassinés par armes à feu dans une étable près de Palerme. Ils auraient tenté de commercialiser de la viande de cheval volé sans l’autorisation de Benedetto Santapaola, chef de la famille de Catane.

25 octobre Révélations du repenti Salvatore Contorno, dit Totuccio. 3 novembre Arrestation de Vito Ciancimino, ancien maire de Palerme et hiérarque

de la démocratie-chrétienne de Sicile, promoteur immobilier à l’origine de la « reconstruction » de Palerme.

12 novembre Arrestation des cousins Ignazio et Nino Salvo, anciens percépteurs de Sicile affiliés à la famille mafieuse de Salemi.

23 décembre Attentat sur le train rapide Naples-Rome-Milan (16 morts).

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1985 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 4 février Début du procès à l’encontre de 215 prévenus liés à la Nouvelle

Camorra de Raffaele Cutolo. 23 février Assassinat de Roberto Parisi et de son chauffeur. Parisi était président

du club de football local, vice-président de l’association des industriels palermitains et avait bâti sa fortune sur les adjudications de la commune de Palerme.

28 février Assassinat de Pietro Patti, industriel palermitain qui refusait de payer « pour assurer sa protection ». Sa fille de neuf ans, Gaia Patti, est grièvement blessée.

30 mars Arrestation à Rome de Pippo Calo, chef de la famille palermitaine de Porta Nuova. Pippo Calo était en liens avec des groupes d’extrême-droite et des camorristes napolitains. Il serait lié à l’assassinat du banquier Roberto Calvi.

2 avril Tentative d’attentat à la bombe contre le procureur de la République de Trapani, Carlo Palermo. Le procureur Palermo enquêtait à l’époque sur les affaires immobilières de la famille de Catane.

28 juillet Assassinat de Giuseppe Montana, commissaire de police, à Porticello. Montana était chargé des enquêtes sur les mafieux en fuite de Sicile.

6 août Assassinat d’Antonino Cassara, chef-adjoint de la Brigade Anti-Gang, et de Roberto Antiochia, agent d’escorte. La moitié du personnel de la Brigade demande et obtient dans les jours qui suivent sa mutation hors de la Sicile.

30 octobre Tommaso Buscetta comparaît à New-York à titre de témoin dans le cadre du procès de la Pizza Connection.

1986 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 10 février Ouverture du maxiprocès de Palerme. 475 personnes inculpées.

L’enquête s’appuie sur les accusations de Tommaso Buscetta, Salvatore Contorno et de 23 autres mafieux repentis.

22 août Assassinat en prison du banquier Michele Sindona. 1988 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 12 janvier Assassinat de Giuseppe Insalaco, ancien maire de Palerme. 25 sept. Assassinat d’Antonio Saetta, magistrat. 1989 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 21 juin Attentat manqué contre le juge Giovanni Falcone. 27 août Assassinat de Lodovico Ligato, président des chemins de fer italiens

(FS), par explosif dans sa villa de Bocale près de Reggio di Calabria. Son assassinat est imputé à des ‘ndrines calabrais.

1990 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 21 sept. Assassinat du juge Livatino. 1991 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 9 août Assassinat d’Antonio Scopellitti, conseiller à la Cour de Cassation.

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29 août Assassinat de Libero Grassi, entrepreneur. 1992 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 12 mars Assassinat de Salvo Lima, député européen et ancien maire de Palerme. 23 mai Assassinat du juge Giovanni Falcone. 19 juillet Assassinat du juge Paolo Borsellino. 1993 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 14 mai Tentative d’attentat à Rome à l’encontre de Maurizio Costanzo,

Présentateur de télévision particulièrement critique à l’égard de Cosa Nostra (20 blessés).

27 mai Attentat à l’explosif à la Galerie des Offices de Florence (5 morts dont 2 enfants, une quarantaine de blessés).

27 juillet Attentat à l’explosif à proximité du Pavillon d’Art Contemporain de Milan (5 morts, une douzaine de blessés).

28 juillet Attentats à l’explosif devant les églises de Saint-Jean de Latran et Saint-Georges au Vélabre à Rome. Plusieurs dizaines de blessés

1999 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 26 avril Arrestation de Nuccio Cusumano, secrétaire d’Etat au Trésor, membre

de l’Union Démocratique pour la République (UDR), formation dissidente de la démocratie Chrétienne créée en juillet 1999 par Francesco Cossiga, dans le cadre d’une enquête des Carabiniers initiée au mois d’octobre 1999 sur des irrégularités dans l’adjudication de la deuxième tranche des travaux de l’hôpital Garbibaldi de Catane.

2000 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 20 nov. Francesco Schiavone, chef de file de la Camorra de Caserte, a été arrêté

par le tribunal de Santa Maria Capua Vetere pour blanchiment de revenus issus du trafic de stupéfiants, d’extorsions et de rackets avec l’aide de ses subordonnés Francesco Bidognetti, Giuseppe Caterino, Raffaele Diana, Vincenzo Zagaria.

21 nov. Déposition d’Angelo Siino devant le tribunal de Messine. Considéré

comme le ministre des travaux publics de Cosa Nostra, ce repenti parlermitain a témoigné dans le cadre du procès de l’ex-chef mafieux de Messine Luigi Sparacio.

22 nov. 22 nov 2000 Condamnation à huit ans de prison de l’ancien sénateur

démocrate-chrétien Vincenzo Inzerillo pour appartenance mafieuse à Cosa Nostra, notamment à la famille de Brancaccio dirigée par les deux frères Filippo et Giuseppe Graviano. L’avocat des frères Graviano, Domenico Salvo, soupçonné de blanchiment, a été également condamné le 27 novembre 2000 à 6 ans de prison.

24 février Assassinat à Termini Imerse de Giuseppe Gaeta, boss de la ville de

Termini Imerse. Gaeta avait profité de l’arrestation de son ancien boss,

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Giovanni Piazza Palotto au cours de l’opération « Pronta Consegna » du mois d’août 1997. Condamné à un an de prison, Giovanni Piazza Palotto avait finalement été relâché. Normalement contrôlé par le chef mafieux en fuite Nino Giuffrè, originaire de Catane, Termini Imerse est l’enjeu de rivalités au sein de Cosa Nostra comme en témoigne l’assassinat survenu au cours de l’été 1998 à Caccamo devant son habitation du syndicaliste de l’UIL Domenico Geraco, ancien conseiller provincial en 1998 .

24 nov. Dénonciation de l’infiltration mafieuse du parti des Verts par des élus

palermitains. Parmi les adhérents de ce parti en Sicile figurent notamment un trafiquant de catane arrêté avec 600 pastilles d’ecstasy et 160 autres adhérents qui seraient liés à des familles mafieuses de Catane impliquées dans le trafic de stupéfiants.

24 nov. Paolo Marasa, président de cinq coopératives sociales a dénoncé devant

les tribunaux les pressions dont il était victime de la part de Fabrizio Bignardelli, responsable du Tourisme à Palerme qui lui réclamait le versement d’importants pots-de-vins. Cet argent était en fait destiné au financement de Forza Italia.

24 nov. Publication de l’ouvrage la mafia ha vinto (la mafia a vaincu) du

journaliste Saverio Lodato avec le soutien de la fondation Banco di Sicilia.

29 nov. L’ancien ministre de l’Intérieur Antonio Gava est accusé de concours

externe avec la Camorra . Ce procès implique également les élus Raffaele Russo (député démocrate-chrétien, 6 ans de prison), sénateur DC Francesco Patriarca (9 ans de prison), Vincenzo Meo (8 ans). Tous ces élus étaient liés à Carmine Alfieri, actuellement en fuite, chef de la Camorra de la région du Vésuve.

2001 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 13 février La Cour d’Appel de Florence a condamné 16 mafieux pour cette vague

d’attentats à des peines de prison à perpétuité (30 ans). Parmi les condamnés figurent Leoluca Bagarella, lieutenant de Salvatore Riinà, Filippo et Giuseppe Graviano, Bernardo Provenzano et Matteo Messina Denaro.

19 avril Le procès en appel de Giulio Andreotti, sénateur à vie, a été ajourné. 2002 ----------------------------------------------------------------------------------------------- 1er janvier Assassinat à Andria de Pietro Cannone, tueur de la Mafia, auteur de

l’homicide à l’encontre du repenti Salvatore Annacondia. 2 janvier Assassinat à Gela de Giampaolo Aliotta, chef d’entreprise, impliqué

dans les marchés publics pour la construction de la digue Comunelli et victime en 1998 de menaces à des fins d’extorsion de fonds.

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3 janvier Le ministre Calogero Mannino obtient un non-lieu concernant des

accusations d’appartenance mafieuse à la famille des Vella d’Agrigente. L’instruction avait pourtant établi des faits de financement politique de la part de cette cosca au profit de Mannino.

7 janvier Assassinat à Gela de Carmelo D’Angeli, assureur. Interpellation de Francesco Farina, mafieux en fuite, appartenant à la

cosca de Jimmy Miano et de Santo Mazzei. 8 janvier Attentat à la bombe contre le véhicule de Luciano Milio, directeur de la

société APO, active dans le secteur agro-alimentaire à Capo d’Orlando près de Messine. En 2000, Milio avait déjà vu son usine partir en fumée à la suite d’un incendie criminel.

14 janvier Arrestation de 45 personnes appartenant aux clans camorristes

Schiavone et Bolognetti, opérant à Casal di Principe et à Villa Literno près de Caserte.

18 janvier Démission de Franco Gallo de son mandat au conseil municipal de Gela

(Sicile). La préfecture suspecte l’implication de tout le conseil municipal de collusion avec la Mafia.

22 janvier Présentation au Tribunal de Milan des prévenus Flavio Carboni,

Andrea Carboni, son frère, Claudio et Marco Andrea Carboni, ses fils, ainsi que son collaborateur Emilio Pellicani, accusés de blanchiment de fonds en relation avec un trafic international de stupéfiants au profit des chefs mafieux Gennaro Buonanno et Domenico Belforte.

28 janvier Arrestation à Genève de Franco Picciotto, originaire de Scaletta Zanclea

près de Messine, condamné par contumace à 18 ans de prison pour une série de banqueroutes frauduleuses et d’opérations financières douteuses. Franco Picciotto était l’un des conseillers financiers utilisés par Bernardo Provenzano pour le blanchiment de ses avoirs criminels.

1er février La Cour d’Appel de Palerme casse le jugement condamnant Calogero

Mannino, ancien président de la région de Sicile, Mario D’Acquisto, ancien ministre PSI et Nicola Capria dans une affaire de commissions occultes autour d’adjudications publiques.

4 février Une vidéo transmise au Procureur de Palerme montre la présence

d’Angelino Alfano, député de Forza Italia, au mariage de la fille de Croce Napoli, chef de la famille de Montechiaro près d’Agrigente, décédé en 2001.

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13 février Emission de 32 mandats d’arrêt par la police romaine à l’encontre de de mafieux proches du boss sicilien Giuseppe Madonia, impliqués dans des trafics de viandes. Parmi les prévenus recherchés figurent Pietro Di Vincenzo, président des industries de Caltanisetta, Elvira Ceci, directrice des abattoirs de Civitavecchia, Massimo Ceccarelli, fonctionnaire des travaux publics et l’avocat Franz Russo.

16 février Tentative d’homicide à l’encontre du jeune Giuseppe Gullotti lié à un

règlement de comptes interne à la famille Santapaola de Catane. 19 février Assassinat à Casal di Principe, près de Caserte, de Federico Del Prete,

syndicaliste du SNAA, organisation représentative des ambulanciers. Dans le cadre de ses activités syndicales, Del Prete avait dénoncé quelque temps auparavant des pratiques d’intimidation de la Camorra dans son secteur d’activités professionnelles.

21 février Arrestation à Palerme et Monreale de 10 personnes impliquées dans des

fraudes aux adjudications de marchés publics et un trafic de stupéfiants au profit du chef mafieux Giuseppe Balsano. Parmi les prévenus figurent Antonino Gerlando, chef d’entreprise du secteur des travaux publics.

24 février Assassinat à Palma di Montechiaro, près d’Agrigente, de Rosario Lupo,

un jeune agriculteur, victime d’une extorsion de fonds. 25 février Arrestation à Varsovie de Francesco Orilio, mafieux en fuite depuis

1997, condamné par contumace à 30 ans de prison pour trafic d’héroïne. 27 février Présentation au Tribunal d’Enna de l’avocat Raffaele Bevilacqua,

politicien connu de sa région, accusé d’association mafieuse. 31 juillet Interpellation à Cannes de Luigi Facchineri, membre important de la

‘Ndrangheta.

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PUBLICATIONS SPECIALISEES ET CENTRES DE RECHERCHE

Antimafia Duemile. Informazioni su Cosa Nostra e organizzazioni criminali

connesse. Via Molino 1, 1824 63019 San Elpidio a Mare (AP). Publication fondée et dirigée par Giorgio Bongiovanni. www.antimafiaduemila.com

Narcomafie (Legalita, Diritti, Cittadinanza). Via Giolitti 21, 10123 Torino www.narcomafie.it

Commissione parlamentare antimafia www.parlamento.it/parlam/bicam/mafia/home.htm

Centro Siciliano di Documentazione « Giuseppe Impastato » Via Villa Sperlinga 15 ; 90144 Palermo www.centroimpastato.it

Centro Studi e Documentazione sulla Criminalità Mafiosa Université de Messine

Fondazione Giovanni e Francesca Falcone Via Serradifalco, 250, 90145 Palermo www.fondazionefalcone.it

Fondazione Domenico Colasanto - Osservatorio sulla Camorra Via Medina, 5, 80133 Napoli

Research Centre on Transnational Crime (Universoity of Trento) Via Inassa, 5, 38180 Trento www.transcrime.unitn.it

Ufficio Italiano Cambi www.uic.it

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INDEX DES NOMS CITES

‘NDRANGHETA,3, 4, 5, 7, 15, 39, 40, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 69, 71, 72, 73, 74, 75

Administration des Oeuvres des Religions,26 Administration du Patrimoine du Saint-Siège,27 Adonis,65 AGENCE DES CITES UNIES POUR LA

COOPERATION NORD-SUD,34 Aglieri,17, 23, 69 Agnello,53 Aiello,19 AIMA,21 AIPO,49 Alabiso,23 Alamia,13 Albis,18 Algemeine Bank de Gibraltar,18 ALLEANZA DI SECONDIGLIANO,2, 8, 46, 47, 70 ALLENDE,32 Alongi,19 Altos SRL,47 Ambrosio,42 Ambrosoli,28, 80 Amedeo,25, 32, 72, 74 Anacondia,75 Anastasia,64 Andreotti,12, 13, 17, 26, 27, 31, 65, 85 Annacondia,56 ANSELMI,33 Antonutti,23 APSA,27 Arlacchi,6 ASCARELLI,31 Ascia,47 Ascione,40 Association Provinciale des Producteurs

Ovilicole,49 Astrocambio,18 AVELLONE,10 Aversa,23 AXA Assicurazioni,53 Azienda di Stato per gli Interventi sul Mercato

Agricolo,21 Azienda Tabacchi Italiani,57 Babele Publiservice SRL,52 Badalamenti,16, 63, 64, 65, 79, 80 BAGARELLA,66, 85 Bahal,22 Baldi,74 Balsano,66, 87 Banca Adamas,22 BANCA AMBROSINO ANDINO,29 BANCA CATTOLICA DEL VENETO,29 Banca Commerciale,27 Banca Commerciale Lugano,22

Banca del Ceresio,22 Banca del Gottardo,22, 29 Banca del Sempione,22 Banca di Credito e Commercio,22 Banca di Roma,38, 42 Banca Euromobiliare,22 Banca Monte Paschi,22 Banca Nazionale del Lavoro,38 Banca Popolare,35, 48 Banca Popolare di Crotone,52 Banca Privata Edmond de Rotschild Lugano,22 Banca Privata Finanziara,26, 28 Banca Privata Finanziera,27 Banca Rasini,35 Banca Unione,27 Banca Unione di Credito,22 BANCO AMBROSIANO,29, 30, 32, 33 BANCO AMBROSIANO DE AMERICA DEL SUD,29 BANCO AMBROSIANO HOLDINGS SA,29 BANCO AMBROSIANO OVERSEAS LTD,29 Banco di Napoli,42 Banco di Roma,27 BANCO DI SICILIA,11, 35, 77, 85 Banco Intercontinental dal Sud America,18 Banco Nacional de Panama,18 Banque de Financement de Lausanne,27 Banque Européenne d’Investissement,42 Baratto,40 BARBERO,66 Bardellino,69 BASILE,66, 81 Bassolino,41 BCI-TDB,18 BDL Banco di Lugano,22 Bella Società Riformata,68 Bellochio,57 Belloco,74 BENEVENTANO,41 BERLUSCONI,2, 6, 7, 11, 13, 14, 32, 35, 36, 37, 38, 39 Bevivino,13 Bianco,40 Birra,40 Bitum Beton,47 BLANDIER,34 BND,22, 23 BNL,38, 52 BNP à Lugano,56 Boccassini,61, 71 Bohorquez,39 Bonanno,62, 63 Bonfiglio,19 Bonnet,24 Bontate,28, 36, 37, 63, 64, 65, 79, 81 Bordoni,27

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BORGHESE,32, 72 Borsellino,35, 84 Boscolo,45 Bossert,56 Bosti,70 Brai-Cata SA,22 Brener,22 Brigades rouges,69 BRIGADES ROUGES,32 BRIMKMANN,30 Brusca,68 Bundesnachrichtendienst,22 BURLANDO,42 Buscetta,10, 63, 82, 83 Caisse d’Epargne de Belmonte Mezzagno,36 Caisse rurale et artisanale de Monreale,21 Caja de Madrid,18 Calcagno,40 Calderone,64, 68 Cali,18 Calo,11, 30, 32, 36, 57, 68, 83 Calvi,2, 25, 29, 30, 32, 35, 37, 61, 71, 83 Calvo,71 CAMORRA,2, 4, 5, 7, 30, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 51,

53, 56, 68, 69, 70, 71, 74, 75, 77, 80, 83, 84, 85, 87, 91 Cancemi,17, 37 Cangemi,69 Canova,48 Caporia,12 Cappellari,74 CARBONI,30, 86 Cariplo,38 CAROBBI,31 Caruana,18, 21, 24, 67 Casa della Madonnina,26 Casalesi,70 Casella,54 CASILLO,30 Cassa Conguaglio Zucchero,21 Cassarà,30 Castellanos,39 Ceausescu,32 Cellamare,56 CENSIS,5, 51 Central Intelligence Agency,27, 31 Centro Importazione Alimentari SAS,47 Centro Studi Investimento Sociale,51 Cersuso,20 CERUTI,33 Chase Manhattan Bank,18 Chevaliers du Travail de Catane,20 Chiriac,23 Chrétien,25 CI.PA,47 CIA,27, 31 Ciancimino,13, 36, 63, 65, 79, 82 Ciconte,50 Cilona,53 Cimax,47 Cinà,36, 37 Cirillo,40 Citarda,36 Citaristi,12 CO.MO SAS,47 Cogefar,12

Comit,38 Compagnie des Iles Lavezzi,23 COMPENDIUM,29 CONFCOMMERCIO,5 Confédération Nationale des Cultivateurs Directs,48 Conseil International de Recherche Culturel et

Spirituel,34 Continental Illinois of Chicago,27 Continental Import Ltd,24 Contini,70 Contorno,37, 81, 82, 83 CONTTRABANDO DI TABACCHI LAVORATI ESTERI

T.L.E,40 Cooperativa Lavoratori Interno Macello SAS,47 Coppola,63, 65 Cordopatri,48 Corleonesi,7, 10, 13, 16, 17, 20, 22, 28, 30, 63, 64, 65,

66, 68 CORTE,46 Corti,56 COSA NOSTRA,2, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 15,

16, 17, 19, 20, 21, 22, 25, 26, 28, 32, 35, 41, 51, 53, 56, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 74, 75, 79, 80, 82, 84, 85, 88, 91

Cossiga,16 Cotti,18 COUNTER INTELLIGENCE CORPS,31 CRAXI,11, 35, 37 Crédit Suisse,18 Credito Deposito,18 Credito Italiano,27, 38, 42 Crimi,28 Cuntrera,18, 21, 24, 67 Cuomo,56 Cusumano,15 CUTOLO,41, 69, 74, 83 Cutro,52 D’Acquisto,12, 86 D’Ali,67 d’Aubert,23 D’Ononfrio,74 DALLA CHIESA,66 DE FRANCISCI,11 De Stefano,50, 72 De Stephano,53 DELANEY,33 DELL’UTRI,12, 13, 36, 37 Della Lucia,36 DELLACHA,30 Delta Corp,18 Démocratie Chrétienne,11, 13, 14, 15, 16, 19, 26, 27, 31,

41, 63, 66, 80 Denise,47 Derivati Elaborati di Agrumi,20 Deutsche Bank,52 DI CARLO,30, 37 DI CRISTINA,65, 80 Di Mascio,54 Di Tommaso-Strafile,58 DI-SAL SAS,47 Effibanca,52 Elettogomme,47 Elongate Ltd,24 ENEL,52 ENI,14 Ente Minerario Siciliano,14

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Erre 2 International Srl,22 Escobar,18 Euro Agri Srl,22 Eurocatene,18 Euromobilgroup,47 FABBRUCCI,33 Fabroccino,70 Falcone,35, 82, 83, 84, 91 Fasco AG,26 Fazio,64 FBI,27, 30, 64, 65 Fea,11 Federal Bureau of Investigation,27 Fédération de l’Industrie Européenne de la

Construction,12 Fiandra Com Srl,57 Filipeddu,24 FILIPPELLO,11 FIMO,17 Finabank,27 Fines Immobiliare,47 Fininvest,35, 37, 38 Finter Bank Zürich,22 Fiorini,14 First National City Bank,27 FLNC-Canal Habituel,23 FLNC-Canal Historique,23 Focosi,66 Fonds européen d’Orientation et de Garantie

Agricole,21 FONTANA,11, 22, 32, 74, 77 Forza Italia,11, 36, 67, 85, 86 Francisci,63 Franklin Bank,27 French Connection,17, 80 FSCE,33 Fulga,23 Gagliano,25 Gallo,64, 86 GAMBERINI,31 Gambino,17, 24, 26, 28, 62, 63 GAN Italia,53 Ganci,21, 37 Garde des Finances,19, 35, 42, 55 Gargia,53 Gava,41 Gazzo,57 Gelli,2, 25, 29, 31, 32, 33, 34 Genovese,63, 64 Geraci,6 Gioia,13 GIUDICE,11 Giuffrè,66, 85 Giuffrida,37 Giulano,39 GIULIANO,28, 66, 78, 79, 80, 81 GIUSTIZIA E LIBERTA,32 GOMMINA,31 Grado,37 GRAND ORIENT D’ITALIE,31 GRANDE LOGE DE NAPLES,32 Grande Loge Unie d’Angleterre

GLUA,51 Grande Mamma,68 Grasso,66 Graviano,67, 84, 85

Greco,17, 20, 63, 64, 65, 66, 79, 80, 81 Guardia di Finanza,21, 40, 53 Habitat Srl,22 Hambros Bank,27 Hartweger,22 HNILICA,30 Holding Italiana,37 Hosbawn,6 hôtel des Palmes,26, 63 Iannelli,74 IBZ Investment Bank,22 Ierino,73 Imerti,15, 72, 73 IMPARFIN,29 Imposimato,64 Inca 2000 Prodcom srl,22 Industrie Carni Italiane SAS,47 Industrie des Dérivés d’Agrumes,19 Inim,13, 36 Insalaco,13 Intercambia S.A,56 Inzerillo,28, 65, 81, 84 IOR,25, 26, 27, 30 IRI,5, 12 Istituto per le Opere di Religione,25, 26, 30 Ital Provisions Ltd,24 Italgrani Spa,42 Italtrade,20 Kidstore Italia,47 Kidstore Service,47 Kingsland,20 Kredietbank (Suisse) Lugano,22 L’Ora,20 La Barbera,64 La Mattina,17 la Pisana Carni,47 La Torre,20, 81, 82 La Vigilante,47 Laraspata,56 Lauricella,23 Lauro,50, 72 Leggio,7, 65, 74, 79, 80 Lem Cars,47 Libri,72, 73, 88 Liccardo,20 Licciardi,70 Licciardi,,39, 70 Ligato,50 Liggio,7, 64, 65, 79 LIGUE LEASING SERVICE,43 Lima,13, 36, 63, 65, 79, 84 Lo Cascio,22 Lo Piccolo,66 Lottusi,17 Lucania,62 Luciano,7, 26, 62, 63, 64, 65, 69, 79, 80, 86 Luciano Liggio,7, 64, 65, 80 LUPACCHINI,30 Macaluso,28 MADONIA,32, 66, 87 MAGLIANA,32 Mallardo,46, 47, 70 Mamdouh,57 Mammasantissima,68 Mammoliti,48, 50

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Manciaracina,66 Mancuso,51, 63, 81 MANGANO,11, 35, 36, 37 Mannino,12, 15, 21, 86 Mannoïa,17 Marafa,37 Marcinkus,27, 29, 30, 90 Martellucci,13 Masseria,62 Mastantuono,41 Matacena,50 MATARELLA,66 Mattarella,12, 65, 81 Mattina,23, 68 Mauroy,34 Mazzaferro,73 Medcenter Container Terminal,52 Megarom,57 Meo,41 Merloni,16 MESSINA,66, 67, 74, 85, 88 Messina Denaro,66, 67 Metro Goldwin Mayer,14 Modeo,57 Mondello,22 Mondial Corredo,47 Moneyrex,27 Monteforte,56 Montini,26 Morabito,52 Mori,62 MORO,32 Motisi,66 Motocenter SNC,47 Motrer,47 Mouvement pour l’Autodétermination

MPA,23 MOUVEMENT SOCIAL ITALIEN,31 MSI,31 Musella,50 Musululu,16 Navarra,7, 65, 79 NAVIGAZIONE GENERALE ITALIANA,11 Nesi,38 Nirta,73 Nobili,12 NOTARBARTOLO DI SAN GIOVANNI,11 Nuova Camorra Organizzata,69, 74 Nuova Famiglia,69, 70, 74 Nuova Grande Camorra Pugliese,74 Nuova Mafia Campana,70 Nuvoletta,68, 69 OCCORSINO,32 Ordre Rénové du Temple,34 Origas,34 Orsoni,23 P2,20, 27, 28, 29, 31, 32, 33, 35, 38 Padovani,6, 7 Pagan,56 PALIZZOLO,10, 11 PALME,32 Panepinto,19 Paretti,14 Parisi,21, 58, 83 Pataro,18 Patriarca,41

Paul VI,26, 27 Paunescu,23 PCI,12, 20, 81 PDSR,23 PECORELLI,32 Pefaco

Lydia Ludique,24 Pellegrinetti,23 Perez,25 PERMAFLEX,31 Pesce,54, 73 Piazza,28, 85 Picciotteria,71 Piromalli,50, 51, 52, 73 Pizza Connection,16, 20, 24, 83 Placido

Baron Pasquale,50 PONCET,33 Porro,56 Posa,56 Process Romania Srl,22 Propaganda Due,27, 32 PROVENZANO,7, 11, 63, 65, 66, 67, 74, 79, 85, 86 Prudentino,56 Psalia,23 PSD,23 Publitalia 80,36 Putrone,66 Raca,13 Raggruppamento Operativo Speciale,58 Raneri,23 Rapisarda,13, 36 Rapsirada,36 Rartel,23 Rasini,35 Raso-Albanese,48 REINA,66, 80 REMINGTON TRAND,31 Renucci,63 Restivo,63 Ricchiuti,57 RIINA,6, 7, 13, 17, 21, 32, 65, 66, 67, 68, 74, 79, 85 Rillo,56 Rimi,63 Rizzi,74 RO.MI,47 Rocco,23, 72, 82 Rocella Jonica

Loggia Rocella Jonica,50 Romeo,50, 73 ROS,58 Russo,12, 41, 63, 65, 66, 80, 85, 87 SACRA CORONA UNITA,4, 5, 39, 55, 58, 59, 71, 74, 75 SAF,37 Salvo,10, 13, 36, 63, 65, 82, 84 San Paolo di Torino,52 Sanfilipo,20 SANTAPAOLA,15, 18, 65, 66, 81, 82, 87 Santoni,23 Saraceno,54 Sarno,56 Savoca,17 SBS,18 Scaglione,65, 80 SCIANNA,11, 22 Scola,39

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Secheres,57 SEMERARI,32 Service d’Information Extérieur (SIE),23 Servizio Italia,37 Settecasi,21 Shopping House,47 Siino,15, 84 SILVERJ,33 Sindona,2, 14, 25, 26, 27, 28, 29, 31, 32, 35, 64, 79, 80,

83 Siniscalchi SAS,47 Società Stretto di Messina,14 Société Anonyme Suisse d’Exploitation Agricole

SASEA,14 Sofextour,2, 46 South America Exchange,18 Spadaro,17, 68 Sparaccio,56 Spatola,28 Stammati,27 Stano,56 Stellardo,45 Stibbe Simont Monahan,43 Stidda,23 Sud America express,18 SUPRAFIN SA,29 TAGLIAMENTO,43, 46 TECLEFIN,29 Teresi,36, 37 TERRANOVA,28, 66, 81 Tibiletti,39

Tondini,26 Tower bank,18 TREMONTI,6 Truman,65 UAP Italiana,53 UBS,18, 33 Union de Banque Privée,18 Upegui,18 Vantaggiato,56 Vargas,39 Varone,40 Vassallo,13 Vatican,14, 26, 27, 30 Vella,18, 24, 86 Vendetta Line,47 Vernengo,46, 74 Verro,19 Verzotto,14 Viascino,40 Vigna,66 Villot,27 Violante,7, 73 Vitellaro,56 Vrenna,73 World Anti-Communist League,18 Zagdoun,35 Zaza,45, 70 Zazza,43, 46, 68 Zeta Trans,56