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Les “espaces safe” nous font viOlence ?

Les “espaces safe” nous font viOlence · Dans la mesure où le mot saferecouvre plusieurs significations, on voit bien ici que l'ambiguïté du sens fait apparaître la situation

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A propos de la diffusion de ce texte : ce texte a été écrit essentiellementpour être un support à discussions et réflexions dans les milieux ouévènements féministes, transpédégouines, queers. Nous préferonsdonc qu’elle soit diffusée dans ces milieux ou évènements. Noussommes aussi très intéressés par des retours ou commentaires devotre part, alors n’hésitez pas à nous écrire à:

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Depuis quelques années, on a remarqué l'utilisation de plus enplus importante des expressions «se sentir safe» et «espace safe» dans lesmilieux féministes et/ou transpédégouines/queers que l'on côtoie ou danslesquels on évolue. Leur utilisation courante, qui pour nous n'a pas étéassez questionnée, nous a interrogé sur leur signification politique. Lepartage de ces réflexions est une des raisons qui nous a amené à écrirece texte, qui se veut un apport à la discussion que nous voulons avoirdans ces milieux. Il s'adresse en effet à des personnes qui prennent encompte l'existence de plusieurs systèmes d'oppression (racisme,sexisme, hétérosexisme, oppression de classe, validisme, ...) qui est pournous une donnée de départ évidente et sur laquelle on ne s'est pasattardé.

Nous avons constaté que, quand on utilise le terme safe, on nemet pas forcément les mêmes choses derrière et que ces diversessignifications impliquent aussi des visions politiques différentes, qui nesont pas explicites. On avait donc envie de rendre visible le flou qu'il ya autour du terme safe et de l'analyser. Et aussi de s'attarder sur lesimplications politiques qui vont avec les différentes utilisations de ceterme.

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Pour le dire de façon schématique,on trouve que les utilisations du terme safeévoquent des ressentis/impressions/sen-timents qui renvoient à deux niveauxdifférents. D'un côté le fait de se sentir àl'aise ou en confiance dans un espace ouavec des personnes; de l'autre côté le faitde se sentir en sécurité et/ou protégéphysiquement et psychologiquementpar rapport à des oppressions et/ou desagressions. Par exemple, une meuf pourraitconsidérer un espace non-mixtemeufs/gouines comme un espace safevis-à-vis de l'oppression patriarcale, eten même temps ne pas se sentir safe danscet espace à cause de conflits qu'elleaurait avec une autre personne présente.On a choisi ici d'associer oppression etagression parce que nombre d'agressionsarrivent à l'intérieur de rapportsd'oppression, tout en sachant que çan'est pas toujours le cas. Et tout ensachant aussi que les agressions seraientplus des actes précis qu'on peut définirdans le temps, qui peuvent faire partieou pas de quelque chose de plus diffusque seraient les oppressions.Ces deux sens du mot safe recouvrentdes réalités très différentes et le faitqu'on utilise le même mot pour lesexprimer est pour nous problématique.En effet, comme le mot safe a souvent àvoir avec la question des limitesindividuelles et des agressions, sujet quia une place importante dans les milieuxféministes et/ou transpédégouines, il estassez connoté et porte en soi unecertaine gravité dans ces milieux. Donc,

le fait d'utiliser safe dans un contexte oùon se sent mal à l'aise/pas en confiance,ça intensifie sa signification.

Un petit exemple:

Dans l'absolu, ça pourrait ne pas êtreproblématique si des personnes ont envied'exprimer leur malaise et/ou manque deconfiance en disant qu'elles ne se sententpas safe; sauf que, comme on a vu plushaut, ce mot a plusieurs significations etpour nous il est important de tenir compteque cette utilisation n'est pas anodine. Etcomme il existe d'autres manières d'exprimerce genre de ressenti, ça ne nous paraît pasjudicieux d'utiliser le terme safede telle façon.On trouve donc plus intéressant del'utiliser en référence à des rapportsd'oppression/domination et à dessituations d'agression, mais là aussi on yvoit des inconvénients.D'un côté, l'utilisation de l'expression«ne pas se sentir safe» sans en dire plusinvisibilise parfois les raisons politiquesqui en sont la cause, et fait que l'expression-même se retrouve vidée de sens.

Dans un collectif d'habitation féministe,dans une période de tension, une personneexprime pendant une réunion deshabitant-e-s le fait de ne pas se sentir safedans sa maison. Après une discussion ils'est avéré que ce qu'elle entendait par safeétait de ne pas se sentir en confiance avecune partie de son collectif. Dans la mesureoù le mot saferecouvre plusieurs significations,on voit bien ici que l'ambiguïté du sens faitapparaître la situation plus grave qu'elle n'est.

Première partie

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De l'autre coté, on a l'impression qued'exprimer ainsi le problème a poureffet de décaler l'attention et le centrede la question sur l'individu et lesressentis et états d'âme individuels, enlaissant encore à la marge les questionspolitiques de fond.

Encore un exemple pour clarifier unpeu ce qu'on vient de dire :

Le fait, ici, d'utiliser le terme safe enlèveet invisibilise les raisons politiques quiétaient derrière la demande de couper lamusique.Appuyer sur les ressentis individuelsd'une personne plus que sur la situationen elle-même déplace la question etenlève les responsabilités. Ainsi leproblème de passer de la musique avecdes propos racistes devient le problème qu'une personne ne se sent pas safe. Les raisons politiques qui ont provoqué laréaction ne sont alors plus prises encompte et seuls les ressentis de lapersonnes sont mis en avant.

L'impression qui en ressort serait que ce quiest important c'est que les personnes sesentent safe et non pas de se responsabiliseret de refuser de reproduire des rapportd'oppression et de domination au seindes espaces que l'on crée.

Un autre aspect de l'utilisation de safequ'on avait envie de questionner est sonpouvoir de clore un débat ou une discussion.Il est utilisé, à tort ou à raison, commel'argument ultime que l'on ne peut pasdiscuter et que l'on ne peut pas remettreen question. C'est un peu commel'expression d'une «limite absolue» à nepas dépasser et à laquelle il faut s'adapter.

Encore un petit exemple pour illustrer nospropos :

Un des points problématiques, ici, c'estque l'utilisation des expressions «je nesuis pas safe» et «ça me fait violence»ont empêché une discussion parce quedans nos milieux elles se suffisent à elles-mêmes et qu'on considère que les personnes

A une soirée dans un festival queer, il yavait une performance avec des personnesqui faisaient une chorégraphie sur de lamusique. À un moment où une chansonhip-hop passait, la musique a été coupéesans explications par les personnes quis'occupaient de la technique. Après unmoment de flou et d'incompréhension,on a expliqué au public les raisons: dans lachanson le terme «nigger» (nègre) étaitemployé plusieurs fois et une personneavait demandé à couper la musique. Peuaprès une autre personne est montée surscène pour récapituler la situation et ellel'a résumé en disant qu'une personne nes'était pas sentie safe.

Dans un festival en non-mixitéfemme/gouine/trans, une personne bio* aexprimé le fait de ne pas se sentir safe dansun espace où se trouvaient des personnestorse nu et que cette semi-nudité lui faisaitviolence. Cela a conduit à une séparationdes espaces, avec la création d'un espaceoù il était possible d'être torse nu etl'interdiction de l'être dans les autres espaces.Par la suite, il n'y a eu aucune discussionpour interroger ce ressenti et cettedemande de gestion d'espaces.

*Bio(logique) : Terme utilisé pour visibiliser les privilè-ges des personnes qui peuvent être valorisées dans lesexe qui leur a été assigné à la naissance, dans le cadrede cette société genrée et binaire.

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qui l'utilisent n'ont pas à s'expliquer ouà se justifier. Comme ce sont des expressionslourdes de sens, très souvent personnen'ose questionner la «justesse» de leurutilisation. On sait bien qu'il est important,dans un premier temps, de prendre encompte les limites posées sans avoird'explications pour arrêter une situationdure à vivre, d'agression ou oppressante.Surtout que la plupart du temps il s'agitde situations d'urgence ou l'objectifpremier est de mettre fin à cettesituation. Mais on trouve pertinent de nepas s'arrêter à cette étape et d'essayerd'arriver par la suite à analyser lasituation d'une façon plus globale et«politique» au sens large, par rapport à unesociété et à des systèmes d'oppression. En se demandant, par exemple, pourquoicertaines choses nous font violence, s'ils'agit effectivement de comportementsoppressants dont on ne veut pas ou si ontrouve plus intéressant d'essayer de voird'où vient ce ressenti (différence decodes, de classes, préjugés,...) et s'il estdépassable.

Que ces expressions soient vues commedes limites indiscutables et sur lesquelleson ne peut agir nous questionne. On touchelà la question de la culture politiquequ'elles impliquent. C'est-à-dire uneculture politique où les limites individuellessont vues comme des choses qui ne sediscutent pas ni ne peuvent être misesen question. Ceci empêche souvent d'allerau fond des questions, de les analyserd'une façon plus globale, de ne pas selimiter aux ressentis des gentes maisde les questionner sur la place qu'ilsprennent, d'où ils viennent et qu'est-cequ'ils créent politiquement.

Cette histoire de limites est liée aussi àcomment un milieu est construit et àcomment il fonctionne. Déjà, dans chaquemilieu des normes ainsi que des codesexistent et se créent. Ces normeshiérarchisent des thématiques maisaussi des limites comme plus ou moinslégitimes, reconnues, valorisées.

D'autre part, il y a des personnes qui sesentent plus légitimes à poser des limites.Et pourquoi des personnes se sententplus légitimes ? C'est souvent des personnesqui ont plus de privilèges, qui correspondentplus aux normes, qui ont une facilité às'adapter, une capacité à s'approprier lesnormes ou les modes de fonctionnementd'un milieu, d'un groupe.Il est alors important de se poser laquestion des privilèges et des rapportsde pouvoirs qui existent et qui sontcréés par ces formes de légitimité.Si on reprend le dernier exemple et sion analyse la situation de façon plusglobale, on se rend compte que la semi-nudité qui «faisait violence» étaitmajoritairement celle de gouines bios etde trans. Il s'agissait aussi de corps pas

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normaux et/ou pas normés, qu'on n'a pasl'habitude de voir. L'histoire devient pluscomplexe vue sous cet angle et il devientquestionnant de s'arrêter au ressenti de lapremière personne sans prendre encompte l'ensemble des enjeux. Ça n'arrive, effectivement, pas tous lesjours, pour des meufs, des gouines et destrans, de se sentir à l'aise de se mettretorse-nu dans des espaces, en sachantqu'on ne va pas les emmerder ou qu'iellesn'auront pas à supporter des regardslubriques ou méprisants. C'était doncune expérience où ielles en tiraient de laforce de se sentir bien à demi nu-es. En analysant ainsi la situation, on trouve

qu'il aurait été important de pouvoirdiscuter de la limite individuelle de cettepersonne et également des enjeux que çaavait créé de l'avoir posée dans cecontexte, choses que personne n'a vouluou osé faire. Ça ne veut pas dire nier leressenti individuel et ne pas vouloir faireattention aux limites des gentes et àcomment ielles peuvent vivre/ressentirdes choses. Ça voudrait plutôt dire nuancerce ressenti, le relativiseret le mettre en pers-pective, aussi pour comprendre d'où il vient.Le problème n'est donc pas que deslimites soient posées ou des malaisesexprimés, mais plutôt les réactionscollectives qui en découlent.

Par ce texte, nous avons également envie defaire partager des bouts de réflexions etquestionnements inachevées sur les«espaces safe» et ce qu'ils peuvent véhiculer.

D'abord, est-il possible de créer des«espaces safe» dépourvus d'oppressionset d'agressions ? Dans la mesure où ceterme est plus particulièrement utilisé lorsde festivals, de concerts, de rencontres,espaces-temps... regroupant souventplusieurs dizaines de personnes, il noussemble dès lors peu probable que les«espaces safe» le soient pour tout lemonde et donc qu'il n'y ait ni rapportsd'oppression ni agressions. Parce qu'il yaura forcément des personnes avec des

positions sociales différentes et donc dessystèmes d'oppression. Parce que mêmesi on cherche à réduire les risquesd'agressions, il est difficile d'imaginer qu'ilne s'en produise jamais, sans vouloir pourautant relativiser les agressions et laresponsabilité des personnes qui lescommettent. Aussi parce que ça nesuffit pas d'être opprimé-es par unsystème pour ne pas reproduire d'autressystèmes d'oppression. En plus, souventce à quoi on fait attention c'est plutôt cequi nous touche et/ou ce qu'on vit, alorsforcément il y a des choses dont on nese rend même pas compte mais que defait on véhicule, que ce soit de par notreconstruction et donc de nos privilèges,

Deuxième partie

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ou du fait de faire partie de la majoritéd'un espace. Parfois, quand on est habitué à se voircomme une personne opprimée, il estdifficile de réaliser et d'assumer qu'onest aussi dominant-e, surtout quand lescontextes et les mixités changent. Parexemple, dans nos expériences de non-mixité, pris-e-s par notre enthousiasmede vivre dans un espace ne comportantplus le/les systèmes d'oppression quel'on vit, on oublie que ce n'est pas le casde tout le monde, et que des oppressionspersistent pour certaines personnes.

Voici un exemple simplifié si on prenden compte uniquement le sexisme etl'hétérosexisme.

Un cercle vicieux de reproductiond'oppressions est instauré par lamanière dont se construisent les espaceset par qui ils sont fabriqués. En effet, cequi est proposé et qui le propose vadéterminer quelle sera la majorité despersonnes qui le constitueront en fonctionde leurs intérêts. Cette majoritévéhiculera et reproduira des codes, desnormes et des oppressions. À l'intérieurde ces espaces ces oppressions ne serontpas trop reconnues car elles enconstitueront la norme.

Un exemple simple :

Si les espaces ne sont pas safe pour toutle monde, pour qui le sont-ils? Si onparle d'oppressions, comme on peuts'en apercevoir un peu par ce qu'onvient de dire, les espaces sont souventsafe pour les personnes qui ont plus deprivilèges et/ou pour la majorité qui lesconstitue. Si on parle d'agressions, onpréfère plutôt parler de «safer» (plussafe) parce que personne ne serajamais à l'abri de se faire agresser.

Croit-on également qu'en appelantsafe nos espaces ils le deviendront?Suffit-il de nommer les systèmesd'oppression pour qu'ils disparaissentou s'atténuent ou pour qu'ils soient prisen compte? De même, suffit-il de pointerdes situations d'agressions pour qu'ellesne se produisent pas?On a remarqué à plusieurs reprises unetendance à lister dans des chartes delieux ou festivals des comportementsoppressants comme si le fait de lesverbaliser/nommer ferait que cescomportements n'existeraient plus d'uncoup de baguette magique. Il ne suffitpas de dire/écrire que des comportementsne sont pas acceptés pour qu’ils disparaissentdes espaces. La performativité ne marchepas, dire des choses ne suffit pas à lesfaire exister.C'est vrai qu'une des stratégies, pourcontrer l'invisibilisation de certains

Une meuf hétéra ne sera pas à la mêmeplace dans un groupe mixte que dans unenon-mixité femme-gouine-trans : lesenjeux d'oppression et d'alliance sontdifférents dans ces deux contextes.N'étant pas touchée par l'hétérosexisme,ce sera plus difficile pour cette meufhétéra de s'apercevoir de l'existence decette oppression et du fait qu'elle lavéhicule aussi.

Un événement proposé par des jeunestranspédégouines blancs aura tendance às'adresser particulièrement à des jeunestranspédégouines blancs, qui y seront enmajorité et ce n'est pas dans ce contextequ'ils s'apercevront des oppressionsqu'ils véhiculent.

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comportements oppressants/systèmesd'oppression/situations d'agression, peutêtre celle de nommer tout ça. Par exempleça montre qu'il y a une volonté d'y faireattention et ça peut permettre à despersonnes qui sont confronté à dessituations d'agression et/ou d'oppressionde se sentir plus légitimes d'en parler.Mais il faut aussi être conscient-e que çane suffit pas pour les faire disparaître.C’est à tout le monde de prendre encharge et de se responsabiliser pourempêcher que des comportementsoppressants/ situations d’agression aientlieu et pour réagir quand illes ont lieu.

Au-delà même de savoir s'il estpossible de créer des «espaces safe», est-ce seulement intéressant?Si on entend par le mot safe la recherched'espaces confortables et sans confrontationparce que c'est plus facile et reposant,on a envie de questionner ce désir.On trouve que cette aspiration est souventmotivée par des mécanismes de protectionqui font qu'on désire des espaces-tempsoù rien ne pourrait nous atteindre ousurprendre, où on serait protégé-e-s eten sécurité par rapport à des «attaquesextérieures», comme si on voulait créerun espace idéal où tout serait parfait.Tout ça, ça nous renvoie aussi à des espacespolicés où tout serait «sous contrôle»,alors on a du mal à voir ce qu'il yaurait d'intéressant. On préfère doncêtre confronté-e-s à la différence devécus et de réalités sociales, parce quec'est ça qui nous fait évoluer et ne pasrester sur nos positions. Là on n'est pasen train de dire qu'il faut toujours seconfronter avec tout le monde et doncqu'on ne voit pas l'intérêt des espaces

non-mixtes. En fait, on cherche dans lesnon-mixités autre chose que des «espacessafe». Dans l'envie de faire ensemble, onpréfère mettre en place des rapports deconfiance qui font que la confrontationet la conflictualité sont possibles plutôtque d'être dans des situations/groupes/...où tout semble bien se passer parcequ'on n'ose pas parler de ce qui pourraitêtre conflictuel.

Si on entend par «espaces safe» des espacesdépourvus d'oppressions et d'agressions,on trouverait ça génial. Mais on sait trèsbien que ça n'arrivera jamais. Parcontre, on sait aussi qu'on peut agirpour améliorer nos espaces en étantmoteurice et acteurice de ce qu'il s'yjoue. On trouve, par exemple, importantd'essayer de réduire la peur de l'agressiondans les espaces, étant donné que cettepeur est une part de ce qui permet auxsystèmes de domination de se mainteniret qui contrôle et limite la vie et les actionsdes dominé-e-s.C'est pour ça qu'on voit plus l'intérêtde parler d'espaces où on cherche àdiminuer les risques d'agressions et àprendre plus en compte les systèmesd'oppression à travers la visibilisation,le fait d'y porter de l'attention, laresponsabilisation sur nos comportementset d'autres stratégies à essayer etexplorer.

Dans l'optique de créer des espacesconfortables sans confrontation niconflit, il n'est pas anodin de constaterque lorsqu'une personne ne se sent passafe, une des réponses est de cloisonnerl'espace et en même temps de créer unenouvelle règle.

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Dans le cas de l'évènement en non-mixitéfemme-gouine-trans (v. exemple plushaut), le fait qu'une personne ne sesente pas safe avec la nudité a conduitautomatiquement à une séparation del'espace sans passer par la confronta-tion/discussion, avec la création d'unespace réservé à la nudité, donccloisonné, hors de confrontation. Enmême temps que cette séparation del'espace, naissait une nouvelle règle: ondoit être habillé-e partout saufpossibilité d'être nu-e dans l'espaceréservé à la nudité.

Ça nous questionne beaucoup de répondredirectement par l'outil «réglementation»quand une personne fait savoir que deschoses ne lui vont pas. Aussi parcequ'on n'est pas en dehors d'une sociétéfrançaise, occidentale, et que le faitque cette société ait un mode de fonction-nement sécuritaire et individualiste ades retentissements sur nos manières defaire, malheureusement. Par exemple,

on a du mal à ne pas voir un lien entrele fait d'évoluer dans une sociétéindividualiste, où seul l'individucompte, et le fait que les limitesindividuelles nous semblent prioritairespar rapport aux conséquences qu'ellespeuvent avoir sur un collectif. Ce qui neveut pas dire que le collectif devrait toujourspasser avant les individus, mais qu'il n'ya pas de systématisme là-dedans, d'oùl'intérêt de passer par la discussion.Aussi, ce besoin de se sentir en sécuritéet protégé-e-s ne serait-ce pas en lienavec le fait de vivre dans une société où onest bombardé de messages sécuritairesdans notre quotidien qui nous disentqu'il faut se méfier des autres (d'ailleursles autres ne sont pas n'importe qui, ils'agit surtout de personnes/populationsstigmatisées)? Ne serait-ce pas aussicette «peur des autres» qu'on nous ainculquée qui ferait qu'on ait tout desuite le réflexe de se protéger des autresplutôt que d'en discuter quand il y a unproblème, de préférer séparer les espaceset donc se séparer du danger? Si on chercheà éviter la discussion et de se confronter,est-ce que c'est parce qu'on a peur dedevoir entendre l'autre, de devoir aussi seremettre en question? En plus, passer par la réglementation desespaces ne règle pas le problème, ça l'éviteparce qu'on a séparé les «éléments» enconflit, mais c'est un échec par rapport àl'envie de faire ensemble.Encore une fois on pourrait penserqu'on critique la non-mixité, vu quec'est une forme de cloisonnement desespaces. Mais justement, la différencequ'on y voit est que les non-mixités sontune façon de cloisonner l'espace demanière politique et pas parce qu'on a

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«peur des autres».Pour nous, la raison d'être ou le but desespaces non-mixtes ou en mixités choisiesc'est, entre autre, de créer, développerde la confiance en soi et entre nous, dequestionner nos manières d'être ensembleet pour soi,... Tout cela parce qu'on aenvie d'avancer, de se confronter à nosconstructions, à nos barrières, à nos

morales, et de les bouger si on peut, sil'espace nous en ait donné.

C'est aussi pour ca qu'on a euenvie de rendre publics cesquestionnements, parce que dans nosvies on a besoin de ces espaces non-mixtes et qu'on a envie d'être attentif etcritiques de comment ils se construisentet de ce qu'il s'y passe.

un trans et un pédé

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Pas de copyright - photocopillage vivement encouragégrrrenoble - juin 2011