les arabes en syrie avant l'islam

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  • LES ARABES EN SYRIE

    AVANT L'ISLAM

  • DU MME AUTEUR

    Artmis chasseresse, marbre du Louvre rlil Diane h la biche (extraitde la Revue Archologique). Paris, Leroux, 1896, 7 p. et g.

    Voyage (Premier) en Syrie, octobre-novembre 1895. Notes archo-logiques (extr. de la Bcvue Archcolorjique). Paris, Leroux, 189G, 4U p.,fig. et pi.

    Voyage (Second) en Syrie, octobre novembre 1896. Notes archo-logiques (exir. de la Revue Archologique). Paris, Leroux, lb97, 53 p.,fig. et pi.

    Triparadisos (extr. de la Revue Archologique). Paris, Leroux, 1898, 11 p.

    Les Visions d'zchiel (extr. de la Revue de VHisloire des Religions).Paris, Leroux, 1898, i' p.

    Histoire et Religion des Nosairs (129 fasc. de la Bibliothque del'cole des Hautes-tudes). Paris, Bouillon, 1900, xxxv et 213 p. (Prixextraordinaire Bordin 1903, Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres).

    Influence de la religion nosair sur ia doctrine de Rchid ad-diaSinn (e.xtr. du Journal Asiatique). Paris, Leroux, 1900, 11 p.

    et Frdric Macleb, Voyage archologique au Saf et dans le Dje-bel ed-Drz. Paris, Leroux, 1901, 227 p., fjg. et 17 pi. (Prix extraordi-naire Bordin 1903, Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres).

    Les premiers renseignements historiques sur la Syrie (extr. de laRevue de l'cole d' Anthropologie). Paris, Alcan, 1902, 14 p.

    avec la collaboration de Frdric Macler, Mission dans les Rgionsdsertiques de la Syrie moyenne (Extr. des Sonvclles Aro/i/rev desMissions scientifiques, t. X). Paris, Leroux, 1933, 342 p., un itinraire,30 planches et 5 tig.

    Numismatique des rois de Nabatne (extr. du Journal Asiatique). Paris,Leroux, 1904, 50 p., 4 pi. et (ig.

    Questions Mycniennes (extr. de la Revue de l'Histoire des Religions).Pans, Leroux 1905, 40 p. et 10 fig.

    La Chronologie des rois de Sidon (extr. de la Revue Archologique).Paris, Lerou.\, 1905, 23 p. et fig.

    Notes de Mythologie syrienne, Paris. Leroux, 1905, 189 p., 1 pi. et42 fig.

    La Troie homrique et les rcentes dcouvertes en Crte (extr. dela Revue de l'colc d'Anthropologie). Paris, Alcan, 1905, 19 p. et 7 fig.

    La Civilisation prhellnique dans les Cyclades (extr. de la Revue deCEcole d'Anthropologie). Paris, .Mcan, 1906, 28 p. et 19 lig.

    Les Fouilles rcentes dans les Cyclades et en Crte (extr. de Rulle-tlns et Mmoires de la So'-irlr iTAnthropologie de Vari^). Paris, Masson,1906, 23 p. et 12 fig.

    La Matrialisation de la prire en Orient (extr. de Bulletins et Mmoiresde lu Socit d'Anthropologie de Paris). Paris, Masson, 1906, 8 p.

    Le Dieu phnicien Echmoun, dans Journal des Savants, 1907, p. 36-47

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    RRN DUSSAUD

    LES

    ARABES EN SYRIE

    AVANT L'ISLAM

    Avec 32 Figures

    PARIS

    EKNEST LEROUX, EDITEUR

    2y, RUE BONAPARTE (VI)

    1U07

  • Digitized by the Internet Archive

    in 2010 with funding fromUniversity of Toronto

    http://www.arcliive.org/details/lesarabesensyrieOOduss

  • A Monsieur

    HENRY ROUJONSECRTAIRE PERPTUEL DE l'aGADMIE DES BEAUX-ARTS

    DIRECTEUR QONORAIRE DES BEAUX-ARTS

    EN TMOIGNAGE D'AFFECTUEUX DVOUEMENT

  • AVANT-PROPOS

    Mon Matre, M. Clermont-Ganneau, occup des tra-vaux urgents, a bien voulu me demander de le remplacerdans sa chaire d' pigraphie et antiquits smitiques , auCollge de France, pendant le premier semestre de l'anne

    scolaire 1905-1906. J'ai trait cette occasion du Dchif-

    frement et de tinterprtation des inscriptions safditiqnes et

    tudi les donnes nouvelles qu'elles fournissent VHistoirede la pntration des lments arabes e? Syrie avant rislm^En publiant ces leons, je dfre au dsir de M. Clermont-

    Ganneau et je remplis, sans m'acquilter, un devoir de gra-

    titude. Les explications purement philologiques, qu'il est

    ais de trouver ailleurs, ont t rsumes afin de mieuxlaisser apparatre les rsultats historiques de ces recherches.

    Quelques textes ont t donns, notamment des spcimensde la langue et de l'criture safaliques. Aucun n'est indit;

    mais on a choisi ceux qui prtaient soit une lecture nou-

    velle, soit des observations complmentaires.

    R.D.

    1. Cf. Annuaire du Collge de France, 1906, p. 81-83.

  • LES ARABES EN SYRIEAVANT L'ISLAM

    CHAPITRE 1

    LE DSERT DE SYRIE

    Le dsert de Syrie et les migrations arabes. Immigration arabe eu Syrieet migration syrienne. Origine dsertique des Ghassanides, Safates,

    Palmyrniens, dynastes d'Emse, Iturens, Nabatens, Isralites.

    Au sud-est de Damas, l'entre du dsert de Syrie, tout

    autour de la rgion volcanique appele le Saf, on trouve en

    abondance des textes gravs sur les rochers de basalte. Lapopulation qui a trac ces textes dans les premiers sicles

    de notre re tait d'origine arabe : sa langue est un dialecte

    arabe, l'criture se rattache aux critures de l'Arabie mri-dionale. Grce ces inscriptions, nous connaissons une des

    langues qui se parlaient dans le dsert de Syrie avant l'Islam

    et nous pouvons tudier dans un espace bien circonscrit, avec

    des documents parfaitement localiss, une installation de

    nomades arabes sur le point de passer la vie sdentaire etde s'incorporer aux populations sdentaires de la Syrie. Cette

    tude, intressante en elle-mme, comporte un trs large

    intrt historique puisque la pntration des nomades en1

  • 2 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    Syrie est un phnomne constant et normal. Les Safatesn'ont t ni les premiers ni les derniers h s'acheminer vers

    la Terre promise; mais ce sont les seuls que nous saisissions

    avant leur assimilation complte, c'est--dire en pleine pos-

    session de leur langue, de leur criture, de leurs dieux et de

    leurs coutumes. Aussi fourniront-ils la matire principale de

    ce mmoire sur la pntration des lments arabes en Syrieavant l'Islam; d'autres groupes nomades apporteront, l'oc-casion, des renseignements comparatifs ou complmentaires.

    Ce serait une erreur de croire que la pntration des l-

    ments arabes en Syrie date seulement de la conqute musul-mane. L'lan qui permit aux musulmans de rompre leslignes byzantines la bataille du Yarmouk (636), d'envahirla Syrie et de dborder ensuite, l'Est, jusqu'au centre del'Asie, l'Ouest, par del l'Afrique du nord, jusqu'en Espagne,cet lan a marqu l'apoge de la puissance arabe; il ne cons-titue, toutefois, qu'une amplification remarquable d'une

    tendance qui a laiss des traces nombreuses dans l'histoire.En d'autres termes, si la conqute musulmane, au

    vii sicle de notre re, apparat comme un vnement anor-mal par son ampleur, elle rpond, en ralit, un mouve-

    ment normal des populations arabes qui tendent continuelle-

    ment pntrer, et, mme, s'installer en territoire sden-taire.

    Par le mot Arabes , il ne fautpas entendre uniquementles habitants de l'Arabie, mais les nomades qui parcourentle centre et le nord de l'Arabie, et tout le dsert de Syrie.

    Ainsi, les populations sdentaires du sud de l'Arabie ne sontpas des Arabes. Les rois himyarites qui dominaient en ces

  • LE DSERT DE SYRIE 3

    rgions s'intitulaient rois de Saba, de Raydn, de IFadia-maut, de Yamanat et de leurs Arabes , c'est--dire desnomades qui pntraient sur l'un ou l'autre de ces territoires.

    Le dsert de Syrie, qui s'tend vers le nord jusqu'l'Euphrate, fait essentiellement partie du domaine arabe. Lavaste steppe calcaire qui a nom le Hamad, est particulire-

  • 4 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    Les migrations arabes ont la rgularit des saisons. Les

    tribus de grande lente passent l'hiver en Arabie, particuli-

    rement dans le Nedjd. Au printemps, elles s'avancent vers lenord la recherche des pturages. Elles arrivent ainsi en

    bordure des territoires sdentaires. Quand le soleil a brll'herbe courte de la steppe et tari la plupart des puits, ce

    moment la moisson est acheve en territoire sdentaire. Les

    nomades pntrent dans les champs et les brebis broutent le

    pied des tiges de froment ou d'orge. Us envahissent aussi les

    prairies naturelles comme celles du Djoln (Gaulanitis).Chaque tribu a ses campements d't au milieu des sden-

    taires ou dans leur voisinage. Chaque chaikh (ancien,

    chef) de tribu est li par la khouww ou pacte de fraternitavec les chaikhs d'un ou de plusieurs villages. La khouwweest donc la coutume qui rgle les rapports entre sdentaires

    et nomades'. Quand le sdentaire n'est pas fortement protgpar son gouvernement, le nomade exige non seulement lelibre usage des champs aprs la rcolte, l'accs dans lesprairies naturelles, la facult de s'abreuver aux puits et aux

    cours d'eau, mais il impose encore un tribut en nature. Enrevanche, il accorde sa protection au sdentaire contre les

    razzia des tribus voisines. Sans doute, c'est la faveur de

    cette coutume que les chefs nomades ont pu prendre le pou-voir dans les villes voisines du dsert comme mse ou desse.

    Si le sdentaire s'appuie sur un gouvernement fort, lenomade rduit ses prtentions. Les Romains l'avaient parfai-tement compris. Ils tablirent des postes fortifis tout le long

    de la limite du dsert, non pour empcher les nomadesd'accder en Syrie, mais pour rgulariser leurs migrations.

    A cet effet, ils amnagrent, soit en creusant le sol, soit en

    1. Le systme a t dciil notamment par Burckhardl, Travcls, p. 300 etsuiv.

  • LE DSERT DE SYRIE 5

    tablissant des barrages, un grand nombre de rservoirs, debirk, que remplissaient les pluies d'hiver et qui, l't venu,

    assuraient l'existence des troupeaux.

    Pour garder ces postes frontires, sur la disposition des-

    quels nous reviendrons, les Romains utilisrent largementles services des nomades. Leur politique rgularisa et fixa

    l'tat naturel des choses; seul, l'tat de paix qu'ils impo-

    srent amena une volution notable. Les sdentaires, i l'abri

    des surprises et d'un tribut trop lourd, reculrent les limites

    du dsert par l'utilisation de toutes les terres susceptibles de

    culture. De nombreux villages, aujourd'hui en ruines, abri-taient une population mle de Syriens et d'Arabes qui com-merait activement avec les nomades, cultivait l'olivier, lavigne, les crales et se livrait l'industrie de la laine. Ce

    furent sans doute les ncessits du commerce qui attirrent

    la suite de son mari, jusqu' Mothana (Imtn), sur la lisiredu dsert, cette Gauloise originaire de Rotomagus (Rouen) etrpondant au nom de Stercoria. Elle mourut Mothana ol'on conserve encore son pitaphe'.

    Au commencement du xiii^ sicle de notre re, le gographearabe Yqol parlant de Lnak, l'ancien "Iva-/o, village l'en-tre du dsert de Syrie, vante les vtements qu'on y fabri-

    quait. Le mme auteur mentionne les vins rputs de Sal-khad*. L'usage du vin, comme en tmoigne la posie arabeanfislamique, se rpandit parmi les nomades du dsert. 'Al,le gendre du Prophte, prtendait que la puissante tribuchrtienne des Taghlibites n'avait emprunt du christia-nisme que la coutume de boire du vin' .

    1. Waddington, Inscriptions grecques et latines de Syrie, n 2036; cf.Revue Archologique, 1901, II, p. 375-376,

    2. CI". R. Dussaud et Fr. Macler, Mission dans les rgions dsertiques de laSyrie moyenne, p. 22-23.

    3. Lammens, Un pote royal la cour des Omiades, p. 40.

  • 6 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'iSLAM

    Dans la pratique, le dveloppement des cultures compliqueles rapports entre sdentaires et nomades. Nous pouvons en

    juger de nos jours en Algrie et en Tunisie oii la Francereprend, aprs bien des sicles, la tche civilisatrice de

    Rome. L'introduction des nomades et de leurs troupeauxsur un territoire qui a chang de destination et de matre,soulve des difficults trs graves. Un spcialiste des ques-tions africaines, le commandant Rinn, a publi une tudesymptomatique sur Y Origine des droits d'usage des Sahariensdans le Tell\ Tout rcemment, MM. Augustin Rernard etN. Lacroix ont mis la question au point dans une excellenteEtude sur h nomadisme'"'

    .

    Il faut distinguer entre migrations rgulires et migrations

    intempestives. Celles-ci sont dues l'tat de guerre qui oblige

    les troupeaux la fuite et qui pousse dtruire les points

    d'eau. Les tribus, n'occupant plus les mmes territoires,renoncent aux travaux d'amlioration et se dtournent de

    toute culture, d'oi^i un puisement rapide du sol. Car il ne fautpas prtendre^ que les nomades ignorent l'agriculture ouqu'elle soit sans valeur pour eux. Quand ils sont assurs depouvoir rcolter,les Arabes nomades du dsert de Syrie saventparfaitement choisir certains points comme la Rouhb (fg. 2)ou les bords des vastes marcages de la basseMsopotamie pour

    y semer du froment et de l'orge. De la sorte, non seulement

    ils tirent un parti avantageux de la terre, mais ils amliorentun terrain qui, l'anne suivante, fournira une herbe pluspaisse.

    Le premier effet de la paix au dsert est donc de rduirel'amplitude des migrations, de stabiliser les tribus dans des

    1, Bulletin de la Socit de Gographie d'Alger et de VAfrique du nord,1902, p. 259 et s.

    2. Annales de Gographie, 190(5, p. 152-165.

  • LE DESERT DE SYRIE

    territoires dtermins. Un effet moins proche, mais gale-ment certain, est d'entraner peu peu le nomade vers desoccupations qui lui taient trangres. L'tat de guerre le

    tenait dans l'oisivet. Le lien moral et matriel de la tribus'affirmait rigoureusement dans l'autorit du chef, le cultecommun, le groupement ds intrts en vue de la dfense etde Tattaque, au point que l'ide de tribu absorbait celle defamille. Avec la paix assure, ce lien se relche. Un un,les individus se dtachent du groupe. Ils prennent du servicedans l'arme, ils s'engagent pour le travail des champs, pourle transport des marchandises. C'est le moment oii les con-ditions de la vie favorisent leur installation en territoiresdentaire et les poussent la vie agricole. On les voit alorsconstruire des villages. Il ne reste pour l'lve des troupeauxque le nombre d'hommes ncessaire. Mais eux aussi ontvolu puisqu'ils se sont spciahss et sont devenus de simplesbergers. Les migrations ont disparu pour les uns et pour les

    autres : le nomadisme des troupeaux s'est chang en trans-humance'.

    C'est un sujet constant d'tonnement pour le voyageur derencontrer, sur toute la frontire orientale de la Syrie, dans

    des contres aujourd'hui dsertes, des villages en ruine quidatent de l'poque romaine. On se demande, tant donn queles Romains n'installrent pas de colonies dans la rgion,d'o provenait tout coup cette population. L'onomastisque

    des inscriptions prouve que cette population est un apport

    du dsert. Elle permet d'tabhr que le versant oriental duDjebel Haurn fut colonis par les Safates, tandis que largion sud du Haurn, entre autres les environs de Boslra,fut occupe par des Nabatens. La prpondrance de l'l.

    1. Sur cette volution qui s'accomplit de nos jours en Algi-ie, voirA. Bernard et N. Lacroix, Annales de Gographie, 1906, p. 164.

  • LES ARABES EiN SYRIE AVANT L ISLAM

    ment nabaten s'affirme ?]s-Sou\vaid puisque celte villeprend le nom de Dionysias en l'honneur du dieu nabatenDusars identifi Dionysos. A Adraaet Bostra, on clbrede grandes ftes sous le nom 'Adia Dmaria. Mommsen adit que la province romaine d'Arabie, cre par Trajan avecles dbris du royaume nabaten, avait t mal dnomme : Trajan, explique l'illustre historien, tait un homme grandes actions, mais plus encore grands mots *. Dans lecas particulier, l'appellation tait justifie puisque la contre

    tait habite par des Arabes.

    Les Romains s'empressrent d'lever des fortins en bor-dure des territoires sdentaires et, aussi, sur les principales

    routes qui s'enfonaient dans le dsert. Ils dvelopprent

    l'irrigation par la construction d'aqueducs. Ils embellirent

    les villes en traant de larges voies et en rigeant de somp-

    tueux monuments. Enfin, ils mirent un soin particulier

    amliorer le systme de communications.

    Ds l'institution, en 106 de notre re, de la provinceromaine d'Arabie, l'administration romaine construisit dans

    le Haurn un rseau de routes dont le centre fut Bostra, l'an-cien emporium nabaten devenu capitale de la provincenouvelle. Ainsi fut transform en voie romaine, le chemindes caravanes qui, de Bostra, se dirigeait vers le sud par

    Ammn-Philadelphie et Ptra jusqu'au golfe Elanitique. Lesmilliaires, poss ds le temps de Trajan, qui ont permis dereprer cette route, la dfinissent : ria ?iom a finibus Syriaeusque ad mare Rubrum. De Bostra, une voie romaine menait Adraa, une autre Damas, une autre encore Salkbad etde l l'nak, GaFat Ezraq oii s'levait le dernier fortin l'entre du dsert. Les caravanes en partaient pour gagnersoit l'Arabie soit la basse Msopotamie.

    1, Mommscn, Histoire romaine, Irad. fr., t. XI, p. 37.

  • LE DESERT DE SYRIE 9

    Celle politique eut pour rsultat de fixer en grand nombreles nomades qui frquentaient la Syrie, mais il est juste dereconnatre que les Nabatens avaient prpar la tche auxRomains.

    La pntration des populations arabes en Syrie a laiss des

    traces, malheureusement fort confuses, chez les historiens

    arabes. En dehors des vnements les plus voisins de THgire,les renseignements transmis par eux seraient inutilisables

    sans le secours de l'pigraphie. Nous verrons quel prcieux

    complment cette dernire leur apporte. Caussin de Percevaldans son Essai sur r Histoire des Arabes avant rislamisme^ puis

    Wetzstein dans son BeisehericktberHaiiran unddie Trachonenont utilis les traditions arabes. Plus rcemment, M. Noeldekepar sa traduction de Tabari comme par sa monographie surles princes Ghassanides*, et M. Rolhstein dans son tude

    sur les Lakhmides de Ilira-, ont tir tout le parti possible dessources arabes.

    Vers le commencement de notre re serait apparue en

    Syrie la tribu des Tenoukhides provenant de l'Arabie mri-dionale. Les Salihides les suivirent de prs. Nous abordons

    un terrain historique plus solide avec les Djafnides, connussous le nom de Ghassanides, galement originaires de TArabiemridionale. Ils pntrrent dans le Haurn et l'autorit deschefs Ghassanides fut reconnue par les Romains, qui lesopposrent aux Lakhmides de llra directement soumis auxSassanides. De nombreuses constructions sur la lisire dudsert ont t attribues aux Ghassanides. Nous examinerons

    cette question dans le chapitre suivant.

    1. Th. Nldeke, Geschichte der Verser und Araber ztir Zeit der Sasaniden,Lcyde, 1879; Die Ghassnischen Fiirsten aus dem Hause Gafna's, extr. desAbhandl. der k. pr. Akademie der Wis.tensch. zu Berlin, Berlin, 1887.

    2. G. Rolhstein, Die Dynastie der Lahmiden in al-Hira, Berlin, 1899.

  • 10 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'TSLAM

    Ce sont certainement des populations venues de l'Arabiemridionale qui ont fond dans le Ledj le village de Nedjrndont le nom rappelle la ville bien connue d'Arabie*. Le vil-

    lage actuel de Bouraik, galement dans le Ledj, portait l'poque romaine le nom de Bop7>e Saewv, c'est--dire Bou-raikah des Sabens'. Toutefois, le fait mme qu'on ait dsignun village comme peupl de Sabens, indique que la popula-tion de cette contre n'tait pas en majeure partie sabenne.L'onomastique des inscriptions est, en effet, presque enti-rement arabe, trs rarement sabenne. Il ne faut donc pas,comme on l'a fait encore rcemment, qualifier de sabennesles ruines du Djebel TIaurn.

    L'immigration arabe en Syrie n'tait pas, comme onpourrait le croire, uniquement imputable l'organisationromaine. Les circonstances l'ont simplement favorise cette poque et lui ont assur une allure pacifique. Ds avantl'arrive de Pompe en Syrie, la ville d'mse est au pouvoird'une dynastie arabe. Ces dynastes, Sampsigeramus, Jam-blichus, Azizus, Soemus portent de purs noms arabes;nous les retrouverons dans les textes safatiques. A desse,rgnent des dynastes aux mmes noms arabes, ce qui ex-plique l'introduction dans cette cit du culte d'Azizos-Phos-phoros.

    Mais l'exemple, peut-tre le plus typique, d'une installation

    arabe en Syrie nous est fourni par les Iturens parce que

    les documents historiques nous permettent de les suivre

    1. Cf. ci-aprs p. 34 et suiv.2. Waddington, /. c, n 2396 (cf. n 2393) et notre Mission, p. 252,

    n 32.

  • LE DSERT DE SYRIE 11

    dans leur mouvement de pntration. L'Ancien Testa-

    ment' range Yetor parmi les fils d'Ismal, c'est--dire

    parmi les tribus de race arabe. Toutefois, si la Gense fixerhabitat de Yetour dans le dsert de Syrie et en Arabie, le

    livre des Chroniques, de rdaction plus rcente, le place

    dans la TransJordanie. A l'poque romaine, nous trouvons lesIturens installs dans l'Anliliban. On les dsigne alors tantt

    comme des Arabes, tantt comme des Syriens. Et, en effet,

    les quelques noms de soldats iturens que les inscriptions

    latines conservent, sont en partie des noms aramens, enpartie des noms arabes. Parmi ces derniers, il nous suffirade citer HANEL; on le retrouve seulement dans le Haurn soitsous la transcription grecque ANHAOC ou mieux ANNHAOC,soit dans un texte nabaten, mais surtout en safatique

    Hann 'el.

    Les affinits de race entre les Arabes Iturens et les Arabes

    de la Trachonitide (Arabes du Saf et du Ledj) valurent Znodore, chef des Iturens, de voir son autorit tendue par

    l'empereur Auguste sur la Trachonitide. Il n'est pas surpre-

    nant, dans ces conditions, qu'Eusbe ait confondu l'iture

    et la Trachonitide; mais on a eu tort de vouloir perptuer

    cette erreur.

    Au cours de la discussion institue sur le point de savoir

    quels taient les correspondants de saint Paul dans son Epitre

    aux Galates, quelles glises elle fut adresse, M. Ramsay,

    le savant explorateur de l'Asie iMineure, a prtendu que dans

    les Actes des Aptres, xvi, 6, l'expression tyjv ^p-{'.x^ -/.al PaXa-

    T'.7,Yiv ywpv ne devait pas s'entendre de deux contres, la

    Phrygie et laGalatie, mais d'une rgion, la Phrygie-Gaiatie.

    1. Gense, xxv, 15 et I Chroniques i, 31; v, i9. Voir Emil Schrer, Ges-chichte von Chalcis, Itura und Abilene dans sa Geschichte des jdischejiVolkes im Zeitalter Jesu Christi^, I, p. 707-725.

  • 12 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    Comme une expression semblable se trouve dans l'vangileselon saint Luc, m, 1 : r^ 'iTcupria; /.al Tpayo)v(-:'.5s; 7.o)pa:, il fal-

    lait de toute ncessit montrer que l'Kure tait identique laTrachonilide. M.Ramsay invoquait l'O/zowa^/zcowd'Eusbequi, deux reprises*, identifie les deux contres : 'iToupai'ai^/al Tpoi.yomz'.q.

    Depuis l'poque oii M. Ramsay soutenait son hypothsecontre M. Emil Schiirer et M. Adam Smith, une inscriptiongrecque a encore contribu obscurcir la question. Ce texte

    a t relev, en double expdition, par M. Briinnow 'Atl

    prs de Kanatha, dans le Haurn. Un personnage, ayant letitre de bouleuts, c'est--dire de conseiller municipal,

    Alexandre fils de Maxime, est qualifi d'ituren et aussi,comme l'a montr M. Clermont-Ganneau, d'Adranien*. Doit-on en conclure qu'Adraa, une des villes les plus importantes

    de l'Auranitide, tait situe en Iture? Autrement dit, l'Iture

    se confondait-elle avec l'Auranitide? Comment concilier cetteconclusion avec le renseignement d'Eusbe puisqu'Adraa n'ajamais fait partie de la Trachonitide?

    L'explication doit tre cherche dans l'usage, courant chezles Arabes, de porter deux ethniques, l'un visant la ville qu'ilshabitent, l'autre rappelant leur lieu de naissance. Prcis-

    ment, le fait qu'un personnage porte deux ethniques prouveque ces deux ethniques sont essentiellement difTrents. NotreAlexandre fils de Maxime tait de race iturenne, probable-ment n en Iture, mais il demeurait Adraa>

    L'aspect occidental des noms propres Alexandre et Maximene doit pas faire illusion. Nous avons dit que le texte taitgrav en deux exemplaires. Ils sont identiques ce dtailprs que, dans l'un, le patronymique est Maximos et, dans

    1. dition Lagarde, p. 268 et 298.2. Clermont-Ganneau, Recueil tVarchologie orientale, IV, p. 118-HO.

  • LE DSERT DE SYRIE 13

    l'aulre, Raoudos. Ce dernier doit cacher une erreur de copie,c'est sans doute Rabbans qu'il faut lire, nom dont Maximosserait un quivalent assez exact'.

    Ainsi donc, le texte grec de 'Atl ne peut tre oppos auxarguments que M. Emil Schiirer a fait valoir pour distingueravec Strabon la Trachouitide de l'Iture et placer cette der-

    nire, l'poque romaine, dans l'Antiliban.

    Antrieurement notre re, les Iturens sont en possessiondans l'Antiliban d'un royaume dont Chalcis ('Andjar), dans laBqa', tait la capitale. De l, ils avaient pouss travers leLiban jusqu' la cte phnicienne oii ils occupaient le fameuxpassage du Thouprosopon et mme le port de Botrys. Ilsinquitaient Byblos et Bryte lorsque Pompe intervint pourmettre un terme leurs exactions.

    Il est curieux que, de nos jours, les grandes familles duLiban revendiquent une origine arabe. Le fait est consi-drer que, dans de nombreux villages, on rencontre la divi-sion en Ymni et en Qaisi ces deux anciens partis rivauxchez les Arabes. Dj, quand Alexandre descend en Syrie,on signale que les Arabes occupent le Liban'.

    Nous avons vu le parti qu'on peut tirer de l'onomastique

    rvle par les inscriptions, Ernest Renan fut le premier appeler l'attention sur ce point. En 1855 paraissaient NevN'-York dans le Journal de la Socit orientale amricaine^douze textes grecs copis par Porter dans le Haurn. Quel-

    1. La copie Brunnow, Milt. und Nachr. d. deutschen Palaestina-Vereins,1899, p. 84 porte : PAOYA-.- Le nom propre Rabbans est connu en naba-ten (Rabbna) et en safatique (Rabbn).

    2. Ce ne sont pas encore des Iturens; cf. Schiirer, l. c. , I, p. 70S, n. 2contre Wellhausen.

  • 14 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'ISLAM

    ques mois aprs, en 1856, Renan publiait un mmoireintitul : Sur quelques noms arabes qui jfjurent dans des

    inscriptions grecques de rAuranitide. Cette courte notice,

    presque introuvable, a t rimprime dans le Journal Asia-tique Q 1882.

    Les noms propres arabes que fournissaient les textes

    dcouverts dans le Haurn, Renan les retrouvait Damas, mse, Palmyre. Cet envahissement de la Syrie par lalangue arabe, expliquait l'illustre savant, correspond un

    grand fait historique, je veux dire l'avnement simultand'un grand nombre d'mirs arabes dans les villes de Syrievers l'poque oti la puissance romaine commena s'ytablir*. En ralit, le mouvement remonte plus haut.Renan ajoutait cette remarque dont nous aurons nous sou-venir : La parfaite correction avec laquelle les noms arabessont rendus dans nos inscriptions est aussi un fait qui ne doit

    pas chapper au philologue. Les particularits les plus dli-cates de la langue arabe y sont observes, et la conformit

    que ces particularits tablissent entre la langue arabe ant-

    islamique et celle qui se parle de nos jours serait faite poursurprendre, si nous ne connaissions d'ailleurs la persistante

    fixit des idiomes smitiques*.

    Les milliers de textes qui, depuis, sont venus au jour dansl'Est de la Syrie, tant grecs que nabatens ou safatiques etjusqu' trois textes arabes antislamiques, ont brillammentconfirm ces vues inspires Renan par douze textes grecsmal copis et assez inexactement publis.

    La survivance des noms propres arabes chez les Nabatensparlant l'aramen a permis de liquider la discussion sur l'ori-gine de ce peuple. Fixs dans le sud de la Palestine avec

    1. Renan, Joiirn. aslat., 1882, 1, p. 19.

    2. Ibidem, p. 21.

  • LE DSERT DE SYRIE 15

    Ptra pour capitale; matres, ds le iv^ sicle avant notre

    re, des routes commerciales entre l'Egypte, la Syrie, l'Ara-bie et la Basse-Msopotamie, les Arabes Nabatens pn-trent peu peu en TransJordanie*. Vers 85 avant notre re,

    le roi nabalen Artas III occupe Damas, alors capitale duroyaume sleucide, avec le consentement des habitants et

    prend, pour complaire ses nouveaux sujets, le titre dePhilhellne.

    Pour une haute poque, l'introduction des Isralites enPalestine est l'exemple le plus clbre d'une infiltration

    d'lments nomades en pays sdentaire. A en juger par lesanalogies, il est assez vraisemblable que les Isralites ne par-

    laient pas l'hbreu, dialecte cananen, avant leur sjourdans la TransJordanie.

    Les diverses traditions des Israhtes conservent le sou-

    venir de l'ancien tat nomade. En particulier, il est intres-

    sant de comparer l'onomastique de la famille abrahamiqueavec les anciens noms propres arabes dont le safaitique

    nous conserve une liste abondante.

    Ainsi pour Ismal, le safaitique T>^D^ est plus voisin de

    l'hbreu Sn^DU^^ que l'arabe classique. Le nom du pre

    d'Abraham Trah a t rapproch par M. Charles Daveluydu safaitique Tarait. Cette observation nous parat en tout

    point justifie.

    Les Massortes ont vocalis Trah ; mais les Septante onttranscrit apa; quelques manuscrits donnent 0ppa par suitede la tendance redoubler la liquide. D'autre part, comme

    il est ais de le montrer, les explications prsentes jusqu'icipour expliquer le nom du pre d'Abraham ne sont gureacceptables.

    i. Clermont-Ganneau, Les ^ahalens dans le pays de Moab dans Recueild'arck. or., II, p. 185-219.

  • 16 LES ARABKS EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    Trah, on le sait, tait fils de Nahor (G(??i., xi, 24). Il

    engendra Abram (Abraham), iXahor et Haran [ibid., 27) dans

    Ur, ville des Chaldens [ibid., 28). Puis, il partit de Ur pour

    venir en Canaan, s'arrta en route Ilarran, y demeura et

    y mourut [ibid., 31-32).

    Appliquant la thorie de M. Stucken, renouvele de

    Dupuis, auteur de VOrigiiie de tous les cultes, M. Winckler

    explique l'histoire des patriarches comme une lgende astro-

    nomique. Trah serait la dformation intentionnelle deYrah = assyr. arl}u^ primitivement le commencement

    d'une lune . Ur-Kasdim, d'o venait Trah, s'identifie la

    ville de Ur, dans le sud de la Babylonie, sige d'un culte

    lunaire. Harran, oh mourut Trah, tait un autre grand centre

    de ce culte. Il n'est pas impossible que les lgendes deshros aient t parfois contamines par les mythes astraux

    ;

    mais l'erreur est de vouloir tout exphquer ainsi.

    Dans le cas particulier qui nous occupe, les Astralmythen,

    quelque ingniosit qu'on y mette, ne donnent pas la cl

    attendue. Si Trah n'tait que la projection du dieu lunairebabylonien, il en rsulterait qu'Abraham, son fils, serait ledieu solaire et Sarah la desse Vnus (Ichtar). Mais lesauteurs de la thorie affirment qu'Abraham est galementun dieu lunaire et Sarah une desse lunaire'. Un autre dfautdu systme est de pouvoir s'tendre Saiil, Jonathan,

    1. D'aprs M. Stucken et son cole qui compte en Allemagne des savantsmritcs, les mythes anciens elles vieilles traditions historiques ne seraientque la projection sur terre du ciel astronomique. Les partisans de ce systmesont ce point hynoptiss par lui qu'ils n'hsitent pas dformer les lgendespour les ada[)ler au cadre de leur thorie. Dans sa pntrante critique : Fan-lahies bibUco-mylhologiqucs d'un chef d'i'colc, dans licvue Biblique, 1905,

    p. 5-38, M. Emmanuel Cosquin, le savant foiklorisle, a mis en vidence lesprocds anti-scientifiques de M. Stucken et l'a convaincu de truquage.

    2. Zimmern, dans Keilinschriften und das altc Testament*, p. 364.

  • LE DSERT DE SYRIE 17

    David, Salomon'. Cela rappelle trop la msaventure de

    Max MUer converti en hros solaire.Robertson Smith faisait de Trah un totem, car ce nom

    aurait signifi chvre sauvage, chamois par comparaison

    avec le syriaque torho. M. Noeldeke n'a pas admis le rappro-

    chement^D'aprs M. Jensen, Tarah serait une divinit qu'il retrouve

    en composition dans certains noms hittites'.

    Aucune de ces thories nous en passons, n'est

    satisfaisante. Il y a donc place pour le rapprochement pro-

    pos par M. Daveluy : Trah serait simplement un nompropre d'homme, nom d'origine arabe ou tout au moinsemploy dans le dsert de Syrie.

    Qu'il s'agisse des Isralites, des Nabalens ou des musul-mans du vii^ sicle de notre re, la mme tentation de la Terrepromise les agile et les mmes difficults se dressent devanteux. Aprs un premier effort, qui choue, contre le sud de laPalestine fortement organis et hriss de places fortes, leshordes nomades reprennent leur lan vers la TransJordaniequ'elles enveloppent facilement. Il leur faut s'emparer de

    toute la contre l'est de la mer Morte et du Jourdain avantde pouvoir pntrer dans le cur du pays.

    A cette pntration pacifique ou violente mais continue, cette immigration des nomades en Syrie, correspond unemigration non moins continue des populations du Liban vers

    la mer.

    La montagne, comme la steppe dsertique, atteint rapide-

    1. Winckler, ibidem, p. 223.2. Noeldeke, ZDMG, 1886, p. 167 et s.3. Jensen, Hitliler, p. 150 el suiv.

  • 18 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'iSLAM

    ment la limite de population qu'elle peut nourrir. Aussi, voit-

    on le montagnard descendre rgulirement dans la plaineaux poques favorables, puis regagner ses hautes valles.

    Il arrive que cette migration se change en migration. Onle constate chez nous dans le pays basque ou dans la valle

    de Barcelonnette. Le mme mouvement svit avec intensitdans le Liban d'o, de proche en proche, il s'tend tout lebassin oriental de la Mditerrane. Les Libanais sont attirs

    par l'Amrique, par l'Afrique, mme par l'Australie. Ils ontfond au loin, depuis une quinzaine d'annes, de vritablescolonies conservant leurs coutumes, leur langue dans

    laquelle ils impriment des journaux, leur culte et leurclerg. Cette migration, dtermine, tout d'abord, par les

    difficults d'existence dans le Liban, a pris par la suite une

    telle ampleur que certains districts sont littralementdpeupls.

    Il ne faut donc pas arguer de l'exigut de la Phnicie pourconclure l'impossibilit pour les villes phniciennes d'avoirfond des colonies aussi nombreuses, aussi populeuses etaussi puissantes que celles du nord de l'Afrique. Entranpar la conception errone d'une Phnicie compose d'unruban de villes sans appui solide dans le pays*, entran aussi

    par l'exemple de la conqute musulmane, M. Wincklerattribue les tablissements phniciens d'Afrique non une

    colonisation, mais un grand mouvement d'invasion par voie

    de terre, ce mme mouvement qui, parti d'Arabie, auraitamen les Phniciens en Syrie^M. Winckler considre l'Arabie comme Thabitat primitif

    1. Contre celte conception, voir Revue Archologique, 1897, I, p. 336-338.2. M. Winckler a expos plusieurs fois cette opinion, en particulier dans

    la nouvelle dition qu'il a donnt^e de Schrader. /)(t' Kcilinschriften und dosaltc Testament. M. von Landau, Die Fhnizier (Der alte Orient), s'est rang cet avis.

  • LK DSERT DK SYRIE 19

    des Smites. Par flots successifs. Babyloniens, Cananens,Aramens seraient sortis d'Arabie la faon de l'invasionmusulmane du vu" sicle. Il n'est pas jusqu' la tradition duParadis terrestre qui ne revle une forme inattendue. Dans

    DAMAS

    Djebel Ses,

    EL-LEDJA

    "j / Groupe,^

    es-Saf ^ Volcanique'

    2,

    Qel'at Czraq

    Fig. 2. Saf, Harra et Djebel-Hauru.

    un ouvrage clbre, Wo lag das Paradies'! M. FriedrichDelitzsch ne concevait pas qu'un doute pt s'lever sur la

    mention du Tigre et de l'Euphratc dans Gense^ ii, 14.M. Hommel n'admet pas une solution aussi simple. Il sup-

  • 20 LBS AHABKS K.\ SYRIK AVANT L ISLAM

    pose que la tradition du jardin d'den remonte des tempsprhistoriques, une poque o les wd du dsert de Syrie,aujourd'hui desschs, roulaient une eau abondante et favo-risaient une vgtation luxuriante. Ainsi le Hkldeqel, ce nom

    de fleuve si parfaitement conserv depuis les textes assyriens(Diqlat, Idiqlal) jusqu' l'arabe moderne (Didjlat) ne dsigne-rail pas le Tigre, mais le Wd Rdjil, mchant cours d'eauqui sort du Djebel Ilaurn (fig. 2) ou encore la dpressiondu Djf dans le nord de l'Arabie *.

    Cette identification ne mconnat pas seulement les don-nes les mieux tablies, elle ne tient aucun compte desconditions gographiques de la rgion. Nous verrons que leWd Rdjil, peine sorti du Djebel Haurn, entre dans unergion couverte de lave et de blocs de basalte dont la dsa-

    grgation n'est pas encore assez avance pour offrir desterrains de culture. Certes, les volcans de cette rgion sont

    d'poque relativement rcente, mais bien antrieure l'apparition prsume de l'homme. Quant au Djf, toutes leseaux y sont saumtres et les indignes y exploitent descouches de sel gemme. Mme en admettant un changementde climat, ces rgions ne sauraient se prter une richevgtation.

    Les impossibilits auxquelles aboutissent ces thories en

    signalent assez la faiblesse. D'ailleurs, les solutions pour la

    prhistoire ne sont pas du domaine de la philologie et nousn'avons envisager ici que les faits historiques. En dehorsdes apports de populations venues du nord ou accidentelle-ment de l'ouest comme les Philistins, nous avons constat quela Syrie tait soumise une double fluctuation qu'on peutdfinir ainsi : d'un ct, migration par mer des gens de la

    i. Hommel, Grundriss der Gographie und Geschichte des alten Orients,p. 272.

  • LE DSERT DE SYRfE 21

    montagne et de la cte ; de l'autre, immigration des nomades

    de race arabe. C'est l'action de celte dernire que nous nous

    proposons de prciser par un exemple.

    L'tude del population safatique d'aprs ses inscriptions

    nous permettra de saisir sur le vif le mouvement de pntra-

    tion des tribus arabes. Normalement, le nomade qui s'in-

    stalle en pays sdentaire perd sa langue et ses coutumes. A

    ce degr, nous apparaissent les Nabatens et les Palmyr-

    niens, en pleine possession des dialectes aramens. Chez les

    Safates, l'volution n'est que commence au moment o ilsgravent leurs textes sur les rochers du dsert. Ils possdent

    encore leur langue. Dj, cependant, ils adoptent des divi-Dts de la rgion sdentaire, Be'el-Samin et Dusars*, et,

    en dterminant grce aux textes leur champ de prgrina-tion, nous verrons la faible amplitude de leurs migrations

    qu'ils mritent le titre de semi-nomades. Ils conservent leur

    langue, mais ils ne tarderont pas l'abandonner et, partir

    du iv' sicle de notre re, nous pourrons suivre leur trace

    dans les noms propres fournis parles textes grecs du DjebelHaurn.En dehors de l'intrt qu'une connaissance approfondie

    des conditions d'existence des Safates et de leur volution,

    prsente pour la gographie humaine, en dehors des inf-

    rences qu'elle autorise et qui clairent quelques points

    obscurs de l'histoire et de l'ethnographie syriennes, les texies

    safatiques rvlent une diffusion insouponne des dialectesarabes antislamiques qui permet de mieux comprendre la

    propagation rapide de l'enseignement religieux de Moham-med^ le prophte d'Allah.Au point de vue des cultes arabes antislamiques, si peu

    connus encore, mais si importants pour l'tude des reprsen-

    1. Cf. ci-aprs cliap. VII.

  • 22 LES ARABES EN SYRIE AVANT L ISLAM

    talions primitives, les textes safatiques nous livreront le

    panthon de ces nomades. En le comparant, par exemple,aux divinits de Palmyre, le panthon safatique nous appa-ratra un stade plus ancien, moins pntr d'influence

    syrienne, c'esl--dire, cette poque, d'influence grco-

    aramenne. INous comprendrons, d'autre part, commentcertaines divinits arabes ont pntr dans les cultes syriens

    Fig. 3. Notre campeuieiit dans la Harra.

    et, de l, se sont rpandues, par l'intermdiaire des soldats

    et des marchands, sur tout le monde romain.Les textes safatiques nous fournissent en abondance des

    noms propres, car l'Arabe est particulirement attach sa

    gnalogie. C'est elle qui le dcide prendre parti dans telle

    ou telle querelle et qui domine tous les actes de sa vie. Cestextes tmoignent, contrairement l'opinion admise, que

    les noms de tribus peuvent tre des noms d'anctres.

    Chez les Safates, les noms propres sont excessivement

    varis et, comme le sens se laisse presque toujours recon-

  • LE DSERT DE SYRIE 23

    natre, ces noms propres nous renseignent sur le vocabu-

    laire. Quelques-uns sont constitus par des formes verbales.Si les graffites safatiques relatent rarement un vnement

    important, ils sortent par contre de la scheresse habituelle

    des inscriptions monumentales. En tout point comparablesaux dessins qui souvent les accompagnent et les illustrent, ilsnous otfrent un commentaire familier de la vie au dsert.Dans les uns comme dans les autres, les Safales se sont

    reprsents sous une forme schmatique, mais pleine demouvement. L, ce sont des cavaliers arms de la longuelance, tels les Bdouins de nos jours, et figurs tantt aurepos la bte rassemble sous eux, tantt la poursuite d'unegazelle ou d'une antilope. Ici, c'est la chasse au lion qu'atta-

    quent simultanment des hommes cheval portant la lanceet des hommes pied munis d'arcs et de boucliers.

  • CHAPITRE II

    LE LIMES SYRIEN ET L'ART ARABE ANTISLAMIQUE

    Les formations volcaniques en Syrie, Rgion du Saf ou Harra duWd Rdjil. Fortins romains du limes syrien : Djebel Sais, Qasr el-Abyad, en-Nemra, Dair el-Kahf, Qal'at Ezraq. Le tombeau du roide tous les Arabes : Iniroulqais fils de 'Amr. Le palais de Mechatta :un art arabe antislamique.

    Le relief actuel de la Syrie est le produit d'une srie d'ef-

    fondrements complts par l'rosion millnaire des agentsatmosphriques. Vers la fin de la priode pliocne ou aucommencement de l'poque diluvienne, le grand plateaucalcaire qui s'levait l'est de la Mditerrane subit une dis-

    location formidable, rsultat de la dformation continue deFcorce terrestre. La rgion l'ouest de la ligne de rupturemarque par le Wd el-'Araba, la mer Morte et le Jourdain,s'est affaisse. Des deux cts de cette faille les mmesassises apparaissent, mais un niveau plus bas dans la rgionouest.

    La valle qui spare le Liban de l'Anliliban, la Bqa', est

    le produit d'un effrondrement contemporain du prcdent,

    quoique cette valle ne continue pas proprement parler la

    ligne de rupture mer Morte-Jourdain. Celle-ci, en atteignant

    le pied de l'Hermon, oblique vers l'est dcrivant une large

    courbe qui passe dans la plaine de Damas. Cette dernire est

    donc constitue par une dpression en relation avec celle du

    Jourdain.

  • LE LIMES SYRIKN ET L ART ARABE ANTEISLAMIQUE 25

    Or, les volcans jalonnent les lignes de dislocation qui limi-tent de brusques dpressions. Nous devons nous attendre rencontrer, paralllement la ligne de rupture mer Rouge 'Aqaba mer Morte Jourdain plaine de Damas ,une srie de manifestations ruptives. Et, en effet, une suite

    d'anciens volcans et de cnes d'intumescence s'tend tra-

    vers l'Arabie et la TransJordanie jusqu'au bord de l'oasis de

    [ig. 4. Moutons cheminaut dans la Uarra.

    Damas. Chaque groupe volcanique est entour de ses djec-tions, coules de lave, blocs et pierres basaltiques, ce que

    les Arabes appellent une //arra. La//rrrt, dit Yqot', est une rgion remplie de pierres brises et noires comme si

    elles avaient t passes au feu . Il signale que le pays desArabes contient une grande quantit de /larra^ surtout entreMdine et Damas. On pourra juger par les figures 3 et 4 dela constitution du sol de la Ilarra.

    1. Mou'djam, II, p. 247.

  • 26 LES ARABES EN SYRIE AVANT l' ISLAM

    La teinte noire des roches caractrise ces rgions volca-

    niques, mais ce n'est point un eftet du feu. Dans les dserts

    prcipitations atmosphriques rares, la rose trs abon-dante dissout l'acide carbonique ei l'azotate d'ammoniaquede l'air. D'autre part, les sels de fer et de manganse desroches volcaniques, lentement suroxyds sous l'action des

    hautes tempratures, se concentrent dans la rose. Quandcelle-ci s'vapore, elle dpose les sels de fer et de man-

    ganse la surface des roches, en une fine pellicule

    colore'. La teinte de la roche passe ainsi, par oxydation,

    du gris de fer au ton rouge, teinte ordinaire des terres d'ori-

    gine volcanique. Au dsert, la suroxydation atteint le ton

    noir.

    Le nomade seul peut affronter la barra. Pour l'habitantdes villes, il n'est pas de pire contre. Jrmie qui avait

    entendu parler de ces rgions dsoles, menace d'y relguer

    celui qui se dtournera de Dieu : 11 sera comme le gen-

    vrier dans la Arabah, il ne verra pas ce qui adviendra de

    bon et il habitera les harra dans le dsert, terre sale et

    inhabitable ^

    Au sud-est de Damas, le Diretet-Toulol, le Saf et le Dje-bel Haurn constituent trois groupes volcaniques d'aspecttrs diffrent. Les roches volcaniques du Djebel Ilaurn

    plusieurs sommets atteignent 1.800 mtres d'altitude, se

    sont dsagrges au point de fournir une riche terre vgtale

    rouge qui recouvre le versant occidental de la montagne et

    toute la plaine de la Nouqra. C'est dans la Nouqra que l'on

    cultive les bls fameux du Ilaurn dont la qualit en bl dur

    est incomparable.

    Le Diret et-Toulol, l'est de Damas, manque d'eau,

    i. Blankenhorn, d'aprns Laloy, VAnthroi^oloqii^ 1905, p. 669.2. Jrmie, xvii, 6.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMTQUE '27

    mais, la saison des pluies, il se couvre d'herbe et de fleurs.

    Le Saf n'offre qu'un enchevtrement de coules mons-

    trueuses de lave, fendues vers le sommet et dans le sens de

    la longueur, un chaos inextricable de masses basaltiques

    noires autour de cratres bants. Les voyageurs qui Tont

    travers en ont rapport une impression poignante. Le Saf

    n'est pas habitable; mais, l'enlour, s'tend une plaine cou-

    verte de pierres volcaniques, une liarra que le gographe

    Yqot dsigne comme la barra du Wd Rdjil. Elle consti-tue le domaine propre des Safales. On y trouve les inscrip-tions safatiques graves en grand nombre sur les blocs debasalte.

    Le terme de safatique a t propos par M. de Voguqui a publi le premier lot important de ces textes. Si nous

    ignorons le nom antique de la population, nous savons par

    un texte grec que la rgion s'appelait la Safathne'. Aujour-d'hui encore, les tribus qui vivent autour du Saf portent le

    nom de 'Arah e^-Saf^ les Arabes du Saf.

    La Harra du Wd Rdjil, quoique couverte de caillouxnoirs sur lesquels il faut camper (fig. 3), se couvre par place,

    l'poque des pluies, d'une herbe rare dont les moutons

    sont friands. Notre figure 4 montre un troupeau cheminant

    dans la Harra. Les moutons, par suite de l'abondance des

    pierres, ne peuvent avancer qu'en files espaces.

    Les points d'eau ne sont pas rares dans la Ilarra du WdRdjil et certains puits ne tarissent jamais. Elle renferme,en effet, trois cours d'eau principaux qui prennent leur

    source sur le versant oriental du Djebel Haurn, maisrestent sec tout l't : le Wd Rdjil, dont nous avonsparl plus haut, va se perdre vers le sud dans des marais

    saumtres prs de Qal'at Ezraq ; le Wd ech-Chm et le

    1. Voir plus loin cliap. VII.

  • 28 LES ARABES EN SVRIE AVANT L ISLAM

    Wd'el-Gharz se dirigenl tous deux vers l'est et se dversent

    dans un bas fond qui constitue, sur le bord mridional du

    Saf, l'oasis de la Rouhb.La Rouhb est une plaine basse d'environ 20 kilomtres

    de long sur 5 6 de large. En hiver, elle est convertie en un

    lac marcageux; mais, au printemps, elle offre un merveil-leux champ de culture. De nos jours, les 'A.rab es-Safsment du bl et de l'orge dans la terre encore molle en secontentant de tracer des sillons avec des branches pineuses.

    Il n'y a pas dans toute la Syrie de meilleure terre bl. La

    Fig. 5. Plan de Dair el-Kahf.

    rcolte est mise en silos sous la protection efficace de Chaiivh

    Seriqyle genius loci, hritier de Zeus Safathnos. Les parties

    de la Rouhb qu'on n'ensemence pas se couvrent d'une herbetouffue qui fournit une nourriture abondante aux troupeaux

    des nomades.

    A l'poque romaine un poste fortifi d'une certaine impor-tance fut lev dans la Rouhb. Les Arabes en appellent lesruines Qasr el-Abyad, la forteresse blanche, parce que sesmurs gristres se dtachent nettement sur le fond basaltique

    sombre qui Tentoure.

  • LE LIMKS SYRIEN ET L'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 29

    Les ruines de fortins romains qu'on rencontre dans la

    Harra du Wd Rdjil mritent de nous arrter, car ellesjalonnent le limes syrien et elles permettent de reconstituerla physionomie de ces rgions sous la domination romaine.Nous tudierons d'abord les fortins levs dans le domainesafalique, puis nous pousserons plus au sud jusqu' l'est dela mer Morte et nous essaierons de dfinir les actions diverses

    auxquelles l'architecture et la dcoration ont t soumises

    sur la frontire de Syrie.

    Les principaux fortins ' levs l'poque romaine dans lechamp de prgrination des Safates sont, du nord au sud :1eposte du Djebel Seis, Qasr el-Abyad, en-Nemra, Dair el-Kahf et Qal'at Ezraq (fig. 2 et 10).

    Les ruines, au pied du cne volcanique qui a nom DjebelSeis, sont assez importantes. Le fortin couvre un carr

    d'environ 35 mtres de ct; il est muni de tours rondes. Lemur en maonnerie, pais de 2 mtres environ, est protgpar un petit foss.

    Qasr el-Abyad est galement construit sur plan carr avectours aux angles et au milieu des courtines. Le mur d'enceinte

    est compos de deux parements appareills entre lesquels ona bourr des pierres et du mortier. Une haute tour engagedans le mur d'enceinte, mais ne faisant pas saillie au dehors,dominait l'ensemble. Nous reviendrons sur la curieuse dco-ration de ce monument.

    En-Nemra couronne une butte au milieu du Wd

    1. Pour plus de dtails sur ces constructions, on consultera M. de Vogu,Syrie centrale. Architecture civile et religieuse du i"' au \n* sicle; M. vonOppenheim, Vom Mitlelmeer zum persischen Golf, t. I; R. Dussaud et Fr. Ma-cler, Voyage archologique au Safd et dans le Djebel ed-Druz et Missioji dansles rgions dsertiques de la Syrie Moyenne,

  • 30 LES ARABES KN SYRIE AVANT L ISLAM

    ech-Chm. Sur le linteau de la porte d'entre on lit le dbut

    d'une inscription : 'EtzI a(To)y.(p'ropo;) M. Ap. 'Avtwve-voj... qui

    prouve que la forteresse fut construite soit sous Marc-Aurle

    (161-180), soit sous Caracalla (198-217) ou Elagabal (218-

    222). A l'intrieur du fortin, des graffites grecs sont gravs

    ct de graffites safatiques. Les uns et les autres fournissent

    Fig. 6. Fragment du grand linteau de Qasr el-Abyad. D'aprs unephotographie de l'auteur.

    des noms propres safatiques et doivent tre peu prs de la

    mme poque. Tout prs d'en-Nemra gisent les ruines dutombeau d'Imroulqais ibn 'Amr, roi de tous les Arabes,

    mort le 7 dcembre 328 de notre re comme l'atteste le

    texte qu'on trouvera ci-aprs.

    Le plan de Dair el-Kahf (fig. 5), au sud-est du Djebel Ilau-rn, bien que muni de tours carres, esttout semblable celui

    du Djebel Seis et de Qasr el-Abyad : une seule entre, bti-ments intrieurs le long des murs d'enceinte, tours sail-

    lantes aux angles et au milieu des faces. Le linteau do la porte

  • Le LMES SVfilEN ET L ART ARABE ANTISLAMlQUE 31

    d'entre est grav, aux noms des empereurs Constance

    Chlore et Galre, et des deux csars Svre et Maximin, d'uneddicace date de mars-aot 306 de notre re.

    Avant d'tre modifi par les Arabes musulmans, Qarat

    Kig. 7. Fragment de pied-droit de lentrfie de Qasr el-Abyad remploy dansla construction. D'aprs une photographie de l'auteur.

    Ezraq offrait un plan analogue. Un autel avec ddicace auxempereurs Diocltien et 3Iaximien, atteste que cette forte-

    resse existait ds la fin du iii^ sicle.Si tous ces fortins sont, en plan, du mme type, Qasr el-

    Abyaf] se distingue par son ornementation. La porte d'entreest encadre du dcor si rpandu en Syrie, notammentdans le Haurn : pampres qui sortent d'un vase. La partie

  • Si LES ARABES EN SYRIE AVANT L ISLAM

    suprieure du linteau (fig, 6) est dcore d'une frise de feuillesd'acanthe; la partie infrieure est occupe par une srie decercles nous les uns aux autres dans lesquels sont figursde nonabreux animaux : oiseaux divers, chevaux, antilopes,lion, buf bosse, peut-tre l'lphant et jusqu' des pois-sons'. Entre la frise de feuilles d'acanthe et les cercles nous,court un rinceau de pampres dont le motif se rple sur lespieds-droifs dont nous donnons un fragment (fig. 7) rem-ploy plus tard dans l'intrieur de la forteresse.

    Fig. 8. Fragment de Qasr el-Abyad. D'aprs une photographie de l'auteur.

    Un autre linteau est dcor d'une riche combinaisonde cercles lis de mme style, mais sans animaux. Le milieude ces cercles est occup par un ornement trilob*. Signa-lons encore un fragment dcor d'arcosolia accosts de colon-nettes torses (fig. 8). Dans chaque arcade ainsi dessine sedresse un animal ou un motif floral.

    L'tranget de cette dcoration a t signale depuis long-

    temps ; l'influence perse n'est pas douteuse. En particulier,

    le dernier fragment dcrit est tout fait comparable,

    1. Pour l'ensemble, voir Vogii, /. c, pi. 24.

    2. Ibidem, pi, 24; R. Dussaud et Fr. Macler, Voyage archol. au Safd,p. 42, fig. 5; M. von Oppenheim, Vom Mitlelmeer z. pers. Golf, 1, p. 236.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTIISLAMIQUE 33

    quoique plus ancien, la dcoration du monument de

    'Ammn-Philadelphie dont M. Dieulafoy a dmontr lestendances sassanides*. On a cru expliquer les particularits

    de Qasr el-Abyad en supposant que la construction en taitdue aux princes Ghassanides chargs par les Romains decommander aux nomades frquentant la Syrie et de tenir tteau royaume arabe de Hra. Nous nous sommes dj levcontre cette hypothse^ mais puisqu'elle jouit toujours de lamme faveur, il ne sera peut-tre pas inutile d'insister.La longue lutte soutenue par les Romains contre les

    Parthes, puis contre les Perses, devait avoir sa rpercussion

    dans le dsert de Syrie. Les historiens arabes ont conserv

    le souvenir des luttes antrieures l'Islam entre les Ghassa-

    nides, sujets des Romains, et les Lakhmides de Hra la soldedes Perses.

    Un simple campement [hrt) prs de l'Euphrate succda

    la forteresse de Hatra, leve par les Arabes qui recon-

    naissaient la suzerainet perse. Bientt, ce campement

    devint une ville importante : al-Hra (voir fig. 1). Nous pos-

    sdons la liste des rois de Hra dont la plupart appartenaient

    la famille des Lakhmides. On trouvera plus loin les dates

    des rgnes les plus anciens.

    L'histoire de leurs rivaux syriens, les Ghassanides, est

    obscure ses dbuts. Les recherches de M. Noeldeke ont

    montr que le premier prince certain de cette dynastie avaitnom al-IIrith ibn Gabala, 'Ap6a; -yj FaSXa . 11 remporta une

    victoire contre Alamoundaros (al-Moundhir) de Hra en avril

    528 de notre re. Gabala, le pre de ce prince, parat tre

    1. Dieulafoy, Vart antique de la Perse, t. V, p. 102, Il est tout fait

    invraisemblable d'attribuer ce monument l'poque de Saladin comme le

    propose M. Strzygowski ; cf. Van Bercliem, Journal des Savants, 1905, p. 476.

    2. Mission dans les rgions dsert, de la Syrie moyenne, p. 77-78.

    3

  • 34 LES ARABES EN SYRIE AVANT L ISLAM

    cit par Thophane l'occasion d'une incursion en Palestinevers l'an 500.

    Au del, les sources arabes fournissent des noms de

    chefs Ghassanides dans le seul but, semble-t-il, de faire pen-

    dant la liste des Lakhmides, car il parat tabli que

    ce fut l'empereur Anaslase (491-518) qui confra pour lapremire fois le titre de roi [malik ou rex) un Ghassa-nides Il ne peut donc tre question d'attribuer aux princes

    de cette famille la construction de Qasr el-Abyad^ de plus dedeux sicles antrieure.

    11 est trs significatif que l'inscription arabe d'en-Nemracrite en caractres nabatens sur le tombeau d'Imroulqaisibn 'Amr (fig. 9), roi de tous les Arabes , en 328 de notre

    re, ne mentionne pas un prince Ghassanide. Par contre,nous trouvons, vers cette poque, un roi de ce nom dans ladynastie des Lakhmides de Ilra.

    Ds le dbut, M. Glermont-Ganneau, qui l'on doit d'avoirreconnu la nature de ce texte, fut tent d'attribuer cette pi-

    taphe un roi de Hra^ Le savant professeur du Collge de

    France a rcemment prsent des arguments qui nousparaissent dcisifs. Mais, pour l'intelligence de la discussion,

    il est indispensable de prsenter le texte entr au Muse duLouvre, tel qu'un nouvel examen nous porte le lire.

    NUI HD lanTD mm on^iSai itji int,\s-bN "Sci 2.n'ji S'Ji M'j)2 "|bm "icu; n:na ]ia: '*z- iz cO i^tz 3.

    nvbiD -Sa ;S2i abs miSi ^isb nhz^^ r,yu?-b>5 4.mSi fi] nyubi biSmsn 7 dii 3 + 20 + 200 n:uj -jbn ^'zv 5.

    1. Th. Noeldekp, Die Ghassnischen Frsten, p. 9 et suiv.2. M. Ve'i&er, Orienialischc Lilteratur-Zcitung, 1903, p. 277-281, a galement

    reconnu un roi de l.Ira, mais il a pens que les historiens arabes avaientembrouill les gnalogies et attribu indment la dynastie des Lakhmidesun roi (ihassanide.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 35

    1. Ceci est le tombeau d'Imroulqais fils de 'Amr, roi de tous lesArabes, celui qui ceignit le diadme,

    2. qui soumit (les deux tribus d'jAsad, (celle de) Nizr et leursrois, qui dispersa Madhhidj jusqu' ce jour, qui apporta

    3. le succs (?) au sige de Nedjrn, la ville de Ghammar, quisoumit (la tribu de) Ma'add^ qui prposa ses fils

    4. aux tribus et les dlgua auprs des Perses et des Romains.Aucun roi n'a atteint sa gloire

    5. jusqu' ce jour. Il est mort l'an 223, le septime jour de kes-lol. Que le bonheur soit sur sa postrit!

    La date, compte d'aprs Tre de la province romained'Arabie, correspond au 7 dcembre 328 de notre re. Laprincipale modification dans cette lecture porte sur la men-tion des Perses'.

    Imroulqais ibn 'Amr ajoute son titre de roi de tous lesArabes , la qualification de celui qui a ceint le diadme ,le tdj. L'apparition du mot tdj diadme , si nette-ment frapp au coin iranien, remarque M. Glermont-Gan-

    neau, est des plus significatives; elle implique une concep-

    tion de la souverainet arabe se fondant sur une investiture

    d'origine perse ^ .

    Dans sa monographie sur la dynastie des Lakhmides,M. Rothstein a montr que l'expression d/io al-tdj pos-sesseur du tdj , est presque consacre pour les rois deHra. Elle n'est applique que trs rarement aux Ghassa-nides et, de fait, au tmoignage de Jean d'Ephse, ces der-niers ne reurent le tdj qu'en 580^ Si le mot tdj est per-san, la chose l'est aussi. Les Arabes, dit M. Rothstein, ont

    1. On trouvera les diverses lectures rsumes et discutes dans Rpertoired'pigraphic smitique, n" 483. A la ligne 2, au lieu de l'nigmalique MHDj,l'estampage nous parat montrer un dalet en ligature avec le het. ce quipermet d'adopter la lecture Midhhadj laquelle a pens M- Peiser.

    2. Clermont-lianneau, Recueil d\irchotogie orient. , VI, p. 307.3. Clermont-Ganneau, Le ldj-ddr Imrou'l-Qais et la royaut gnrale des

    Arabes dans Recueil d'arch. or., VU, p. 167-170.

  • 36 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    seulement appris connatre le tdj chez les Perses, peut-

    tre mme par l'intermdiaire des Lakhmides* .On doit conclure qu'un roi des Arabes, signale en 328 de

    notre re comme ayant port le tdj^ ne peut l'avoir reu

    que des Perses. Donc, Imroulqais ibn Amr tenait son inves-titure du roi des Perses et on doit l'identifier avec le roi de

    Ilra de ce nom.

    Par suite, la mention des Perses dans notre texte devient

    toute naturelle. Mais il en rsulte aussi que l'tat politique

    du dsert de Syrie, au jv sicle, doit tre envisag sous un

    jour nouveau.Tout d'abord, la chronologie des rois de Hra, que l'on

    dsesprait d'tabhr pour l'poque la plus recule, y gagne

    un point fixe important. La tradition rapporte par Tabar

    attribuant 118 ans de rgne 'Amr, le premier roi de la

    dynastie, et 114 Imroulqais, son fils', est videmment rejeter. Mais, aprs ce dernier, les renseignements paraissent

    dignes de foi dans l'ensemble. En effet, Tabar compte

    90 ans de rgne pour les quatre successeurs d'Imroulqais fils

    de 'Amr et cela comble exactement la lacune entre 328

    date de la mort d'Imroulqais, d'aprs l'pitaphe du Louvre, et 418 date certaine, deux ou trois ans prs, de la mortd'An-No'mn I, quatrime successeur d'Imroulqais fils de*Amr*.

    Imroulqais tait roi de tous les Arabes. Par l, il nous faut

    1. Uolhslein, Die Dynastie der Lahmiden in al-Hira, p. 129.2. Rollistein. l. c. p. 52 et suiv.3. On fixera donc ainsi qu'il suit la chronologie des premiers rois de Hira ;

    1. 'Amr (1) b. 'Ad ?2. Imroulqais (I) b. 'Auir ?-3283. 'Amr (H) b. Imroulqais 328-3584. Aus b, Qallm 358-3635. Imroulqais (II) 363-3886. Au-No'mu (1) b. Imroulqais 388-418

    La suite comme dans Uothslein, /. c, p. 69 et suiv.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 37

    comprendre qu'il tendait son pouvoir sur les Arabes de

    Ilra aussi bien que sur les tribus postes vers les confins de

    la Syrie. Les tribus qu'il soumit : Asad, iNi/.r, Midhliadj,Ma'add, taient les plus puissantes du dsert de Syrie et du

    nord de l'Arabie. Ce chef heureux parat avoir port ses

    armes jusque dans l'Arabie mridionale contre Ghammar

    kl

    i

    Fig. 9. Tombeau ruin du roi de tous les Arabes, Imroulqais ibu 'Anir,prs En-Nemra.

    Your'ich qui possdait Nedjrn. On conoit que Rome aitngoci avec un voisin si fort. Le tombeau qu'on lui leva

    En-Nemra en territoire romain, l'pitaphe rdige en carac-tres nabatens bien que la langue soit arabe et date de l're

    de la province romaine d'Arabie, suffiraient si le texte ne

    l'assurait formellement, attester que les Romains recon-

    naissaient le pouvoir d'Imroulqais.

  • 38 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'TSLAM

    La position du roi de tous les Arabes, tenant son investi-

    ture des rois de Perse, mais galement l'alli de Rome, tonne

    notre conception simpliste des rapports entre peuples; elle

    rpond mieux la politique ondoyante des Orientaux et la

    situation particulire des nomades du dsert de Syrie. Les

    Arabes de IJatra, place fortifie dans le dsert de Msopota-

    mie, avaient prcdemment tenu le mme rle. Placs entreles Romains et les Parthes puis les Perses, ils surent main-

    tenir leur indpendance contre les uns et contre les autres.

    Il est mme prsumer que la fondation de Ilra fut la con-squence de l'abandon de Hatra que sa position septentrio-

    nale rendait difficile dfendre pour les Arabes.

    S'il est acquis qu'avant l'intronisation des Ghassanides, le

    gouvernement imprial s'tait entendu avec les rois de Ilra

    pour assurer la police des frontires syriennes, nous n'avons

    aucune difficult comprendre l'influence perse que trahit

    la dcoration de Qasr el-Abyad. Ce n'est, d'aifleurs, pas leseul point o perce cette influence.

    Au sud de la ligne de fortins allant du Djebel Seis Qal'atEzraq, mais plus l'ouest, on trouve une autre ligne de

    postes fortifis (fig. 10). Nous savons par la Notifia Dignita-

    tum qu'au commencement du v*" sicle, la province d'Arabie

    possdait deux lgions. L'une, la troisime Cijrndique avaitpour sige Bostra, la capitale de la province. Du commande-ment mifitaire de Bostra devaient dpendre les fortins deQasr el-Abyad, en-Nemra, Dair el-Kahf et Qal'at Ezraq.L'autre lgion, la quatrime Martia, tait campe Ledj-djoun dans la TransJordanie. Devaient en dpendre, lesfortins qui, de 'Amman jusque dans l'Arabie Ptre, prot-geaient les territoires sdentaires.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 39

    A part Ledjdjoun, qui a tout particulirement subi l'in-fluence des castra romains et dont les dimensions sont excep-tionnelles, les castella de cette rgion sont du type que nous

    ' Anderi

    n

    Hama.Qsl'atibnWardn

    Palmyre

    Djebel Se/s

    en-Nemra

    Salkhad .Dair-elKahf

    alst Zerqa.^^/.^^ ^^^^^

    O

    Mka\ jHfP^^ -QuasrBicher

    Ledjdjoun'Kerak

    Echelle

    Ptro-.Chohek

    'Ma'

    6

    Fig. 10. Principaux fortius du limes syrien.

    avons dcrit plus haut. L'un d'eux, cependant, se dislingue

    nettement, moins par le plan que par des particularits deconstruction et surtout de dcoration. Nous voulons parler

  • 40 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'ISLAM

    du monument de Mechatta que Tristram a, le premier, fait

    connatre dans son ouvrage The Land of Moab et queFergusson, dans le chapitre o il en tudiait les caractres,

    attribuait aux Perses^Sassanides.

    Plus tard, on a song aux Ghassanides. Cette hypothse

    est aujourd'hui le plus en faveur; elle a ralli notammentMM. Max van Berchem, Slrzygowski et Briinnow.

    Dans le cinquime volume de son Art antique de la Perse,

    M. Dieulafoy est revenu l'hypothse de Fergusson. Le

    palais de Mechatta aurait t construit par Chosros II alors

    que les Perses occupaient la Syrie de 611 623.

    Rcemment, la Prusse a obtenu du gouvernement otto-man la rare faveur d'enlever, pierre pierre , une partie de la

    faade du palais de Mechatta pour la rdifer Berlin dans

    le nouveau Raiser-Friedrich-Museum, o elle fait l'admi-ration des visiteurs depuis le mois d'octobre 1904. En mmetemps, la direction des Muses prussiens publiait une impor-tante monographie comprenant un rapport de M. BrunoSchulz, l'architecte charg du transfert, et une tude pn-

    trante de M. Josef Strzygowski, le savant professeur de l'Uni-

    versit de Graz '.

    Peu aprs, M. Brunnow dans le second volume de sa Pro-

    vincia A rabia prsentait les rsultats d'une tude de Mechatta,

    poursuivie sur place avant le transfert Berlin.

    M. Schulz a abouti une restauration du plan d'o il

    conclut que Mechatta tait une forteresse destine abri-

    ter un corps de troupe divis en dix portions. L'difice tant

    rest inachev, quelques doutes subsistent pour la restitution

    trop compacte des parties latrales. D'autre part, comme le

    i. Bruno Schulz et Josef Strzygowski, Mfchafta, dans Jahrbuch der k. pr.

    Kunslsammlungen, 1904, p, 205-373.

  • LK LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMTQUE 41

    remarque M. Briinnow, la faade restaure est beaucoup

    trop leve.

    M. Strzygowski s'carte de son collaborateur pour revenir

    l'hypothse du palais et il l'appuie par des arguments pro-

    bants.

    En effet, si l'enceinte de Mechatta rpond au type des

    castella romains du limes syrien, l'intrieur, tout en offrant

    comme eux une cour centrale, prsente des particularits

    notables. Au fond de la cour se dresse une grande salle

    trois nefs termine par une pice en forme d'abside triconque

    couverte par une coupole. M. Strzygowski a montr quecette disposition triconque caractrise les palais. On trouve

    le triconque dans le palais que Diocttien fit construire

    Spalato en Dalmatie et qu'il habita aprs son abdication en

    305. Diocttien avait pass la majeure partie de sa vie enOrient. Il en aimait les murs fastueuses et servtes' .

    Le palais de Spalato fut lev par des architectes et mmedes ouvriers orientaux. Nul difice ne tmoigne mieux del'infiuence orientale, et particulirement syrienne, exerce

    par l'cole d'Antioche sur la formation de l'architecture

    byzantine qu'inaugure prcisment le palais de Spalato.Cette conception fort juste, et admise depuis les dcou-

    vertes de M. de Vogu en Syrie, a t pousse par M. Strzy-gowski jusqu' refuser toute infiuence occidentale, c'est--dire romaine, dans l'laboration de l'art byzantin. Celui-ci,comme a galement entrepris de le montrer M. Ajnalov,reposerait uniquement sur des fondements hellnistiques.Nous ne pouvons qu'indiquer la thse ; sa discussion n'est

    pas de notre comptence. Il nous faut, cependant, signalerque, dans sa remarquable tude pour YHistoire de l'Art',

    1. Ch. Diehl, En Mditerrane, p. 24.2. Publie chez Armand Colin, sous la direction de M. Andr Michel.

  • 42 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    M. Gabriel Millet s'est ralli celte thorie et en a confirm

    les lments.

    11 nous suffit de constater qu' l'poque impriale, la dis-

    position triconque est particulirement adopte pour lespalais (Milan, Trves, Cologne). Encore au ix^ sicle, on lve Byzance un triconque comme salle du trne. La faveurdont ce type architectural jouissait, le fit adopter pour cer-taines glises, comme l'glise de Bethlem dont l'rection

    ^ partie oncerne^. partie rcstZtuce

    Fig. H. Essai de restitution du Prtoire de Caaatha, avec sigma triconque.

    remonte l'poque de Constantin. On le trouve galementdans des couvents gyptiens.

    En Syrie, notamment dans le Haurn, le triconque n'estpas inconnu. Une inscription grecque chrtienne de Bostra,date de 488 de notre re, mentionne la construction d'unTpy.ov^ov aY[ji,a.

    Le Tp':y.ov-/ov ffTyiJ-a, dit Waddington dans son commentaire,est un difice ou portique demi-circulaire, ayant la forme

    1. Waddington, Inscript, gr. et lat. de Syrie, n 1913; cf. Clcrnionl-rian-ncau, Recueil d'arch. or., Il, p. 101 et Schuraaclier, Zcitschrift des dculschen

    Palastina-Vereins, 1897, p. Ii8-149.

  • LE LIMES SYRIEN ET L'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 43

    d'un C, et orn de trois y.z-^yv. ou niches pour placer des sta-tues. Les y.YX^' sont souvent mentionnes dans les inscrip-tions du Ilaourn, et il en existe encore plusieurs; ce sontdes niches prises dans l'paisseur des murs d'un difice et

    dont le haut imite la valve strie d'une coquille .

    Cette description du triconque devrait tre appuye d'unexemple graphique. M. Strzygowski, qui le texte de Bostra

    n'a pas chapp, pense que le sigma triconque tait sem-

    blable au triconque de Mechalta avec, de part et d'autre,

    un portique circulaire , tel le portique du Bernin devant Saint-

    Pierre de Rome. Mais cela et constitu, comme Byzance,

    un sigma et un triconque, non proprement parler un

    sigma triconque.

    On peut songer une solution plus simple. Nous l'emprun-terons aux ruines d'un difice de l'ancienne Ganatha dans

    le Djebel Haurn*, difice qui pourrait avoir primitivementservi de prelorium^ car il n'est pas sans analogie avec le

    pretorium de Mismiy. Sur le modle de ce dernier, nous enavons tent une restitution (fig. 11). Nous voyons ainsi que

    le sigma triconque tait une abside munie de trois niches.Prcisment, comme dans le palais de Mechalta, le triconques'lve au fond d'une vaste salle rectangulaire, peut-tre trois nefs.

    Il se peut que le triconque sous coupole ait t imaginen Syrie, mais il est douteux qu'on puisse le faire remonterjusqu'au palais de Salomon et nous ne saurions suivreM. Strzygowski lorsqu'il suppose que Mechatta, continuant

    cette antique tradition, dpend du palais de Jrusalem commeSpalato dpend d'Antioche.

    L'enceinte de Mechatta est construite en pierres; le plan

    en est rigoureusement celui des fortins romains de la rgion

    .

    1. Vogii, Si/ne centrale, Archit., pi. 19.2. Strzygowski, /. c, p. 231.

  • M LFS ARABES EN SYRIE AVANT L'iSLAMLa faade, de part et d'autre de l'entre, est orne d'unesuite de sculptures dont le style voque aussitt la compa-raison avec les fragments sculpts de Oasr el-Abyad. Dans

    l'un et l'autre monument, c'est la grande porte d'entre

    qu'on a voulu dcorer, mais on a dploy Mechatla unluxe inusit sur lequel nous insisterons dans un instant.

    A l'intrieur, les soubassements, les pilastres et chapi-teaux sont en pierre; les autres parties du mur et les votes

    sont construites en briques.

    En Syrie, de tous les matriaux de construction, la pierre

    est le plus employ. De cet usage, l'architecture syrienne tire

    ses caractres distinctifs. Ainsi, les maisons et les glises,

    antrieures l'invasion musulmane du vir sicle, taient con-struites en pierre dans la Syrie du nord. Le toit seul tait en

    bois. Dans le Haurn, tous les lments taient en pierre.Pour le toit, on disposait de longues dalles de basalte soi-

    gneusement jointes et poses sur des arcs en pierre ou sur

    des consoles insres dans les murs. Donc, l'usage de la

    brique Mechatla est inattendu et en opposition avec les

    mthodes de construction des territoires sdentaires voisins.Cet usage de la brique, nous le retrouvons plus au nord,

    mais galement dans le dsert de Syrie, Anderin (construc-tion date de mai 558) et Qasr Ibn-Wardn. M. de Vogiil'a signal au Djebel Seis. M. Strzygowski pense que les cons-tructeurs d'Anderin et de Qasr Ibn-Wardan ont tir leur maind'uvre d'Antioche, tandis que ceux de Mechatta se seraient

    adresss la Msopotamie du nord. Cette hypothse s'appuieuniquement sur les dimensions des briques qui diffrent d'unpoint l'autre. Mais, d'autre part, la construction des murs

    en pierre de Qasr Ibn-Wardn, de Qasr el-Abyad et de Me-chatta offre une particularit qui tmoigne de la communautdes traditions. En cesjtrois points, on relveldes murs cous-

  • LE LIMKS SYRIKN liT l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 45

    litiis par deux parements de pierres, quelques-unes allant

    d'une face h l'autre pour tablir un chanage. L'intervalle

    entre les deux parements est bourr de pierres et de mortier.

    On peut donc se demander si l'emploi de la brique sur lesconfins dsertiques de la Syrie ne signalerait pas une tradi-

    tion des populations du dsert, tradition emprunte naturel-lement la Msopotamie qui, de tout temps, a employ cemode de construction. A Qasr el-Abyad l'influence perseapporte par l'lment arabe n'apparaissait que dans la dco-

    ration; ici, elle s'affirmerait parle mme truchement jusquedans les mthodes de construction.

    Il est remarquer que le mot ad/'oiirroun qui dsigne, en

    arabe, la brique cuite, est trs rpandu chez les potes arabesantislamiques. Or, le mot est persan ou plus exactement

    msopotamien puisque c'est l'assyrien agurru^.Les accointances persanes des constructions en brique de

    Mechatla ont t admises ds le premier jour. Elles s'af-firment notamment dans l'arc bris des votes. Ce trait n'estni romain ni hellnistique, par contre il remonte en Orient une haute poque. Il a pntr d'assez bonne heure dansl'architecture byzantine, mais il a t particulirementadopt par l'art arabe. Et cela indique assez quels liens rat-tachent l'art arabe Fart persan.

    M. Strzygowski relve et le rapprochement est pr-cieux, que l'arc bris qui, ds le premier sicle de l'H-gire, a t difi en Egypte au Kilomtre de Rodah, est dutype de Mechatla. De mme, l'arc bris de la mosqued'Ahmad ibn Toulon du ix'' sicle de notre re, qu'unethorie peu fonde a voulu rapporter l'art copte, ngli-geant ainsi le tmoignage de Qoud' par qui nous savons

    1. Rhodokanaki, Wiener Zeitschrif filr Kunde d. Morgenlandes, 1905,p. 291 et s.

  • 46 LES ARABES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    que celte mosque fut leve rimitation de la mosque deSamarra en Msopotamie'.

    Un dernier dtail rappelle les habitudes msopotamiennes.

    Les briques des votes de Mechatta sont disposes par

    tranches verticales comme au canal de Khorsabad, Tak-i-

    Kisra, Clsiphon*. On sait que ce procd permet d'lever

    la vote sans cintrage.

    Les castella romains de Syrie prsentent, nous l'avons vu,

    une seule entre par laquelle on accde dans une cour cen-

    trale autour de laquelle sont rpartis les btiments adosss

    contre le mur d'enceinte. Cette disposition fut sans doute

    impose par des habitudes orientales. Ainsi le chteau de

    chasse appel Qasr-i-Ghirin du nom d'une des femmes de

    Rhosros II, fournil M. Strzygowski une comparaison

    instructive. 11 est certain que ce palais fortifi perptuait,

    la fin du vi" sicle, d'anciennes traditions. Toutefois, on ne

    trouve jamais en Perse ou en Msopotamie les deux l-ments caractristiques et si intimement unis de Mechatta : la

    salle trois nefs termine par le triconque. D'autre part,

    cette disposition est trs rpandue aux iV et v^ sicles dans

    tout l'empire romain. Peut-tre l'invention est-elle syrienne,

    mais c'est l un point qui reste en suspens.

    Si nous passons au dcor de la faade rcemment trans-porte Berlin, c'est encore la Perse qui fournira les prin-

    cipaux lments de comparaison.

    \. Slrzygowski, /. c, p. 246 et s. Plus tard, sous los Kalimides, l'architec-

    ture musulmane adoptera uu arc bi-isi- d'aspect tout durrent, mais laborgalcmeul eu Perse.

    2. Ibidem, p. 247.

    3. Strzygowski, l. c, p. 248.

  • LE LIMES SYRIEN ET L ART ARABE ANTEISLAMIQUE 47

    Dans une suite de triangles moulurs en saillie (fig. 12),

    on a sculpt dans la pierre, comme les Arabes sculptent le

    Fig. 12. Uu des panneaux sculpts de la faade du palais de Mechatta.

    bois, un dcor qu'on ne serait pas surpris de retrouver sur

    un tapis persan. Des pampres sortant d'un vase s'enroulent

  • 48 LES ARARES EN SYRIE AVANT l'iSLAM

    en rinceaux dans lesquels sont reprsents une grande varit

    d'animaux, les uns fabuleux.

    Tous les arts ont utilis le zigzag ; mais ce n'est qu'en

    Perse qu'il fait partie intgrante des faades. Ce point a t

    mis en vidence par M. Dieulafoy qui en dduisait l'originesassanide du palais de Mechatta*.

    M. Strzygowski s'efforce de saisir au loin la diffusion de

    ce motif dcoratif, mais il oublie vite que seul l'emploi duzigzag pour les faades dtermine le caractre perse et ilfait intervenir des ivoires, une plaque de bronze et des cha-

    piteaux qui ne sont pas comparables. Mme, il qualifie zigzagla dcoration en losange ou en rseau . A ce compte, on pour-

    rait rapprocher de Mechatta des monuments syriens ant-

    rieurs tous les documents nord-msopotamiens ou persanssur lesquels s'appuie le savant professeur. Tel est l'autel

    nabaten de h% un monument de Canatha' et le dcor enlosange combin des rosaces de Soada *.

    Dans les comparaisons minutieuses qu'il institue pour les

    rosaces en relief, les ornements des moulures, la dcoration

    en pampres, M. Strzygowski tmoigne d'autant d'ingnio-sit que de science. Si Ton rsiste parfois ses arguments,

    cela tient ce que l'tude sur Mechatta est domine par lathse de l'origine non seulement orientale, mais nord-mso-potamienne de l'art byzantin. Cela lient surtout au petitnombre de monuments qui, jusqu'ici, peuvent donner lieu des rapprochements.

    Peut-on, l'heure actuelle, rechercher l'origine du motifde la dcoration en pampres qui a reu sur la faade de

    1. Dieulafoy, VAH antique de la Perse, V, p. 93.2. Oppenlieini, Vom Mittelm. z. pers. Golf, I, p. 97.3. Yogii, 0. c, pi. 20.

    4. Ibidem, pi. 4.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 49

    Mechatta un si brillant dveloppement? On affirme que ledcor en pampres des sarcophages de Sidon est d'origineiranienne. Pour dmontrer, une poque ancienne, l'usagede ce dcor dans l'Iran, on s'appuie sur des documents pos-trieurs ces sarcophages, peut-tre mme d'assez bassepoque. Ce sont deux miroirs chinois dont on ignore la date,mais qu'on classe, au jug, environ un sicle avant notre re'.Cependant, on possde des miroirs tout analogues avec ins-

    criptions arabes

    ^

    M. Strzygowski attache une importance toute particulire

    l'absence totale de la pomme de pin dans les innombrablesrosaces des constructions chrtiennes de Syrie antrieures

    rislm. De ce fait, dont l'importance lui parat consid-

    rable, il conclut que Mechatta, o il signale de nombreuses

    pommes de pin dans les rosaces, dpend d'un autre foyerd'art que la Syrie^ On pourrait objecter que, dans le Haurn,la pomme de pin combine avec une rosace, a t relevepar M. de Vogii*. Mais il faut reconnatre que cet exemple

    unique ne sert qu' souligner la raret du motif. La vritable

    objection qu'on peut prsenter, c'est que M. Strzygowskisemble s'tre mpris sur la nature de l'lment qu'il qualifie

    pomme de pin et dont la prsence dans une vigne estinattendue. La mprise a t entrane par la ngligence du

    sculpteur autant que par sa tendance styliser. Il faut

    ajouter que l'usure de cette dentelle de pierre est souvent

    profonde.

    Nous verrons, dans un instant, que M. Clermont-Ganneau

    a reconnu, dans les panneaux de l'extrmit droite, une

    1. strzygowski, l. c, p. 328-329.2. Reinaud, Monuments arabes, II, p. 297, pi. IX; cf. Longprier, Miroir

    arabe figures, dans uvres, t. I, p. 394-397.

    3. Strzygowski, /. c, p. 295-296.

    4. Vogu, L c, pi. 13, 2.

    4

  • 50 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'iSLAM

    reprsentation de la vigne en Qeur. Un examen attentif nous

    a convaincu que la prtendue pomme de pin tait prcis-ment la fleur de vigne plus ou moins stylise. Le doute est

    lev lorsqu'on remarque que, de chaque ct de l'lment

    dcoratif en discussion, partent des sortes de volutes qui ne

    peuvent simuler que des vrilles.

    En somme, M. Strzygowski veut arracher compltementMechatta l'influence syrienne. Nous pensons avoir montrpar quelques exemples combien ses arguments sont peudcisifs. Ce curieux monument serait, d'aprs lui, le pro-duit non d'un art uniquement perse, encore moins syrien,mais de ce qu'il dfinit l'art nord-msopotamien. Sous cenom, il entend un art hellnistique fortement imprgn d'l-ments perses qui aurait pris naissance dans le grand centre

    artistique de Sleucie sur le Tigre. De l, cet art se serait

    rpandu et transform dans le nord de la Msopotamie Amida, Nisibe, Edesse. Malheureusement, l'art nord-msopotamien est encore une hypothse. Les monumentspeu nombreux qu'on peut lui attribuer ne sont gure carac-triss, moins d'admettre d'emble que Mechatta en estle produit le plus achev.

    Quand il aborde le problme historique, M. Strzygowskiaboutit l'opinion courante qui attribue aux Ghassanides laconstruction du palais de Mechatta. Comment les Ghassa-nides, venus d'Arabie, auraient-ils lev en Syrie un monu-

    ment d'art nord-msopotamien?En ralit, les attaches syriennes du palais de Mechatta

    sont plus troites qu'on ne le dit. Il est certain que le prince

    arabe, qui a lev cette construction, a imit de trs prs laforteresse voisine d'el-Qastal'. Quant aux lments exo-

    1. Cf. Briionow, Provincia Arabia, II, p. 311, note 1.

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 51

    tiques, la technique si particulire du dcor, aux votesbrises, construites en briques et par plans verticaux, on ne

    peut douter qu'il faille y voir une influence perse presque

    directe. La comparaison avec (jasr el-Abyad que M. Strzy-gowski nglige quelque peu, est mettre au premier plan.C'est bien le mme art qui atteint Mechatta son completdveloppement. On y reconnat le mme dcor surcharg,dbordant les moulures, la mme ornementation vgtaleencerclant des animaux traits la manire des ciseleurspersans' . Il est vraisemblable que la solution fournie plus

    haut pour Qasr el-Abyad est valable pour Mechatta.L'tat politique que nous rvle, pour le dbut du iv' sicle,

    l'inscription nabato-arabe d'en-Nemra tudie ci-dessus, apu se continuer, avec plus ou moins de rgularit, jusqu'l'intronisation des Ghassanides, c'est--dire jusqu'au vf sicleou la fin du v^

    Or, en la dpouillant des thses sujettes controverse,l'tude de M. Strzygowski tablit solidement: T) que le murd'enceinte de Mechatta peut remonter, comme matriaux et

    comme technique, jusqu'au temps de Diocttien et aux for-tins du IV sicle chelonns le long de la frontire; 2) l'ar-

    chitecture en brique de l'intrieur est en rapport troit avec

    les traditions de la Msopotamie ; 3") le systme de lagrande salle trois nefs et du triconque peuvent remonter

    au temps de Constantin. En rsum, Mechatta a t cons-truit au IV* ou, au plus tard, au v^ sicle .

    1. R. Dussaud et Fr. Macler, Voyage archol. au Saf, p. 44.2. Strzygowski, /. c, p. 364. Cf. S. R(einacli), La date de la faade de

    M'schatta, in Revue archol. , 1906, 1, p. 485. M. Brunnow, Provincia Ara-

    bia, II, p. 310, dit trs justement qu'on doit renoncer attribuer ce palaisaux (jiiassanides si on veut le faire remonter plus haut que le vi" sicle. Ildclare mme que c'est l le principal argument qui le conduit abaisser ladate propose par M. Strzygowski. Notre solution supprime cette difficult.

  • 52 LES ARABES EN SYRIE AVANT L ISLAM

    En dehors des questions de style et de technique, il y aun argument historique faire valoir contre la basse poque laquelle on attribuait le palais de Mechatla ; c'est soncaractre nettement paen.

    Dans la mme salle que la remarquable faade, le Kaiser-Friedrich-Museum expose un lion accroupi et trois fragments(tte, poitrine et bassin) d'une statue de femme nue. La tteet la poitrine ont t trouves dans la grand salle trois nefs,le bassin fminin et le lion dans le triconque. Toutefois, ilest vraisemblable que les trois fragments fminins apparte-naient la mme statue. La femme ainsi reprsente a tousles caractres de la ngresse, notamment les lvres lippues.Les deux bras taient abaisss et les mains tenaient, parchaque extrmit, une troite charpe qui passait par der-rire, vers le haut des cuisses. La main gauche, dont onn'aperoit pas de traces certaines, tait un peu plus leve

    que la droite et tenait, probablement, une tige indterminedont l'extrmit tait fixe dans un trou for dans le haut

    de la cuisse gauche, aune profondeur d'environ dix centi-

    mtres. L'organe sexuel est nettement accus. Le calcaire

    de cette statue est identique celui du lion accroupi et,autant qu'on en peut juger, tir de la mme carrire que lesblocs de la faade. Il n'est pas surprenant que les sculpteurs

    de cette faade, adroits fouiller la pierre pour en dgagerun dessin minutieux, aient t fort emprunts pour sculpteren ronde bosse. Le lion accroupi est d'une main tout aussiinexprimente.

    Comment expliquer que les Ghassanides du vi'' sicle,chrtiens fervents et fondateurs de monastres, aient dressdes idoles dans leur palais? M. Brimnow sent tout le poidsde l'argument car il est forc d'admettre que ces idoles ont

    t enleves leurs ennemis par les Ghassanides et conser-

  • LE LIMES SYRIEN ET l'aRT ARABE ANTISLAMIQUE 53

    ves par eux comme trophes'. Il est plus probable qu'ils les

    eussent dtruites sur place.

    D'ailleurs, le paganisme des constructeurs a pris soin de

    s'affirmer sur la faade elle-mme. M. Glermont-Ganneau

    a reconnu dans le dcor une sorte de texte en images

    qu'il faut lire de droite gauche, la mode orientale : Lavigne est d'abord reprsente en fleurs, puis se dveloppant

    graduellement, divers tats de maturit, jusqu'au momento elle est envahie par toutes les btes de la cration qui se

    rgalent de ses grappes. Au sommet du dernier (et non du

    premier) panneau triangulaire et dominant ainsi tout l'en-

    semble, merge des pampres une figure humaine, coiffed'une sorte de bonnet phrygien et ayant un caractre dio-

    nysiaque ' . La tte, probablement celle du dieu, qui appa-

    rat ainsi au sommet de la vigne, est pose immdiatementau-dessus d'un animal qui parat tre une panthre. Les

    traits humains sont peine indiqus par une main malha-

    bile. La coiffure, assez trange, semble driver de la cape

    perse.

    Ce n'est probablement pas par simple effet dcoratif que

    la vigne se dresse, dans plusieurs panneaux {fig. 12), entre

    deux animaux affronts. On peut y voir l'intention de lacaractriser comme l'arbre de vie d'autant mieux que cethme tait commun aux Smites et aux Persans. Le piedplonge dans un vase, parfois une vasque, o les animaux sedsaltrent. Or, on sait que la source de vie coule au pied de

    l'arbre dvie.

    En rsum, le style et la technique du palais attestent qu'il

    est antrieur au vi" sicle. La dcoration prouve que les

    1. Brnnow, l. c, p. 310-311, contre Strzygowski, /. c, p. 221 et 270.2. Glermont-Ganneau, Journal des Savants, 1906, p. 52.

  • 54 LES ARABES EN SYRIE AVANT L'iSLAM

    constructeurs taient paens. Pour ces deux raisons, il nepeut tre question d'un Ghassanide, mais, comme l'a suggrM. Clermout-Ganneau, d'un prince de llra^