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26 TRAVAUX & INNOVATIONS NUMÉRO 259 - JUIN-JUILLET 2019 LES ATELIERS DE LA BRUYÈR L e Mont-Mouchet domine, de sa masse sombre, le long ruban des monts de la Margeride qui marque la frontière entre le Cantal, la Haute-Loire et la Lozère. En cette fin avril, l’hiver ne sait pas qu’il est en train de perdre. Le prin- temps sait qu’il va bientôt gagner, ses éclaireurs, les jonquilles, tâchent de jaune les prairies à peine verdissantes du Gé- vaudan. Les tortueux pins sylvestres ou les plantations plus récentes de Douglas rappellent aux randonneurs du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qu’ici, le climat est rude et le sol souvent ingrat, granitique, sableux et caillouteux. Arrivé à Saugues (Haute-Loire), l’habitat ancien n’est pas sans rappeler certains villages corses aux maisons resserrées, construites en granit et couvertes de lauzes. Sur la place du village, un petit restau- rant, « Le petit chez soi » semble bien animé. Comme annoncé, la cuisine y est familiale. La patronne donne du « Mon petit lapin » au grand gaillard qui offre sa tournée à son équipe. Les randonneurs y échangent leurs anecdotes de pèlerins. Ils se mélangent aux ouvriers qui, eux, parlent de leurs chantiers de maçons ou de forestiers. Des choses simples… la vie. Au bas de la rue, une devanture aux couleurs bois et ocres, attire le regard, « Les Ateliers de la Bruyère ». Dès que l’on pousse la porte, on est saisi par l’ambiance. La douce chaleur de la chaudière bois donne envie de rester alors que dehors, la bise prend de la vigueur. Le magasin propose une gamme de produits à base de laine de mouton, mitaines, chaussettes, chapeaux, pantoufles, sacs, coussins…. Il flotte une odeur agréable et chaque pièce attire les caresses. Autour d’une belle table de ferme, trois femmes examinent d’un œil expert un rouleau de fil de laine puis se mettent à tricoter. Un bruit de machine à coudre attire mon regard vers l’atelier de confection qui donne sur le magasin. Là, cinq personnes s’activent, elles sont concentrées sur leur tâche et atten- tives au moindre détail de leur création. Car chaque pièce est réalisée à la main, chaque pièce est unique. Chacun est souriant et porte un regard serein. La porte du magasin s’ouvre, le président de l’association Bruno Depalle, entre, me serre la main et m’observe derrière ses lunettes avec un air bienveillant. L’ASSOCIATION LES ATELIERS DE LA BRUYÈRE Il m’explique que l’association, créée en 1992, porteuse du chantier d’inser- tion « Les Ateliers de la Bruyère », a pour but de favoriser la remobilisation des personnes en développant des actions de formation et d’insertion en particulier pour les personnes éloignées de l’acti- vité économique. L’ambition est de mener une action concrète utile au territoire et à ses habi- tants. Les personnes que j’ai vues à l’œuvre dans l’atelier, participent à la vie collective et acquièrent de nouvelles compétences transférables dans le monde du travail. « L’association les accompagne dans la définition d’un projet professionnel, ou pour savoir ce qu’elles veulent faire à l’issue du chantier, pour lever tout ou partie des freins permettant l’accès à l’emploi durable et pour repérer les outils à sa disposition pour sa recherche d’emploi et savoir les utiliser. Notre action permet d’amener, ou ramener, dans le monde du travail, par une formation quali- fiante ou un emploi durable, les personnes en difficulté, dès l’issue du contrat. Les personnes sont donc salariées dans le but Faire de l’économie sociale et solidaire, un moteur créateur d’emploi et de valeur ajoutée est le but de l’association les Ateliers de la Bruyère, nichée au sein du Gévaudan (Haute- Loire). De fils en aiguilles, cette association développe plusieurs activités et tisse des liens solides avec l’ensemble des acteurs locaux. Le terreau fertile des idées et des innovations partagées permet de mieux vivre sur ce sol pauvre. L’ASSOCIATION EN QUELQUES CHIFFRES 30 salariés sont accompagnés chaque année pour des parcours de 18 mois en moyenne. À son démarrage en 2002 l’association accompagnait 12 personnes. 11 employés permanents. Le premier emploi permanent a été créé en 2002. 2,80 ha sont consacrés au maraîchage. 6 000 personnes environ sont accueillies par Le magasin de Saugues (avec des pointes de fréquentation en été).

LES ATELIERS DE LA BRUYÈRE DU PAYS GÉVAUDAN...teur, Christophe Perchat, est originaire de la région. Dimitri Jantet, salarié des ateliers de la Bruyère est responsable de cette

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LES ATELIERS DE LA BRUYÈRE DU PAYS GÉVAUDAN

Le Mont-Mouchet domine, de sa masse sombre, le long ruban des monts de la Margeride qui marque la

frontière entre le Cantal, la Haute-Loire et la Lozère. En cette fin avril, l’hiver ne sait pas qu’il est en train de perdre. Le prin-temps sait qu’il va bientôt gagner, ses éclaireurs, les jonquilles, tâchent de jaune les prairies à peine verdissantes du Gé-vaudan. Les tortueux pins sylvestres ou les plantations plus récentes de Douglas rappellent aux randonneurs du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qu’ici, le climat est rude et le sol souvent ingrat, granitique, sableux et caillouteux. Arrivé à Saugues (Haute-Loire), l’habitat ancien n’est pas sans rappeler certains villages corses aux maisons resserrées, construites en granit et couvertes de lauzes.

Sur la place du village, un petit restau-rant, «  Le petit chez soi  » semble bien

animé. Comme annoncé, la cuisine y est familiale. La patronne donne du «  Mon petit lapin » au grand gaillard qui offre sa tournée à son équipe. Les randonneurs y échangent leurs anecdotes de pèlerins. Ils se mélangent aux ouvriers qui, eux, parlent de leurs chantiers de maçons ou de forestiers. Des choses simples… la vie.

Au bas de la rue, une devanture aux couleurs bois et ocres, attire le regard, « Les Ateliers de la Bruyère ». Dès que l’on pousse la porte, on est saisi par l’ambiance. La douce chaleur de la chaudière bois donne envie de rester alors que dehors, la bise prend de la vigueur. Le magasin propose une gamme de produits à base de laine de mouton, mitaines, chaussettes, chapeaux, pantoufles, sacs, coussins…. Il flotte une odeur agréable et chaque pièce attire les caresses.

Autour d’une belle table de ferme, trois femmes examinent d’un œil expert un rouleau de fil de laine puis se mettent à tricoter. Un bruit de machine à coudre attire mon regard vers l’atelier de confection qui donne sur le magasin. Là, cinq personnes s’activent, elles sont concentrées sur leur tâche et atten-tives au moindre détail de leur création. Car chaque pièce est réalisée à la main, chaque pièce est unique. Chacun est souriant et porte un regard serein. La porte du magasin s’ouvre, le président de l’association Bruno Depalle, entre, me serre la main et m’observe derrière ses lunettes avec un air bienveillant.

■■ L’ASSOCIATION LES ATELIERS DE LA BRUYÈREIl m’explique que l’association, créée en 1992, porteuse du chantier d’inser-tion « Les Ateliers de la Bruyère », a pour but de favoriser la remobilisation des personnes en développant des actions de formation et d’insertion en particulier pour les personnes éloignées de l’acti-vité économique. L’ambition est de mener une action concrète utile au territoire et à ses habi-tants. Les personnes que j’ai vues à l’œuvre dans l’atelier, participent à la vie collective et acquièrent de nouvelles compétences transférables dans le monde du travail. «  L’association les accompagne dans la définition d’un projet professionnel, ou pour savoir ce qu’elles veulent faire à l’issue du chantier, pour lever tout ou partie des freins permettant l’accès à l’emploi durable et pour repérer les outils à sa disposition pour sa recherche d’emploi et savoir les utiliser. Notre action permet d’amener, ou ramener, dans le monde du travail, par une formation quali-fiante ou un emploi durable, les personnes en difficulté, dès l’issue du contrat. Les personnes sont donc salariées dans le but

Faire de l’économie sociale et solidaire, un moteur créateur d’emploi et de valeur ajoutée est le but de l’association les Ateliers de la Bruyère, nichée au sein du Gévaudan (Haute-Loire). De fils en aiguilles, cette association développe plusieurs activités et tisse des liens solides avec l’ensemble des acteurs locaux. Le terreau fertile des idées et des innovations partagées permet de mieux vivre sur ce sol pauvre.

L’ASSOCIATION EN QUELQUES CHIFFRES■■ 30 salariés sont accompagnés chaque année pour des parcours de 18 mois en

moyenne. À son démarrage en 2002 l’association accompagnait 12 personnes.■■ 11 employés permanents. Le premier emploi permanent a été créé en 2002.■■ 2,80 ha sont consacrés au maraîchage.■■ 6 000 personnes environ sont accueillies par Le magasin de Saugues (avec des

pointes de fréquentation en été).

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Economie

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d’une insertion professionnelle et sociale. Dès le recrutement, nous lui procurons un soutien humain permanent mais aussi les méthodes et les moyens techniques. Nous organisons le suivi, l’accompagne-ment, l’encadrement technique, pédago-gique et social et la formation des sala-riés. L’élaboration du projet professionnel et l’accès à l’emploi sont envisagés dans le cadre d’une démarche d’insertion et au terme d’une action de re-socialisation si cela est nécessaire. Le chantier permet un ré-entraînement au travail et l’appren-tissage de savoir-faire, par des forma-tions propres à faire durant la période du contrat, une étape du parcours d’insertion sociale et professionnelle ».Pour atteindre ce but l’association

développe plusieurs activités économiques.

■■ UN PÔLE LAINEUn atelier de fabrication de produits à base de laine de mouton dans un premier temps. La Margeride est le berceau de la race Blanche du Massif Central et la Noire du Velay est voisine, ces deux races sont adaptées aux rudes conditions pédoclimatiques. En 2015, un pôle laine a été créé pour reconstituer une filière laine en un circuit court et local où chaque intermédiaire apporte une valeur ajoutée au produit. Le pôle est né de la convergence de réflexions menées par différents acteurs  : l’association Les Ateliers de la

Bruyère, la communauté de communes du Pays de Saugues et le monde agri-cole, en particulier les éleveurs et la SARL Laurent Laine (1) qui est le dernier laveur de laine en France. L’entreprise lave la laine, la sèche, la carde et la revend à des filateurs ou l’utilise en propre pour faire des matelas. Mais la volonté de faire renaître cette filière apparaît comme une utopie : cela va-t-il être viable ? « En effet, ce n’est pas dans la logique économique actuelle où le modèle dominant ne laisse la place qu’aux gros volumes et/ ou à l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché. Le finance-ment d’un projet protéiforme comme celui-là reste compliqué dans la mesure où il ne rentre pas dans le cadre des lignes de

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AMBIANCE SEREINE ET CONCENTRÉ DANS L’ATELIER DE FABRICATION DES ARTICLES EN LAINE.

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subventions classiques. Enfin, pour réaliser le projet, il y a besoin d’investissements et il est difficile de franchir ce pas sans assu-rance de réussite. Malgré cela, ce pôle de coopération parti-cipe à la résilience du Pays de Saugues dans la mesure où il valorise une ressource terri-toriale, la laine, avec la volonté de ne pas voir ce patrimoine, tant matériel qu’im-matériel, disparaître. Il met en mouve-ment diverses composantes du territoire  : la production et le savoir-faire agricoles, la production artisanale en permettant le développement des activités actuelles. Il a également une dimension culturelle par la sauvegarde du patrimoine matériel, immatériel et touristique en développant l’offre de nouvelles prestations. Enfin la dimension sociale est également présente par le développement des ateliers et chan-tiers d’insertion. »

■■ UNE ACTIVITÉ MARAÎCHAGEL’association a ensuite poursuivi son développement par la reprise d’une acti-vité de maraîchage située plus bas dans les Gorges de l’Allier à Langeac. Pascal

Lafont est le directeur de ce site, il bouil-lonne d’idées et d’énergie. « Nous souhai-tons apporter de la valeur ajoutée à notre production de légumes pour créer de l’em-ploi. Pour cela, nous livrons nos légumes à un magasin de producteurs localisé au Puy-en-Velay. Nous allons aussi créer une nouvelle légumerie de 4ème gamme car celle dont nous disposons aujourd’hui est insuffisante. Ce projet nous amène à réflé-chir avec des agriculteurs qui pourraient produire des légumes de plein champ pour fournir la légumerie en complément de notre production. L’association est aussi à l’origine de la création du site de vente en ligne «  made in Gévaudan  »  (2) qui regroupe 25 associés agriculteurs, arti-sans, associations, acteurs du tourisme, industriels avec la Maison Borde spécia-lisée dans la collecte, la transformation et la vente de champignons sauvages ».

■■ ENFIN, LA CULTURE DE CHAMPIGNONSCe produit est une figure embléma-tique de la Margeride. Cèpes, girolles, sanguins et morilles trouvent là un espace préservé pour se développer.

Les paysans d’autrefois en faisaient un revenu d’appoint apprécié et encore aujourd’hui jalousé. Plusieurs passionnés de champignons vivent sur le pays de Saugues et estiment que cela peut être une activité d’avenir si l’on maîtrise sa culture. Les ateliers de la Bruyère testent depuis trois ans la culture de morilles sous serre en lien avec France Morilles dont le Président fonda-teur, Christophe Perchat, est originaire de la région. Dimitri Jantet, salarié des ateliers de la Bruyère est responsable de cette production. Il précise : « La maîtrise de la culture demande encore beaucoup de recherche et d’essais ainsi qu’un suivi très régulier pendant la saison de produc-tion pour contrôler la luminosité, l’hygro-métrie et la température. Sans l’appui de la Maison Borde qui finance les semences et France Morilles (3) qui fournit les activa-teurs, l’association ne pourrait pas conti-nuer seule cette production innovante. »

L’association poursuit son développe-ment en privilégiant la réflexion, l’ac-tion collective et en activant les réseaux d’acteurs du Pays de Saugues et du

L’ÉQUIPE DES « JARDINIERS » SUR LE SITE DE MARAÎCHAGE À LANGEAC.

T. Pons - Trame

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Gévaudan. Cette volonté leur permet d’être aujourd’hui un des 159 pôles terri-toriaux de coopération économique (cf. encadré) reconnus en France.

Autrefois la bête du Gévaudan sévissait en Pays de Saugues et de Margeride. Puis, ce fût le temps de l’exode rural qui affecta ce pays. Il semble bien que la coopération, la solidarité, le bon sens et la recherche de synergie entre acteurs, puissent à présent permettre un avenir meilleur pour tous ceux qui veulent faire vivre leur pays. ■

Thierry PonsTrame

Tél. : 06 79 73 93 20 [email protected]

Pour en savoir plus :

www.lesateliersdelabruyere.fr

(1) www.filaturelaurent.fr(2) www.madeingevaudan.com(3) www.francemorilles.com

PASCAL LAFONT, DIRECTEUR DE L’ASSOCIATION DANS LA SERRE « ESPACE TEST » DE CULTURE DE MORILLES.

BRUNO DEPALLE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION.

LES PÔLES TERRITORIAUX DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUE (PTCE)Les Pôles territoriaux de coopération économique sont définis par l’article 9 de la loi relative à l’Économie sociale et solidaire de juillet 2014. Ils sont plus de 160 en France.Les PTCE sont constitués par un ensemble d’acteurs de terrain qui s’associent autour d’un projet économique commun pour favoriser le développement territorial local : associations, coopératives, collectivités territoriales, entreprises classiques, universités, etc. Leurs domaines d’activité sont divers et adaptés à leur contexte local : éco-activités, emploi et sécurisation des parcours professionnels, alimentation et agriculture durable...Les PTCE permettent de recréer des filières, des emplois et de revitaliser des territoires socialement et économiquement sinistrés. Cette innovation tient à des formes de coopération économiques initiées par des organisations de l’Économie sociale et solidaire (ESS), qui, par leurs finalités sociales et environnementales, leurs formes de gouvernance et leur ancrage territorial, contribuent à faire prévaloir coopération et mutualisation entre acteurs.■■ Pour en savoir plus : www.lelabo-ess.org

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