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Les Autres Voix de la Planète - N°57

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Page 1: Les Autres Voix de la Planète - N°57

Les Autres Voix

delaPlanete

N°57 hiver 2012/2013

Belgique - Belgie

P.P. - B.P.

Liège X

BC 6477

Trimestriel du CADTM

N°d'agréation:p301176/Bureaudedépôt:LiègeX

CADTM:345avenuedel'Observatoire-4000Liège

Page 2: Les Autres Voix de la Planète - N°57

Les autres voixde la planeteN°57 - hiver 2012/2013

Revue du Comité pour l'Annulation dela Dette du Tiers Monde

www.cadtm.org

CADTMAvenue de l'Observatoire, 345B - 4000 LiègeTèl: +32 (0)4/226 62 85mail: [email protected]

Prix de l' abonnement annuel(4 numéros + 4 publications)

Belgique30€/an (20€/an - petits revenus)Virement bancaire au compte001-2318343-22(mention abonnement)

Europe38€/an (22€/an - petits revenus)Virement bancaire internationalCADTMIBAN: BE06 0012 3183 4322code swift BIC: GEBA BE BB(mention abonnement)ou par chèque à l'attention duCADTM

Autres pays51€/an (34€/an - petits revenus)par mandat international ou vi-rement bancaire international(frais à la charge du doneurd'ordre)CADTMIBAN: BE06 0012 3183 4322code swift BIC: GEBA BE BB(mention abonnement)

Organisationsbibliothèque, ONG, syndicats,etc.:60€/an (ou 38€/an - petitesorga).Se référer aux modalités depayement ci-dessus.

3. Édito

______________

4. 2032 - 2062. 30ème anniversaire du Service PublicMonétaire Mondial et de la fin de la dett'scroquerie!par Désiré Prunier

6. Dexia devant les juges!par Renaud Vivien

9. États-Unis: les «objecteurs de créances» de Strike Debtorganisent la résistancepar Stéphanie Jacquemont

13. Bruxelles 21-22 novembre 2012: les citoyen-ne-scontre la dettepar Noémie Candiago

15. Grands projets et dette publiquepar Jean-Denis Gauthier

______________

17. Argentine. Fonds vautours. Le prix à payer pourn'avoir pas audité la dettepar Eduardo Lucita

20. Bonne nuit Grèce, bonjour Colonie!par la Campagne d'Audit de la Dette grecque

21. Grèce-Allemagne: qui doit à qui? L’annulation de ladette allemande à Londres en 1953par Éric Toussaint

______________

25. En Espagne, les droits des femmes sont bafouéspropos recueillis par Marta Marsili

27. Face à la dette, les femmes du CADTM Afriqueaffinent leurs stratégiespar Fatou Lo et Christine Vanden Daelen

______________

30. Élections présidentielles: nouvelle victoire ducandidat bolivarien Hugo Chavezpar Franck Gaudichaud et Patrick Guillaudat

32. La vague chaviste remporte les élections régionalespar Patrick Guillaudat

______________

33. Keny Arkana: «il faut se réapproprier son pouvoircréateur»propos recueillis par Emilie Paumard et Jérémie Cravatte

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3Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

EditoL'année 2012 s'est terminée sur des airs de fin dumonde. La médiatisation délirante d'une soi-disantpanique planétaire due à la fin du cycle long ducalendrier maya reflète bien l'attitude générale desmédias dominants, plus prompts à cultiver lepessimisme et à entretenir le mythe du caractèreindépassable du «calendrier capitaliste» qu'à débattre dela possibilité objective de changer ce monde plutôt quede le voir disparaître.

Le calendrier capitaliste ne change pas. Les sommetsdes chefs d’États - plus ou moins élus - dits cruciaux, dela dernière chance, se succèdent: leurs solutions à la crisefinancière consistent invariablement en des plansd’austérité qui signifient chômage, inégalités, précarité,licenciements pour la majorité des gens, et cela malgrél'ineptie de ces mesures qui alimentent la crise plusqu'elles ne la jugulent, de l'aveu même du FMI. Lesconférences sur le climat et les grands enjeuxécologiques (crises alimentaire, environnementale,énergétique) accouchent de déclarations qui valent àpeine mieux que rien. Les piteuses conclusions dusommet de l'ONU à Doha en sont l'illustration la plusrécente. Le «club des riches» séquestre la démocratie,décide du sort de la planète et nous envoie dans le mur.

L'année 2012 cristallise moins la peur de la fin dumonde qu'un malaise social, une indignation accumulée,fruit de crises et des politiques appliquées pour ensortir. Encore fragile, une conscience anticapitaliste

s’étend, et rompt avec la résignation. Des antiennesinlassablement répétées comme «la population a vécuau-dessus de ses moyens» (argument principal pourjustifier l'austérité) et «il faut payer sa dette»commencent à perdre leur efficacité. De plus en plusnombreux-ses sont celles et ceux qui se dressent contrele mode de production et de consommation actuel etopposent des alternatives, des solutions en acte pourchanger réellement de société.

Pour ouvrir ce numéro, nous publions le texte issu de laconférence gesticulée de 'Désiré Prunier' sur la dette. Dumouvement de dett’sobéissance en passant par la grande'crise dé-financière de 2029', fatale pour les derniersbanksters, jusqu'à la création du Service Public MonétaireMondial, Désiré revient de l'an 2062 nous contercomment nous avons réussi à surmonter la «crise de ladette» qui aura tant marqué les années 2010. Cetteprojection vers un avenir débarrassé du «système dette»n'est pas illusoire, à nous d'en déterminer le cours! Avecles mouvements Indignés en Europe, Strike debt auxÉtats-Unis (voir article p.9), les Collectifs d'auditscitoyens de la dette (voir article p.13), la dett’sobéissanceest en marche!

En 2013, soufflons sur les braises!

L'équipe du CADTM

Page 4: Les Autres Voix de la Planète - N°57

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ARTMILITANT

E n 2032, le dett’système a étédéfinitivement enterré etremplacé par le Service Pu-

blic Monétaire Mondial. 30 ans plustard, nous célébrons cet événement ma-jeur qui a signé la fin de la dett'scro-querie installée depuis les années 1970dans la plupart des pays, par les 1% detrop-riches qui voulaient être encoreplus trop-riches sur le dos des 99% dureste de l’humanité.

Pour cela, les trop-riches et leursalliés (banksters, traders-fous, éco-nalchimistes bornés persuadés qu’ilspouvaient transformer le papier enargent, médiacrates couchés...)avaient mis en place un systèmemonstrueux, le dett’système, basésur l’organisation d’un déficit crois-sant des budgets publics. Alors queles dépenses publiques n’ont,contrairement aux idées reçues, glo-balement pas augmenté, les recettesont été très fortement diminuées par:- les fisco-fuites (niches fiscales,paradis fiscaux, bouclier fiscal) aubénéfice essentiellement des trop-riches, leur laissant encore plus d’ar-gent pour spécutricher,- l’interdiction de création monétairepar les banques centrales (loi deGiscard-foirus en 1973, principe re-pris dans les traités européens, ceuxde Maas-trop-la-triche et de Lispas-bonne),

- et donc l’obligation d’emprunteraux banques privées, à des tauxabusuraires variables (jusqu’à plus de30%!) dont profitaient les mêmestrop-riches qui plaçaient dans lesbanques privées les impôts qu’ils nepayaient plus!

Pour faire passer ce véritable pillagedes richesses publiques au profit des1% de trop-riches, une forte propa-gandette a été diffusée par les mé-dias dominants et les experts domi-nés, faisant croire aux citoyens qu’ilsétaient «responsables» de cette dettetellement ils auraient «vécu au-des-

sus de leurs moyens», qu’il leur fal-lait «faire des sacrifices» pour rem-bourser une dette qui n’était pas laleur. Une véritable culpabilidette aainsi été construite sur la confusionentre une vraie dette personnellequ’il peut arriver à certains decontracter puis rembourser et cettefausse dette publique correspondanten fait à des transferts massifs d’ar-gent vers ceux qui n’en avaient déjàque trop.

La crise bancaire de 2008, due àl’effondrement des finan-bulles im-mobilières et spéculatives créées parles banques privées, n’a pas suffi àraisonner celles-ci. Elles n’ont dûleur salut qu’aux plans de sauvetageimposés par les politicrates amis desbanksters. Payés par l’argent public,ces plans ont aggravé de façon co-lossale la dette publique construite.Les enspéculés de banksters ontainsi vu leurs banques sauvées sanscontrepartie. Et ils se sont remis à segoinfrer de leurs bonus-dorés, leursparachutes boucliers, leurs cash-op-tions, leurs stocks-gloutons. Leursmarchés financiers et leurs agencesde dénotation ont continué à aug-menter les taux d’intérêt et à étran-gler les États. Les dett'scrocs du'Fond Mortifère Impitoyable' et de la'Banque Mon-diable' ont conseillé devéritables saignées, appliquées pardes dirigeants aux ordres, quand ils

2032 - 206230ÈME ANNIVERSAIRE DU SERVICE PUBLICMONÉTAIRE MONDIAL ET DE LA FIN DE LA

DETT'SCROQUERIE!

par Désiré Prunier

Ancien membre de feu-CADTM, organisation auto-dissoute le 29 septembre 2032dans la joie, le soulagement et le bon vin

Pour ouvrir ce numéro, nous publions letexte issu de la conférence gesticulée surla dette de «Désiré Prunier1». Retour versle futur! Désiré Prunier revient de l'an

2062 nous conter comment nous avonsréussi à surmonter la «crise de la dette»qui aura tant marqué les années 2010.

1. Vous pouvez visionner la conférence gesticulée de Désiré Prunier, filméeà l'occasion du 2ème Forum sur la désobéissance à Grigny (France) surhttp://www.youtube.com/watch?v=FO2-irMv5c8.

‟Payés parl’argentpublic, cesplans ontaggravé defaçon

colossale ladette

publiqueconstruite „

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5Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

n’étaient pas eux-mêmes des anciensbanksters issus de banques privéescomme 'Saque-man-gold'. Ils ontimposé l’austéridette, afin de mieuxprivati-brader à leur profit ce quirestait d’organismes solidaires et deservices publics.Les pays européens souffraient doncénormément, les populations étaientdécouragées, poussées à la résigna-tion ou à l’aveuglement, tentées pardes dérives bouc-émissairisantes etxénophobes.

H eureusement, à partir de2012 (il y a cinquante ans,déjà! ), les prises de

conscience ont déferlé par-dessus lapropagandette, la mobilisation des ci-toyens s’est amplifiée. Des Collectifspour l’Audit Citoyen de la dette pu-blique se sont montés partout pouranalyser les comptes publics et dénon-cer les emprunts toxiques distribuéssans informations par les banques pri-vées aux collectivités locales, aux hô-pitaux, aux particuliers, les précipitantensuite dans la faillite. En 2013, unmouvement de dett’sobéissance (appe-lé aussi grève générale de la dette) afait tomber le masque de la dett’scro-querie: plus personne ne payant sesdettes, les banksters se sont écroulés.La protestation a contraint Papa Hol-landréou à combattre vraiment la fi-nance (il l’avait proclamée comme sonennemie avant de bien vite l’oublier).

De nombreux événements qui sontmaintenant dans les livres d’histoirepost-moderne ont progressivementrogné le dett’système, jusqu’à lagrande 'crise dé-financière de 29'(enfin, 2029), qui a été sans gravitépour les populations préparées parleurs monnaies complémentaires,mais fatale pour les derniersbanksters qui se sont enfuis dansleur folie. Les banques ont été trans-formées en cafés-citoyens, leurs im-menses sièges en mémorials desdettofolies où d’ex-banksters ha-gards ont été recyclés en gardiens demusée.

L’argent a été enfin compris commeun bien public mondial, et le ServicePublic Monétaire Mondial a été créé.Aujourd’hui, il n’y a plus de prêtstoxiques, plus d’austérité, les ri-chesses sont distribuées dans lajustice sociale pour qu’il n’y ait plusde trop-riches ni de personnesvivant sous le seuil de dignité.

Merci à nos anciens qui, dans lesannées 2012, se sont battus pacifi-quement mais radicalement pourdénoncer la dett'scroquerie et mettreà bas le dett’système! Prenonsexemple sur eux pour rester vigi-lants et mobilisés, informés et com-batifs, afin d’éviter le retour de ladette immonde dont la rente plaîttoujours aux cons!

LES AGENCES DE NOTATION

DANS LE COLLIMATEUR DE LA

JUSTICE

En Italie, le parquet de Trani a de-mandé le renvoi en justice de diri-geants de Standard and Poor's et Fitchpour «manipulation de marché», esti-mant que ces agences de notation ontabaissé la note de la Péninsule à desfins spéculatives. Pour le procureur deTrani, Standard and Poor's «a fournide manière intentionnelle aux mar-chés financiers une information ten-dancieuse». Le parquet de Trani avaitouvert une enquête fin 2010 suite àune plainte déposée par des associa-tions de consommateurs contre unrapport de Moody's ayant eu un effetnégatif sur les cours en Bourse desbanques italiennes. Les poursuitescontre Moody's ont été classées sanssuite mais l'enquête a été élargie àStandard and Poor's après la publica-tion de communiqués sur l'Italie en2011, le parquet estimant qu'ils conte-naient des jugements infondés ayanteu un effet négatif sur les marchés.L'agence Fitch était aussi dans lecollimateur de la justice en janvier2012 pour des raisons semblables. Larequête du parquet de Trani doitmaintenant être examinée par un jugedes audiences préliminaires, qui déci-dera, ou pas, de l'ouverture d'un pro-cès contre les deux agences.

En Australie, la justice a condamnédébut novembre Standard and Poor'sà verser des compensations à des col-lectivités locales ayant englouti desmillions de dollars dans des titres trèsbien notés par l'agence américaine,qui s'étaient effondrés à l'approche dela crise financière de 2008. Le tribu-nal fédéral australien a jugé «trom-peuse» et étayée par des informationsen partie «inexactes» et «menson-gères» la note AAA attribuée à cesproduits toxiques. C'est la premièrefois que ce genre d'instance estcondamnée et ce jugement pourraitbien avoir des répercussions à l'échelleinternationale.

La roue est-elle en train de tournerpour les agences de notation?

Page 6: Les Autres Voix de la Planète - N°57

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DEXIA

DEXIA DEVANT LES JUGES!

D exia Crédit Local (DCL)poursuit France Télévisionspour diffamation devant le

Tribunal Correctionnel de Paris suiteau reportage «Villes en faillite», diffu-sé sur France 2 dans le cadre de l'émis-sion Envoyé Spécial1. Dexia reprocheà ce reportage un traitement caricatu-ral à charge de la question pourtantcomplexe de l’endettement des collec-tivités locales. «La ligne éditoriale choi-sie par la rédaction consiste en effet àrendre Dexia responsable de tous les mauxdes collectivités locales et à lui imputer- en contradiction avec la réalité - le faitd’avoir cherché à tromper ses clients», ex-plique la banque dans un communi-qué2.

Quelle est cette réalité? Sans occul-ter la responsabilité de certains élusdans l'endettement illégitime deleurs communes (ce que l'émissionEnvoyé Spécial montre d'ailleurs), ilfaut rappeler le rôle crucial joué parDexia dans l'augmentation expo-nentielle de la dette des collectivitéslocales. Cette dette est largementillégitime et pourrait encore se creu-ser si les garanties des États fran-çais, belge et luxembourgeois sur lesemprunts de Dexia SA et de DCLne sont pas annulées.

Pour comprendre le caractère illégi-time de la dette à l'égard de Dexia,il faut remonter à la fin des années1990. A cette époque, les banques(essentiellement Dexia, les Caissesd’épargne et le Crédit Agricole) pro-posaient surtout des prêts classiquesà taux fixe ou à taux révisable. Maistrès vite Dexia a construit un engre-

nage associant un financement et unproduit dérivé spéculatif dans unseul et même contrat. Le principeest simple: les premières années, labanque propose un taux décoté arti-ficiellement bas, avant d’enchaînersur une prise de risque inconsidéréepar la suite. En 2008, Dexia propo-sait 223 prêts différents reposant surdes indices «exotiques» plus spécu-latifs les uns que les autres: la paritéentre l’euro et le franc suisse, maisaussi le yen, le dollar, l’inflation, lesindices de la courbe des swaps, jus-qu’au cours du pétrole! Avec de telsprêts dits «toxiques», la banque peutmultiplier ses marges par 2 ou 3,voire davantage3.

Les acteurs publics locaux setrouvent quant à eux piégés par destaux d'intérêt de plus de 20% et sanspouvoir transformer leurs «prêtstoxiques» en prêts classiques, carcette option nécessite le paiementd’une indemnité de remboursementanticipé d’un montant démesuré,parfois supérieure à la totalité ducapital restant dû. Cette situationintenable a poussé plusieurs collec-tivités locales à réagir en attaquantDexia en justice, notamment pourdéfaut de conseil, voire tromperie.En décembre 2012, Dexia totalisaitrien qu'en France pas moins de 57plaintes à son encontre intentées pardes communes lésées par les prêtstoxiques de la banque. Pour lesplaignants, la banque a violé sonobligation d'information en se gar-dant de détailler les risques liés àdes prêts. Pire, dans certains cas,Dexia aurait volontairement donnédes informations exagérément opti-mistes, voire erronées, en garantis-sant une quasi-absence de risque.Ces affaires ne sont pas encoretranchées définitivement par lajustice. En attendant, ces communesont tout intérêt à suspendre le paie-ment des intérêts sur leurs dettes li-tigieuses.

En effet, dans une décision inéditerendue le 31 mai 2012, la Chambrerégionale des comptes d'AuvergneRhône-Alpes a autorisé Sassenage(une ville de 11 000 habitants del'Isère) de continuer à refuser depayer les intérêts demandés parDexia en attendant que la justice seprononce sur son cas4. De 170 000

par Renaud Vivien (CADTMBelgique)

1. Visionner l'émission sur http://www.lecho.be/actualite/entreprises_finance/Dexia_poursuit_France2_en_diffamation.9206366-3027.art2. http://www.dexia-creditlocal.fr/actualites/Dexia/Pages/dexia-poursuit-france2-en-diffamation.aspx3. Lire «Aidons les acteurs publics locaux à sortir des 'prêts toxiques'»,par Damien Millet et Patrick Saurin, http://cadtm.org/Aidons-les-acteurs-

publics-locaux4. «Emprunts toxiques: une ville peut suspendre ses paiements», LesEchos, 12 juin 2012, http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202109119600-emprunts-toxiques-une-ville-peut-suspendre-ses-paiements-332734.php

‟Dexia aconstruit unengrenageassociant unfinancementet un produit

dérivéspéculatifdans un seulet mêmecontrat„

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7Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

euros par an en moyenne les annéesprécédentes, les intérêts de la dettepayés par la ville se sont élevés en2011 à plus de 660 000 euros5. Cetteaugmentation brutale est liée à deuxcontrats de prêt toxiques conclusavec Dexia6. Fin 2011, le maire deSassenage a donc décidé de pour-suivre Dexia devant le Tribunal deGrande Instance (TGI) de Nanterrepour obtenir l'annulation de cesdeux contrats, sur le fondement dudol (tromperie) inscrit dans le Codecivil. Plus précisément, Sassenagedénonce devant la justice les condi-tions de souscription de ceux-ci:Dexia s’est rendue coupable à sonégard de manœuvres dolosives paraction ou par omission: mensongesur l’intérêt et la nature du prêt,mensonge sur les risques du prêt,mensonge sur la volatilité de la de-vise.

B ien que le TGI de Nanterredoive encore se prononcersur le fond du dossier, cet

avis de la Chambre régionale descomptes indiquant que le paiement desintérêts ne constitue pas une dépenseobligatoire constitue déjà un précé-dent7. Dès lors, les collectivités vic-times de prêts toxiques ont tout inté-rêt à suivre la stratégie engagée parSassenage consistant à assigner labanque devant le TGI pour obtenirl'annulation du contrat de prêt, et àsuspendre unilatéralement et immé-diatement la totalité des intérêts duprêt contesté.

Soulignons que le montant des prêtstoxiques en France est estimé à 13,6milliards pour les seules collectivités,selon la Commission d’enquête par-lementaire sur les produits à risquesouscrits par les acteurs publics lo-caux8. Après six mois de travail,cette Commission parlementaire,mise en place en juin 2011, a claire-ment identifié la responsabilité desbanques (dont Dexia) qui ont conçudes prêts complexes, dangereux etnon conformes à la réglementationqui interdit aux acteurs publics despéculer sur les marchés.

5. Jean-Louis Peru, avocat à la cour, «La désobéissance civile et sadimension juridique et judiciaire», 2ème Forum national de ladésobéissance de Grigny, septembre 2012 (page 75).6. Le taux prévu par les contrats de prêts était de 3,57% jusqu'en janvier2009 puis dépendait des variations entre l'euro et le franc suisse jusqu'enjanvier 2027, avant de redevenir fixe à 3,57% jusqu'à son terme en janvier2042.

7. http://www.agora-erasmus.be/Emprunts-toxiques-la-victoire-historique-de-Sassenage-contre-Dexia_085218. Lire le rapport de cette Commission surwww.assembleenationale.fr/13/rap-enq/r4030.asp

MILAN FAIT CONDAMNER

QUATRE GRANDES BANQUES

La France n’est pas le seul pays oùles collectivités publiques sontconfrontées à des prêts toxiques.C’est également le cas de l’Italie oùdepuis 2002 une loi permet auxcollectivités de recourir à des pro-duits dérivés. De l’autre côté desAlpes les mêmes causes produisentles mêmes effets.

L’exemple de Milan est révélateurde cette situation. En 2005, cettemunicipalité a souscrit un prêt obli-gataire de 1,68 milliard d'euros afinde restructurer sa dette. Mais ce re-financement reposait sur des pro-duits structurés qui ont très vite ré-vélé leur toxicité, amenant la ville àse retourner vers les banques. Enmars 2012, à l’issue d’un accordamiable par lequel elle renonçait àpoursuivre les banques au civil, laville débouclait par anticipation unswap signé avec UBS, DeutscheBank, Depfa et JP Morgan. Mais lafin du contentieux au civil n’a paséteint le contentieux pénal car, le18 juillet, le parquet de Milan a re-quis des sanctions contre chacunedes quatre banques accusées defraude pour avoir caché à cettemunicipalité les risques liés àl'émission de produits financiersdérivés. Dans cette affaire, le pro-

cureur adjoint retient le dol desbanques, et non une éventuelle im-prudence fautive de la ville car,d’après lui, «la commune n’a pas faitune chose folle mais s’est fait abuser».Ce procès, considéré comme lepremier dans le monde à se tenirau pénal pour une telle affaire, aconnu son verdict le 19 décembre2012. Le tribunal a condamné lesbanques pour escroquerie et a pro-noncé des peines particulièrementsévères. Les quatre établissementsont été condamnés à une amended'un million d’euros chacune, enplus des saisies ordonnées par lejuge représentant un total de 89,6millions d’euros, un montant nette-ment supérieur aux 72 millionsd’euros réclamés initialement par leprocureur adjoint. Neuf personnestravaillant pour ces banques ont enoutre été condamnées à des peinesde prison avec sursis allant de six àhuit mois et demi. Pour AlfredoRobledo, le procureur adjoint dutribunal, «nous sommes en présenced’une sentence historique, la premièreau monde à affirmer qu’il doit yavoir de la transparence pour qu’il yait de la fiabilité». Cette sentenceva probablement donner des idéesà d’autres collectivités, et passeulement en Italie.

Patrick Saurin

Page 8: Les Autres Voix de la Planète - N°57

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R appelons également la res-ponsabilité individuelle decertains dirigeants de

Dexia. Lorsqu’ils ont été entendus parla commission d’enquête parlemen-taire française le 15 novembre 2011,Pierre Richard, ancien président deDexia, et Gérard Bayol, ancien direc-teur général de DCL, ont, après avoirprêté serment, soutenu que «lacommercialisation des produits structu-rés dits plus complexes étaient limitéeaux grands clients, c’est-à-dire aux col-lectivités de plus de 10  000 habitants9».Or, on sait aujourd’hui que ces propossont mensongers au vu de la quantitéde collectivités de moins de 5000 ha-bitants contaminées par des prêtstoxiques complexes10, auxquelless’ajoutent des établissements publicshospitaliers, des organismes de loge-ment social et même des associations.

La Belgique n'est pas en reste. Lescommunes belges ont aussi été lour-dement endettées par Dexia, notam-ment lors de sa recapitalisation en2009. En 2012, les communes deSchaerbeek et d'Andenne ont cha-cune décidé d'intenter une action enjustice devant le tribunal decommerce contre les administ-rateurs du Holding Communal deDexia (un des principaux action-naires de la banque en Belgique)11.

Au niveau des États, la facture lais-sée aux contribuables pourraitmême considérablement s'alourdiren cas d’activation des garanties ac-cordées par les États belge, françaiset luxembourgeois sur les empruntsde la «bad bank12» composée deDexia SA et DCL. A cet égard, troisassociations belges (CADTM Bel-gique, ATTAC Liège et ATTAC

Bruxelles 2) rejointes par deuxdéputées écologistes ont intro-duit le 23 décembre 2011 unerequête devant le Conseil d’Étatpour annuler l'arrêté royal oc-troyant la garantie de l’Étatbelge sur certains emprunts dela «bad bank» de Dexia13. Lesrequérants mettent en avant la vio-lation des règles élémentaires d'unÉtat de droit puisque le Parlementbelge n'a même pas été consulté surl'octroi de ces garanties alors que lebudget fait partie de ses domainesde compétences réservées.

Or, les conséquences budgétaires decette garantie d’État sont potentiel-lement énormes puisqu'au momentdu second sauvetage de Dexia enoctobre 2011, le gouvernement belgequi était «en affaires courantes» s'estengagé aux côtés de la France et duLuxembourg à garantir pendant lesvingt prochaines années les em-prunts de cette «bad bank» à hau-teur de 90 milliards d'euros14. Parconséquent, si Dexia ne remboursepas ses créanciers, les pouvoirs pu-blics (donc les contribuables) de-vront régler les dettes de la banque.Ce qui plombera lourdement les fi-nances publiques, augmentera ladette des États et justifiera de nou-velles mesures d'austérité contre les

populations. De plus, ces garantiessont utilisées comme arme de chan-tage pour pousser les États à re-capitaliser Dexia. Fin 2012, les Étatsbelge et français ont à nouveau in-jecté 5,5 milliards d'euros dans cette«bad bank».

Ces garanties doivent donc être an-nulées et le groupe Dexia mis enfaillite. Rappelons que Dexia est unebanque en voie d’extinction qui adéjà été sauvée trois fois depuis2008 grâce à l’argent public, qu'ellen’a plus de dépôts d’épargnants etne fait qu’enregistrer des pertes.Cette mise en faillite aurait aussil'avantage d'entraîner des poursuitesjudiciaires contre les responsablesde la débâcle.

Ce n'est pas aux citoyens belges,français et luxembourgeois de payerpour les fautes commises par lesadministrateurs, les actionnaires etl'imprudence des créanciers deDexia. Il est temps que les Étatscessent d'assumer les pertes desbanques, refusent de rembourser ladette illégitime issue des sauvetagesbancaires et mettent en place unvéritable service public de finance-ment des collectivités locales.

9. Ibid., p. 361.10. La carte des prêts toxiques établie par le quotidien Libération estaccessible sur http://labs.liberation.fr/maps/carte-emprunts-toxiques/11. http://www.sauvetage-dexia.be/spip.php?article2112. Une «bad bank» est une structure dans laquelle sont transférés lesactifs douteux d'un établissement financier en difficulté.

13. Ce recours est publié au Moniteur belge sous le numéro G/A203.004/XV-1811. Il est soutenu par de nombreuses personnalités etassociations en Belgique. Voir sur www.sauvetage-dexia.be14. Suite à l’accord conclu entre la Belgique et la France en novembre2012, le montant de ces garanties est passé à 85 milliards d'euros.

‟ Dexia estune banqueen voie

d’extinction „

DEXIA

Page 9: Les Autres Voix de la Planète - N°57

9Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

1. «Tu n'es pas un prêt / Tu n'es pas seul!».

STRIKEDEBT

S ur les bords de l'East River àBrooklyn, le 9 septembre 2012,des personnes se relaient au

centre d'un cercle et prennent la pa-role pour expliquer comment leursdettes leur sont devenues insuppor-tables, par les paiements qu'elles sup-posent chaque mois et, plus fondamen-talement, par les choix qu'elles lesobligent à faire, ou plutôt l'absence dechoix dans laquelle elles les enferment.Certaines disent la honte qu'elles ontressenties, d'autres leur dégoût, leurincompréhension, le puissant senti-ment d'injustice. Puis, dans un gestelibérateur, elles mettent le feu à cecourrier leur rappelant le montantqu'elles doivent encore rembourser, cerelevé bancaire faisant état de créditsimpayés... Cet acte rappelle celui desmilitants qui, pour protester contre laguerre du Vietnam, brûlaient leur carte

d'incorporation dans l'armée. Mais legeste n'est pas seulement symbolique,il a une fonction cathartique: il s'agitaussi de se débarrasser du sentimentde culpabilité, de briser le tabou, le si-lence, l'isolement des personnes en-dettées afin de créer un mouvementde résistance. Strike Debt, le groupe«d'objecteurs de créances» à l'originede cette action, a d'ailleurs pour slo-gan ce jeu de mots: «You are not aloan!/ You are not alone!1».

Les rouages du «systèmedette» mis à nu

Dans le combat que ces militant-e-sd'Occupy Wall Street (OWS) ontentrepris contre un des piliers -certes branlant - de «l'American wayof life», une des premières tâchesconsiste à comprendre et expliquer:

analyser pour faire apparaître lesrouages du système, dénoncer lesvies pressurées, laminées, rognées,et éventuellement, être les grains desable perturbant le bon fonctionne-ment de la machine. Tenter de dé-crypter parce que, pour reprendreles mots d'une militante qui, malgréla complexité du sujet, s'est attelée àl'étude de la dette municipale, celaarrange bien les 1% que les 99% n'ycomprennent goutte.

Les membres surmotivé-e-s deStrike Debt saisissent donc toutesles occasions de partager le fruit deleurs recherches et leurs réflexions.Ainsi, le 17 septembre 2012, pourl'anniversaire d'OWS et après un étéde travail intense, est sorti leur ma-nuel du résistant, qu'ils distribuentgratuitement et qui est accessible en

ÉTATS-UNIS: LES «OBJECTEURS DE CRÉANCES» DE

STRIKE DEBT ORGANISENT LA RÉSISTANCE

par Stéphanie Jacquemont (CADTMBelgique)

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10

2. The Debt Resitors'Operations Manual, téléchargeable à l'adresse suivantehttp://strikedebt.org/#initiatives. Pour un résumé du manuel, lire «Manueldu résistant: morceaux choisis», http://cadtm.org/Etats-Unis-Les-objecteurs-de3. Voir http://university.nycga.net/4. “Debt is not personal, it is political. The debt system aims to isolate us,silence us, and scare us into submission with the all-powerful creditrating”, in “Strike Debt!”, Tidal, septembre 2012, p.10.

5. Cité par Normand Baillargeon, dans «Chomsky: misères et grandeur del'université», http://www.ababord.org/spip.php?article1309 (source: NoamChomsky, Permanence et mutations de l’université, PUQ, 2011).6. Voir à ce sujet Christopher Newfield, «La dette étudiante, bombe àretardement», Le Monde diplomatique, septembre 2012, p 4-5.7. «La dette ou le vol du temps», Le Monde diplomatique, février 2012,http://www.monde-diplomatique.fr/2012/02/LAZZARATO/47416

ligne sur leur site2. Ils/elles ont aussianimé plusieurs ateliers à la FreeUniversity organisée du 18 au 22septembre 2012 au Madison SquarePark à New York, et ont poursuivice travail d'éducation populairependant l'automne avec une séried'exposés et d'ateliers consacrés à ladette dans le cadre d'Occupy Uni-versité, l'université populaired'OWS3.

L e travail de ce collectif n'enest peut-être qu'à ses débuts,mais il est très enthousias-

mant et va déjà loin en termes de théo-risation du «système dette». «La dette,écrivent-ils/elles, n'est pas personnelle,elle est politique. Le système dette vise ànous isoler, à nous faire taire, et à noussoumettre par la peur des notes délivrées

par les toutes-puissantes agences de no-tation de crédit4». En effet, il faut sa-voir que des agences attribuent auxÉtats-unien-ne-s des notes selon unsystème très opaque et injuste, notesqui sont ensuite utilisées par lesbanques et autres établissements decrédit pour déterminer l'octroi ou nond'une carte de crédit, d'un prêt hypo-thécaire, le taux appliqué à tel ou telprêt, etc. De plus en plus, les em-ployeurs exigent même de voir cesnotes avant d'embaucher! Ou com-ment approfondir les inégalités en ren-dant l'emploi plus inaccessible, le cré-dit plus cher ou simplement interditaux plus pauvres.

La dette fonctionne clairementcomme un instrument de soumis-sion et de contrôle des populations,

qui oblige à accepter des jobs sous-payés ou dissuade de faire grèvepour revendiquer plus de droits parexemple. Ainsi, Noam Chomsky voitdans la dette faramineuse des étu-diant-e-s un moyen de faire rentrerles plus idéalistes dans le rang: «Si,pour aller à l’université, vous devezcontracter une dette importante, vousserez docile. Vous êtes peut-être allé àl’université avec l’intention de devenirun avocat qui défend des causes d’inté-rêt public: mais si vous sortez de làavec une dette de 100  000 dollars,vous devrez aller [travailler] dans unbureau d’avocats pratiquant le droitcorporatif. Et si vous vous dites: “Jevais y aller le temps de rembourser madette et ensuite je serai un avocat quidéfend des causes d’intérêt public”, ilssont assez brillants pour savoir qu’unefois que vous êtes piégé au sein del’institution, vous en assimilez les va-leurs et intériorisez bien d’autres chosesencore: et vous devenez un avocat quipratique le droit corporatif5».

Mais la dette est aussi un formi-dable moyen d'extorsion. Extorsiond'argent, mais aussi de travail, detemps, de possibilités à venir. Ainsi,la dette que les étudiant-e-scontractent pour suivre des forma-tions supérieures, parfois de trèsmauvaise qualité (notamment dansdes écoles privées à but lucratif6),peut être vue comme un achat detravail futur de ces mêmes étudiant-e-s. On se rapproche alors de l'idéedu vol du temps développée parMaurizio Larazzato7, qui voit dansl'endettement généralisé une «dépos-

STRIKEDEBT

LE MOUVEMENT PREND

DE L'AMPLEUR

Depuis la première assembléenew-yorkaise à l'été 2012, StrikeDebt a fait des émules: desgroupes sont nés à Chicago,Détroit, Minneapolis, Philadel-phie, Portland, Salt Lake City,San Francisco, ainsi qu'àLondres. En plus du manuelque les militant-e-s ont produit,ils/elles ont mis au point un kitavec des idées et méthodes re-productibles et adaptables pourqui voudrait créer son proprecollectif Strike Debt. A NewYork, des assemblées généralesse tiennent tous les mois, et al-ternent avec des «OpenHouse», portes ouvertes où lesintéressé-e-s peuvent découvrirle mouvement et ses actions.Des liens ont également été tis-sés en dehors du pays, parexemple avec la plateformed'audit citoyen en Espagne.

Le Rolling Jubilee est une autrede leurs initiatives, dont lesrésultats ont largement dépasséles attentes. Il s'agit de racheterà bas prix, sur le marché se-condaire, des dettes en défautpour ensuite les annuler. Plusde 500  000 dollars ont déjà étécollectés et devraient permettred'annuler quelque 10 millionsde dollars de dettes. En no-vembre, les premières dettes de44 débiteurs, d'une valeur de100  000 dollars, ont été rache-tées pour 5  000 dollars. Les 44personnes concernées ont reçuavant les fêtes un courrier deStrike Debt leur annonçant queleur dette venait d'être abolie.Si cette stratégie (utiliser lesrègles injustes d'un jeu qu'ondénonce par ailleurs) est criti-quable, elle a au moins la vertude casser le sentimentd'impuissance que partagentnombre de victimes du systèmedette. ‟ la dette est

aussi unformidablemoyen

d'extorsion „

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11Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

session […] de l'avenir, c'est-à-dire dutemps comme porteur de choix, de pos-sibles». D'où aussi, parmi les mili-tant-e-s, la référence très présente àl'esclavage, et ce d'autant plus que lesystème dette ne frappe pas indif-féremment les Blancs et les per-sonnes de couleur.

L es auteur-e-s du manuel ont,de leur propre aveu, été ame-né-e-s sur des terrains

qu'ils/elles n'avaient pas envisagés etdont le lien avec la dette n'était pas apriori évident. Sans doute était-ce sanssurprise pour nombreux d'entreeux/elles, mais il est vraisemblable quebeaucoup d'autres découvrent mainte-nant grâce à Strike Debt comment ladette prolonge et accentue la discri-mination contre les personnes de cou-

leur. La pratique du «redlining» ou du«reverse redlining» consiste ainsi à re-fuser l'octroi de prêts ou à offrir desconditions différentes selon le lieu devie de l'emprunteur/euse. Il va sansdire que les personnes vivant dans desquartiers où vit une majorité d'Afro-descendants ou d'enfants d'immigrésdevront payer des taux d'intérêt plusélevés. De même, les personnes de cou-leur voulant bénéficier de la procédurede faillite personnelle sous le chapitre138 ont 20% plus de risque que lesBlancs de voir leur dossier rejeté parle juge. Et l'on pourrait citer biend'autres exemples.. . Strike Debt résumele phénomène en ces termes: «L'endet-tement permanent est la caractéristiquedominante du mode de vie moderne auxÉtats-Unis. Pour contrôler le tout, undispositifparticulier propre aux États-

Unis est en place, dans lequel l'incarcé-ration de masse, la ségrégation raciale etla servitude de la dette se renforcent mu-tuellement9».

Un autre lien à ne pas oublier a parailleurs été développé dans un ar-ticle paru dans Tidal, la revued'Occupy Theory, par David Grae-ber, auteur de l'important ouvrageDebt: The First 5,000 Years (NewYork: Melville House Publishing,2011): celui entre la dette et l'exploi-tation de la nature. En effet, pourpayer un intérêt de x% sur unesomme empruntée, il faut produirex% de PIB supplémentaire. La dette,vue comme une «promesse de pro-ductivité future», alimente donc lacourse à la croissance et au produc-tivisme. Une raison de plus deconsidérer toutes ces dettes commelittéralement insoutenables (et, es-pérons, un moyen de rallier les éco-logistes à la cause).

Au commencement, la dettedes étudiants...

Le mouvement anti-dette a débutél'an dernier autour de la dette desétudiant-e-s. Une dette qui atteintdes proportions inquiétantes et quifait l'objet d'une attention particu-lière dans la presse. La dette étu-diante a en effet dépassé les 1  000milliards de dollars, soit plus que lesencours de dette liés aux cartes decrédit. Certains y voient même unemenace équivalente à celle qu'ontconstituée les crédits hypothécairessubprime dans un passé récent. Ilfaut dire que les conditions pour lesemprunteurs/euses sont sévères:contrairement à d'autres types dedette, la procédure de faillite estpratiquement impossible et il n'y apas non plus de prescription; parailleurs, la majorité des prêts étantdélivrés ou garantis par le gouver-nement fédéral, l’État met en œuvredes moyens considérables pour lerecouvrement, qui peuvent aller jus-qu'à la saisie d'une partie dessalaires, des remboursements d'im-pôts ou même des allocations pour

8. Il existe deux procédures de faillite, celle relevant du chapitre 7 et cellerelevant du chapitre 13 de la loi, la deuxième étant à bien des égardsmoins avantageuse et plus risquée. Pour Strike Debt, cette deuxièmeprocédure n'est rien moins qu'une arnaque. Voir le chapitre 10 de leurmanuel sur la faillite.

9. “Permanent indebtedness is the pre-eminent characteristic of modernAmerican life. Keeping all this in check is the peculiarly U.S.-specificapparatus, in which mass incarceration, racialized segregation ans debtservitude are mutually reinforcing”, in “Strike Debt!”, Tidal, septembre2012, p.10.

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10. Andrew Martin, “Collection Agencies Cashing In on Student LoanRoundup”, The New York Times, 9 septembre 2012.

11. Voir http://rollingjubilee.org/

personnes handicapées! Certes, desaménagements ont été prévus pourles étudiant-e-s ayant des petits re-venus ou se trouvant au chômage ouen incapacité de travailler, mais lemanque d'information des étudiant-e-s d'une part, et l'absence d'incita-tion financière pour les institutionsgérant cette dette à éviter le défautde paiement (voire la prime au re-couvrement après défaut! ) font quetrop peu d'étudiant-e-s recourent àcette solution. En ces temps de chô-mage important, et avec des frais descolarité toujours plus hauts, lenombre de défauts sur la dette étu-diante ne cesse d'augmenter. Près de5,9 millions de personnes dans lepays ont au moins 12 mois de retardsur les remboursements, un chiffreen hausse d'un tiers sur les cinqdernières années. Pour l'exercice2011, le montant moyen de dette endéfaut était de 17  005 dollars, et lessommes collectées par l'État ou lesagences travaillant pour son comptese sont élevées à 12 milliards de dol-lars10.

F ace à ce problème pressant,des militant-e-s d'Occupy sesont rassemblé-e-s autour de

l'Occupy Student Debt Campaign (cam-pagne d'Occupy contre la dette étu-diante), pour revendiquer une éduca-tion supérieure publique gratuite, desprêts étudiants à taux 0, l'ouverturedes comptes des écoles privées et àbut lucratif, et l'effacement des dettesexistantes. Un combat qui a logique-ment débouché sur la remise en caused'autres types de dettes et sur la dé-nonciation de l'enrichissement d'une

minorité par l'endettement de la ma-jorité.

Au-delà des actionsconcrètes d'entraide, desobjectifs ambitieux

Le groupe de Strike Debt a des ob-jectifs ambitieux: plus qu'un mouve-ment de débiteurs, il se veut unmouvement de résistance général àla dette, qui permette de modifier lediscours sur la dette et in fine, detransformer radicalement la société.

La résistance que Strike debt op-pose à la dette prend de nom-breuses formes, l'une d'entre ellesétant l'entraide. C'est notamment undes objectifs du manuel du résistant:offrir des informations et des solu-tions concrètes aux personnes en-dettées pour qu'elles puissent sebattre contre les créanciers. C'estégalement le sens du projet du«Rolling Jubilee», qui constitue par

ailleurs un moyen d'action directe:l'objectif est d'acheter à bas prix surle marché secondaire des dettes endéfaut pour ensuite les annuler11.

Bien sûr, la résistance va au-delà dela stricte question de la dette et in-clut la lutte pour la gratuité del'éducation, des soins de santé, etc.La question de la dette municipale,au nom de laquelle les autorités lo-cales licencient des fonctionnaires,gèlent leurs salaires ou réduisent lesservices fournis aux habitant-e-s, estaussi à l'ordre du jour, et le groupeStrike Debt y voit un sujet poten-tiellement très fédérateur (laquestion de la dette privée est par-fois perçue comme un problème de«classes moyennes», les populationsles plus marginalisées étant excluesde fait du circuit bancaire et du cré-dit).

L'objectif pour les militant-e-s deNew York est que le mouvements'étende à d'autres villes et États;Strike Debt s'inscrit d'emblée dansune perspective internationaliste etsouhaite également multiplier lescontacts avec les mouvements àl'échelle internationale qui partagentnombre de leurs revendications.Ils/elles portent d'ailleurs le carrérouge des étudiant-e-s québécois-eset ont repris à leur compte un slo-gan qui a fleuri dans les manifesta-tions grecques, portugaises, espa-gnoles, etc.: «On ne vous doit rien!».On ne peut qu'adhérer!

STRIKEDEBT

‟ Strike debtoffre des

informationset des

solutionsconcrètes auxpersonnes en-dettées „

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13Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

BRUXELLES 21 -22 NOVEMBRE 201 2LES CITOYEN-NE-S CONTRE LA DETTE

Les 21 et 22 novembre s'est tenue àBruxelles une réunion sur les initiativesd’audit citoyen de la dette en présence depersonnes engagées dans l’audit citoyenou qui veulent s’y investir afin d'échangersur les expériences acquises. Plus d’unesoixantaine de participant-e-s venu-e-s de

quinze pays d’Europe mais aussi d’Afriqueet d’Amérique latine1 ont répondu pré-sent-e-s à l’invitation du CADTM. Une oc-casion unique d’apprendre quel étaitl’état de ces initiatives dans chacun despays des participant-e-s, et de renforcerleur collaboration.

par Noémie Candiago (CADTMBelgique)

D epuis la débâcle bancaireet financière de 2008, lemot «dette» est sur toutes

les bouches et dans tous les journaux.Mais quelle réalité recouvre ce mot va-lise pour le moins opaque? Qu’est-cedonc que cette dette qui engloutit uneportion sans cesse grandissante desbudgets nationaux? Qui la détient?Qu’a-t-elle servi à financer? Voilà desquestions bien peu souvent relayéespar les médias et à laquelle nos gou-vernements se gardent bien de répondre.C’est pourtant une problématique quiinterpelle vivement les citoyen-ne-s,qui aimeraient bien «comprendre ladette». C’est avec cet objectif en têteque se sont formés ces dernières an-nées un peu partout en Europe, etailleurs, des collectifs d’audit citoyende la dette. Ces associations d’indivi-dus se réunissent pour analyser lesdettes de leurs États, de leurs localitésou encore des établissements qui gèrentleurs services publics, et ensuite inter-peller leurs concitoyens et pouvoirs pu-blics.

Acteurs à la fois de la recherche etde la conscientisation sur la dette,ces collectifs sont en demande d’uneplus grande collaboration à l’échellerégionale et mondiale entre ces di-verses initiatives. Asseoir et dynami-ser cette coopération était très préci-sément le but des deux journées detravail. L’idée était de permettre aux

militant-e-s engagé-e-s dans des pro-cessus d’audit de la dette de seréunir, de discuter des difficultésqu’ils rencontrent, des solutionsqu’ils proposent.

De grandes similarités apparaissententre ces mouvements, dont la pre-mière et la plus fondamentale résideprobablement dans leur ancrageprofondément citoyen. Comme lerésumera un activiste catalan, il n’ya, dans la plupart des cas, «pas decollaboration au niveau institution-nel», ces comités sont souvent desréseaux assez informels, nés d’un en-gagement associatif spontané. Unautre trait commun à la plupart descollectifs est leur grande méfiance àl’égard des instances gouvernemen-tales et des médias traditionnels. Oninsiste à de nombreuses reprises surle «big lie» (grand mensonge) queconstitue le discours officiel sur ladette. On critiquera aussi à plusieursreprises l’indicateur traditionnel duPIB et les outils statistiques, présen-tés comme une déformation et/ouune occultation de la réalité.

Si les mécanismes fondamentaux dedomination par la dette sont simi-laires dans tous les pays, il est cer-tain que les situations sociales dif-fèrent d’un pays à l’autre. Parexemple, la perception de la popula-tion sur la crise de la dette n’est pas

AUDIT

1. Étaient présent-e-s des délégué-e-s d’Espagne, du Portugal, de France,d’Italie, de Grèce, d’Irlande, du Royaume-Uni, de Belgique, de Tunisie, du

Maroc, du Brésil, d’Argentine, de Colombie, du Niger, de Côte d'Ivoire.

‟ De grandessimilaritésapparaissententre cesmou-vements, dontla première etla plus fon-damentale ré-side probable-ment dans leurancrage pro-fondément ci-

toyen „

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la même partout. Et les collectifsd’audit sont tous à des stades de dé-veloppement différents, certainspeinent à se constituer quandd’autres ont déjà produit des rap-ports, des outils, des actions renfor-çant leur processus d’audit citoyen.Il apparaissait important de confron-ter ces expériences pour peut-êtreéviter aux un-e-s les écueils qued’autres auraient déjà contournés.

L e premier problème rencon-tré par les collectifs tient àleur création puis à leur

pérennité dans le temps. Les collectifssentent clairement le fort potentiel mo-bilisateur de la lutte contre la dette. Cecombat peut unir et fédérer les diversesforces d’opposition. Tou-te-s les citoyen-ne-s sont les victimes en puissance despolitiques d’austérité. Mais la culturemilitante est lacunaire dans beaucoupde pays. Il est souvent difficile de mo-biliser la population, et encore plus derassembler des personnes motivéespour se lancer dans de la recherche defond, d’autant qu’il s’agit de travaillersur des matériaux abrupts pour le moinsdifficiles à appréhender, dans un do-maine où l'opacité règne et où le jar-gon complique la compréhension. Cepotentiel fédérateur de la lutte contrela dette la rend aussi vulnérable auxrécupérations politiques. Les partici-pant-e-s saluent l’appropriation de laproblématique par tous les pans de lasociété civile, syndicats, partis poli-tiques et associations diverses, mais re-lèvent l’importance de ne pas occulterderrière des luttes anti-austérité uneremise en cause structurelle des mé-canismes d’endettement.

Beaucoup de participant-e-s sontensuite confronté-e-s, dans la «vie»de leur collectif, à des difficultés decoordination entre les groupes lo-caux et nationaux. Ils rencontrent

des problèmes logistiques dans lamise en place d’un réseau effectif etefficace. Tou-te-s relèvent l’impor-tance primordiale de trouver des so-lutions locales propres tout enn’étant pas isolés des autres initia-tives, ni phagocytés par elles.

De façon générale, l’assembléesemble convaincue que l’audit, audelà de sa fonction plus «comp-table», est un puissant outil de sensi-bilisation. Il ne s’agit pas tant d’au-diter effectivement la dette qued’amener les citoyen-ne-s à s’empa-rer des problématiques de la financepublique et partant de s’approprierou se réapproprier la démocratie.Afin de toucher toujours plus de ci-toyen-ne-s, il est primordial demettre en commun les instrumentsque les collectifs ont développés.Voilà qui sera vraiment le motd’ordre de la rencontre: il fautconsolider les échanges et créer unvrai réseau de collectifs d’audit. Carles résultats dans chacun desgroupes sont bien là. Tous ont créédes sites web relayant l’état de leurrecherche et leurs avancées. Au delàde ces plate-formes médiatiques, onrelève trois types d’instruments qu’ilserait définitivement utile de mettreen commun: les outils pédagogiquesdestinés à faire comprendre les en-jeux de la dette et ses mécanismes,les méthodologies didactiques etconcrètes pour auditer une detteproposées par certains collectifs, lesrapports présentant les résultats ob-tenus par d'autres.

Un après-midi fut également consa-cré à une réflexion de fond sur lescritères utilisés par les différentesparties prenantes pour caractériserune dette comme étant illégitime,odieuse et/ou illégale. Les partici-pants ont relevé l’importance de

trouver des définitions communes.Délégitimer la dette est avant toutun processus politique, qui devraitpermettre aux citoyen-ne-s de se ré-approprier les décisions tenant aufinancement de leur vivre-ensemble.Il apparaît donc très important defonder les annulations de dette surune argumentation de droit, maismoins sur de la technique juridiqueque sur une théorie de la justice re-visitée. Il s’agit de garantir auxfemmes et aux hommes le respect deleur volonté et aspirations. Toutefois,des interrogations et des incertitudesdemeurent. On se demande com-ment identifier les créanciers dansun système où le secret est garantipar des systèmes d’écran (les clea-ring houses, chambres de compensa-tion) et par les dispositions légalesen faveur du secret bancaire. Maisaucun-e des participant-e-s n’estprêt-e à la résignation, et les propo-sitions pour contrer ces diverses dif-ficultés fusaient déjà à la sortie de lasalle.

Finalement, cette réunion de travailaura définitivement permis de rap-procher ces citoyen-ne-s engagé-e-sdans la lutte contre les dettes illégi-times. Tou-te-s désirent continuer àtravailler ensemble et enrichir leursluttes locales à partir des expé-riences des un-e-s et des autres. Lesenseignements ont été riches et lesparticipants en ressortiront avec unedétermination renforcée de com-battre les mécanismes d’oppressionqui bafouent les droits fondamen-taux des femmes et des hommes quipeuplent la planète.

AUDIT

Page 15: Les Autres Voix de la Planète - N°57

15Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

GRANDS PROJETS

ET DETTE PUBLIQUE

Nombre de grands projets - barrages,centrales nucléaires, aéroports, auto-routes, méga-centres commerciaux, etc. -sont inutiles, ruineux en fonds publics,socialement injustes, écologiquementdestructeurs ou dangereux, et excluent

les populations de la prise de décision.Nous publions ici un article offrant troisexemples emblématiques du grand projetinutile, imposé (GPPI) et générateur dedettes illégitimes qu'il convient de dénon-cer!

GAS-PILLAGES

par Jean-Denis Gauthier (CADTMFrance)

D epuis la pyramide deChéops, le grand projetmanifeste la mégalomanie

des puissants et commande l’admira-tion des directeurs de conscience à leurservice. L’industrialisation lui a donnéun tour utilitaire, l’économie de ser-vices qui lui a succédé le pare au-jourd’hui des atours de l’intérêt géné-ral. Mais qui dit grand projet ditinvestissement et dit endettement. Lechemin de croix du développement duTiers-Monde, l’organisation des jeuxolympiques, les illusions linéaristes surle devenir économique en fournissentles exemples.

Les barrages d’Inga

Après avoir été forcé de reprendre ladette du colonisateur belge, sous lapression de la Banque mondiale etdes théories du développement parl’industrialisation, le Congo du dic-tateur Mobutu reprit un projet conçuentre les deux guerres mondiales etlancé en 1957 par le même colonisa-teur: les barrages d’Inga, sur le coursinférieur du Congo. Inga I, d’unepuissance de 351 MW, a été mis enservice en 1972; Inga II, 1424 MW,en 1982. Leur rationalité dépendaitde la présence d’industries consom-matrices intensives d’énergie àproximité qui n’existaient pas etn’existent toujours pas. Inga devaitdispenser l’électricité à tout le pays.En raison de malfaçons et par défautd’entretien, les deux centrales netournent plus qu’à 20% de leur capa-cité.

De 1970 à 1982, la dette publiqueexterne de la RDC est passée de 307à 4071 millions de dollars courantset le service de la dette de 34 à 128millions. La moitié de son augmen-tation est attribuée aux barragesd’Inga. La valeur ajoutée de la pro-duction manufacturière, qui re-présentait 15,2% du PIB en 1980, enreprésentait 5,5% en 2009. Les moinscritiques des observateurs estimentla part de la population fournie enélectricité à 11%. Des projets de réha-bilitation d’Inga I et II, évalués à 550millions de dollars, de constructiond’Inga III et du Grand Inga, pourdes coûts de 5 et 50 milliards dedollars, sont dans les cartons. L’opé-rateur sud-africain Eskom en est de-mandeur, mais ces projets sont irra-tionnels au point que BHP Billiton y

a renoncé. En outre, la populationcongolaise n’en est pas demandeuse.Inga n’a en rien contribué à l’indus-trialisation de la RDC ni donné ac-cès à l’électricité à la population. Enrevanche, sa contribution à l’alour-dissement de la dette publique estindéniable.

Ici se manifeste une caractéristique,que l’on retrouvera, du grand projet:il est mené au mépris des popula-tions qu’il concerne. Il a été estiméqu’entre 40 et 80 millions de per-sonnes ont été déplacées à cause desgrands barrages pendant le 20èmesiècle.

Les jeux olympiquesd’Athènes

L’organisation de jeux olympiquesest un type de grand projet quiparaît aujourd’hui s’imposer de lui-même. La mégalomanie des puis-sants y trouve un terrain d’affronte-ment, la plus épaisse fierté nationaleune occasion d’expression. Par unesorte d’absurdité chronologique, laGrèce avait le devoir d’organiserceux de 2004..Évalués au départ à 4,6 milliards dedollars, ils en ont coûté finalement13, dont 7 à la charge de l’État. Lesspectateurs du film Debtocracy ontpu voir le ministre des financesd’alors affirmer que l’État n’avaitaucun problème pour financer cesjeux. En effet, l’État empruntait alorssans difficultés. Les raisons du déra-

‟ Inga n’a enrien contribuéà l’industriali-sation de laRDCni donné

accès àl’électricité àla population „

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page des coûts importent peu en re-gard de la décision de les organiser.Entre la fin de l’année 2000 et cellede l’année 2004, la dette publiquede la Grèce est passée de 139 à 201milliards d'euros. L’organisation desjeux ne contribue qu’au dixième en-viron de cette augmentation, encorequ’il n’en faut pas négliger les coûtsde fonctionnement, eux aussi finan-cés par l’emprunt. Les inévitablesPangloss remarquent que ces jeuxont donné lieu à la constructiond’infrastructures telles qu’autoroutes,aéroport, métro, tramway, financéspour moitié par l’Union européenne.On voit aujourd’hui que ces infra-structures n’ont pas empêché la dettede produire ses effets.

L ’organisation de ces jeux n’aen rien contribué à l’amélio-ration de la situation de la

Grèce et de sa population. C’est là uneautre caractéristique du grand projet:s’il est indéniable qu’il satisfait quelquesintérêts particuliers, en dépit des allé-gations invariables de ces intérêts, ilne sert jamais l’intérêt général.

L’aéroport de Notre-Damedes Landes

Ce grand projet a été conçu en 1974par des élus et des entrepreneurs desrégions Bretagne et Pays de la Loire.Il consiste à transférer le trafic aé-rien de l’aéroport de Nantes-At-lantique, au sud proche de Nantes, àNotre-Dame des Landes, communebocagère située à une trentaine dekilomètres au nord de la ville. Il està noter que l’aéroport actuel a étéclassé meilleur aéroport de Franceen 2011. Le projet postule l’insuffi-sance prochaine de Nantes-At-lantique et le développement continudu transport aérien. On reconnaît làles illusions linéaristes sur le deveniréconomique, la croyance béate dansla prolongation de la tendance encours.

Dès 1975, le Bureau Études et Ana-lyses du journal régional Ouest-France avait conclu, après une en-quête de terrain, à l’irrationalité duprojet. La montée en puissance dumaire de Nantes, devenu depuis pre-mier ministre, a réactivé un projetqui végétait. En 2008, une déclara-tion d’utilité publique (DUP) a validé

le projet. L’État a concédé laconstruction et l’exploitation augroupe Vinci (2010).

L’évaluation du projet par la DUPconcluait à un bénéfice net de l’opé-ration de 607 millions d'euros et àun coût de 330 millions d'euros pourles pouvoirs publics. En octobre 2011est paru un rapport du bureau d'en-quête néerlandais CE Delft portantsur l’examen de l’analyse globaleCoûts/Bénéfices (SCBA) du projet etsa comparaison avec des améliora-tions sur l’aéroport de Nantes-At-lantique. Ce rapport a été comman-dé à un collectif d’élus opposé auprojet, le CédPa. Il met en lumièredes biais, des erreurs et des lacunessuffisants pour remettre en cause laDUP. La surestimation des avantagesque procurerait le nouvel aéroportest évidente. Avec une évaluationréaliste de ces avantages, le résultatnet de l’opération serait un déficit de91 millions pour un endettement pu-blic de 304 millions. Une évaluationtenant compte des traits récurrents(surcoûts) des grands projets porte-rait ce déficit à 614 millions pour unendettement public de 757 millions.Toujours selon ce rapport, l’amélio-

ration du site de Nantes-Atlantiquepourrait générer un bénéfice de 106à 158 millions pour un coût publicde 93 à 134 millions.

Sur le terrain, les agriculteurs mena-cés par le projet et les militants en-vironnementalistes qui s’y opposent,mobilisés depuis une décennie pourles premiers, sont aujourd’hui vio-lemment confrontés à un dispositifpolicier chargé de protéger les inté-rêts du concessionnaire Vinci. Lesélus promoteurs du projet, àcommencer par l’actuel premier mi-nistre et son successeur à la prési-dence du Conseil régional des Paysde Loire, ignorent le rapport de CEDelft comme ils ont ignoré les élusdu CédPa. Leur mégalomanie et leurconnivence avec le concessionnaireleur tiennent lieu de raison.

En dépit de sa relative modestie, ceprojet confirme les grands traits dugrand projet: mégalomanie des déci-deurs politiques, mépris des popula-tions, attitude foncièrement anti-dé-mocratique, service des intérêts desgrandes entreprises et de leurs ac-tionnaires, endettement des pouvoirs

publics. �

GAS-PILLAGES

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17Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

ARGENTINE ET FONDS VAUTOURSLE PRIX À PAYER POUR N'AVOIR PAS AUDITÉ LA DETTE

Eduardo Lucita, membre du collectifargentin des Économistes de Gauche(EDI), livre son point de vue sur l'attaqued'un fonds vautour dont l’Argentine arécemment été la cible1, en lien avec lasuspension de paiement sur sa dette déci-dée en 2001, et avec les renégociations dedettes de 2005et 2010 dont les conditions,avantageuses pour les créanciers et préju-diciables pour le pays, ne sont pas sansrappeler les plans de refinancementsimposés à la Grèce (voir les articles p.20et 21). L'expérience argentine peut êtresource d'inspiration pour l'Europe, sou-

mise au nom du paiement de la dette àdes plans d’austérité sur le modèle desplans d’ajustement structurel supportésdepuis trente ans par les pays du «Sud» dela planète. L’expérience argentine nelaisse aucun doute quant à l’inutilité desrestructurations de la dette: loin de ré-duire le corset financier, ces programmeséternisent le tribut qu'un pays doitrendre aux créanciers. Elle indique à l'in-verse que la suspension de paiement estréalisable, opportune, et qu'un audit dela dette s'impose.

par Eduardo Lucita

Ne pas auditer la dette est unchoix lourd de conséquencesdont nous faisons aujourd'hui lesfrais. Il faudrait réaliser ce travail- en commençant par annuler ladette qui implique un renonce-ment à notre souveraineté - etcesser de dépenser une parténorme de nos maigres res-sources en procès aux États-Unis.

L a saisie de la frégate Liber-tad et la sentence de la Courd'Appel de New York en fa-

veur des fonds vautours ont mis le gou-vernement national dans une situationdifficile, bien que le pays affiche unratio dette/PIB et une capacité de paie-ment solides. En fait, le gouvernementpaie aujourd'hui pour n'avoir pas au-dité sa dette hier.

En février 2012, le juge fédéral deNew York, Thomas Griesa, décidaitd'accorder le même traitement auxdétenteurs de bons qui n'ont pasaccepté les échanges de 2005 et20102 qu'à ceux qui s'y sont prêtés.Le 3 octobre dernier, le navire Li-bertad est retenu par les autoritésghanéennes dans un port du Ghanaà la demande du fonds spéculatifNML Capital Limited, dirigé par le

ARGENTINE

1. Sur l'Argentine et les fonds vautours, lire Stéphanie Jacquemont, «Cesvautours qui veulent la peau de l’Argentine»,http://cadtm.org/Ces-vautours-qui-veulent-la-peau2. Pour plus d’informations sur ces deux échanges, lire notammentEduardo Lucita «La dette argentine est de retour», 28 juillet 2008,

http://www.cadtm.org/La-dette-argentine-est-de-retour et Claudio Katz etal. «Considérations sur l’échange de dette et ses implications. Lesbanquiers se réjouissent. Le pays s’endette. Est-il devenu progressiste depayer sa dette?», 27 juin 2010, http://www.cadtm.org/Les-banquiers-se-rejouissent-Le (NdT).

COUPER LES AILES AUX

FONDS VAUTOURS!

La lutte contre les fonds vautoursdoit se mener partout, au Sudcomme au Nord. Pour être efficace,les États ont intérêt à:- adopter immédiatement des lois, àl'instar de la Belgique1 et duRoyaume-Uni2, tout en les renfor-çant compte tenu de la portée limi-tée de ces lois.- réhabiliter la doctrine Calvo3. Se-lon cette doctrine, tous les biens,corporels, incorporels, matériels et

immatériels, sont soumis à la loi del’État souverain et en cas de dif-férends, ce sont les tribunaux na-tionaux qui sont compétents. C’estce qu’à fait l’Argentine en 2000avec la sentence Olmos, qui a dé-claré l’illégalité des dettes contrac-tées par la junte militaire.- mener un audit des dettes pouridentifier les dettes odieuses et illé-gitimes, et ainsi fonder leur annu-lation. En effet, la plupart desdettes à l'égard des fonds vautourssont odieuses et illégitimes.

1. La Belgique s'est dotée en 2008 d’une loi avecpour article unique une disposition forte pourlutter contre ces fonds: «Les sommes et les biensdestinés à la coopération internationale belgeainsi que les sommes et les biens destinés à l’aidepublique belge au développement - autres queceux relevant de la coopération internationalebelge - sont insaisissables et incessibles». Cette loine concerne que les fonds belges et ne bloquedonc que très partiellement l’action des fondsvautours qui n’ont qu’à se tourner vers d'autrespays pour saisir d’autres biens au vol.2. Le Royaume-Uni a adopté en 2011 une loi quiplafonne le montant que peuvent réclamer lesfonds vautours devant les tribunaux anglais. Cetteloi ne s'applique qu'aux dettes contractées dans le

passé par les pays classés PPTE (Pays PauvresTrès Endettés) ayant atteint le point d'achèvementdécidé par le FMI et la Banque mondiale. Elle nes'applique pas dans les territoires d'outre-mer etles dépendances de la Couronne comme Jersey.3. Établie en 1863 par le juriste et diplomateargentin Carlos Calvo, cette doctrine de droitinternational prévoit que les personnes physiquesou morales étrangères doivent se soumettre à lajuridiction des tribunaux locaux pour lesempêcher d’avoir recours aux pressionsdiplomatiques de leur État ou gouvernement.Cette doctrine s'est matérialisée dans du droitpositif, par exemple dans la résolution 1803 surles ressources naturelles (1962) et la Charte desdroits et devoirs économiques des États (1974).

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multimillionnaire Paul Singer. Le 24octobre, la Cour d'Appel de NewYork confirmait la décision du jugeGriesa dans un jugement favorableaux fonds vautours. Le prix desbons d'État s'est effondré, le «risquepays» - un indicateur qui en réalitén'indique rien - est monté en flècheet le prix des assurances contre unéventuel défaut de paiement a at-teint son niveau le plus élevé depuis2009.

De quel défaut parle-t-on?

P ersonne n'envisage un nou-veau défaut de l'Argentine,cependant la présidente s'est

sentie obligée de confirmer qu'ellecontinuera à payer religieusement ladette, comme elle l'a fait jusqu'ici.S'acquitter du service de la dette re-présente toujours une lourde charge:selon le budget 2013, les rembourse-ments s'élèveront à 8 milliards de dol-lars et le gouvernement contractera 15milliards de nouvelles dettes. La rela-tion dette/PIB est cependant parmi lesplus basses au monde (41,5%) et le ra-tio dette/exportations est de 10%. Lemontant considéré exigible, aux mainsde détenteurs de bons privés, ne re-présente que 13% du PIB et sera del'ordre de 8% fin 2012. La dette pu-blique nationale est composée pourmoitié de dette interne (à l'égard debanques et autres institutions natio-nales: ANSES, BCRA, Banco Nación),plus gérable que la dette externe, dansl'immédiat tout au moins. Rappelonsqu'aucun pays ne «fait défaut» sur samonnaie.

Frictions avec l'impérialis-meComment comprendre ce qu'il sepasse? Sans être un gouvernementanti-impérialiste, le gouvernementKirchner cumule les tensions avecles organismes internationaux.L'Argentine est peut être l'uniquepays à avoir renationalisé son sys-tème de sécurité sociale. Elle met encause le FMI et les agences de nota-tions, les traités bilatéraux d'in-vestissement (TBI), sans pour autantles dénoncer. Elle se distingue par

ses discours au sein du G20 et de laFAO, suscite des controverses àl'OMC et au Centre international derèglement des différends liés à l'in-vestissement (CIRDI), essuie desprocédures intentées par les fondsvautours devant la justice améri-caine et limite le rapatriement desbénéfices. En Amérique latine,l'Argentine participe à l'impulsionde l'Unasur et a fortement dénoncéles coups d’État au Honduras et auParaguay. Ces faits pèsent plus lourdpour l'Argentine que les faveursqu'elle concède aux multinationales,que d'envoyer sa présidente sonnerla cloche à l'ouverture de la boursede New York, que les paiementscomptants et anticipés au FMI, oul'adoption téléguidée par Washing-ton de la Loi Anti-terroriste3.

Depuis que l’État national a récu-péré des mains de Repsol les actionsde YPF et que le représentant argen-tin aux Nations Unies fut parmi lesrares à ne pas déserter l'enceinteonusienne lors de l'allocution duprésident iranien, les démêlés sesont accrus. Et plus encore mainte-nant que l'Argentine a rouvert lesnégociations avec l'Iran4.

Sans tomber dans des visionsconspiratrices, si chères au péro-nisme, il n'est pas insensé de penserque l'attaque des fonds vautours, lesaccusations contre le gouvernementtaxé d'être «chaviste» (difficile à sou-tenir) et les actions légales contrel'Argentine qui se sont succédé enun éclair le mois précédent la mobi-lisation du 8 novembre («8N»), sontcombinées et visent en réalité à faireéchouer celle du «7D»5.

Le prix à payer pour n'avoirpas audité la detteLe fait de n'avoir pas audité la detteet d'avoir opté - des propres mots dela présidente - pour la «restructura-tion de la dette externe la plusimportante de l'histoire», est égale-ment lourd de conséquences.Le défaut argentin est incontestable-ment parmi les plus importants de

l'histoire, de même que la remise dedettes, les bas taux d’intérêts etl'extension des délais de paiementsobtenus. Mais pour rendre attractivecette «brillante» restructuration,acceptée par 93% des créanciers, desclauses véritablement préjudiciablesont été incluses, que nous avonsalors durement critiquées en tantque membres des Économistes deGauche. L'ajustement des intérêts auCER (un coefficient calculé avec letaux d’inflation) pour les bons émisen pesos, et l'indexation sur lacroissance du PIB des coupons desbons émis en devises se sont avérésextrêmement onéreux. En outre, lesbons issus de l'échange ne sont plusde la compétence des tribunauxargentins en cas de litige mais detribunaux d'autres pays, ce dont jen'avais alors pour ma part pas prisla mesure et dont on réalise au-jourd'hui qu'il s'agit d'un transfertmanifeste de notre souveraineté ju-ridique.

Selon les chiffres officiels, la dettepublique atteignait 182,7 milliardsde dollars au 30 juin 2012. Ce mon-tant inclut la dette à l'égard du Clubde Paris qui s'élève à 6,5 milliards,mais n'inclut pas les intérêts échus,les 11 milliards dus aux détenteursde bons qui ont refusé l'échange(principalement des fonds vautours)ni les paiements correspondants auxcoupons basés sur l’évolution du PIBà faire en cette fin d'année. Cessommes ajoutées, la dette dépassedés lors largement les 150 milliardsauxquels elle se montait suite à larestructuration.

L'auditLa situation aurait été tout autre sil'Argentine avait mis à profit le dé-faut de paiement, qui dura 38 mois,pour procéder à un audit de ladette, afin de définir la part dontelle doit effectivement s'acquitter etla part illégitime. On nous opposerégulièrement qu'après tantd'échanges et de restructurations,on perd tout trace de la dette origi-nelle. Cela reste à démontrer, et si

ARGENTINE

3. La Loi Anti-terroriste est une réforme du Code Pénal adoptée en juin2007 par le Congrès argentin et modifiée en décembre 2011, sous la pres-sion du Groupe d'action financière (GAFI, organisme intergouvernementalqui a pour objectif de concevoir et de promouvoir des politiques de luttecontre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) et desÉtats-Unis. Des organisations de défense des droits humains et des ju-ristes argentins mettent en garde contre les conséquences de la nouvelleloi, craignant qu'elle puisse être détournée pour criminaliser la protesta-

tion sociale (NdT).4. La ,justice argentine soupçonne Téhéran d'être impliqué dans l'attentatcontre la Mutuelle juive argentine Amia, à Buenos Aires en 1994.L'Argentine et l'Iran ont entamé des négociations en octobre 2012 afin dedéfinir un mécanisme judiciaire qui ne soit pas en contradiction avec lesprocédures légales des deux pays (NdT).5. Le 8 novembre a été jour de cacerolazos dans tout le pays à l'appel dedivers réseaux sociaux pour manifester contre le gouvernement. L'appel

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19Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

tel est le cas, on pourrait tout aumoins juger et condamner, commeen Islande, les fonctionnaires quiont agi à l'encontre des intérêts na-tionaux pendant des décennies. Legouvernement gagnerait ainsi enautorité morale pour faire face auxvautours de l'intérieur et de l'exté-rieur.

L a dette à l'égard du Club deParis est pour sa part viergede toute restructuration. Il

n'y a dès lors aucune excuse pour nepas l'auditer, d'autant qu'en l'oc-currence, il semblerait qu'une part dessommes prêtées ne soit jamais entréedans le pays.

Recouvrer la souverainetéNous faisons aujourd'hui les frais dela décision de ne pas auditer de ladette. L'Argentine devrait auditerau plus vite la dette (en commen-çant par répudier la part qui im-plique une perte de sa souveraineté),dénoncer les traités bilatéraux d'in-vestissement déjà arrivés à échéanceet annuler ceux restants, se retirerdu CIRDI (comme l'ont fait la Boli-vie, l’Équateur et le Venezuela; leBrésil n'y a pour sa part jamaisadhéré) et cesser de dépenser unepart énorme de nos maigres res-sources en procès aux États-Unis.Elle affecterait par là des intérêtstrès puissants, mais poserait un actede souveraineté.

En outre, c'est une bataille interna-tionale, c'est à ce niveau qu'elle doitse résoudre. L'Argentine doit appe-ler l'Unasur à se prononcer contre lejugement en faveur des fonds vau-tours. Elle doit s'allier aux forcespolitiques et sociales qui luttent enGrèce, en Espagne, au Portugal, enIrlande, etc., contre la dette et sonlot de conditionnalités, de réformesstructurelles et d'appauvrissementde leurs sociétés. C'est un processusque l'Amérique latine connaît bien.

�Traduction: Cécile Lamarque

pose notamment comme mots d'ordre une démocratie sans corruption,sans clientélisme et s'oppose à la réforme de la Constitution qui ouvriraitla voie à une éventuelle réélection de Cristina Fernández. Voirhttp://argentinosindignados.com/. La mobilisation du 7 décembre se te-nait en défense de la démocratisation des médias et de la Loi de Servicesde communication audiovisuelle (Ley de Servicios de Comunicación Audiovi-

sual) adoptée en 2009 et à laquelle s'opposent les grands groupes de mé-dias. Le 7 décembre devait marquer la pleine entrée en vigueur de celle-ci, reportée suite à une décision de la Chambre civile et commerciale fé-dérale. Lirehttp://fr.rsf.org/argentine-pluralisme-des-medias-une-06-12-2012,43767.html (NdT).

FONDS VAUTOURS: MODE

D'EMPLOI

Les fonds vautours1 sont desfonds d’investissement spécula-tifs, majoritairement basés dansles paradis fiscaux. Ils tiennent cesurnom de leur pratique quiconsiste à racheter à prix bradésdes créances d’un pays jugées ir-récouvrables, pour ensuite lescontraindre par voie judiciaire àles rembourser au prix fort, c’està dire le montant initial desdettes augmentées d’intérêts, depénalités et de divers frais dejustice.Ils refusent de participer avec lesautres créanciers aux négocia-tions de restructuration de ladette du pays concerné.Ils poursuivent le pays débiteurpour l’essentiel soit à New York,soit au Royaume-Uni car le droitanglo-saxon est particulièrementprotecteur des intérêts des créan-ciers. Les fonds vautours ob-tiennent parfois du tribunal de-vant lequel est menée l’action enjustice le statut de créanciers pri-vilégiés: ils seront alors rembour-sés avant les autres. Le pays débi-

teur craignant de mettre en périlsa crédibilité sur les marchés fi-nanciers accepte de rembourserle fonds vautour en priorité.En général cependant, pour ob-tenir le paiement effectif, lesfonds vautours tentent plutôtd’obtenir un titre exécutoire - uneastreinte - qui leur permet desaisir ou faire peser une menacede saisie sur les actifs du pays(physiques ou bancaires) qui setrouvent à l’extérieur de son ter-ritoire. L’État en défaut est alorscontraint d’honorer sa créancepour récupérer ses actifs car lefonds vautour peut dans le cascontraire liquider l’actif et serembourser par le produit de savente.Bilan de la manœuvre pour lefonds: réalisation d’une gigan-tesque plus-value entre le prix derachat de la créance et le paie-ment obtenu, sans aucune consi-dération pour les conséquencessociales de cet acte. Leur dé-marche s’apparente donc à uneextorsion de fonds sur les écono-mies des pays, tout en n’étant pasfrappée d’illégalité à quelques ex-ceptions près.

1. Pour plus d'informations, lire le rapport de laPlateforme française Dette et Développementet du CNCD-11.11.11, Un vautour peut en cacher

un autre: ou comment nos lois encouragent les pré-dateurs des pays pauvres endettés, juin 2009.

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BONNE NUIT GRÈCE,BONJOUR COLONIE!

L e 27 novembre, le Conseildes Ministres des Financesde la zone euro a fait part

de sa décision concernant la dette pu-blique de la Grèce. Cette décision,mortelle pour la situation budgétairede la Grèce, détruit les conditionsd'existence de la population, faisantpasser ses intérêts après ceux descréanciers. Elle est censée alléger ladette grecque de 40 milliards d'euros,ceci en diminuant les taux d'intérêts,en prolongeant les délais pour le rem-boursement d'intérêts, en offrant lapossibilité de racheter la dette et enreportant la date d'échéance. D'autrepart,- Elle impose des mesures d'austéri-té horribles, qui incluent des réduc-tions encore plus importantes dessalaires et des pensions, des coupessupplémentaires dans les dépensessociales, des licenciements massifsde fonctionnaires, etc.;- Elle regorge d'inexactitudes etnage dans le flou quant aux me-sures prévues, par exemple sur lapossibilité de rachat de dette quipourra ou non être réellement misen œuvre, en tout cas pas pour lemontant actuellement prévu;- Elle augmente la dette publiquede 43,7 milliards d'euros, ce quiéquivaut au montant de la nouvelletranche de prêts. Ainsi, elle fait pe-ser de nouvelles obligations sur lescontribuables et les travailleurs, enplus des 148,6 milliards que laGrèce a déjà empruntés à la Troïka(126,9 auprès de l'Eurozone et 21,7auprès du FMI). Ces prêts consti-tuent dans leur entièreté une detteodieuse et illégitime.- Elle aggrave le caractère illégitimede la dette publique grecque,puisque 23,8 milliards d'euros enattente de décaissement en

décembre vont être envoyés vers lesbanques, sous le régime de recapita-lisation bancaire, et ne vont couvriraucun besoin budgétaire. Les dettesdes banques sont donc socialiséesalors que les profits restent privés.- Elle ne règle en aucune manière leproblème de la soutenabilité de ladette publique. D'après les estima-tions de la Troïka elle-même, ladette approchera les 175% du PIB en2016, et tombera à 124% après 2020.Mais elle était à ce niveau en 2009,avant tous les paquets de «stabilisa-tion».- Elle n'impose pas, laissant celapour le futur, la nécessaire réduc-tion de la dette grecque. En fait, ellefait dépendre la réduction de ladette de développements politiquesen Allemagne, puisqu'elle est envi-sagée après les élections allemandesd'octobre 2013.- Elle prend la société grecque enotage, et ce de manière officielle, àtravers la nomination de gestion-naires étrangers et l'ouverture offi-cielle d'un compte de séquestrationsur lequel seront placés tous les ver-sements de prêts, à côté de touterentrée provenant de privatisationset tout excédent budgétaire. Cesfonds seront uniquement utiliséspour le remboursement de la dette.- Elle laisse la porte grande ouverteà toujours plus de mesures d'austéri-té, mises en œuvre via des «mé-canismes structurels» qui visent évi-demment à garantir la réalisationdes objectifs budgétaires. Puisque larécession subsistera au moins jus-qu'en 2014, la décision de l'Euro-groupe signifie des réductions auto-matiques dans les salaires et lespensions.- Elle permet, par l'«ambiguïté créa-tive» des termes employés, que cesoient les banques et les fonds de

pensions grecs qui rachètent ladette. Ceci va entraîner la dissolu-tion du système de pension grec etla déshellénisation précipitée desbanques grecques.

Pour toutes ces raisons, la Cam-pagne d'audit de la dette grecquepense que la décision du Conseildes Ministres des Finances de l'Eu-rogroupe approfondit plutôt qu'ellene résout la crise financière, et doitdonc être refusée par la population.

La Campagne d'audit de la dettegrecque souligne que l'affrontementavec les créanciers, c'est-à-dire leFMI et l'UE, qui ont absorbé la ma-jorité de la dette publique grecque,est inévitable. Résister à ces créan-ciers usuriers comprend la suspen-sion des paiements du capital et desintérêts, et l'annulation unilatéraledes Accords de Prêts et du Mémo-randum dans des termes d'étatsouverain. Seule cette voie peut me-ner à la nécessaire annulation de laplus grande partie de la dette pu-blique.Il est nécessaire et urgent demettre en place une Commissionindépendante d'Audit qui ouvrirales livres de comptes de la dettepublique!

Cette décision de l'Eurogroupenuit aux contribuables et aux fi-nances publiques!

La dette est illégale!

Désobéissez aux créanciers!

Traduction: Jérémie Cravatte

Communiqué de la Campagne d'audit de la dette grecque suite à la décision de l'Euro-groupe du 27novembre 2012

GRÈCE

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21Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

GRÈCE-ALLEMAGNE: QUI DOIT À QUI?L’ANNULATION DE LA DETTE ALLEMANDE

À LONDRES EN 1 953

L’accord de Londres de 1953sur la dette allemande

L ’allègement radical de la dettede la République fédéraled’Allemagne (RFA) et sa re-

construction rapide après la secondeguerre mondiale ont été rendus pos-sibles grâce à la volonté politique deses créanciers, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occiden-taux (Grande-Bretagne, France). En oc-tobre 1950, ces trois alliés formulentun projet dans lequel le gouvernementfédéral allemand reconnaît l’existencedes dettes des périodes précédant etsuivant la guerre. Les alliés y joignentune déclaration signifiant que  «les trois

par Éric Toussaint (CADTMBelgique)

Depuis 2010, dans les pays les plus forts dela zone euro, la plupart des dirigeants po-litiques, appuyés par les médias domi-nants, vantent les mérites de leur suppo-sée générosité à l’égard du peuple grec etd’autres pays fragilisés de la zone euroqui font la une de l’actualité (Irlande,Portugal, Espagne…). Dans ce contexte,on appelle «plans de sauvetage» des me-sures qui enfoncent encore un peu plusl’économie des pays qui les reçoivent etqui contiennent des reculs sociaux inéditsau cours des 65 dernières années en Eu-rope. S’y ajoute l’arnaque du plan de ré-duction de la dette grecque adopté enmars 2012 qui implique une réduction descréances dues par la Grèce aux banquesprivées de l’ordre de 50%1 alors que cescréances avaient perdu entre 65 et 75% deleur valeur sur le marché secondaire. Laréduction des créances des banques pri-vées est compensée par une augmentationdes créances publiques aux mains de laTroïka et débouche sur de nouvelles me-

sures d’une brutalité et d’une injusticephénoménales. Cet accord de réductionde la dette vise à enchaîner définitive-ment le peuple grec à une austéritépermanente, confirmée une nouvelle foisdans la décision de l'Eurogroupe de no-vembre 2012 (voir le communiqué p.20);il constitue une insulte et une menacepour tous les peuples d’Europe etd’ailleurs. Selon les services d’étude duFMI, en 2013, la dette publique grecquereprésentera 164% du Produit intérieurbrut, c’est dire que la réduction annoncéeen mars 2012 n’aboutira pas à un allège-ment réel et durable du fardeau de ladette qui pèse sur le peuple grec. C’estdans ce contexte qu’Alexis Tsipras en vi-site au Parlement européen le 27 sep-tembre 2012 a souligné la nécessité d’unevéritable initiative de réduction de ladette grecque et s’est référé à l’annulationd’une grande partie de la dette allemandedans le cadre de l’accord de Londres defévrier 1953. Revenons sur cet accord.

1. Les créances des banques privées sur la Grèce passent grosso modo de200 à 100 milliards d’euros. La dette publique totale de la Grèce dépasse

305 milliards d’euros.

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pays sont d’accord que le plan prévoit unrèglement adéquat des exigences avec l’Al-lemagne dont l’effet final ne doit pasdéséquilibrer la situation financière del’économie allemande via des répercus-sions indésirables ni affecter excessive-ment les réserves potentielles de devises.Les trois pays sont convaincus que le gou-vernement fédéral allemand partage leurposition et que la restauration de la sol-vabilitéallemande est assortie d’un rè-glement adéquat de la dette allemandequi assure à tous les participants une né-gociation juste en prenant en compte lesproblèmes économiques de l’Allemagne»2.

L a dette réclamée à l’Alle-magne concernant l’avant-guerre s’élève à 22,6

milliards de marks si on comptabiliseles intérêts. La dette de l’après-guerreest estimée à 16,2 milliards. Lors d’unaccord conclu à Londres le 27 février19533, ces montants sont ramenés à7,5 milliards de marks pour la pre-mière et à 7 milliards de marks pourla seconde4. En pourcentage, cela re-présente une réduction de 62,6%.

De surcroît, l’accord établit la possi-bilité de suspendre les paiementspour en renégocier les conditions sisurvient un changement substantiellimitant la disponibilité des res-sources5.

Pour s’assurer que l’économie del’Allemagne occidentale est réelle-ment relancée et qu’elle constitueun élément stable et central dans lebloc atlantique face au bloc de l’Est,les Alliés créanciers font desconcessions très importantes auxautorités et aux entreprises alle-mandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. Onpart du principe que l’Allemagnedoit être en condition de rembour-ser tout en maintenant un niveau decroissance élevé et une améliorationdes conditions de vie de la popula-tion. Rembourser sans s’appauvrir.Pour cela, les créanciers acceptentprimo que l’Allemagne rembourse

dans sa monnaie nationale, ledeutsche mark, l'essentiel de la dettequi lui est réclamée. A la marge, ellerembourse en devises fortes (dollars,francs suisses, livres sterling…). Se-cundo, alors qu’au début des années1950, le pays a encore une balancecommerciale négative (la valeur desimportations dépassant celle des ex-portations), les puissances créan-cières acceptent que l’Allemagne ré-duise ses importations, elle peutproduire elle-même des biens qu’elle

faisait auparavant venir de l’étran-ger. En permettant à l’Allemagne desubstituer à ses importations desbiens de sa propre production, lescréanciers acceptent donc de ré-duire leurs exportations vers cepays. Or, 41% des importations alle-mandes venaient de Grande-Bre-tagne, de France et des États-Unispour la période 1950-51. Si onajoute à ce chiffre la part desimportations en provenance desautres pays créanciers participant àla conférence (Belgique, Hollande,Suède et Suisse), le chiffre totals’élève même à 66%.Tertio, les créanciers autorisentl’Allemagne à vendre ses produits àl’étranger, ils stimulent même sesexportations afin de dégager unebalance commerciale positive. Cesdifférents éléments sont consignésdans la déclaration mentionnée plushaut: «La capacité de paiement del’Allemagne, de ses débiteurs privés etpublics, ne signifie pas uniquement lacapacité de réaliser régulièrement lespaiements en marks allemands sansconséquences inflationnistes, maisaussi que l’économie du pays puissecouvrir ses dettes en tenant compte deson actuelle balance des paiements.

2. Deutsche Auslandsschulden, 1951, p. 7 et suivantes, in Philipp Hersel,«El acuerdo de Londres de 1953 (III)»,http://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm3. Texte intégral en français de l’Accord de Londres du 27 février 1953:http://www.admin.ch/ch/f/rs/i9/0.946.291.364.fr.pdf4. 1 US dollar valait à l’époque 4,2 marks. La dette de l’Allemagne

occidentale après réduction (soit 14,5 milliards de marks) équivalait doncà 3,45 milliards de dollars.5. Les créanciers refusent toujours d’inscrire ce type de clause dans lescontrats à l’égard des pays en développement ou des pays comme laGrèce, le Portugal, l’Irlande, l’Europe centrale et orientale…

‟ l’Allemagnene consacrerajamais plus de4,2% de sesrevenus

d’exportationau paiement dela dette „

GRÈCE

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23Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

L’établissement de la capacité de paie-ment de l’Allemagne demande de faireface à certains problèmes qui sont: 1.la future capacité productive de l’Alle-magne avec une considération particu-lière pour la capacité productive debiens exportables et la capacité de sub-stitution d’importations; 2. la possibi-lité de la vente des marchandises alle-mandes à l’étranger; 3. les conditionsde commerce futures probables; 4. lesmesures fiscales et économiquesinternes qui seraient nécessaires pourassurer un superavit pour les exporta-tions.»6

En outre, en cas de litige avec lescréanciers, en général, les tribunauxallemands sont compétents. Il estdit explicitement que, dans certainscas, «les tribunaux allemands pour-ront refuser d’exécuter […] la décisiond’un tribunal étranger ou d’uneinstance arbitrale.» C’est le cas,lorsque «l’exécution de la décision se-rait contraire à l’ordre public» (p.12 del’Accord de Londres).

Autre élément très important, leservice de la dette est fixé en fonc-tion de la capacité de paiement del’économie allemande, en tenantcompte de l’avancée de la re-construction du pays et des revenusd’exportation. Ainsi, la relationentre service de la dette et revenusd’exportations ne doit pas dépasser5%. Cela veut dire que l’Allemagneoccidentale ne doit pas consacrerplus d’un vingtième de ses revenusd’exportation au paiement de sadette. Dans la pratique, l’Allemagnene consacrera jamais plus de 4,2%de ses revenus d’exportation aupaiement de la dette (ce montant estatteint en 1959). De toute façon,dans la mesure où une grande par-tie des dettes allemandes était rem-boursée en deutsche marks, labanque centrale allemande pouvaitémettre de la monnaie, en d’autresmots monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est éga-lement décidée: on applique une ré-

duction drastique des taux d’intérêtsqui oscillent entre 0 et 5%.

Une faveur d’une valeur écono-mique énorme est offerte par lespuissances occidentales à l’Alle-magne de l’Ouest: l’article 5 del'accord conclu à Londres renvoie àplus tard le règlement des répara-tions et des dettes de guerre (tantcelles de la première que de ladeuxième guerre mondiale) quepourraient réclamer à la RFA lespays occupés, annexés ou agressés(ainsi qu'à leurs ressortissants).

Enfin, il faut prendre en compte lesdons en dollars des États-Unis àl’Allemagne occidentale: 1,17 milliardde dollars dans le cadre du PlanMarshall entre le 3 avril 1948 au 30juin 1952 (soit environ 10 milliardsde dollars aujourd’hui) auxquelss’ajoutent au moins 200 millions dedollars (environ de 2 milliards dedollars d’aujourd’hui) entre 1954 et1961 principalement via l’agenceinternationale de développementdes États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exception-nelles, l’Allemagne occidentale seredresse économiquement très rapi-dement et finit par absorber l’Alle-magne de l’Est au début des années1990. Elle est aujourd’hui de loinl’économie la plus forte d’Europe.

Allemagne 1953 / Grèce2010-2012

Si nous risquons une comparaisonentre le traitement auquel la Grèceest soumise et celui qui a été réservéà l’Allemagne après la secondeguerre mondiale, les différences etl’injustice sont frappantes. En voiciune liste non-exhaustive en 11points:1. Proportionnellement, la réductionde dette accordée à la Grèce enmars 2012 est infiniment moindreque celle accordée à l’Allemagne.

6. Auslandsschulden, 1951, p.64 et suivantes in Philip Hersel, «El acuerdode Londres (IV)», 8 janvier 2003,http://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_010.htm

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6. Bien sûr, le taux de croissance du PIB comme mesure de la réussitesociale d’un pays est tout à fait insuffisant. Cela donne juste uneindication sur l’état de l’économie.

7. Conférence de Mohamed Balghouthi le 10 juillet à Tunis dans le cadrede l’Université populaire de Raid co-organisée avec le réseau CADTMAfrique et ACET.

2. Les conditions sociales et écono-miques qui sont assorties à ce plan(et à ceux qui ont précédé) ne favo-risent en rien la relance de l’écono-mie grecque alors qu’elles ontcontribué largement à relancerl’économie allemande.3. La Grèce se voit imposer desprivatisations en faveur des investis-seurs étrangers principalement alorsque l’Allemagne était encouragée àrenforcer son contrôle sur les sec-teurs économiques stratégiques, avecun secteur public en pleine crois-sance.4. Les dettes bilatérales de la Grèce(vis-à-vis des pays qui ont participéau plan de la Troïka) ne sont pas ré-duites (seules les dettes à l’égard desbanques privées l’ont été) alors queles dettes bilatérales de l’Allemagne(à commencer par celles contractéesà l’égard des pays que le TroisièmeReich avait agressés, envahis voireannexés) étaient réduites de 60% ouplus.5. La Grèce doit rembourser en eu-ros alors qu’elle est en déficitcommercial (donc en manque d’eu-ros) avec ses partenaires européens(notamment l’Allemagne et laFrance), tandis que l’Allemagne rem-boursait l’essentiel de ses dettes endeutsche marks fortement dévalués.6. La banque centrale grecque nepeut pas prêter de l’argent au gou-vernement grec alors que laDeutsche Bank prêtait aux autoritésallemandes et faisait fonctionner(certes modérément) la planche àbillets.7. L’Allemagne était autorisée à nepas consacrer plus de 5% de ses re-venus d’exportation au paiement dela dette alors qu’aucune limite n’estfixée dans le cas actuel de la Grèce.8. Les nouveaux titres de la dettegrecque qui remplacent les anciensdus aux banques ne sont plus de lacompétence des tribunaux grecs, cesont les juridictions du Luxembourget du Royaume-Uni qui sontcompétentes (et on sait combienelles sont favorables aux créanciersprivés) alors que les tribunaux del’Allemagne (cette ancienne puis-sance agressive et envahissante)étaient compétents.9. En matière de remboursement de

la dette extérieure, les tribunaux al-lemands pouvaient refuser d’exécu-ter des sentences des tribunauxétrangers ou des tribunaux arbi-traux au cas où leur application me-naçait l’ordre public. En Grèce, laTroïka refuse bien sûr que des tribu-naux puissent invoquer l’ordre pu-blic pour suspendre le rembourse-ment de la dette. Or, les énormesprotestations sociales et la montéedes forces néo-nazies sont directe-ment la conséquence des mesuresdictées par la Troïka et par le rem-boursement de la dette. Malgré lesprotestations de Bruxelles, du FMIet des «marchés financiers» que celaprovoquerait, les autorités grecquespourraient parfaitement invoquerl’état de nécessité et l’ordre publicpour suspendre le paiement de la

dette et abroger les mesures antiso-ciales imposées par la Troïka.10. Dans le cas de l’Allemagne, l’ac-cord établit la possibilité desuspendre les paiements pour en re-négocier les conditions si survientun changement substantiel limitantla disponibilité des ressources. Riende tel n’est prévu pour la Grèce.11. Dans l’accord sur la dette alle-mande, il est explicitement prévuque le pays puisse produire surplace ce qu’il importait auparavantafin d’atteindre un superavitcommercial et de renforcer ses pro-ducteurs locaux. Or la philosophiedes accords imposés à la Grèce etles règles de l’Union européenneinterdisent aux autorités grecques

d’aider, de subventionner et de pro-téger ses producteurs locaux, que cesoit dans l’agriculture, l’industrie oules services, face à leurs concurrentsdes autres pays de l’UE (qui sont lesprincipaux partenaires commerciauxde la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Alle-magne, après la seconde guerremondiale, a reçu des dons dans uneproportion considérable, notam-ment, comme on l’a vu plus haut,dans le cadre du Plan Marshall.

On peut comprendre pourquoi leleader de Syriza, Alexis Tsipras, faitréférence à l’accord de Londres de1953 lorsqu’il s’adresse à l’opinionpublique européenne. L’injusticeavec laquelle le peuple grec est traité(ainsi que les autres peuples dont lesautorités suivent les recommanda-tions de la Troïka) doit éveiller laconscience d’une partie de l’opinionpublique. Mais ne nous berçons pasd’illusions, les raisons qui ont pous-sé les puissances occidentales àtraiter l’Allemagne de l’Ouestcomme elles l’ont fait après la se-conde guerre mondiale ne sont pasde mise dans le cas de la Grèce.Pour voir une véritable solution audrame de la dette et de l’austérité, ilfaudra encore de puissantes mobili-sations sociales en Grèce et dans lereste de l’Union européenne ainsique l’accession au pouvoir d’ungouvernement du peuple à Athènes.Il faudra un acte unilatéral de déso-béissance provenant des autoritésd’Athènes (soutenues par le peuple),telles la suspension du rembourse-ment et l’abrogation des mesuresantisociales, pour forcer les créan-ciers à des concessions d’envergureet imposer enfin l’annulation de ladette illégitime. La réalisation à uneéchelle populaire d’un audit citoyende la dette grecque doit servir àpréparer le terrain.

Lire également «Grèce-Allemagne: quidoit à qui? (2) Créanciers protégés,peuple grec sacrifié» sur http://-cadtm.org/Grece-Allemagne-qui-doit-a-qui-2

‟ Après laseconde guerremondiale,

l'Allemagne areçu des donsdans uneproportionconsidérable „

GRÈCE

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25Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

EN ESPAGNE, LES DROITS

DES FEMMES SONT BAFOUÉS

Sous les pressions de la troïka1, legouvernement espagnol s’attaqueaux dépenses publiques. Quellessont les conséquences pour les

femmes?

C es politiques d’austéritémontrent bien l’âme de lasociété capitaliste et patriar-

cale dans laquelle nous vivons. Le gou-vernement du Parti Populaire (PP), vain-queur des dernières élections, a optépour des politiques qui favorisent l’ac-cumulation du capital et les bénéficespour une minorité, en ignorant les be-soins réels de la société espagnole. Ain-si, il aggrave la vulnérabilité de dif-férents groupes sociaux - migrants,jeunes, vieux - et les condamne à l’ex-clusion sociale. Les femmes, déjà désa-vantagées, sont particulièrement vi-sées. D’une part parce que ladestruction systématique des servicespublics les affecte en priorité, en tantque travailleuses et bénéficiaires de cesservices. D’autre part parce que la po-litique conservatrice du Parti Populairecontribue à réactiver la division sexuéedu travail et la vision d’une féminitéréduite à ses fonctions de reproduc-tion et de soin dans le cadre d’un noyaufamilial répressif.

Que voulez-vous dire par là?

La première chose qui est tombéesous le diktat de la priorité du rem-

boursement de la dette, c’est le droità l’égalité pour plus de la moitié dela population. Le gouvernement dusocialiste Zapatero (PSOE2), en 2010,puis le gouvernement Rajoy (PP) de-puis novembre 2011, ont mis enœuvre des plans d’austéritédrastiques qui ont fait exploser letaux de chômage à 24,44%. Pour lesfemmes, qui gagnent encore enmoyenne 22% de moins que leshommes, ce taux s’élève à 24,86%.En 2011, les tribunaux espagnols onttraité 58 241 cas d’expulsion, sou-vent très violentes, à la suite de pro-cédures lancées par les prêteurshypothécaires vis-à-vis des ménagesincapables de rembourser leur em-prunt. Et on parle de familles quin’ont souvent pas d’alternative pourse loger! En ce qui concerne la vio-lence machiste, rien qu’en 2011, 62femmes ont été assassinées par leurpartenaire ou ex-partenaire3.Comme l’a rappelé la présidente del’Observatoire contre la violenceconjugale et de genre, InmaculadaMontalbán, la violence économiques’ajoute à la violence contre lesfemmes. C’est pourquoi en temps decrise, il serait très important demaintenir l’aide économique et so-ciale aux victimes de ces crimes afinqu’elles et leurs enfants puissent bri-ser le cycle de la violence. Mais c’estjuste le contraire qui est fait…

Au nom des politiques d’austérité,l’Espagne va devoir trouver 65 milliardsd’euros d’ici 2014. Rien qu’en 2012, il fau-drait réduire de 10 milliards d’euros lesdépenses publiques en matière de santé etd’éducation… Des mesures drastiques etinégalitaires qui auront pour seul résultat

de produire de nouveaux pauvres surtoutparmi les femmes, déjà désavantagées.Échange avec Anna A.Siscar, Fátima Fafa-tale et Verónica Gisbert, membres de laPlataforma ciudadana por la auditoría dela deuda (Plateforme citoyenne pour unaudit de la dette).

Propos recueillis par Marta Marsili

EN QUELQUES MOTS

• Ce qui se passe actuellementen Espagne montre, de manièredramatique, comment lesfemmes paient le prix des poli-tiques d'austérité.• Les coupes opérées dans lesbudgets alloués à la lutte contreles violences, aux services pu-blics, à l'emploi, etc., ont en ef-fet des conséquences directessur les femmes qui subissentdéjà des discriminations degenre.• Seule l'égalité permettra desortir de cette crise provoquéepar des inégalités criantes!

‟ la violenceéconomiques’ajoute à la

violence contreles femmes „

1. La Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International.2. Parti Socialiste Ouvrier Espagnol.3. Rapport de l’Observatoire contre la violence domestique et de genre du Conseil Général de lamagistrature espagnol.

FEMMES

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Tout cela dans un État où ilexiste pourtant, en matière delutte contre les violences faitesaux femmes, un cadre législatif à

la pointe en Europe4…

O n aurait envie de nuancer:c’est vrai que la loi contrela violence5 a été rédigée

afin de répondre à un véritable pro-blème social, mais la violence de genren’a jamais été présentée comme unfacteur spécifique et structurel de laviolence faite aux femmes. Commed’autres lois qui ont vu le jour ces der-nières années, la loi contre la violencepromue par un parti socialiste talon-né par les féministes espagnoles n’aété qu’une goutte dans la mer. Et legouvernement actuel est en train d’ef-facer les avancées de cette législationvia des réductions budgétaires aveuglesqui lui enlèvent les moyens de fonc-tionner: de plus en plus de refugesferment, les unités municipales de pré-

vention et de soins n’ont plus de res-sources pour aider les femmes, etc. Laréduction jusqu’à 70% des fonds pourles campagnes de prévention de la vio-lence de genre contribue à cettedestruction avec la conséquence d’oc-culter à nouveau le problème. Et lasuppression du tout jeune ministèrepour l’Égalité a marqué une rupturesymbolique et réelle avec la lutte pourun idéal d’égalité entre femmes,hommes et transgenres.

Face à tout cela, quelles sont vospropositions?

Aujourd’hui, les seules solutionsproposées pour sortir de cette criseéconomique se basent sur lemaintien de la logique d’accumula-tion du capital. En tant que fémi-nistes et citoyennes, nous voulonsun changement radical, d’autantplus qu’il est évident que les me-sures «anticrise» néolibérales n’ar-

rivent pas à améliorer la situationque nous vivons et, pire, l’aggravent.Pour y parvenir, nous devons nousemparer des espaces publics et dé-mocratiques comme l’a fait le mou-vement des Indignés, qui est partid’Espagne. La constitution d’auditscitoyens de la dette est l’une desstratégies les plus puissantes dans lavoie du changement. Ces auditsdoivent, bien sûr, inclure une ana-lyse en termes de genre. Et si leursrésultats montrent que ces dettessont illégitimes, les gens devront re-fuser de payer. L’inégalité est àl’origine de cette crise profonde,multidimensionnelle et cumulative.Pour cette raison, seule l’égalitépeut en être la sortie!

Interview parue dans la revue Axelle,n.151 (septembre 2012)

4. La loi de 2004 prévoyait entre autres des changements importants dansle Code pénal pour reconnaître les violences, pour la mise en place detribunaux spéciaux, l’aide aux victimes, l’assistance et l’hébergement.

5. Loi nationale n.1/2004 du 28 décembre 2004 concernant les mesures deprotection intégrales contre la violence de genre.

‟ En tant queféministes etcitoyennes,nous voulonsun change-

ment radical „

FEMMES

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27Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

FACE À LA DETTE, LES FEMMES DU CADTMAFRIQUE AFFINENT LEURS STRATÉGIES

par Fatou Lo (APROFES, Sénégal) et Christine Vanden Daelen (CADTMBelgique)

P arcourant des milliers de ki-lomètres, bravant les difficul-tés liées aux transports et

laissant derrière elles obligations etresponsabilités, des femmes de pasmoins de 11 pays africains répondirentunanimement «présentes!» au rendez-vous que leur avait fixé le CADTMAfrique à Cotonou en cette fin d’an-née 2012. Convergeant d’Afrique duNord (Tunisie), du Centre (RDC, Ré-publique démocratique du Congo) etde l’Ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire,Mali, Niger, Sénégal, Togo), pas moinsde quarante militantes d’âges, decultures, de tempéraments et d’expé-riences aussi divers que variés partici-pèrent activement au Séminaire de for-mation des femmes du réseau sur ladette et l’audit impulsé par le CADTMAfrique et accueilli par le CADD(Cercle d’Autopromotion pour le Dé-veloppement Durable) Bénin. Du 18 au21 décembre, les participantes mirenttoutes leurs énergies au service de laréussite des objectifs de cette forma-tion1. En quatre journées, elles évo-luèrent d’un processus d’apprentissagevers l’élaboration collective d’actionset de stratégies à opposer au «systèmedette». Quelles furent les étapes, lescheminements, qui permirent aux mi-litantes africaines de s’approprier lesthématiques prioritaires de travail quisous-tendent les luttes du CADTM pourensuite se muer en force de proposi-tion authentique? Ébauche d’explica-tions…

Dès l’ouverture de la formation parl’animation d’un «Sudestan» (outilpédagogique2), le ‘profil’ des partici-pantes se dévoila distinctement: ils’agissait de femmes qui n’ignoraienten rien les effets de la dette sur les

populations notamment en termesde déni de toute justice sociale. Defait, comment auraient-t-elles puignorer le saccage socio-économiquede la dette alors que chaque jour,comme l’affirma l’une des partici-pantes, «elles paient de leur sang et deleurs souffrances les conditionnalitésmortifères des PAS»!? Dès le début dujeu de rôle, ces militantes élabo-rèrent diverses stratégies excluanttoute intervention du FMI au béné-fice d’accords renforçant la solidaritéentre les divers continents. La pré-sentation de la «Ligne du temps dela dette» par Emilie Paumard permitd’expliciter plus largement les mé-canismes et l’historique de l’endette-ment du Sud. Là aussi, la réactivitédes femmes, leurs connaissances etmotivation firent de cette session unmoment des plus interactif et in-téressant.

La seconde journée fut consacrée àl’analyse des impacts spécifiques dela dette sur les femmes. Deux expo-sés, l’un portant sur les PAS et leurs

1. Outiller les femmes du CADTM Afrique sur les mécanismes de la detteet les processus d’audit; Leur fournir les connaissances pédagogiques etanalytiques nécessaires afin qu’elles puissent se muer en formatrices surles questions de la dette dans leur pays respectif et constituer une forcede proposition et d’action importante au sein du CADTM Afrique;Favoriser leurs aptitudes à produire des analyses sur la dette, ses impacts

sur les femmes ainsi que sur les alternatives féminines/istes à la dette.2. Vous pouvez consulter sur le site du CADTM les guides d'animationdes outils et supports pédagogiques mentionnés dans cet article àl'adresse http://cadtm.org/Outils-pedagogiques

‟ elles paientde leur sanget

de leurssouffrances lesconditionnalitésmortifères des

PAS„

ASSASSINAT DE LUMUMBA:LA JUSTICE BELGE OUVRE

L'ENQUÊTE

Le 22 juin 2011, les avocats de la fa-mille de Patrice Lumumba dépo-saient une plainte avec constitutionde partie civile contre dix suspectsbelges auteurs, co-auteurs et com-plices présumés de l'assassinat deLumumba le 17 janvier 1961 au Ka-tanga, en République démocratiquedu Congo. Dans son arrêt rendu le12 décembre 2012, la Chambre desmises en accusation de Bruxellesconsidère que le Congo était alorsplongé dans un conflit armé et quela mort de Lumumba pouvait dèslors être considérée comme un crimede guerre, non couvert par la pres-cription. Plus d'un demi siècle aprèsson assassinat, le parquet fédéralbelge est donc autorisé à enquêtersur ce crime, un des actes parmi lesplus sombres de l’histoire colonialeet postcoloniale belge.

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conséquences pour les femmes auBénin et en Afrique, l’autre sondantl’austérité au Nord et le crash socialqu’il représente pour les femmes eu-ropéennes firent ressortir les simili-tudes des déstructurations multiplesqui affectent les femmes du Sudcomme du Nord. De fait, au-delà detoute polarisation du monde entreun centre développé et une périphé-rie à la dérive, il fut aisémentconstaté que partout ce sont bien lesfemmes qui paient le plus lourd tri-bu des politiques imposées au nomde la dette, du Sud au Nord, ce sontelles qui sont les plus durementfrappées. Les privatisations, libérali-sations, restrictions budgétaires aumenu des PAS et de l’austérité géné-ralisée sabrent universellement leursacquis sociaux, accentuent leur pau-vreté, durcissent et aggravent les in-égalités entre les sexes et accroissentles violences à leur égard. Suite à ceconstat, le verdict des militantes futsans appel: «Où que l’on habite surcette planète, la dette sanctionne etempêche toute émancipation desfemmes». Dès lors, «puisque cette dettene nous fait pas de cadeau, ensemble,femmes du Sud et du Nord, tuons laafin qu’elle cesse de nous tuer». Unetelle volonté de se mobiliser contrela dette permet d’être optimistequant au développement au sein duCADTM d’énergies féminines dé-terminées, enthousiastes et comba-tives.

D urant la seconde partie decette journée, deux groupesde travail furent constitués

afin que chaque participante puisse aumieux expliciter les conséquences ob-servées et ressenties des PAS sur lesconditions de vie des femmes de leurpays. Tout comme en matinée, au-de-là de quelques particularités, ce futbien également la similitude des ré-gressions, calvaires et adversités queconnaissent les femmes africaines quiprévaut. Dans tous les domaines, qu’ils’agisse de la santé, de l’éducation, del’autonomie financière, de l’accès aupouvoir politique, etc., la dette agitcomme une lame de fond qui n’a decesse que d’accentuer la précarité sani-taire, psychologique et économiquedes femmes tout comme leur exploi-tation structurelle et systémique.

Deux ateliers, l’un animé par AriaceCadja Dodo (animatrice à RadioADO FM de Cotonou), l’autre parZeinabou Djibo (militante du RNDDNiger) donnèrent aux participantesquelques outils et pistes sur la prisede parole en public afin qu’ellesaient plus de facilités pour faire pas-ser leurs points de vue, représenterleurs associations et donner des for-mations.

Après tout ce travail visant une ap-propriation des logiques du «sys-tème dette» ainsi que l’acquisitionpar les participantes d’une grille delecture genrée de ses mécanismes etimpacts, les deux dernières journéesdu Séminaire furent orientées versl’action et la construction com-munes de stratégies pour briser lecercle vicieux de l’endettement.L’animation du «Jeu des alterna-

L'ONU DÉNONCE LA

MAINMISE DES CRÉANCIERS

SUR LES POLITIQUES DES

ÉTATS

Le dernier rapport (juin 2012) deCephas Lumina, expert indépen-dant de l'ONU sur la dette et lesdroits humains, dénonce l'in-gérence des créanciers dans la dé-finition des politiques de dévelop-pement des États en affirmant que«les États créanciers et les institu-tions financières internationales nedoivent pas tirer parti d’une criseéconomique, financière ou liée à ladette extérieure pour promouvoir desréformes structurelles dans les Étatsdébiteurs, aussi utiles ces réformespuissent-elles être considérées sur lelong terme. De telles réformes de-vraient être engagées, formulées etmises en œuvre par les États débi-teurs eux-mêmes, s’ils le jugent ap-proprié, dans le cadre d’un processus

indépendant de développement na-tional».Le Conseil des droits de l'Hommede l'ONU va dans le même sens.Dans sa résolution du 18 juillet20122, il souligne que «les pro-grammes économiques liés à l’allège-ment et à l’annulation de la detteextérieure ne doivent pas reproduireles politiques d’ajustement structurelantérieures qui n’ont pas fonctionné,telles que les exigences dogmatiquesen matière de privatisation et de li-mitation des services publics». Enoutre, il rappelle que «chaque Étata au premier chef la responsabilitéde promouvoir le développement éco-nomique, social et culturel de sapopulation, qu’il a, à cette fin, ledroit et la responsabilité de choisirses moyens et ses objectifs de dévelop-pement et qu’il ne devrait pas êtresoumis à des prescriptions spécifiquesvenant de l’extérieur pour sa poli-tique économique».

FEMMES

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29Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

tives», outil pédagogique sur les di-verses mesures qui peuvent êtreprises face à la dette, ouvrit le bal.Très impliquées, les participantes selivrèrent corps et âmes dans lechoix des alternatives et délivrèrent,lors de la restitution, des argumen-taires fort bien construits. Chacunedes alternatives fut ensuite collecti-vement analysée et le groupe a suverbaliser le piège que représentecertaines politiques proposées tellesque les allègements de dette. Lesdiscussions, groupes de travail, syn-thèses des propositions d’actions etde stratégies futures des femmescontre la dette qui rythmèrent la findes travaux de ce Séminairecontiennent des perspectives in-téressantes. En voici quelques-unes:en plus des actions déjà menées parles femmes du CADTM Afrique ausein de leurs structures respectives,il fut proposé de continuer à investirau maximum les médias (télévisionset radios); d’encourager les femmesdu réseau CADTM Afrique à pour-suivre les sit-in qu’elles organisentdéjà dans leurs pays devant lessièges de la Banque mondiale, del’Union européenne et du Ministèredes Finances; de mobiliser et d’im-pliquer autant les acteurs/rices de lasociété civile que les élu-e-s locaux,les chefs coutumiers et religieux, lesétudiant-e-s et universitaires dans lalutte pour l’audit et l’annulation dela dette; d’organiser une Marche si-lencieuse des femmes devant laBanque mondiale le même jour à la

même heure dans tous les paysmembres du CADTM Afrique; d’or-ganiser des journées ‘portes-ou-vertes’ du CADTM afin de faireconnaître ses militant-e-s, ses docu-ments, ses luttes… Pour clôturer touten beauté et efficacité cette forma-tion, les participantes élaborèrentune série de résolutions destinées àrenforcer la Coordination internatio-nale des luttes féministes duCADTM. Nous vous proposons deles découvrir et d'en prendre bonnenote…• Organiser d’autres Séminaires deformation des femmes du CADTMAfrique afin qu’elles puissentdevenir des personnes ressources etrelayer les outils et connaissancesacquises auprès des femmes et desfilles à la base au sein de leursorganisations;• Assurer la participation effectivedes femmes du CADTM Afrique àtoutes les activités régionales etinternationales du CADTM;• Afin de permettre aux femmes duréseau de travailler ensemble, il futproposé de créer un comitéféministe dans chaque associationmembre du CADTM Afrique, defaire remonter les analyses etcomptes rendus des activités etluttes des femmes contre la dette etpour l'audit des associationsmembres du CADTM Afrique auSecrétariat international afin qu'illes diffuse et de maximaliserl’utilisation de la mailing-list de laCoordination internationale des

luttes féministes du CADTM;• Stimuler la production dedocuments écrits par les femmes duréseau, les traduire en langueslocales et encourager l’animation deconférences par les militantes duCADTM Afrique;• Accentuer l’implication desfemmes dans les actions desensibilisation des élu-e-s(parlementaires, élus locaux...) afinqu'ils participent à l'audit et/ouremettent les documents nécessairesà sa réalisation;• Renforcer les collaborations duCADTM Afrique avec des militantesou membres d'associationsféminines afin de réaliser des projetset actions communs.

Repartant avec des supports péda-gogiques du CADTM, une confianceen leurs capacités accrue ainsiqu’une volonté renforcée de prendretoute la place qui leur revient dansla lutte contre la dette au sein duCADTM Afrique, les participantesse quittèrent non sans se promettrede garder contact et de donner vieaux projets élaborés durant cetteformation. Sans doute, le Forum so-cial mondial de Tunis (du 26 au 30mars) et/ou l’Assemblée mondialedu CADTM international (fin maiau Maroc) offriront l’occasion à cer-taines d’entre elles de pouvoir ànouveau travailler, rêver et lutterensemble.

‟ la dette agitcomme unelame de fondqui n’a de cesseque d’accentuerla précaritésanitaire,

psychologiqueet économiquedes femmes „

Page 30: Les Autres Voix de la Planète - N°57

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L e 7 octobre 2012 avaientlieu les élections présiden-tielles vénézuéliennes: Hu-

go Chavez remettait ainsi en jeu sonmandat après 14 ans à la tête de la«révolution bolivarienne» qui a contri-bué à transformer ce pays sud-amé-ricain. En effet, depuis sa victoireélectorale de 1998, celui qui est sou-tenu avec ferveur par ses millions departisans, a impulsé un processus na-tional populaire progressiste, large-ment porté par le peuple. La redistri-bution de la rente pétrolière a permisla division par deux de la pauvretédans le pays, tout en développant desexpériences de participation popu-laire inédites. Le nouveau gouverne-ment a également promu avec convic-tion l’idée d’une nouvelle unitélatino-américaine aux forts accentsanti-impérialistes. L’élection du 7 oc-tobre avait ainsi un caractère géopo-litique évident. Une défaite du can-didat du Parti socialiste unifié duVenezuela (PSUV) et de ses alliés duGrand Pôle patriotique (dont le Par-ti communiste) aurait fortement dé-térioré les rapports de classescontinentaux, menaçant les conquêtessociales et démocratiques de la der-nière décennie.

L’impressionnante et festive «maréerouge» qui a envahi les rues de Ca-racas le jeudi 4 octobre a constituéune incontestable démonstration

de force du bolivarisme, sous lesauspices du slogan: «Chavez, cœurde la patrie». Cette ferveur existegrâce aux solides acquis de la ré-volution bolivarienne: baisse de lapauvreté, alphabétisation, accès àla santé gratuite et mise en placede magasins subventionnés dansles quartiers populaires, gratuitédes universités bolivariennes, na-tionalisation de secteurs clefs del’économie et contrôle bancaire,etc., autant de mesures qui sontloin du discours dominant mon-dial.

Face à l’hostilité permanente del’oligarchie et des États-Unis, leprocessus bolivarien est aussi tra-versé par de nombreusescontradictions: bureaucratie galo-pante, insécurité endémique,consolidation d’une bourgeoisiebolivarienne, secteur privé large-ment dominant ou encore politiqueinternationale menée au Moyenorient. L’omniprésence de HugoChavez lui-même était aussi en jeudans ces élections, alors qu’il estapparu affaibli par un cancer.

Dès lors, l’opposition de droite,portée par la candidature de Hen-rique Capriles Radonski, entrepre-neur et avocat, a surfé sur les fai-blesses du gouvernement sortant,en tenant un discours de «centre

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES: NOUVELLE VICTOIRE

DU CANDIDAT BOLIVARIEN HUGO CHAVEZ

par Franck Gaudichaud et Patrick Guillaudat

1. Franck Gaudichaud est docteur en Science politique et maître deconférence en Civilisation hispano-américaine à l’Université Grenoble 3(ILCEA), membre du Comité de rédaction de la revue Dissidences et del’association France Amérique Latine. Il a notamment coordonné LeVolcan latino-américain. Gauches, mouvements sociaux et néolibéralisme enAmérique latine, Textuel, 2008.

2. Patrick Guillaudat est docteur en Anthropologie, auteur avec PierreMouterde de Hugo Chavez et la révolution bolivarienne - Promesses et défisd’un processus de changement social, M Editeur, Montréal, 2012.

VÉNÉZUELA

Les électeurs ont de nouveau apporté leursoutien au parti chaviste, mais l'avenir duprocessus bolivarien n'est pas sans incerti-tudes. Retour sur les élections présiden-

tielles et régionales qui ont marqué cettefin d'année 2012, avec Franck Gaudi-chaud1 et Patrick Guillaudat2.

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31Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

gauche», affirmant ne pas remettreen cause les mesures sociales en vi-gueur. Il a réussi à mobiliser dansdes meetings rassemblant des cen-taines de milliers de personnes. Maisen réalité, son programme est unevéritable arme de guerre ultralibé-rale: privatisations, liquidations desservices gratuits, fin du contrôlebancaire, etc. Si Capriles réussit àrassembler presque 45% d’électeurs,c’est aussi parce que le campchaviste ne l’a que peu attaqué surle contenu, comptant souvent sur leseul charisme du président pour ga-gner. Dès lors, en ajoutant le sur-place du processus depuis près de 5ans, rien d’étonnant à ce que Chavezpasse de 63% aux dernières prési-dentielles (2006) à 54,5% en 2012. Lapolarisation politique est telle queles 4 autres candidats en lice n’onteu aucun poids. Orlando Chirino,syndicaliste révolutionnaire et can-didat de PSL (Parti Socialisme et Li-berté), reste enfermé dans une can-didature de témoignage avec 0,02%des voix.

Avec cette nouvelle victoire électo-rale et en vue des élections régio-nales (gouverneurs) de décembre, lecamp chaviste surmontera-t-il cescontradictions déterminantes pour lecours politique des 6 prochaines an-nées? Le défi pour le mouvementouvrier et les secteurs radicaux de lagauche bolivarienne reste deconstruire une dynamique poussantà l’auto-organisation collective, sansattendre des décisions venues d’enhaut, afin de donner un contenu po-litique concret aux appels au «socia-lisme du XXI siècle».

Publié le 10 octobre par le CETRI

UNE VICTOIRE DE HAUTE

LUTTE POUR LA DÉFENSE

DES DROITS DES PAYSAN-NE-S

Le 27 septembre dernier, le Conseildes droits de l’Homme de l’ONU aadopté une résolution décisive enfaveur de la rédaction d'une décla-ration internationale de promotionet de protection des droits des pay-sans et autres personnes vivantdans les zones rurales, estimés à1,2 milliard d’individus. Elle faitsuite à des défis urgents tels queles conflits grandissants sur lesterres, l’eau, les prix alimentaireset les crises climatiques. En adop-tant cette résolution, l’ONU recon-naît que les paysans jouent un rôle

essentiel dans l’éradication de lafaim, de la pauvreté et des prob-lèmes liés au climat. C’est une pe-tite victoire pour les paysans dumonde entier. Cependant, dans ladroite ligne de la logique ultralibé-rale faisant primer les intérêts éco-nomiques sur le respect des droitshumains, les gouvernements euro-péens ayant un siège au Conseildes droits de l'Homme ont votécontre ce mécanisme de protectiondes droits paysans. Il faut poussernos États afin qu'ils s'engagent ré-solument à accompagner demanière constructive le processusde rédaction et agissent concrète-ment pour que les déclarationsd'intentions en faveur des droitshumains deviennent des actesconcrets.

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A près une participation re-cord lors des élections pré-sidentielles du 7 octobre

2012, c’est l’inverse qui se produit lorsdes élections régionales du 16 décembre.Avec une abstention de 46%, noussommes loin du résultat des dernièresélections régionales de 2008 quis’étaient soldées avec moins de 35%d’abstention.

Malgré cela, la majorité gouverne-mentale gagne 20 états, n’en laissantque 3 à l’opposition, Miranda, Laraet Amazonas. C’est à comparer avecles 5 états que détenait la droite de-puis 2008. Les états clefs de Tachi-ra, Carabobo et de Zulia basculentdans le camp chaviste qui bénéficiede la dynamique du 7 octobre et ducourant de compassion envers Cha-vez, touché à nouveau par le cancer.Parmi les 20 gouverneurs élus duGrand Pôle Patriotique, nom de lacoalition des partis soutenant Cha-vez, 11 sont des ex-militaires, fidèlesdepuis longtemps et ayant, pour cer-tains, participé au coup d’étatchaviste de 1992.L’état d’Amazonas reste aux mainsde l’opposition, traditionnellementdirigé par le PPT (Patria Para To-dos), qui s’est allié à la MUD (Mesade la Unidad Democrática) lors desélections régionales partielles de2010. Le PPT a élu une nouvelle di-rection en 2011 invalidée par lajustice, ce qui a donné lieu à unescission et à la création du MPV(Movimiento Progresista de Vene-zuela). Le PPT «historique» réalise0,33% des voix en Amazonas, tandisque le candidat de la MUD, membredu MPV, remporte l’Etat, mais avec34,62% des voix sur son seul parti.Quant à Capriles, candidat de laMUD aux présidentielles, il a gagnéson pari de garder l’état de Mirandaaux mains de l’opposition. Opposé àElias Jaua, du PSUV, pourtant donnégagnant dans tous les sondages, Ca-priles l’emporte après avoir menéune campagne publique très ancrée

à droite, contre le «castro-com-munisme» censé envahir l’État!

Mais dans les rangs de l’oppositioncommencent à apparaître publique-ment les signes de divergences. Ra-mon Guillermo Aveledo, secrétairegénéral de la MUD, appelle à «desjournées de réflexion sur les défaitesde l’opposition» et à «faire une révi-sion profonde». Dans le même sens,les responsables d’officines d’en-quêtes d’opinion demandent à l’op-position de réviser «ses dirigeants»et indiquent qu’une cause des dé-faites du 7 octobre et du 16décembre, c’est l’absence d’identitéet de programme clair.Les anciens partis, l’AD (Acción De-mocrática, social-démocrate) et leCOPEI (Comité de OrganizaciónPolítica Electoral Independiente,droite), marginalisés lors des prési-dentielles, cherchent désormais àfaire entendre leur voix. Alors queles élections législatives de 2010laissaient entrevoir une possible vic-toire de la droite aux électionssuivantes, cette perspective recule etles bilans sont exigés. La défaitequ’elle vient de subir à ces électionsrégionales est brutale avec la pertede trois états jugés difficilementaccessibles par la gauche, Zulia, Ca-rabobo et Nueva Esparta.

Dans le camp gouvernemental, cetteréussite aux régionales risque demasquer les difficultés à venir. Lapeur d’un retour de la droite, qui apayé lors des présidentielles, ne sau-rait servir de politique. Les attentesde la population sont nombreuses etl’abstention aux régionales exprimeun détachement vis-à-vis des pro-messes des candidats. Plus quejamais, l’approfondissement du pro-cessus devient urgent et nécessaire.Notamment si Chavez se retire de lavie politique, soit en raison de samaladie, soit en cas de décès.L’avenir de la révolution boliva-rienne en dépend.

LA VAGUE CHAVISTE REMPORTE

LES ÉLECTIONS RÉGIONALESpar Patrick Guillaudat

ONU: 188 PAYS RE-JETTENT LE BLOCUS DES

ÉTATS-UNIS CONTRE CUBA

Le 13 novembre dernier, l’Assem-blée générale des Nations unies aadopté pour la 21ème fois unerésolution demandant la levée dublocus économique, commercialet financier que les États-Unisimposent à Cuba depuis cin-quante ans, avec un vote quasi-unanime: 188 pays ont voté pour,trois ont voté contre (les États-Unis, Israël, l’île de Palau), deuxse sont abstenus (les Îles Marshallet la Micronésie). Faisant fi de lavolonté de la communauté inter-nationale et de l’Assemblée géné-rale des Nations unies, les États-Unis témoignent une nouvelle foispar leur refus de l’obsession desgouvernements étasuniens suc-cessifs à poursuivre cette poli-tique d’asphyxie économiqueillégale, indigne et inacceptable.Cette guerre économique unilaté-rale constitue le principalobstacle au plein développementpar Cuba de ses potentialitéséconomiques et sociales pourtou-te-s les Cubain-e-s.

VÉNÉZUELA

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33Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

Comment as-tu rencontré leCADTM et qu'est-ce qui t' as mo-tivé à venir pousser la chansondu côté de chez les Liégeois?

On a rencontré Olivier Bonfond àBamako pendant le forum socialmondial en janvier 2006. On apapoté, on l'a filmé puis mis unextrait de lui dans notre documen-taire «Un autre monde est possible».Après s'être reconnu dans le docu, ilnous a recontacté et invité à faire ceconcert à Liège. On a dit oui, leCADTM, c'est la famille, normal!

Dans ton nouvel album, une detes chansons, «Indignados», se si-tue un peu dans le prolongementde «  Jeunesse du Monde  », de2006, où tu disais «contre leurdictature mondiale, c' est en-semble, compagnon, que

s'amorce la mondialisation de larébellion». Quel espoir mets-tudans les mouvements nés depuis2011, comme les indignés, Occu-

py, etc.?

Et ben ça y est, elle est arrivée tuvois! Pour moi ce n'est que le début,il y a plein de choses en train de sefaire, et c'est déjà un truc magni-fique! Qu'il y ait enfin un mouve-ment sans parti, sans syndicat, sans

KENY ARKANA: «IL FAUT SE RÉAPPROPRIER

SON POUVOIR CRÉATEUR»

MUSIQUE

Keny Arkana est depuis sa primeadolescence une rappeuse qui a la rage aubide: révoltée, indignée, révolutionnaire,insurgée, toujours «la tête dans la lutte».En 2007, elle a donné un concert à Liège,à l'invitation du CADTM, pour le

vingtième anniversaire de la mort deThomas Sankara1. Cinq ans après, nous laretrouvons pour parler de son dernieralbum, «Tout tourne autour du soleil»2,sorti début décembre, et du cheminparcouru depuis lors.

Propos recueillis par Emilie Paumard et Jérémie Cravatte.

1. Vous trouverez l'interview audio qu'elle avait alors donnée à Indymediasur www.wat.tv/video/interview-keny-arkana-indy-1e1r9_2hzo5_.html(partie 1), www.wat.tv/video/interview-keny-arkana-indy-1e1qa_2hzo5_.html(partie 2).

2. Son nouvel album, Tout tourne autour du soleil, est disponible surwww.youtube.com/playlist?list=PL_A6Fay0QT25Vv_riVLTv5CvJhGccAu4d

‟ LesAnonymous, lesmouvementsanti-WallStreet, lesprintemps

arabes, etc, jetrouve ça super

positif„

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chef à sa tête, enfin un truc sponta-né et au-delà des frontières. Desgens disent que les indignés n'ontrien fait. Mais c'est une premièredans l'histoire de l'Homme! On enrêvait depuis dix ans d'un mouve-ment pas encarté, pas institutionna-lisé et mondial. Les Anonymous, lesmouvements anti-Wall Street, lesprintemps arabes, etc, je trouve çasuper positif. Petit à petit, on serend compte qu'on n'en peut plus,qu'il y a du soutien dans les autrespays, qu'on partage les mêmes frus-trations, les mêmes envies, et qu'onest plein!

Tu es allée à Athènes pour unconcert. Quel est ton sentimentsur la situation sociale et poli-

tique en Grèce?

Ils déchirent les grecs! [Elle nousparle du quartier d'Exarchia, des per-sonnes qui avaient piraté une chaînede télévision, etc. Qu'il «ne faut plusattendre» et «arrêter de demander lapermission»]. Et tout ça, c'est en Eu-rope, c'est pas là-bas, loin, c'est ici.A Athènes, il y a les anarchos, lesautonomes, les libertaires, puis tu asla gauche institutionnelle et l'ext-rême gauche non institutionnelle,etc. Mais tu n'en auras pas un seulqui parlera mal de l'autre. Ils vontdire «on n'est pas d'accord sur ça»,mais par contre quand ils doiventêtre ensemble pour un truc, ils sonttous ensemble. Et ça aussi c'est vrai-ment une leçon de leur part car, jesais pas comment c'est en Belgique,mais putain en France...

Tu dis souvent que la solutiondoit venir d'en bas. Or, en ce mo-ment des mouvements institu-tionnels de gauche radicale semettent en place, en Grèce avecSyriza, en France avec le Front deGauche, etc. Qu'est-ce que tu en

penses?

Il y a les mouvements et il y a lesindividus. Si des gens croient aufond d'eux-mêmes que via les insti-tutions, via un parti, il y a plus deforce, c'est leur chemin. Pour mapart, je trouve qu'un mouvementconstruit de façon pyramidale finittoujours par être réorienté par unpetit chef. J'ai pas trop foi en tout

ça, pour moi on doit faire sans eux.Mais je ne vais pas juger les indivi-dus ni jeter la pierre à l'autre parcequ'il y croit, parce que je vois quedans ses tripes, il a réellement envieque ça bouge. Je pense qu'il faut da-vantage réfléchir à ce qui nous ras-semble plutôt qu'à ce qui nous di-vise, car ça nous fait perdre gravede force.Pour moi, plusieurs choses doivents'articuler. La résistance est superimportante, parce que les murs seresserrent et c'est très important derésister à ça. Mais s'il n'y a que dela résistance et qu'on n'essaie pas deconstruire quelque chose derrière, jevais pas dire que c'est peine perdue,mais on va finir par s'essouffler. Cequi est important, c'est aussi de seréapproprier son pouvoir créateur.Je crois que si aujourd'hui on sedétruit tellement dans Babylone, onse détruit nous-même, les uns lesautres, on mange de la merde, ondétruit la planète, etc., c'est parcequ'on n'a pas d'espace pour créer.Pour moi, la création et la destruc-tion, c'est la même énergie, c'estcomme l'amour et la haine, il y ajuste une énergie, c'est une distor-sion. En fait, on a plein de choses àréinventer, et vite! Mais pour ça, ilfaut de l'espace. En France parexemple, beaucoup de jeunes ur-bains commencent à quitter lesvilles, à partir en forêts, à prendredes terrains, à essayer de construirele village qui leur ressemble, pargroupes d'affinités. Il y a des mou-vements qui sont en train de secréer, ça récupère les terres, des foisça achète, des fois ça squatte. Il y avachement cette vibe en Amériquedu Sud aussi, on reconstruit à labase, on prend de la terre, et vas-yautonomie alimentaire, énergétique,stockage de graines, etc. C'est hyperimportant.

Dans tes chansons, on sent de-puis le début cette synthèse entrela lutte contre le système et la

construction d'alternatives, entrela rage et l' amour, la révolutionde masse et le travail intérieur,

etc.

Oui, c'est clair, parce que je penseque c'est lié, ça doit absoluments'articuler. Parce que, on va lutter

jusqu'à quand contre le rouleaucompresseur? Moi je ne crois pas enla révolution du type «allez, on vaprendre des armes, on va décapiterles rois». On est tellement façonné àl'image du système de toute façonque s'il n'y a pas ce travail intérieur,on reproduira la même chose. Etpuis, en face de nous on a une ma-chine de guerre. Personnellement, jene crois pas que c'est dans le rap-port de force qu'on niquera Baby-lone. Parce que Babylone, sa racinepremière, c'est le rapport de force.Donc j'ai l'impression que dès qu'onest dans le rapport de force, on lenourrit, et en plus on est forcémenten réaction, donc on a forcément uncoup de retard. Je suis pas en trainde dire qu'il faut pas lutter, c'est trèsimportant. Mais pour moi, c'est in-utile si personne ne construit der-rière. Pour moi, Babylone tomberaparce qu'on aura construit sans luiet que, de plus en plus, on quitterale système, on quittera le bateau. Etle bateau coulera parce que pluspersonne ne lui donnera de force.Même la société «normale», à forced'être prise dans ses cancers et sesrecroquevillements, elle finira par sedire «mais il y a des jeunes ils viventà côté là, ils ont l'air épanouis».C'est la spirale d'épanouissement oula spirale de recroquevillement. Pourmoi, il faut reprendre son pouvoircréateur, réinventer les choses. Ces-ser de donner nos compétences à lamachine. Et tout ça grossira, grossi-ra, et on sera tellement balaises! Jecrois que toutes ces petites pochesde résistance, d'autonomie, si ça faitdes réseaux nationaux et internatio-naux de fous, le système perdra desa force. Après, il y aura de la ré-pression, il faut pas se leurrer. On levoit avec des lois comme Lopsi2, ilssentent venir la patate. Aujourd'hui,en France, les plantes médicinales etles savoirs ancestraux via les plantessont interdits. Ça veut dire quoidans une génération? On croitqu'une aspirine ça sort comme çad'une plante? Pour moi stocker desgraines comme le fait Kokopelli parexemple, ça fait partie de la lutte dedemain.

Parlons justement du titre «Y'aurgence!» de ton dernier album.Quand tu parles d'urgence, tu

MUSIQUE

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35Les autres voix de la planète - - hiver 2012/2013

parles ici principalement d'ur-gence par rapport à la crise éco-logique. Or, en ce moment, avecla «crise» économique et finan-cière, on fait passer celle-ci au se-cond plan. On nous dit qu'on n'aplus le temps, qu'on n'a pas lapossibilité de penser à ça...

C'est un des trucs qui m'énervent leplus avec cette crise de merde. Çafait des années qu'on parle de crise,«ah, faut se serrer la ceinture», et àcôté de ça ils te refont les centres-villes de toutes les villes de Francealors que ça coûte des milliards.Sous le nez des gens, comme ça, etpersonne ne dit rien. Je trouve çainsultant. Mais c'est clair qu'àchaque fois qu'ils agitent quelquechose devant, c'est pour qu'on ou-blie ce qu'il y a derrière. Et toutesles manifs «pour le pouvoir d'achat»,où on va dans la rue que lorsqu'à unmoment donné notre compte ban-caire est un peu menacé sinon ons'en bat, ben non... j'y suis pas allée!

On est en train de voir que lesplans d'ajustement structurel queles pays du sud subissent depuisplus de trente ans arrivent dansles pays du «nord», rebaptisés

«plans d'austérité». Est-ce que tutrouves que le «nord» tire les le-çons de l' expérience du «sud»? Etque les liens sont suffisants entreles luttes au sud et au nord?

Pas tant que ça si tu regardes bien.Un peu avec l'Amérique du Sud,parfois. Par exemple, on voit que lagauche à l'échelle internationale esten accord avec les zapatistes. C'estquand même des mayas armés etcagoulés, c'était pas gagné d'avanceque l'intellectuel de gauche de Parisse sente touché et sensibilisé parcette lutte là. Maintenant, tu parlaisdes plans d'ajustement structurel, jen'ai pas vraiment l'impression queles gens se soient bien mis au cou-rant de ce qui s'est passé. Ça faitcombien de temps maintenant? Dixans qu'on vend tous les services pu-blics de France, j'ai pas l'impressionque ça pose beaucoup de problèmesaux gens. Après je ne sais pas, jen'ai pas fait de sondage mais je n'aipas vraiment l'impression que lesgens du nord aient trop retenu les

leçons du sud. Et j'ai pas l'impres-sion qu'il y ait encore beaucoup deconnexions entre les mouvementsdu sud et du nord non plus. Je croisque c'est l'histoire de l'Homme ça...il a tendance à oublier les erreursdu passé, et à les reproduire.

Dans tes albums précédents, tudisais que tu en avais «marre

d'écrire des textes tristes». Est-ceque celui-ci n' est pas plus positif?

Tu trouves? Merci! Par rapport àson titre, je l'aurais voulu plus lumi-neux, mais je n'étais pas forcémentdans la phase la plus lumineuse dema vie. Par contre, j'ai beaucoupplus conscience du pouvoir de lamusique par rapport à l'époque demon premier album où je négligeaisun peu le côté artiste et où je disais«non, il faut être sur le terrain». Au-jourd'hui, avec le recul, j'ai l'impres-sion que ma musique a beaucoupplus de répercussion que tout ce quej'ai pu faire sur le terrain. Même sije néglige pas du tout ce que j'ai pufaire sur le terrain, c'est très impor-tant. Mais ce qu'on me renvoie toutle temps, c'est la musique, donc j'aiappris à moins négliger le rôle d'ar-tiste. La musique rentre dans le

cœur des gens, elle a le pouvoir desouffler d'autres émotions, d'autresidées, de donner de la force. Ellepeut te niveler vers le bas commeelle peut te niveler vers le haut. J'aiessayé de faire quelque chose quinivelle vers le haut. Je sais pas si j'ysuis arrivée... mais voilà, j'essaie demoins négliger cet aspect. En fait, jeme dis que si je peux mettre mamusique sur le terrain... Si demain,par exemple, il y en a qui ont enviequ'on organise un concert pouracheter des terrains, bah venez, onfait ça! J'ai toujours fait des concertsde soutien, des trucs à droite àgauche, mais aujourd'hui j'ai davan-tage conscience de ce que je peuxfaire avec la musique, quand il y aune cause qui manque de moyens,les gens que ça peut ramener, l'ar-gent que ça peut ramener, etc. C'estpas mon truc ou mon argent, ças'appelle la rage du peuple!

Keny Arkana sera en concert àBruxelles le 8 mars 2013 à l'Ancienne

Belgique. Et on espère la revoir àLiège... A suivre!

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À QUI PROFITE LA DETTE?Ensemble, levons l' écran de fumée sur la dette publique belge

Les syndicats FGTB Wallonne et FGTB Bruxelles,le CADTM (Comité pour l’annulation de la dettedu Tiers-Monde) et le Cepag (Centre d’éducationpopulaire André Genot) lancent une campagne surla dette publique belge. L’objectif est d’informermais aussi de lancer un vaste mouvement pour unaudit citoyen de la dette publique belge.

Il paraît que nous sommes condamnés à l'austérité.Condamnés à nous serrer la ceinture. Condamnés àfaire des sacrifices… pour rembourser la dette pu-blique.

Il paraît qu’on a vécu «au-dessus de nos moyens», etque maintenant il va falloir couper dans la sécurité so-ciale, couper dans les services publics, couper dansl’index, couper dans les soins de santé, l’éducation, laculture, couper dans les pensions, couper dans leschômeurs…

Nous, on n’est pas d’accord. L’austérité, on n’en veutpas. On sait ce que ça donne en Grèce, en Espagne, auPortugal, en Italie. Un vrai massacre social et écono-mique.

Nous, on veut savoir pourquoi la dette est devenueénorme, et pourquoi on nous dit que c’est de notrefaute. On veut savoir d’où elle vient, de quoi elle estfaite, si elle est légitime ou non. On veut savoir si c’estvraiment à nous de payer l’addition.

C’est pour cela que nous voulons un audit de la dette.Ensemble, menons l’enquête sur la dette publiquebelge. Pour savoir, enfin, à qui elle profite.

Vous aussi, vous voulez savoir? Alors soutenez notrecampagne!

Découvrez et soutenez la campagne sur www.on-veutsavoir.be