3
ARRAS De notre correspondante régionale M i-mai, Éléonore La- loux a été reçue à l’Élysée pour pré- senter les 21 propo- sitions de son col- lectif Les Amis d’Éléonore. «J’es- pérais voir François Hollande mais il avait un agenda trop chargé», glisse-t-elle avec un sourire malicieux. «C’est sa conseillère qui nous a reçus, mon père et moi. L’en- tretien s’est très bien passé.» Deux heures durant, la jeune Arrageoise a expliqué à son interlocutrice les obstacles qui jalonnent le parcours des jeunes at- teints comme elle de trisomie21 et leur combat pour conquérir une place à l’école puis en entreprise. Devenue la porte-pa- role du collectif, elle a proposé un certain nombre de mesures pour améliorer leur quotidien. « J’aimerais que le regard change un peu. Petit à petit les choses s’améliorent mais il reste beaucoup à faire.» Ce n’est pas la première fois que la jeune femme rencontrait une personnalité pour défendre la cause des personnes porteuses de trisomie 21. De François Fillon à Ro- selyne Bachelot, de Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, à Jean Leo- netti, on ne compte plus les interlocuteurs interpellés par Éléonore Laloux. Celle-ci n’a pas pour autant attrapé la grosse tête. «Je ne suis pas une star. Je suis juste moi- même», cone-t-elle. Lorsqu’elle prend le bus pour se rendre à son travail, il n’est pas rare que des gens la reconnaissent et viennent la féliciter pour son action… Peut-être pas une star, mais une jeune femme devenue très médiatique ! L’histoire d’Éléonore a pourtant bien mal commencé. Atteinte de trisomie 21 et d’une malformation cardiaque grave, elle est considérée comme condamnée. «Les médecins me donnaient juste deux semaines à vivre », s’insurge-t-elle… C’était compter sans son incroyable combativité. «Pour ma toute première opération à cœur ouvert, un mois après ma naissance, je me suis battue. Je voulais vivre ! », arme ce petit bout de bonne femme au caractère bien trempé. Il faudra deux autres inter- ventions pour qu’Éléonore soit vraiment tirée d’aaire. Fin de la parenthèse ? Pas vraiment car un autre combat s’annonçait pour elle, tout aussi rude : celui de l’insertion. De l’école maternelle au lycée, toutes les portes se ferment dès que les parents an- noncent le handicap de leur lle. Manque de moyen, personnel insusant… Les arguments invoqués varient d’un établis- sement à l’autre mais le résultat est le même : on oriente gentiment Éléonore vers des instituts spécialisés. «Nous avons dû aller jusqu’au tribunal administratif, assurent Emmanuel et Maryse Laloux, ses parents, qui ont dû batailler pour maintenir coûte que coûte leur lle dans le système scolaire ordinaire. On nous a traités de parents irresponsables pour avoir osé refuser les décisions arbitraires de la toute-puissante Maison départementale des personnes handicapées.» «J’ai du sou- vent changer d’école, regrette Éléonore. À chaque fois, il fallait se refaire des amis, s’intégrer. Ce n’était pas évident.» Aidée à l’école mater- nelle par une assistante, puis au collège par une auxiliaire de vie scolaire, elle poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’à son inté- gration dans une classe professionnelle. «Là aussi, il a fallu forcer les portes. En raison de son handicap, Éléonore était automatiquement orientée vers des métiers LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE (1/5) Née avec un chromosome en plus et une grave malformation cardiaque, Éléonore se bat pour mener une vie normale et milite pour l’inclusion des personnes porteuses de trisomie Eléonore ou l’itinéraire d’une jeune fille obstinée Éléonore Laloux défend activement la cause des personnes porteuses de trisomie 21. AIMÉE THIRION POUR LA CROIX « Les médecins me donnaient juste deux semaines à vivre. » ppp (Lire la suite page 18.) manuels : cuisine, ménage, jardinage, conditionnement, secteurs qui ne l’inté- ressaient pas du tout. Après un stage pro- fessionnel dans un service administratif, elle a pu rejoindre une formation au bre- vet de bureautique», se félicite son père. Sans décrocher le diplôme, Éléonore ac- quiert suffisamment de compétences pour s’attaquer au monde du travail. En 2006, elle obtient son premier CDD dans le service facturation d’un hôpital privé. «Au début, ça n’était pas facile car j’ai des comportements qui peuvent sur- prendre. Je parle toute seule, je boude fa- cilement quand je ne suis pas contente… Mes collègues ne me comprenaient

LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE Éléonore se bat pour … Croix 3:08:2015.pdfpropose un CDI : sésame pour gagner son indépendance. «Je rêvais d’un apparte-ment ! Je voulais faire

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE Éléonore se bat pour … Croix 3:08:2015.pdfpropose un CDI : sésame pour gagner son indépendance. «Je rêvais d’un apparte-ment ! Je voulais faire

ARRASDe notre correspondante régionale

M i-mai, Éléonore La-loux a été reçue àl’Élysée pour pré-senter les 21 propo-sitions de son col-lecti f L es Amisd’Éléonore. «�J’es-

pérais voir François Hollande mais il avaitun agenda trop chargé�», glisse-t-elle avecun sourire malicieux. «�C’est sa conseillèrequi nous a reçus, mon père et moi. L’en-tretien s’est très bien passé.�»

Deux heures durant, la jeune Arrageoisea expliqué à son interlocutrice les obstaclesqui jalonnent le parcours des jeunes at-teints comme elle de trisomie�21 et leurcombat pour conquérir une place à l’écolepuis en entreprise. Devenue la porte-pa-role du collectif, elle a proposé un certainnombre de mesures pour améliorer leurquotidien. «�J’aimerais que le regard changeun peu. Petit à petit les choses s’améliorentmais il reste beaucoup à faire.�»

Ce n’est pas la première fois que la jeunefemme rencontrait une personnalité pourdéfendre la cause des personnes porteusesde trisomie 21. De François Fillon à Ro-selyne Bachelot, de Jean-Paul Delevoye,médiateur de la République, à Jean Leo-netti, on ne compte plus les interlocuteursinterpellés par Éléonore Laloux. Celle-cin’a pas pour autant attrapé la grosse tête.«�Je ne suis pas une star. Je suis juste moi-même�», con�e-t-elle. Lorsqu’elle prendle bus pour se rendre à son travail, il n’estpas rare que des gens la reconnaissent etviennent la féliciter pour son action…Peut-être pas une star, mais une jeunefemme devenue très médiatique !

L’histoire d’Éléonore a pourtant bienmal commencé. Atteinte de trisomie 21et d’une malformation cardiaque grave,elle est considérée comme condamnée.«�Les médecins me donnaient juste deuxsemaines à vivre�», s’insurge-t-elle… C’étaitcompter sans son incroyable combativité.

«�Pour ma toute première opération àcœur ouvert, un mois après ma naissance,je me suis battue. Je voulais vivre !�», a�rmece petit bout de bonne femme au caractèrebien trempé. Il faudra deux autres inter-ventions pour qu’Éléonore soit vraimenttirée d’a�aire.

Fin de la parenthèse ? Pas vraiment carun autre combat s’annonçait pour elle,tout aussi rude : celui de l’insertion. Del’école maternelle au lycée, toutes lesportes se ferment dès que les parents an-noncent le handicap de leur �lle. Manquede moyen, personnel insu�sant… Lesarguments invoqués varient d’un établis-sement à l’autre mais le résultat est lemême : on oriente gentiment Éléonorevers des instituts spécialisés. «�Nous avonsdû aller jusqu’au tribunal administratif,assurent Emmanuel et Maryse Laloux,ses parents, qui ont dû batailler pourmaintenir coûte que coûte leur �lle dansle système scolaire ordinaire. On nous atraités de parents irresponsables pour avoir

osé refuser les décisions arbitraires de latoute-puissante Maison départementaledes personnes handicapées.�» «�J’ai du sou-vent changer d’école, regrette Éléonore. Àchaque fois, il fallait se refaire des amis,s’intégrer. Ce n’était pas évident.�»

Aidée à l’école mater-nelle par une assistante, puis au collège par une auxiliaire de vie scolaire, elle poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’à son inté-gration dans une classe professionnelle.«�Là aussi, il a fallu forcer les portes. Enraison de son handicap, Éléonore étaitautomatiquement orientée vers des métiers

LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE (1/5) Née avec un chromosome en plus et une grave malformation cardiaque, Éléonore se bat pour mener une vie normale et milite pour l’inclusion des personnes porteuses de trisomie

Eléonore ou l’itinéraire d’une jeune fille obstinée

Éléonore Laloux défend activement la cause des personnes porteuses de trisomie 21.

AIM

ÉE T

HIR

ION

POU

R LA

CRO

IX

« Les médecinsme donnaient justedeux semainesà vivre. »

ppp(Lire la suite page 18.)

manuels : cuisine, ménage, jardinage,conditionnement, secteurs qui ne l’inté-ressaient pas du tout. Après un stage pro-fessionnel dans un service administratif,elle a pu rejoindre une formation au bre-vet de bureautique�», se félicite son père.Sans décrocher le diplôme, Éléonore ac-quiert suffisamment de compétencespour s’attaquer au monde du travail. En2006, elle obtient son premier CDD dansle service facturation d’un hôpital privé.

«�Au début, ça n’était pas facile car j’aides comportements qui peuvent sur-prendre. Je parle toute seule, je boude fa-cilement quand je ne suis pas contente…Mes collègues ne me comprenaient

Page 2: LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE Éléonore se bat pour … Croix 3:08:2015.pdfpropose un CDI : sésame pour gagner son indépendance. «Je rêvais d’un apparte-ment ! Je voulais faire

TÉléonore ou l’itinéraire d’une jeune fille obstinée(Suite de la page 17.)

pas très bien. Ils ne connaissaient pas la trisomie 21 et avaient un peu peur de m’aborder. Petit à petit j’ai fait mes premiers pas vers eux, et aujourd’hui ils sont super sympas avec moi.�»

Deux ans plus tard, son employeur lui propose un CDI : sésame pour gagner son indépendance. «�Je rêvais d’un apparte-ment ! Je voulais faire comme mon frère et prendre mon envol, con�e-t-elle, mais mes parents étaient un peu réticents. Ils avaient peur de me laisser partir…�»

Quand Éléonore obtient un logement dans l’îlot Bon Secours, place de la Préfec-ture, elle rassure ses parents : «�Ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas loin !�» L’appar-tement aménagé dans une ancienne cli-nique – celle-là même où est née Éléonore, vingt-sept�ans plus tôt ! – fait partie d’un projet pilote mené par le bailleur social Pas-de-Calais Habitat. Conjuguant mixité sociale et intergénérationnelle, cette rési-dence abrite des personnes âgées, des familles à revenus modestes, des cadres et des adultes trisomiques. Lieu de ren-contre au rez-de-chaussée pour partager un café entre voisins, équipe d’animateurs présente sur place, tout est pensé pour favoriser les liens entre locataires.

Ici, Éléonore se sent chez elle ! Son appartement, meublé de façon moderne, arbore des couleurs éclatantes. «�C’est moi qui ai choisi la décoration�», précise-t-elle. Au-dessus du canapé rouge : des posters des Rolling Stones. Éléonore avoue avoir un petit faible pour le batteur du groupe !

Face à la baie vitrée trône sa guitare électrique. Passionnée par le rock et le blues, elle prend des cours de musique toutes les semaines dans le centre d’Ar-ras. Le reste du temps, elle mène sa pe-tite vie tranquille, de façon autonome : elle travaille, prépare elle-même ses re-

pas et fait ses courses le week-end avec ses parents.

Pour les vêtements, «�c’est shopping entre �lles�», avec sa maman. Chemisier rose �uo rehaussé d’un petit pendentif à strass, lunettes rayées et mèche rebelle retenue par des barrettes rouges, elle nous parle avec un large sourire de Benoît, son amou-

reux, employé dans le même hôpital maisau service pharmacie. «�On s’est connus aulycée il y a deux ans. Un coup de foudre !On commence à penser au pacs�», lance-t-elle, con�ante. Des projets plein la tête…Et l’envie de vivre comme tout le monde.Malgré son handicap.

FLORENCE QUILLE

ppp

AIM

ÉE T

HIR

ION

POU

R LA

CRO

IX

Passionnée par le rock et le blues, Éléonore Laloux prend des cours de musique toutes les semaines dans le centre d’Arras.

Page 3: LES BELLES HISTOIRES EN FRANCE Éléonore se bat pour … Croix 3:08:2015.pdfpropose un CDI : sésame pour gagner son indépendance. «Je rêvais d’un apparte-ment ! Je voulais faire

Lorsque Éléonore s’est rendue à l’Élysée le 12�mai dernier pour rencontrer la conseillère de Fran-çois Hollande, elle avait sous le

bras un épais dossier : 21 propositions for-mulées par le collectif Les Amis d’Éléonore pour valoriser les di�érences et favoriser l’inclusion des personnes ayant un chro-mosome en plus.

Depuis sa création en 2010, ce collectif regroupant une trentaine d’associations et quelque 3�000 personnes milite pour faire bouger les lignes en matière de han-dicap et changer le regard porté par la société sur la trisomie. S’appuyant sur des expériences pilotes menées en France ou ailleurs, ils font du lobbying auprès des élus et des pouvoirs publics, avançant des propositions concrètes pour aider les tri-somiques à s’épanouir à chaque étape de leur vie.

«�Aujourd’hui, le point noir reste l’école, assure Jean-Paul Wickart, secrétaire du collectif et père d’Élise, jeune trisomique

de 28�ans aujourd’hui employée dans une crèche d’Arras. Pour beaucoup de profes-sionnels, trisomie égale IME (institut médico-éducatif), et il est très compliqué d’obtenir le maintien de nos enfants dans le système scolaire ordinaire. La commission de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) prend trop souvent des décisions mécaniques d’orientation vers les instituts spécialisés.�»

L’école doit être ouverte à tous, enfants trisomiques compris, rappelle le livre blanc du collectif. Qu’importe le temps passé dans telle ou telle classe. L’essentiel est de progresser à son rythme, en fonction de sa singularité. Cela suppose de donner aux enseignants les armes pédagogiques pour faire progresser tous leurs élèves.

«�En matière de formation professionnelle, il n’est pas tolérable de cantonner le choix aux sections proposées dans les instituts médico-professionnels, s’insurge Jean-Paul Wickart. Ma �lle s’est vu proposer d’ap-prendre la mise sous pli alors qu’elle voulait

se former aux métiers de la petite enfance.Certes, elle n’a pas obtenu le CAP mais ellea acquis su�samment de compétences pourtravailler en crèche et dans une école ma-ternelle. En France, on est constamment enquête de diplômes alors que les enfantstrisomiques cherchent des compétencespour exercer un métier qui leur plaît.�»

Le collectif plaide également pour ledéveloppement de logements autonomes,à l’image de l’îlot Bon Secours créé à Arras :des appartements indépendants o�rantun accompagnement pour certains aspectsde la vie comme le ménage, le suivi d’untraitement médical ou la cuisine. «�Depuisl’ouverture de la résidence en 2011, les dixjeunes trisomiques qui y habitent se sonttransformés. Ils ont gagné en autonomie etaspirent à prendre leurs décisions eux-mêmes.�» Une expérience facile à reproduireailleurs.

FLORENCE QUILLE

Depuis 2010, un collectif milite pour faire bouger les lignes en matière de handicap et changer le regard porté par la société sur la trisomie

Les Amis d’Eléonore, 21 propositions pour valoriser les di�érences

DEMAIN : L’arche de Dominique