6
Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 5—10 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com FAITES LE POINT Les bisphosphonates sont-ils antalgiques pour les douleurs rhumatologiques ? Are bishophonates efficient in analgesic efficacy for rheumatic disorders? Rose-Marie Javier (Membre du Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie (CEDR)) Service de rhumatologie, hôpital de Hautepierre, hôpitaux universitaires de Strasbourg, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France Rec ¸u le 6 septembre 2013 ; rec ¸u sous la forme révisée le 11 octobre 2013 ; accepté le 14 octobre 2013 Disponible sur Internet le 22 novembre 2013 MOTS CLÉS Bisphosphonates ; Douleurs chroniques rhumatologiques ; Efficacité antalgique Résumé Les bisphosphonates, traitement de référence de l’ostéoporose post-ménopausique, sont également un traitement majeur des douleurs osseuses secondaires à des pathologies malignes, en particulier pour les molécules utilisées par voie parentérale. Depuis les années 1990, de nombreuses publications rapportent leur efficacité antalgique au cours de pathologies rhumatologiques très diverses, osseuses et articulaires. Les différentes données fondamentales et cliniques confirment cet intérêt antalgique qui passe par des mécanismes anti-ostéoclastiques avec diminution de l’acidité locale, mais également par l’action sur d’autres cellules, ainsi que par une modulation du message douloureux dans les voies nociceptives. Cependant, toutes ces prescriptions restent pour la majorité hors AMM. Prescrire les bisphosphonates en toute sécu- rité dans des pathologies douloureuses réfractaires à la prise en charge habituelle doit être une priorité pour le clinicien en privilégiant les traitements ponctuels avec des molécules peu rémanentes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Bisphosphonates; Painful rheumatic disorders; Analgesic efficacy Summary Bisphosphonates, treatment of choice of post-menopausal osteoporosis, are also widely used for bone metastasis, especially intravenously. Since the 1990s, many publications report their analgesic efficacy in a wide range of rheumatic disorders. Experimental animal studies and clinical studies confirm these analgesic effects by inhibiting bone resorption and acidic microenvironment created by osteoclasts, but also by the action on other cells, as well as Adresse e-mail : [email protected] 1624-5687/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.10.003

Les bisphosphonates sont-ils antalgiques pour les douleurs rhumatologiques ?

Embed Size (px)

Citation preview

Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 5—10

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

FAITES LE POINT

Les bisphosphonates sont-ils antalgiquespour les douleurs rhumatologiques ?

Are bishophonates efficient in analgesic efficacy for rheumaticdisorders?

Rose-Marie Javier (Membre du Cercle d’étude de ladouleur en rhumatologie (CEDR))

Service de rhumatologie, hôpital de Hautepierre, hôpitaux universitaires de Strasbourg,avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France

Recu le 6 septembre 2013 ; recu sous la forme révisée le 11 octobre 2013 ; accepté le 14 octobre2013Disponible sur Internet le 22 novembre 2013

MOTS CLÉSBisphosphonates ;Douleurs chroniquesrhumatologiques ;Efficacité antalgique

Résumé Les bisphosphonates, traitement de référence de l’ostéoporose post-ménopausique,sont également un traitement majeur des douleurs osseuses secondaires à des pathologiesmalignes, en particulier pour les molécules utilisées par voie parentérale. Depuis les années1990, de nombreuses publications rapportent leur efficacité antalgique au cours de pathologiesrhumatologiques très diverses, osseuses et articulaires. Les différentes données fondamentaleset cliniques confirment cet intérêt antalgique qui passe par des mécanismes anti-ostéoclastiquesavec diminution de l’acidité locale, mais également par l’action sur d’autres cellules, ainsi quepar une modulation du message douloureux dans les voies nociceptives. Cependant, toutes cesprescriptions restent pour la majorité hors AMM. Prescrire les bisphosphonates en toute sécu-rité dans des pathologies douloureuses réfractaires à la prise en charge habituelle doit êtreune priorité pour le clinicien en privilégiant les traitements ponctuels avec des molécules peurémanentes.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBisphosphonates;Painful rheumaticdisorders;Analgesic efficacy

Summary Bisphosphonates, treatment of choice of post-menopausal osteoporosis, are alsowidely used for bone metastasis, especially intravenously. Since the 1990s, many publicationsreport their analgesic efficacy in a wide range of rheumatic disorders. Experimental animalstudies and clinical studies confirm these analgesic effects by inhibiting bone resorption andacidic microenvironment created by osteoclasts, but also by the action on other cells, as well as

Adresse e-mail : [email protected]

1624-5687/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.10.003

6 R.-M. Javier

modulation of nociceptive pathways. However, these prescriptions remain for most not appro-ved. Prescribing safely bisphosphonates for the treatment of refractory pain should be a priorityfor the clinician focusing one infusion with less persistent compounds.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

I

Loaelladpaplpcflaoldsaéum

és

asectrBa

Ac

Ld

LdàrlCalosutmcdtimqt

Lo

SlmlpcclmtaptTeedd

Ln

ntroduction

es bisphosphonates (BP), dont les effets biologiques ont étébservés à partir de 1969, sont des composés synthétiquesnalogues structuraux du pyrophosphate inorganique cecixpliquant leur capacité à se fixer au minéral osseux danses zones osseuses actives. Lors de la résorption osseuse,’ostéoclaste va internaliser le BP grâce à ses vésiculescides puis le BP va interférer avec les différentes étapesu processus de résorption ostéoclastique par une actionhysico-chimique ainsi que par un effet cellulaire. Lesminobisphosphonates inhibent spécifiquement la farnésylyrophosphate synthase, enzyme clé de la voie du méva-onate, bloquant ainsi la prénylation des petites GTPases,rotéines de signalisation indispensables à de nombreux pro-essus cellulaires. L’inhibition de la prénylation va altérer laonction et la morphologie de l’ostéoclaste parfois jusqu’à’apoptose. Depuis les années 1990, grâce à cette actionntirésorptive puissante et à leur remarquable sélectivitésseuse (absence d’interférence avec d’autres métabo-ismes, absence de portage protéique plasmatique, absencee biotransformation dans l’organisme, élimination urinaireous forme intacte), ils se sont imposés pour leur actionnti-fracturaire dans l’ostéoporose post-ménopausique maisgalement dans le traitement des atteintes osseuses ayantn métabolisme osseux accru, que ces pathologies soientalignes ou bénignes.Une action antalgique du pamidronate intraveineux avait

té observée dès la fin des années 1980 au cours des méta-tases, de la maladie de Paget et de la dysplasie fibreuse.

L’os, tissu de soutien de l’appareillocomoteur, est un tissu sensible, richement

innervé avec une innervation sensitive etsympathique particulièrement importante enpériosté avec un maillage très dense en fibres

mécanosensibles.

Depuis quelques années, le développement de modèlesnimaux a permis une meilleure connaissance de la phy-iopathologie des douleurs osseuses bénignes et malignes,xpliquant pourquoi de nombreuses pathologies non can-éreuses peuvent entraîner des douleurs osseuses parfoisrès sévères. Ainsi, 40 ans après la première utilisation thé-apeutique des BP chez l’homme, l’intérêt antalgique desP se confirme et est étayé par des études fondamentalesnimales.

pport des modèles animaux pouromprendre l’efficacité antalgique des BP

Cnad

es BP inhibent la résorption osseuse etiminuent l’acidité locale

’efficacité antalgique des BP, principalement étudiée danses modèles tumoraux, a été attribuée principalement

l’inhibition de l’hyperrésorption osseuse et des étudesécentes suggèrent que la douleur osseuse induite pare cancer est associée au niveau de résorption osseuse.ependant, toute hyperrésorption est aussi associée à unecidification du micro environnement responsable des dou-eurs par l’intermédiaire de l’activation des nocicepteurssseux sensibles à l’acidité ou récepteurs vanilloïdes (tran-ient receptor potential vanilloïd type-1 ou TRPV1). Dansn modèle murin de douleur par injection de cellulesumorales dans la moelle osseuse fémorale, un traite-ent par zolédronate a réduit l’expression de mRNA des

anaux ioniques sensibles à l’acidité avec une réductione la progression de l’hyperalgésie parallèle à une réduc-ion de la progression des cellules tumorales. L’utilisationntraveineuse d’ibandronate a permis une diminution desarqueurs neurochimiques de sensibilisation centrale ainsiu’une diminution de la destruction osseuse induite par laumeur.

es BP ont une action sur des cellules nonsseuses

i les ostéoclastes sont la cible privilégiée des BP grâce àeur affinité pour la matrice minérale et aux conditions chi-iques acides idéales permettant leur internalisation dans

’ostéoclaste, les BP peuvent également être internalisésar différents types de cellules in vitro et dans certainesonditions in vivo. Les BP peuvent inhiber la fonction desellules endothéliales in vitro et in vivo, intervenant danses processus d’angiogenèse. Dans les conditions expéri-entales, les BP peuvent agir directement sur les cellules

umorales en bloquant leur adhésion et leur proliférationvec in vivo, l’induction d’un effet proapoptotique. Delus, les BP exercent une action sur les cellules immuni-aires, en particulier les macrophages et les lymphocytes, avec modification de la production de cytokines pro-t anti-inflammatoires. Ainsi, dans des modèles d’arthritexpérimentale, les BP peuvent améliorer les arthrites etiminuer les paramètres inflammatoires avec une apoptosees macrophages de la synoviale.

es BP ont une action sur les voies de laociception

ertaines données animales suggèrent que l’action anti-ociceptive des BP n’est liée ni à une action directentiostéoclastique ou antitumorale, ni à une diminutione l’acidité locale micro environnementale susceptible

huma

éll4pEmvd

ndecd

El

Lsutcécddp[

uruaddcrcisap

atjtt[dnppa

Les bisphosphonates sont-ils antalgiques pour les douleurs r

d’exciter les nocicepteurs osseux sensibles à cette acidité.Dans différents modèles murins de douleurs nociceptivesnon osseuses (mécanique, chimique ou inflammatoire), lepamidronate, le clodronate et l’ibandronate ont démontréleur action antalgique avec une diminution des taux de sub-stance P et de cytokines pro-inflammatoires. Ainsi, dansun modèle murin de douleur induite par injection d’acideacétique par voie sous-cutanée dans la patte, l’injectiond’alendronate par voie intrapéritonéale a un effet antino-ciceptif dose-dépendant. Bonabello et al. ont démontré,dans différents modèles animaux de douleur (test de cons-triction abdominale et Tail-Flick test ou stimulation parla chaleur de la queue du rat) que l’injection intravei-neuse ou intracérébroventriculaire de différents BP a uneaction antinociceptive propre sans passer par un méca-nisme osseux ou anti-inflammatoire. Au Tail-Flick test, leclodronate et le pamidronate sont moins antalgiques quela morphine mais 10 fois plus puissants que l’acide acétyl-salicylique. Dans un modèle d’arthrite inflammatoire chezle rat, l’ibandronate par voie générale diminue l’œdèmeinflammatoire, l’hyperalgésie, les taux de substance P etde son mRNA dans le ganglion ipsilatéral. Dans un modèlede douleur neuropathique par lésion nerveuse chez le rat,un traitement par clodronate liposome-encapsulé diminuele recrutement des macrophages, améliore l’hyperalgésiethermique et diminue la dégénérescence des axones myéli-nisés et non myélinisés. Très récemment, l’action antalgiquerespective du minodronate et de la morphine comparés auplacebo intraveineux a été évaluée dans un modèle de dou-leur inflammatoire induite par l’injection de formaline dansla patte chez le rat. Par rapport au placebo, le minodronateréduit de facon statistiquement significative les réponsesnociceptives et améliore l’utilisation de la patte seulementpour la phase tardive c’est-à-dire après 10 minutes ce quicorrespond pour les auteurs à la phase de sensibilisation spi-nale alors que la morphine est efficace en phase précocelocale et tardive [1].

Au total, l’action antinociceptive centrale etpériphérique des BP est nette, modérée mais

n’est pas encore totalement expliquéeactuellement.

Efficacité antalgique des BP dans lespathologies osseuses malignes

Les BP sont un élément essentiel de l’arsenal thérapeutiquecontre les métastases osseuses, puisqu’ils ont démontré deseffets osseux bénéfiques au cours de certains cancers. Glo-balement, la proportion de patients souffrant d’évènementssquelettiques est réduite de 30 à 50 % selon les moléculesavec une moindre consommation d’antalgiques, une amélio-ration de la qualité de vie et une préservation de la fonctionmusculosquelettique.

Pour l’analyse spécifique de l’effet antalgique, la méta-analyse Cochrane de Wong et al. conclut à un impactfavorable, mais modeste, des BP sur les douleurs osseusesmétastatiques osseuses au cours du cancer du sein. Cette

l1ép

tologiques ? 7

tude insiste sur l’absence de méthode consensuelle et’importante diversité des critères d’évaluation de la dou-eur selon les études. Le bénéfice des BP est comparable à

et à 12 semaines et il est nécessaire de traiter 11 personnesour obtenir une efficacité antalgique à 4 semaines (NNT).n revanche, il n’est pas possible de déterminer quelle est laolécule ayant la meilleure efficacité antalgique ni quelle

oie privilégier en l’absence de comparaison « face à face »es molécules orales et intraveineuses.

Au cours du myélome, les BP ont démontré qu’ils dimi-uaient la douleur osseuse, réduisaient la consommation’antalgiques, et amélioraient la qualité de vie ce quixplique les recommandations européennes d’utilisation dulodronate, du pamidronate et du zolédronate pour uneurée d’au moins 2 ans.

fficacité antalgique des BP dans’ostéoporose

ors d’une fracture vertébrale récente hyperalgique, plu-ieurs études ouvertes avec de petits effectifs ont décritne baisse significative de l’EVA douleur, de la consomma-ion d’antalgiques et une mobilisation plus rapide avec dulodronate intraveineux ou pamidronate intraveineux. Unetude randomisée, contrôlée, double insu contre placebooncernant 32 patients a confirmé que le pamidronate à laose totale de 90 mg diminue significativement la douleurès le 7e jour (diminution de l’EVA de 23 mm dans le groupelacebo et de 42 mm dans le groupe pamidronate, p < 0,01)2].

En revanche, si l’efficacité anti-fracturaire des BP estnanimement reconnue, ces études se sont rarement inté-essées à l’impact des BP sur la douleur. Cependant, dansne analyse rétrospective de l’étude FIT, un traitement parlendronate pendant 3 ans a permis de réduire le nombree jour d’alitement et le nombre de jour de handicapus à une douleur rachidienne par rapport au groupe pla-ebo (p = 0,001 et p = 0,004 respectivement). Dans une étudeandomisée ouverte de 115 patients atteints d’ostéoporoseortisonique, Ringe et al. ont démontré que l’ibandronatentraveineux trimestriel pendant 3 ans permet une réductionignificative du score de douleur rachidienne par rapportu groupe alfacalcidol (critère d’efficacité secondaire avec

< 0,001).Différentes équipes ont analysé spécifiquement l’action

ntalgique des BP intraveineux dans des populations par-iculières comme chez des enfants atteints d’ostéoporoseuvénile idiopathique ou chez des patients ostéoporo-iques secondaires à des pathologies systémiques (�-halassémie, pathologies neuromusculaires chez l’enfant. . .)3,4]. L’analyse rétrospective de 50 perfusions de pami-ronate réalisées chez 12 enfants, atteints de maladieeurologique entraînant une déficience motrice avec ostéo-orose secondaire symptomatique rendant la prise en chargehysiothérapique impossible, objective un effet bénéfiqueprès 98 % des perfusions, soit 20 % de disparition pro-

ongée des douleurs, 60 % de disparition transitoire, et8 % de baisse de l’EVA d’au moins 3/10. La tolérance até bonne avec des effets secondaires limités (syndromeseudogrippal) et rapidement réversibles. Ces données

8

s22c1tdtd

Epaod

Dnéri

L

Ddald6madldda(anmedd4pll

L

Dcnpmllcs

ada4dÀt6s

L

DCtfdrnp[

L

AA3MtBtadd

ddr

L

DmcpCln

dpp

ont proches des résultats obtenus dans l’étude de phase, randomisée, ouverte, neridronate versus placebo, de4 mois réalisée chez 118 adultes atteints de �-thalassémieompliquée d’ostéoporose. Dans l’analyse intermédiaire à

an, le neridronate 100 mg i.v./3 mois permet une réduc-ion significative à 3 mois (p < 0,02) et à 6 mois (p < 0,002)e la douleur rachidienne, réduction à partir de 3 mois deraitement avec une diminution de 50 % de la consommation’antalgiques. Ces effets persistent à 12 mois [3].

fficacité antalgique des BP dans d’autresathologies osseuses et/ou articulaires :lgodystrophie, pied de Charcot, SAPHO,stéonécrose aseptique, arthrose,iscopathie érosive. . .

epuis la démonstration de l’effet antalgique du pamidro-ate injectable dans la dysplasie fibreuse, plusieurs BP ontté utilisés à visée antalgique pour diverses pathologieshumatologiques ayant une composante osseuse directe oundirecte.

’algodystrophie

ans l’algodystrophie, l’administration intraveineuse deifférents BP (pamidronate principalement, clodronate,lendronate) permet une diminution significative de la dou-eur dans plusieurs études ouvertes de petit effectif et aveces doses variables de pamidronate (60 mg en dose unique,0 mg/j 3 jours d’affilée avec ou sans répétition du traite-ent à 3 et 6 mois. . .). Dans une étude randomisée double

veugle contre placebo, l’alendronate oral journalier à laose de 40 mg/j (dose qui n’est pas celle utilisée pour’ostéoporose mais au cours de la maladie de Paget) pen-ant 8 semaines a permis une diminution significative de laouleur mesurée par l’EVA (p < 0,001) [5]. Cette efficaciténtalgique modérée au cours des CRPS de type 1 récentsen général moins d’un an) est décrite par la récente méta-nalyse Cochrane de O’Connell et al. Cette méta-analyse’a pas intégré la très récente étude multicentrique rando-isée double aveugle néridronate (4 intraveineuses de 10 mg

n 10 jours) versus placebo réalisée chez 82 patients atteintse CRPS de type 1 récents de la main ou du pied. Cette étudeonne des résultats comparables. À j20, l’EVA a baissé de6,5 mm dans le groupe traité versus 22,6 mm dans le groupelacebo (p < 0,0001) avec une amélioration significative dea qualité de vie. À un an, aucun symptôme en relation avec’algodystrophie n’est rapporté sous néridronate [6].

’ostéonécrose aseptique

es études précliniques ainsi que des études non contrôléeshez l’homme suggèrent que les BP intraveineux (pamidro-ate principalement ou zoledronate) sont bénéfiques dans larise en charge des ostéonécroses aseptiques. Chez l’adulteais aussi chez l’enfant, les BP diminuent la douleur et amé-

iorent la mobilité au cours des ostéonécroses aseptiques dea tête fémorale [7]. Kraenzlin et al., dans une étude ouverteomprenant 28 patients souffrant d’ostéonécrose du genoupontanée (6 patients) ou post-arthroscopique (22 patients)

fdcc

R.-M. Javier

vec œdème osseux magnétique (IRM), ont perfusé du pami-ronate (120 mg i.v. en 3 ou 4 perfusions pendant 2 semaines)vec un relais par alendronate (70 mg par semaine) pendant

à 6 mois. La baisse de l’EVA douleur a été rapide, passante 8,2 cm à l’inclusion à 5,02 cm à 4 à 6 semaines (p < 0,001).

6 mois, l’EVA a baissé de 80 % (p < 0,001) avec dispari-ion de toute symptomatologie chez 15 des 28 patients. À

mois, l’œdème magnétique a disparu chez 18 patients et’est amélioré nettement chez les autres.

e pied de Charcot

ans la neuroarthropathie diabétique du pied ou maladie deharcot, le pamidronate injectable a permis une améliora-ion de la douleur avec reprise de la fonction. Ces résultatsavorables ont été obtenus par de courtes séries voire danses observations ponctuelles. Cependant, une étude piloteandomisée contrôlé réalisée chez 39 patients consécutifs’a pas permis de démontrer de bénéfice à un traitementar 3 perfusions de 4 mg de zolédronate à 1 mois d’intervalle8].

es spondyloarthrites et le SAPHO

u cours de la spondylarthrite ankylosante réfractaire auxINS, des perfusions de pamidronate (30 mg/mois pendant

mois puis 60 mg/mois pendant 3 mois selon le protocole deaksymowych), ont été efficaces sur la douleur avec une

endance à la baisse de l’EVA, une diminution de l’indiceASDAI de plus de 30 % et une réduction de la consomma-ion d’antalgiques avec une persistance de ces effets 3 moisprès l’arrêt des perfusions. Cette réponse clinique est dose-épendante, supérieure avec des doses de 60 mg qu’avec desoses de 10 mg en entretien.

Il est important de noter l’atténuation del’œdème osseux périarticulaire et de la prise de

contraste lors des contrôles IRM.

Des données comparables ont été publiées dans le syn-rome SAPHO avec une bonne réponse antalgique dans 85 %es cas après 3 perfusions de 60 mg de pamidronate et uneémission prolongée dans 2/3 des cas.

’arthrose rachidienne et périphérique

es études expérimentales et des modèles animauxontrent que les BP ont un effet sur le métabolisme du

artilage et des chondrocytes avec une action de chondro-rotection en situation normale et au cours de l’arthrose.hez l’animal avec arthrose induite, les BP réduisent

’incidence et la progression des ostéophytes avec une dimi-ution des lésions osseuses sous-chondrales en IRM.

Chez l’homme, plusieurs études ont analysé l’effetes BP par voie générale dans l’arthrose rachidienne ouériphérique. Une analyse rétrospective de l’étude FIT aermis de démontrer qu’après 3 ans d’alendronate oral, les

emmes ménopausées ostéoporotiques présentaient moins’ostéophytes rachidiens et une moindre progression du pin-ement discal. Dans une étude pilote ouverte, une équipelermontoise a traité des patients atteints de discopathie

huma

t3mplrdê

d3hnbvd

ddortptmalpéfpê

àsdmdpduêspsc

mctdf

C

T

Les bisphosphonates sont-ils antalgiques pour les douleurs r

érosive de type Modic I par 90 mg de pamidronate à j1 età j2. À un an, L’EVA moyenne est passé de 65 mm à 32 mm(p = 0,01) et 9 patients sur 10 ne constatent plus de rythmeinflammatoire de la douleur.

Dans la gonarthrose, une étude pilote avec un traitementjournalier par risédronate oral a permis une réduction de ladouleur avec une amélioration des scores globaux, mais cesdonnées n’ont pas été confirmées dans une étude randomi-sée multicentrique de méthodologie proche. Récemment,une étude randomisée contrôlée double aveugle, versus pla-cebo, a testé l’efficacité du zoledronate (5 mg en perfusionunique) chez 59 adultes atteints de gonarthrose symptoma-tique avec un œdème osseux en IRM (séquence pondéréeT2). Différents paramètres ont été analysés : l’EVA douleur,la fonction articulaire par le Knee Injury and OsteoarthritisOutcome Score et les lésions de la moelle osseuse en IRM.Tous ces paramètres ont été analysés à l’inclusion, 3 mois,6 mois et 12 mois. Le zolédronate intraveineux a permis uneaction antalgique statistiquement significative uniquementà 6 mois (avec une baisse de l’EVA de 14,5 mm, 95 CI —28,1 à—0,9, p = 0,004). Les hypersignaux osseux ont été réduits defacon statistiquement significative par rapport au placebodans le groupe zolédronate à 6 mois (−180,1 mm2, p = 0,02)et à 12 mois (−163,3 mm2, p = 0,04) [9]. Or, ces lésionsosseuses en IRM prédiraient la perte cartilagineuse dansl’arthrose et sont corrélées aux symptômes douloureux.L’utilisation de bisphosphonates par voie i.v. en permettantune meilleure biodisponibilité que les formes orales, pour-rait être une arme thérapeutique dans les arthroses avecdes lésions osseuses détectables en IRM.

Les BP par voie locale ont également été évalués dansla gonarthrose. Une étude randomisée de phase II a com-paré l’efficacité antalgique de 4 injections intra-articulaireshebdomadaires de clodronate à différentes doses à del’acide hyaluronique chez 150 patients souffrant de gonar-throse primitive. Les EVA pour la douleur spontanée, à lamarche ou au mouvement, ainsi que l’indice de Lequesne,se sont améliorés de facon significative dans tous les groupesaprès la première injection de BP avec une améliorationprogressive jusqu’à 5 semaines sans différence significa-tive entre les groupes [10]. Pour ces auteurs, l’utilisationintra-articulaire des BP permet d’obtenir des concentra-tions intra-articulaires importantes que ne permettent pasles traitements par voie générale, soit du fait de la mau-vaise biodisponibilité soit par la captation par le reste dusquelette des BP administrés.

Les risques potentiels des BP et leursconséquences en pratique

Les aminobisphosphonates ne sont pas équivalents tantpour leurs caractéristiques pharmacologiques, leur puis-sance d’action que pour leurs effets indésirables. Ilexiste d’importantes différences d’affinité pour le cristald’hydroxyapatite expliquant la fixation osseuse élective etprolongée (demi-vie terminale pouvant aller jusqu’à 10 ans)

mais aussi la rémanence d’action très prolongée de certainsBP. La puissance antirésorptive diffère également selon lesproduits, le zolédronate étant de loin le composé le pluspuissant.

prde

tologiques ? 9

Les BP par voie intraveineuse sont habituellement bienolérés avec une réaction aiguë qui peut durer jusqu’à

jours à type de syndrome pseudo-grippal avec hyperther-ie et arthralgies. Ces symptômes sont plus fréquents etlus intenses lors de la première perfusion surtout chezes sujets jeunes. Le patient doit être prévenu de ceisque avant la perfusion et une prescription systématique’antipyrétique et d’antalgiques à type de paracétamol peuttre utile.

Ces traitements ne sont pas autorisés en cas’insuffisance rénale avec une clairance inférieure à0 mL/min. Une adaptation de la dose et une très bonneydratation sont indispensables pour éviter les exception-elles atteintes rénales consécutives à des perfusions deisphosphonates. Il est préférable de corriger une carenceitaminique D avant traitement afin de limiter le risque’hypocalcémie symptomatique.

Le risque d’ostéonécroses de mâchoire a été décritepuis 2004 pour les bisphosphonates intraveineux utilisése facon répétée mensuelle pour des métastases osseusesu un myélome. Cela a mené dès 2005 à une modification desecommandations aux États-Unis. Le risque est plus impor-ant lorsque les bisphosphonates intraveineux sont trèsuissants avec une forte rémanence, expliquant que cer-aines sociétés savantes préfèrent utiliser du pamidronate,oins puissant et moins rémanent pour la prise en charge

u long cours du myélome par exemple. L’incidence de’ostéonécrose de mâchoire chez les patients traités par bis-hosphonates intraveineux pour des pathologies malignes, até estimée entre 1 % à 10 % avec un risque beaucoup plusaible pour les patients traités par bisphosphonates pour uneathologie osseuse bénigne. Cependant, ce risque ne peuttre totalement écarté et le patient doit être prévenu.

Comme aucun des bisphosphonates injectables n’a l’AMM visée antalgique pour des pathologies autres que néopla-iques, toute utilisation de bisphosphonates intraveineux enehors de ces cas doit être prudente et argumentée (docu-entation iconographique d’une composante osseuse etonnées de la littérature). Il faut privilégier les traitementsonctuels avec une dose suffisante, du fait de l’effet-doseécrit dans certaines études. Par exemple, si le clinicientilise du pamidronate, une seule perfusion de 90 mg pourratre envisagée avec une réévaluation systématique quelquesemaines plus tard, avant d’envisager une éventuelle autreerfusion. En dehors de maladies osseuses comme la dyspla-ie fibreuse ou la maladie de Paget, aucun traitement au longours ne peut être envisagé dans l’indication « douleur ».

La prudence est de mise chez les femmes pré-énopausiques susceptibles de mener une gestation. Une

ontraception est indispensable pendant toute la durée duraitement chez ces femmes qui doivent être prévenuesu risque pour l’enfant de tératogénicité et d’hypotrophieœtale.

onclusion

outes ces données montrent à l’évidence que les BP (le

lus souvent le pamidronate par voie parentérale) ont unôle pharmacologique dans la modulation de l’informationouloureuse dans les pathologies rhumatologiques lorsqu’ilxiste une composante osseuse. Cet effet antalgique est lié

1

nve

ctocs

dtapfr

D

Lt

R

[10] Rossini M, Viapiana O, Ramonda R, Bianchi G, Olivieri I, Lapa-dula G, et al. Intra-articular clodronate for the treatment of

0

on seulement à leur puissante action antiostéoclastiqueoire antitumorale mais peut-être à d’autres mécanismesncore à élucider.

En pratique quotidienne, les données de la littératureautionnent l’utilisation ponctuelle des BP lors de cer-aines douleurs ostéoarticulaires réfractaires à composantesseuse récente prédominante avec une réévaluation pré-ise des bénéfices attendus mais également des effetsecondaires.

En effet, cette prescription, hors AMM, le plus souvente courte durée, ne peut être envisagée que dans des casrès précis d’échec de la prise en charge conventionnellentalgique par des praticiens connaissant parfaitement laharmacologie des BP. L’utilisation de BP intraveineux àaible rémanence, comme le pamidronate, semble préfé-able pour obtenir un rapport bénéfice-risque favorable.

POINTS ESSENTIELS

Les points essentiels à retenir sont :• Les bisphosphonates, en particulier par voie

parentérale, sont un traitement majeur des douleursosseuses secondaires à des pathologies malignesmais de nombreuses publications rapportent leurefficacité antalgique au cours de pathologiesrhumatologiques très diverses, osseuses etarticulaires (ostéoporose, algodystrophie, piedde Charcot, SAPHO. . .) ;

• En plus de l’action antalgique liée à l’inhibitionde la résorption avec diminution de l’aciditémicroenvironnementale voire à l’actionantitumorale, les BP pourraient inhiber directementle message douloureux ;

• Les bisphosphonates, groupe de médicamentshétérogène pour leur affinité osseuse et leurpuissance d’action, ne sont pas tous équivalents ;

• L’utilisation de traitements ponctuels, de préférenceavec des BP peu rémanents comme le pamidronate,est à privilégier en corrigeant au préalable uneéventuelle carence en vitamine D ;

• L’utilisation à visée antalgique est hors AMM en

dehors des pathologies néoplasiques incitant à unegrande vigilance dans les prescriptions.

R.-M. Javier

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

[1] Segawa T, Miyakoshi N, Kasukawa Y, Aonuma H, Tsuchie H, Shi-mada Y. Analgesic effects of minodronate on formalin-inducedacute inflammatory pain in rats. Biomed Res 2013;34:137—41.

[2] Armingeat T, Brondino R, Pham T, Legré V, Lafforgue P. Intra-venous pamidronate for pain relief in recent osteoporoticvertebral compression fracture: a randomized double-blindcontrolled study. Osteoporos Int 2006;17:1659—65.

[3] Forni GL, Perrotta S, Giusti A, Quarta G, Pitrolo L, Cappel-lini MD, et al. Neridronate improves bone mineral densityand reduces back pain in �-thalassaemia patients with osteo-porosis: results from a phase 2, randomized, parallel-arm,open-label study. Br J Haematol 2012;158:274—82.

[4] Leblicq C, Laverdière C, Décarie JC, Delisle JF, Isler MH,Moghrabi A, et al. Effectiveness of pamidronate as treat-ment of symptomatic osteonecrosis occurring in childrentreated for acute lymphoblastic leukemia. Pediatr Blood Can-cer 2013;60:741—7.

[5] Manicourt DH, Brasseur JP, Boutsen Y, Depreseux G, DevogelaerJP. Role of alendronate in therapy for post-traumatic complexregional pain syndrome type I of the lower extremity. ArthritisRheum 2004;50:3690—7.

[6] Varenna M, Adami S, Rossini M, Gatti D, Idolazzi L, Zucchi F,et al. Treatment of complex regional pain syndrome type 1 withneridronate: a randomized, double-blind, placebo-controlledstudy. Rheumatology 2013;52:534—42.

[7] Cardozo JB, Andrade DM, Santiago MB. The use of bisphos-phonate in the treatment of avascular necrosis: a systematicreview. Clin Rheumatol 2008;27:685—8.

[8] Pakarinen TK, Laine HJ, Mäenpää H, Mattila P, Lahtela J. Theeffect of zoledronic acid on the resolution of Charcot neuroar-thropathy. Diabetes Care 2011;34:1514—6.

[9] Laslett LL, Doré DA, Quinn SJ, Boon P, Ryan E, WinzenbergTM, et al. Zoledronic acid reduces knee pain and bone marrowlesions over 1 year: a randomised controlled trial. Ann RheumDis 2012;71:1322—8.

knee osteoarthritis: dose ranging study vs. hyaluronic acid.Rheumatology 2009;48:773—8.