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Les camps et la déportation des juifs dans l'Indre Douadic – Montgivray – La Vernusse 1940 – 1944 Textes et documents par Philippe Barlet Châteauroux - novembre 2004 1 Camp de Douadic en 1943 (cliché Jane Billard, coll. particulière)

Les camps et la déportation des juifs dans l'Indre · Dans les jours suivants, sous le nom d'« État français », il établit un régime autoritaire dont le siège est fixé dans

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Les camps et la déportation

des juifs dans l'Indre

Douadic – Montgivray – La Vernusse1940 – 1944

Textes et documents

par Philippe Barlet

Châteauroux - novembre 2004

1

Camp de Douadic en 1943 (cliché Jane Billard, coll. particulière)

Page 2: Les camps et la déportation des juifs dans l'Indre · Dans les jours suivants, sous le nom d'« État français », il établit un régime autoritaire dont le siège est fixé dans

© Philippe Barlet et Réseau Canopé. Site de Châteauroux – janvier 2015 (pour cette édition)

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SOMMAIRE

Page

• Présentation 4

• Le camp de Douadic et la Déportation des juifs dans l'Indre, 1939-1945

5

• Un camp oublié dans l'Indre. Montgivray, 1941-1945

95

• Le centre d'accueil n° 51bis de La Vernusse à Bagneux (Indre), 1940-1945

103

• À propos du retour des déportés dans l'Indre en 1945

109

Document de couverture : vue générale du camp de Douadic en 1943(cliché Jane Billard, coll. particulière)

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Présentation

Dans l'Indre, trois camps ont fonctionné au cours de la Seconde Guerre mondiale :- celui de Douadic, principalement destiné aux juifs ;- celui de Montgivray, destiné groupements de travailleurs étrangers ;- celui de La Vernusse (commune de Bagneux), destiné aux femmes et aux enfants

polonais catholiques.Deux de ces camps, celui de Douadic principalement mais aussi celui de Montgivray,

ont servi de première étape à la déportation des juifs vers les camps d'exterminatino nazis. Le présent recueil propose des textes relatifs à ces trois camps ; en complément figure une brève présentation de documents permettant d'aborder le retour des déportés dans l'Indre après la libération des camps.

Cet ensemble est bien sûr loin d'être exhaustif ; néanmoins, son objectif est de servir de base documentaire à une réflexion sur l'univers des camps dans l'Indre pour les élèves des écoles, des collèges et des lycées.

N.B. La réalisation de ce document n'aurait pu être possible sans la collaboration d'Alain Giévis et de Jean-Louis Laubry dont les recherches sur l'histoire de l'Indre pendant la Seconde Guerre mondiale ont permis d'approfondir considérablement notre connaissance sur cette période.

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Le camp de Douadicet la Déportation des

juifs dans l'Indre

1939 – 1945

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Groupe d'internés dans le camp de Douadic, 1943(cliché x, coll. particulière)

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INTRODUCTION

En mai - juin 1940, l'armée française est vaincue par l'armée allemande qui occupe

Châteauroux le 23 juin et atteint le 25, au moment de l'entrée en vigueur de l'armistice

signé le 22 juin précédent, une ligne La Châtre - Montmorillon.

Par suite de la convention d'armistice, la France est divisée par la ligne de démarcation

qui sépare la zone libre (ou non occupée) au Sud de la zone occupée par les troupes

allemandes au Nord. L'Indre est alors entièrement comprise dans la zone libre et les

parties non occupées du Cher et de l'Indre-et-Loire sont rattachées à son administration

préfectorale. Les troupes allemandes évacuent Châteauroux et le département le 30 juin

1940.

Le 10 juillet 1940, le Maréchal Philippe PÉTAIN reçoit les pleins pouvoirs constituants

de l'Assemblée nationale réunie à Vichy, en zone non occupée. Dans les jours suivants,

sous le nom d'« État français », il établit un régime autoritaire dont le siège est fixé dans

la même ville. Il met aussitôt en œuvre une politique, la « Révolution nationale »,

organisée autour de la devise « Travail - Famille - Patrie ».

L'antisémitisme est une des principales composantes de l'idéologie de la Révolution

nationale.

Les idées antisémites étaient présentes dans le Berry depuis la fin du XIXe siècle, où

elles s'exprimaient notamment dans la revue fondée et animée par le sculpteur berrichon

Jean Baffier, Le Réveil de la Gaule. Dans les années Trente, notamment lors de la mise en

place du gouvernement de Front populaire en 1936, elles s'exprimaient violemment dans

l'Indre dans un hebdomadaire royaliste, Le Nouveau Berry.

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À l'ombre des miradors de Douadic... Le personnel d'encadrement du camp de Douadic ;de gauche à droite : Prosper Masson, Dr André Blum, René L'Herminé, Jane, Billard, M. Fontaine

(cliché x, coll. particulière)

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1ère partie

Vichy et le premier Statut des Juifs (3 octobre 1940)

« Est regardé comme juif

toute personne issue de

trois grands-parentsde race juive

ou dedeux grands-parentsde la même race,si son conjoint

lui-même est juif »

Le 3 octobre 1940, le gouvernement de Vichy publie de son seul fait et sans pression allemande, son premier Statut des Juifs.Le lendemain, les préfets sont autorisés à ordonner l'internement des juifs étrangers dans des camps.

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Document 1 - La mise en œuvre de la loi du 3 octobre 1940

Vichy, le 13 décembre 1940

LE MINISTRE SECRÉTAIRE D'ÉTAT à l'INTÉRIEUR

à Messieurs les PRÉFETS

(Cabinet)

J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli un modèle de déclaration en vue de l'application de la loi du

3 octobre 1940 sur le Statut des Juifs.

Vous voudrez bien me faire renvoyer d'extrême urgence ces déclarations après avoir été complétées

par les fonctionnaires du corps préfectoral.

En ce qui concerne les fonctionnaires et agents des Préfectures et Sous-Préfectures, il vous

appartiendra de prendre les mesures nécessaires en vue d'assurer l'exécution de la Loi susvisée et de me

tenir informé, sans délai, des décisions que vous aurez prises.

PEYROUTON1

Archives départementales de l'Indre, M 2722

1 Le document porte plusieurs mentions manuscrites :- « Mr Masset. M'en parler »- « 7-1-41. Envoi des notices concernant l'administration préfectorale. Mettre au dossier "Administration préfectorale.Instructions" »

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D É C L A R A T I O Nen vue de l'application de la Loi du 3 octobre 1940

sur le statut des juifs________________

(à retourner au Cabinet)

Nom du déclarant : …………………………………………………………………………………………………………………………………Prénoms : …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………Date et lieu de naissance : …………………………………………………………………………………………………………Grade ou emploi : ……………………………………………………………………………………………………………………………………Domicile : ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Ascendants dans

((

Votre grand-père dans la ligne paternelle est-il ou était-il de race juive ? ……………………………………… (1)

la ligne paternelle

((

Votre grand-mère dans la ligne paternelle est-elle ou était-elle de race juive ? ………………………… (1)

Ascendants dans

((

Votre grand-père dans la ligne maternelle est-il ou était-il de race juive ? ……………………………………… (1)

la ligne maternelle

((

Votre grand-mère dans la ligne maternelle est-elle ou était-elle de race juive ? …………………………… (1)

Conjoint ( Votre conjoint est-il juif ? …………………………………………… (1)

Pouvez-vous vous prévaloir de l'article 3 de la Loi du 3 octobre 1940 en excipant d'une des conditions suivantes :

1°) Êtes-vous titulaire de la carte du combattant 1914-1918 ? …………………………………………… (1)

2°) Avez-vous été cité au cours de la campagne 1914-1918 ? ………………………………………………… (1)

3°) Avez-vous été cité à l'ordre du jour au cours de la campagne 1939-940 ? …………………… (1)

4°) Êtes-vous décoré de la Légion d'Honneur à titre militaire ou de la Médaille Militaire ? ………………………………………………………………………… (1)

Fait à le 194SOUS LA FOI DU SERMENT

Le Déclarant :

(1) Répondre par oui ou par non.

NOTA - TOUTE FAUSSE DÉCLARATION ENTRAÎNERA LA DÉCHÉANCE DES DROITS À RETRAITE OU DU PAYEMENT DU TRAITEMENT.

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Document 2 - L'application de la loi du 3 octobre 1940 dans l'enseignement technique

Paris, le 13 février 19412

LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INSTRUCTION PUBLIQUE

à Messieurs les PRÉFETS

La Loi du 3 octobre 1940 dans son article 3 stipule que "l'accès et l'exercice de toutes les fonctions publiques autres que celles énumérées à l'article 2 ne sont ouvertes aux juifs que s'ils peuvent exciper de l'une des conditions suivantes :

a) - être titulaire de la carte de combattant 1914-1918 ou avoir été cité au cours de la campagne 1914-1918 ;

b) - avoir été cité à l'ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 ;c) - être décoré de la Légion d'honneur à titre militaire ou de la médaille militaire."

"Doit être considéré comme juif, aux terrmes du texte législatif, toute personne issue de trois grands parents juifs ou de deux grands parents de la même race si son conjoint lui-même est juif."

Il vous appartient, en exécution de ces prescriptions qui sont applicables aux Inspecteurs Régionaux et Départementaux de l'Enseignement Technique, de procéder à une enquête immédiate sur l'ascendance de ces personnalités.

"Chaque Inspecteur devra signer la formule ci-jointe après y avoir inscrit les noms et prénoms de ses père et mère, grands-parents paternels et maternels. S'il est marié, les mêmes renseignements seront fournis sur son conjoint."

En exécution de l'article 7 de la Loi précitée, les Inspecteurs Départementaux et Régionaux devront cesser immédiatement leurs fonctions.

Il sera pourvu à leur remplacement dans le moindre délai.J'attache beaucoup de prix à recevoir votre réponse avant la fin du présent mois.

Par autorisation,Le Directeur Général de

l'Enseignement Technique :H. LUC

Archives départementales de l'Indre, M 2722

2 Courrier reçu à la Préfecture de l'Indre le 20 février 1941.

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- FORMULE -

Nom et prénoms des quatre grands-parents :

Nom et prénom du conjoint :

Je soussigné déclare sur l'honneur n'être pas touché par la Loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs.

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Document 3 - L'application de la loi du 3 octobre 1940 dans l'enseignement tecbnique et dans les organisations professionnelles

Vichy, le 9 avril 19413

Le Secrétaire d'État à l'Éducation Nationaleet à la Jeunesse

À Messieurs les Préfets

La Loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs stipule en son article 2 que l'exercice de tout mandat, dans les juridictions d'ordre professionnel et dans les assemblées issues de l'élection, est désormais interdit aux Juifs.

Doit être considéré comme Juif, au terme du texte législatif, toute personne issue de trois grands-parents juifs ou de deux grands-parents de la même race si son conjoint lui-même est Juif.

Il vous appartient, en exécution de ces prescriptions qui sont applicables aux membres du Comité Départemental de l'Enseignement Technique et aux membres des commissions locales professionnelles, de procéder à une enquête immédiate sur l'ascendance de ces personnalités.

Chaque membre de ces assemblées devra signer la formule ci-jointe après y avoir inscrit les noms et prénoms de ses père, mère, grands-parents paternels et maternels. S'il est marié, les mêmes renseignements seront fournis sur son conjoint.

En exécution de l'article 7 de la loi précitée, les membres juifs de ces assemblées devront cesser immédiatement leurs fonctions.

Il sera pourvu à leur remplacement dans le moindre délai.J'attache beaucoup de prix à recevoir votre réponse avant la fin du présent mois.

PAR AUTORISATION :

Le Directeur Général de l'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE :

H. LUC

Archives départementales de l'Indre, M 2722

3 Cette lettre sert de brouillon pour la rédaction de la lettre adressée le 23 avril suivant par le Préfet de l'Indre aux personnes concernées.

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NOM, PRÉNOMS :

--------------------------------------------------------------------

ARBRE GÉNÉALOGIQUE

Nom du Grand-Père maternel

Nom de la Grand'Mère maternelle

Nom du Grand-Père paternel

Nom de la Grand'Mère paternelle

------------------------------------------------------------------

Nom de la Mère Nom du Père

------------------------------------------------------------------

ARBRE GÉNÉALOGIQUE DU CONJOINT

Nom du Grand-Père maternel

Nom de la Grand'Mère maternelle

Nom du Grand-Père paternel

Nom de la Grand'Mère paternelle

------------------------------------------------------------------

Nom de la Mère Nom du Père

Nom du conjoint

------------------------------------------------------------------

Je soussigné (nom, prénoms) déclare sur l'honneur ne pas tomber sous le coup de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs.

(signature)

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Document 4 - L'application de la loi du 3 octobre 1940 dans l'enseignement technique et les organisations professionnelles dans le département de l'Indre

Châteauroux, le 23 avril 1941

Monsieur,

La loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs stipule en son article 2 que l'exercice de tout mandat, dans les juridictions d'ordre professionnel et dans les assemblées issues de l'élection, est désormais interdit aux juifs.

Doit être considéré comme juif, au terme du texte législatif, toute personne issue de trois grands-parents juifs ou de deux grands-parents de la même race si son conjoint lui-même est juif.

En exécution de ces prescriptions, qui sont applicables aux membres du Comité Départemental de l'Enseignement Technique et aux membres des Commissions locales professionnelles, j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien m'adresser la formule ci-jointe, après y avoir inscrit les noms et prénoms de vos père, mère, grands-parents paternels et maternels. Si vous êtes marié, les mêmes renseignements seront fournis sur votre conjoint.

Je vous serais reconnaissant de m'adresser cette formule par retour du courrier.Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.

LE PRÉFET,

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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NOM, PRÉNOMS :

--------------------------------------------------------------------

ARBRE GÉNÉALOGIQUE

Nom du Grand-Père maternel

Nom de la Grand'Mère maternelle

Nom du Grand-Père paternel

Nom de la Grand'Mère paternelle

------------------------------------------------------------------

Nom de la Mère Nom du Père

------------------------------------------------------------------

ARBRE GÉNÉALOGIQUE DU CONJOINT

Nom du Grand-Père maternel

Nom de la Grand'Mère maternelle

Nom du Grand-Père paternel

Nom de la Grand'Mère paternelle

----------------------------------------------------------------------

Nom de la Mère Nom du Père

Nom du conjoint

----------------------------------------------------------------------

Je soussigné (nom, prénoms) déclare sur l'honneur ne pas tomber sous le coup de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs.

(signature)

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Camp de Douadic, 1943. Les chevaux du camp (« Gamin » et « Bichette », utilisés pour tirer la charrette servant au ravaitaillement, montés par M. Fontaine (à gauche) et Roger Bécuve (à droite) qui

appartiennent tous deux à l'encadrement du camp, et un groupe d'internés(cliché Jane Billard, coll. particulière)

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2ème partie

Vichy et le second Statut des Juifs (2 juin 1941)

« Toutes personnes qui sont juives au regard de la loi du 2 juin courant devront, avant le 14 juillet 1941, adresser à la

Préfecture pour l'arrondissement chef-lieu (y compris l'Indre-et-

Loire et le Loir-et-Cher libres) ou aux Sous-Préfectures pour les autres arrondissements une

déclaration écrite indiquant qu'elles sont juives au regard de la loi et mentionnant leur état

civil, leur situation de famille, leur profession et l'état

de leurs biens »

Le 2 juin 1941 est promulgué le second Statut des Juifs qui aggrave la discrimination instaurée par le premier Statut et qui prescrit un recensement de tous les juifs.La loi du 22 juillet 1941 autorise l'« aryanisation » de toute affaire ou propriété foncière juive en l'expropriant et en la cédant à un non-juif afin de « supprimer toute influence israélite dans l'économie nationale ».

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Document 1 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (a) : la déclaration

Châteauroux, le 21 juin 1941LE PRÉFET DE L'INDRE

À Messieurs les Maires du Département etdes Communes non occupées des Départements

de l'Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher

L'article Ier de la Loi du 2 juin 1941 stipule que toutes personnes qui sont juives au regard de la loi du 2 juin courant devront, avant le 1er juillet 1941, adresser à la Préfecture pour l'arrondissement du chef-lieu (y compris l'Indre-et-Loire et le Loir-et-Cher libres) ou aux Sous-Préfectures pour les autres arrondissements une déclaration écrite indiquant qu'elles sont juives au regard de la loi et mentionnant leur état civil, leur situation de famille, leur profession et l'état de leurs biens.

Je vous adresse à cet effet un modèle de la déclaration à souscrire que vous voudrez bien mettre à la disposition des intéressés.

La déclaration sera faite par le mari pour la femme et par le représentant légal pour le mineur ou l'interdit.

Vous voudrez bien rappeler aux intéressés que toute infraction aux dispositions ci-dessus visées est punie d'un emprisonnement de un mois à un an et d'une amende de 100 à 10 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour le Préfet de prononcer l'internement dans un camp spécial, même si l'intéressé est français.

Est regardé comme juif :1°) Celui ou celle appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois

grands-parents de raace juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive.

Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive.2°) Celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou y appartenait le 21 juin 1940 et qui est issu de

deux grands-parents de race juive.La non-appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l'adhésion à l'une des autres

confessions reconnues par l'État avant la loi du 9 décembre 19054.Le désavœu ou l'annulation de la reconnaissance d'un enfant considéré comme juif sont sans effet au

regard des dispositions qui précèdent.

LE PRÉFET DE L'INDRER. GRIMAL

Collection particulière

4 Loi sur la séparation de l'Église et de l'État.

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-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-MODÈLE DE DÉCLARATION

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Je soussigné, déclare être juif au regard de la loi du 2 juin 1941.

Voici les renseignements me concernant :

Nom : ----------------------------------------------Prénoms : ------------------------------------------Né à -----------------------------------------------le -------------------------------------------------Fils de ------------------ et de -------------------demeurant à ----------------------------------------

SITUATION DE FAMILLE : -----------------------------Profession : ---------------------------------------

État de mes biens : --------------------------------a) Immobiliers : -----------------------------------Nature :--------------------------------------------Situation : ----------------------------------------Étendue : ------------------------------------------Valeur : -------------------------------------------

b)Mobiliers : --------------------------------------Nature : -------------------------------------------Valeur : -------------------------------------------

À ------------------- le --------------------

Signature :

Collection particulière

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Document 2 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (b) : la liste secrète

Châteauroux, le 24 juin 1941

CONFIDENTIEL

LE PRÉFET DE L'INDREà Messieurs les Maires du Département et desCommunes non occupées des départements

d'Indre-et-Loire et de Loir-et-Cher

En vue du recensement prescrit par la loi du 2 juin, j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien dresser, au préalable, la liste de tous les Juifs connus ou réputés Juifs résidant sur le territoire de votre commune.

Cette liste doit être établie très secrètement, avant la déclaration des intéressés et à l'aide de tous moyens d'investigation en votre pouvoir afin de permettre un premier contrôle des déclarations ultérieures.

D'autre part, je vous prie de surseoir à la réception des déclarations prévues par ma circulaire du 21 juin courant jusqu'à l'envoi d'instructions complémentaires et de questionnaires dont le modèle va être établi par l'autorité supérieure.

LE PRÉFET DE L'INDRE

Raoul GRIMAL

Collection particulière

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Document 3 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (c) : le retard

Châteauroux, le 10 juillet 1941

LE PRÉFET DE L'INDRE

à Messieurs les Maires des Communes du département del'Indre et des parties non occupées des départements

d'Indre-et-Loire et de Loir-et-Cher

J'ai l'honneur de vous informer que les imprimés nécessaires au recensement des Juifs, ne pouvant être mis en temps utile à la disposition des intéressés, le délai prévu par la loi du 2 juin, pour la réception des déclarations, est prorogé jusqu'à une date qui sera fixée ultérieurement.

LE PRÉFET DE L'INDRE :

Raoul GRIMAL

Collection particulière

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Document 4 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (d) : le retour

Châteauroux, le 16 juillet 1941

LE PRÉFET DE L'INDREà Messieurs les M A I R E S

Le 21 juin dernier, je vous ai adressé des instructions pour l'application de la loi du 2 juillet 1941, relative au recensement des juifs.

Une loi en date du 13 juillet 1941 repousse au 31 juillet courant, délai de rigueur, la date à laquelle les intéressés devront avoir souscrit leur déclaration.

Vous voudrez bien trouver ci-joint les imprimés qui doivent être utilisés obligatoirement pour l'établissement de ces déclarations. Au cas où le nombre d'imprimés serait insuffisant, je vous en enverrais d'autres sur votre demande.

Les Juifs devront se présenter à la Mairie pour y retirer l'imprimé qu'ils y rapporteront, après l'avoir convenablement rempli. Ils pourront aussi l'adresser par la poste, en recommandé.

Toutes les déclarations déjà fournies sur imprimés non réglementaires seront considérés comme nulles et de nul effet.

Pour les Juifs qui ne seraient pas en sitution de venir retirer les imprimés de déclaration (militaires, jeunes gens des Chantiers de Jeuness, Groupements de Travailleurs, prévenus ou condamnés, incarcérés, internés, hébergés administratifs, etc.), vous délivrerez aux chefs de service compétents le nombre de déclarations nécessaires qui, remplies par les intéressés, seront retransmises par ces Chefs de Service à la Mairie.

Vous contrôlerez soigneusement toutes les déclarations reçues à l'aide des listes que vous avez dû préalablement établir en exécution de ma circulaire du 24 juin dernier, et vous dresserez un état comportant le nom et l'adresse des Juifs connus qui n'auraient pas accompli leur déclaration.

Les déclarations individuelles ainsi que l'état nominatif susvisé me seront ensuite transmis sans délai et par l'intermédiaire de MM. les Sous-Préfets pour les arrondissements de La Châtre et du Blanc.

Ma circulaire du 21 juin 1941 contient toutes les indications nécessaires pour la détermination de la qualification de Juif.

Pour la bonne exécution des opérations, vous voudrez bien prendre un arrêté rédigé suivant le modèle ci-joint.

Cet arrêté sera affiché et publié dans la Commune à son de trompe et de caisse.J'appelle tout particulièrement votre attention sur l'importance qui s'attache à ce que le recensement

des Juifs, mesure d'ordre public, soit effectué avec tout le soin désirable et soit sérieusement contrôlé par tous les moyens en votre pouvoir.

LE PRÉFET,Raoul GRIMAL

Collection particulière

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A R R Ê T É du------------------------

LE MAIRE d

Vu la loi du 2 juin 1941 portant statut des Juifs ;Vu la loi du 2 juin 1941 prescrivant le recensement des Juifs, modifiée par la loi du 13 juillet 1941;Vu les instructions de M. le Préfet de l'Indre,

A R R Ê T E :

ARTICLE Ier - Tous les Juifs français ou étrangers, quel que soit leur âge et résidant dans la commune sont astreints à effectuer une déclaration écrite ou doivent faire l'objet d'une déclaration écrite avant le 31 juillet, délai de rigueur.À cet effet, ils devront se rendre à la Mairie qui leur délivrera les imprimés réglementaires à utiliser.

ARTICLE 2 - La déclaration devra être remplie par le mari pour la femme non séparée et par le représentant légal pour le mineur ou l'interdit.

ARTICLE 3 - La déclaration exigée par la loi ne sera réputée accomplie que lorsque l'imprimé réglementaire aura été dûment rempli par le déclarant et déposé ou adressé par la poste en recommandé, à la Mairie.Toute déclaration effectuée avant la publication du présent arrêté et non rédigée dans la forme indiquée ci-dessus est nulle et de nul effet.

ARTICLE 4 - Pour les Juifs qui ne seraient pas en situation de venir retirer les imprimés (militaires, jeunes gens des chantiers de jeunesse, condamnés, etc.), la Mairie délivrera aux Chefs de Services compétents le nombre de déclarations nécessaires qui lui seront retransmises par ces Chefs de services après avoir été remplies par les intéressés.

ARTICLE 5 - Toute infraction aux dispositions des articles I & 3 du présent arrêté sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 100 à 1000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour le Préfet de prononcer l'internement dans un camp spécial, même si l'intéressé est Français.

ARTICLE 6 - Le présent arrêté sera publié et affiché dans la Commune d

LE MAIRE,

Collection particulière

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Document 5 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (e) : l'administration du ravitaillement

Vichy, le 2 septembre 19415

LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT AU RAVITAILLEMENT

à Messieurs les Préfets Régionaux,Messieurs le Préfets,Messieurs les Directeurs Régionaux,Messieurs les Directeurs Départementaux,Messieurs les Directeurs du Transit,Monsieur le Directeur du Service des Vins.

La loi du 2 juin 1941, publiée au Journal Officiel du 14 du même mois, a remplacé la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs.

Elle précise dans son article 1er les personnes susceptibles d'être regardées comme Juives.L'article 2 énumére les fonctions publiques et mandats dont l'accès et l'exercice sont interdits aux Juifs.L'article 3 détermine les conditions que doivent remplir les Juifs pour occuper des fonctions ou des

emplois autres que ceux énumérés à l'article 2.Je crois devoir spécialement appeler votre attention sur les dispositions de l'article 3.Pour être admis aux emplois autres que ceux visés à l'article 2 ou être maintenus en fonctions à un de

ces emplois, une des conditions imposées aux Juifs est d'avoir fait l'objet au cours de la campagne 1939-1940 d'une citation donnant droit au port de la Croix de Guerre, instituée par le décret du 28 mars 1941, alors que l'article 3 de la Loi du 3 octobre 1940 prévoyait simplement une citation à l'ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940.

D'autre part, ce même article stipule que le bénéfice d'une dérogation peut être accordée aux pupilles de la Nation, aux ascendants, veuves ou orphelins de militaires morts pour la France. Je vous signale à ce sujet que les pupilles de la Nation peuvent invoquer cette disposition même s'ils sont majeurs.

L'article 2 de la loi du 2 juin 1941 interdit aux Juifs l'accès et l'exercice des emplois de tous grades attachés à tous services de police.

Dans ces conditions, aucun Juif ne pourra être admis ou maintenu en qualité d'agent du contrôle. Sont ainsi absolument interdits aux Juifs les emplois ci-après des Services Extérieurs :

- Directeur Régional,- Directeurs des Services Extérieurs,- Contrôleur principal et contrôleur ordinaire,- Chef de District Principal et Chef de District ordinaire,- Commis de District.

5 Circulaire reçu le 6 septembre 1941 à la Préfecture de l'Indre.

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Les emplois susceptibles d'être confiés aux Juifs remplissant une des conditions posées par l'article 3 de la Loi du 2 juin 1941 sont donc les suivants :

- Chef de Section,- Rédacteur,- Employé de bureau,- Auxiliaire temporaire de bureau ou de service.

Aux termes des dispositions en vigueur, peuvent seuls être attribués aux Juifs qui ne remplissent pas l'une des conditions posées à l'article 3 précité des emplois subalternes dans un service technique, qui ne confèrent directement ni indirectement ni autorité et qui, par ailleurs, n'ouvrent pas de perspectives normales d'avancement vers des emplois comportant, quant à eux, influence ou autorité.

On ne saurait, en effet, interdire tout avancement à un agent lorsque le cadre auquel il appartient comporte normalement cet avantage de carrière.

Les seuls emplois des Services Extérieurs susceptibles de leur être confiés sont dès lors les suivants :a) les emplois d'auxiliaires de service et de bureau de la Section du Régisseur Comptable

(dactylographes, secrétaires-comptables).b) les emplois d'ouvriers et de manutentionnaires.

J'ajoute que l'article 8 de cette même loi prévoit que des Juifs peuvent être relevés des interdictions qu'elle édicte.

Ceux des personnels, placés sous votre autorité, qui croiraient posséder des titres susceptibles de justifier d'une mesure d'exception, devront vous remettre une demande accompagnée des justifications nécessaires. Cette demande me sera transmise, revêtue de votre avis motivé.

J'appelle tout spécialement votre attention sur le caractère tout à fait exceptionnel de cette mesure puisqu'elle ne peut être prise, selon le cas, que par décret individuel pris en Conseil d'État ou par arrêté du Commissaire Général aux Questions Juives.

** *

Les modifications apportées aux dispositions antérieures, dans la définition "du Juif" doivent entraîner l'établissement de nouvelles déclarations par chacun des agents actuellement en service. Cette formalité ne dispense pas ceux qui sont regardés comme Juifs de se soumettre aux dispositions de la Loi du 2 juin 1941 prescrivant le recensement des Juifs.

Vous trouverez, sous ce pli, un modèle de la déclaration dont il s'agit.Je précise que, préalablement à tout engagement, chaque candidat devra, désormais, souscrire une

déclaration de ce modèle. *

* *Les fonctionnaires ou agents Juifs (les auxiliaires temporaires étant compris sous le vocable agent)

visés par les articles 2 et 3 de la loi du 3 octobre 1940 sont considérés comme ayant cessés leurs fonctions à la date du 20 décembre 1940.

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Les fonctionnaires ou agents qui sont atteints par les nouvelles interdictions édictées par la loi du 2 juin 1941 doivent cesser leurs fonctions dans le délai de 2 mois après la publication de celle-ci, c'est-à-dire à compter du 15 août 1941.

Par analogie avec les dispositions prévues pour les prisonniers de guerre, les dispositions de cette loi ne seront applicables aux ascendants, conjoints ou descendants d'un prisonnier de guerre que dans un délai de deux mois après la libération de ce prisonnier.

Vous devrez examiner très attentivement les déclarations qui vous seront remises, et lorqu'un Agent aura soucrit une déclaration permettant de le regarder comme Juif, vous aurez, selon le cas, à prendre l'une des dispositions ci-après :

A) - l'agent est un Directeur ou fait partie du personnel de contrôle :il doit être licencié. B) - l'agent fait partie du cadre administratif (de Chef de Section à auxilaire de Bureau ou de Service

inclus) :a) - il peut être maintenu en fonctions s'il justifie d'une des conditions prévues à l'article 3

de la loi ;b) - il ne remplit pas l'une de ces conditions, il doit être licencié ou employé comme

auxiliaire de bureau ou de service à la Section du Régisseur-Comptable.C) - l'agent est auxiliaire de bureau ou de service employé à la Section du Régisseur-Comptable,

ouvrier ou manutentionnaire :il peut être maintenu dans son emploi.

** *

Les déclarations souscrites par les agents ayant une ascendance Juive de race ou de religion devront m'être adressées sous pli confidentiel, accompagnées d'une note indiquant les dispositions prises à leur égard et, éventuellement, de toutes justifications utiles.

Vous aurez à me remettre les cas litigieux, pour décision.J'ajoute enfin qu'un projet de décret portant réglement d'Administration Publique pour l'application de

l'article 7 (6°) de la loi du 2 juin 1941 est actuellement à l'étude. Les personnels visés par cette loi devront donc vous indiquer leur adresse précise pour permettre de liquider, en temps opportun, le traitement qui continuera de leur être servi dans les conditions que fixera le règlement d'Administration Publique visé ci-dessus.

Signé : CHARBINPour ampliation :Le Chef du Service de l'AdministrationGénérale du Personnel et du Budget :

Signé : GRIMAUX

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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D É C L A R A T I O N

en vue de l'application de la loi du2 juin 1941 portant statut des Juifs

--------------------

Nom du déclarant ………………………………………………………………………………………………………………

Prénoms ………………………………………………………………………………………………………………………………………

Date et lieu de naissance ………………………………………………………………………………………

Grade ……………………………………………………………………………………………………………………………………………

Résidence administrative …………………………………………………………………………………………Branche

paternelleBranche

maternelleVotre grand-père est-il ou était-il de race juive ? ……………………………………………………………………………………………… (1) (1)Votre grand-père appartient-il ou appartenait-il à la religion juive ?…………………… (1) (1)Dans la négative, a-t-il adhéré avant le 25 juin 1940 à une autre confession ? ……………………… (1) (1)Indiquez cette confession :

(Joindre les pièces justificatives)Votre grand-mère est-elle ou était-elle de race juive ? ………………………………………………………………………………… (1) (1)Votre grand-mère appartient-elle ou appartenait-elle à la religion juive ? …………… (1) (1)Dans la négative, a-t-elle adéhéré avant le 25 juin 1940 à une autre confession ? ……………… (1) (1)Indiquez cette confession :

(joindre les pièces justificatives)

Le grand-père de votre conjoint est-il ou était-il de race juive ? ………………………………………………… (1) (1)Le grand-père de votre conjoint appartient-il ou appartenait-il à la religion juive ? … (1) (1)Dans la négative a-t-il adhéré avant le 25 juin 1940 à une autre confession ? (1) (1)Indiquez cette confession :

(joindre les pièces justificatives)La grand-mère de votre conjoint est-elle ou était-elle de race juive ? …………………………………………… (1) (1)La grand-mère de votre conjoint appartient-elle ou appartenait-elle à la religion juive ? ………………………………………………………………………………………………

(1) (1)

Dans la négative, a-t-elle adhéré avant le 25 juin 1940 à une autre confession ? ……………… (1) (1)Indiquez cette confession :

(joindre les pièces justificatives)

(1) Répondre par oui ou par non

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Appartenez-vous à la religion juive ? ………………… (1)Avez-vous adhéré à une autre confession avant le 25 juin 1940 ? ……………………………………………………………………… (1)Indiquez cette confession :

(joindre les pièces justificatives)Pouvez-vous vous prévaloir des dispositions des articles 3, 7 et 8 de la loi du 2 juin 1941 en excipant de l'une des conditions suivantes :1° - Êtes-vous titulaire de la carte de combattant prévue par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 ?(joindre une copie certifiée conforme de ce document)

(1)

2° - Avez-vous été cité au cours de la campagne 1939-1940 ? ……………………………………………………………………………………………………………………………… (1)3° - Cette citation vous donne-t-elle droit au port de la Croix de Guerre ? …………………………………………………………………………………………

(joindre une copie de la décision individuelle attribuant cette citation, ou indiquer la date de publication (pagination spéciale du J.O.) de la liste homologuant la dite citation)

(1)

4° - Êtes-vous titulaire de la médaille militaire ou de la Légion d'Honneur pour faits de guerre ? ………………………………

(joindre une copie de la décision conférant cette décoration)

(1)

5° - Êtes-vous pupille de la Nation ou orphelin de guerre ? …………………………………………………………………………………………………………………………

(joindre une note de l'Office départemental des pupilles de la Nation reconnaissant cette qualité)

(1)

6° - Êtes-vous ascendant ou veuve d'un militaire mort pour la France ? ……………………………………………………………………………………………………

(joindre les pièces justificatives)(1)

7° - Êtes-vous prisonnier de guerre ou en congé de captivité ? ………………………………………………………………………………………………………………… (1)8° - Êtes-vous ascendant ou descendant de prisonnier de guerre ? ………………………………………………………………………………………………………………………… (1)9° - Votre conjoint est-il prisonnier de guerre ? …………… (1)10° - Avez-vous rendu ou votre famille (si elle est établie en France depuis 5 générations) a-t-elle rendu des services exceptionnels à l'État Français ? ……………………

(joindre une requête avec preuves à l'appui)

(1)

Fait à le

Sous la foi du serment

Le Déclarant :

Les pièces justificatives pourront être envoyées ultérieurement le cas échéant.

(1) Répondre par oui ou par non.

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Document 6 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (f) : le cas des juifs étrangers

É T A T F R A N Ç A I S--------------------------------

PRÉFECTURE DE L'INDRE

RECENSEMENT DES ISRAÉLITES ENTRÉS EN FRANCE DEPUIS LE1er JANVIER 1936-----------------------

Le Gouvernement ayant prescrit le regroupement des israélites entrés en France depuis le 1er janvier 1936, ces derniers sont invités à se faire connaître y compris ceux qui ont été naturalisés Français.

Sont, toutefois, dispensés de ce recensement :1°) - les israélites étrangers jouissant effectivement de la protection de leur pays d'origine

ou d'un autre État, dont ils ont acquis la nationalité.2°) - les israélites pouvant se prévaloir d'un des titres suivants :

- blessure contractée entre le 1er septembre 1939 et le 24 juin 1940, dans une armée française ou ex-alliée.

- décoration pour faits de guerre obtenue au cours de la même période.- certificat de bonne conduite décerné pour avoir servi dans la Légion Étrangère ou

dans les formations de marche des volontaires étrangers.Ils devront remplir, en triple exemplaire, les formulaires qu'ils trouveront dans les Mairies et

Commissariats de Police.Ces formulaires devront être, avant le ………………………………

- dans les villes dotées d'un Commissariat de Police, déposés dans ce Commissariat qui leur en délivrera reçu.

- dans les autres communes, adressés par les intéressés sous pli recommandé au service des étrangers de la Préfecture, qui lui en accusera réception.

Des sanctions rigoureuses seront prises à l'encontre des israélites qui, étant entrés en France après le 1er janvier 1936, ne se conformeraient pas à cette mesure.

Au contraire, ceux qui auront effectué régulièrement les déclarations prescrites seront, soit incorporés dans des compagnies de T. E.6 où ils pourront apprendre un métier manuel, soit astreints à transporter leur résidence des localités où ils se trouvent dans celles qui leur seront désignées.

Châteauroux, le 6 février 1942

LE PRÉFET DE L'INDRE :

André JACQUEMARD

Collection particulière

6 Groupements de Travailleurs Étrangers, comme par exemple celui de Montgivray près de La Châtre.

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Document 7 - L'application de la loi du 2 juin 1941 dans l'Indre (g) : le recensement des juifs étrangers

Châteauroux, le 6 février 1942

LE PRÉFET DE L'INDRE

à Messieurs les Maires et Commissaires de Police

J'ai l'honneur de vous adresser, sous ce pli, un avis concernant le recensement des israélites que vous voudrez bien faire publier et afficher dès réception.

Aux termes de cet avis, les intéressés doivent faire leur déclaration dans un délai de 15 jours à dater de l'apposition de l'affiche.

Ne pouvant déterminer le jour exact de l'affichage de celle-ci, il vous appartiendra de compléter ce document par la date extrême à laquelle les israélites devront faire leur déclaration. Un emplacement est d'ailleurs réservé à cet effet.

D'autre part, je vous adresse ci-joint l'imprimé destiné à recevoir les déclarations qui devront être établies en trois exemplaires et déposées au Commissariat de Police ou à défaut de ce dernier adressées par les intéressés sous pli recommandé à la Préfecture de l'Indre, Service des Étrangers.

Je tiens à votre disposition, sur votre demande, le nombre des imprimés qui vous seront nécessaires. Vous voudrez bien m'adresser votre commande dans le plus bref délai.

LE PRÉFET DE L'INDRE

André JACQUEMART

Collection particulière

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D É C L A R A T I O N

Je, Soussigné,

Nom et prénoms du déclarant :

Date et lieu de naissance :

Domicile :

Profession :

Moyens d'existence :

déclare avoir fixé ma résidence en France, après le 1er janvier 1936.Sont également entrés en France, après la même date (1) :

qui vivent avec moi, et dont j'assume l'entretien.

Fait le ……………………, à ………………………………

(1) - Énumérer les noms, prénoms, date et lieu de naissance, profession, moyens d'existence et liens de parenté avec le déclarant. Indiquer, en outre, si l'un des intéressés est aryen.

Collection particulière

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Document 8 - La surveillance des déplacements des juifs dans l'Indre (a)

Châteauroux, le 1er juin 1942

LE PRÉFET DE L'INDRE

à Messieurs les Maires et Commissaires de Police

OBJET : Déclaration des changements de résidence des Juifs

Afin de faciliter l'application des dispositions légales et règlementaires concernant les israélites, il est apparu indispensable de mettre les autorités administratives ou de police en mesure de contrôler les changements de résidence des intéressés lorsque ces changements entraînent des déplacements d'une certaine durée.

Le régime des déclarations prévu par la présente instruction permettra de connaître dans chaque commune :

- Les juifs qui n'y sont pas domiciliés mais qui y séjournent pour une durée notable ;- Les localités où résident provisoirement les juifs domiciliés dans ladite commune.

Les mesures édictées demeurent distinctes de celles afférentes d'une part à la réglementation des garnis et d'autre part aux déclarations de changements de domicile des Français et des étrangers qui ont fait l'objet de mes circulaires des 4 et 27 décembre 1941.

DÉTERMINATION DES PERSONNES ASSUJETTIES AU RÉGIMEDES DÉCLARATIONS :

Les Français et les étrangers considérés comme Juifs par application de la loi du 2 juin 1941.

Définition du changement de résidence devant entraînerles déclarations prévues :

Tout changement de résidence impliquant un déplacement d'une durée dépassant 30 jours quelle que soit la nature dudit déplacement.

Autorités habilitées à recevoir les déclarations :Le Commissaire de Police ou à défaut de commissaire de police, le Maire.

Formules de déclaration à utiliser :Ces imprimés vous seront fournis ultérieurement par mes soins. Vous aurez par la suite à me faire

connaître vos nouveaux besoins.Les formules ne devront être remplies que sur production de titres justificatifs d'identité.

1° - RÉGIME GÉNÉRALL'assujetti est personnellement tenu :a) Au départ de la commune de son domicile, d'en faire la déclaration. Le bulletin établi est classé par

ordre alphabétique dans un fichier spécial.b) À l'arrivée dans la Commune du lieu de destination, d'accomplir dans les 48 heures la même

formalité qui implique également l'établissement et le classement du bulletin prévu.c) Au départ de la commune visée au paragraphe b, d'en faire la déclaration (1). Celle-ci entraîne le

retrait du fichier du formulaire qui s'y trouve classé ;d) À l'arrivée dans la commune visée au paragraphe a, de remplir dans les 48 heures la même formalité

impliquant également le retrait du fichier du bulletin qui y figure.____________________________________________________________________________________(1) Même si en raison d'un séjour écourté, l'intéressé repart avant que le délai minimum de 30 jours ne soit écoulé.

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2° - CAS OÙ LE CHANGEMENT DE RÉSIDENCE ENTRAÎNE UN DÉPLACEMENT QUI NE SE RÉVÈLE QU'ULTÉRIEUREMENT DEVOIR DÉPASSER 30 JOURS

Dès qu'il sait que la durée de son déplacement primitivement prévu comme ne devant pas dépasser 30 jours doit excéder ce délai, l'assujetti est astreint à remplir la formalité faisant l'objet du chapitre 1er paragraphe b.

Le Commissariat de Police (ou la Mairie) compétent informe de son côté la commune du déclarant du départ de ce dernier, en lui faisant parvenir un second exemplaire du bulletin établi.

Au moment de son voyage de retour, l'intéressé doit, bien entendu, effectuer les déclarations édictées au chapitre 1er, paragraphes c et d.

La facilité ainsi consentie doit conserver un caractère exceptionnel. Aussi l'israélite doit-il toujours fournir les explications nécessaires sur les motifs qui l'ont empêché de faire sa déclaration au départ.

Tout abus, notamment l'utilisation répétée et injustifiée de la procédure prévue au présent chapitre, doit exposer son auteur aux sanctions dont il est question au 6°.

3° - CAS OÙ LE DÉPLACEMENT, D'UNE DURÉE TOTALE SUPÉRIEURE À 30 JOURS, ENTRAÎNE DES SÉJOURS SUCCESSIFS DANS PLUSIEURS COMMUNES

a) Aucun de ces séjours successifs ne doit avoir une durée supérieure à 30 jours.L'assujetti est tenu de remplir les formalités prévues chapitre 1, paragraphes a et d, à charge pour lui de

désigner dans sa déclaration les localités où il désire se rendre et de faire connaître le temps approximatif qu'il compte rester dans chacune d'elles.

Il doit, en outre, tous les 30 jours, faire une déclaration au Commissariat de Police (ou à la Mairie) de la Commune où il se trouve provisoirement.

Cette déclaration implique l'établissement d'un seul bulletin qui est directement envoyé à la commune du lieu du domicile.

b) Un ou plusieurs de ces séjours successifs doit avoir une durée supérieure à 30 jours.L'intéressé est astreint à effectuer les déclarations faisant l'objet du chapitre 1er, paragraphe a et d. En

outre, il doit, dans chacune des communes où la durée de son séjour doit dépasser 30 jours, remplir les formalités édictées au chapitre 1er, paragraphe b et c.

4° - MINEURS DE 16 ANSLes enfants de moins de 16 ans accompagnés doivent être déclarés par les soins de la personne qui en

assume la garde. Les renseignements afférents à ces enfants sont, bien entendu, mentionnés sur le bulletin de l'intéressée.

5° - ISRAÉLITES REPLIÉSDe nombreux juifs domiciliés dans la zone occupée sont actuellement réfugiés en zone non occupée.En vue de prévenir toutes difficultés d'application des présentes prescriptions, il semble opportun de

préciser que jusqu'à nouvel ordre la résidence habituelle de fait des intéressés devra, dans le domaine dont il s'agit, être assimilée au domicile.

6° SANCTIONSLe régime édicté étant uniquement administratif, l'inobservation de ces dispositions doi exposer son

auteur à des sanctions qui ne sauraient également avoir qu'un caractère administratif.Il appartient, en conséquenc, aux commissaires de police et aux Maires, de me signaler les

inobservations qu'ils auront constatées afin de me mettre en mesure de prendre les décisions nécessaires.Les sanctions à appliquer dans les conditions prévues par les circulaires en vigueur sont, pour les

étrangers, la réduction de la validité territoriale ou de la durée des titres de séjour, l'assignation à résidence, l'internement : pour les Français : l'assignation à résidence, l'internement.

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7° DESTRUCTION PÉRIODIQUE DES BULLETINS RETIRÉS DES FICHIERSLes bulletins retirés de fichiers dans les conditions précisées plus haut doivent être conservés pendant

un an, puis détruits (1).

8° PUBLICATION À DONNER AUX NOUVELLES MESURESL'essentiel des mesures qui viennent d'être édictées et qui rentrent en vigueur le 1er juillet prochain,

devra être porté à la connaissance des assujettis, par l'apposition de l'affiche ci-jointe.

LE PRÉFET,

André JACQUEMART

(1) Sans perdre évidemment de vue la nécessité d'assurer la récupération des vieux papiers.

Collection particulière

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Document 9 - La surveillance des déplacements des juifs dans l'Indre (b)

PRÉFECTURE DE L'INDRE

---------------------

DÉCLARATION

DES CHANGEMENTS DE RÉSIDENCE DES

JUIFS

---------------------

À partir du 1er juillet 1942, les juifs français et étrangers qui changent de résidence doivent en faire la déclaration au Commissaire de Police (ou à défaut de commissaire de police au Maire) de la Commune de leur domicile si la durée du déplacement prévu dépasse 30 jours.

Les intéressés sont tenus d'effectuer la même formalité au cours des 48 heures qui suivent leur arrivée dans la commune du lieu de destination.

Tous renseignements complémentaires pourront être recueillis auprès des Mairies et des Commissariats de Police.

LE PRÉFET,

André JACQUEMART

Collection particulière

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Plan reconstruit du camp aménagé pour la rafle d'août 1942(plan et légende : Ph. Barlet)

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3ème partie

La préparation des rafles et de la déportation (1942)

Au printemps et dans l'été 1942, les dénonciations opérées contre les juifs paraissent se

multiplier. Cette apparente multiplication n'est-elle pas le résultat de la propagande et des

mesures antisémites prises par le gouvernement de Vichy ? Ces dénonciations,

généralement adressées au préfet de l'Indre, sont issues de milieux très divers :

- de la Légion Française des Combattants, créée par la loi du 29 août 1940 à

l'initiative de Xavier Vallat par fusion d'associations d'anciens combattants et

uniquement autorisée en zone libre et présidée dans l'Indre par le général de

Chomereau ; étroitement contrôlée par l'État dont elle devient rapidement un rouage

et directement rattachée au Maréchal Pétain, une de ses principales activités était de

dénoncer les comportements jugés « décadents » et les menées antinationales,

principalement celles des communistes, des gaullistes, des francs-maçons et des

juifs ;

- des organisations antisémites secrètes qui se constituent localement, liées aux

milieux les plus ultras de la collaboration (notamment le Service d'Ordre Légionnaire

de Joseph Darnand, organisation qui précède la fondation de la Milice) ;

- d'individus d'origines variées, certains même appartenant parfois à un mouvement

de résistance.

Ces dénonciations donnent lieu à des enquêtes diligentées par les services préfectoraux

et confiés à la police qui contribue pour sa part à la recherche et à l'arrestation des

réfugiés juifs, nombreux à franchir la ligne de démarcation qui longe la limite Nord du

département de l'Indre. Ces plaintes et dénonciations vont permettre au gouvernement de

Vichy de justifier aux yeux de l'opinion publique la grande rafle des juifs qui se prépare

pendant l'été 1942 en zone occupée.

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Document 1 - Une dénonciation

LÉGION FRANÇAISE DES COMBATTANTSET DES VOLONTAIRES DE LA RÉVOLUTION NATIONALE

UNION DÉPARTEMENTALE28, Rue Thabaud-Boislareine - CHÂTEAUROUX

Tél. : 520 - C. C. Post. : Limoges 365-23

Le 22 mai 1942

CONFIDENTIELLEPERSONNELLE

Monsieur le Préfet de l'IndreCHÂTEAUROUX

Monsieur le Préfet,

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance, à toutes fins utiles, les renseignements suivants :" Au château d'Anjouin habite un monsieur STENDECKER qui se fait passer comme homme de

lettres sous le pseudonyme de Pierre Caïn.Habite chez lui : une véritable tribu juive.Il y règne une grande activité - envoi de télégrammes excessivement fréquents avec emploi de prénoms

féminins.Il y aurait, paraît-il, un poste émetteur.Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire connaître les résultats de votre enquête.Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'expression de mes sentiments déférents et dévoués.

Le Général de CHOMEREAUChef départemental de la Légion de

l'Indre et du Loir-et-Cher (zone libre)

Archives départementales de l'Indre, M 2739

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Document 2 - Une enquête

Châteauroux, le 18 août 1942

Le Commissaire Principal des Renseignements Généraux

à Monsieur le Préfet de l'Indre(Cabinet)

OBJET : Enquête sur le nommé STENDECKER, israélite, résidant au châteaur d'Anjouin (Indre)

Référence : Lettre du 22 mai 1942 de la Légion Française des Combattants du Département de l'Indre.

J'ai l'honneur de vous faire connaître que M. THOMASSET, Inspecteur de Police de mon Commissariat chargé de l'enquête, m'a fourni le rapport suivant :

" M. STENDECKER, Léon, dit Pierre Caïn, est né le 7 septembre 1895 à Paris (16°). Il est célibataire.L'intéressé était avant-guerre directeur littéraire des Éditions "Le Sagitaire" à Paris. Il a démissionné de

ses fonctions au moment de l'exode de juillet 1940.M. STENDECKER était de plus critique littéraire, depuis 15 ans, à la Revue de France, dirigée par M.

Prévost et autres.Il a publié, entre autres ouvrages, sous son pseudonyme de Pierre Caïn, des critiques sur M. Proust et

André Gide.C'est un écrivain, qui passe le plus clair de ses journées dans son cabinet de travail. STENDECKER a,

en effet, la jambe gauche dans le plâtre depuis plus d'un an. Il sort très peu. Le seul voyage qu'il a effectué cette année se situe en mai-juin, pour aller voir son père à Marseille.

Il fait actuellement les démarches nécessaires pour rejoindre sa famille en Amérique.STENDECKER est arrivé à Anjouin en février 1939 comme locataire du château. Son propriétaire

actuel est M. BRY, bijoutier à Aubigny-sur-Nère (Cher).Ce bâtiment qui se trouvait à cette époque dans un état de vétusté très particulier a été remis

complètement à neuf par son locataire.Il est fort bien considéré, soit de la part de la Légion locale, soit des autorités municipales.Résident actuellement au château :- son père STENDECKER Adolphe, né le 1-3-1866 à Francfort, qui depuis les événements actuels

réside sur la Côte d'Azur, mais vient passer les étés auprès de son fils ;- A..., Savely, né le 20-301918 à Zinowiev (Russie) ;- G..., Constantin, Claude, né le 22-5-1919 à Constantinople.Sauf A..., tous sont Français comme les STENDEDCKER ou naturalisés Français comme G.... Tous

sont bien entendu israélites.

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A... qui était employé avant juin 1940 dans une usine de textile-bonneterie à Saint-Denis (Seine) travaille depuis son arrivée en avril 1941 dans une ferme de la région. Il couche au château.

En ce qui concerne G..., arrivé à la même époque qu'A... au château, celui-ci était reporter-photographe avant les hostilités à Match. Il ne fait rien, passant son temps à courir les jupons.

Il n'y a aucune femme au château.En ce qui concerne les télégrammes adressés par STENDECKER, celui-ci qui, effectivement, est resté

en rapport avec de nombreuses personnes du monde littéraire, continue dans cette branche à s'occuper de ses affaires.

Les originaux en question sont, soit à la poste rurale d'Anjouin, soit à la poste de Valençay. Ils n'ont jamais attiré l'attention de qui que ce soit, aussi bien de la part de l'Administration des P.T.T. que des services de Police.

Quant au poste émetteur, en supposant qu'il existe, il est bien difficile d'arriver à prouver sa matérialisation. Les dits appareils ayant, en général, la forme d'une valise, ont toutes facilités pour profiter du moindre espace possible.

La perquisition peut être faite, mais l'on peut penser à l'avance qu'elle n'aboutira à rien de concret.L'enquête effectuée auprès des différentes autorités locales ne relève à l'encontre des différents

personnages habitants le château aucun grief si minime soit-il.A... et G... sont membres de la Légion Française des Combattants d'Anjouin, tous les deux ont été

mobilisés en 39-40."

L'Inspecteur de Police :Signé : Thomasset

P./Le Commissaire Principal :Le Commissaire de Police faisant fonctions :[signé illisible]

Dans le même dossier, une note non datée et non signée fournie quelques renseignements sur Léon STENDECKER et propose une sanction :

Membre titulaire du Sindycat (sic) des Journalistes et ÉcrivainsChevalier de la Légion d'Honneur,Médaillé Militaire,Croix de Guerre 14/18 (palme et étoile),Croix du Combattant Volontaire (engagé à 17 ans, etc.)

P.S. Je crois qu'un avertissement officiel venant d'en haut et suppression du permis de chasse (demandé) seraient une sanction suffisante pour la 1ère fois.

Archives départementales de l'Indre, M 2739

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Document 3 - Deux arrestations

POLICE RÉGIONALE D'ÉTAT

Quarante deux

Huit Août à vingt deux heures

BATTUT Roger

Avisé ce jour de la présence suspecte à l'Hôtel de Jérusalem, de Juifs étrangers démunis de toutes pièces d'identité,

Ouvrons une enquête, et faisons comparaître le ci-après dénommé, qui déclare sur interpellations

« Je me nomme S... Rodolphe, né le 31 décembre 1913 à Samter (Pologne), de Samuel et de Anna K... ; célibataire ; commerçant en vêtements ; j'étais domicilé avant les hostilités à Bruxelles (Belgique). Je sais lire et un peu écrire le français. Je n'ai jamais été condamné.

Je suis de nationalité indéterminée et Israèlite. Je n'ai aucune pièce d'identité sur moi.Depuis le 15 mai 1942, j'étais incorporé au 701e Groupe de Travailleurs Étrangers à Miramas

(Bouches-du-Rhône). J'étais affecté à la Poudrerie Nationale de Miramas.Récemment, tous les étrangers de ce Groupe, à l'exception des Espagnols, ont été rassemblés pour être

envoyés, m'a-t-on dit, en Pologne. Comme je ne voulais pas y aller, je me suis évadé le 3 août dernier dans la matinée, en compagnie de mon camarade de Groupe S... Max. Nous sommes allée d'abord à Marseille, puis à Toulouse, et enfin à Issoudun, chez Mme W..., cousine de M. S.... Nous sommes arrivés à Issoudun vendredi matin à 5 heures par l'Express venant de Toulouse. À la gare d'Issoudun, nous avons échappé au Contrôle de Police.

Si vous ne nous aviez pas arrêtés, nous nous serions présentés à votre Commissariat ; nous aurions dit que nous venions de la Zone Occupée, et nous aurions demandé des permis de séjour pour travailler dans la région. »

Lecture faite, persiste et signe.

Le Commissaire de Police,

[signé : illisible]

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De même suite, entendons le nommé S... que nous interrogeons avec l'assistance de l'interprète allemand T... Jérôme, 44 ans, Retraité de la Gendarmerie à Issoudun.

Sur interpellations, S... déclare :

« Je me nomme S... Max, né le 26-12-1894 à Oberasphe (Allemagne), de Levy et de Sarak I... ; célibataire ; commerçant en tissus ; domicilié avant les hostilités à Anvers (Belgique). Je n'ai jamais été condamné.

Je suis de nationalité indéterminée et Israèlite.Depuis le 12 janvier 1942, j'étais incorporé au 701e Groupement de Travailleurs Étrangers à Miramas

(Bouches-du-Rhône). Je m'en suis évadé le 3 août en compagnie de mon compagnon S..., pour éviter d'être envoyé en Pologne. Nous sommes venus à Issoudun où demeure ma cousine Mme W.... Nous sommes arrivés par l'Express de 5 heures du matin vendredi. Nous avions l'intention de nous présenter au Commissariat de Police, comme venant de Belgique, et nous aurions demandé des permis de séjour pour tranvailler dans la région. »

Lecture faite, persiste et signe.

Le Commissaire de Police

[signé : illisible]

Fouillés au moment de leur arrestation, S... et S... ont été trouvés porteurs des objets suivants qui leur ont été retirés et les suivront à destination :

a) S... : - la somme de 425 frs - différents papiers et objets sans valeur. - Une valise contenant des effets de toilette et de lingerie.

b) S... : - la somme de 1074 frs 30 - différents papiers et objets sans valeur - Une valise contenant des effets de toilette et de lingerie.

Le Commissaire de Police

[signé : illisible]

Nous avisons téléphoniquement M. Le Préfet de l'Indre - Service des Étrangers - qui nous invite à faire conduire S... et S... au Groupement des Travailleurs Étrangers de Montgivray (Indre).

Nous avisons également M. Le Commandant...7

Archives départementales de l'Indre, 1211 W 27 Le document est ici détruit ; il s'agit sans doute du commandant de la gendarmerie qui doit faire conduire les deux hommes au Groupement de Travailleurs Étrangers de Montgivray.

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Document 4 - Organisation secrète et manifestations antisémites dans l'Indre

Gendarmerie Nationale YYY, le 22 juillet 1942 ----------------- 9e Légion bis ----------Compagnie de l'Indre ----------Section de YYY ---------- N° - 97/4

SECRETRAPPORT

du Lieutenant B..., Commandant la section,sur des incidents survenus à XXX qui ont

révélé l'existence d'une organisation clandestine antisémite dans cette localité

Référence : N°-1184-B.M.A. du 16-8-1941 et 38/4 Légion du 14-7-1941

Le 19 juillet 1942, dans l'après-midi, une vente aux enchères publiques s'effectuait au profit de la Commune place de la W... à XXX.

250 à 300 personnes de la commune d'XXX et des communes voisines y assistaient.Le Maire d'XXX présidait la vente dont M. R. W..., huissier au même lieu, assurait l'exécution.À un moment donné, M. X... Jean, ingénieur à XXX, qui était accompagné par son frère le Lieutenant

X... Georges, en tenue civile du 64e Régiment d'Artillerie à Mekenès, actuellement en permission à XXX, interpellait le crieur public qui procédait aux enchères en lui disant : « Vous n'avez pas le droit de vendre aux Juifs, c'est défendu ».

Le Lieutenant X... a d'ailleurs fait la même remarque.`Le crieur invitait M. X... à s'adresser soit à l'huissier chargé de la vente, soit au Maire qui la présidait.Ce dernier intervenant indiquait que les Juifs avaient le droit d'acheter tout comme les autres

personnes.M. X... n'en continuait pas moins à gêner les enchères et finissait par dire : « J'écrirai au Préfet ».Par la suite, il prenait les assistants à partie et leur disait notamment : « Vous êtes des cons, vous

mériteriez des coups de pieds dans le cul, parce que vous laissez acheter les Juifs ».Un peu plus tard, il s'approchait d'un sujet étranger israélite nommé Goldman S... qui venait de prêter

de l'argent à un réfugié pour l'achat d'un costume et l'injuriait et le jetait à terre, après lui avoir porté coups de pied et de poing.

Le Lieutenant X... prenait parti pour son frère.Trois gendarmes de la brigade prévenus arrivaient au même moment sur les lieux et mettaient fin à la

bagarre.Ils invitaient X... Jean à les suivre au bureau de la brigade. Le Lieutenant X... accompagnait son frère.

Jean X... était très surexcité. Les militaires de la brigade ont eu l'impression qu'il était en léger état d'ivresse. Le Lieutenant X..., qui était un peu moins agité, était cependant très énervé.

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Jean X... criait au bureau de la brigade : « Arrêtez-moi, arrêtez-moi. Je suis le chef S.O.L. (service d'ordre légionnaire)8. Je vais rendre compte de cet incident à mon chef et nous sommes chargés de vous protéger ».

Jean X... fait partie de la Légion9.En raison de leur état de surexcitation, les gendarmes décidaient de ne les entendre que plus tard et les

priaient de rentrer chez eux.L'enquête faite par la suite, pour rixe sur la voie publique, coups et blessures volontaires et entraves à

la liberté des enchères, révélait qu'une organisation clandestine antisémite existait à XXX. Jean X... en serait le fondateur et l'un des principaux agents. Elle compterait plusieurs membres dont M. Y..., docteur en médecine et Z... Guy, charcutier à XXX.

Cette organisation aurait pour but de chasser les Juifs placés en résidence assignée à XXX et de protester ainsi contre les mesures prises par l'autorité préfectorale.

Les renseignements concernant l'organisation clandestine ont été fournis par une personne digne de foi désirant garder l'anonymat. Les membres connus seront l'objet d'une surveillance attentive.

Le 22 juillet 1942, par le courrier de ce matin, le Commandant de la brigade d'XXX a reçu une lettre anonyme où l'attitude des gendarmes dans l'incident du dimanche 19 juillet est violemment critiquée. L'auteur de la lettre indique également que les militaires de la brigade se désintéressent du marché noir que pratiquent les Juifs à XXX.

La lettre se termine par : « Nous nous demandons si en haut lieu, à Vichy, l'on aura votre indulgence. C'est ce que nous apprendrons dans quelques temps ».

Cette lettre semble être le fait de l'un des membres de l'organisation clandestine signalée.Elle est conservée à la brigade qui en recherche l'auteur.Je crois devoir signaler que le personnel de la brigade d'XXX exécute très consciencieusement son

service. En particulier, la relève de nombreuses infractions contre les israélites pour trafics illicites et expéditions de denrées contingentées.

S. B...

Destinataires :

1° - Colonel commandant la Légion (3 exemplaires).2° - Préfet de l'Indre.3° - Commandant militaire du Département.4° - Commandant de Compagnie.5° - Sous-Préfet à YYY.6° - Commissaire Surveillance du Territoire.

Archives départementales de l'Indre, M 2745 (3)

8 Organisation para-militaire de la Légion Française des Combattants, fondée par Joseph Darnand.9 Légion Française des Combattants, principale organisation soutenant le régime de Vichy et sa politique de Révolution nationale.

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Document 5 - La surveillance des juifs par le gouvernement de Vichy (a)

Vichy, le 20 août 1942

LE CHEF DU GOUVERNEMENTMINISTRE SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INTÉRIEUR

à Messieurs les PRÉFETS

OBJET : Agissements des Juifs.

Mon attention est fréquemment appelée sur l'activité d'israélites, fixés dans des localités rurales, soit de leur plein gré, soit à la suite de mesures d'assignation à résidence.

Parcourant les campagnes, ces israélites s'efforcent de se ravitailler auprès des cultivateurs dans des conditions illégales, en se livrant à un marché noir inadmissible, de nature à compromettre l'approvisionnement du pays.

D'autre part, nombre d'entre eux se livreraient également à une propagande antigouvernementale.Cet état de choses, qui soulève le mécontentement des populations rurales, doit cesser.Vous voudrez bien, en conséquence, prescrire aux services de police de soumettre à une surveillance

constante les israélites établis dans votre département.Tout israélite qui commet une infraction à l'égard de la réglementation concernant le ravitaillement

doit faire immédiatement l'objet d'une mesure d'internement.Je vous demande de veiller personnellement à l'application des présentes instructions et de donner

immédiatement des ordres fermes aux services de police et à la gendarmerie.

Pour le Chef du GouvernementMinistre Secrétaire d'État à l'Intérieur

Le Conseiller d'ÉtatSecrétaire Général à la Police

René BOUSQUET

Archives départementales de l'Indre, 1275 W 41

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Document 6 - La surveillance des juifs dans le département de l'Indre (b)

Châteauroux, le 27 août 1942

Le Préfet de l'Indre

à Messieurs les Sous-Préfets du Blanc, La Châtre ;le Commandant de Gendarmerie ;D., Chef de Bureau, Délégué à Loches ;les Commissaires principaux aux Renseignements Généraux de

Châteauroux, Loches et Issoudun ;le Commissaire spécial à la surveillance du territoire ;le Commissaire de police chargé du contrôle de la ligne de démarcation à

Loches ;les Commissaires de police de : Châteauroux, Issoudun, Argenton, Le

Blanc ;le Lieutenant Commandant la Section de Gendarmerie de Loches ;l'Inspecteur de Police à La Châtre

Objet : Agissement des juifs.

L'attention de M. le Ministre Secrétaire d'État à l'Intérieur est fréquemment appelée sur l'activité d'israélites, fixés dans des localités rurales, soit de leur plein gré, soit à la suite de mesures d'assignation à résidence.

Parcourant les campagnes, ces israélites s'efforcent de se ravitailler auprès des cultivateurs dans des conditions illégales en se livrant à un marché noir inadmissible, de nature à compromettre l'approvisionnement du pays.

D'autre part, nombre d'entre eux se livreraient également à une propagande antigouvernementale.Cet état de choses, qui soulève le mécontentement des populations rurales, doit cesser.Vous voudrez bien, en conséquence, soumettre à une surveillance constante les israélites établis dans

votre circonscription, et me signaler aussitôt ceux qui commettraient une infraction à l'égard de la réglementation concernant le ravitaillement, aux fins d'une mesure d'internement.

LE PRÉFET,

Archives départementales de l'Indre, 1279 W 41

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Document 7 - Un tract antisémite à Châteauroux

Ce papillon antisémite a été collé sur les murs de Châteauroux dans la nuit du 28 au 29 septembre 1942 par des militants du Parti Populaire Français, parti collaborationniste dirigé par Jacques Doriot.

Archives départementales de l'Indre, M 2745 (1)

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« Français, chasser le juif, pour cela un parti, pour cela un chef, Jacques Doriot »

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Camp de Douadic (Indre). Un GMR photographié avec le personnel d'encadrement du camp à l'époque de la rafle de

février 1943 (cliché x, collection part.)

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4ème partie

Les rafles de Juifs dans l'Indre (1942-1944)

Au cours de l'été 1941, vers la mi-septembre au plus tard, Hitler a décidé la mise en œuvre de la « solution finale », c'est-à-dire l'extermination des juifs.

La mesure est progressivement étendue à tous les pays d'Europe occupées par l'armée allemande. En juin et juillet 1942, plusieurs conférences ont lieu entre les autorités de Vichy (Bousquet et Darquier de Pellepoix) et allemandes (Heydrich, Dannecker, Oberg, Knochen). Le 2 juillet 1942, Bousquet accepte de faire arrêter par la police française 20 000 juifs étrangers ou apatrides de zone occupée et 10 000 de zone libre ; le 3 juillet, Pétain et Laval donnent leur accord et, le 4 juillet, Laval propose que, lors de l'évacuation des familles juives de zone libre, les enfants de moins de 16 ans soient emmenés eux aussi, ajoutant que la question des enfants juifs de zone occupée ne l'intéressait pas (dans un but humanitaire déclara-t-il le 10 juillet suvant, afin de ne pas séparer les familles).

Les 16 et 17 juillet suivants a lieu la grande rafle en zone occupée, tant à Paris (rafle du Vel'd'Hiv') qu'en province.

Dans la zone libre, les juifs internés dans les camps sont transférés à Drancy du 7 au 14 août 1942 ; sont ensuite envoyés à Drancy (où ils arrivent le 25 août) les juifs des Groupements de Travailleurs Étrangers de zone sud. Mais, comme le nombre de juifs internés dans tous les camps est insuffisant pour compléter le contingent promis aux Allemands, il est nécessaire de procéder une rafle : elle a lieu dans la nuit du 25 au 26 août 1942, opérée par les gendarmes, les policiers et les G.M.R. (Groupes Mobliles de Réserve) ; les arrestations se poursuivent dans les jours suivants, jusque vers le 20 septembre. Un centre de ramassage ou de triage est prévu pour chaque département : pour l'Indre, il s'agit de Douadic où a lieu le tri entre les déportables et ceux (rares) qui peuvent bénéficier d'exemptions. Ils sont ensuite transférés au centre de rassemblement régional, le camp de Nexon (Haute-Vienne) pour la région de Limoges. Le 29 août 1942, un convoi de 446 juifs arrive à Drancy en provenance de Nexon. Il semble au total que 475 personnes aient alors été arrêtées dans l'Indre et dans les portions des départements du Loir-et-Cher, du Cher et de l'Indre-et-Loire situées en zone non occupée (pour 876 arrestations opérées dans l'ensemble de la région de Limoges).

La plupart des personnes transférées à Drancy ont ensuite été déportées à Auschwitz.D'autres rafles sont opérées dans l'Indre et dans la zone sud en février 1943 et en mars

1944.Ainsi que le souligne Serge Klarsfeld, « les seuls juifs arrivés à Auscwitz en

provenance d'un territoire où il n'y avait pas d'Allemands pour les arrêter, ce sont les juifs de la zone libre de Vichy.10 »

10 « La livraison par Vichy des juifs de zone libre dans les plans SS de déportation des juifs de France » dans M.-L. Cohen et E. Malo (sous la direction de), Les camps du Sud-Ouest de la France, 1939-1944. Exclusion, internement et déportation,

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Document 1 : Le témoignage d'Herbert Goetz sur la rafle du 26 août 1942 dans le département de l'Indre

Dans la nuit du 25 au 26 août 1942, vers 4 heures du matin, Herbert Goetz, originaire de la région de Francfort en Allemagne qu'il a fui pour la France en 1936-1937 pour échapper aux persécutions nazies, est réveillé et arrêté par quatre policiers dans son appartement de Châteauroux.

J'ai donc été emmené à la salle Diderot, à Châteauroux, qui était déjà occupée par un certain nombre de personnes ; je suis resté là avec les autres, uniquement des Juifs, et notre nombre a progressivement augmenté d'heure en heure. Si bien qu'à un certain moment de la journée, la grande salle était pleine de monde ; compte tenu de la superficie de cette salle, j'estime que nous avons été à un certain moment plusieurs centaines de personnes, peut-être quatre ou cinq cents. Certains étaient de Châteauroux mais beaucoup venaient d'ailleurs, des régions de la ligne de démarcation. des cars ont fait la navette et on a su qu'ils emmenaient des gens à Douadic, mais nous n'avons pas tous été emmenés ce jour-là ; je suis resté avec d'autres et nous avons passé la nuit à la salle Diderot, ccouchés par terre parmi les bagages et sans aucune nourriture, sauf quelques-uns qui avaient pensé à se munir de provisions.

Le lendemain de mon arrestation, vers midi, direction Douadic ou j'ai vu environ 150 à 200 personnes, mais je suis moins sûr de cette estimation car les gens erraient dans le camp, entre les baraques, et tout comme eux j'avais d'autres préoccupations que celle de me livrer à des comptages. Ce dont je me rappelle, c'est qu'il y avait des enfants mais pas de tout-petits ; il n'y avait pas d'hygiène dans le camp mais, par contre, c'était une belle pagaille ; il n'y avait pas assez de couvertures ni de paille pour le couchage et beaucoup de personnes, inquiètes et affolées, trainaient autour des bureaux où tout se décidait mais il était formellement interdit d'y entrer. Je n'ai rencontré personne de connaissance et j'ai quitté Douadic en autocar pour Nexon.

Par miracle, Herbert Goetz échappe à la déportation et, après diverses péripéties, il se retrouve au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) d'où il est finalement libéré.

cité par Jacques Blanchard, Le camp de Douadic,centre de triage avant déportation et centre n° 11 bis

du Service social des étrangers, 1939-1945,Celles-sur-Belle, 1994, p. 78-79

Toulouse, 1994, p. 133.

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Document 2 - Le témoignage de Jane Billard sur la rafle du 26 août 1942 dans le département de l'Indre

Le 26 août 1942 au matin, le maire du Blanc, Désiré Chaussebourg, qui a reçu l'ordre de la préfecture de l'Indre d'envoyer une déléguée de la Croix-Rouge au camp de Douadic, propose à Jane Billard, qui vient d'achever ses cours d'infirmière de la Croix-Rouge, de s'y rendre pour prendre en charge l'infirmerie, ce qu'elle accepte. Elle arrive au camp vers 10 heures du matin.

« Accompagnée de deux ou trois policiers, j'ai fait la répartition des couvertures et des sacs de couchage dans les baraques où une partie des gens sont venus s'installer ; il y avait des châlits de chaque côté des parois, presque à touche-touche, avec un étage et des petites échelles pour y accéder. Sans savoir s'ils resteraient au camp, certains sont allés remplir leurs paillasses au grand tas de paille fraîche qui était au fond du camp.

Je n'ai pas vu de petits bébés, les plus jeunes avaient deux ou trois ans ; d'autres, un peu plus âgés, avaient déjà fait connaissance et ils couraient avec insouciance autour des baraques, sans partager l'angoisse des parents. Le couloir central des baraques était encombré de paquets hâtivement faits et de valises, dont certaines étaient pleines à craquer et fermées avec de grosses cordes. Visiblement, ces valises étaient celles de gens obligés de faire vite et elles avaient été rapidement bouclées.

Dès que les internés surent que j'avais été chargée d'un poste dans le camp, je fus harcelé de questions :« Mademoiselle, savez-vous où nos allons ? Voyez-vous, nous sommes en France depuis longtemps et

nous ne voulons pas retourner en Allemagne ou en Pologne… Moi je suis mariée à un Français, mes enfants sont Français… Pourriez-vous téléphoner à ma famille ? Voulez-vous me poster une lettre ?… »

D'autres me disaient : « Nous allons en Allemagne, au travail obligatoire. Les Allemands veulent nous faire mourir sur place. »

Un rabbin, venu de Châteauroux, passait de baraque en baraque et essayait de réconforter tout le monde ; dans la journée il y a eu des prières en yiddish, une langue que j'entendais pour la première fois. J'étais très impressionnée de voir ces gens, dans une telle situation, prier et se recueillir.

Il y en avait de tous âges, des jeunes et des assez vieux ; les conversations revenaient toujours sur le même sujet, ce travail obligatoire dans les mines de charbon ou de sel. Je continuai ma visite, faisant quelques pansements pour des blessures bénignes et quelques piqûres, rien de grave.

Plus des trois-quarts des personnes que j'ai vu ce premier jour semblaient aisées ; c'est ce qu'indiquait leur tenue vestimentaire, manteaux de fourrures, sacs en peau de crocodile et bijoux dont quelques-uns étaient remarquables ; à l'évidence, ils avaient emporté ce qu'ils avaient de plus précieux.

Je fis un tour à la cuisine où je fis connaissance de Mangin, un gardien du camp ; il surveillait la préparation d'une purée de pommes de terre dans un grand chaudron de campagne. Sur une table, une autre personne coupait des tranches de pain, mais j'avais remarqué que certaines des personnes arrêtées avaient emmené des provisions.

Dans l'après-midi, je sortis sur la route pour parler avec les chauffeurs de cars et avoir des renseignements. Ils dirent qu'ils allaient à Nexon, petite ville près de Limoges, d'où les trains partaient pour l'Allemagne ; ils me dirent aussi qu'un convoi allait quitter Douadic en fin d'après-midi.

Effectivement, je vis un rassemblement en soirée, devant le bureau, où l'un des employés de la préfecture faisait un appel. Près de lui se tenait Monsieur C. qui contrôlait les opérations et les personnes appelées ont été dirigées vers les cars. Pas de cris ni de hurlements et j'ai vu des familles prendre place, dans le calme ; seules, quelques femmes pleuraient en silence mais tous avaient le visage décomposé.

Quand je suis retournée aux baraques, le moral était au plus bas et je ne savais pas comment m'y prendre pour apaiser ceux dont les nerfs craquaient visiblement. Des disputes en yiddist ont éclaté, auxquelles je ne comprenais rien, et une jeune femme m'a dit que c'était la tension nerveuse qui en était la cause.

J'ai alors rencontré Monsieur Mangin qui m'a dit que deux autres départs étaient prévus pour le lendemain ; la première liste serait affichée le matin et l'autre en début d'après-midi. Puis on vient me chercher pour que je m'occupe d'un petit garçon malade ; il faisait partie d'une famille nombreuse de sept

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ou huit enfants et il avait un gros rhume. Sa mère, qui était de la région parisienne, était seule avec ses enfants et elle m'a inspiré pitié, insistant pour que j'intervienne et qu'elle puisse rester au camp, comme cuisinière ou n'importe quoi d'autre. C'était un peu fou, je le savais, mais j'étais encore très naïve et j'allai au bureau pour tenter quelque chose.

Je fus reçue plus que froidement et Monsieur C., en passant rapidement près de moi, me dit qu'il n'avait pas le temps de me recevoir. L'un de ses adjoints, plus aimable, me fit comprendre que les ordres venaient de la préfecture et que presque tout le monde devait partir car il y aurait très peu de libérations ; quant à cette mère avec ses nombreux enfants, ma proposition de la gardre à la cuisine le fit sourire et il me répondit que les cas d'exemption étaient sévèrement définis, le fait d'être mère de famille n'en étant pas un.

Alors que je circulais dans les baraques, j'eus la surprise de reconnaître un camarde d'études de mon frère Georges ; Thaddée Strumpfmann, âgé de dix-sept ans, s'était tranquillement endormi dans un coin. Il venait de passer la 2e partie de son bac au collège du Blanc avec la mention « bien », après avoir obtenu le prix d'excellence en classe de première. Il était élève de ce collège depuis 1939, année durant laquelle il avait suivi ses oncle et tante, les Henri Bornstein, qui s'étaient repliés au Blanc avec leurs enfants et lui-même après les accords franco-soviétiques. je le réveillai en le secouant et il m'apprit qu'il avait été arrêté dans la nuit chez son oncle ; ce dernier ainsi que son épouse étaient Français mais Thaddée était Polonais.

Bouleversée par les départs auxquels je venais d'assister et par les paroles de l'employé de la préfecture, j'eus soudain la certitude que Thaddée allait partir lui-aussi et, malgré les précédentes rebuffades, je me décidai à retourner voir Monsieur C. Par chance, il était seul, mais son visage se ferma dès qu'il sut ce qui m'amenait ; il me coupa la parole, me fit asseoir et me demanda de l'écouter :

« Mademoiselle, tous les gens que vous voyez ici sont des étrangers et, de plus, de religion juive. Ils se sont établis en France, ils nuisent gravement à notre société ; ce sont des sangsues que nous faisons vivre et qui profitent de notre pays. Beaucoup d'entre eux ne se sont pas faits naturaliser dans le but d'échapper au service militaire ; pendant que les Français étaient au front, ils vivaient à Paris en faisant du marché noir et continuaient leur petit commerce.

Voilà ce qu'est un Juif ; alors n'écouter pas votre bon cœur. Il y a une justice et ils vont tous partir en Allemagne dans des camps de travail. »

Cette fois, j'avais compris et, persuadée que Thaddée allait être déporté, je prévins mon père le soir-même pour qu'il tente de réussir là où moi j'avais échoué.

Le père de Jane Billard, en sollicitant l'intervention d'Albert Chichery, conseiller national et ami de Pierre Laval et de Fernand de Brinon, obtiendra la libération de Thaddée Stumpfmann.

cité par Jacques Blanchard, Le camp de Douadic,centre de triage avant déportation et centre n° 11 bis

du Service social des étrangers, 1939-1945,Celles-sur-Belle, 1994, p. 86-90

Les témoignages d'Herbert Goetz et de Jane Billard et celui des documents d'archives prouvent l'implication des forces de l'ordre (gendarmerie, police, G.M.R.) dans les arrestations et surtout le rôle essentiel des services préfectoraux dans l'organisation et la mise en œuvre de la rafle d'août 1942 comme d'ailleurs dans les opérations suivantes. Ceci n'empêchait cependant pas un engagement des membres de la préfectorale dans la Résistance : ainsi, le Monsieur C. qui orchestre les opérations à Douadic tant lors de la rafle d'août 1942 que lors de celle de février 1943 et qui clame ouvertement son antisémitisme était chef de bureau à la Préfecture de l'Indre ; il est recruté par Robert Masset, également chef de bureau à la préfecture, qui a rejoint le mouvement de résistance « Libération » et constitué autour de lui un groupe N.A.P. (Noyautage des Administrations publiques) ; préposé notamment au fichier du S.T.O., Monsieur C. subtilise ou maquille des cartes de réfractaires… Robert Masset a déclaré : « Quand je voyais un renseignement qui pouvait être utile, je le donnais. Quand je savais qu'il allait y avoir une rafle, j'essayais de prévenir les Juifs ; mais eux étaient très imprudents11. »11 M. Jouanneau, Mémoire d'une époque. Indre 1940-1944. Histoire de l'Occupation et de la Libération Tome 1 : Juin 1940 - Juin 1944, Châteauroux, 1995, p. 245.

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Document 3 - Le compte rendu du préfet de l'Indre sur la rafle du 26 août 1942

Châteauroux, le 28 août 1942

Le Préfet du Département de l'Indreà Monsieur le PRÉFET RÉGIONAL

(CABINET)

LIMOGES

Objet : Rapport mensuel

Références : vos instructions N° 5833 R/Cab. du 28 mai 1942

J'ai l'honneur de vous communiquer, sous ce pli, mn rapport succint prévu par vos instructions citées en référence.

A - OBSERVATIONS GÉNÉRALES ET ATTITUDE DE LA POPULATION

Malgré les événements et l'incertitude de l'avenir, la population du département conserve, dans l'ensemble, une attitude calme et très satisfaisante.

Les moissons, favorisées par le beau temps, se sont passées dans de bonnes conditions.Il n'y a pas lieu de faire une remarque particulière sur la vie matérielle de mes administrés.La population a eu l'occasion de montrer son sang-froid lors du débarquement anglais à Dieppe ; cet

événement n'a eu aucune répercussion particulière et a fait simplement l'objet de conversations privées.On se fait, cependant, de plus en plus à l'idée que la guerre est loin d'être terminée ; en particulier, les

événements de Russie, malgré les succès allemands, font croire à beaucoup que les troupes de l'Axe devront subir une nouvelle campagne d'hiver.

L'invasion de mon département par un grand nombre de juifs étrangers fuyant la zone occupée, et l'attitude de ces israèlites, se livrant au marché noir et provoquant le renchérissement de la vie, a entraîné dans l'opinion un certain mouvement antisémite qui, jusqu'ici, n'existait pas. Aussi, les opérations de ramassage du 26 août n'ont-elles provoqué aucune réaction défavorable du public. L'opération, d'ailleurs, s'est passée dans le plus grand ordre et a été complètement terminée dès les premières heures du jour.

Archives départementales de la Haute-Vienne12

12 Document reproduit dans M. Nicault, M. Greslier et N. Ravat, L'Indre dans la Seconde Guerre mondiale. 1er fascicule : Les années noires (1939 - 6 juin 1944), C.D.D.P. de l'Indre, Châteauroux, 1981 et dans G. Bonnet, 1940-1944. Vichy et l'occupation. Le Val de Loire/Le Berry/Le Poitou des années noires, Éditions de la Nouvelle-République, Tours, 1993, p. 88.

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Document 4 - Les profits du crime

Vichy, le 2 octobre 1942

LE CHEF DE GOUVERNEMENTMINISTRE SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INTÉRIEUR

à Messieurs les PRÉFETS de la Zone non occupée

OBJET : Renseignements sur les immeubles appartenant à des Juifs.

M. le Commissaire Général aux Questions Juives vient de me signaler que des Préfets de la zone occupée ont appelé son attention sur les difficultés qu'ils rencontrent parfois pour obtenir de leurs collègues de la zone non occupée tous les renseignements nécessaires pour leur permettre d'identifier les immeubles appartenant à des Juifs, afin de les placer sous administration provisoire.

Je vous prie, en conséquence, de bien vouloir répondre avec précision et célérité à vos collègues de la zone occupée qui vous demanderont des renseignements de cet ordre.

Le Chef du GouvernementMinistre Secrétaire d'État à l'Intérieur

Le Conseiller d'ÉtatSecrétaire Général à la Police

René BOUSQUET

Archives départementales de l'Indre, M 2722

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Document 5 - Un témoignage sur les rafles et les déportations dans l'Indre (mars 1943)

Ma chère H.,

J’ai reçu ta lettre ce matin, très heureuse d’avoir de tes nouvelles, mais je vois que tu es bien ennuyée par le départ de ton ami. Oui, effectivement, j’ai été en envoyée le 26 août dernier au camp de Douadic, le matin même où la Préfecture venait de faire une rafle monstre d’hommes, de femmes et d’enfants. Je remplis ici les fonctions d’infirmière et d’assistante sociale : occupation intéressante lorsque les gens sont en liberté mais, dans un camp, c’est autre chose car les conditions d’hygiène et de couchage sont déplorables... Pense un peu que nous couchons tous sur la paille, j’ai réclamé maintes fois mais je n’obtiens rien car ce sont des juifs et ils sont mal considérés !... Ici, ils sont tous très gentils envers moi et tu penses bien que je fais tout ce que je peux pour eux.

Cette rafle dont tu parles a eu lieu le 23 février et nous étions au courant depuis plusieurs jours déjà puisque nous avons fait certains préparatifs. La Préfecture était sur place et le triage s’est fait dans la nuit ; environ 300 Israélites étaient là dont une trentaine ont été libérés. Je te cite les cas de libérations : prisonniers évadés ou rapatriés (cause maladie), aveugles, infirmes (aucune commission médicale n’était convoquée et, par conséquent, il fallait avoir une infirmité fort apparente), puis tous ceux qui avaient fait la campagne de Belgique en 1940 et, de ceux-là, il y en avait quatre. L’âge variait de 18 à 65 ans, j’ai vu beaucoup de jeunes de 18 à 25 et un assez grand nombre de 50 à 65 ans. Nous les avons gardés trois nuits pendant lesquelles j’ai eu un travail inimaginable. Jeanne est venue me voir le lendemain du départ en me parlant de ton ami ; j’ai recherché les listes et je l’ai retrouvé très facilement avec les autres qui sont passés à Nexon, Gurs et remontés sur Drancy. J’ai eu des nouvelles de certains de ces trois camps (car il y en avait une trentaine qui avaient été à Douadic pendant plusieurs semaines). Les derniers partis sont de Metz et tu dois bien te douter que tous ces départs étaient pour l’Allemagne ou, plus exactement, pour la Pologne vers la Galicie, en Haute-Silésie, dans les mines de charbon et de sel.

Une jeune juive d’ici vient de recevoir ces jours-ci une carte de son mari déporté en juillet 42. C’est lui-même qui écrit en allemand, il travaille dans le charbon et est en bonne santé. Maintenant je sais de source sûre que, dans les derniers convois, quelques-uns ont donné de leurs nouvelles par l’intermédiaire d’une Société juive à laquelle j’écris par ce même courrier car je peux d’ici correspondre directement, alors que, venant de toi, cela passe par plusieurs assistantes sociales de zone libre et c’est très long. Dès que j’aurai quelques nouvelles, je te les communiquerai, cela demande environ trois semaine à un mois.

D’après les renseignements que nous avons, ces déportations avaient pour but : travail en Allemagne car, là-bas, on a besoin de main-d’oeuvre et sois sûre qu’ils ne sont pas dans des camps. Seuls, les tous premiers déportés envoyés en 40 ont été et sont certainement encore enfermés.

Ici, la direction se compose d’un commandant (un brave homme), un comptable, un ravitailleur, un surveillant et moi-même. Nous nous entendons très bien et mangeons en popote comme les militaires. Le camp est en pleine Brenne, au milieu des marécages, les baraques (une douzaine) sont en planches à travers lesquelles on voit le jour, le toit se compose de planches recouvertes de papier bitumé. Tu vois que nous avons eu de la chance d’avoir un hiver peu rigoureux car je crois nous serions tous morts de froid. Nous couchons sur les planches, à même une paillasse avec trois couvertures de coton ; je m’y suis fort bien habituée et je dors bien. La cuisine est bonne, pas tellement variée, mais les rations sont un peu plus fortes et cela compense. Je m’occupe surtout des enfants. L’effectif est de 80 (après avoir été de 190) et 15 gamins de 20 mois à 12 ans [...]

Collection particulière

Cette lettre, écrite par Jane Billard, fait allusion aux rafles du 26 août et, surtout, du 23 février 1943 qui vient alors d'être opérée. Elle est particulièrement intéressante pour connaître ce qui se disait et sur ce que l'on croyait à propos de la destination des convois de déportés juifs. Elle nous donne enfin quelques informations sur le fonctionnement du camp de Douadic, en contrepoint de celles que nous fournissent les rapports administratifs cités plus loin.

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Plan du camp de Douadic en 1943(Archives départementales du Loiret, doc. découvert et communiqué par Jean-Louis Laubry)

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5ème partie

Le camp de Douadic

Aménagé d'abord pour servir de camp de prisonniers pour les Allemands capturés en 1939-1940, il sert ensuite pour les réfugiés français et étrangers arrivant de zone occupée. À partir de novembre 1940, Douadic devient un Centre de séjour surveillé, administré par le Commissariat à la Lutte contre le Chômage (C.L.C., créé par la loi du 11 octobre 1940), lequel dépend du Secrétariat d’État au Travail, lui-même coiffé par le ministère de l’Intérieur.

Douadic devient ensuite un Centre d’Accueil géré par le Service Social des Étrangers (lui-même dépendant du C.L.C.), créé le 1er février 1941 et dirigé par Gilbert Lesage. Il héberge alors des réfugiés espagnols, polonais et allemands, dont certains sont probablement juifs. Il reçoit également de mai à juillet 1941 des prisonniers de guerre libérés (des marins) qui rejoignent rapidement les lieux de leur démobilisation ; le camp est ensuite remis en 1942 aux Chantiers de Jeunesse.

Après la décision prise par les Nazis de mettre en œuvre la « solution finale », c'est-à-dire l'extermination des juifs (août ou septembre 1941), des conférences ont lieu entre les autorités allemandes et celles de Vichy en juin et juillet 1942 ; Vichy accepte de faire arrêter par la police française 20 000 juifs étrangers ou apatrides de zone occupée et 10 000 de zone libre.

En août 1942, au moment de la grande rafle des juifs étrangers de zone libre organisée par le gouvernement de Vichy, Douadic devient Centre de ramassage ou de triage : en effet, les juifs arrêtés dans l’Indre lors de la rafle qui commence le 26 août 1942 et se prolonge jusqu'au 20 septembre 1942 sont amenés à Douadic, où ils sont « triés » pour séparer les déportables de ceux (rares) qui peuvent bénéficier d’exemptions ; ils sont ensuite transférés au camp de Nexon (Haute-Vienne), centre de rassemblement pour la Région de Limoges, avant leur départ pour Drancy puis Auschwitz. Le 26 octobre 1942, Douadic devient en outre « centre de regroupement d’Israélites en vue de leur transfert en zone occupée », et gardera par la suite sa triple fonction. À partir du 1er janvier 1943, il dépend du Service du Contrôle Social des Étrangers, nouveau nom du S.S.E., et il n’abritera pas uniquement des juifs par la suite. Une nouvelle rafle de juifs a lieu dans l'Indre le 23 février 1943 et dans les jours qui suivent, puis une autre en mars 1944 : Douadic sert encore dans ces occasions de camp de « triage ».

En dehors des périodes de rafles, où les personnes arrêtées ne demeurent que quelques jours dans le camp avant leur transfert vers Nexon, le camp connaît un flux constant de départs et d'arrivées, les transferts d’un camp à l’autre étant incessants : la destination réelle des partants est souvent difficile à déterminer, mais nombre d’entre eux ont dû faire partie des convois qui étaient dirigés vers les camps d’extermination ; les juifs étaient

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alors d’abord transférés vers Nexon, puis vers le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où étaient constitués les trains pour Drancy, avant le départ pour les camps d'extermination.

Vers l’époque de la Libération, le camp sert au stockage de matériel clandestin pour la Résistance. Avec la Libération disparaissent le centre de triage et le centre de regroupement avant transfert, et ne subsistent jusqu’en octobre 1944 que le Centre d’Accueil du Contrôle Social des Étrangers. Il sert de nouveau pour des prisonniers allemands, gardés par des F.F.I., puis devient centre départemental d’internement pour les « collabos » arrêtés jusqu'au printemps 1945… Enfin, les baraques sont vendues aux enchères par les Domaines et les huit hectares du camp sont restitués à leur propriétaire.

Soulignons enfin que des juifs étrangers incorporés par les autorités de Vichy dans le Groupement de Travailleurs Etrangers de Montgivray (près de La Châtre, Indre) ont également été victimes des rafles organisées par le gouvernement de Vichy, notamment en août-septembre 1942.

Au total, environ 500 personnes de l'Indre ont été victimes de la déportation pour motifs raciaux et/ou politiques ; environ 65 % d'entre elles ne sont pas rentrées.

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Document 1 - Tous les chemins mènent à Douadic (a)…

PRÉFECTUREDE LA CREUSE

1ère Division Guéret, le 15 décembre 1942 ---2ème Bureau ---

RecommandéMonsieur,

Objet : Autorisation de séjour

Référence : votre communication du 30 novembre 1944

Pièces jointes : 4

Comme suite à la demande que vous m'avez transmise, j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en raison du grand nombre d'étrangers déjà répartis dans mon département, il ne m'est pas possible d'autoriser M. et Mme MALBERG à venir résider en Creuse.

Ci-inclus les pièces que vous m'avez communiquées.Avec mes regrets, veuillez Monsieur l'expression de mes sentiments distingués.

Le PRÉFET,Pour le Préfet et par délégation

Le Secrétaire général

[signé : illisible]

Monsieur MALBERG à MORTROUX(s/c de Monsieur le Maire de MORTROUX)

Collection particulière

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Document 2 - Tous les chemins mènent à Douadic (b)…

PRÉFECTURE DE L'INDRE

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AUTORISATION DE SÉJOUR PROVISOIRE

----------------

Nom : Malberg`

Prénom : Ignace

Date et lieu de naissance : 13 mars 1892 à Kovno [?]

Nationalité : Réfugié Russe

------------

Autorisation de séjour valable

dans la Commune de Douadic

[à compter du] 15 octobre 1942

Châteauroux, le 15 septembre 1942

POUR LE PRÉFETet par délégation :

[signé : illisible]

Collection particulière

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Document 3 - Tous les chemins mènent à Douadic (c)…

Gendarmerie nationale13

---------------

Par décision de Mr le Préfet de l'Indre en date du 9 mars 1943, il est prescrit aux nommés Malberg Ignace et Szwizgold Frayde, de regagner le Centre d'accueil de Douadic (Indre)

Ils devront partir de Francueil le 17 mars 1943. Durée du voyage : 24 heures.

À Francueil, le 16 mars 1943

Le gendarme

[signé : illisible]

Visé par le Maire de Francueil

Le Maire

[signé : illisible]

Collection particulière

13 Texte manuscrit sur une page de cahier d'écolier.

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Document 4 - La vie dans le camp de Douadic (a)

RAPPORT CONCERNANT LES ÉTRANGERS HÉBERGÉS AU CENTRE D'ACCUEILDE D O U A D I C

-------------Application de la circulaire N° 15 813 du 14 octobre 1942

-------------

Le Centre d'Accueil de Douadic, seul centre d'hébergement existant dans l'Indre, est actuellement occupé par 139 israélites étrrangers dont 45 hommes, 78 femmes et 16 enfants de moins de 12 ans. Les conditions de logement laissent à désirer. Les baraquements en bois sont en mauvais état, les toitures laissent passer l'eau qui se répand à l'intérieur des dortoirs. La couverture d'une des baraques est complètement enlevée et des réparations urgentes s'imposent par cette saison. Il n'existe plus que peu de chalits individuels, les dortoirs sont aménagés de bat-flanc superposés à un étage. Les armoires, placards ou planches à paquetage font défaut. Les baraques sont absolument nues et sans aucun confort surtout pour les femmes et les enfants.

L'appel du matin se fait à 9 heures. Les repas ont lieu à 12 h. 30 et 19 h. et l'appel à 21 heures.Les étrangers sont nourris moyennant une somme de 16 francs 50 par jour.L'extinction des feux se fait à 22 heures. Toutefois, deux lampes par dortoir restent allumées pour

éviter les accidents qui pourraient se produire par suite de la disposition superposée des chalits.L'emploi du temps est réparti comme suit : de 9 h. 30 à 12 h. et de 14 h. 30 à 17 h. : corvées de cuisine

et de propreté. En plus, des équipes d'hommes travaillent à l'entretien et à l'aménagement du camp, notamment à la réfection des caniveaux d'écoulement des eaux qui entourent les baraquements. L'occupation des femmes et des jeunes filles est à l'étude. Le manque de matières premières ne permet pas de résoudre facilement la question. De nombreux étangs existent dans la région, il est recherché si les roseaux qui y croissent abondamment ne pourraient pas être utilisés pour la confection de sacs, corbeilles, tapis, etc.…

Les hébergés ne sortent que par petites fractions dans une zone ne dépassant pas quelques kms et s'étendant de préférence à l'est du camp. Afin d'éviter le marché noir, il est interdit d'acheter dans les fermes et de circuler dans le village de Douadic. Les intéressés ont été avisés que tout manquement aux règles imposées entraîneraient leur internement et la fermeture immédiate du Centre avec interdiction de sortir.

Dans l'ensemble, le moral du camp est bon et l'attitude des étrangers est correcte.

Archives départementales de l'Indre, M 3262

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Document 5 - La vie dans le camp de Douadic (b)

RAPPORT concernant les étrangers hébergés au Centre d'accueil de Douadic--------------

Le Centre d'Accueil de Douadic groupe actuellement 74 Israélites dont 17 hommes, 40 femmes et 17 enfants appartenant aux nationalités ci-après :

Français ------------------------------------- 13Polonais ------------------------------------- 41Réfugiés Russes ---------------------------- 11Allemands ----------------------------------- 3Britanniques -------------------------------- 1Grecs ---------------------------------------- 4Roumains ----------------------------------- 1

Dans l'ensemble, l'état d'esprit est bon.Les conditions d'hébergement seraient satisfaisantes si les locaux offraient plus de confort. En effet, les baraquements sont en mauvais état. Les toitures composées de carton bitumé laissent passer l'eau et une révision urgente s'impose.Les occupations des hébergés se résument à l'entretien du camp, l'approvisionnement en bois de chauffage et la culture d'un jardin potager. Une parcelle de terre louée à proximité du camp avec l'intention d'y employer les hommes a été labourée par un fermier de Douadic mais en raison du manque de bons monnaie-matière pour l'achat d'outils, l'exécution du projet élaboré se trouve interrompu.D'accord avec le Service Social des Étrangers, trois femmes ont été placées comme bonnes à tout faire, une à Châteauroux et les deux autres au Blanc. Une dizaine de demandes sont encore en instance et je ne manquerai pas, conformément aux instructions contenues dans votre circulaire du [blanc] de vous tenir au courant dans mon prochain rapport des nouveaux placements effectués.

Châteauroux, le 15 mai 1943LE PRÉFET,

Archives départementales de l'Indre, M 3262

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Document 6 - La vie dans le camp de Douadic (c)

Le Blanc, le 9 juillet 1943

LE SOUS-PRÉFET DU BLANC,à Monsieur le PRÉFET DE L'INDRE

(2ème Division - 3ème Bureau)

OBJET : Contrôle des groupements étrangers. Rapport sur le fonctionnement du camp de DOUADIC au cours du 2ème trimestre de 1943.

RÉFÉRENCE : Votre lettre N° 11 C. 1256 du 20 avril 1943. Votre notre du 3 juillet 1943.

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'au cours du 2ème trimestre de 1943 le Centre d'accueil d'israélites de DOUADIC a fonctionné de façon satisfaisante.

Ce Centre compte actuellement 167 membres, se répartissant ainsi, par nationalité :

47 Polonais18 Russes66 Allemands2 Grecs13 Français3 Hollandais6 Autrichiens1 Tchèque4 Hongrois1 Turc1 Belge1 Chinois4 Espagnols

Les conditions d'hébergement du centre de Douadic sont satisfaisantes. Cependant, les toitures de divers baraquements, en carton bitumé, sont en mauvais état. Le Gestionnaire a bien reçu les attributions nécessaires aux réparations : rouleaux de carton bitumé, bon d'achat de 9 kgs de pointes, mais les réparations n'ont pu être faites, le bon d'achat des pointes n'ayant encre pu être honoré par M. GASNIER, quincailler au Blanc, malgré de pressantes démarches.

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Le camp comprenant un grand nombre de vieillards, dont plusieurs sont impotents, le Gestionnaire désirerait obtenir l'autorisation d'enlever, au moins dans une baraque, les bas-flancs qui s'y trouvent pour les remplacer par des lits. Aucune attribution de lits ne serait à faire, le camp étant en possession des lits nécessaires.

Le travail fourni par les hébergés est toujours assez piètre, cependant un réel progrès s'est fait sentir. Les hébergés sont occupés au bon entretien du camp, qui est très propre, et cultivent actuellement un lopin de terre qui, bien qu'ensemencé tardivement, permettra au Gestionnaire d'avoir des légumes à sa disposition.

Actuellement, 17 israélites ont été placés en dehors du camp, soit dans la culture, soit, en ce qui concerne les femmes, comme bonnes à tout faire : 4 à DOUADIC, 2 à ARGENTON, 3 à CHÂTEAUROUX, 2 à MÉZIÈRES-EN-BRENNE, 2 à PELLEVOISIN, 4 au BLANC, 4 sont actuellement en instance de départ.

Les hébergés sont, dans l'ensemble, satisfaits de la nourriture : plusieurs œuvres s'occupent d'ailleurs de l'améliorer, ce qui permet à certains, qui étaient sous-alimentés, de suivre un régime spécial.

La discipline dans le camp est librement consentie par les hébergés, qui ne se plaignent pas. Les moyens de coercition sont faibles - suppression de sortie, de vin - mais il est rarement nécessaire de les employer. Une seule évasion est à signaler, celle de BLOM Jack, américain.

J'ajoute qu'il a été établi un registre nominatif des hébergés et qu'il a été procédé à l'établissement de fiches individuelles. Ces fiches n'ont cependant pas été transmises aux services de police, le Gestionnaire n'ayant reçu aucun ordre à ce sujet.

LE SOUS-PRÉFET,

[signature illisible]

Archives départementales de l'Indre, M 3262

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Document 7 - La vie dans le camp de Douadic (d)

RAPPORT

Concernant les Étrangers hébergés au Centre d'Accueil de Douadic

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3ème Trimestre 1943

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Le nombre d'hébergés du Centre d'accueil de Douadic s'est accru au cours du 3e trimestre 1943 par suite de l'arrivée d'étrangers venant des camps de Brens et de Gurs. Ce nombre est actuellement de 233 alors qu'à la fin du mois de juillet 1943 il n'était que de 103.

L'effectif comprend :

6 Français 1 Chinois53 Polonais 57 Espagnols12 Russes 6 Roumains63 Allemands 1 Sud-américain3 Grecs 1 Estonien1 Hollandais 2 Britanniques4 Tchécoslovaques 1 Suisse7 Autrichiens 1 Yougoslave8 Hongrois 1 Syrien2 Turcs 1 Italien1 Belge 1 Apatride

Les étrangers venant du camp de Gurs (104) sont des vieillards. La plupart d'entre eux sont malades et impotents et il est à craindre qu'ils ne supportent pas l'hiver au Centre où l'aménagement laisse à désirer. Les réparations aux toitures qui s'imposent ne sont pas encore faites faute de matériaux.

En ce qui concerne le ravitaillement, rien de spécial n'est à signaler ; l'approvisionnement est normal et les hébergés achètent peu en dehors.

Pour permettre aux hébergés de passer leur temps utilement pendant la mauvaise saison, le Directeur du Centre de Douadic a créé récemment un atelieret une école de couture qui fonctionnent le matin, l'après-midi étant consacrée aux travaux de l'ouvroir. Une écle de vannerie va s'ouvrir prochainement et un des étrangers viendra sous peu faire un stage d'un mois à Châteauroux pour apprendre la vannerie, afin de pouvoir initier au retour ses compagnons. D'autres hébergés s'occupent en ce moment de l'arrache des

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pommes de terre dans le jardin du Centre et 33 (29 femmes et 4 hommes) ont été placés chez divers employeurs de mon département.

Au cours de ce trimestre quatre évasions sont à signaler : elles concernent des prostituées en provenance du camp de Brens. Deux ont été arrêtées et incarcérées à la Maison d'arrêt du Blanc et furent l'objet d'un rapport spécial. Les recherches effectuées en vue de découvrir les deux autres fugitives sont restées infructueuses jusqu'à ce jour.

Dans l'ensemble, le Centre d'accueil de Douadic fonctionne d'une façon satisfaisante.

Châteauroux, le 25 octobre 1943

LE PRÉFET,

Archives départementales de l'Indre, M 3262

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Document 8 - La vie dans le camp de Douadic (e)

Le Blanc, le 12 janvier 1944

LE SOUS-PRÉFET DU BLANC,à Monsieur le PRÉFET DE L'INDRE

(2ème Division - 3ème Bureau)

OBJET : Contrôle des groupements étrangers. Rapport sur le fonctionnement du camp de DOUADIC au cours du 4ème trimestre de 1943.

RÉFÉRENCE : Votre lettre N° 11.C. 1256 du 20 avril 1943.

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'au cours du 4ème trimestre de 1943 le centre d'accueil de DOUADIC a fonctionné de façon satisfaisante.

Ce centre compte actuellement 110 hébergés (96 femmes et 14 hommes) se répartissant ainsi, par nationalité :

42 Polonais9 Russes10 Allemands3 Grecs8 Français1 Hollandais5 Roumains2 Tchécoslovaques1 Belge4 Autrichiens7 Hongrois1 Chinois2 Turcs8 Espagnols1 Sud-Américain1 Estonien2 Anglais1 Suisse1 Syrien1 Apatride

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L'âge moyen des intéressés oscille entre 40 et 45 ans.Les conditions d'hébergement du centre de DOUADIC sont satisfaisantes. J'avais signalé, dans mon

rapport du mois dernier, que les toitures de divers bâtiments, en carton bitumé, étaient en mauvais état et qu'il y aurait urgence à ce que les réparations soient faites avant l'hiver. Un stock de papier goudronné ayant été affecté au camp, le Directeur a pu faire procéder aux réparations nécessaires et a encore suffisamment de matériel pour calfeutrer les gouttières, lorsqu'il s'en présente.

Le Directeur du camp a reçu de vos services l'autorisation de faire établir des cloisonnements en bois à l'intérieur des baraques, ce qui améliorera très sensiblement leur confort. Une demande de monnaie-matière bois a été faite récemment au Ministère de l'Intérieur (Service du Contrôle social des étrangers). Dès que les bons seront parvenus, les travaux de cloisonnement seront entrepris.

Le chauffage du camp est assuré par quinze poèles à charbon. Mais la dotation de charbon, qui est de 1500 kgs par mois, ne permet pas d'assurer un chauffage suffisant. Il y aurait lieu d'envisager dans la mesure des possibilités une augmentation de cette dotation.

Les hébergés sont toujours occupés à de menus travaux et à diverses corvées à l'intérieur du camp. L'ouvroir fonctionne. Il y est confectionné notamment des chaussons pour divers organismes.

Actuellement, 26 hébergés sont placés en dehors du camp, les hommes dans la culture, les femmes comme cuisinières ou bonnes à tout faire.

Au cours du trimestre, quatre évasions sont à signaler.Au point de vue du ravitaillement, l'approvisionnement du camp est normalement assuré. La nourriture

est monotone, étant essentiellement à base de pommes de terre, mais elle est suffisamment abondante.La conduite des hébergés tant au camp qu'à l'extérieur continue à être correcte. M. le Maire de

DOUADIC, que j'ai vu lors de ma visite, ne m'a adressé aucune doléance à ce sujet.

LE SOUS-PRÉFET,

[signature illisible]

Archives départementales de l'Indre, M 3262

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Document 9 - La vie dans le camp de Douadic (f)

Le Blanc, le 7 juillet 1944

LE SOUS-PRÉFET DU BLANC,à Monsieur le PRÉFET DE L'INDRE

- 2ème Division - 3ème Bureau -

OBJET : Contrôle des groupements étrangers. Rapport sur le fonctionnement du camp de DOUADIC au cours du 2ème trimestre de 1944.

RÉFÉRENCE : Votre lettre N° 11.C. 1256 du 20 avril 1943.

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'au cours du 2ème trimestre de 1944, le centre d'accueil de DOUADIC a fonctionné de façon satisfaisante.

Ce centre compte actuellement 75 hébergés, se répartissant comme suit : 10 hommes, 59 femmes et 11 enfants.

La répartition par nationalité est la suivante :

30 Polonais 4 Hongrois4 Russes 1 Chinois5 Allemands 1 Turc3 Grecs 6 Espagnols6 Français 1 Estonien2 Roumains 3 Anglais2 Tchécoslovaques 1 Italien1 Belge 1 Apatride4 Autrichiens

L'âge moyen des hébergés oscille entre 40 et 50 ans.Les conditions de vie dans ce camp sont toujours normales ; cependant les toitures des baraquements

sont en très mauvais état et les dégats occasionnés par le vent aux toitures qui sont recouvertes par du carton bitumé sont grands. Il serait bon de prévoir d'urgence un envoi de carton bitumé en vue de les réparer.

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Les hébergés s'occupent à de menus travaux dans le camp. 19 femmes sont placées à l'extérieur du camp comme bonnes à tout faire.

Au cours du dernier trimestre, 13 évasions ont eu lieu, se répartissant comme suit : 9 hommes et 4 femmes. 1 décès et 1 naissance sont aussi à signaler.

La conduite des hébergés est satisfaisante, en effet, les éléments les plus turbulents sont partis de la façon suivante : 6 au camp de Brens, 1 au camp de Noé, 1 au camp de Septfons et 1 au camp de L'Isle-en-Jourdain. Il s'agissait principalement d'anciennes prostituées venant du camp de Brens et arrivées au camp de DOUADIC depuis peu de temps.

Le ravitaillement du camp est normal. Toutefois, des difficultés provenant du manque d'argent qui, vu les moyens de transport, n'arrivait pas au camp, se sont élevées, car M. MASSON, Directeur du Camp, ne pouvait se procurer des pommes de terre, qui sont exclusivement la base de la nourriture des hébergés. Ces difficultés ont cessé, M. MASSON ayant reçu des fonds. La ration normale de viande est assurée aux pensionnaires.

LE SOUS-PRÉFET,

[signature illisible]

Archives départementales de l'Indre, M 3263

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Plan du camp de Douadic peu après la libération des derniers internés et avant son affectation pour

l'internement des « collabos », 1er novembre 1944 (Archives départementales de l'Indre)

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6ème partie

La fin du camp de Douadic (1944)

Les documents 37 à 46 évoquent quelques destinées heureuses ou tragiques de

personnes qui ont quitté le camp de Douadic. Tous sont des courriers (lettres et cartes

postales) adressés à Jane Billard ; tous manifestent leur joie d'avoir abandonné les dures

conditions de vie du camp ; tous adressent à Jane Billard des remerciements et des

témoignages d'affection.

Jane Billard est contactée par le maire du Blanc, Désiré Chaussebourg pour prendre en

charge l'infirmerie du camp de Douadic le 26 août 1942, au moment de la grande rafle de

zone occupée. Elle va exercer avec un grand dévouement les fonctions d'assistante sociale

auprès des « hébergés » et des personnes arrêtées lors des rafles. Possédant un appareil

photographique et une petite caméra, elle réalise ou fait réaliser de nombreux clichés et

réalise un petit film à l'intérieur du camp avec une pellicule qu'elle a réussi à se procurer.

Au moment des combats de la Libération (août - septembre 1944), le camp de Douadic

sert au stockage de matériel clandestin pour la Résistance (compagnie Teinturier). Le 11

septembre 1944, le département de l'Indre est entièrement libéré de l'occupation

allemande et les F.F.I. installent ce jour-là à Douadic un camp de prisonniers allemands

qui cohabitent avec les « hébergés » du Centre d'accueil du Contrôle Social des

Étrangers ; alors disparaissent le Centre de triage pour les personne arrêtées lors des rafles

et le Centre de regroupement d'Israèlites avant transfert en zone occupée . En octobre

1944, le camp est évacué par les F.F.I. et, le 1er novembre suivant, les derniers « hébergés

» quittent enfin Douadic. Le camp devient alors Centre départemental d'internement pour

les « collabos » arrêtés… Jane Billard leur apporte son assistance et reste en fonction

jusqu'à la dissolution du camp peu après le départ des derniers détenus au printemps

1945.

Enfin, les baraques sont vendues aux enchères par les Domaines et les huit hectares du

camp sont restitués à leur propriétaire.

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Document 1 - Carte postale adressée à Jane Billard

Meilleurs souvenirs de 14

Ladis[illisible]

Collection particulière

14 Carte postale portant le cachet de la poste d'Ambrault (Indre) en date du 21 (ou 24 ?) novembre 1942.

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Document 2 - Du courrier pour Jane Billard à Douadic

Châteauroux, le 29-11-42

Chère amie,

Je m'excuse encore cette fois-ci malgré tous mes excuses que je demandé par quelques personnes, d'avoir parti sans vous dire adieu, croiez-moi que ce n'était pas de ma faute, car le samedi en question quant je suis parti avec Alex je ne vous ai pas vu, et comme l'heure du départ aprochée, alros j'ai été obligé de partir en demandant, plusieurs personnes, de m'excuser auprès de vous. Dès que j'aurais l'occasion de pouvoir venir vous voir, je ferais ce voyage avec grand plaisir, car vous étiez vraiment une charmante personne pour moi comme pour tous, comme je disais toujours que vous étiez notre ange gardien, et surtout que moi j'avais pour vous une affection spéciale, sans vous la montrer, parce que malheureusement vous étiez toujours occupez avec les pauvres malheureux, que doivent maintenant beaucoup souffrir de cause du froid.

Étant à Châtillon avant se rendre à Montgivray, j'ai passé deux jours avec la famille Rosenblum, et nous avons parlé tout les temps de vous, car vous êtes vraiment une personne que méritiez qu'on parle de vous.

Actuellement je me trouve à Châteauroux mais avec le travail c'est un peut difficile car, où j'été engagé, à l'aviation on ne peut plus travailler jusqu'à nouvel ordre, mais j'espère trouver du travail parce que j'ai fait des offres de service dans quelques maisons de couture, si vous avez les moyens de prendre congé pour venir à Châteauroux, cela me fera un grand plaisir, et nous pourrons passer ensemble des agréables soirées, des préferance à partir du jeudi, parce que les autres jours les cinémas et les confiseries sont fermés.

Je tiens absolument que vous veniez, que je puisse vous remercier pour tout ce que vous aviez fait pour moi, en profitant de cette occasion, je vous transmets bien des choses de la famille Tessier et aussi de Mme et Marié Chaussebourg l'horticulteur de Châtillon que m'ont tellement parlé de votre bon cœur, que je le connais depuis le premier jour, de ma résidence au château de Douadic.

Je termine ma lettre en vous embrassant de loin, c'est dommage que je n'ai pas de photo avec votre agréable sourire, pour me rappeler les bons souvenirs de passage. Veuillez agréer, chère amie, mes salutations les plus amicales.

Georges15

Collection particulière

15 L'expéditeur est Mr Fenenbok, 30, rue du Palais-de-Justice à Châteauroux (nom et adresse figurant au verso de l'enveloppe).

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Document 3 - Une lettre pour Jane BillardFléré-la-Rivière, 14/4/43

Chère madame Billard,

Avec une grande joie j'ai reçu votre lettre et vous remercie infiniment pour le certificat médical. je ne vous oublierez pas toute ma vie ce que vous avez fait pour moi.

Je vous prie de bien vouloir m'excuser car je nous n'ai pas écrit plus tôt, car quand je suis arrivé à Fléré, Jeanne a été malade, et point de docteur dans ce bourg, et j'ai pas reçu de laissez-passer por la soigner. Mais enfin j'ai eu un docteur qui m'a délivré un certificat médical pour que je puisse obtenir un laissez-passer. Mais j'ai tant de difficulté ?

Je peux vous écrire que j'habite dans un château confortable. Je suis tellement contente que je sois sortie de Douadic. Quand j'étais au camp je pensais que je perdue, mais maintenant je vois que je redevenue une personne comme avant.

Je vous remercie beaucoup du courage que vous me donnez. Cause vous êtes une femme et vous comprenez très bien comment cela est être sans mari.

Je suis sortie d'un bon appartement à Paris, et je devais venir à Douadic avec les rats. Mais je pense que vous savez très bien la situation.

Jours et nuits je pleurais sans personne ne s'apperçut de rien.Je partais faire des retouches pour me faire sortir l'idée du camp, pour ne pas entendre les mauvaises

langues, les rires et cris des personnes. À propos du morceau de viande : c'est honteux à des temps pareils de faire autant de disputes dans les conditions que nous nous trouvons. Je sais que vous êtes gentille pourtout le monde et veuillez qu'on envoye pas cette femme malade. Car vous avez la parole en tout. Madame Jedinak et moi nous nous trouvons dans le même château.

Jeanine et Pierrot racontent de vous comment vous êtes gentille et en parlent.Nous allons souvent chez la famille Bask. Ils vous envoient le bonjour. C'est des gens très braves et

très riches.J'ai voulu vous envoyez un bouquet de lilas, mais je ne sais comment car il y a des belles fleurs dans

notre jardin comme vous êtes.Je n'ai plus rien à vous écrire.Mes sincères amitiés.

Mme Gnadhouz

Mes enfants vous envoient le bonjour.Un bonjour pour Mr Fontaine et L'Herminé.

Mme GnadhouzFléré-la-RivièreIndre

Collection particulière

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Document 4 - Une carte postale envoyée à Jane Billard depuis le Centre d'Accueil des Marquisats à Annecy

Souvenir d'Annecy16

Estelle

Collection particulière

16 Carte postale, non datée. En juillet 1943, une note de la préfecture de l'Indre a proposé aux femmes du camp mères de jeunes enfants d'être transférées au Centre d'Accueil n'° 17 des Marquisats à Annecy ; plusieurs d'entre elles quittent alors Douadic pour cette nouvelle destination., convoyée par Jane Billard et L'Herminé. Le 16 novembre 1943, la police allemande arrête au centre des Marquisats un grand nombre de femmes et d'enfants qui sont déportés. La carte postale a donc été écrite entre juillet et le 16 novembre 1943.

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Document 5 - Une carte postale envoyée d'Auvergne pour Jane Billard

Chère Madame17,

Nous vous envoyons du Puy notre meilleur souvenir et sincères amitiés de L. Rothman et M. Erachmal

5, rue Jean-CortialLe Puy

(Haute-Loire)

Collection particulière

17 Carte postale représantant « Le Puy. Vue générale prise du Rocher d'Espaly », portant le cachet de la poste du Puy-en-Velay en date du 25 novembre 1943.

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Document 6 - Carte postale de Noël pour Jane Billard (a)

Chérie Medemoiselle Billard18

je pense a vous pas que vous partir au camp de DouadicJe le felicite un bon NoëlLa petite que l'aime

Autarita

Collection particulière

18 Carte postale, que l'on peut probablement datée des environs de Noël 1943.

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Document 7 - Carte postale de Noël pour Jane Billard (b)

A ma cherie Medemoiselle Billard19

je vous donne cette petite carte postal pas que je pense beaucoup a vousje le felicite un bon Noël à vous a sa famille

le petit Germinal que l'aime

Collection particulière

19 Carte postale, que l'on peut probablement datée des environs de Noël 1943.

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Document 8 - Des vœux de nouvel an pour Jane Billard

Neuvy-Saint-Sépulchre, le 27-12-4320

Chère Mademoiselle Billard,

Je vous envoie mes meilleurs vœux de nouvelle année. Espérons qu'elle nous apportera la paix !Vous êtes une méchante personne qui ne répond jamais aux lettres ! Transmettez mes vœux au Dr

Blum et au bureau !

Amitiés

Z. Sack

Collection particulière

20 Carte postale portant le cachet de la poste de Neuvy-Saint-Sépulchre à la date du 28 décembre 1943.

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Document 9 - Une carte postale pour Jane Billard

Bon souvenir21

B. Axelrad

Collection particulière

21 Carte postale, non datée.

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Document 10 - Une lettre pour Jane Billard envoyée par le Docteur Blum, ancien médecin au camp de Doudic

Docteur André BLUM 31 octobre 19442, rue Pierre-IsigneauxBOIS-COLOMBESTél. Charlebourg 12-72

Chère Mademoiselle,

Notre voyage de retour s'est bien effectué malgré le peu de confort de l'installation et le froid. Nous sommes arrivés à notre domicile à 11 heures du soir, bien heureux d'avoir retrouvé notre home. J'ai recommencé un peu à travailler après une si longue absence. Naturellement, on se heurte à pas mal de difficultés : ravitaillement, chauffage, etc. Mais on est si content d'être libres que toutes ces questions passent au second plan. Et là-bas, que se passe-t-il ? Où en est la libération des derniers hébergés ? Tenez-moi au courant. Je n'oublierai jamais votre bonne collaboration pendant les deux années passées ensemble pour essayer d'adoucir le sort de toutes ces infortunes.

Transmettez mon bon souvenir à tous autour de vous et spécialement à L'Herminé auquel je serai toujours reconnaissant de ce qu'il a fait pour moi.

En attendant de vos nouvelles, recevez mes bonnes amitiés ainsi que toute votre famille.

Dr Blum

Collection particulière

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Document 11 - Dix-neuf mois et treize jours…

SECRÉTARIAT D'ÉTAT AU TRAVAILET À

LA SÉCURITÉ SOCIALE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

-----------Limoges, le 10 mars 1958

DIRECTION DÉPARTEMENTALE DU TRAVAIL ET DE LA MAIN-D'ŒUVRE de L I M O G E S

Réf. à rapp.D.D.A. n° 2757

ATTESTATION

Le Directeur Départemental du Travail et de la Main-d'œuvre à LIMOGES, certifie après recherches et vérifications dans les archives des Services dissous, que :

- Madame SZWISGOLD Frojda,

a été hébergée au C. S. E. n° 11 bis à DOUADIC (Indre) du 18 mars 1943 venant de FRANCUEIL (Indre-et-Loire) au 1er novembre 1944, date à laquelle cette personne a été rayée des contrôles du centre.

LE DIRECTEUR DÉPARTEMENTALDU TRAVAIL ET DE LA MAIN-D'ŒUVRE

[signé : illisible]

Collection particulière

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Document 12 - Adieu, Daoudic…

Douadic, le 1er novembre 1944

Le Surveillant du CENTRE D'ACCUEIL de DOUADICÀ Monsieur le PRÉFET DE L'INDRE

CHÂTEAUROUX

J'ai l'honneur de vous confirmer mon entretien du 28 octobre où je vous ai rendu compte des inspections effectuées au Centre d'Accueil de Douadic, notamment celle de Monsieur le Docteur ROBINI, de Monsieur STUARD, Architecte, accompagnés d'un docteur et d'un autre architecte.

À la suite de cette inspection, un inventaire du matériel entreposé dans le Camp m'a été demandé, mais n'a pas été envoyé suivant les instructions de Monsieur BARRET.

Je vous confirme également ma lettre du 11 septembre 1944 vous informant que les îlots 2 et 3 ont été occupés par les FORCES FRANÇAISES DE L'INTÉRIEUR pour y installer un Camp de prisonniers et qu'une certaine quantité de matériel m'avait été réquisitionné.

Les F.F.I. ont cessé d'occuper le Camp, mais du matériel a été emporté à la caserne Saint-Aigny à LE BLANC. Deux bons de réquisitions m'ont été délivrés dont je vous en adresse une copie légalisée par Monsieur le Maire de DOUADIC.

Veuillez trouver ci-joint également une copie du plan du Camp de Douadic que vous m'avez demandé.

[signature illisible]

Archives départementales de l'Indre, non coté

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C O P I E-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

F.F.I. DE L'INDRESecteur Ouest

Compagnie "BERRY"BON DE RÉQUISITION

adresséau Magasin de la Préfecture à

DOUADIC

1 hâche153 enveloppes de paillasses

13 sacs de couchage8 enveloppes de traversins

Camp de Douadic, le 12 septembre 1944

Le Lieutenant MUNCH, Commandant la Compagnie "BERRY"Signé : MUNCH

Cachet F.F.I. de l'Indre. Secteur OuestCompagnie "BERRY"

Certifié pour copie conformeLe Maire

[signé illisible]

C O P I E-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

F.F.I. DE L'INDRESecteur Ouest

Compagnie "BERRY"MATÉRIEL

requis au Magasin de la Préfecture à DOUADIC

1 camion peintre et noir de fumée1 pinceau

25 m2 de planches20 rouleaux de carton bitumé

16 carreaux1 kg pointes mélangées

5 kg pointes 35/16

Ce matériel a servi à l'entretien du Camp et à la réfection des baraques.

Camp de Douadic, le 12 septembre 1944

Le Lieutenant MUNCH, Commandant la Compagnie "BERRY"Signé : MUNCH

Cachet F.F.I. de l'Indre. Secteur OuestCompagnie "BERRY"

Certifié pour copie conformeLe Maire

[signé illisible]

Archives départementales de l'Indre, non coté

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7ème partie

Les juifs et la Résistance

L'image des juifs résignés à leur sort, attendant que les nazis et leurs collaborateurs

français viennent les arrêter pour les déporter et les assassiner, relève de la médisance, du

dénigrement, de la diffamation. Leur place dans la résistance à l'occupation allemande en

France a été importante ; il suffit de citer les noms, parmi les illustres, de l'historien Marc

Bloch, de Raymond Aubrac, de Jean-Pierre Lévy (l'un des fondateurs du mouvement

Franc-Tireur), de René Cassin, de Pierre Mendès-France, de Pierre Dac, de Raymond

Aron, parmi tant d'autres tout aussi illustres ou obscurs et sans-grades… Rappelons

également que, sur les vingt-trois résistants condamnés à mort figurant sur la célèbre

« Affiche rouge », douze sont juifs.

Les documents suivants prouvent ainsi que les juifs de l'Indre participèrent aux

combats pour la libération de la France et la victoire sur l'Allemagne, qu'ils soient

Français ou étrangers comme le montre la prodigieuse odyssée d'Hans Salomon…

Néanmoins, il ne faut pas occulter le fossé séparant les juifs français des juifs étrangers,

accusés d'être à l'origine du regain d'antisémitisme ; nombre de résistants juifs combattent

d'ailleurs avant tout pour défendre les valeurs françaises et l'héritage de la Révolution

française, la liberté, les droits de l'homme, la justice, l'indépendance de la France22.

22 Sur la participation des juifs à la Résistance, voir notamment A. Latour, La Résistance juive en France (1940-1944), Paris, Stock, 1970 et A. Kaspi, « Les juifs dans la Résistance », dans L'Histoire, n° 80, p. 38-45.

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Document 1 - L'odyssée prodigieuse d'Hans Salomon

DEMANDE DE LIBÉRATION=======================

NOMS ET PRÉNOMS : SALOMON Hans (Jean)Date et lieu de naissance : 6 décembre 1908 à DüsseldorfNationalité : étant israélite, déchu de la nationalité allemande selon loi du mois d'octobre 1940, donc apatrideDate d'entrée en France : Mai 1940, venant du camp de Merxplas, BelgiqueMotif d'entrée en France : évacué du camp de Merxplas, BelgiqueProfession normale : cordonnier-bottierDiverses professions exercées depuis l'entrée en France : cordonnier-bottierJ'ai fait 32 mois de camp St-Cyprien, Gurs, Les Milles et 3 mois de mine à charbon à Gardanne B. d. Rh.Dernier groupe d'affectation (numéro et adresse) : 931e G.T.E. La ChâtreDate de départ de ce groupe : 31 décembre 1943 évasion de la salle Diderot et 1er février 1944 évasion du train à VierzonSituation de famille en France : célibataire

Le soussigné sollicite sa libération du 931 ème Groupe de T.E. pour résider dans le département de : l'Indreoù il désire exercer la profession de : cordonnier-bottieroù ces ressources lui permettront de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille (rayer une des deux mentions).

Transmission à assurer sous pli recommandé A Levroux, le 27 janvier 1945

Hans Salomon ou Jean Salomon(joindre, faute de signature, la demande manuscrite)

--------------------------------------------------------------------Le Contrôleur de la M.O.E. du Département de l'Indre certifie que le

demandeur appartenant, a appartenu au 931 ème G.T.E. et qu'il a quitté cette unité à la date du _________________________

A La Châtre, le 27 janvier 1945[signé : illisible]

(1) département où était stationné le dernier groupe d'affectation du demandeur. :--------------------------------------------------------------------

DÉCISION DE LA COMMISSION DE LIBÉRATION

Avis de Mr le Préfet du Département

d'Accueil

Accepté ( Refusé - Ajouter( motif

A ____________________, le _____________________

Le Président de la Commission.

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[joint au document précédent]

Je soussigné, R. DÉSÉCURE, chef du maquis de Ste-Gemme et lieutenant au 17e B.C.P., certifie que Mr Salomon Hans a été employé par le maquis en qualité de cordonnier de fin juin au début de septembre 1944

R. Désécure[avec le cachet de la 3ème Compagnie du 17ème B.C.P.]

Archives départementales de l'Indre, M 3260

Hans Salomon, né à Dusseldorf le 6 décembre 1908, juif, fuit l'Allemagne à une date indéterminée, mais sans aucun doute avant la déclaration de guerre de septembre 1939 ; il semble alors s'être réfugié en Belgique où il est placé dans un camp de réfugiés. En mai 1940, l'offensive allemande provoque l'évacuation de son camp et son arrivée en France.

Pendant 32 mois, il séjourne dans différents camps (notamment à Saint-Cyprien et à Gurs), puis travaille trois mois dans les mines (notamment à Gardanne dans les Bouches-du-Rhône) ; c'est sans doute vers avril-mai 1943 qu'il échoue enfin au 931e Groupement de Travailleurs Étrangers de Montgivray, près de La Châtre (Indre). Fin décembre 1943, une grande rafle des travailleurs étrangers est opérée dans l'Indre par la gendarmerie et la police française dans le but de les livrer aux Allemands pour le S.T.O. ; 430 travailleurs étrangers sont arrêtés et livrés aux nazis, mais une centaine d'entre eux, parmi lesquels Hans Salomon, parviennent à s'échapper. Cette évasion semble s'être faite en deux temps car il mentionne : « 31 décembre 1943 évasion de la salle Diderot et 1er février 1944 évasion du train à Vierzon ». On peut ainsi supposer qu'il s'est évadé une première fois de la salle Diderot à Châteauroux où il avait été conduit au moment de la rafle ; probablement repris, il s'évade sans doute une seconde fois du train à Vierzon, échappant ainsi à un destin encore plus tragique que celui du travail obligatoire pour le compte des Allemands dans la mesure où il est juif. Après s'être caché, il rejoint le maquis de Sainte-Gemme après le débarquement allié en Normandie fin juin 1944, comme le montre le certificat délivré par René Désécure, chef de ce maquis ; il y exerce son métier de coordonnier, répare les chaussures des maquisards et des habitants des environs, fabrique des étuis pour les armes23. Il quitte le maquis début septembre 1944, au moment où la libération du département de l'Indre, et fait le 25 janvier 1945 une demande de libération du 931e Groupement de Travailleurs Étrangers depuis Levroux, petite capitale berrichonne du cuir où il exerce sans doute son métier de coordonnier-bottier.

Destinée prodigieuse pour un homme qui apparaît en quelque sorte comme un involontaire symbole de toute cette période puisque, juif allemand, il fuit les persécutions antisémites de son pays puis l'avance des armées allemandes, se retrouve dans les camps de Vichu, échappe à la déportation et aux camps de la mort, pour se réfugier enfin dans un maquis qui combat ses anciens compatriotes… avant, peut-être, de rejoindre les États-Unis24.

23 Selon le témoignage oral de René Désécure.24 Témoignage oral recueilli auprès de René Désécure.

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Document 2 - Appel à la jeunesse juive de l'Indre pour combattre les Allemands

Appel à la Jeunesse Juive de l'Indre_________________

L'Union de la Jeunesse Juive lance un vibrant appel à toute la Jeunesse Juive de l'Indre.

Dans tous les départements français, les soldats sans uniforme, les armes à la main, libèrent le territoire côte à côte avec les Alliés.

Juifs, votre devoir est clair, l'heure de faire justice a sonné. Les noms de nos martyrs LANGER, ZERMAN, BOCZOV, RAYMAN, SIMON, FRYD, ELEK, WITCHITZ, FELS, FEFFERMAN, ne doivent pas seulement être des symboles mais doivent renforcer pour l'action, pour la lutte. Vous devez rejoindre les détachements qui portent les noms de nos frères

Les noms macabres d'AUSHCHWITZ, LUBLIN, VARSOVIE, DRANCY, les fours crématoires, vos maisons pillées, vos foyers détruits. Tout cela doit être payé, comme Oradour-sur-Glane, les fusillés de Fresne, de Nantes, Bordeaux, Châteaubriand, la rage nazie doit expier. Nous devons participer à son extermination totale.

Les Juifs ont doublement souffert de la peste hitlérienne, non seulement ils se sont assujettis à la barbarie teutonne, mais encore ils se sont vus rejetés, mis au banc de la Société. Ils ont vu des centaines de milliers de Juifs assassinés, des horreurs les plus terribles. L'exemple qui a été donné à la radio de Londres l'illustre crûment : Voici comment un chef de camps nazi répondait à un Juif qui lui demandait une permission pour aller voir sa femme et son enfant : « Regarde la fumée qui s'échappe de cette cheminée, regarde bien et tu les verras passer ».

NON ! NON !

Nous ne voulons plus que nos petits souffrent. Nous voulons défendre nos foyers. Nous ne voulons plus jamais que ces tueries se rééditent.

Jeunes Juifs, regagnez vos postes de combats.

Venez à nous dans un esprit d'unité et ensemble, nous saurons démontrer que les Juifs ne sont pas ce que la propagande hitlérienne a voulu insinuer.

Contre l'Antisémitisme !Pour abattre la Bête hitlérienne !

Groupez-vous dans l'Union de la Jeunesse Juive, et faisons nôtre, la devise de notre cher lieutenant PAUL (Georges DREYFUS), mort à l'ennemi, le 31 Août dernier :

« Nous ne pleurons pas nos morts, nous les vengeons ! »

En avant pour la lutte décisive. Juifs ou Non Juifs, tous unis fraternellement, nous devons en faire le serment :

« Nous irons jusqu'à BERLIN »

et c'est là, dans l'allée « UNTER DEN LINDEN », que sur le corps de l'Allemagne abattue, nous briserons nos épées et dirons : « JAMAIS PLUS » !

VIVE L'UNION DE LA JEUNESSE JUIVE !Jeunes gens et jeunes filles Juifs, l'Union de la Jeunesse Juive, vous invite à sa permanence, 3, rue Jean-

Jacques-Rousseau, à Châteauroux, où tous renseignements, conseils, régularisation, aide, vous seront fournis.

Collection particulière

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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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Libération (juin 1944 - 8 mai 1945), C.D.D.P. Indre, Châteauroux, 1983

3) Filmographie

MERLAUD Jacques & BARLET Philippe, La Nasse. Douadic, 1942-1944, film documentaire, 5e Planète, 90 mn, 2006, DVD

RACINE Tessa, Le camp fantôme, film documentaire sur le camp de Nexon, Les Films du Paradoxe, 52 mn, 2005, DVD

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Un camp oublié dans l'Indre,Montgivray

1941 – 1945

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Emplacement du camp de Montgivray (vu du nord). Le camp de Montgivray, au lieu-dit « Le Quérou », était situé sur le versant opposé de la vallée et a été remplacé

par de nombreuses constructions ; le bâtiment gris allongé visible au centre de la photographie, au troisième plan, abritait les services administratifs du camp ; il a été

largement transformé par la suite. Les baraquements en bois qui servaient de logements aux travailleurs étrangers, comparables à ceux des autres camps français (comme Douadic) ont tous disparu (cliché Ph. Barlet, pris le 18 novembre 2011).

Bâtiment ayant abrité les services administratifs du camp de Montgivray(cliché Ph. Barlet, pris le 18 novembre 2001).

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Un camp oublié dans l'Indre

Montgivray, 1941 - 1945

N. B. : Le texte intégral de cet article est paru dans le Bulletin de l'ASPHARESD, n° 16, 2002, sous le titre « Un camp oublié dans l'Indre, Montgivray, 1941-1945. Documents inédits », p. 33-45.

Le camp de Douadic, utilisé de 1942 à 1944 pour regrouper et « trier » les juifs arrêtés dans l'Indre avant leur transfert à Drancy puis leur déportation vers les camps d'extermination nazis, est sans aucun doute le plus connu du département et, à juste titre, un monument a été édifié près de son emplacement en 199625. Qui se souvient par contre du camp de Montgivray qui accueillit, entre 1941 et 1944, des groupements de travailleurs étrangers dont un grand nombre, de religion juive, furent également déportés vers les camps de la mort et dont beaucoup d'autres furent raflés et envoyés pour travailler pour le compte des Allemands au titre du S. T. O. (Service du Travail Obligatoire) ?

Naissance du camp de Montgivray

L'effondrement du front républicain en Catalogne et la prise de Barcelone par les Franquistes à la fin du mois de janvier 1939 provoquent l'exode vers la France de plus de 400 000 Espagnols et volontaires internationaux ; le gouvernement Daladier décide de les interner dans des camps de concentration hâtivement construits à proximité de la frontière espagnole au mois de mars. La déclaration de guerre du 3 septembre 1939 et la pénurie de main-d'oeuvre qui résulte de la mobilisation militaire des Français accélèrent les sorties des camps d'internement et la mise en place de structures d'encadrement militarisées rassemblant des républicains espagnols affectés à des tâches intéressant la Défense nationale ; le 13 mai 1940, ces unités sont transformées en 220 Compagnies de travailleurs étrangers (C. T. E.), constituées chacune de 250 hommes commandés par un officier de réserve français et un capitaine espagnol. Ils sont alors rapidement remplacés dans les camps par les étrangers de toutes provenances, en particulier des réfugiés allemands ou autrichiens, réputés « ennemis ». Après l'armistice, le gouvernement de Vichy transforme ces camps provisoires en institutions répressives. La loi du 27 septembre 1940 supprime les C. T. E. et les remplace par des groupes de travailleurs étrangers (G. T. E.) qui ont pour but de rassembler « les immigrés en surnombre dans l'économie française » et ne pouvant regagner leur pays d'origine ; placés sous la tutelle du Ministère du Travail et de la Production, ces G.T.E. doivent intégrer les hommes âgés de dix-huit à cinquante-cinq ans - ce qui implique la séparation des familles -, quelque soit leur nationalité, y compris ceux de religion juive ; leur objectif est de fournir de la main-d'oeuvre pour les travaux agricoles, forestiers et industriels26.

25Voir le livre de J. Blanchard, Le camp de Douadic, centre de triage avant déportation et centre n° 11 bis du Service Social des Etrangers, 1939-1945, Celles-sur-Belle, 1994.26 Pour tout ceci, voir M. R. Marrus et R. O. Paxton, Vichy et les juifs, édition revue et corrigée, Le Livre de Poche, Paris, 1993 (1ère édition, Paris, 1981), p. 91-110 et, surtout, L. Pouységur, « Les réfugiés républicains espagnols dans le sud-ouest de la France : l'exemple de la Haute-Garonne (1939-1944) » dans M.-L Cohen et E. Malo (sous la direction de), Les camps du sud-ouest de la France, 1939-1944. Exclusion, internement et déportation, Toulouse, 1994, p. 25-34.

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Jusqu'en novembre 1941, les G.T.E. sont organisés en « groupements régionaux », rattachés à leur région administrative, en l'occurence Limoges pour l'Indre où deux groupes existent, l'un à Sainte-Sévère (le 100e groupe de travailleurs espagnols), l'autre à Concremiers (le 911e groupe de travailleurs polonais). En avril 1941, celui-ci est dissous et ses membres versés au 931e G. T. E. de Saint-Cyr (Haute-Vienne).

En juillet 1941, le 668e G.T.E. est créé à Montgivray avec 150 Espagnols en provenance du Groupement n° II de Toulouse. En novembre 1941, il est renforcé par les travailleurs espagnols du 100e groupe, alors au Pont-Chrétien, lequel est dissous. En effet, chaque département dispose désormais au moins d'un groupe administrativement rattaché, le plus souvent, à un camp de travail : dans l'Indre, seul subsiste ainsi le 668e G.T.E., installé au camp de Montgivray, qui compte alors environ 300 hommes et constitue le groupe départemental.

Du 668e au 931e G. T. E.

Le nombre des travailleurs du nouveau groupe s'accroît avec l'incorporation d'étrangers réfugiés de diverses origines, notamment les personnes arrêtées au moment du franchissement de la ligne de démarcation ou après un contrôle en zone non occupée, les évadés des camps de prisonniers allemands... Le G. T. E. compte ainsi 453 travailleurs étrangers au troisième trimestre 1942, 487 au quatrième. Ces réfugiés, de nationalités très diverses, sont généralement issus de pays en guerre, souvent occupés par les Allemands ; toutefois, tout au long de l'histoire du G. T. E. de Montgivray, ils restent majoritairement d'origines espagnole et polonaise. Les réfugiés juifs sont de plus en plus nombreux au cours de l'année 1942 : parmi les 78 étrangers incorporés au groupe - sur les 98 qui y sont passés - au cours du dernier trimestre de cette année-là, 51 sont juifs et ont sans doute fui les rafles et les arrestations organisées en juillet 1942 en zone nord et en août 1942 en zone sud.

Cet afflux est néanmoins insuffisant pour satisfaire les besoins en main-d'oeuvre, en particulier pour l'agriculture, d'autant plus que l'effectif du 668e se stabilise, voire s'affaiblit, dans les dernières semaines de 1942. En effet, sept travailleurs sont alors libérés et cinq sont transférés vers d'autres camps, parfois à la suite de mesures disciplinaires, l'un d'entre eux étant ainsi envoyé au Vernet (Ariège) où sont internés les individus accusés de menées antinationales. L'effectif s'affaiblit surtout par les « désertions », notamment au moment de l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes le 11 novembre 1942 : quinze des dix-neuf « déserteurs » sont des Polonais ou des prisonniers évadés qui fuient alors le camp par crainte de représailles allemandes.

Fin 1942 et début 1943, le groupement est renforcé. L'incorporation de travailleurs étrangers en provenance du Midi porte son effectif à 637 personnes ; celui-ci compte enfin 680 personnes en janvier 1943 avec l'arrivée du 931e G. T. E. en provenance de Saint-Cyr ; le 668e disparaît alors en fusionnant semble-t-il avec celui-ci, sans doute à la fin du mois de décembre 1942 : il n'est en effet désormais plus question dans les rapports des autorités administratives que du 931e G. T. E. de Montgivray.

Le fonctionnement du camp

Le camp, situé au lieu-dit « Le Quérou » à Montgivray, est composé de baraquements en bois destinés au logement des réfugiés, probablement identiques à ceux de Douadic et des autres camps français... ou allemands comme Auschwitz : des baraques en bois avec une allée centrale autour de laquelle des châlits sont répartis ; seuls, les services administratifs sont, comme à Douadic, abrités dans une construction « en dur » : ce bâtiment subsiste encore aujourd'hui, certes transformé, mais conservant toutefois probablement, pour l'essentiel, son « profil » externe27. Il est doté d'une cuisine - une « popote » de type sans doute militaire -, d'une infirmerie et d'une petite réserve de vêtements, de chaussures et de couvertures destinés à parer aux besoins les plus urgents des travailleurs étrangers.

27 Voir les photographies de l'emplacement du camp et de l'ancien bâtiment administratif qui accompagnent ce texte. Nous avons pu identifier l'emplacement exact du camp de Montgivray grâce au témoignage de Mme Solange Gallard qui, enfant à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, habitait au Quérou, face au camp, et qui nous a rapporté quelques souvenirs de cette époque.

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La plupart de ces derniers vivent en fait en dehors du camp. Dans celui-ci ne se trouvent que l'encadrement français, les services généraux et les malades. L'encadrement français est constitué d'une dizaine d'agents - tous des hommes -, dirigés par un chef de groupe départemental ; celui-ci dispose de trois assistants (un chef de groupe-chef de secteur, un adjoint au chef de groupe, un adjoint chef de secteur), de deux responsables de la comptabilité (un surveillant comptable et un aide comptable), d'une personne chargée de l'intendance et du ravitaillement (suveillant vaguemestre et ravitaillement) et de trois surveillants cantonaux pour contrôler les travailleurs répartis hors du camp. Vingt travailleurs étrangers oeuvrent, sous la direction des cadres français, au sein des services généraux ; deux d'entre eux occupent les fonctions d'infirmiers et soignent les travailleurs malades ramenés à Montgivray sous la surveillance d'un médecin de La Châtre, chargé du diagnostic et de la prescription des soins. Au total, le camp n'abrite habituellement guère plus d'une trentaine ou d'une quarantaine de personnes.

Tous les autres travailleurs étrangers sont en détachement à l'extérieur. Ils sont majoritairement employés dans des exploitations agricoles ; les exploitations forestières constituent, par ordre d'importance, le second secteur d'emploi, précédant largement les entreprises industrielles. La plupart d'entre eux résident sur les exploitations elles-même ; ils bénéficient en principe des mêmes conditions de travail que les travailleurs français, « tant au point de vue salaire qu'au point de vue nourriture, assurances sociales, allocations familiales »28 : l'égalité salariale avec les travailleurs français leur est accordée en juin 1941 et l'accès aux droits sociaux en 1942 ; le salaire lui-même est fixé selon un barème départemental.

Les travailleurs étrangers pallient ainsi très partiellement la pénurie de main-d'oeuvre qui résulte du grand nombre de prisonniers de guerre français détenus en Allemagne, pénurie bientôt aggravée par le S. T. O. ; ils sont occupés dans les secteurs économiques où la production est la plus affaiblie du fait des prélèvements allemands dont les effets sont multipliés par le manque de main-d'oeuvre : l'agriculture pour le ravitaillement, bien sûr, et le forestage pour le bois de chauffage, le charbon étant devenu une denrée rare par suite du passage des mines du nord et de l'est de la France sous le contrôle allemand. Le nombre de travailleurs disponibles reste néanmoins très inférieur aux besoins comme le rappellent incessamment les autorités départementales dans leurs rapports.

Des sanctions peuvent être prises pour réprimer les manifestations d'indiscipline - avertissements, envoi dans un « groupe disciplinaire » (stade intermédiaire entre le G.T.E. et le camp d'internement) -, mais elles paraissent avoir été assez rares ; de même, peu d'internements au Vernet d'Ariège - terrible camp de répression français « spécialisé » dans les étrangers29 - pour menées antinationales semblent avoir été prononcés. Dans l'ensemble, les auteurs des rapports administratifs sur le fonctionnement du camp se félicitent du bon comportement des travailleurs étrangers ; cependant, la multiplication des « désertions » de leur part à partir de l'automne 1942 est le principal signe de l'existence d'une méfiance croissante tant à l'égard des autorités représentant le gouvernement de Vichy que de l'occupant allemand.

Le 931e G.T.E. à Montgivray

Dans les premiers mois de 1943, le nombre de travailleurs étrangers incorporés au G. T. E. de Montgivray diminue sensiblement, passant de 680 à 496 entre janvier et fin mai 1943, à la suite de deux mesures prises par le gouvernement de Vichy en collaboration avec les Allemands.

Tout d'abord, le gouvernement Laval instaure le 4 septembre 1942 le Service National du Travail, puis ordonne la réquisition des jeunes gens des classes 1940, 1941 et 1942 pour le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) par la loi du 16 février 1943 ; outre les jeunes Français, tous les travailleurs étrangers nés en 1920, 1921 et 1922 sont rangés dans le champ d'application de cette législation et doivent être dirigés vers la zone nord. Ensuite, fin février 1943, une nouvelle grande rafle contre les juifs est opérée dans l'Indre. Dans les deux cas, les camps de G. T. E. font office de « réservoirs » qui alimentent le S.T.O. et la déportation.

28A. D. Indre, M 3259, rapport du sous-préfet de La Châtre au préfet de l'Indre, 3 novembre 1943.29Voir C. Delpla, « Le camp du Vernet d'Ariège » dans M.-.Cohen et E. Malo, op. cit., p. 43-59. Le site du Vernet d'Ariège a été choisi en 1992 pour recevoir le Mémorial national des camps d'internement en France.

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Un bon nombre de travailleurs étrangers de Montgivray s'efforcent néanmoins d'échapper au S.T.O. ou à la déportation raciale. Ainsi, vingt-cinq Espagnols se font embaucher par les autorités allemandes pour travailler dans l'Intendance ou à la base aérienne de la Martinerie à Châteauroux ; quelques autres (deux Espagnols, trois Polonais) « désertent » ; surtout, quarante juifs prennent la fuite au moment du « ramassage30 » de février 1943. Cependant, cent vingt travailleurs étrangers environ sont victimes de ces deux opérations et le groupement perd au total près de deux cents personnes.

À la veille des gros travaux agricoles de l'été, la diminution de l'effectif du camp préoccupe vivement tant les autorités départementales que les exploitants qui semblent avoir beaucoup apprécié la main-d'oeuvre espagnole. Il est alors question de remplacer celle-ci par des Polonais ; un officier allemand, venu en inspection au camp de Montgivray, fait savoir que la Commission de contrôle allemande « ne verrait pas d'un bon oeil un groupe important composé uniquement de Polonais31». Pendant l'été 1943, la main-d'oeuvre affectée au groupement s'accroît très sensiblement par incorporations ou par mutations et atteint son plus fort effectif en septembre avec la présence de 834 travailleurs étrangers. Malgré les réticences allemandes, les Polonais ont été massivement intégrés et, au nombre de 523 (dont 27 juifs), constituent désormais la nationalité la plus représentée au sein du G. T. E. (62,71 % des membres), largement devant les 128 Espagnols.

La crainte d'un départ en Allemagne pour le S.T.O. reste vive pendant les mois d'été et pousse quarante-cinq travailleurs étrangers, majoritairement des Polonais, à « déserter ». L'inquiétude s'accroît encore à l'automne lorsqu'ils apprennent que le chef de la police allemande à Châteauroux a réclamé au G. T. E. la liste de tous les étrangers incorporés avec l'adresse des employeurs où ils sont détachés. Ces craintes sont fondées : devant la multiplication des réfractaires parmi les jeunes Français astreints au S.T.O., les autorités allemandes et françaises s'intéressent de près aux réservoirs de main-d'oeuvre que constituent les G. T. E. Le 23 décembre 1943, une grande rafle, exécutée par la gendarmerie et destinée à capturer plus de 500 travailleurs étrangers, commence dans l'Indre et se poursuit dans les premiers jours de janvier 1944. Il n'est plus question de limiter les arrestations aux seuls individus nés en 1920, 1921 et 1922 : la quasi-totalité d'entre eux est désormais concernée. 430 travailleurs étrangers sont ainsi arrêtés et chargés dans des trains à destination de la zone nord pour être affectés à l'organisation Todt tandis qu'une centaine parvient à s'échapper.

Cette rafle, peut-être la plus vaste opérée dans le département de l'Indre à l'époque du gouvernement de Vichy et pourtant complètement oubliée aujourd'hui, a pour effet de réduire considérablement l'effectif du camp qui n'est plus que de 313 personnes au 1er avril 1944. Les Polonais ont largement fait les frais de l'opération, même si, au nombre de 123, ils demeurent encore plus nombreux que les Espagnols (106) et les juifs (28).

Dans les semaines suivantes, l'effectif s'affaiblit encore avec l'envoi de membres du G. T. E. dans les barrages du Lot, de la Corrèze et du Cantal ; en fait, faute d'emploi en ces lieux, il semble qu'un certain nombre d'entre eux sont mis à la disposition des cultivateurs et des exploitants forestiers de ces départements. Les exploitations agricoles de l'Indre ressentent fortement cette diminution : alors que 586 travailleurs sont détachés à l'agriculture en décembre 1943, ils ne sont plus que 89 à la fin de février 1944. Dans les mois qui suivent, des « récupérations » de personnel - sans doute à la suite de nouvelles incorporations et de retours - permettent d'accroître la main-d'oeuvre affectée aux travaux agricoles, la portant à 114 courant mars 1944, à 176 au 1er juillet suivant. A cette dernière date, le camp compte 340 hommes, majoritairement des Polonais (138), des Espagnols (106) et des juifs (29).

Après le débarquement alllié en Normandie, les autorités départementales perdent peu à peu le contrôle des travailleurs détachés dans les exploitations agricoles par suite de l'irrégularité des communications postales et des défaillances des relations téléphoniques dues aux actions de la Résistance. Le dernier rapport du sous-préfet de La Châtre suppute que la grande majorité des travailleurs est restée à son poste mais annonce toutefois que deux ouvriers, signalés par leurs employeurs, ont abandonné leur travail. D'autres ne manquent sans doute pas de les imiter lors des combats de la Libération de l'été 1944 ; ceux qui ont échappé à l'arrestation lors de la grande rafle de décembre 1943 n'ont pour leur part d'autre ressource que de se cacher ou de rejoindre un maquis : c'est ce que fait par exemple Hans Salomon.

30Terme généralement utilisé par les autorités du gouvernement de Vichy pour désigner les rafles des juifs.31A. D. Indre, M 3259, rapport moral concernant les étrangers incorporés (1er trimestre 1943) rédigé par le préfet de l'Indre, 6 mai 1943.

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Un destin : Hans Salomon, travailleur étranger au 931e G. T. E. de Montgivray

Né à Dusseldorf le 6 décembre 1908, de religion juive et cordonnier-bottier de profession, il fuit l'Allemagne après la prise du pouvoir par Hitler, à une date indéterminée mais sans aucun doute avant la déclaration de guerre du 3 septembre 1939 ; il se rend en Belgique où il vit dans un camp de réfugiés.

En mai 1940, l'attaque allemande provoque l'évacuation de son camp et il passe en France dans le flot de l'Exode. Déchu de la nationalité allemande par le régime nazi et donc apatride, il relève bientôt de la loi « sur les ressortissants étrangers de race juive » promulguée par le gouvernement de Vichy le 4 octobre 1940 qui autorise leur internement « dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence », celui-ci pouvant également leur « assigner une résidence forcée ». Pendant trente-deux mois, il navigue ainsi de camp en camp : Saint-Cyprien32 (Pyrénées-Orientales), Gurs (Pyrénées-Atlantiques33), les Milles (près d'Aix-en-Provence) et les mines de charbon de Gardanne (Bouches-du-Rhône) où il travaille pendant trois mois. Vers juin 1943, il rejoint enfin le 931e Groupe de Travailleurs Étrangers de Montgivray.

Fin décembre 1943, Hans Salomon est arrêté lors de la grande rafle des travailleurs étrangers mais, comme une centaine d'autres, il parvient à s'évader. Son évasion semble s'être accomplie en deux temps car dans sa demande de libération du 931e G. T. E., formulée le 25 janvier 194534, figure la mention suivante : « 31 décembre 1943, évasion de la salle Diderot et 1er février 1944 évasion du train à Vierzon ». On peut ainsi penser que, arrêté une première fois, il parvient à s'échapper de la salle Diderot à Châteauroux où il a été conduit ; sans doute repris quelques jours plus tard et mis dans un train à destination de la zone nord, il s'évade une seconde fois en gare de Vierzon le 1er février 1944.

Après s'être caché, il rejoint fin juin 1944 le maquis de Sainte-Gemme, maquis de l'O.R.A. commandé par René Désécure35. Il y exerce son métier de cordonnier-bottier, répare les chaussures des maquisards et des habitants des environs, fabrique des étuis pour les armes36. Il quitte le maquis début septembre 1944, sans doute après la libération complète du département de l'Indre (11 septembre 194437).

Il s'établit semble-t-il à Levroux, petite capitale berrichonne du cuir, où il est raisonnable de supposer qu'il continue à exercer son métier ; c'est de là qu'il fait le 25 février 1945 sa demande de libération du G. T. E. de Montgivray, demande qui est sans aucun doute satisfaite. Il serait ensuite parti pour les Etats-Unis38.

Destin prodigieux pour un homme qui apparaît comme un symbole involontaire de toute cette période tumultueuse puisque, juif allemand, il fuit les persécutions antisémites des nazis puis l'avance des armées allemandes, connaît la vie difficile des camps de Vichy, échappe de peu au S.T.O. ainsi qu'aux camps de la mort, trouve enfin refuge dans un maquis qui combat ses anciens compatriotes et contribue à sa façon à leur défaite...

Sans doute les autres travailleurs étrangers du 931e G. T. E., à l'instar d'Hans Salomon, sollicitent-ils à la même époque leur libération. Les premiers mois de 1945 marquent ainsi le terme de l'histoire du camp de Montgivray, un « camp-réservoir » qui, pendant trois années, a alimenté le S.T.O. et la déportation raciale, leur fournissant des centaines de victimes dont beaucoup accomplirent un voyage sans retour vers les camps de la mort.

32En août 1940, 1400 juifs allemands, expulsés vers la zone non occupée par le commandant de la police allemande de Bordeaux, Walter Krüger, y sont internés par les autorités françaises. Hans Salomon appartenait-il à ce groupe ?33Alors appelé « Basses-Pyrénées ». Sur les camps de Saint-Cyprien et, surtout, de Gurs, voir M.-L. Cohen et E. Malo, op. cit.34 A. D. Indre, M 3260, demande de libération formulée par Hans Salomon, 25 janvier 1945.35Sur l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) dans l'Indre, voir notamment M. Jouanneau, L'organisation de la Résistance dans l'Indre, juin 1940 - juin 1944, Franconville, 1975, p. 157-165.36Témoignage oral recueilli auprès de René Désécure.37 A. D. Indre, M 3260, certificat manuscrit délivré par René Désécure.38Témoignage oral recueilli auprès de René Désécure.

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Sources aux Archives départementales de l'Indre, Châteauroux

M 3259 : - Rapport moral concernant les étrangers incorporés pour le 4e trimestre 1942 rédigé par le préfet de l'Indre, 8 février 1943- Rapport moral concernant les étrangers incorporés pour le 1er trimestre 1943 rédigé par le préfet de l'Indre, 6 mai 1943- Rapport du commissaire principal des renseignements généraux de Châteauroux sur le camp de Montgivray, 6 mai 1943- Rapport du chef de groupe départemental sur le camp de Montgivray, 12 mai 1943- Rapport du sous-préfet de La Châtre adressé au préfet de l'Indre, 24 mai 1943- Rapport du sous-préfet de La Châtre adressé au préfet de l'Indre, 3 novembre 1943

M 3263 :- Télégramme de Vichy à la préfecture de l'Indre, 3 avril 1944- Rapport du sous-préfet de La Châtre adressé au préfet de l'Indre, 5 avril 1944- Extrait d'un rapport sur l'activité du contrôle social des étrangers au cours du 1er trimestre 1944 rédigé par le préfet de l'Indre, 8 avril 1944- Rapport du sous-préfet de La Châtre adressé au préfet de l'Indre, 4 juillet 1944- Extrait d'un rapport sur l'activité du contrôle social des étrangers au cours du 2e trimestre 1944 rédigé par le préfet de l'Indre, 18 juillet 1944

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Le centre d'accueiln° 51 bis deLa Vernusse

à Bagneux (Indre)

1940 – 1945

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Le château de La Vernusse, cartes postales anciennes,Archives départementales de l'Indre, Châteauroux

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Le centre d'accueil n° 51 bis de La Vernusseà Bagneux (Indre)

(1940-1945)

N. B. : Le texte intégral de cet article est paru dans la revue Histoire & Mémoires. Conflits contemporains. Limousin, Berry, Périgord, Charente, n° 2, éd. Lucien Souny, La Geneytouse, 2012, p. 134-140

Le centre d'accueil de La Vernusse, sur la commune de Bagneux, constitue le troisième élément du réseau de camps mis en place dans le département de l'Indre pendant la seconde guerre mondiale, les deux premiers étant ceux de Douadic et de Montgivray. Alors que Douadic était à la fois centre d'hébergement pour les réfugiés étrangers, centre de « ramassage » ou de « triage » pour les juifs arrêtés lors des rafles avant leur déportation et centre de regroupement pour les israélites en vue de leur transfert en zone occupée, alors que Montgivray abrite un groupement de travailleurs étrangers, La Vernusse va être destinée à l'accueil des femmes polonaises catholiques et de leurs enfants.

Tout comme Douadic et Montgivray, le centre de La Vernusse voit le jour dans les débuts de la seconde guerre mondiale, avant même la défaite de la France en juin 1940 et la mise en place du gouvernement de Vichy. Après l'écrasement de la Pologne par l'armée allemande et l'armée soviétique en septembre 1939 et alors que la « drôle de guerre » s'est installée, l'ambassade de Pologne en France, avec l'accord du ministère de l'Intérieur français, décide d'établir un centre pour recevoir des réfugiés polonais envoyés par le Comité polonais d'assistance, organisme dépendant de cette ambassade. Ce centre est établi dans le château de La Vernusse lequel subit des aménagements spécifiques afin qu'il puisse satisfaire à sa destination ; il reçoit ses premiers pensionnaires en mars 1940.Après l'armistice de juin 1940 et la prise du pouvoir par le maréchal Pétain, le centre de la Vernusse passe sous le contrôle du service social des étrangers, créé le 1er février 1941 par le gouvernement de Vichy et dirigé par Gilbert Lesage ; ce service dépend du commissariat à la lutte contre le chômage, lequel relève du secrétariat d'État au travail, lui-même coiffé par le ministère de l'Intérieur. Le SSE a notamment sous son contrôle, outre les centres hébergeant les israélites (Douadic, par exemple), les centres d'accueil et de reclassement des réfugiés polonais comme La Vernusse. Le 1er janvier 1943, le SSE change de nom et devient le Service du contrôle social des étrangers (CSE), l'administration du centre de La Vernusse comme celle du camp de Douadic restant du ressort du nouveau service. Enfin, à partir du 1er juillet 1944, le centre de La Vernusse n'est plus contrôlé par le CSE, quitte le giron du ministère de l'Intérieur et passe sous la dépendance du ministère des Affaires étrangères.

Le centre d'accueil est réservé aux femmes et aux enfants polonais de religion catholique ; le préfet de l'Indre, André Jacquemart, qui signe un rapport sur le centre de la Vernusse le 25 mai 1943 souligne que tous les hébergés sont « aryens ». Le nombre d'hébergés s'accroît de mai à décembre 1943. La raison de cet accroissement est inconnue. Cependant, il peut sans doute être mis en relation avec l'accroissement concomitant de l'effectif du 931e groupement de travailleurs étrangers de Montgivray pendant l'été 1943 ; celui-ci atteind son maximum en septembre avec 834 travailleurs étrangers par incorporations ou mutations ; or, ce sont principalement des Polonais qui grossissent l'effectif, y représentant désormais la nationalité la plus fortement représentée au sein du GTE (62,71 % des membres), largement devant les Espagnols. On peut ainsi raisonnablement conjecturer qu'un certain nombre d'épouses et d'enfants de travailleurs polonais intégrés au GTE de Montgivray ont pu rejoindre alors le centre d'accueil de La Vernusse.

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Le nombre des hébergés dimininue ensuite sensiblement au cours du premier trimestre 1944 sans que l'on puisse là encore en énoncer le motif. Cependant, il est possible que l'on puisse mettre cette réduction en rapport avec la grande rafle qui, à compter du 23 décembre 1943 jusqu'aux premiers jours de janvier 1944, frappe les travailleurs étrangers du département : 430 travailleurs étrangers sont alors arrêtés par la gendarmerie et chargés dans des trains à destination de la zone nord pour être affectés à l'organisation Todt, une centaine parvenant à s'échapper ; au sein du GTE de Montgivray, ce sont les Polonais qui paraissent avoir fait le plus largement les frais de l'opération, leur nombre passant de 523 en septembre 1943 à 123 au 1er avril 1944, les Espagnols passant pour leur part de 128 à 106. On peut ainsi penser que nombre de femmes et d'enfants aient alors voulu quitter La Vernusse pour tenter de se rapprocher de leurs maris envoyés en zone nord. Un rapport du 24 mars 1944 signale en effet que le centre « dispose d'une vingtaine de places où certaines familles polonaises chargées d'enfants pouvaient trouver refuge et tranquilité ».Au printemps 1944, l'effectif remonte sensiblement. Là encore, cette hausse est à rapprocher de celle de l'effectif du GTE de Montgivray, laquelle s'opère par suite de « récupérations » de personnelliées à de nouvelles incorporations et à des retours ; or, ce sont surtout des travailleurs polonais qui rejoignent alors le GTE, leur nombre passant en effet pendant cette période de 123 à 138 alors que celui des Espagnols demeure identique. Un rapport non daté mais rendant compte de la situation à la fin du second trimestre 1944 signale qu'une vingtaine d'enfants ont rejoint le Centre au cours de ce trimestre, celui-ci étant désormais complet.

Effectifs du Centre d'accueil de La Vernusse, 1943-1944

26 mai 1943 : 38 personnes [13 femmes, 24 enfants, un homme (comptable)]30 juin 1943 : 49 personnes [18 femmes, 30 enfants, un homme (comptable)]

1er janvier 1944 : 61 personnes [23 femmes, 37 enfants, un homme (comptable)]31 mars 1944 : 36 personnes [13 femmes, 22 enfants, un homme (comptable)]3 juillet 1944 : 50 personnes [15 femmes, 35 enfants]

18 juillet 1944 : 50 personnes [15 femmes, 35 enfants]

Les conditions matérielles d'hébergement semblent avoir été satisfaisantes, en tout cas bien meilleures qu'à Douadic, voire même qu'à Montgivray. Contrairement à ces camps, où les internés étaient logés dans des baraques en bois comparables à celles de tous les camps d'internement français... ou allemands, les réfugiés de La Vernusse sont logés dans le château aménagé à cet effet. Ils disposent d'un réfectoire et couchent dans de petits dortoirs de quatre à six personnes. La nourriture est qualifiée de « saine et suffisante » dans les rapports préfectoraux, la cuisine étant faite « moitié à la française, moitié à la mode polonaise afin de donner satisfaction à tous ». Le Centre reçoit 20 francs par jour pour l'entretien de chaque hébergé : l'État alloue en effet une allocation de 15 francs par jour auxquels s'ajoutent 5 francs d'hébergement par personne hébergée, ce qui paraît avoir suffi pour assurer des conditions d'hébergement suffisantes. Il est vrai que les internées pouvaient également améliorer leur ordinaire en allant travailler à l'extérieur du Centre comme ouvrières agricoles dans les fermes environnantes. Toutefois, le sous-préfet d'Issoudun signale dans son rapport du 3 juillet 1944 que la plupart des femmes manquent de chaussures et de sabots, certaines d'entre elles ayant dû pour cette raison « interrompre les travaux effectués à l'extérieur, faute de chaussures à se mettre aux pieds » ; dans ce même rapport, le sous-préfet souligne « la nécessité d'envisager une dotation en chaussures ou galoches pour les enfants du Centre qui vont reprendre leurs classes en octobre prochain ».

Les travaux intérieurs du Centre sont assurés par les hébergées elles-mêmes ; celles qui ne travaillent pas à l'extérieur s'occupent du jardin du Centre ce qui doit probablement procurer à celui-ci un supplément appréciable en légumes. Ces travaux se font sous l'autorité d'une directrice de nationalité française mais

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probablement d'origine polonaise, Geneviève Hryniewiecka, et d'une comtesse de nationalité polonaise, Zofia Tarnowska ; enfin, la comptabilité est assurée par un Polonais, Léopold Dziecuik. Globalement, les autorités jugent la gestion du centre satisfaisante, son état sanitaire « excellent » et son ravitaillement « des plus satisfaisant ».Comme tous les centres dépendant du Service social des étrangers, celui-ci était soumis à un règlement intérieur ; un modèle-type avait été élaboré par ce service en novembre 1942, modèle qui pouvait être modulé selon chaque centre. La discipline imposée à La Vernusse est ainsi qualifiée dans les rapports préfectoraux d'« assez sévère », de « sévère », de « stricte » ; repas, coucher et lever se font à heures fixes et il est formellement interdit aux hébergés de quitter le Centre sans autorisation ; il est précisé que ces règles strictes ont été faites principalement pour les enfants et qu'elles sont dans l'ensemble bien observées. Dans l'ensemble, les rapports préfectoraux se louent de l'état d'esprit satisfaisant qui règne au sein du centre, soulignant notamment qu'on ne s'y occupe ni de propagande, ni de politique, et que le moral des hébergés est satisfaisant. Cependant, une jeune mère de famille, Anna Olynick, et ses trois enfants, âgés de 16, 14 et 12 ans, quitte clandestinement le centre en avril 1943 sans que l'on puisse préciser les motifs de ce départ ; ils semblent avoir alors rejoint leur ancien domicile à Creil dans l'Oise.

Le fonctionnement du Centre de La Vernusse ne semble pas avoir été perturbé par les événements de l'été 1944 ; cependant, il ne fait plus l'objet de rapports à compter du mois de juillet et il semble avoir cessé de fonctionner, comme celui de Douadic, à l'automne 1944, au moment de la Libération. Ce centre, si ce n'est « sans histoire », du moins apparemment sans grand problème, apparaît cependant en fait avoir été, avec Douadic et Montgivray, l'un des trois maillons du triage des réfugiés qui paraît s'être progressivement mis en place dans le département de l'Indre entre 1940 et 1944. En effet, les nombreux réfugiés de toutes nationalités arrivant dans l'Indre paraissent avoir été répartis entre les trois centres selon leur nationalité et leur confession religieuse.Ainsi, les femmes et les enfants de confession juive, quelque soit leur nationalité, ont été dirigés sur le camp de Douadic ; il paraît en avoir été de même pour les femmes et les enfants espagnols de religion catholique puisque, en 1943, un baraquement leur est réservé dans ce camp ; il semble également qu'on y ait affecté des individus non juifs de diverses nationalités peu représentées tel qu'un chinois ; il semble également que les hommes mariés, de confession juive, aient été internés à Douadic avec leur épouse et leurs enfants lorsque la famille était (plus ou moins) complète ou s'ils avaient un enfant né en France et donc de nationalité française. Les hommes de toutes nationalités, y compris ceux de confession juive, étaient affectés au groupement de travailleurs étrangers de Montgivray. Les femmes et les enfants polonais de religion catholiques étaient hébergés à La Vernusse. Ainsi semble avoir été mis progressivement en place par le service des étrangres de la préfecture de l'Indre un système de triage général des réfugiés à leur arrivée dans leur département. D'autres triages eurent lieu ensuite dans les différents centres : à Douadic comme à Montgivray, les réfugiés de confession juive y furent triés avant leur déportation vers les camps d'extermination. Le centre de La Vernusse apparaît ainsi comme un hâvre de paix relative ; si son histoire paraît refléter les turbulences subies par le camp de Montgivray au cours des années 1942-1944, il n'a pas connu les mortels triages de Douadic et de Montgivray.

Sources et bibliographie

- Archives départementales de l'Indre, M 3261 et M 3263- Barlet (Ph.), Itinéraire dans les Années noires. Indre, 1940-1944, catalogue de l'exposition réalisée par le service éducatif des archives départementales de l'Indre, Châteauroux, 1994

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Stèle édifiée en 1995 près de l'emplacement du camp de

Douadic (Indre)

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À propos du retour des déportés dans l'Indre en 1945

Pour étudier le retour des déportés...

Parmi les sources facilement accessibles permettant d'étudier le retour des déportés, les journaux sont les sources les plus importantes et les plus précieuses. Dans l'Indre, deux journaux, La Marseillaise et Le Bazouka, nés au moment de la Libération, permettent de suivre le retour des déportés politiques et raciaux au cours de l'année 1945.

La Marseillaise. Berry-Touraine-Marche

Le 20 août 1944 au matin, les Allemands évacuent Châteauroux. Les forces de la Résistance y font leur entrée dans le cours de la journée et Robert Monestier s'installe à la Préfecture avec le Comité départemental de libération. Le 22 août, le journal Le Département reparaît en devenant l'organe du Comité et prend le titre de Marseillaise du Berry le 24 août. L'ancien directeur de ce journal, Ernest Gaubert, dont le second fils, François, engagé dans la Milice, a été tué le 16 juillet 1944 dans la région de Dun-le-Poëlier et dont le fils aîné, Jean, également milicien, a été fusillé le 22 août suivant avec quatre autres « collabos », s'est retiré vers la mi-août, malade, dans une clinique parisienne où il meurt le 13 janvier 1945, échappant ainsi à l'Épuration. Cependant, de puissantes formations allemandes se repliant depuis le Sud-ouest s'approchent de Châteauroux à la fin août ; afin d'éviter les affrontements en ville et les éventuelles représailles allemandes sur la population, le Comité départemental de Libération se retire à Orsennes le 30 août tandis que les unités F.F.I. rejoignent leurs bases. La Marseillaise du Berry imprimée le 1er septembre à Aigurande ainsi que les numéros suivants, les presses étant maniées à bras faute de courant électrique. Le 11 septembre enfin, au lendemain de la capitulation de la colonne Elster à Issoudun, la Résistance réoccupe Châteauroux et la Marseillaise y est de nouveau imprimée.

La Marseillaise devint par la suite L'Echo-La Marseillaise du Berry.

Le Bazouka

Créé en septembre 1944, le Bazouka est un hebdomadaire publié chaque samedi ; animé par le lieutenant-colonel Robert Vollet, chef de l'Armée secrète dans l'Indre, il est l'organe des M.U.R. (Mouvements Unis de Résistance). En août 1946, il tire à 8 000 exemplaires selon le préfet de l'Indre. Un tract promotionnel (collection particulière) le présente ainsi :

« En septembre, aussitôt après la libération, une équipe venue de l'un des plus forts Groupes des maquis de l'Indre, le groupe Indre-Est, décida de créer un journal destiné à défendre les intérêts des F.F.I. et leurs idées.Choisir un nom était facile, le journal étant fait par des jeunes et devant être mordant, le nom d'une arme parachutée au maquis fut adopté. Ce fut le « Bazouka ».Sa ligne de conduite fut des plus simples : il ne voulut rien devoir à personne et contribuer pour sa part à l'épuration. De là, ses échos dits « À coups de Bazouka ».Ses moyens, voulant conserver son indépendance totale, ne sont pas importants et il ne peut vivre que par sa vente au numéro, ses abonnements et sa publicité.Il est à la disposition de tous les anciens maquisards et de leurs associations, de tous les anciens résistants, de tous ceux qui à un titre quelconque ont pendant 4 ans aidé à la lutte contre l'envahisseur.Également tous les militaires des Forces Françaises libres sont cordialement conviés à utiliser ses colonnes.Il continuera tant que le nombre de ses lecteurs le lui permettra à lutter contre les collaborateurs, les salopards de tous poils, le marché noir et autres par lesquels tant de nos camarades sont morts. »

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Le Bazouka cesse de paraître au cours de l'année 1946.Les Archives départementales de l'Indre conservent des collections du Bazouka et de la Marseillaise ;

elles peuvent y être consultées sur place mais elles ne peuvent pas être empruntées ; les journaux ne peuvent pas non plus être photocopiés du fait de leur grande fragilité ; il est donc nécessaire de se munir d'un appareil photo si l'on désire faire des reproductions de certaines pages ou de certains articles.

Le retour des déportés vu par Roger Decaux dans Le Bazouka

Le dessin de Roger Decaux, ancien opérateur d'actualités devenu peintre, est publié en première page du Bazouka le samedi 19 mai 1945. Sa légende (« Maréchal, nous voilà !... ») se fait l'écho de l'hymne maréchaliste et annonce le procès du Maréchal Pétain qui se prépare depuis que celui-ci est venu se livrer le 26 avril 1945 et qui se tiendra du 23 juillet au 15 août suivant.

Le dessin évoque en même temps le retour des déportés et montre Pétain accusé par ses victimes. Ce sont les déportés des camps allemands de Dachau, de Buchenwald et de Ravensbrück ; ce sont aussi les victimes de Châteaubriand (27 otages fusillés par les Allemands le 23 août 1941 en représailles d'un attentat contre un militaire) et d'Oradour-sur-Glane (au moins 642 personnes massacrées et le village entièrement détruit par les Allemands le 10 juin 1940) ; ce sont enfin les victimes berrichonnes de Sainte-Gemme (Indre) où deux personnes âgées furent assassinées et le village presque totalement incendié le 30 août 1944 par les troupes allemandes en retraite.

Ce dessin évoque avant tout le terrible destin des déportés politiques et des victimes de la répression allemande mais passe sous silence les déportés raciaux : il n'est par exemple pas question du camp

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Page 111: Les camps et la déportation des juifs dans l'Indre · Dans les jours suivants, sous le nom d'« État français », il établit un régime autoritaire dont le siège est fixé dans

d'extermination d'Auschwitz, pourtant alors bien connu ; les victimes du S.T.O. (Service du travail obligatoire) ne sont également pas évoqués. Au lendemain de la victoire sur l'Allemagne (8 mai 1945), tout se passe comme si on n'attendait que le retour des résistants déportés alors que les gouvernements successifs du Maréchal Pétain portent une lourde responsabilité tant dans la mise en oeuvre de la déportation raciale que dans la livraison aux Allemands de milliers de travailleurs.

Dans l'Indre, 500 habitants ont été victimes de la déportation dans les camps allemands pour motifs raciaux et/ou politiques ; environ 65 % d'entre eux ne sont pas rentrés ; les camps où ils furent le plus fréquemment envoyés sont, dans l'ordre, Auschwitz-Birkenau, Maïdaneck, Buchenwald, Dachau, Neuengamme et Sachsenhausen-Oranienbourg, les deux premiers ayant été les plus meurtriers (6 retours sur 113 départs pour Auschwitz-Birkenau). À ce groupe d'habitants de l'Indre, il est nécessaire d'ajouter plusieurs centaines de juifs (un millier ?) d'origine étrangère réfugiés dans l'Indre, arrêtés dans ce département et déportés en Allemagne entre 1942 et 1944 ; la plupart d'entre eux ne sont pas revenus.

500 personnes environ ont été internées dans des camps de concentration français, comme Nexon dans la Haute-Vienne, sur ordre des autorités de Vichy ; 220 civils ont été fusillés ou exécutés et 322 personnes ont été tuées au combat. Enfin, environ 3200 personnes sont parties au titre des prélèvements de main-d'oeuvre par l'Allemagne (« Relève » et S.T.O.).

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