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20 Pharmacien Manager n° 162 - novembre 2016 des professionnels de santé qu’ils se mettent à la santé connectée.Cela étant,ils expriment en parallèle de fortes craintes quant à la protection de leurs données person- nelles. C’est l’enjeu qui se pose aujourd’hui, et de nom- breuses questions doivent être résolues : qui a accès à la data ? Pour en faire quoi ? Comment la protéger ? P.M. Y-a-t-il vraiment un marché pour cette santé connectée ? B.M. Sur environ 160 000 applis santé, près d’un tiers relève du registre médical. Le reste concerne le well- being, le fitness… Cela reflète bien une tendance de société, la volonté de se prendre en charge, de s’auto- nomiser en matière de santé.Cela change radicalement le rapport à son corps, à sa santé et à son médecin. C’est d’autant plus intéressant que dans 10-20 ans, le patient aura la capacité de collecter lui-même énor- mément de paramètres biologiques grâce aux objets connectés qui bénéficient d’une explosion de créativité. Google travaille, par exemple, à un système de mesure permanente de la glycémie dans les larmes. Ce phéno- LES CONSOMMATEURS ET LEUR SANTÉ. PRO DES ÉTUDES SUR LE SUJET, BLAISE MONFORT SCRUTE PLUS PARTICULIÈREMENT L’IMPACT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES SUR LA PRISE EN CHARGE DES MALADES ET LA PHARMACIE DE DEMAIN. RENCONTRE. PROPOS RECUEILLIS PAR F ABIENNE COLIN « Pharmacien Manager ». On parle beaucoup de santé connectée, les Français sont-ils prêts ? Blaise Montfort. Les Français y sont totalement pré- parés ,notamment les plus jeunes.On vit une révolution technologique extrêmement récente. Pour rappel, l’Iphone n’est lancé que depuis 2007. En seulement neuf ans, on a assisté à une explosion d’objets connec- tés et d’applications.Aujourd’hui,on dénombre environ 160 000 applis santé. C’est considérable ! Nos concitoyens sont prêts à collecter eux-mêmes leurs données et les délivrer à leur médecin. Ils voient dans les objets connectés une façon de favoriser la prévention des pathologies,de retarder la dépendance,d’améliorer le suivi des patients – notamment ceux souffrant de maladies chroniques. Les Français attendent d’ailleurs NEWS FACE À FACE Biochimiste de formation initiale, Blaise Montfort est ensuite entré à l’ESSEC. Il a mené l’ensemble de sa carrière chez des professionnels des études de marché, en se spécialisant dans le sec- teur de la santé. Il débute chez AplusA, poursuit son chemin chez Harris Médical International et Kantar Health, avant d’intégrer en 2007 l’institut CSA où il dirige actuellement le département santé. La profession d doit être s

LES CONSOMMATEURS ET LEUR SANTÉ. PRO DES ÉTUDES SUR … · mateur,mais aussi pour le professionnel de santé,et pour la mise en place du nouvel écosystème. Aujourd’hui,il n’y

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20 Pharmacien Manager n° 162 - novembre 2016

des professionnels de santé qu’ils se mettent à la santéconnectée. Cela étant, ils expriment en parallèle de fortescraintes quant à la protection de leurs données person-nelles. C’est l’enjeu qui se pose aujourd’hui, et de nom-breuses questions doivent être résolues : qui a accès àla data ? Pour en faire quoi  ? Comment la protéger ?

P.M. Y-a-t-il vraiment un marché pour cette santé connectée ?B.M. Sur environ 160 000 applis santé, près d’un tiersrelève du registre médical. Le reste concerne le well-being, le fitness… Cela reflète bien une tendance desociété, la volonté de se prendre en charge, de s’auto-nomiser en matière de santé. Cela change radicalementle rapport à son corps, à sa santé et à son médecin.C’est d’autant plus intéressant que dans 10-20 ans, lepatient aura la capacité de collecter lui-même énor-mément de paramètres biologiques grâce aux objetsconnectés qui bénéficient d’une explosion de créativité.Google travaille, par exemple, à un système de mesurepermanente de la glycémie dans les larmes. Ce phéno-

LES CONSOMMATEURS ET LEUR SANTÉ.PRO DES ÉTUDES SUR LE SUJET, BLAISE MONFORT SCRUTE PLUS

PARTICULIÈREMENT L’IMPACT DESNOUVELLES TECHNOLOGIES SUR

LA PRISE EN CHARGE DES MALADES ET LA PHARMACIE DE DEMAIN. RENCONTRE.

PROPOS RECUEILLIS PAR FABIENNE COLIN

« Pharmacien Manager ». On parlebeaucoup de santé connectée, les Françaissont-ils prêts ?Blaise Montfort. Les Français y sont totalement pré-parés , notamment les plus jeunes. On vit une révolutiontechnologique extrêmement récente. Pour rappel,l’Iphone n’est lancé que depuis 2007. En seulementneuf ans, on a assisté à une explosion d’objets connec-tés et d’applications. Aujourd’hui, on dénombre environ160 000 applis santé. C’est considérable !Nos concitoyens sont prêts à collecter eux-mêmes leursdonnées et les délivrer à leur médecin. Ils voient dansles objets connectés une façon de favoriser la préventiondes pathologies, de retarder la dépendance, d’améliorerle suivi des patients – notamment ceux souffrant demaladies chroniques. Les Français attendent d’ailleurs

NEWS FACE À FACE

Biochimiste de formation initiale, Blaise Montfort est ensuiteentré à l’ESSEC. Il a mené l’ensemble de sa carrière chez des

professionnels des études de marché, en se spécialisant dans le sec-teur de la santé. Il débute chez AplusA, poursuit son chemin chezHarris Médical International et Kantar Health, avant d’intégrer en2007 l’institut CSA où il dirige actuellement le département santé.

La profession d e doit être su

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mène de médecine en continu impacte fondamenta-lement la place des acteurs de santé. Tout l’écosystèmede la prise en charge sera modifié, selon ce que l’ondécidera d’en faire. Car ces évolutions profondes de

société sont assujetties à des décisions politiques, descorporations ( professionnels de santé, associationsde patients, etc) et à des investissements financiers.Tout l’écosystème de la prise en charge sera modifié,selon ce que l’on décidera d’en faire.

P.M. On voit des objets connectés à la Fnac, dans les supermarchés, dans les pharmacies, le consommateur serepère-t-il ?B.M. Cet état de fait est perturbant pour le consom-mateur, mais aussi pour le professionnel de santé, etpour la mise en place du nouvel écosystème.

Aujourd’hui, il n’y a pas de labelgénéralisé pour ces objetsconnectés. Il n’y a pas non plusun Vidal des applications. Deplus, il n’existe aucune interopé-rabilité universelle entre cesoutils et les logiciels des profes-sionnels de santé. Pour que toutse mette en marche, il faut allerplus loin  : être très strict sur lasélection des objets connectés,

des applis, sur leurs portées et leurs limites. Un jouralors, le pharmacien pourra les conseiller, voire les« prescrire ». On peut trouver un tensiomètre fiable enhypermarché mais cela nécessite un accompagnementdès lors qu’on se situe sur le registre médical.

P.M. Internet s’invite désormais dans le parcours d’achat. Comment cettetendance affecte-t-elle la santé ?B.M. Cela fait déjà plusieurs années qu’Internet amodifié les relations entre le patient et les profession-nels de santé. Très souvent, le patient se renseigne enligne avant de rencontrer son médecin, son pharmacien.

Mais en termes d’achat, les pharmacies online enFrance n’ont pas explosé. Les consommateurs s’autoli-mitent sur l’univers de la santé et du médicament qu‘ilsconsidèrent comme des biens « pas comme les autres ».Il y a sans doute aussi une raison sécuritaire au fait quele chiffre d’affaires des e-pharmacies reste marginal.En achetant sur Internet, on ne sait pas toujours d’oùvient le produit. Or chez le pharmacien, on a une sécu-rité absolue de ce point de vue. Les Français exprimentune vraie confiance dans leur pharmacien, perçucomme un professionnel de santé de proximité auquelils sont très attachés. Cela ne signifie pas pour les phar-macies qu’il faille s’exonérer de services tels que lalivraison à domicile ou la précommande.

P.M. Qu’attendent les Français d’un pharmacien ?B.M. Il a un statut hybride. Les uns le considèrentcomme professionnel de santé à part entière. Pour d’au-tres, c’est un commerçant ou bien il porte les deux cas-quettes. Nos enquêtes montrent un attachement trèsfort au pharmacien d’officine pour sa proximité et sonsavoir autour du médicament. Il pourrait tout à faitjouer un rôle prépondérant demain dans le circuit deprise en charge du patient. En Suisse par exemple, ilreprésente la porte d’entrée dans le parcours de soin.On le sollicite plus souvent pour avis, conseil et orien-tation. Il y a là potentiellement des missions à étoffer.La mise en place des entretiens pharmaceutiques vadans la bonne direction. Sauf que les officinaux n’ontpas été rémunérés à la hauteur de la mission confiée.

P.M. Pensez-vous que l’exercice officinal vaêtre bouleversé par les nouvellestechnologies ?B.M. Pour l’instant, rien ne laisse présager que le métierdes pharmaciens va être profondément modifié parles outils digitaux. Mais les nouvelles technologies (Ndrl,via le suivi des données issues des objets connectés desanté) peuvent être, pour les officinaux, une opportunitéde revaloriser leur mission, leur expertise et même deretrouver de la marge.

P.M. L’avenir se dessine donc de manièrepositive…B.M. Pas vraiment… Le modèle économique de lapharmacie a du mal à trouver sa place. Il est tiraillé entre,d’un côté les économies faites sur les médicaments, etde l’autre, les menaces telles que la vente de médica-ments en hypermarché, ou leur livraison, demain, pardes acteurs comme Amazon. On voit émerger de nou-veaux modes de commerce, possibles grâce aux nou-velles technologies, et qui changent l’univers concur-rentiel. La profession de pharmacien doit être sur sesgardes, évoluer et ne pas se refermer sur elle-même. •

Les pharmacies nedoivent pas s’exonérer

de services tels que la livraison à domicile ou la précommande.

Blaise MontfortDIRECTEUR DU DÉPARTEMENT SANTÉ

DE L’INSTITUT CSA

L’INVITÉ

d e pharmacien sur ses gardes

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