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Mémoire de fin d\'étude (Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées)
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Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 1
Université Paris IV Paris-Sorbonne
UFR Philosophie et Sociologie
Information en ligne :quel écosystème pour demain ?
Directeur de mémoire : Jean Sylvestre, professeur associé en charge de l'analyse et du positionnement éditoriaux au sein de l'agence web SDC
Marion Lecointre
Octobre 2010
Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées
Promotion 2009 – 2010
Directeur : Jean-Michel Besnier
Responsable pédagogique : Monique Ollier
« La dynamique relationnelle qui caractérise le web d’aujourd’hui
se heurte à la mécanique institutionnelle de toujours,
et tout l’héritage intellectuel et social sur lequel elle s’est construite. »
Francis Pisani et Dominique Piotet
in Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 2
INTRODUCTION
L'objet de notre étude portera sur la filière de l'information en ligne française et, plus
spécifiquement, sa nature : une architecture instable et bruyante ; une situation de coopétition
entre acteurs médias, hors médias (moteurs de recherches, portails, agrégateurs, médias à la
demande...) et pro/am (producteurs d'information non professionnels) ; un modèle économique
non durable ; des usages de consommation éclatés et une considération nouvelle du « produit »
information. Notre volonté : souligner les points saillants de l'écosystème de l'information en
ligne tel qu'il a pu évoluer depuis quinze ans en France, poser les éléments critiques de sa non
maturité et enfin dessiner des pistes de consolidation.
Pour ce faire, nous nous sommes principalement appuyés sur l'observation des médias
écrits (traditionnels et pure players) français, sans pour autant ôter du regard les activités des
médias audiovisuels et les écosystèmes informationnels étrangers, notamment anglophones, en
ce qu'ils étaient nécessaires à la mise en perspective de nos réflexions. Nos recherches
s'imprègnent en grande partie des nombreuses analyses avancées sur la toile par des blogueurs
(consultants, experts, journalistes, amateurs) spécialisés dans les domaines du Web, du marketing
et des médias, mais également de travaux d'universitaires et de professionnels, ainsi que de
l'ensemble des problématiques rencontrées lors de mon stage de fin d'étude au sein de l'équipe de
2424actu - un agrégateur de contenu d'actualité multimédia lancé par Orange - qui cherche à
mieux comprendre l'environnement médiatique sur Internet, dont les pratiques de consommation,
et s'y insérer en toute « légalité » (du point de vue économique et juridique).
Nous avons souhaité entamer l'étude par une compréhension de l'objet « information »
(son rôle, sa réception, son utilisation, sa monétisation) pour ensuite mieux évaluer le degré
d'instabilité de la filière. Il nous a par ailleurs semblé indispensable de dédier un temps aux
« infomédiaires » de l'information (sorte de passeurs d'actualité), des acteurs hors médias qui
montent actuellement en puissance au dépend de professionnels de l'information qui eux peinent
à faire vivre leurs contenus, maximiser leur réception. Enfin, nous avons clôt ce tour d'horizon
par la formulation de plusieurs pistes à même de mieux maîtriser la filière, la « révolutionner »
ou du moins la consolider. Tout du long, transpire l'idée d'une information journalistique d' utilité
démocratique, soit essentielle.
Il nous semble aujourd'hui intenable d'espérer, du côté des médias professionnels, s'en
sortir seul, sans collaboration avec des acteurs extérieurs (du Web, de disciplines voisines, des
citoyens). C'est tout l'objet de ce mémoire.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 3
Remerciements
Je tiens ici à remercier l'ensemble des protagonistes de l'équipe 2424actu, et de mes
stages passés dans divers médias, l'ensemble des enseignants du Master II Conseil Editorial et
Gestion des Connaissances Numérisées, dont Jean Sylvestre pour son temps et son suivi attentif,
ainsi que mes camarades de promotion. Egalement, Eric Mettout pour son temps, Francis Pisani,
Eric Scherer, Alice Antheaume, Nicolas Voisin pour le partage généreux de leurs réflexions et
l'ensemble des blogueurs et « twittos » que j'ai le plaisir de lire quotidiennement et qui partagent
chaque jour leurs analyses, opinions et veilles. Enfin, mes proches, pour leur patience et
compréhension.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 4
SOMMAIRE
Introduction................................................................................................................................................................p.3Remerciements...........................................................................................................................................................p.4Résumé........................................................................................................................................................................p.6Préambule : Du rôle de l'information journalistique en démocratie....................................................................p.7
I – L'information en ligne : une denrée mal aimée ?.........................................................p.10
1) L'information, une « envahissante nécessité »....................................................................p.11a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité.................................p.11b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité..............................p.13
2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »...........................p.17a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France................................................p.19b) Le modèle gratuit......................................................................................................................p.20c) Le modèle payant......................................................................................................................p.22d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires................................................p.23
II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente..............p.24
1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne.......................................................p.24a) Production..................................................................................................................................p.24b) Diffusion....................................................................................................................................p.29
2) Nouvel ADN informationnel......................................................................................................p.32a) Eclatement de la chaîne de valeur.............................................................................................p.32b) Modification des pratiques journalistiques...............................................................................p.33c) Nouvelles interactions...............................................................................................................p.34
III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?............................p.36
1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité.............................................................p.36
2) La fonction d'infomédiation.......................................................................................................p.38a) Définition...................................................................................................................................p.38b) Positionnement stratégique.......................................................................................................p.39c) Carence juridique.......................................................................................................................p.40d) Déséquilibre économique..........................................................................................................p.41
3) Une situation de coopétition.......................................................................................................p.42a) Eléments de débat......................................................................................................................p.42b) Menaces réelles.........................................................................................................................p.44
IV - Un écosystème informationnel à redéfinir.....................................................................p.45
1) Comprendre et impliquer le public.........................................................................................p.45a) Une mesure discutable...............................................................................................................p.45b) Un investissement nécessaire....................................................................................................p.49
2) Renouveler les pratiques..............................................................................................................p.50
3) Repenser les formes même de la médiation.........................................................................p.53
4) Dépasser les querelles économiques et politiques..............................................................p.56
Conclusion................................................................................................................................................................p.57Bibliographie............................................................................................................................................................p.59Annexes.....................................................................................................................................................................p.67
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 5
RÉSUMÉ
L'écosystème actuel de l'information en ligne (au sens d'une information donnée sur
l'actualité, traditionnellement délivrée par la profession journalistique, et ici sur Internet) souffre
d'une instabilité chronique, due à des bouleversements d'un point de vue économique,
professionnel, industriel, sociétal.
Déjà, l'information journalistique en elle-même apparaît de plus en plus comme une
denrée mal aimée. Alors même que le public avoue la percevoir comme une « envahissante
nécessité », utile à leur vie, leurs usages indiquent tout le contraire. Aussi, et s'en est une
conséquence directe, ce « produit » peine à trouver sa monétisation : mais une non valeur
monétaire signifie-t-elle une non valeur intrinsèque ?
Ensuite, la filière toute entière de l'information en ligne est, depuis sa naissance il y a
quinze ans, déstructurée : les producteurs de l'information se multiplient et viennent d'horizons
totalement étrangers à l'environnement médiatique ; la circulation de l'information elle-même est
éclatée, assurée par divers secteurs hors médias et de plus en plus animée par le public lui-même.
En découle notamment une évolution radicale de l'ADN informationnel avec lequel les médias
doivent aujourd'hui compter.
Par ailleurs, un nouveau genre d'acteurs, appelés « infomédiaires », connaît un succès
certain en parvenant à se réapproprier les contenus d'actualité produits par d'autres et ainsi jouer
le rôle de passeurs. Rôle apprécié par une bonne part du public. En découle un déséquilibre,
décrit comme une situation de coopétition, entre médias et intermédiaires à l'avantage des
derniers. Ce qui ne va pas pour apaiser les esprits.
De fait, il urge de parvenir à la définition d'un écosystème informationnel
économiquement viable, professionnellement durable et démocratiquement tenable. Et cela doit
se jouer à diverses échelles et dans une logique de co-élaboration : avec le public, avec les
pro/am, avec les acteurs professionnels hors médias et tout un ensemble de protagonistes voisins.
C'est l'avenir d'une information utile, pédagogique, citoyenne, d'une médiation du savoir
et des connaissances, d'un pluralisme démocratique, qui entre ici en jeu. C'est aussi un pari aussi
nécessaire que passionnant qui s'offre à toute la filière.
Mots clefs : information en ligne, écosystème informationnel, acteurs médias, pro/am, acteurs
hors médias, infomédiaires, coopétition, modèle économique, public, audience, usages sociaux,
pratique journalistique, rôle démocratique, médiation, collaboration.
Nombre de signes : 175 631 ; Nombre de pages : 68Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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PREAMBULE
Du rôle de l'information journalistique en démocratie
Journalisme et démocratie sont intrinsèquement liés. Pour preuve, l'indépendance et le
pluralisme des médias sont régulièrement convoqués au moment de mesurer le degré
démocratique d'un Etat. Aussi, « dans sa mythologie, l'information journalistique sert (...) à
éclairer des citoyens/consommateurs, animer le débat démocratique, donner des outils pour que
chacun façonne sa liberté de penser et d'agir »1. Les médias servent à montrer ce qui est caché,
mettre en perspective les faits, confronter les idées. Ils jouent également un rôle de
représentation, celle des gouvernés auprès des gouvernants, en dehors du vote électoral. Le
journaliste Jean-Martin Lagardette propose une définition de cette information journalistique,
condition à la démocratie : « en théorie et dans une société démocratique, l'information de
presse est la description ou l'explication d'un fait d'actualité puisé dans le présent ou ayant une
signification pour le temps présent. Ce fait significatif universellement, collectivement ou
présentant un caractère d'intérêt général sera recherché au nom du public et de son droit de
savoir. Il sera sélectionné et mis en forme par une conscience honnête, libre, formée à la
démarche d'objectivité ainsi qu'au respect de la vérité. Ce travail est diffusé par un média
responsable procurant au journaliste les moyens d'accomplir sa mission et lui garantissant son
indépendance par rapport à tout pouvoir, y compris celui de l'entreprise ou de l'organisme qui
l'emploie »2. Bernard Poulet3 ne décrit pas autre chose au moment de définir le métier des
journalistes : « [Il] consiste à identifier les problèmes, les documenter, vérifier ce qu'ils
découvrent, ou ce qu'on leur communique, hiérarchiser les questions (...), les mettre en
perspective, les situer dans leur contexte et les exposer le plus clairement et le plus honnêtement
possible. Ce travail de mise en forme raisonnée, de tri, de hiérarchisation donne du sens au
fatras des informations (...). (...)Sans cet effort pour raisonner l'information (...), le débat
démocratique devient impossible, noyé dans la cacophonie et la rumeur. » L'auteur définit plus
globalement la « production de l'information », et son rôle, en ces termes : « Ce que nous
1 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
2 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
3 Rédacteur en chef à L'Expansion : Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard, 2009
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 7
appelons « production de l'information » est un dispositif qui obéit à des règles, forgées plus
dans la pratique que dans la théorie. Elle traite des affaires de nation et du monde (...). Il s'agit
autant de politique intérieure et internationale, d'économie, de « social-sociétal », que de débats
d'idées, d'innovations, de science, de santé, de religion, de sécurité intérieure, de choix posés à
la nation (...), de culture, de spectacles, de manifestations (...). La liste est longue et s'accroît
sans cesse puisqu'il s'agit d'informer sur tout ce qui concerne les citoyens. Le journalisme
consiste à suivre et rendre compte de l'actualité de toutes ces questions. » Et de reprendre les
propos de Jacques Rigaud : « Le journalisme doit remplir deux fonctions : organiser l'espace
public mais aussi produire des révélations. Révéler au sens de tendre un miroir à la société, pour
qu'elle prenne conscience de ce qu'elle est véritablement. »
Arrêtons-nous précisément ici sur une saine distinction appelée par Bernard Poulet, entre
les notions de média et d'information, d'information et d'« infotainement ». Le terme de
« média » a été popularisé par les publicitaires, pour ne désigner rien d'autre qu'un support
susceptible de véhiculer leurs annonces. Il décrit un intermédiaire, entre le producteur et les
consommateurs, de contenus aussi bien informationnels que divertissants, et non exclusivement
le support au journalisme. Ainsi, il n'est pas dans cette étude question de désigner ce que les
Américains ont nommé l' « infotainment » (contraction des termes « information » et
« entertainment »), nouvelle écriture qui consiste à faire de l' « info-spectacle », soit perdre le
spectateur-consommateur dans un show dans lequel rien ne lui offre de distinguer le vrai du jeu.
Aussi, aujourd'hui et à l'heure d'Internet, l'information journalistique ne représente qu'une
sous catégorie de l'ensemble des informations dont nous sommes bombardés (publicité,
institutions publiques, expressions personnelles...). La confusion va grandissante entre les
sphères « communication » et « information » et, au sein même des médias d'information, le
doute se fait. Pour preuve, le baromètre 2010 TNS Sofres-Logica de confiance dans les médias
montre que, pour 66% des personnes interrogées, la profession journalistique serait soumise aux
pressions des partis politiques et du pouvoir et que, pour 60% des sondés, les journalistes
seraient soumis aux pressions de l'argent. Une méfiance quant à l’indépendance des journalistes
et, par conséquent, l’objectivité de l’information qu’ils délivrent et commentent, qui progresse au
fil des années. Et amène de fait à une crise de la représentation : « Qui parle au nom de qui et
dans quel but ? Qui donne des informations à qui ? Selon quelles procédures? L'objectif et les
méthodes sont-ils assumés et transparents? L'indéniable liberté offerte par les nouvelles
possibilités d'expression induit-elle naturellement des responsabilités ? Comment la démocratie
médiatique est-elle dorénavant servie? »4
4 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Parallèlement, les journalistes se voient de plus en concurrencés par ce qu'il est commun
d'appeler des « journalistes-citoyens », oeuvrant au sein de médias alternatifs, participatifs ou
comme simple blogueur. Soit une sorte de « mise à niveau démocratique »5 appelée par les
citoyens eux-même et souvent qualifiée de démocratie 2.0 : l'intermédiation de par nature
réductrice n'est plus, la parole se libère, la censure disparaît, le contre-pouvoir citoyen agit de
fait. Loin de dénoncer ce processus, le philosophe Daniel Bougnoux questionne cependant ses
possibles dérives : « Notre idéal démocratique, pourtant lié (...) au principe de publicité et de
liberté de l'information, révèle ici sa complexité et ses pièges. Car si chacun a le droit en
démocratie d'exprimer et de valoriser son monde propre, ce régime exige aussi l'institution d'un
monde commun, autour d'un espace public d'affrontement des opinions contradictoires. (...) Le
journaliste a justement pour tâche d'assembler, et de présenter aussi objectivement que possible
(...) les messages de ses autres mondes ; il tient compte du collectif, et il propose une
information « traitée » ou recoupée. C'est ce souci du bien commun (..) qui risque de décliner
avec les nouveaux parcours à la carte, et la privatisation des informations favorisée par les
nouveaux médias. (...) Les SMS, les listes de diffusion, les blogs et les chats sont excellents pour
s'exprimer, pour mobiliser, pour « sensibiliser » voire dénoncer (...) mais ils favorisent aussi le
repli égotiste, le mimétisme, l'emballement sentimental, la contagion virale ou la chasse en
meute... (...) La véritable information, fondée sur l'enquête et le recoupement des faits, curieuse
des raisons et des mondes des autres, ne s'improvise pas et nous attend un peu au delà. La
véritable démocratie, de même, exige une scène ou un espace public commun, et aussi une
actualité, un temps formaté ou rythmé par des rendez-vous médiatiquement partagés. A la faveur
des nouvelles technologies qui nous désynchronisent, qui nous dépolarisent, nous voyons le récit
médiatique s'émietter ; partout, l'essor du numérique favorise l'individualisme démocratique
mais la « messe est finie ». Faut-il s'en plaindre ? Difficile quadrature... »6
Dans le nouvel écosystème informationnel qui se dessine, l'information journalistique
telle que décrite ici aura toute sa place. Reste à savoir laquelle, sous quelles formes et sous
quelles conditions. Entre médiation, scénarisation et mise en perspective des opinions, des idées,
des faits. Gestion, matérialisation, tri et analyse des flux d'informations et d'opinions – multiples
et de tous genres - incessants et omniprésents.
http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
5 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris ,Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
6 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 9
I – L'information : une denrée mal aimée ?
Ces dernières années, les médias traditionnels papiers ont été largement contraints
financièrement – baisse du lectorat, concurrence des médias gratuits et d'Internet notamment,
amenant à une fuite des annonceurs –, et aujourd'hui plus encore dans un contexte de crise
économique majeure qui voit les investissements publicitaires diminuer drastiquement.
Concernant plus spécifiquement les raisons d'une diminution de l'audience, il est de coutume
d'accuser journaux gratuits et Internet. Or, les causes sont bien plus profondes, car sociétales. Le
fossé se creuse entre les médias traditionnels et leur « ex-audience » (en pleine recomposition),
un processus qu'il importe d'évaluer.
Déjà remis en cause dès les années soixante-dix, où s'animait alors une défiance bientôt
grandissante vis-à-vis des institutions et des récits qu’elles produisent pour se légitimer – y
compris concernant le discours médiatique –, les médias le sont encore plus actuellement et de
manière visible et effective : avec Internet, les individus ont à leur disposition les moyens de
critiquer librement et visiblement les médias, de rechercher et même produire l'information qu'il
souhaitent véritablement voir diffusée. L'autorité journalistique se voit ébranlée.
Ainsi, nous pouvons observer, d'un côté, des médias traditionnels qui, progressivement,
voient leur rôle social et politique, pourtant institué, être mis à mal, tandis que les moyens
financiers permettant jusqu'ici de l'exercer s'amenuisent. De l'autre, son ex-audience réinvente, à
sa guise et continuellement, de nouveaux moyens de s'informer, ailleurs, hors des médias
classiquement légitimés. Là où un monde de réseaux, de communautés, de liens, d'instantanéité,
d'ubiquité, émerge, un autre sensé être, du moins en partie, le témoin et l'un des médiateurs du
premier se voit mis de côté. De fait, ce n'est pas l'information qui se meurt, ce sont les usages qui
évoluent, jusqu'à se professionnaliser en partie et devenir, de fait, plus exigeants qu'autrefois.
Nous allons ici tenter de définir les pratiques de consommation des contenus d'actualité,
pour ensuite nous intéresser à la crise économique que vivent les médias d'information
généraliste. Parce qu'au-delà de ce qu'est l'information - un « fragment de réalité » (Edgar
Morin), « une « chose » d'intérêt public »7, une part de connaissance nécessaire à tous - elle est
également un produit ancré au sein d'un marché où se rencontre une offre (les médias
d'information) et une demande (les consommateurs d'actualité). Or un produit en crise suppose
une offre supérieure à la demande : tel est-il effectivement le cas et quelles en sont les raisons ?
Faut-il les chercher du côté de la demande ou bien du côté de l'offre ?
7 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 10
1) L'information, « une envahissante nécessité »
Dans leur ouvrage, paru en 2008 et intitulé Comment le Web change le monde.
L'alchimie des multitudes, Francis Pisani8 et Dominique Piotet9 insistent sur la nécessité, pour
toute entité souhaitant s'inscrire durablement et effectivement sur la toile – et particulièrement ici
concernant les médias –, de comprendre ce que l'on nomme l' « audience Internet » et, plus
précisément, l' « ex-audience » des médias traditionnels. Soit l'ensemble des consommateurs de
l'information qui a aujourd'hui migré sur le Web.
Ailleurs10, Henry Jenkins, théoricien américain et directeur du programme de médias
comparés au MIT (Massachusetts Institute of Technology), prévient que « notre attention ne
devrait pas porter sur les technologies émergentes mais sur les pratiques culturelles émergentes.
Plutôt que de dresser la liste des outils, nous devons comprendre la logique sous-jacente qui
forme ce moment des médias en transition. »
a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité
Intéressons-nous à la consommation des médias, Web et hors Web. Dans son ouvrage,
paru en 2008 et intitulé Le journalisme à l'ère électronique, le journaliste Alain Joannès se plaît à
parler d' « inforexie » – elle est « à l'information ce que l'anorexie est à l'alimentation : un
manque d'appétence » – pour décrire le peu d'enclin qu'ont les Français pour les médias
d'information : la population française compterait parmi celle qui, en Europe, lit le moins de
journaux. Pis, le taux de pénétration de la presse quotidienne en France ne cesse de régresser –
254 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants en 1970 contre 140 exemplaires pour 1 000
habitants en 2006 –, plaçant ainsi le pays à la dernière place européenne. Concernant
l'information radiophonique, son audience est aujourd'hui dépassée par celle des programmes de
divertissement sur la FM. Et, du côté de l'écran télé, le JT de vingt heures – quand bien même il
demeure une institution –, voit son audience ne cesser de diminuer. On y verra alors souvent la
concurrence des journaux gratuits, de la TNT et d'Internet réunis.
Pourtant, le bouleversement des affectations des diverses séquences journalières et la
fragmentation et la diminution du temps libre disponible , ainsi que les aspirations nouvelles de
8 Journaliste et blogueur spécialisé dans les problématiques concernant les Technologies de l'Information et de la Communication
9 Directeur des études de l'Atelier (www.atelier.fr), organe de BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies10 Jenkins, H, « Eight Traits of the New Media Landscape » in henryjenkins.org, 6 novembre 2006 : http://www.henryjenkins.org/2006/11/eight_traits_of_the_new_media.html (05/09.2010 à 18h53)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 11
l'homme hypermoderne11, en sont des causes bien plus complexes, profondes et déterminantes
sur le long terme. Aussi, les audiences fuient car elles ne trouvent plus satisfaction dans
l'information telle qu'elle est délivrée notamment par la presse papier : redondante dans la forme
et le fond, peu flexible car contrainte par le temps de la production/diffusion, de moins en moins
en phase avec la société, car ni fluide ni asynchrone. « De nombreux journaux vont disparaître
pour ne pas avoir compris Internet à temps et pour l'avoir ensuite mal utilisé », explique Alain
Joannès. Pour ne pas avoir compris Internet... ni son audience ajouterait-on.
A l'inverse du temps de l'information tel qu'organisé par les médias traditionnels
jusqu'alors, Internet, et la dématérialisation qu'il implique, modifie radicalement la diffusion de
l'information devenue réactive, instantanée, immédiate, multimédia. Avec l'arrivée des nouvelles
technologies, le temps est comme démultiplié : dans les transports en commun, j'écoute une
émission de radio podcastée, consulte Facebook, un journal ou un site d'information ; durant une
recherche sur internet pour un devoir universitaire, je discute avec mes amis via ma messagerie
instantanée, jette un oeil sur une chaîne d'information en continue, etc. Ainsi est bouleversée la
segmentation temporelle d'une journée, l'individu tend à devenir un être multi-tâche, et les
nouvelles technologies de l'aider dans cette démultiplication du temps disponible12. De fait, une
journée de 24 heures tend à durer quelques minutes de plus au regard de tout ce que l'individu a
désormais la possibilité d'effectuer en un jour.
Notons toutefois que, pour l'instant, Internet n'est pas encore devenu la première source
d'information des citoyens/consommateurs. La télévision demeure le premier support avec lequel
la majorité s'informe, devant la radio, la presse, puis Internet. Reste que depuis quelques années,
la bascule des pratiques s'amplifie et Internet d'y prendre une place déterminante. Certes, la
télévision est toujours le média dominant mais son écoute en direct a diminué au profit du
visionnage en différé (sur Internet, DVD, téléphone...). De même pour la radio. Et la lecture
d'information sur papier diminue légèrement au profit de celle circulant sur Internet ou encore
l'Internet mobile – mais nous n'avons jamais autant lu.
« Passer en revue [des] sites d’importance très variée, permet de voir comment ceux qui
11 Portrait type décrit par la sociologue et psychologue Nicole Aubert dans son ouvrage paru en 2005 et intitulé L'individu hypermoderne, Paris, Erès : « Centré sur la satisfaction immédiate de ses désirs et intolérant à la frustration (...), il est débordé de sollicitations et d'exigences d'adaptation permanente conduisant à un état de stress chronique. pressé par le temps et talonné par l'urgence, il développe des comportement compulsifs et trépidants qui visent à combler ses désirs dans l'immédiat et à gorger chaque instant d'un maximum d'intensité. »
12 Selon une étude Médiamétrie/Bearing Point, le nombre de contacts médias et multimédias a progressé sur les quatre dernières années et atteint en 2009 près de 40 contacts quotidiens. Une progression qui touche l’ensemble des médias et des activités multimédias, avec une pratique de plus en plus fréquente des médias en dehors de leurs supports d’origine. Transmédia, numérique, nouveaux comportements : le multimodèle comme nouvel horizon des médias ?, Mediamétrie/Bearing Point, 1ère édition, 2020 -2011
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 12
les utilisent ont recours à des instruments, prennent des habitudes, des plaisirs, qu’ils ne
trouvent pas dans les médias traditionnels » , expliquent dans leur ouvrage Francis Pisani et
Dominique Piotet. Ainsi, pour prendre le pouls de l'actualité, l'internaute va s'inscrire aux flux
RSS13 de ses sites et blogs favoris, parcourir Google Actualité ou le portail de Yahoo!, se créer
une page NetVibes14. Wikipedia lui offre une recherche rapide sur un sujet quelconque, qu'il
approfondira via une seconde requête sur un moteur de type Google. Le portail de blogs
Paperblog va lui permettre de consulter les billets des blogs les plus lus, appréciés ou
commentés, et même y voir figurer le sien en bonne place. User de Youtube ou de Flickr permet
de visionner ou partager des millions de vidéos et photos. Myspace et Facebook vont lui
permettre de découvrir les créations de nombreux artistes, s'informer des événements qui se
passent près de chez lui et auxquels participent ceux qu'il côtoie. De tels réseaux vont en sus lui
permettre de se créer un carnet de connaissances. Une application Twitter va quantifier en temps
réel les termes les plus utilisés sur sa plateforme afin d'envisager les prochains buzz à venir. Etc.
Autant d'exemples qui présentent les diverses aspirations de l'internaute : volonté de s'informer,
rapidement et immédiatement, sur des sujets bien précis et dont il a besoin ou envie dans
l'instant, mais aussi de rencontrer, de partager, de laisser une trace, de contribuer.
Et Alain Joannès de prévenir : « Littéralement pressurés, les médianautes15 sont voués à
des arbitrages permanents entre leurs habitudes et les nouvelles sollicitations. Ils seront de plus
en plus volages et cette inconstance formera des audiences aussi fragmentées qu'instables, en
perpétuelle recomposition. » Nous y sommes déjà.
b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité
Fabien Granjon, sociologue au sein d'Orange Labs, et Aurélien Le Foulgoc, chercheur à
l'Université Panthéon-Assas, ont réalisé une enquête qualitative16 afin de faire émerger et de
mieux comprendre les usages sociaux de l'actualité17. Nous reprenons ici quelques uns de leur
13 Syndication de contenu web14 Portail web français personnalisable : chacun module sa page et ses onglets en fonction des services et
informations qu'il souhaite recevoir, et qui proviennent de divers sites. 15 Alain Joannès décrit ainsi le médianaute : il est « une des facettes de l'individu hypermoderne [...]. Sollicité par
une masse d'informations et de messages publicitaires, le médianaute se comporte en « programmateur de ses centres d'intérêt ». Il puise dans les stocks (presse imprimée ou archives numérisées) ou dans les flux (radio, television, Internet), au gré de ses curiosités et de ses intuitions. »
16 Enquête menée auprès de 35 personnes âgées de 15 à 70 ans (pour moitié des femmes et aux 4/5es utilisateurs quotidiens d’Internet), développant toutes des pratiques quotidiennes de l’actualité sur différents supports (presse écrite, télévision, radio, internet, etc.) et occupant des positions sociales différenciées (chômeur, étudiant, ouvrier, employé, profession libérale, retraité, etc.)
17 Il a été demandé aux personnes suivies de remplir pendant une période de dix jours un carnet de bord à l’intérieur duquel elles devaient renseigner, quotidiennement et avec une grande précision, l’ensemble de leurs pratiques de consommation de l’actualité médiatique (support, heure, lieu, durée, contenu, niveau d’engagement
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 13
résultats18, significatifs et proches des conclusions contenues dans diverses études questionnant
le marché de la consommation des contenus d'actualité. Les deux auteurs expliquent d'entrée :
« À la profusion des programmes et des contenus mis à disposition, viennent se greffer de
nouveaux usages (multi-écrans, délinéarisation, agrégation de contenus, etc.) qui tendent à
déplacer les routines et les expériences informationnelles et à faire bifurquer les trajectoires
d’usages des individus. Pour peu que l’on soit attentif aux contenus convoqués, à la manière
dont ils sont enrôlés, ainsi qu’à la valeur sociale (pratique et symbolique) dont ils sont crédités
par celles et ceux qui les fréquentent, les pratiques de consommation de l’actualité (news)
apparaissent de plus en plus diverses. ».
Le capital socio-culturel et le poids générationnel
Plus le niveau de certification scolaire est élevé, plus on s’intéresse à l’actualité et plus on
mobilise par ailleurs Internet. Inversement, la population consommant des contenus d’actualité
en ligne est aussi celle qui en consomme le plus via les supports traditionnels. Auusi, les auteurs
constatent que les usages d’Internet pour s'informer ne se substituent jamais complètement aux
pratiques développées sur les supports traditionnels, venant davantage les compléter.
Egalement, la consommation d'information diffère selon les âges. Les pratiques «
juvéniles » (moins de 25 ans) d’information se caractérisent par un intérêt marqué pour certains
types de médias/supports (radios musicales, téléphone portable, blogs, vidéos courtes, émissions
TV). Les jeunes internautes apprécient particulièrement les actualités leur permettant « d’être à
la page » et d’entretenir des conversations avec leurs pairs et ne font pas preuve d'un
investissement marqué dans leur consommation. Les appétences informationnelles des plus de
55 ans sont, elles, nombreuses et portent notamment sur tous les types de médias traditionnels.
Quant à Internet, ils développent une large appétence pour les rubriques « actualités » des sites
généralistes et pour les sites de presse où ils sont grands consommateurs d'articles.
Des comportements « consommateur » versatiles
Si, pour certains Français, Internet est devenu un moyen privilégié de s’informer et de
suivre l’actualité, leurs préférences vont encore assez largement aux médias de masse19 - ils sont
dans la pratique, activités parallèles, personnes présentes). Des sections du carnet ont également été réservées à l’enregistrement et à la description des discussions (en présence ou à distance, écrites ou orales) que les enquêtés ont eues en relation avec l’actualité médiatique. Deux entretiens semi-directifs ont ensuite été conduits avec chacun de ces individus.
18 Pour lire les résultats : « Les usages sociaux de l'actualité » in Presse en ligne, Revue Réseaux n°160-161, La Découverte, 2010
19 97 % d’entre eux consultent un média « traditionnel » à des fins d’information au moins une fois par semaine : 93 % mobilisent la télévision, 77 % la radio et 59 % la presse (enquête récente réalisée par le laboratoire
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 14
tout de même 58% à déclarer consulter Internet à des fins informationnelles au moins une fois
par semaine tandis que, chez la jeune génération, Internet passe devant la radio et la presse.
D'une manière générale, en terme d’usages des contenus d’actualité, la règle est celle du mix-
médias20. Par ailleurs, la consommation d’actualité en ligne est une activité qui, au global,
s’avère peu spécialisée et peu personnalisée.
Aussi, en ligne, l'écrit est le format qui demeure le plus prisé par les internautes qui, s’ils
s’intéressent de plus en plus à des contenus innovants restent encore attirés par une narration
classique : ils la supposent plus à même de (rap)porter une charge informative qu’ils jugent plus
« complète », plus « objective » ou encore plus « critiquable » au sens de « qui mérite d’être
reprise et discutée ». Quant à la lecture, les pratiques de consultation d’actualités en ligne
amènent à une logique de consommation plus flottante : logique d'hybridation et d'enchaînement.
Concernant la temporalité de cette consommation, Internet, tout en permettant une
diversification des sources, entraîne également le développement d’autres formes de pratiques
d’information qui viennent par exemple se loger au creux des emplois du temps, profitant d’une
pause, d’un moment de détente ou d’un surf « sérendipitaire » pour mobiliser des news
d’origines diverses.
Aussi, les résultats de l'enquête relativisent l’importance des formes de recherche de
l’actualité qui seraient forcément actives, volontaires, ciblées et tournées vers une optimisation
des ressources. Chez les individus disposant d'un niveau de certification élevé et ceux qui
développent un intérêt marqué pour l'actualité, ces attitudes de recherche existent effectivement.
Pour les autres internautes qui peuvent à l’occasion s’engager dans de tels usages, ceux-ci
suivent un parcours permis par une accessibilité immédiate et une opportunité qui n’a pas été
nécessairement recherchée.
Notons enfin que les jugements portés sur les contenus varient fortement selon le
contexte : en situation de sérendipité, la brièveté devient une valeur positive de l’information,
alors qu’à d'autres moments, les formats informationnels les plus courts sont critiqués pour leur
faible charge explicative.
Sociology and Economics of Networks and Services (SENSE, 2009) sur les consommations cross-media des internautes français : internautes âgés de 15 ans et plus, équipés d’un téléphone mobile, ainsi que d’Internet et de la télévision à domicile. 1053 individus ont répondu à cette enquête)
20 Quotidiennement, 42 % des internautes mobilisent des médias traditionnels dans des agencements variés, tandis qu’ils sont 40 % à y adjoindre Internet. Concernant les fréquences hebdomadaires, les couplages médiatiques comprenant de l’Internet deviennent largement majoritaires (59 %) tandis que les mix-médias traditionnels ne représentent plus que 35 %.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 15
Une relation ambiguë à l'actualité
Les individus interrogés ont le sentiment d’évoluer dans un environnement où ils sont très
(trop) fréquemment « sollicités par des offres d’information ». La fraction de la population la
moins diplômée affirme « subir l’actualité » et essayer de la « consommer avec modération ».
Cette abondance médiatique conduit à des formes d’inquiétude : ces individus restent attachés
aux médias traditionnels en ce qu'ils leur offrent un ensemble d’informations à portée collective,
sur lequel ils peuvent s’appuyer pour avoir une connaissance qu’ils jugent le plus souvent «
suffisante » pour se sentir « en prise avec ce qui se passe ». Les autres (les plus diplômés
notamment), au contraire, appréhendent positivement les ressources médiatiques dont
l’abondance leur permet de disposer rapidement de toutes les actualités dont ils estiment « avoir
besoin ». Ils font davantage usage d’Internet et en profitent pour donner de l’amplitude à leurs
consommations en variant notamment les sources de contenu. L’abondance informationnelle
provoque chez eux le sentiment d’avoir l’assurance de pouvoir se tenir pleinement et facilement
informé, quel que soit le sujet considéré. Globalement, polymorphes et omniprésents, les
contenus d’actualité sont appréhendés par tous comme une envahissante nécessité dont il faut
apprendre à tirer profit.
Aussi, la consommation d'actualité répond à un besoin de routine. Cette routine rythme et
ponctue les journées, elle devient un repère qui fonde le sentiment d’être « en prise avec le
monde et la réalité » et structure concrètement certains engagements pratiques comme la
possibilité de discuter de certains sujets ou se forger une opinion. Cette consommation répond
donc également à un besoin d'appartenance.
Une monnaie pour les échanges sociaux
Il faut noter que c'est notamment l’engagement dans une discussion qui va conduire les
individus à élaborer de l’information et à accroître leur savoir. De là, les réseaux sociaux
apparaissent, en ligne, comme des outils de production/transfert d’information mais également
de production de publics : ils stimulent le partage des contenus d’actualité car c’est notamment
par ce biais que peuvent se créer de nouveaux contacts. Ils permettent également de stimuler la
curiosité : la production de liens faibles sur les sites de réseaux sociaux peut conduire à la
fréquentation de contenus inédits. Ainsi, les individus glanent de l’information auprès de leurs
interlocuteurs de la même manière qu’ils récoltent de l’information dans les médias traditionnels,
au gré des opportunités qui leur sont offertes. L’information, produite ou simplement relayée,
prend ainsi une tout autre valeur que celle d’une médiation publique entre des faits et des
personnes. Reste que demeure, comme sus-mentionné, une inégalité devant la supposée liberté Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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d'expression en ligne. Si Internet offre des espaces propres aux débats et à la formation d'opinion,
c'est dans la limite des dispositions et des sens pratiques acquis par ceux qui les fréquentent.
Sans s'imposer telle une vérité, cette enquête ici résumée a toutefois le mérite de montrer
en quoi il demeure illusoire de vouloir prendre les consommateurs d'actualité comme des êtres
aux mobiles semblables, comme une masse aux mêmes inspirations : il existe autant de raison de
s'informer que d'individu le faisant. Les variables sont telles, et les évolutions si rapides. Reste
des attitudes, des valeurs, des conditions, sur lesquelles jouer.
2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »
On le voit, l'information délivrée par les médias souffre moins d'une baisse d'appétence
que d'une recomposition des usages et des mobiles sociaux. Reste que les médias doivent faire
avec une crise économique majeure en partie due à : la fuite des audiences vers des espaces
d'informations hors médias ; le peu d'enclin de cette audience à payer pour une information
présente partout ailleurs que uniquement sur les sites des médias, de surcroît de manière gratuite.
L'information telle que délivrée par les médias n'a-t-elle plus de valeur spécifique ? Il suffit de
reprendre les propos du journaliste David Simon pour comprendre cette perte des certitudes :
« Ce que je ne comprends plus, c'est si l'information elle-même à encore une valeur. Sous
n'importe quel format, n'importe quelle forme de diffusion, est-ce que la compréhension des
événements au jour le jour est encore quelque chose que l'on peut vendre ? Ou est-ce que nous
nous sommes abusés nous-mêmes ? Est-ce qu'un journal n'était viable qu'aussi longtemps qu'il
publiait des petites annonces, des bandes dessinées et les derniers résultats sportifs ? »21
Dans son cahier des tendances automne-hiver 2009/2010, Eric Scherer22 affirme un fait
accepté par beaucoup d'autres penseurs des médias : « La valeur des journaux imprimés et des
magazines n'étaient pas tant dans leur contenu, que dans l'accès à leur contenu, dans leur
commodité et leur confort d'usage, pour un prix modique. Le monde arrivait à nous de manière
pratique. Il était impossible d'extraire la valeur du contenu de l'ensemble combinant distribution
physique/publicité/contenu. » Le blogueur Narvic23 ne dit pas autre chose : « Dans l’ancienne
21 Simon, D, « Does the News Matter tu Anyone Anymore? » in The Whashington Post, 20 janvier 2008 (traduction : Bernard Poulet)
22 Directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP : Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/
23 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 : http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 20h43)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 17
économie de la presse, les contenus n’avaient peut-être déjà pas autant de valeur économique
qu’on voulait bien le croire. Mais ça ne se voyait pas. D’abord car on était dans une situation de
rareté de production (..) [et] dans une situation de rareté de diffusion ». Dans un monde où
l'information est omniprésente (de partout, via n'importe quel support et en temps réel), relayable
et recopiable à merci, par n'importe qui, le contenu d'actualité – au sens du fait nouveau rapporté
à un public - se trouve extrait d'un écosystème qui avait auparavant fait sa viabilité. Sur Internet,
le bien information répond d'un coût de (re-)production quasi nul, et devient un bien non-rival et
non-excluable. Avant, l'accès à était le seul outil de monétisation. Alors qu'aujourd'hui l'accès à
est devenu gratuit24, comment parvenir de nouveau à faire payer l'information ?
Robert G. Picard, spécialiste de l'économie des médias, démontre de son côté en quoi
« l’information a toujours été financée par des revenus qui dépendaient de la valeur de cette
information pour d’autres activités. »25 Et de dérouler une histoire de la monétisation de
l'information pour mieux nous en convaincre, jusqu'à la naissance du modèle des médias de
masse, apparu à la fin du XIXè siècle : « Dans ce modèle, l’information est fournie aux masses à
un prix bas, mais subventionné par la vente de publicité. Comme la plupart du public n’est pas
intéressée par le suivi des événements au jour le jour et par l’info d’actualité (hard news), le
gros du journal est consacré au sport, au divertissement, au lifestyle et à tous les dispositifs qui
accroissent l’appétence du public à dépenser son argent pour le produit. Ce modèle des médias
de masse reste le modèle prédominant pour le financement de la recherche d’information et sa
distribution, mais son efficacité diminue à mesure que l’audience « de masse » devient une «
niche » d’audience dans les pays occidentaux avec le départ de ceux qui sont le moins intéressés
par l’information d’actualité (hard news) vers la télévision, les magazines et Internet. »
L'accès devient gratuit, la spécialisation va croissante et attire au gré des affinités, les
produits d'appel auparavant « rares » n'ont plus raison d'être. Conclusion implacable :
l'information n'a jamais été un bien commercialement viable et ne le sera pas plus demain. Il faut
alors réinventer les « objets » qui attireront une demande, elle-même prête à participer au
financement de l'information. Et les médias en ligne de peiner et de ne cesser de chercher. C'est
là toute leur difficulté : « Activité professionnelle schizophrénique d’une certaine manière,
l’activité éditoriale doit ainsi constamment concilier les dimensions apparemment antagonistes
de la création artistique/intellectuelle et de la valorisation commerciale. »26
24 En partie seulement : l'utilisateur paye indirectement l'accès aux FAI (fournisseurs d'accès à Internet), et se vend en partie en acceptant l'intrusion de la publicité lors de sa consommation.
25 Picard, R. G., « News has never been a commercially viable product » in The Media Business, Robert G. Picard, 31 juillet 2010 : http://themediabusiness.blogspot.com/2010/03/news-has-never-been-commercially-viable.html (18/08/2010 à 21h07)
26 Rebillard, F, Le Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’internet, Paris, L’Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
18
a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France
L'universitaire Yannick Estienne, dans son ouvrage intitulé Le journalisme après
Internet27, distingue trois temps forts de l'arrivée des médias français sur Internet : le temps des
pionniers (1995-1998) ; l'essor de la presse en ligne (1998-2001) ; la crise (2001-).
1995 -1998 : l'expérimentation
Les entreprises de presse française voient avec Internet de nouvelles opportunités de
captation de l'audience et de diversification de leur support de diffusion. Les premiers sites-titres
sont créés entre 1995 et 1996 mais demeurent encore pauvres éditorialement parlant. L'idée est
alors de rendre visible la marque sur le web, rien de plus. Aussi, la conception des sites web est
bien souvent guidée, et contrainte, par les expériences passées dans le domaine de la télématique.
De la forme au fond en passant par le modèle économique, rien n'est défini. On expérimente, on
bricole. La stratégie n'est pas encore de mise.
1998 - 2001 : la stratégie
Les médias en ligne ne prennent leur essor qu'au tournant de l'année 1998. Avec l'arrivée
massive des médias, la nécessité pour chacun d'un positionnement éditorial et commercial
s'impose. Les investissements affluent vers les départements ou filiales ad hoc alors créés. La
presse, qui connaît depuis plusieurs années une situation de crise place dans Internet beaucoup
d'espoir – jusqu'à y voir la condition de sa survie. D'ailleurs, l'autonomisation des rédactions web
est engagée : elle doivent-être visibles, dotées de moyens propres, créatives et non freinées par le
papier, proches de la culture des « start-up ». L'heure est à la conquête de parts de marché dans le
secteur de l'information en ligne et à la diversification. A partir de 2000, se développent des
produits multimédia interactifs : bien que les limites technologiques freinent ces ambitions
(faible pénétration du haut débit), il s'agit d'explorer davantage encore les potentialités d'Internet.
Aussi, on enrichit l'écrit : au delà du simple copier-coller des contenus papiers vers le web, le site
agrège fils de dépêches, dossier thématiques, compléments d'informations, liens, etc. Différentes
voies éditoriales sont ainsi explorées : allant du copier-coller des contenus papier sur les sites, au
complément d'information, à l'enrichissement du contenu préexistant jusqu'à la création d'un
contenu propre et multimédia. De même que l'on expérimente divers modèles économiques,
naviguant du payant au gratuit : le financement par la publicité, la vente de contenu et l'e-
commerce. Tout est à inventer.
27 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
19
2001 - ? : la crise
L'importante crise boursière et financière qui survient en 2001 déstabilise profondément
les médias et leurs espoirs. De nombreux projets sont suspendus ou même arrêtés, certains sites
s'appauvrissent. Après les forts investissements consentis, l'heure est à la recherche d'économie :
compression des coûts, réduction des effectifs, etc. Paradoxalement, cette période de restriction
budgétaire s'accompagne d'une diffusion plus large d'Internet, d'une hausse de l'audience, d'une
maturité des rédactions web. Internet commence à s'imposer comme support d'information
incontournable. Or, dans un contexte où les site-titres ne sont toujours pas rentables et les
versions papiers les quasi seuls financeurs de l'entreprise de presse, la question de la gratuité de
l'information et, par extension, de la survie des médias traditionnels, se pose. Les modèles
informationnels d'hier (financement par la publicité et la vente) se voient remis en question.
Du modèle gratuit, en cours jusqu'au début des années 2000, les médias en ligne, suite à
l'éclatement de la bulle Internet en 2001, sont venus à des modèles payants, sans grandes
réussites, pour retenter la gratuité quelques années plus tard et aujourd'hui se retourner vers le
payant. Ces va-et-vient, qui plus est effectués sur de très courts cycles, et les tentatives de
constitution de modèles hybrides, démontrent bien les difficultés qu'ont les médias en ligne, en
2010 encore, à trouver un financement sain et durable. Nous allons ici identifier les différents
modèles existant et les raisons de leur « défaites ».
b) Le modèle gratuit
C'est le modèle qui a prévalu jusqu'au début des années 2000, laissant ensuite en grande
partie place au payant ou à l'hybridation. La gratuité était alors le meilleur moyen d'attirer et
retenir le lecteur sur le site : il fallait se faire connaître puis fidéliser, et surtout construire une
audience monnayable auprès des annonceurs. Les titres traditionnels et les revenus publicitaires
finançaient les éditions web. La gratuité était alors perçue par les responsables de ces médias
comme un principe temporaire correspondant à la phase de décollage nécessaire du média en
ligne. C'était sans compter sur une culture de la gratuité qui allait aller en grandissant. L'esprit
d'Internet prône une certaine culture de la gratuité, via la circulation libre de l'information, le
partage des connaissances et la coopération en réseau, décentralisée et désintermédiée : difficile
d'imposer un modèle capitaliste dans un écosystème libertaire. Aussi, le recours à la gratuité par
les éditions web semble avoir tué dans le même temps les éditions papiers : pourquoi dès lors
acheter le journal ? D'autant que fleurissaient dans le même temps les quotidiens gratuits. Et que Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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les médias audiovisuels continuaient d'apparaître aux yeux du lecteur comme une offre gratuite.
Ajoutons encore à cela que les blogs, webzines et autres portails sur Internet offrent aux
internautes une information là encore gratuitement. L'information est présente partout, en flux
tendu et en accès libre : pourquoi la payer ? La question se tient. En 2000 comme aujourd'hui, les
mêmes problématiques demeurent. Le financement des contenus d'actualité par l'audience, c'est à
dire par la publicité, n'a pas encore prouvé sa viabilité. D'autant qu'à regarder les comportements
des consommateurs, volages et infidèles, on comprend la réticence des annonceurs. Ce qui fait
dire au blogueur Narvic28 : « Allez donc bâtir une économie viable des sites d’actualité
professionnels dans de telles conditions de fragmentation des usages, et donc des audiences !
Surtout quand toute l’économie de la publicité en ligne des sites de presse reste totalement
organisée autour de la constitution de marques, censées offrir aux annonceurs des
« environnements éditoriaux » propices, attirant une audience qualifiée et justifiant d’y vendre la
publicité plus cher que partout ailleurs sur Internet. » Au printemps dernier, le cabinet Precepta
affirmait clairement devant les membres du Geste (Groupement des éditeurs de service en ligne)
: en matière de revenus en ligne, « les sites médias français sont des nains publicitaires sur
Internet » face aux géants du web (Google, PagesJaunes, Yahoo!, MSN ou Orange). Les revenus
web n’ont représenté en 2009 que 2,8% du chiffre d’affaire total des médias français, or,
« aujourd’hui la répartition des revenus des médias en ligne est la suivante : 63% vient de la
pub, 18% des contenus payants, 6% du B2B et de la syndication et 5% de l’e-commerce. (...) À
eux tous, les médias français, reçoivent trois fois moins que l’ensemble des grands agrégateurs
et deux fois moins que le seul Google. »29 Alors que nombre des médias visent aujourd'hui des
modèles de monétisations autres que celui de la publicité, on notera cependant l'émergence des
médias à but non lucratifs30 et, avec eux, de nouvelles voies alternatives31 de financement de
l'information « gratuite »32. En France, l'association Owni (un laboratoire du « digital
journalism » agrégeant et produisant des contenus), éditée par la société 22mars, est l'un des
grands défenseurs de l'hybridation des revenus entre activités commerciales et à but non lucratif.
28 Narvic, « Avenir des médias en ligne : l'impossible équation » in Novövision, 31 mai 2010 : http://novovision.fr/avenir-des-medias-en-ligne-l (19/08/2010 à 21h21)
29 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (16/08/2010 à 20h26)
30 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010, p.51 : http://mediawatch.afp.com/ 31 Le journaliste Jean Abiatecci énumère sur son blog quelques unes de ces solutions : les subventions publiques, le
mécénat d'entreprise, le sponsoring des sujets d'enquêtes, l'appel aux dons des internautes, la revente du contenu, la déclinaison des sujets sur différents supports à valeur ajoutée, faire de la formation, éditer des livres, vendre des goodies, vendre des photos en ligne, vendre des services et placer de la pub. Abbiateci, J, « Quels financements possibles pour un média ? » in Papier Brouillon, 28 mai 2010 : http://papierbrouillon.posterous.com/check-list-quels-financements-pour-un-media (16/08/2010 à 10h39)
32 Seeking Sustainable, A Roundtable, Knight Foundation, 11 juin 2010 : http://www.knightfoundation.org/research_publications/detail.dot?id=364196
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c) Le modèle payant
Après 2000, et aujourd'hui encore, les médias en ligne cherchent un équilibre entre offre
payante et offre gratuite et les réflexions s'engagent : quels contenus, quels services, faire payer ?
A qui (quelle est la motivation d'achat) ? Et comment (micro-paiement, abonnement) ? Jusqu'où
aller sans risquer de perdre une audience significative ? Quelle est la marge de progression des
ventes par abonnement ? D'autant que le passage brutal d'une information gratuite à une
information payante reste difficile à faire passer auprès des internautes, aussi fidèles soient-ils.
Le dernier exemple en date est certainement spectaculaire : le magnat des médias Rupert
Murdoch a institué un « paywall » total sur le site de The Times, en juin dernier. Les chiffres
(dont la perte de 90% de l'audience)33, encore difficiles à analyser à l'heure actuelle, devraient
apporter certaines réponses. On notera également le projet de monétisation des contenus du New
York Times, annoncé pour début 2011 : après une expérience déçue en 200534, le journal opte
pour le paiement à la durée, un système qui propose au lecteur qui aura consulté un certain
nombre d'articles en ligne un abonnement pour avoir accès aux autres contenus. Une logique qui
ne cherche cependant pas à se couper du trafic issu des moteurs de recherche et réseaux sociaux :
le président, Arthur Sulzberger explique logiquement ne pas souhaiter retirer son site de
« l'écosystème du Web ouvert »35. Difficile enjeu : maintenir une audience forte tout en créant des
revenus additionnels via la vente de contenus – et donc un accès restreint. Pour l'heure, on le voit
bien, des sites comme Mediapart ou Arrêt sur Image, qui ont opté dès le départ pour un accès
sous condition d'abonnement, peinent à parvenir à l'équilibre.
Au delà de ces cas radicaux, l'enjeu est là : parvenir à constituer une base d'abonnés
financièrement tenable tout en maintenant, du côté des contenus gratuits, une audience
monnayable auprès des annonceurs. On parle alors de formule Freemium : des contenus de
« luxe », enrichis, qualifiés, pour les abonnés ; des contenus standards, sans grande valeur
ajoutée, pour les autres. Actuellement, la tendance est à ce modèle, mixte, entre abonnement et
revenus publicitaires.
33 Raphaël, B, « The Times : premiers chiffres derrière le paywall » in La Social Newsroom, 19 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/19/the-times-premiers-chiffres-derriere-le-paywall/ (08/08/2010 à 19h47)
34 Le système Times Select alors institué consistait à rendre payant l'accès aux articles de ses journalistes et de ses éditorialistes les plus prestigieux.
35 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour-le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37)
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d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires
Les équipes web des médias tentent alors de se diversifier, à l'image de Rue89 qui
propose, outre son offre d'information, des ateliers de formation et un service de conception de
site. D'élargir leur audience, paradoxalement à l'aide du papier (Médiapart se lance dans l'édition,
Backchich et Rue89 lancent des formules papiers). Mais dans l'ensemble, les médias restent
proche du modèle publicité/audience et peinent à trouver de nouvelles voies de financement alors
même que le display rapporte de moins en moins d'argent. Le cabinet Precepta rappelait en mai
dernier cet état de fait36 auprès des membres du Geste et d'évoquer ses recommandations :
l'enrichissement de l'offre, la création de nouvelles valeurs ajoutées, l'exploitation de ressources
différentes ou de compétences rares, le recours aux donations voire aux subventions, une
meilleure valorisation de l'existant pour les annonceurs, des diversifications thématiques et
l'exploitation des débouchés mobiles. Enfin, explique le cabinet, des solutions collectives
devraient être tentées pour créer des rapports de force différents. Du côté de la mobilité
précisément, deux nouvelles sources de financement ont fait leur apparition : la vente
d'applications pour smartphones et pour tablettes numériques, dont le fameux iPad. Ce dernier
notamment, plébiscité par l'ensemble des professionnels de l'information, était attendu comme le
sauveur de la presse. Un espoir que terni déjà l'arrivée massive d'agrégateurs sur iPad : pourquoi
payer plusieurs applications quand je peux avoir autant de contenu en en achetant une seule ?
Quant aux solutions collectives, elles pourraient bientôt voir le jour : le Syndicat de la Presse
Quotidienne Nationale vient d'annoncer le lancement, fin 2010, d’un portail d’actualité payant,
tandis que le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale vient d'annoncer le lancement, sur
iPad, de son kiosque numérique. Reste que ces projets posent uniquement le problème de la
monétisation sans se tourner spécifiquement vers le contenu lui-même...
Bien que de nombreux organes tentent d'innover en terme d'écriture et de diffusion
originale de l'information (principalement dans les médias anglophones), les médias restent
penchés sur leurs problèmes financiers – certes majeurs – et moins sur la question de
l'information. L'écosystème informationnel évolue, l'idéologie fondatrice d'antan n'est plus. Les
pratiques informationnelles (production, diffusion, consommation) changent tandis que des
acteurs hors médias bouleversent la filière de l'information en ligne. Il faut comprendre et jouer
avec ces conditions plutôt que d'essayer d'y mettre fin. Il n'y aura pas de retour en arrière.
36 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (08/08/2010 à 20h19)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 23
II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente
Nous nous intéressons ici aux évolutions de la filière de l'information en ligne,
essentielles afin de comprendre ce vers quoi tend l'écosystème informationnel actuel37. De la
production jusqu'à la diffusion, les professionnels de l'information en ligne perdent
progressivement du pouvoir face aux pratiques amateurs et à l'émergence d'acteurs hors médias.
Dans le même temps et nécessairement, c'est l'ADN lui-même de l'information qui change.
1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne
Alors que la production de l'information n'est plus l'apanage exclusif des journalistes, et
que la diffusion de celle-ci échappe progressivement aux professionnels des médias, il importe
de recenser ici les différents protagonistes du paysage de l'information sur Internet. Parce qu'ils
influent sur les usages et la nature même de l'information et parce qu'ils sont amenés à
reconditionner l'écosystème de demain. Nécessairement, il faudra compter avec eux.
a) Production
Du contre pouvoir citoyen au média à la demande en passant par l'algorithme tout
puissant, le métier de journaliste se voit profondément bouleversé depuis l'arrivée d'Internet, il y
a quinze ans. Collecte, traitement, production de l'information n'appartiennent plus
exclusivement aux médias institués. Et, alors même qu'amateurs et professionnels hors médias
viennent concurrencer, avec un succès certain auprès du public, la mission journalistique, les
acteurs médias voient dans le même temps leur légitimité progressivement diminuer. Sans parler
de la concurrence qu'entretiennent entre eux les médias sur Internet : journaux, chaînes de
télévisions, radios, sites web s'affrontent en effet pour la première fois sur un même terrain. Qui
produit aujourd'hui l'information en ligne ? Dans quelles mesures et sous quel « droit » ?
Dressons ici une typologie des producteurs de l'information sur Internet.
Les médias professionnels
Les professionnels de l'information en ligne répondent du métier de journaliste et
s'inscrivent dans des entités médiatiques reconnues comme telles. Parmi les « anciens », nous 37 Voir en annexe un schéma représentant la filière de l'information en ligne.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 24
trouvons les sites titres de marques médias (presse, télévision ou radio) et les sites des agences de
presse (AFP, Reuters, AP) qui offrent en ligne des fils d'information dédiés aux particuliers38.
Parmi les nouveaux arrivants, nous trouvons les pure players, des éditeurs de presse en ligne dont
l'origine et l'activité sont entièrement liées à Internet : Rue89, Mediapart, Backchich, Slate, Arrêt
sur image, etc. Ils se sont récemment regroupés au sein du SIIL (Syndicat de la presse
indépendante d'information en ligne), créé en octobre 2009.
Les médias citoyens
On parle de « journalisme collaboratif », « journalisme participatif », « journalisme
citoyen » pour qualifier un phénomène significatif de ce que l'on appelle le Web 2.0 et son
pendant, l'« intelligence collective ». L'idée : chaque citoyen, également lecteur et consommateur
d'information, peut devenir à son tour producteur d'une information qui sera qualifiée puis
publiée par un professionnel. Alors que le prix des outils de production baisse significativement
et que leur usage devient de plus en plus simple, pourquoi ne pas orchestrer la production,
gratuite ou faiblement rémunérée, de ces journalistes amateurs ? Le premier exemple réussi de
média citoyen est OhMyNews, lancé en 2000 en Corée du Sud. En France, nous pouvons citer
Agoravox, fondé en mars 2005 par Joel de Rosnay et Carlo Revelli39 suite à un constat : « grâce
à la démocratisation effective du multimédia, et des NTIC, tout citoyen peut devenir
potentiellement un reporter capable d'identifier et de proposer des informations à haute valeur
ajoutée ». Depuis, on a également pu voir émerger des projets tels que LePost, lancé par
LeMonde Interactif en Septembre 2007 ou encore Rue89, lancé en mai 2007 par des anciens de
Libération. Notons qu'au-delà de ces médias citoyens, la logique du participatif s'est largement
répandue à l'ensemble des médias en ligne : le community manager, chargé d'animer la
communauté des lecteurs mais également de veiller et faire remonter les informations données
dans les espaces sociaux dédiés, est devenu un poste essentiel, bien souvent tenu par de jeunes
journalistes. De même, via la mise en place de sondages, votes, commentaires, blogs sur leurs
sites, les médias valorisent de plus en plus la participation du public à la production de
l'information. Aussi parce que, lui même valorisé par la mise en avant de sa contribution,
l'internaute est plus susceptible de revenir régulièrement sur le site...
38 Notons ici que l'AFP a le projet de créer un site entièrement dédié au grand public. Ce qui ne va pas sans susciter certaines critiques de la part des médias en ligne, vis à vis de ce client bientôt concurrent.
39 Co-fondateurs de la société Cybion, spécialisée dans l'Intelligence Economique.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Les blogueurs
Il est à noter que la pratique du journalisme amateur existait bien avant Internet, au
travers des fanzines ou encore du statut particulier des correspondants de la presse locale. Reste
que l'arrivée de ce nouveau moyen de communication offre à cette pratique une nouvelle
dimension. Jusqu'à dessiner aujourd'hui une importante sphère journalistique « extra-
professionnelle »40. Par ailleurs, le journalisme en ligne, en arrivant sur Internet, a du faire avec
un imaginaire prégnant, celui d' « un nouvel « espace public » qui permettrait l'expression libre
et absolue de tous en abolissant les médiations traditionnelles.».41 La généralisation, et le succès
certain, des pages personnelles – appeler ensuite « blogs », à partir de 2002 - traduit
spécifiquement ce projet. Et, alors qu'il fallait auparavant manier le code HTML et posséder de
bonnes bases informatiques pour ce constituer pages perso ou webzines, l'arrivée des CMS
(outils de gestion de contenu) démocratise le blog. On en compte aujourd'hui 143 890 000 dans
le monde42. Bien sûr, les blogs prennent toute sorte de formes, ils peuvent traiter des sujets les
plus intimes ou encore être alimentés par des experts, ils peuvent servir à commenter, de manière
plus ou moins sérieuse, ou encore à apporter des connaissances, ils peuvent être écrits à une ou
plusieurs mains. Nous nous intéressons ici spécifiquement aux blogs qui s'inscrivent dans une
démarche citoyenne face à l'information, « ces blogs conçus dans l'optique de diffuser et de
commenter une information, de donner à réfléchir et de susciter le débat. »43 Trois catégories
peuvent être distinguées : les blogueurs amateurs (qui relaient et commentent l'information), les
blogueurs experts (qui commentent l'information et partagent leurs connaissances sur un
domaine spécifique) et les journalistes blogueurs (qui trouvent des espaces d'expressions plus
libres et plus divers que leur média). Cette forme d'expression porte en elle l'aura de la
subjectivité mais également du contre-pouvoir salvateur quand les médias subissent de toute part
des critiques portant sur leurs supposés partialité et objectivisme mou. Il y aurait d'un côté les
blogs, l'opinion libre et désintéressée, et de l'autre les médias, les faits. Reste qu'aujourd'hui, les
médias hébergent nombre de ces blogs, qui contribuent notamment à subjectiver et qualifier une
partie de leur travail. Tandis que les blogueurs ainsi hébergés jouissent d'une audience
difficilement atteignable hors des frontières médiatiques.
40 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 200741 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 200742 Chiffres issu du rapport annuel de la société Technorati sur la blogosphère : State Of The Blogosphere 200943 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
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Les agences de contenus
En même temps qu'est apparue, pour les entreprises (au sens large), la nécessité d'aller sur
Internet, se sont développées les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) et autres
Web agencies et avec elles le marché de la conception, réalisation et maintenance de sites web.
C'est dans ce cadre qu'a notamment germé le marché des agences spécialisées dans la production
de contenus et services en ligne, proche du modèle des agences de presse, à savoir le B2B
(Business to Business)qu. Afin de pouvoir s'imposer sur le marché de l'information en ligne, ces
agences de contenus se sont spécialisées : dans le sport, la culture, les nouvelles technologies, la
science, etc. Deux modèles coexistent : la production de contenus en flux continu et l'édition
déléguée. Les premières veillent, collectent, traduisent et produisent des informations que les
clients vont consommer via l'abonnement à un fil de dépêches ou l'achat à l'acte puis exploiter
sur leurs propres sites. Les secondes produisent et vendent de l'information personnalisée en sus
d'une expertise éditoriale à l'intention de clients distincts. Elles produisent à la demande et
rentrent dans une relation client durable.
Les usines à contenu ou médias à la demande
« C'est un vieux fantasme de la presse et de l'édition : savoir précisément ce que le public
a envie de lire à un moment donné. Pour vendre plus et attirer davantage les publicitaires. (...)
Aujourd'hui, Internet et des outils statistiques tels ceux développés par Google (Google Trends,
Google Analytics) donnent la possibilité de savoir sur quels articles les internautes « cliquent »
le plus, quels sont les thèmes qu'ils cherchent sur les moteurs de recherche. Des informations
d'autant plus précieuses que plus de la moitié du trafic arrive désormais sur les sites de contenu
à partir des moteurs. »44 De nouveaux acteurs45 n'ont pas tardé à comprendre le potentiel du
média à la demande et d'asseoir le règne de l'information sur-mesure et/ou automatisée. On
notera notamment le portail Associated Content (les internautes y publient des articles liés à
l’actualité, des photos et des vidéos sur les sujets de leur choix en échange d’une rémunération :
le libre choix est censée coller aux inspirations des internautes/consommateurs), récemment
racheté par Yahoo!, mais surtout la société Demand Media qui fournit de nombreux sites en
contenu. Ce dernier dispose d'algorithmes puissants à même de connaître les sujets les plus
recherchés par les internautes, mais également ceux à même de rapporter le plus d'argent en
44 Ducourtieux, C, Ternisien, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)
45 Shaver, D, « Yoir Guide to Next Generation 'Content Farms' » in Mediashif, 19 juillet 2010 : http://www.pbs.org/mediashift/2010/07/your-guide-to-next-generation-content-farms200.html#comment-171240 (15/08/2010 à 17h25)
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consultation. Une fois ces paramètres déterminés, des milliers de rédacteurs freelance, « non
professionnels » et payés au rabais, produisent des contenus ad hoc. Sorte « d'industrialisation
de la « pige » traditionnelle »46. Où la pertinence du fond compte moins que son potentiel à
générer des revenus47. Ainsi, dans les deux cas, le principe se fonde sur l’industrialisation de la
production de contenu pour le web (plus exactement pour les moteurs de recherche) et sa
monétisation par la publicité (achat de mots clefs chez Google Adwords, affichage de pubs
ciblées). Le calcul est simple : « Chiffre d’affaires pub sur le contenu – (coût de l’article + coût
total d’acquisition ). Si le résultat est positif, vous avez gagné de l’argent sur ce contenu. L’idée
est d’en produire un maximum pour jouer sur le volume. »48 Bien que la majorité des sujets ainsi
produits rentrent dans la catégorie « pratique », il est intéressant de constater qu'un acteur tel que
Yahoo! vient de décider de créer un blog d'information, The Upshot, dont les contenus d'actualité
sont dictés par de tels algorithmes. Aussi, The Huffington Post, le pure player d'information
politique le plus influent outre atlantique, vient de racheter une société d'étude d'opinion.
La machine à contenu
Via des algorithmes d'une complexité toute autre, des ordinateurs sont désormais à même
de produire du contenu d'actualité49. Un programme d'intelligence artificielle50 permet déjà de
couvrir des événements sportifs et vise bientôt l'actualité financière. Egalement, ce programme
expérimente la fabrication de mini-journaux télévisés pour Internet. Au global, l'idée est ici de
pouvoir débarrasser les journalistes des tâches les moins nobles pour pouvoir se recentrer sur des
exercices plus pointus (enquêtes, reportages...). Et déjà, des rapprochements vers les médias se
font afin de créer des outils de veille et de collecte d'information.
46 Ducoutieux, C, Ternieisen, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)
47 Chez Suite101 par exemple, société canadienne présente en France, les auteurs sont rémunérés si les publicités associées à leurs articles sont « cliquées ».
48 Raphaël, B, « Quel avenir pour le 'media on demand' ? » in La Social Newsroom, 23 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/23/quel-avenir-pour-le-media-on-demand/ ((15/08/2010 à 17h32)
49 Lire à ce propos : Eudes, Y, « L'ère des robots-journalistes » in Le Monde, 10 mars 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/09/l-ere-des-robots-journalistes_1316608_3236.html (15/08/2010 à 18h18)
50 Baptisé Stats Monkey, il est conçu dans l'Illinois, aux USA, dans le laboratoire d'information intelligente (Infolab), installé sur le campus de l'université du Northwestern.
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b) Diffusion
Aujourd'hui, la difficulté première des médias en ligne réside dans la captation de
l'attention de l'audience : bien que se fût toujours été l'un des objectifs majeurs du marketing
éditorial, à l'heure d'Internet cela devient un enjeu de premier ordre, duquel dépend en premier
lieu la survie financière des titres. Alors même que les consommateurs ont des usages de plus en
plus volatiles, éclatés, individualisés, et que le processus de désintermédiation tend
progressivement à faire disparaître le rôle de « médiateur », de diffuseur de l'information,
préalablement affecté aux journalistes. Nous recensons ici les différents canaux et terminaux de
distribution de l'information empruntés par les médias, utilisés par les consommateurs.
Des canaux éclatés...
La newsletter et l'alerting
Une à plusieurs fois dans une même journée, les producteurs d'information transmettent à
leurs lecteurs, préalablement abonnés à leur newsletter, les informations dernièrement publiées,
directement dans les boîtes mails. La plupart offrent aussi la possibilité de personnaliser des
alertes (thématiques, localités, etc). Ainsi, chaque fois qu'est publiée sur le site une information
susceptible d'intéresser l'abonné, celui-ci reçoit un mail le prévenant. La même logique d'alertes
se répercute via les applications mobiles.
Les agrégateurs de flux RSS
--> Personnalisés. Pas un site ne manque aujourd'hui de proposer des abonnements à des
fils RSS. Ce procédé permet à l'internaute de recevoir, via sa boîte mail ou des outils agrégeant
ces flux, l'information qui l'intéresse, et ce en temps réel, sans nécessité de se rendre sur le site
d'origine. Et ces outils (Google Reader, Netvibes, Feedly...) de permettre à l'utilisateur
d'organiser sa page en diverses rubriques qu'il aura préalablement créé, d'y classer ses différents
flux, et par ordre de préférence, puis de choisir éventuellement la présentation qui lui convient.
--> Communautaires. On notera également que ces agrégateurs RSS permettent de voter
et/ou partager les contenus avec d'autres membres : on parle alors de recommandation. Sorte de
filtre social qui vient enrichir le filtre de base de l'algorithme. Les plus connus sont ici Digg ou
Delicious. Dans le cas du premier, le contenu est signalé (recommandé) par un utilisateur puis
commenté et noté par les autres membres du site : ainsi s'effectue la hiérarchisation de
l'information. Le second est lui un outil permettant de sauvegarder ses bookmarks puis Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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éventuellement de les partager avec le reste des membres : on le décrit souvent comme un outil
de veille collaborative. Proche de cette logique, de nouveaux sites offrent d'agréger l'ensemble
des liens partagés par votre réseau Twitter puis de les mettre en scène à la manière d'un journal.
--> Editorialisés. C'est le cas du Huffington Post outre atlantique qui sélectionne, selon
une ligne éditoriale définie (centre gauche de la vie politique), des contenus principalement issus
de blogs. De même, The Drudge Report aux USA ou Aaliens, en France, agrègent des liens vers
des contenus préalablement choisis. Owni, en France également, agrège l'intégralité des contenus
sélectionnés par son équipe selon une ligne éditoriale déterminée. L'utilisateur va ainsi aller sur
ces sites parce qu'il y trouvera du contenu sélectionné par des personnalités qualifiées, en
lesquelles il a confiance et avec lesquelles il partage une même vision.
--> Automatiques. Le plus connus étant Google Actualités, qui agrège sur une même
page des contenus issus de sites d'informations référencés par le moteur Google, via un
algorithme qui permet en outre de « clustériser » (rassembler par similitudes) différents contenus
se rapportant à un même sujet, ou encore de les classer par rubriques. Wikio fait peu ou prou la
même chose, en y ajoutant en plus des contenus issus de blogs, tandis que 2424actu agrège lui
des contenus multimédias (vidéo et audio (jouables sur le site), texte (liens profonds))51 .
--> Mobiles. On notera ici que ces agrégateurs ne se suffisent plus aux sites web mais
sont également présents sur smartphones (LeNews, 2424actu...) et sur tablettes numériques
(Apollo, Pulse, Flipboard...).
Les réseaux sociaux
L'information transite énormément via les réseaux sociaux, espaces numériques qui
regroupent des millions d'internautes et occupent une bonne partie du temps de connexion. Les
producteurs d'information l'ont bien compris et tentent un maximum d'occuper ces espaces et d'y
diffuser leur information : ce sont les rôles des community managers. Mais le partage
d'information se fait le plus souvent (et est le plus efficace) de membre à membre, par
recommandation (mes amis l'ont aimé, je devrais également l'aimer). Plus que Facebook, Twitter,
un réseau communautaire d'information, est le lieu symbolique de ces échanges.
La blogosphère
On notera également que la blogosphère joue un rôle important dans la diffusion de
l'information : d'une part via son rôle de commentateur, d'autre part via l'ensemble des liens
51 Ce dernier a aussi la particularité de signer des contrats autorisant cette agrégation avec des partenaires (ce qui restreint le panel de contenus agrégés), ce que ne fait pas un Google Actualité par exemple (mais ce qui lui permet de promettre une offre exhaustive).
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hypertextes présents dans les billets et renvoyant à autant de contenus d'information.
Le moteur de recherche
Ne l'oublions pas, il est le premier vecteur d'audience des sites médias. De fait,
l'optimisation du référencement est devenu un poste essentiel au sein des rédactions web auquel
s'ajoute l'achat de mots clefs chez Google Adwords.
Que l'internaute soit dans une attitude passive ou active face à l'information, qu'il
recherche une information recommandée par ses amis ou par des pairs qualifiés, il s'orientera
vers l'une ou l'autre de ces solutions. Aux médias d'être présents et de parvenir à s'adapter à
chacun de ces canaux et chacune de ces attitudes.
... et des terminaux multiples
Le site n'est plus le lieu incontournable de connexion à l'information. D'autres terminaux
permettent, instantanément et de n'importe où, d'accéder à l'information en ligne – devenue par là
même une information connectée. Les smartphones et autre tablettes numériques affirment le
règne de la mobiquité : où qu'il soit, l'utilisateur va pouvoir consulter l'application de LeMonde,
de LePost ou de Rue89, être alerté par ces mêmes applications dès qu'une information nouvelle
est publiée. Bien installé dans son fauteuil, le télénaute va se connecter à 2424actu via son
téléviseur. L'ordinateur n'est plus qu'un medium comme un autre, davantage tourné vers le travail
et la recherche active d'information, tandis que les terminaux sus mentionnés servent à une
consultation plus passive. Dans ces conditions, les médias en ligne mettent en place des
dispositifs spécifiques, en réponses à ces différentes attentions : des applications dédiées mais
également des contenus dédiés (de l'audio, de la vidéo, du texte, ou les trois à la fois) selon les
terminaux et attitudes de consommation visés. Car demain, peut-être faudra-t-il compter avec des
panneaux urbains interactifs à même d'alerter les badauds et de leur donner la possibilité de se
connecter, via leurs smartphones, à des sites d'information ; avec le web des objets ; avec la radio
numérique ; etc. Soit une information pervasive à laquelle il faudra nécessairement s'adapter.
On le voit, production et circulation de l'information se décentralisent progressivement et
de plus en plus rapidement. Alors qu'il importe d'ajuster constamment l'offre à un présent
instable, il est encore plus nécessaire de trouver les capacités de se projeter en avant. Dans un
futur qui arrive à grande vitesse.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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2) Nouvel ADN informationnel
Nous venons de le constater, avec l'évolution des pratiques professionnelles et la
multiplication et diversification des acteurs de l'information sur Internet, l'information, telle
qu'auparavant envisagée, évolue : émission, réception, environnement de production et de
diffusion, pratiques. Arrêtons-nous un instant pour tenter de cerner certaines caractéristiques, du
moins des tendances, de l'information en ligne52.
a) Eclatement de la chaîne de valeur
Une information décentralisée. Les médias traditionnels, malgré l'existence de leurs « doubles
numériques » sur la toile, se voient concurrencés par des acteurs hors médias, toujours plus
nombreux : grands groupes mondiaux de l'Internet proposant à la fois moteurs de recherche et
sites agrégateurs d'information ; organisations privées ou publiques diffusant de manière
autonome leurs propres informations ; les citoyens via les blogs, réseaux communautaires et
autres sites participatifs.
Une information déterritorialisée. Alors que les entreprises de presse traditionnelle se
caractérisent par un territoire spécifique de production et de diffusion de l'information, cette
dernière, via le web, a désormais la capacité de s'adresser à la planète entière. En découle un
public potentiel plus éclectique mais aussi fugace, éphémère, et difficile à fidéliser. En découle
également un frein en terme de développement face aux concurrents internationaux : la langue.
Une information hyper fragmentée. De moins en moins fidèle, le lecteur picore, à l'image du
zapping, ici une information sur le site de Le Monde, là une autre sur un blog... De fait, près des
deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche, de la recommandation, du
« buzz », et des flux RSS.
52 Nous nous sommes ici inspirés des travaux de Benoît Raphaël et Nicolas Pélissier. Raphaël, B, « Les 8 nouveaux gènes du nouvel ADN de l'information » in Demain tous journalistes ?, 10 janvier 2008 : http://benoit-raphael.blogspot.com/2008/01/mdias-les-8-nouveaux-gnes-du-nouvel-adn.html (05/09/2010 à 19h26). Pélissier, N, « L'information à l'heure d'Internet » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
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b) Modification des pratiques journalistiques
Une information hypertextuelle. A l'ère d'Internet, l'écriture journalistique évolue et lien
hypertexte en est l'outil principal. Sont privilégiés des textes courts, agrémentés de nombreux
liens renvoyant à d'autres documents à même de préciser un terme, d'approfondir une réflexion,
de contextualiser, de poursuivre un débat, de fournir un témoignage, etc. Sur Internet, le
journalisme se doit d'être ouvert, non conservateur.
Une information multimodale. Internet permet une diffusion multicanal de textes, images fixes
et animées, documents sonores et vidéos. Où les sites-titres peuvent retranscrire une information
issue du titre papier via l'outil vidéo, agrémenter une autre à l'aide d'un diaporama photo ou d'un
entretien sonore. Où une radio va pouvoir diffuser sur son site et de manière écrite les nouvelles
diffusées sur ses ondes, etc. Dans la logique du Rich Media, et si l'usage des divers outils
multimédia est fait de manière pertinente, une même information peut être déclinée en divers
angles, via différents formats, tous mis en relation les uns avec les autres pour une meilleure
compréhension du sujet.
Une information arythmique : alors que les médias traditionnels disposent d'une périodicité
établie, sur Internet l'information est délivrée en flux tendu et, sur les sites d'information, se
côtoient flux continu et de périodicités variables. Aussi, il n'est pas rare qu'un article mis en ligne
directement après sa rédaction, concernant par exemple un événement venant tout juste de se
produire, soit par la suite actualisé et complété au gré des dépêches. Ainsi, l'information est en
chantier permanent, un « work in progress » qui s'enrichit continuellement.
Une information formatée et recyclée. Si l'on s'intéresse à la forme des sites d'information, le
constat est claire : beaucoup ont fait le choix du fil d'actualité et du modèle tabulaire, ou restent
encore assez influencés par le support journal – il faut aller de l'autre coté de l'Atlantique pour
espérer trouver des modèles plus innovants. Quant au fond, l'information délivrée par les sites
d'information est peu ou prou la même d'un site à l'autre. D'une part les journalistes de ces
rédactions ont souvent les mêmes sources d'information (veille effectuée sur d'autres sites web
traitant de l'actualité, dépêches d'agence, blogs influents...) et, pis, les rédactions web des sites
souffrent d'un manque de moyens alloués en terme d'argent, de temps et d'outil propres à
produire des reportages ou une information originale. En découle la généralisation d'un
journalisme de desk, basé sur le copier-coller. Pas de grands reporters au sein des rédactions web
et peu de journalistes spécialisés auxquels donner du temps. Aussi, à l'heure où tout le monde
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rentre dans la course à l'audience afin de maintenir voir faire progresser les revenus publicitaires,
chacun s'essaie à produire une information qui sera par la suite bien classée dans Google
Actualité. Or, Google Actualité favorise les comportements moutonniers en mettant en avant les
articles traitant des sujets les plus... traités. Alors que, dans les médias traditionnels, tout auteur
d'un scoop était le héros du jour, dans l'univers Google, un site dévoilant un scoop ou toute autre
information inédite sera de fait pénalisé. Dans une étude53 menée par les universitaires Franck
Rebillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios, est précisément démontré le paradoxal manque
de pluralisme de l'information et la redondance de celle-ci sur internet.
Une information automatisée. Nous avons mentionné quelques exemples plus haut : le système
de syndication (dont le flux RSS est le plus répandu), et le modèle de Google Actualité basé sur
un système d'algorithmes. Il s'agit bien évidemment d'une logique d'intermédiation, ressentie
comme automatique, non de production de l'information journalistique. On rappellera ici des
exemples de journalisme de liens sus mentionnés (Aaliens, The Drudg Report, LeFocus), qui
prouvent que certains ont compris l'intérêt de filtrer, trier et éditorialiser les flux d'information,
aussi externes soient-ils. Dire oui à l'automatique, et y apporter sa valeur ajoutée.
c) Renouveaux des rapports à l'information
Une information personnalisée. Alors que le modèle traditionnel des médias de masse se base
sur le one-to-many, il s'opére aujourd'hui un glissement vers une communication sociale de type
one-to-one. De la production d'une information indifférenciée à l'intention du public, perçu
comme une entité, les médias en-ligne tendraient aujourd'hui vers une personnalisation de
l'information délivrée au public. De plus en plus de médias proposent aux internautes de se
constituer sur Internet un journal à la carte. Le service allemand Niiu.de propose d'imprimer et
acheminer à domicile un journal composé à la demande par le client (sur la base des contenus
d'une vingtaine de journaux allemands et étrangers et de 600 blogs). Ainsi, l'internaute peut
choisir ses rubriques (régionales, culturelles, sport...) et le dosage qu'il désire entre celles-ci. Par
ailleurs, l'abonnement à des flux RSS, l'émergence de services tel Netvibes, ou encore la logique
de hiérarchisation des informations par échelle de popularité témoignent de cette tendance.
Une information socialisante. L'utilisation que le lecteur/internaute fait aujourd'hui de
l'information importe véritablement pour mieux comprendre les évolutions possibles et futures
53 L'intégralité de l'étude est consultable sur : http://nikos.smyrnaios.free.fr/francais/communications.html, et des extraits de celle-ci sur : http://www.bakchich.info/Infos-le-net-en-circuit-ferme,07902.html
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 34
de celle-ci : il va pouvoir apporter sa contribution en commentant ou en « bloguant » un article,
le partager avec ses amis, récupérer un contenu visuel (photo, vidéo, flash) pour alimenter son
blog ou sa page Facebook, corriger un article, apporter son témoignage, sa photo ou sa vidéo,
jouer avec l'actualité (test, quizz...), etc.
Une information participative. Alors que, dans la communication médiatique traditionnelle, la
participation du public est restreinte et cadrée, limitée au courrier des lecteurs ou encore aux
émissions radiophoniques de libre antenne, sur les sites d'information la participation des
internautes s'opère d'une toute autre manière. Grâce aux forums et plus encore aux commentaires
postés sous les articles, les journalistes ont un retour direct, et parfois brutal, du public sur leur
travail. Aussi, les blogs de journalistes, hébergés ou non sur le site au sein duquel ils exercent,
renouvellent la relation au public, permettent un dialogue durable avec celui-ci, parfois fécond et
riche d'enseignement – bien qu'il ne faille pas taire le fait qu'une grande majorité des
commentaires des internautes est violente, futile, voire hors de propos, mais n'est ce pas là la face
négative bien que nécessaire de la libre expression ? Il convient également ici de mentionner les
nouvelles possibilités offertes par le Web 2.0 en terme de partage collectif à distance de
l'information, dans la logique du many-to-many. Ainsi, sur des sites participatifs d'information
tels que Rue89 ou Agoravox, le public peut devenir co-producteur de l'information en proposant
sujets ou textes validés ensuite par l'équipe rédactionnelle. Ici, la profession de « community
manager » est significative : il s'agit d'animer la communauté d'une marque média, mais
également de faire remonter informations et témoignages jusqu'aux yeux des journalistes, ensuite
à même d'actualiser un article, en produire un autre.
On le comprend, alors même que les acteurs médias se confondent de plus en plus avec
les protagonistes hors médias, l'information en ligne répond à de nouveaux critères de
production, diffusion, consommation, et ne possède pas de frontière, est poreuse dans l'Internet.
Si les médias en ligne tentent de faire avec en faisant évoluer leurs pratiques, une évolution,
parmi celles sus mentionnées, semblent toutefois inquiéter plus profondément encore les
professionnels de l'information en ligne : la montée en puissance des « infomédiaires », accusés
de freiner et de bénéficier dans le même temps des efforts des premiers.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 35
III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?
Nous avons précédemment évoqué le cas des acteurs hors médias qui concurrencent en
ligne les acteurs traditionnels de l'information, d'une part en terme de production des contenus,
d'autre part sur le terrain de l’édition et de la diffusion. Nous allons ici plus particulièrement nous
intéresser aux intermédiaires des contenus d'actualité en ligne - portails généralistes et surtout
agrégateurs d'information en ligne. Ces derniers, appelés « infomédiaires », sont clairement
montrés du doigt par les médias d'information en ligne en ce qu'ils sont accusés de voler leurs
contenus, à savoir de les exposer aux internautes sans demande préalable ni contre-parties
financières, alors même que ces nouveaux acteurs bénéficient d'une forte audience – audience
qui n'irait plus vers les sites d'origine. Une bataille qui n'aide pas à apaiser la crise qui touche les
médias jusqu'à frustrer les tentatives d'innovation de ces derniers. Alors, qui a tort et qui a
raison ? Bien sûr la problématique n'est pas à poser en ces termes – qu'il importe urgemment de
dépasser. Aussi et surtout, observer les relations qu'entretiennent infomédiaires et fournisseurs de
contenu aide notamment à mieux comprendre l’organisation socio-économique de la filière, et
ses enjeux en terme de création, pluralisme et viabilité54.
1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité
Arrêtons-nous un moment sur le cas des portails généralistes tels que ceux de Yahoo!,
MSN ou encore Orange. Et commençons avec cette définition formulée par Yannick Estienne55 :
« Un portail peut être défini comme un site Web dont la vocation est d'être symboliquement la
« porte » que l'internaute emprunte pour accéder aux contenus du Web, une interface obligée en
quelque sorte. » Il y a des acteurs dont la fonction de portail est le coeur de métier, tel que
Yahoo!, et d'autres dont cette activité est mise au service de leur démarche commerciale, tel que
les opérateurs de télécommunication par exemple. Et l'auteur d'évoquer ainsi la double fonction
remplie par le portail : « D'une part, en tant que carrefour virtuel du web, il génère de l'audience
et constitue une vitrine promotionnelle idéale. D'autre part, avec son interface pour les abonnés,
il permet la gestion en ligne de la relation client. »
54 Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios se sont appliqués à étudier ces relations dans un article intitulé « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Rebillard, F, Smyrnaios, N, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010. Nous reprenons ici pour partie leurs résultats.
55 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Logiquement, se retrouve alors sur ces portails une multitude de services au sein de
laquelle s'inscrit l'actualité : « Pour « capter » l'internaute et le retenir le plus longtemps
possible sur le site, on lui propose gratuitement de l'information. L'internaute a en un minimum
de clics accès à un panorama de l'actualité « chaude » dans le ou les domaines susceptibles de
l'intéresser », explique Yannick Estienne. Mais, parce que l'information n'est pas le coeur de
métier de ces acteurs, ceux-ci externalisent l'activité, pour ne se concentrer que sur un aspect de
l'offre : « Le travail proprement éditorial de l'équipe qui a la charge de faire vivre la « Home »
du site-portail consiste à sélectionner et à hiérarchiser les informations disponibles. (...)
Toutefois, si les choix éditoriaux effectués par le personnel des site-portails sont le plus souvent
dictés par « l'actualité » - d'après la définition qu'en donnent les journalistes – les impératifs
commerciaux de la société éditrice du site-portail (fidéliser et attirer les clients) ont fortement
tendance à déterminer ces choix. » A savoir une priorité donnée à l'information sensationnelle ou
encore aux « marronniers ». Reste encore à comprendre d'où provient, et comment, l'information
visible sur ces portails.
Les premiers fournisseurs d'information de ces acteurs sont les agences de presse
(l'Agence France Presse, Reuters, Associated Press) qui ont ainsi trouvé un moyen de diversifier
leurs revenus et répartir leurs coûts de production. Aussi, les portails tissent des partenariats avec
d'autres agences de contenus spécialisées mais également des médias en ligne et des pure-
players. Ainsi, des producteurs traditionnels se sont mis à la syndication56 en vendant notamment
des articles et dossiers prêts à l'emploi. De même, l'hébergement de blog (tel que le Bondy Blog
sur Yahoo!) est une autre source de contenus pour les site-portails.
On le voit, les portails opèrent des partenariats avec des producteurs traditionnels de
l'information, en toute légalité et contre rémunération. Une situation inverse à celle de Google
Actualité, qui agrège et organise les informations des producteurs d'information du Web sans
demande préalable. Ou encore Wikio qui, précisément parce que les relations avec les
producteurs devenaient délicates, s'est repositionné en septembre 2010 sur le terrain des médias
sociaux. Mais rentrons plus précisément dans l'univers des agrégateurs d'actualité et les relations
qu'ils « tissent » avec les producteurs traditionnels de l'information en ligne.
56 Le fait de vendre à plusieurs diffuseurs le droit de reproduction d'un contenu.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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2) La fonction d'infomédiation
Dans un article57 récemment publié dans la revue Réseaux, les universitaires Franck
Rebillard et Nikos Smyrnaios expliquent que la notion d' « infomédiation » - un néologisme issu
de la contraction des termes « information » et « intermédiation » - a été introduite en 1981 par
Kimon Valaskakis pour définir « le processus par lequel un nombre croissant d’activités
humaines, dans différents domaines,(…) sont en passe soit d’être médiées soit d’être remplacées
par des appareils high tech de traitement de l’information ». Le terme s'est ensuite émancipé
pour être utilisé, d’abord aux États-Unis puis en Europe, afin de désigner le métier de courtier en
information, sur le modèle de l’intermédiation professionnelle de la presse classique (vente de
revues de presse, argus…). A la fin des années 1990, des chercheurs de Harvard l’ont appliqué à
Internet et, progressivement, le concept d'infomédiation s'est logiquement étendu à divers
domaines du Web. L'idée, qui repose sur l'hypothèse que trop d'information tue l'information,
consiste à repérer et organiser, parmi le flux, l'information utile à l'internaute, qu'il soit une
entreprise (veille stratégique et d'opinion) ou un consommateur lambda (revue de presse
personnalisée ou synthétique, recherche). De fait, « présenté comme un facteur d'entropie, le
phénomène d'abondance informationnelle [impulsé par le Web] [était] à l'origine d'un nouveau
marché. »58
Spécifiquement ici, nous allons nous intéresser à l'agrégation de contenus d'actualité à
destination du grand public. Nous mettrons volontairement de côté le cas des agrégateurs de flux
RSS personnalisés tels que Google Reader ou Feedly – sorte de logiciel on line via lequel
l'utilisateur décide des fils RSS agrégés et de leur agencement -, et nous nous attacherons plus
précisément au cas de site-agrégateurs tels que Google Actualité ou Wikio.
a) Définition
En guise de base d'acceptation, convoquons ici les définitions de Franck Rebillard et
Nikos Smyrnaios en matière d'infomédiation : « Il s’agit d’une activité (...) d’extraction et de
classement de contenus en lien avec l’actualité, matériaux numériques divers et variés produits
et rendus disponibles par une multitude de tiers (...). L’infomédiation désigne ainsi le plus
souvent la fonction consistant à relier des besoins ciblés et des ressources pertinentes au sein de
volumes de données considérables et hétérogènes. » Et les auteurs de dresser dans leur article ce
57 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010
58 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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constat, justifiant le besoin urgent d'intermédiation sur Internet : « Les industries culturelles et
médiatiques sont caractérisées par une surproduction de contenus, et conséquemment par un
goulet d’étranglement au niveau de la distribution-diffusion. Avec l’Internet, ce phénomène de
surproduction des contenus s’accentue en raison des coûts réduits de publication sur le Web. Il
se double en outre d’une composante nouvelle, liée au caractère archivable et semi-public des
échanges informels entre internautes. Tous ces éléments s’additionnent pour former au final un
vaste ensemble de productions discursives numérisées, en s’inscrivant plus largement dans un
procès d’ « informationnalisation » qui rend d’autant plus nécessaires des dispositifs de
repérage dans ces volumes considérables et hétérogènes de données. Il en résulte une situation
où, sur l’Internet, une offre élargie et gratuite de matériaux numériques doit être mise en
relation avec une demande éclatée et individualisée. (...) La filière de l’information en ligne
n’échappe pas à ce mouvement général. »
Effet paradoxal : alors que certains intermédiaires disparaissent avec Internet (phénomène
de désintermédiation) de nouveaux apparaissent (phénomène de réintermédiation), un double
mouvement aidé par la baisse des coûts logistiques pour produire de l'information et pour
atteindre l’utilisateur. Face à la crise de l'audience que connaissent les producteurs traditionnels
de l'information en ligne, de nouveaux acteurs montent ainsi en puissance en s'appropriant le rôle
de médiateur préalablement effectué par les médias et en parvenant du même coup à faire montre
d'une audience significative, et par là même d'une stratégie qui réussit.
b) Positionnement stratégique
Dans leur article, Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios étudient59 notamment le cas des
infomédiaires que sont Google Actualité60, Wikio61 et Paperblog62 afin d'en faire ressortir certains
traits communs et différenciations, le tout délimitant le positionnement stratégique, en terme
d'audience et par là de revenus, de ces nouveaux acteurs de l'information en ligne, ainsi qu'une
ambition partagée : « exploiter l’externalité positive que constitue pour leur activité
l’information non marchande (blogs) ou gratuite (éditeurs) disponible sur le web »63. Nous
reprenons ici deux points saillants de leur activité : la meta-éditorialisation et la spécialisation.
59 Nous renvoyons à lecture de leur article pour une compréhension approfondie des fonctionnements des infomédiaires étudiés.
60 Le portail « actualité » du moteur de recherche Google.61 Un agrégateur de liens pointant vers des contenus professionnels (médias) et amateurs (blogs). 62 Un agrégateur de contenus amateurs (blogs).63 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de
Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Au delà de la recherche et collecte de contenus, permises par leurs algorithmes respectifs,
les infomédiaires méta-éditorialisent ces ressources selon des logiques particulières, qui forment
leurs spécificités, en terme de regroupement et hiérarchisation des contenus (selon les sujets, les
appétences, les recommandations sociales...). Ainsi, leurs méthodes de travail et choix
d'organisation des données (automatique, manuelle, communautaire) divergent pour s'adapter à
leurs cibles et marchés respectifs. De la même manière, chacun se spécialise dans un segment
spécifique de l'information en ligne. Tout en répondant d'un même projet, ces acteurs offrent
alors différentes manières d'accéder à l'information recherchée par les utilisateurs, se rendant
ainsi d'intérêt aux yeux de ces derniers. On notera ici l'émergence récente d'agrégateurs de
contenu sur iPad qui, comme sur le web, risquent de contraindre les espérances des producteurs
de l'information en ligne – qui voyaient paradoxalement dans l'iPad un sauveur. D'autant que ces
agrégateurs d'un genre nouveau jouissent d'une pertinence certaine en terme de filtrage du flux
informationnel. A l’image de Flipboard dont l’objet est d’agréger, filtrer et mettre joliment en
forme l’ensemble des informations partagées via les réseaux sociaux de l'utilisateur. A l’image
aussi d’Apollo News qui promet de livrer l’information la plus en phase avec les intérêts de
l'utilisateur, et ce de manière de plus en en plus précise au fur et à mesure de ses connexions.
Ainsi s'inscrit la différence essentielle entre médias et infomédiaires : raisonné,
l'utilisateur choisira l'objet le plus efficace pour se repérer dans le flux. Mais, si ces acteurs
semblent au moins prouver que l'information attire encore le public, deux points sont à éclaircir.
c) Carence juridique
La fonction des infomédiaires, qui se basent sur des algorithmes de collecte, tri, sélection,
hiérarchisation, se situe à mi-chemin entre l'édition et la diffusion. De fait, en important des
contenus ou, le plus souvent, en agrégeant des liens hypertextuels, les infomédiaires recourent à
une fonction hybride de méta-éditorialisation : assemblage et mise en forme automatique de
contenus produits et éditorialisés par des tiers. Aussi, ces acteurs diffusent moins qu'il n'exposent
des contenus, en les enrichissant de logiques d'indexation et de recommandation propre à guider
l'utilisateur – ils sont en fait les destinataires d'une première diffusion qu'ils vont ensuite
orchestrer. Ainsi, les infomédiaires n'éditent ni n'hébergent de contenus. Or, de par cette
classification floue, l'activité d'infomédiation fait montre d'une carence juridique dans le droit
français. Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios la détaillent : « La Loi pour la confiance dans
l’économie numérique du 21 juin 2004 distingue deux statuts : le statut d’éditeur, décideur
intellectuel des contenus qu’il publie sur son site, à la responsabilité juridique de publication Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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équivalente à celle existant en droit de la presse ; et le statut d’hébergeur, prestataire technique
fournissant un espace informatique à des tiers, à la responsabilité juridique de publication
limitée et a posteriori puisque ne devant retirer des contenus que lorsque ceux-ci lui ont été
signalés comme illicites. Ni la définition de l’éditeur, ni celle de l’hébergeur ne semblent
toutefois parfaitement appropriées pour qualifier l’activité des infomédiaires. » Or, l'observation
démontre que la place des infomédiaires au sein de la filière de l'information en ligne, non encore
juridiquement définie, apparaît inversement « de plus en plus prégnante, jusque dans les
modèles socio-économiques qui se dessinent pour sous-tendre son développement. »
d) Déséquilibre économique
Du fait du mythe fondateur de l'Internet et des spécificités de l'économie de l'information
en ligne, la consultation des contenus d'actualité sur Internet n'est que rarement effectuée contre
paiement. Et les éditeurs de tirer des revenus indirectement de la vente d'espaces publicitaires,
intermédiation commerciale, revente de fichiers client, intégration au sein d'un groupe industriel,
etc. Très logiquement, les infomédiaires s'inscrivent dans ce même modèle du financement
indirect de l'information. Un atout en plus : ils peuvent justifier d'une promotion ciblée
« correspondant à leur position d’aiguilleur entre une offre dispersée et une demande
individualisée au sein de la filière »64. D'où le malaise entre fournisseurs de contenu et
agrégateurs : alors même que les infomédiaires sont susceptibles de gagner de l'argent grâce aux
contenus agrégés, ces premiers ne rémunèrent pas leurs sources65, quand bien même celles-ci
souffrent d'un manque de revenus qui les affaiblit. C'est là l'un des points de débat en jeu dans la
situation de « coopétition », déséquilibrée, qu'entretiennent infomédiaires et médias.
De par sa nature, la fonction d'infomédiation donne aux agrégateurs « un rôle central
dans la filière de l’information d’actualité en ligne. Elle les amène à établir des relations étroites
avec les fournisseurs de contenus, blogueurs amateurs et éditeurs professionnels, ces derniers
constituant simultanément des concurrents dans la valorisation de l’audience auprès des
annonceurs. »66 Nous allons maintenant nous intéresser plus précisément à ces relations, la
situation de coopétition qui les anime et leurs impacts sur le filière de l'information en ligne.
64 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010
65 A l'exception de 2424actu qui, sans rémunérer automatiquement ses partenaires, a signé avec eux des contrats avec conditions d'exploitation, reversement majoré des revenus publicitaires et minimum garanti.
66 Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 41
3) Une situation de coopétition
La situation de coopétition (coopération autant que compétition) qui se tisse entre
producteurs de contenu et infomédiaires décrit ce moment où les deux acteurs sont
simultanément partenaires et concurrents dans la filière de l’information en ligne, et notamment
sur le marché de la publicité. D'une part, chacun a besoin de l'autre : l’infomédiaire doit
nécessairement nouer des liens avec des fournisseurs de contenu tandis que ceux-ci gagnent, via
les infomédiaires, un surcroît de trafic sur leurs sites. D'autre part, les deux s'affrontent du point
de vue financier pour trouver des revenus indirects auprès des mêmes financeurs. Alors que les
infomédiaires en sortent vainqueurs, la situation de coopétition s'avère à cet égard déséquilibrée.
a) Eléments de débat
Nous prendrons ici l'exemple de Google Actualité puisque c'est bien lui qui fait l'objet,
auprès des producteurs d'information en ligne, des plus fortes critiques. Que lui est-il reproché ?
D'une part le non-respect du droit d'auteur : les producteurs estiment qu’on ne peut pas tout faire
avec un titre, un chapô, et ce sans demander la permission. D'autre part, la non-redistribution des
revenus : les contenus génèrent du trafic, de l’audience, donc des recettes publicitaires. Bien que
Google Actualité ne compte pas encore d'espaces publicitaires, il « volerait » une partie de
l'audience à des producteurs qui l'auraient par ailleurs monétisée. Mais alors que font encore ces
producteurs critiques sur les pages de Google Actualité ? Là est tout le problème : ces médias
sont dépendants du moteur de recherche Google, carrefour virtuel quasi incontournable. Se
déréférencer reviendrait à ne plus exister en ligne, sans compter que Google Actualité leur amène
tout de même une audience significative, très loin d'être négligeable. Le président du New York
Times, Arthur Sulzberger, le dit très bien : « Se plaindre de Google, c'est comme vouloir se
priver de l'oxygène dont on a besoin pour vivre »67. Mais alors que faire ?
Dans un édito de Libération paru en avril 2010, Laurent Joffrin évoque l'idée, partagée
par d'autres, d'un partage des revenus : « Faut-il brûler Google ? Non. Mais il faut le faire payer.
(...) Il faut réformer les règles qui régissent le système de distribution de l’information. Celle-ci
passe de plus en plus par un petit nombre d’acteurs mondiaux, fournisseurs d’accès à Internet
(FAI), ou agrégateurs de contenu, comme Google, qui forment un mastodonte numérique, un
monstre convivial qui broie les autres sans même s’en apercevoir. (...) Les bénéfices de Google
67 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour-le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 42
(comme ceux des FAI) sont immenses. (...) Il ne s’agit pas de subvention. Il s’agit de demander
une part modeste de bénéfices qui resteront en tout état de cause énormes. » Le SPQN et le
SPQR ont respectivement annoncé leurs projets de portail d'actualité sur le Web et de kiosque
numérique sur iPad pour contourner Google Actualité. Cela suffira-t-il ?
Du point de vue organisationnel déjà, des freins contraindraient ses efforts, comme
l'explique un ancien cadre de la presse68 : « La Presse est un des rares secteurs de l’économie
française divisée en une vingtaine de syndicats (...). Cette situation est hautement préjudiciable.
Non seulement la Presse investit lourdement dans des structures qui stigmatisent ses propres
divisions, mais en plus, elle permet à ses interlocuteurs – l’État, Google, les annonceurs – de
mener le jeu. » Et d'évoquer en outre un système de distribution aussi multiple que complexe, un
fort corporatisme, des aides nécessaires mais non structurantes, une mauvaise maîtrise d'Internet.
Ses préconisations : « Arrêter d’appauvrir les rédactions, et investir dans la qualité du contenu ;
cesser les querelles de famille et s’unir, tant sur le plan professionnel qu’industriel pour être en
mesure de discuter à part égale avec les interlocuteurs – publicitaires, moteurs de recherche –
des médias , voici (..) ce qu’il faudrait viser, mais qui implique une véritable révolution des
processus de production de l’information écrite. (...) Moins de dépendance et plus d’initiative. »
Pareillement, des voix s'élèvent pour dire aux médias en ligne leurs fautes. Le blogueur
Narvic, pour qui Google « a compris le premier ce qui avait changé », les résume : « La
rencontre de la demande et de l’offre de contenu sur internet ne s’opère plus au niveau d’un
journal et d’une marque de média, comme avec le papier. Elle s’opère article par article, à
l’unité, selon le sujet traité et la popularité ou la réputation en ligne de son auteur et l’étendue
ou la qualité de son réseau social en ligne. Il y a bien entendu toujours des processus d’édition
en ligne qui favorisent la rencontre de cette offre et de cette demande, mais ils ne résident plus
du tout dans la constitution d’un journal, représentant une vue globale et cohérente de
l’actualité du jour selon une ligne éditoriale définie par un éditeur. Ces processus, qui sont le
cœur du métier de l’éditeur, sont de plus en plus distribués, opérés de manière collective (par la
blogosphère, les réseaux sociaux…) ou automatisés par des algorithmes (agrégateurs
automatisés, moteurs de recherche), ou dans un mélange des deux (...). C’est dans l’indexation,
dans le référencement, dans la construction des popularités et des réputations en ligne, que se
joue aujourd’hui l’essentiel du processus d’édition. Et les éditeurs de presse en sont très
largement absents ! »69
68 Lagier, A (alias), « La presse écrite se meurt, vive l'information par l'écrit ! » in Owni, 19 août 2010 : http://owni.fr/2010/08/19/la-presse-ecrite-se-meurt-vive-l-information-par-l-ecrit/ (05/09/2010 à 15h36)
69 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 : http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 21h49)
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Les esprits s'échauffent. Toutefois, cela n'a jamais aidé de reporter la faute sur un seul et
unique acteur, quand, de fait, une multitude de causes s'avèrent rentrer en jeu. Et c'est bien celles-
ci qu'il faudra avoir en tête au moment de repenser l'écosystème de l'information en ligne.
b) Menace réelle
Reste un constat certain : le manque de revenus à même de financer la production des
informations intermédiées par les agrégateurs, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, etc.
Ce qu'expliquent Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios : « Nos trois études de cas, réalisées en
2007 et 2008, portent sur des acteurs qui ne rémunèrent pas directement la création des
contenus dont ils exploitent l’infomédiation (à de rares exceptions près comme l’accord trouvé
entre Google et l’AFP). En revanche, les rédactions numériques des médias existants (journaux,
radios, télévisions) et des agences de presse, ainsi qu’une partie des pure players (sites
participatifs et webzines), emploient des journalistes. Ces éditeurs sont ainsi les seuls à
supporter les coûts de production de l’information journalistique professionnelle, souvent au
risque de leur viabilité économique, mais doivent en partager les retombées avec les
infomédiaires. Dans ce contexte, la question importante de l’équilibre socioéconomique de la
filière, faisant se juxtaposer plusieurs modèles sans véritablement les marier, reste à résoudre. »
Difficile d'innover quand l'argent manque et que l'inquiétude guette...
En outre, au delà de ces dilemmes d'organisation socio-économique de la filière, une
question bien plus politique émerge. « La fonction d’orientation des internautes vers les sources
d’information est (...) primordiale dans une optique de pluralisme de l’information. L’Internet
présente la caractéristique d’abriter des types d’espaces publics très différents : c’est à la fois
un lieu où la consommation d’informations reste très concentrée sur quelques sites drainant des
audiences de masse, en même temps qu’un terrain pour l’expression d’opinions alternatives (...).
Assurément, les infomédiaires sont des vecteurs importants pour le développement de chacun de
ces types d’espaces publics. Ce qui se joue ici est donc plus qu’une simple opposition de
procédés de recherche et d’assemblage d’informations. C’est aussi la capacité pour certains
infomédiaires à mettre en lumière et à rendre plus accessible une représentation du monde déjà
largement diffusée ou à l’inverse moins exposée. » Comme l'information et le journalisme, la
fonction d'infomédiation a également un rôle à jouer en terme d'utilité citoyenne et
démocratique. En s'appuyant sur ce constat, parmi d'autres, nous allons dans une ultime partie
tenter de dessiner ce que pourrait être le projet d'un futur écosystème informationnel.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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IV – Un écosystème informationnel à redéfinir
Au vu de ce que nous venons précédemment d'aborder, il apparaît clairement que
l'écosystème actuel de l'information en ligne souffre d'une instabilité chronique, due à la fois à la
spécificité même de l'économie d'Internet, mais également à la difficile compréhension d'un
monde en perpétuelle évolution ou encore de querelles professionnelles contraignantes. Nous
allons ici tenter de distinguer quelques pistes pour une refonte, du moins une maîtrise plus
sereine, de cet écosystème. Qui passe nécessairement par une nouvelle approche de l'audience et
des pratiques journalistiques, mais également par une meilleure réponse face à un besoin urgent
de re-médiation ou encore une mise à plat des freins socio-économiques et politiques. Comme
précédemment, nous resterons ici attachés aux spécificités des médias et du Web français.
1) Comprendre et impliquer le public
Cela ne surprendra personne, pas de média sans public. Le journaliste écrit, filme,
enregistre, avant tout pour être entendu, aujourd'hui comme hier. Ce qui change ? Avant, le
producteur d'information pouvait faire abstraction des désirs, critiques, attentes du public.
Aujourd'hui, impossible de les ignorer quand bien même il le souhaiterait. Avec les multiples
outils statistiques offerts aux médias, les feedbacks directs des internautes sur le travail des
journalistes, ces derniers sont comme poussés à agir en conséquence. En découle régulièrement
des logiques de marketing qui impactent sur la rédaction même - qui tend a délivré ce qui est
souvent appelée une « information à la demande ». Pourtant, et malgré l'ensemble de ces outils,
qui saurait dire précisément et avec assurance quelle est son audience, quels sont ses
attachements, ses usages, ses mobiles ? Là est le problème : les statistiques ne sont qu'une
première couche d'information qu'il s'agit ensuite de qualifier.
a) Une mesure discutable
Dans son ouvrage intitulé Le Journalisme après Internet70, Yannick Estienne rappelle
comment a évolué la représentation du public par les journalistes, et ce bien avant Internet :
« Dans l'après-guerre, la conception civique de l'information prédomine. La mission sociale des
journalistes consiste à s'adresser à un « lecteur-citoyen » dont ils aspirent à former l'opinion. Le 70 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 45
lecteur, quant à lui, polarise son attention sur un ou plusieurs titres correspondant à son
appartenance sociale, politique et idéologique. Les journalistes s'adressent à leurs lecteurs en
ajustant leur discours à la connaissance qu'ils ont du titre pour lequel ils travaillent et du public
qu'ils pensent ou souhaitent toucher. (..) Les rédactions ignorent alors les études d'audience
réalisées par et pour les annonceurs. Or, depuis, on est progressivement passé du « public-
citoyen » au « public-lecteur » puis au « public-consommateur » à mesure que la fonction
marchande l'emportait sur la fonction civique et que les instruments de connaissance de
l'audience prenaient place au coeur des rédactions. » Aussi et malgré les réticences des
journalistes, cette évolution a nécessairement agi, du moins en partie, sur les pratiques au sein
des médias et guidé les lignes éditoriales. Et avec Internet, cette « rupture » se vit encore plus
fortement. Il est aisé, via des outils plus ou moins fins (Google Analytics, Omniture...), de
comptabiliser les visites, de mesurer le temps de celles-ci, de tracer les parcours de lecture, de
connaître la provenance des visites, de détecter les contenus les plus lus, etc. Le journaliste
Vincent Truffy reprenait dernièrement les constats issus d'un article du New York Times71 afin de
décrire les évolutions en cours dans les médias : « On y apprend ainsi que la journée du site du
Wall Street Journal commence par l’épluchage méthodique des statistiques de consultation des
articles, l’analyse des mots les plus recherchés dans le moteur interne et le recensement des
tendances sur Twitter. Ou que le Washington Post fait trôner au milieu de sa rédaction un écran
montrant, en temps réel, le nombre de visiteurs uniques, le nombre de pages par visiteurs et leur
provenance, sans oublier de surimprimer à ces chiffres l’objectif mensuel à atteindre. (...) Le Los
Angeles Times a adopté une démarche plus radicale puisqu’il a doté son site d’un logiciel
indiquant pour chaque article la somme rapporté en clics publicitaires. »72 Autant de méthodes
qui jouent sur la mise en scène des sites, la hiérarchisation, les modèles d'écritures, de plus en
plus formatés, mais également un certain mimétisme entre ceux-ci, comme l'explique Murray
Dick, conférencier à l’université anglaise de Brunel : « (..) On obtient des pages de résultats sur
les moteurs de recherche qui ressemblent à ces lignes que les instituteurs faisaient recopier à
leurs élèves en guise de punition. L’utilisation n’est donc pas forcément facilitée et peut même
générer de la frustration chez les internautes – et cela peut avoir des conséquences aussi bien
chez les agrégateurs que les éditeurs de ces titres. »73 Là est le risque, prendre les statistiques
comme argent comptant et voilà tout, au dépend qui plus est du consommateur comme le précise
71 Peters, J. W, « Some Newspapers, Tracking Readers Online, Shift Coverage » in New York Times, 6 septembre 2010 : http://www.nytimes.com/2010/09/06/business/media/06track.html?_r=1 (16/09/2010 à 20h38)
72 Truffy, V, « L’information sur le web doit-elle se fier aux chiffres? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/ (16/09/2010 à 20h43)
73 Westbrook, A, « Les journalistes écrivent-ils pour Google? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/les-journalistes-ecrivent-ils-pour-google/ (16/09/2010 à 20h30)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 46
Yannick Estienne : « La connaissance de l'audience a généralement une valeur informative et
non prescriptive. Or la tentation est grande de vouloir utiliser ces résultats dans le but d'orienter
les choix éditoriaux. En fonction des verdicts du marché de l'information en ligne, des éditeurs et
des journalistes son en effet incités à développer certains thèmes « porteurs » en terme
d'audience et à en abandonner d'autres. Ainsi, la frontière entre l'informatif et le prescriptif est
pour le moins ténue. » Et les dérives bien réelles : un travail journalistique qui ne sert qu'à
maximiser l'audience, un jugement de valeur sur les contenus guidé par l'appétence, etc. De fait,
nous explique l'auteur, « la conception pédagogique de la relation est de plus en plus évacuée au
profit d'une conception utilitaire et « phatique ». (...) L'internaute incarne moins ce citoyen dont
la presse se doit d'éclairer les choix politiques en proposant des informations « utiles » - d'un
point de vue civique » - que le « consommateur-zappeur » qui « demande » à être diverti en
s'informant ». Mais les médias offrent-ils ainsi seulement ce que le public demande ? Après tout,
celui-ci consomme ce qu'on lui donne, mais peut-être apprécierait-il autant ce que l'on n'ose
encore lui proposer. Reste qu'il convient de relativiser, sans toutefois ôter l'idée du risque, ces
tendances à produire une information « à la demande ». Le recours au SEO74, au pistage de
l'audience et autre formatage des contenus pour être visible dans Google, peut devenir une clef -
à condition de savoir la maîtriser - plutôt qu'un piège, comme l'explique Nikki Usher, thésarde à
l'université de USC Annenberg : « Se montrer plus attentif aux demandes des lecteurs est peut
être la meilleure chose que les médias puissent faire pour rester des sources d’information
pertinentes et essentielles. (...) Si elle est utilisée correctement, la SEO et le tracking de
l’audience rendent les rédactions plus responsables devant leurs lecteurs sans dicter de
mauvaises décisions éditoriales (...). La SEO ne tuera pas le journalisme ; cela améliorera la
façon dont nous trouvons et consommons l’information. »75 De fait, il s'agit de trouver un juste
milieu entre ces techniques et un journalisme de qualité, poussé par l'exigence, qui connaît
d'ailleurs encore, contrairement aux croyances répandues, un succès certain – le rédacteur en
chef du magazine du New York Times, Gerald Marzorati, le dit bien : le journalisme long « est
notre forme la plus vue et la plus partagée par mail. Cela compte pour les lecteurs. Cela permet
au lecteur de s’arrêter. Cela ralentit le lecteur. »76 Vincent Truffy reprend notamment les mots de
Jay Rosen, récemment invité à donner une leçon inaugurale à l’Ecole de journalisme de Sciences
Po, pour confirmer cet état : « La vraie question est de savoir comment les journalistes peuvent
se servir des chiffres pour améliorer le journalisme », et acquérir « suffisamment de compétence
74 System Engine Optimisation, soit l'optimisation pour les moteurs de recherche75 Usher, N, « La SEO, alliée du journalisme de qualité » in Owni, 16 septembre 2010 :
http://owni.fr/2010/09/16/la-seo-alliee-du-journalisme-de-qualite/ (16/09/2010 à 21h00)76 Usher, N, « La SEO, alliée du journalisme de qualité » in Owni, 16 septembre 2010 :
http://owni.fr/2010/09/16/la-seo-alliee-du-journalisme-de-qualite/ (16/09/2010 à 21h00)Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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avec les statistiques de fréquentation pour trier une curiosité à court-terme et un intérêt public
plus profond.» »77 Et le journaliste de poursuivre en reprenant les termes d'une récente étude78 : la
mesure – ou plutôt compréhension - de l'audience « ne peut tenir en un chiffre mais demande de
combiner les chiffres de consultation, les citations de l’article à l’extérieur du site, les réactions
des utilisateurs, pour mieux comprendre la propagation de l’article de loin en loin sur le web, la
façon dont l’agenda public s’élabore désormais et comment les informations sur des sujets-clés
sont utilisées par des publics donnés. » Ne pas s'arrêter aux chiffres, contextualiser, évaluer mais
également parier, écouter et oser faire des choix : autant d'états d'esprit à intérioriser pour ne pas
tomber dans le piège d'une information formatée, donc inutile. Par ailleurs, on notera ici que des
moyens plus qualitatifs, sans être suffisants, permettent davantage et mieux d'envisager les
aspirations du public (certes ramené à sa portion la plus active) : blogs, forums, commentaires,
etc. Aussi, rien de mieux que de se rappeler à quels points les attachements du public sont
complexes, multiples, disparates voire quasi insondables.
C'est alors sur un autre plan, relationnel, conversationnel, concernant et engageant, qu'il
s'agit de travailler. Les constats ne font que confirmer cette thèse : « La façon dont on s'informe
est en train de changer, sous nos yeux. Il y a quelques années, les portails des fournisseurs
d'accès donnaient accès aux sites d'information sur lesquels il fallait se rendre. Les sites
d'information étaient ceux qui avaient le plus de trafic. Puis se sont les moteurs qui nous ont dit
où aller. Ce sont les mots clefs de nos requêtes qui nous mènent à l'information et non plus la
structure d'un site d'information. Les moteurs sont devenus les premiers sites en terme
d'audience. Et nombre de services sont passés loin devant l'information »79, nous explique
Hubert Guillaud80. Et d'évoquer l'influence des réseaux sociaux dans nos pratiques de
consommation de l'information : « Alors que l'audience de Google est en stagnation, celle de
Facebook progresse vivement. Désormais, pour accéder à l'information, ce ne sont plus ni la
presse ni Google qui sont nos pages d'accueil par défaut. C'est Facebook, ce sont les sites
sociaux qui sont en train de devenir les principaux moteurs de notre navigation. On ne cherche
plus l'information : on accède à celle qui vient de notre réseau social. Nos amis sont le filtre qui
raffine l'information qui vient à nous. Nos « amis » sont en passe de devenir nos principaux
prescripteurs d'information. Ce qui n'est pas sans conséquences. »
77 Truffy, V, « L’information sur le web doit-elle se fier aux chiffres? » in Owni, 16 septembre 2010 : http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/ (16/09/2010 à 20h43)
78 Graves, J, Kelly, L, Confusion Online : Faulty Metrics and the Future of Digital Journalism, Tow Center For Digital Journalism, Columbia University Graduate School of Journalism, septembre 2010
79 Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de l'Orme 2.10, 31 mars 2010 : http://www.orme-multimedia.org/r2010/images/stories/orme2.10/pdf/orme2.10_guillaud.pdf (11/09/2010 à 13h10)
80 Rédacteur en chef du site Internet ActuMarion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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b) Un investissement nécessaire
Les médias l'ont bien compris, pour fidéliser leur audience sur Internet, les maîtres mots
sont : participation, interactivité, conversation – sur le site et en dehors du site, là où se trouvent
en masse les internautes. D'où la généralisation du métier de community manager au sein des
rédactions, l'hébergement de blogs sur leurs sites et, parallèlement, l'incitation envers les
journalistes à animer leurs propres blogs, répondre aux commentaires, être présents sur les
réseaux sociaux. L'idée : jouer sur le lien et l'appartenance communautaire, impliquer les
internautes et leur donner l'impression d'une certaine liberté d'action – certes toujours cadrée et
faussement ouverte. Reste que cette logique privilégie une relation top down, animée par les
rédactions, quand elle aurait intérêt à apprivoiser une relation également bottom up, animée par
les internautes eux-même. Les médias veulent prendre en main l'animation de ses relations quand
le public veut prendre en main l'information. Divergence non négligeable qu'il importe d'intégrer.
Jay Rosen81 ne dit pas autre chose lorsqu'il explique que nous sommes passés d’une
logique d’audience (passive et isolée) à une logique de public (compris comme une place
publique, dont les citoyens sont actifs et parlent entre eux). Il explique ainsi comment le pouvoir
a changé de mains et la manière dont les gens se détournent progressivement des mass médias
pour se tourner davantage les uns vers les autres : le journalisme, explique-t-il, est désormais une
relation mutuelle avec des gens qui étaient considérés auparavant comme une audience. Ainsi la
participation est une condition essentielle à cette relation – ne serait-ce que parce que le public,
pris dans son ensemble, dispose d'une large connaissance à même d'aider le journaliste à enrichir
ses contenus. Mais non suffisante : selon la logique du 90/10 (90% des consommateurs se
contentent de lire, 10% participent, seulement 1% sont vraiment actifs), « ce n’est pas parce que
les outils de commentaire, de publication ont été mis dans les mains de tous que tous vont les
prendre en main ». Et Jay Rosen d'introduire la notion, supplémentaire, de users : « les
utilisateurs utilisent votre travail de journaliste pour gérer leur vie », ainsi les journalistes ne
sont pas là pour trouver des informations pour des lecteurs mais pour fabriquer des informations
pour des « utilisateurs ». Selon l'orateur, considérer les gens comme une masse (l'audience)
amène à les réduire à l’état de formule. Inversement, considérer les gens comme un « public »
amène les journalistes à fabriquer des informations qu’ils vont pouvoir utiliser (pour s’informer,
pour agir…). Les gens deviennent dès lors utilisateurs des médias, de l'information. Aussi, Jay
Rosen rejoint l'idée que le journaliste est supposé suivre l’activité de l’audience à la trace,
81 Rosen, J, « The People formerly known as the Audience and theAudience properly known as the Public », conférence donnée à l'Ecole de Journalisme de Science Po, Paris, 2 septembre 2010
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 49
connaître la demande pour offrir un contenu ad hoc. Mais il prévient également : « Vous devez
écouter les besoins des gens, mais si vous ne leur donnez que ce qu’ils veulent, ou que ce que
vous voulez, vous perdrez votre autorité. Vous devez également donner aux gens ce qu’ils ne
savent pas qu’ils veulent. »
Au delà de ces considérations concernant la mesure des relations journaliste-public, c'est
plus globalement les dispositifs informationnels qu'il s'agit de repenser et, si cela est déjà fait, de
consolider. Dans leur ouvrage intitulé Comment le web change le monde. L'alchimie des
multitudes, Francis Pisani et Dominique Piotet décrivent le « futur réticulaire (en réseaux) du
journalisme et des médias ». Cesser de considérer le site comme lieu ultime de destination, les
contenus comme résultats finaux, le public comme participant faible ou minoritaire, la relation
comme étant uniquement un outil de fidélisation. Plus que de participation, le journalisme de
réseaux ou « networked journalism » valorise la collaboration. En ligne, force est de constater
que lecteurs et journalistes vivent dans le même monde et que nombre de liens se nouent entre
eux, de manière directe, instantanée, les uns enrichissant les autres, jusqu'à aboutir à un
processus de construction collaborative de l'information. Le journaliste ne trouve pas seul ni ne
fabrique en solo l'information. L'ensemble des flux qui anime Internet, de manière instantanée et
pervasive, contribue quasi inconsciemment à l'élaboration de l'information. Il faut conscientiser
ce processus et le valoriser : pas d'information produite sans public impliqué. Le journaliste n'est
rien sans ces flux, sans les alertes et conversations des internautes, sans leurs implications,
conscientes ou non. L'aller-retour entre public et journalistes est permanent et au coeur du
processus de production : il faut le dire, le montrer, le motiver et le valoriser.
2) Renouveler les pratiques
Nous allons ici dégager certaines valeurs de l'information. D'apparence mal aimée, cette
denrée comble pourtant un besoin nécessaire : comment y réintroduire des éléments de désir ?
Personnalisation
« Fournir le bon contenu à la bonne personne au bon moment et souvent au bon
endroit »82. De Facebook et Twitter (qui vous proposent de découvrir ce qu'affectionnent vos
proches) à Google (publicité contextuelle) en passant par des agrégateurs d'information
communautaires, l'ère de l'information personnalisée est bel et bien en marche. Bien sûr, il ne
82 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/ Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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suffit pas de permettre de noter un contenu ou de cliquer sur le bouton « I Like » de Facebook
pour faire d'un service un produit à forte valeur ajoutée, mais plutôt de comprendre la valeur de
l'information telle que considérée par chaque internaute, pour enfin construire un écosystème
attractif. Le consultant Benoît Raphaël évoque certaines pistes à sérieusement considérer83 :
accompagner la recommandation sociale d’indices de pertinence ; adapter le contenu livré aux
requêtes de l'internaute sur les moteurs de recherche ; adapter le contenu à l’historique de
navigation (de l’utilisateur et de ses amis) ; offrir des possibilités d’interagir avec l’offre ; insister
sur et mettre en avant le choix éditorial d’une communauté ou d’une rédaction avec laquelle
l’utilisateur se sent en affinité ; laisser faire le hasard - n'oublions pas que le jeu de la sérendipité
offre à coup sûr à l'utilisateur le plaisir de la découverte, de la découverte autonome.
Spécialisation et rareté
Une bonne partie des lecteurs de journaux d'autrefois n'achetait pas le support pour
l'intégralité de ses articles mais uniquement certains domaines ou « produits » qui l'intéressaient.
Avec la fragmentation numérique des informations, leur omniprésence, et la consommation
« zappeuse » et autonome des internautes, l'ancien modèle ne tient plus. La phrase fameuse de
Jeff Jarvis est ici éloquente : « Faites ce que vous faites de mieux, et faites des liens vers le
reste ». Plus l'information est spécialisée et experte, à haute valeur ajoutée, rare ou encore
exclusive, plus elle a de la valeur, et plus elle est monétisable. Et cette valeur peut aussi bien
tenir dans le fond que dans la forme : une narration riche, une mise en scène pertinente et
contextuelle, un producteur fiable et de confiance, font aussi la différence.
Information engageante
Une information engageante est à même d'impliquer le lecteur et de l'ancrer dans une
communauté active, de l'inciter à participer et motiver ses affinités. De nombreux exemples
d'enquêtes participatives (avec collaboration et appel aux dons) aboutissent avec succès et sont
là pour démontrer la pertinence d'une telle posture.
Enquête et originalité
La qualité des informations produites, l'originalité, la capacité à s'affranchir de l'agenda et
du flux de l'actualité. Autant d'attitudes qui ont de la valeur : dire ce que les autres taisent,
rappeler ce que les autres oublient, chercher là où les autres ne vont pas voir. Le dire autrement,
83 Raphaël, B, « Le nouvel âge de l'info personnalisée » in La Social Newsroom, Benoî Raphaël, 12 août 2010 : http://benoitraphael.com/2010/08/12/le-nouvel-age-de-linfo-personnalisee/ (19/08/2010 à 21h41)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 51
le mettre en scène différemment. Expliquer autant que montrer. L'enquête et l'investigation se
font de plus en plus rare, notamment eu égard à des problèmes de financement. Pour autant,
prendre le temps de la recherche et de la mise en perspective, aller sur le terrain plutôt que de
répéter les mêmes présupposés, déployer des formats longs, stopper à intervalles réguliers
l'instantanéité de flux factuels, sont autant de pratiques à même de valoriser l'information. Des
revues telles que XXI ou la récente Usbek & Rica, au succès réel, qui prennent le temps et
expérimentent autant dans le fond que dans la forme, prouvent que cela a de la valeur et qu'un
marché existe. Il est ici intéressant de prendre l'exemple de la revue Usbek & Rica qui déploie ici
un journalisme prédictif, dans une logique de docu-fiction d'anticipation84, là un journalisme naïf,
dont la logique consiste à regarder le monde présent avec les yeux d'un étranger.
Ecritures innovantes
On pourra ici citer pèle-mêle le webdocumentaire (voire l'exemple splendide de Prison
Valley), la bande dessinée (voire XXI, Usbek&Rica), notamment interactive, le datajournalisme
(voire les travaux du New York Times, El Pais ou encore d'Actu Visu et Owni en France). Autant
de sous-genres que l'on pourrait rallier à la pratique du journalisme visuel, ainsi décrite par Eric
Scherer85 : « Désigne l'utilisation de nouveaux outils numériques pour expliquer et illustrer
l'information. Comme dans la presse imprimée, il peut s'agir du recours classique aux photos ou
de graphiques, mais aussi de plus en plus, sur le Web, d'images, de graphiques animés
sophistiqués et interactifs (« timelines », cartes, images satellites...), de visualisation de données
et de statistiques, d'applications de réalité augmentée, de 3D... » Le webdocumentaire, par
exemple, défend une logique d'information par le plaisir, le jeu, ou encore l'implication, dans la
même logique que celle des Serious Game : une forme ludique, une navigation semi-autonome et
engageante, une scénarisation avant tout au service du contenu et de son appropriation, attentive,
par le public. Le datajournalisme, dans cette même logique de narration visuelle, répond à cette
affirmation fameuse : « des dessins plutôt que des mots ». Caroline Goulard, co-fondatrice du
site Actu Visu, définit ainsi ce mode de traitement86 : « La définition commence avec le terme de
data. Pour le journaliste traditionnel, la brique de base est l’article. Le journaliste travaille sur
la narration. Avec les données, on n’est plus dans la narration verbale, mais dans une narration
construite autour d’éléments grammaticaux qui appartiennent au lexique visuel. Le journaliste
de donnée s’adresse à l’intelligence visuelle. » Le journaliste traite rarement les données avec
84 On notera également l'expérimentation du Monde de cet été : une bande dessinée narrant le procès, à venir, de l'ancien Président de la République Jacques Chirac.
85 Scherer, E, La révolution numérique, Paris, Dalloz, 200986 Guillaud, H, « Journaliste de données : data as storytelling » in Internet Actu, 9 juillet 2010 :
http://www.internetactu.net/2010/07/09/journaliste-de-donnees-data-as-storytelling/ (11/09/2010 à 16h02)Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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profondeur, déjà parce que la tâche coûte du temps et est peu aisée, les données étant le plus
souvent éclatées et non reliées. Pourtant, avec Internet, il n'a jamais été aussi simple d'y accéder
et nombre d'outils d'aider à les matérialiser et organiser. De quoi mieux comprendre une
nébuleuse de chiffres auparavant impalpable, mieux dessiner un contexte économique, mieux
contextualiser une information, etc. Aussi, des écritures adaptées aux supports mobiles, et aux
prochains éventuels supports de l'information (écrans urbains, journaux digitaux, objets du
quotidiens) doivent être dès maintenant pensés.
Contexte, tri et mise en scène
Sur Internet l'information est bruyante, balancée de toute part en flux tendu sur le mode
de la redondance et de la brièveté : difficile d'y déceler une valeur quelconque, difficile de
détecter le signal dans le bruit. Le tri, la sélection, la mise en scène de ces informations et leur
contextualisation apparaissent essentiels. Et si cela est réussi, réalisé de manière simple et
efficace et fait gagner du temps et des connaissances dans le même temps, alors la valeur
émergera. Partout sont donnés le « Who », What », « When », Where », l'enjeu consiste à donner
le « How » et le « Why » - via la pertinence du fond et sa contextualisation, via l'ergonomie et le
discours de la forme.
Cette dernière piste nous amène à nous tourner vers un enjeu non moins essentiel que
celui des pratiques journalistiques : la médiation de l'information.
3) Repenser les formes même de la médiation
Au delà des enjeux qui entourent les formes du journalisme, Hubert Guillaud nous
prévient de la pauvreté de nos pratiques et outillages87 en matière de réception intelligente de
l'information : « Notre littératie, c'est-à-dire notre alphabétisme numérique, que ce soit celui des
plus jeunes comme le nôtre, est souvent bien pauvre. Nous savons mal lire ce que l'internet nous
renvoie... (...) Savoir construire ses filtres d'accès à l'information devient capital : sélectionner
des sources, des personnes, des thématiques, des flux oriente la façon dont nous accédons à
l'information. Mais qui sait le faire ? Est-ce si simple ? » Et de critiquer jusqu'aux agrégateurs et
autres moteurs de recherche sensés pourtant « faire émerger un sens de cette accumulation. Ils
87 Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de l'Orme 2.10, 31 mars 2010 : http://www.orme-multimedia.org/r2010/images/stories/orme2.10/pdf/orme2.10_guillaud.pdf (11/09/2010 à 13h10)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 53
sont encore loin du compte. (...) Plus ils classent, plus ce qui émerge est une information
moyenne, banale. (...) Les outils du web 2.0 nous ont fait rentrer dans l’ère de l’agrégation, mais
c’est une expérience dont on perçoit assez vite les limites. Ils favorisent la somme des regards
plutôt que leur pertinence. Bien sûr, savoir qu’on partage un intérêt avec une foule de gens est
une information, mais une information sur quoi ?… (...) Les actions que l’on réalise sur le web,
les photos que l’on collecte, les vidéos que l’on visionne et que l’on critique, les signets que l’on
met de côté… Toutes ces traces, si nous savions mieux les comparer (et pas seulement les
agréger) à celles des autres, si nous comprenions mieux comment leur dissémination fait sens,
peut-être nous permettraient-elles d’y voir plus clair ? (...) C’est pour moi toute la limite des
outils que nous utilisons aujourd’hui, tout « web 2.0 » qu’ils s’affirment, qui favorisent la somme
ou la moyenne des regards plutôt que leur pertinence… Mais comment faire sens ? Comment
aider le regard à se déporter, quand la plupart de nos outils favorisent le sens commun ?
Comment favoriser, mettre en valeur, mieux analyser la dissémination plutôt que la
concentration ? La qualité ou la pertinence, plutôt que la quantité ? Trop d’outils mettent en
avant le plus lié, le plus vu, le plus écouté, le plus lu. (...) Où sont les outils qui nous aideront à
prendre les chemins de traverse ? » Et Hubert Guillaud, comme d'autres, d'en appeler à une
écologie informationnelle : « Certes, nous circulons mieux dans l’information, mais on oublie
souvent de nous permettre de mieux la gérer et de mieux la comprendre. Si la fracture de l’accès
aux nouvelles technologies tend à se réduire, ne sommes-nous pas en train d’en construire une
autre, celle des savoirs, des compétences et du temps disponible en ligne ? Celle de l’attention.
Une fracture cognitive entre ceux capables d’utiliser les outils et de naviguer dans la
surinformation et ceux qui n’en auront ni le temps, ni les moyens, ni les capacités. Entre ceux
qui connaissent les outils, qui savent chercher et trouver, et ceux qui ne sont capables que de
consulter...(...) Jean-Noël Lafargue le dit très bien : « Les outils cessent d’être des vecteurs
d’émancipation lorsqu’on n’en a aucune maîtrise. » (...) Une écologie informationnelle n’est pas
une utilisation durable de nos outils numériques (...) mais une utilisation durable de « notre
temps de cerveau disponible ». »
On l'aura compris, et tout à chacun déjà ressenti : il est aujourd'hui de plus en plus
difficile de détecter le signal dans le bruit, de faire la part entre l'important et l'éphémère, entre le
commentaire et l'information, entre la donnée et l'information. Il est urgent d'offrir des moyens,
ouverts, accessibles et compris par tous, de filtrage et d'orientation parmi les flux incessants dans
lesquels nous baignons, et que nous craignons aussi paradoxalement de manquer. Il nous semble
que deux niveaux doivent être envisagés : le travail de l'algorithme puis celui de l'humain. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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L'algorithme. Celui-ci permet de « qualifier », à l'aide des métadonnées, le flux et ses
composants, puis de les trier et filtrer : montrer le bruit, montrer les silences ; rassembler les
contenus par thématiques, mots clefs, protagonistes, localités, etc ; trier par degrés d'appétence,
sources, etc ; assembler par affinités communautaires, etc. Autant de possibilités d'organisation
qui peuvent être, au choix, générées automatiquement ou à la demande, au gré des envies et
besoins des internautes. Cette posture étant acceptée, il s'agit ensuite d'en décider la
matérialisation : un flux reste un tout abstrait. Il s'agit de pouvoir naviguer efficacement et
facilement, d'en avoir une compréhension immédiate pour une utilisation efficiente. Là intervient
la datavisualisation, soit la narration visuelle des données à l'aide de timelines, trimap, graphes,
radars, nuages de tags, cartes, et autres visualisations interactives servant de guides dans le
parcours et les recherches de l'internaute. Egalement, les notions de filtres et recommandation
algorithmique sont ici essentielles. A un niveau second, ces notions permettent également un
accès facilité au sein des contenus, notamment audiovisuels : une vidéo annotée, châpitrée,
contextualisée ; un podcast dont la forme sert la compréhension du fond, dont les diverses
entrées sont informées et contextualisées. Nous en conviendrons cependant, cette étape ne
constitue que la première couche, globale et surplombante, d'un accès à une maîtrise et une
compréhension plus palpable du flux, des contenus, de l'information.
L'humain. Pour ensuite pouvoir contextualiser plus finement les données, les analyser, et surtout
nous dire ce qui est important, l'humain, ici le journaliste, doit jouer un rôle essentiel. C'est lui
qui saura décider de datavisualisations discursives et par là plus pertinentes que les premières : il
opèrera un tri plus fin, une sélection plus critique, une contextualisation plus orientée, et
enrichira les métadonnées (en collaboration avec le public), pour ensuite scénariser et analyser.
Au delà, l'algorithme sera pour lui un indicateur : chercher dans les silences une information
passée à la trappe, détecter des tendances et impulser une enquête, offrir un nouvel angle sur une
affaire surmédiatisée, etc. Aussi, l'accès du public à ces outils offre pareillement à celui-ci de
faire ses propres analyses mais également d'alerter les journalistes sur certains points saillants,
non regardés ou oubliés. Il ne se ferme pas à la collaboration, bien au contraire, mais à tend à une
co-critique, co-construction et co-refonte des pratiques, de l'information, des modes de
circulation, etc. Dans cette logique, et pour faciliter l'appropriation des informations, il faudra
disséminer l'ensemble de ces outils, datavisualisations, contenus, analyses et travaux
journalistiques en dehors du site-mère, et dans les espaces numériques au sein desquels progresse
le public. La pervasion, qui sera le mettre mot du web futur, suppose cette réappropriation des
espaces hors site, des usages fragmentés des internautes.Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Cette mission doit-elle incomber aux journalistes ou bien être en partie délocalisée auprès
d'acteurs hors médias à même de déployer de telles technologies ? La réponse n'est certainement
pas binaire et répond davantage à des logiques de co-construction, co-développement,
collaboration, co-financement. Mais nous l'avons vu plus haut, rien de moins simple...
4) Dépasser les querelles économiques et politiques
Comme précédemment démontré, la filière de l'information en ligne souffre d'une grande
instabilité : producteurs multiples, médias, hors médias et amateurs ; information omniprésente ;
circulation éclatée ; consommation fragmentée ; modèles économiques non viables. Dans ce
contexte, l'absence de coopération, les querelles intra et extra professionnelles nuisent d'autant
plus à l'évolution durable de l'écosystème de la filière. Il est urgent d'envisager les conditions de
son développement. Lesquelles ne peuvent, à nos yeux, que passer passer par la fédération des
entités et acteurs concernés, par le partage de moyens, financiers, humains, technologiques, et
aussi de la R&D, de la veille, de l'expérimentation, de la formation, de la pédagogie.
Mais pointons un instants les freins objectifs qui contraignent les acteurs francophones de
l'information : la territorialité des droits, la question de l'ouverture des données, la difficulté à
articuler l’international et le national, la non interopérabilité des standards et formats utilisés par
les médias, le manque de R&D. Quant aux freins subjectifs : manque de revenus amenant en
partie à une frilosité face à l'innovation, fédération difficile des acteurs intra et hors médias.
L'idée que nous souhaitons ici évoquer est celle de la constitution d'un organe qui serait à
même de rallier l'ensemble des acteurs de la filière de l'information en ligne : médias, centres de
recherche, monde de l'université et de l'éducation, grands acteurs du web (portails, moteurs de
recherches, fournisseurs d'accès à internet, plateformes de contenu), monde de la publicité... Un
organe qui travaillerait autour de l'évolution des pratiques culturelles et sociales, des nouvelles
formes de consommation et d'appréhension des contenus, des nouvelles écritures journalistiques
et des modèles économiques à envisager, et ce dans une logique transdisciplinaire. Un organe qui
saurait animer le débat public et citoyen, déployer une veille prospective, financer une
importante R&D, expérimenter et mettre en pratique des technologies et projets innovants,
former les professionnels et les citoyens.
Régulièrement demandée, il semblerait qu'une telle entité soit effectivement sur le point
de naître, impulsée par le programme « Investissements d'avenir » de l'Agence Nationale de
Recherche, dans le cadre du grand emprunt. Voyons ce qu'il en ressortira....Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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CONCLUSION
« Le présent est invisible », annonçait le philosophe des médias Marshall McLuhan en
1969, dans une interview-fleuve accordée au magazine Playboy. Où il expliquait que, à chaque
fois que se produit une importante innovation dans le domaine des médias, « le système nerveux
central produit une anesthésie autoprotectrice », le prémunisant ainsi contre la « pleine
conscience » de ce qui lui arrive. Plus tard seulement, nous pouvons comprendre les mutations
qui nous affectaient alors. De cette manière, le nouvel environnement permis par une innovation
« ne devient pleinement visible qu'après son remplacement par un nouvel environnement : nous
avons toujours un temps de retard dans notre vision du monde ». De fait, nous ne pouvons
contrer cette attitude, au moins faut-il l'avoir en tête pour trouver une alternative à cet
aveuglement de fait : observer, tenter d'évaluer, ouvrir un maximum de portes. En somme,
multiplier les chances de s'en sortir.
Depuis quinze ans que les professionnels de l'information ont investi Internet, ceux-ci ne
cessent de chercher une solution pour un environnement économique qui soit viable et durable –
et ce en solitaire, de manière indépendante, sans réelle entraide corporative et encore moins hors
des frontières du métier. On le voit, de nouvelles tendances émergent au rythme de cycles courts,
des tentatives sont rapidement abandonnées puis réactualisées, et vice et versa, à mesure que le
Web tend lui à se professionnaliser, les internautes à s'affirmer et leurs pratiques mûrir. Tandis
que ce qu'il est commun d'appeler les « Pro/Am » ont déjà envahi une partie du processus de
production, nombre d'acteurs hors médias, cherchant à s'adapter au Web, se développent jusqu'à
empiéter sur le terrain de la filière de l'information en ligne et d'en déstructurer en partie ses
fondements juridiques et économiques. C'est pourtant avec eux que les médias doivent
aujourd'hui nécessairement travailler et dessiner un écosystème informationnel solide pour
demain. C'est en partie avec eux qu'il faut redéfinir un modèle socio-economico-juridique, avec
eux qu'il faut collaborer en vue du développement de nouvelles technologies, avec eux qu'il faut
repenser les modes d'existence de l'information. Car ce sont eux qui en partie parviendront à faire
vivre les contenus des médias en dehors de leurs frontières et auprès du public. Aussi, aux
médias de s'approprier et inventer de nouvelles formes d'écritures de l'information, de donner
davantage d'influence au public et moins aux annonceurs, d'expérimenter, d'oser expérimenter.
Nous ne cherchons pas à dire qu'ils n'en ont pas l'intention. Beaucoup l'aimerait s'il n'y avait pas
un manque flagrant de revenus et une situation de coopétition déséquilibrée et porteuse
d'inquiétudes et de rancunes. C'est en cela qu'il nous semble incontournable que se crée une ou
des entités rassemblant en leur sein l'ensemble des protagonistes de l'information et du Web – Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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dont le public –, l'ensemble des domaines à même d'enrichir la veille, la recherche,
l'expérimentation, l'ensemble des modes de financement à même de motiver des projets. Sans
souhaiter jeter la pierre aux médias, nous avons voulu montrer ici en quoi l'information ne
circule plus dans un sens unique ni ne se construit à une main ni ne se finance via seulement un
ou deux portefeuilles. Les médias ne sont plus seuls sur le terrain de l'information. Mais ils sont
essentiels et irremplaçables. Il faut s'en convaincre pour se permettre d'investir en temps,
créativité et innovation, pour ne pas avoir peur de frapper aux portes des grands acteurs du web
« coopétiteurs ».
Ainsi, nous appelons à une approche écosystémique dans le sens où, indéniablement
liées, les parties agissant de près ou de loin sur la filière de l'information en ligne doivent
nécessairement être considérées et intégrées au projet de développement durable de cette
dernière. Ce n'est actuellement pas le cas, d'où le déséquilibre. Or, nous sommes actuellement
rentrés dans l'ère des réseaux, où ce n'est plus une entité mais une multitude d'agents
indépendants qui oeuvrent à un même projet. Aux médias, comme les autres protagonistes, de s'y
adapter, de faire confiance aux divers acteurs et d'en tirer partie. Le Web est par définition
ouvert, et toute tentative de renfermement comporte ses limites, pour ne pas dire une mort
prématurée. Aujourd'hui, production, diffusion et consommation s'effectuent de manière éclatée,
fragmentée et via des acteurs autonomes. Il y a fort à parier que non pas une fusion mais plutôt
une mise en réseau serait structurante et, à la fin, bénéfique. Reste certainement à trouver un
projet commun, puis ses conditions d'existence. Et ce, alors même qu'une nouvelle menace
plane, qui pourrait une fois de plus déstabiliser l'ensemble de la filière jusqu'à ôter à l'information
son rôle démocratique originel : la possible fin de la neutralité du net...
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 58
BIBILOGRAPHIE SELECTIVE
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 59
1 – Essais, travaux universitaires, revues,
Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
Titulaire d'un doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication et chercheur
associé au CRAPE-Rennes 1 (Centre de Recherches sur l'Action Politique en Europe), Yannick
Estienne a enquêté, dans le cadre de sa thèse, sur les journalistes web. Il s'intéresse ici à la filière
de l'information en ligne et ses multiples acteurs avant de se concentrer plus spécifiquement sur
le métier de journaliste sur Internet : les implications que cela entraîne sur l'ensemble de la
profession, et ce que cela révèle de la profession. Loin de discréditer le métier, l'auteur tente
d'envisager les nouveaux rôles que seront amenés à endosser les journalistes à l'avenir.
Guillaud, H, « S'informer à l'heure du numérique : enjeux et limites » in Les rencontres de
l'Orme 2.10, 31 mars 2010
Le rédacteur en chef du site Internet Actu relève ici les éléments critiques qui agissent sur
l'évolution des pratiques de consommation de l'information en ligne et nous ouvre des pistes
d'amélioration.
Joannès, A, Le journalisme à l'ère électronique, Paris, Vuibert, 2008
Journaliste et consultant en veille stratégique et en communication interactive, Alain
Joannès tente d'offrir à ses pairs un regard analytique sur l'évolution du paysage médiatique et de
son audience à l'ère d'Internet, et face à l'émergence des Nouvelles Technologies de l'Information
et de la Communication. Surtout, Alain Joannès présente finement des outils électroniques
propres à l'exercice optimal du métier de journaliste et, par là, essaie d'expliquer en quoi
l'exploitation raisonnée des réseaux peut permettre aux journalistes d'améliorer leurs qualités de
réflexion, leur réactivité, leur productivité. Au delà des méthodes nouvelles de collecte et de
traitement de l'information, l'auteur prône notamment, pour l'organe de presse, le recours au
réflexe Rich Media, à la diffusion multicanal et à la mise en place d'une rédaction intégrée
organisée en réseau.
Pisani, F, Piotet, D, Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes, Paris,
Pearson Education France, 2008
Francis Pisani, notamment auteur du blog Transnets spécialisé dans les nouvelles
technologies, et Dominique Piotet, directeur de la filiale américaine de l'Atelier, organisme de
BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies, s'essaient à une subtile et pointilleuse analyse du Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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web et de ses acteurs/internautes, qu'ils nomment les webacteurs. Après une réflexion pertinente
sur les bouleversements sociaux et nouvelles dynamiques relationnelles engendrés par/sur
Internet, les auteurs placent celle-ci en face des problématiques économiques contenues dans la
chose numérique, où il est question d' « entreprise liquide » et de renouveau journalistique.
Polomé, P, 2009, Les médias sur Internet, Toulouse, Milan, 2009
En près de soixante pages, l'auteur propose d'expliquer ce qu'est un « cybermédia », un
« cyberarticle », un « cyberjournaliste », ou encore un « cyberlecteur », puis d'en extraire des
problématiques majeures : quid de l'économie des médias en ligne ? De la liberté d'expression
numérique ? De l'anonymat ? Etc. Une rapide et instructive découverte de l'univers des médias-
en ligne à l'heure actuelle, et dont l'avenir se dessine en point d'interrogation.
Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard, 2009
Rédacteur en chef à L’Expansion, Bernard Poulet pose sans tabou le débat du rôle de
l’information dans nos sociétés et le devenir de la presse. Et ce en s'appuyant sur trois
révolutions auxquelles doit faire face la filière : la révolution numérique, le bouleversement des
modèles publicitaires et les changements de comportements - notamment des jeunes - à l’égard
de la presse.
Tronquoy, P (eds.), Informations, médias et Internet, Paris, La Documentation française,
Collection Cahiers français, n°338, mai-juin 2007
L'ensemble du recueil cherche à analyser les conditions de production de l'information.
Une première partie s'intéresse aux liens entre médias et démocratie, tandis qu'une seconde
questionne les relations (concurrence ou complémentarité ?) qui s'exercent entre médias
traditionnels et en ligne, analyse les spécificités de l'information en ligne, ou encore les usages,
politiques, intimes, publics ou privés, de l'Internet.
Scherer, E, La révolution numérique, Paris, Dalloz, 2009
Le directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP, et veilleur sur le blog AFP-
Mediawatch, livre ici un glossaire utile, à même de décrire simplement et efficacement les
différentes évolutions en cours sur le Web.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 61
Scherer, E, Médiapocalypse ou Médiamorphoses ?, AFP-MediaWatch, printemps-été 2009
Scherer, E, Context is King!, AFP-Mediawatch, automne-hiver 2009-2010
Scherer, E, Remettre le génie dans la bouteille ?, AFP-Mediawatch, printemps-été 2010
Des cahiers de tendance édité deux fois par an par l'observatoire international des
nouveaux médias AFP-Mediawatch. Ceux-ci présentent de nouvelles tendances, de nouveaux
usages du Web, en cours, interroge des modèles d'affaires émergents sur la toile et des nouvelles
formules éditoriales numériques, tandis qu'il dresse le bilan d'expériences passées riches
d'enseignement et se projette vers l'avenir.
Smyrnaios, N, « Journalisme et innovation sur internet » in Jurnalism Si Comunicare, 2008
Un article qui présente le fossé existant entre une offre de contenu classique sur le web,
ici dans le domaine journalistique, et la multiplication d'outils et services innovants sur Internet,
le plus souvent impulsés par les internautes eux-même. Où, pour ce faire, l'auteur, Maître de
Conférence en Sciences de l'Information et de la Communication, aborde le développement
fulgurant des outils de recherche et l’élargissement de leur champ d’application, la
personnalisation poussée de l’accès au contenu, l’émergence d’une information participative et la
diversification des canaux de distribution de contenus audiovisuels.
coll., Presse en ligne, Réseaux, n°160-161, Paris, La Découverte, 2010
Les articles de ce numéro, qui s'appuient en majorité sur des enquêtes de terrain,
apportent des éléments de réponse aux différentes problématiques entourant les médias en ligne.
Nous nous sommes particulièrement imprégnés des études de Fabien Granjon et Aurélien Le
Foulgoc, « Les usages sociaux de l'actualité », et de Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios, « Les
infomédiaires au coeur de la filière de l'information en ligne ».
Dossier spécial Internet rend-il encore plus bête ? in Books, n°7, juillet-août 2009 : p.12 à 62
Le magazine consacre son numéro d'été à la mutation culturelle engendrée par le Web et
les nouvelles technologies, via la retranscription d'essais et articles internationaux aux points de
vues divergents.
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2 – Entretiens
Eric Mettout, rédacteur en chef du site de L'Express, questionnaire par mail, 23 juin 2010
Francis Pisani, Eric Scherer, Nicolas Voisin (fondateur de 22 mars, société éditrice d'Owni) et
Alice Antheaume (responsable de la prospective à l'Ecole de Journalisme de Sciences Po) :
entretiens menés dans le cadre du projet de refonte du service 2424actu (agrégateur d'actualité
multimédia).
3 – Sites web
Autant de blogs et médias en ligne spécialisés dans les nouvelles technologies et
alimentés par des journalistes, acteurs et théoriciens des médias et du web 2.0 notamment.
Actualisés quasi quotidiennement, au rythme des innovations et développements de la toile,
fournis dans l'idée d'une pensée en « work in progress », ces espaces d'information et de
réflexion permettent une vision éclatée, ouverte et perpétuellement ajustée du web et de ses
problématiques. Nous ne faisons apparaître ici qu'un concentré de nos sources.
http://blog.actuvisu.fr/ : le blog du nouveau média Actu Visu, « un site de visualisation de
l'actualité. Une nouvelle manière de raconter le monde. Avec des infographies interactives. Avec
des données parlantes. »
http://atelier.rfi.fr : le site de l'Atelier des médias, une web-émission de la radio RFI à destination
de « la communauté des nouveaux médias ».
http://benoitraphael.com/ : après Demain tous journalistes ?, le nouveau blog de l'ancien
rédacteur en chef de LePost.fr, La social NewsRoom, dissèque en particulier les modèles
économiques des médias en ligne et pure players du Web.
http://www.electronlibre.info/ : un collectif de journalistes traitant quotidiennement de l'univers
numérique.
http://www.internetactu.net/ : un site de référence auprès des professionnels. Il traite de
l'innovation dans les techniques, les services et les usages des technologies de l’information et de Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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la communication. Son ancêtre était le Micro Bulletin, publié par le CNRS à partir de 1979. Le
site est aujourd'hui exploité par la Fing (Association pour la Fondation Internet Nouvelle
Génération).
http://www.journalistiques.fr : le blog d'Alain Joannès, auteur de l'ouvrage Le journalisme à l'ère
électronique, mentionné plus haut.
http://www.journalismes.info/ : un « web-observatoire » du journalisme sur Internet.
http://medias2.tv/accueil : la plateforme communautaire de la revue Médias. « Un lieu d'échange
et de production de textes, de sons et d'images », auquel collaborent journalistes, étudiants,
universitaires...
http://mediagazer.com/ : un agrégateur spécialisé dans les médias et les nouvelles technologies.
http://mediawatch.afp.com : ce blog, dont les contributeurs sont des journalistes et des cadres de
l’AFP, issus des quatre coins du monde, est conçu comme un guide d'usage à l'intention des
professionnels des nouveaux médias. Les « liens vagabonds » sont incontournables.
http://www.niemanlab.org/ : un think tank collaboratif traitant de l'évolution des médias et du
journalisme et émanant de l'université de Harvard.
http://novovision.fr : sans tabou, le blog du dénommé Narvic prend le temps de l'analyse, avec
un propos riche car constamment référencé : monde numérique, journalisme en ligne et médias
en ligne y sont longuement disséqués.
http://owni.fr/ : « OWNI est un groupe de médias français et européen, ainsi qu'un "thinktank" à
ciel ouvert, au sein duquel collaborent 20 éditeurs et journalistes permanents, plus de 600
blogueurs, des développeurs, des designers, des entrepreneurs, des étudiants et des chercheurs.
Nous y expérimentons le « Digital Journalism » (datajournalism & information en réseau) et
cherchons à comprendre le monde qui nous entoure sous un regard critique, constructif et
technophile. » Un producteur et agrégateur de contenus sélectif portant sur l'univers numérique,
les médias, le journalisme... Incontournable.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 64
http://papierbrouillon.posterous.com/ : un « carnet de notes personnel sur ce que pourrait être
un média d'avenir. Avec le recul de quelques années d'expériences à plonger les mains dans le
cambouis du journalisme », par Jean Abbiateci, journaliste.
http://pisani.blog.lemonde.fr : le blog de Francis Pisani, co-auteur de l'ouvrage Comment le web
change le monde. L'alchimie des multitudes, mentionné plus haut.
http://www.presse-citron.net/ : l'un des blogs HighTech les plus consultés. Il est alimenté
quotidiennement par Eric Dupin, consultant.
http://fr.readwriteweb.com/ : essentiel et publié en cinq langues, « un blog dédié aux
technologies Internet, qui en couvre l’actualité et se distingue par ses notes d’analyse et de
prospective ainsi que par l’accent mis sur les usages et leurs impacts sur les médias, la
communication et la société. »
http://www.themediatrend.com : alimenté par Marc Mentre, journaliste, ce blog est « destiné à
recenser les ressources disponibles, à reprendre les études et à analyser les expériences
intéressantes concernant les nouveaux médias, les nouvelles pratiques journalistiques et les
nouveaux usages, en les replaçant, lorsque c’est possible, dans leur contexte historique ».
http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/ : alimenté par Alice Antheaume, responsable de
la prospective et du développement à l'Ecole de Journalisme de Sciences Po, le blog W.I.P.
(Work In Progress) « traite des rédactions prises dans le tsunami du temps réel et des usages de
l’audience qui changent souvent plus vite que les journalistes ».
...
4 – Emissions
Place de la toile : « une émission qui aborde les différents aspects de la révolution numérique,
moins du côté technique que du côté des conséquences qu’elle induit sur l’information, les
médias, la communication, les liens sociaux entre les individus, et finalement, l’organisation de
notre vie », sur France Culture, toutes les semaines.
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L'atelier des médias : la « Web-émission participative pour la communauté des médias et réseau
social de rfi ».
L'atelier numérique : « Avec une alternance de formats sérieux et ludiques, « l'Atelier
Numérique » a comme ambition de livrer une analyse critique, approfondie, et parfois amusée,
sur Internet et les technologies de l'information », toutes les semaines sur BFMRadio
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ANNEXES
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 67
La filière de l'information en ligne
in : Rebillard, F, Smyrnaios, N, « Les infomédiaires au coeur de la filière de l'information en
ligne. Le cas de Google, Wikio et Paperblog » in Presse en ligne, Revue Réseaux, n°160-161,
Paris, La Découverte, 2010.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 68