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Les NOUVeLLes L e delta du Danube est un autre univers. Il fait prendre conscience aux Européens de la dimension sauvage que recèle encore leur continent et aussi de son immensité. Là, on est au bout d'un monde, comme on le ressent en Laponie, un monde plein de mystères… pour nous, les civilisés, qui nous sommes éloignés de la nature. Alors, à son contact, nombre d’entre-nous retrouvent leur regard d'en- fant, naïf et émerveillé. Car le Delta réserve des moments d'une beauté simple et pure. La vie y explose… des oiseaux, des fleurs, des plantes, de l'eau, des étangs, des marais, des lagunes et ces longs canaux ombragés de saules où, se frayant un chemin parmi les roseaux, on se laisse glisser en barque pour s'inviter à un spec- tacle unique : l'Opéra sauvage. Ici, rien n'est silence : bruisse- ments d'ailes, caquètements, trilles, ricanements, cris ou plon- geons… le concert est ininterrompu. Escadrilles de pélicans qui décollent lourdement tels des bombardiers de l'autre guerre, aigles pêcheurs surveillant leurs proies, ibis aux vols épurés, aigrettes perchées sur leurs longues pattes, colonies de cygnes chanteurs : on reste muet devant cette œuvre de nature divine. Mais le Delta, c'est aussi une aventure humaine. Celles des Lipovènes, ces vieux croyants russes reconnaissables à leur longue barbe blanche, fuyant les persécutions religieuses de Pierre le Grand, venus du Don et réfugiés voici trois siècles dans ces terres difficilement accessibles où ils ont apporté leurs talents de pêcheurs. Celle de Sulina, à la fin du continent, port cosmopolite du début du XXème siècle, devenu ville fantôme, vivant du souvenir de son opéra et de son théâtre, dont la richesse était due à son canal, ce boulevard du soleil que l'homme et la Commission Européenne du Danube avaient creusé rectiligne d'Est en Ouest pour permettre aux bateaux de la mer Noire de remonter jusqu'à Tulcea. Celle aussi du petit port de Sfântu Gheorghe, capitale du caviar jusqu'à ce que les esturgeons se raréfient ainsi que les harengs du Danube. Aujourd'hui, les temps sont devenus durs pour toutes ces familles de pêcheurs qui ont vécu jusqu'ici en harmonie avec leur milieu. Le poisson s'est fait rare, les réglementations poin- tilleuses et les habitants se sentent dépossédés de leur terre par une administration qui l’a confié à des privilégiés du régime. Les jeunes ont pris le chemin de la capitale, voire de l'étranger. Mais l'espoir renaît. Il a pour nom, agro-tourisme et attire de plus en plus de visiteurs curieux de connaître ce monument naturel du Vieux Continent. Traversant ou longeant dix pays et quatre capitales, le Danube n'est-il pas le meilleur symbole de la vocation de l'Europe à se retrouver et à s'unir ? Au fil de ces pages, nous vous invitons à vous joindre à ce voyage là où la dimension sauvage du continent est encore préservée. Dolores Sîrbu-Ghiran Delta du Danube : au bout du continent l'Europe sauvage encore préservée Supplément Tourisme Découverte Delta du Danube L'opéra sauvage Ils reviennent ! Le retour des "agro-touristes" Des clés pour entrer dans le royaume lacustre Une dizaine de jours au coeur du Delta La promesse de pêches miraculeuses Dieu aurait-il abandonné son peuple de pêcheurs ? Crisan, capitale sur le boulevard du soleil Sulina, fascinant port devenu fantôme Sfântu Gheorghe rêve d'Hollywood Un canal pour du blé… Une route pour perdre son âme Classé au patrimoine de l'Humanité mais accaparé par les nouveaux boyards Le corsaire et les amants de Sulina Supplément au numéro 28 (mars - avril 2005) de ROUMANIe SOMMAIRE 2 et 3 4 et 5 6 à 8 9 10 et 11 12 et 13 14 et 15 16 et 17 18 et 19 20 et 21 22 et 23 24

Les de N R · "Valurile Dunarii", "Les flots du Danube". Sulina a été célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve... Dans le cimetière marin, les morts des

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Page 1: Les de N R · "Valurile Dunarii", "Les flots du Danube". Sulina a été célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve... Dans le cimetière marin, les morts des

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Une terre du bout du monde ne peut être qu'une terre de légendes. Sulina en est l'illustration mêlant les destins peu ordi-naires de certains de ses enfants, aux vies tumultueuses des marins de passage. Dans les tavernes enfumées du port,drames, amours, rêves ont enflammé des imaginations souvent déjà embrumées par le vin de la Dobroudja, pour don-

ner naissance à de fabuleux récits, authentiques ou non. Ainsi en est-il pour Evantia, superbe princesse noire, devenue danseusedans un cabaret et dont tombera follement amoureux un officier de marine, Neagu, envoyé en mission à Sulina. Le coup de foudredurera un été, jusqu'à ce que la belle jeune femme apprenne la mort de son amant et se tue.

Cette histoire inspirera un autre héros, celui-ci bien en chair et en os, devenu en son temps légende vivante de Sulina et qui enreste encore son plus célèbre personnage, Eugeniu Botez (1877-1933). La carrière dumarin s'est confondue avec les heures de gloire du port. Capitaine de bateau, il passeraune longue partie de sa vie à bourlinguer sur les mers, en rapportant le surnom, quideviendra aussi son pseudonyme, de Jean Bart, en hommage au glorieux corsaire deDunkerque (1650-1702), pourfendeur des vaisseaux anglais et hollandais pour le comp-te de Louis XIV.

Célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve

Revenu au pays, Jean Bart deviendra commissaire du port de Sulina mais s'illus-trera surtout en lui consacrant un ouvrage, Europolis, devenu le plus grand succès delibrairie de l'Entre-Deux-Guerres dans le pays, traduit en plusieurs langues, réédité dixfois et chaque fois épuisé, et considéré comme le plus sentimental des romans d'amourroumains. Ce livre présente beaucoup de similitudes avec Aziyade, fille de harem, dePierre Loti, écrivain très à la mode au début du XXème siècle, notamment enRoumanie.

Jean Bart y décrit la tristesse et la mélancolie de ces marins qui se désespèrent derevoir leur bien-aimée, noyant leur chagrin dans l'alcool. Reprenant la légended'Evantia, il la popularisera. Dans Europolis, la princesse noire se transforme en filled'un aventurier de Sulina qui l'emmène à travers le monde. S'échappant des geôlesfrançaises, il reviendra dans sa ville natale pour devenir contrebandier et sera tué, ce quiconduira sa fille à se faire danseuse de cabaret et rejoindre ainsi la destinée d'Evantia.

Aujourd'hui, à Sulina, Jean Bart a supplanté définitivement le souvenir du capitaine Eugeniu Botez. Le lycée porte son nom,ainsi qu'une rue, un hôtel. La petite ville compte pourtant une autre célébrité, le compositeur de musique classique et chef d'or-chestre George Georgescu (1887-1964), fils d'un tambourin et porte-drapeau de la fanfare municipale, et surtout auteur du célèbremorceau "Valurile Dunarii", "Les flots du Danube". Sulina a été célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve...

Dans le cimetière marin, les morts des trois grandes religions reposent ensemble

D'autres souvenirs s'accrochent au port et montrent la vie intense qu'a connue ce lieu de brassage. Dans le cimetière marin quilonge la mer Noire, reposent, chacun dans leurs carrés, des Roumains, des Lipovènes, des Anglais, des Allemands, des Italiens,des Turcs. Tombes de capitaines, d'officiers, de simples matelots, de soldats de la guerre de Crimée se côtoient ainsi que celles desjuifs, musulmans, chrétiens. Monument national, renfermant une mémoire de cent cinquante ans, mais malheureusement laissé àl'abandon ces cinquante dernières années, il est le seul endroit du pays où se trouvent réunies les trois grandes religions du monde.

Là aussi, légendes et réalité empruntées aux drames qu'a connus Sulina se mêlent. Il suffit de marcher un peu entre stèles ettombeaux pour s'en convaincre. Ici, une sculpture saisissante montre deux fillettes enlacées. Elles étaient tombées d'un bateau pen-dant la nuit et s'étaient noyées dans le Delta. Leurs parents ont voulu qu'elles restent liées pour l'éternité dans la position où onavait retrouvé leurs corps, quelques jours plus tard.

Là, deux jeunes gens reposent l'un à côté de l'autre. William Webster, 25 ans, fils unique d'un évêque anglican, et MargaretPringle, 23 ans, elle aussi anglaise, s'aimaient d'un amour fou, rendu impossible, dit-on, par leurs familles, ennemies et ne voulantpas entendre parler d'un mariage. Les deux amants choisirent de mourir ensemble. Du moins, c'est la version qu'on en rapporte surplace. D'autres pensent qu'ils se sont noyés, après que William ait plongé pour sauver sa belle, qui était passée par dessus bord…Mais après tout, Sulina n'a-t-elle pas eu un destin assez étrange pour donner naissance à une nouvelle légende de Roméo et Juliette?

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

Le corsaire et les amants de Sulina

Les NOUVeLLes

Le delta du Danube est un autre univers. Il faitprendre conscience aux Européens de la dimensionsauvage que recèle encore leur continent et aussi de

son immensité. Là, on est au bout d'un monde, comme on leressent en Laponie, un monde plein de mystères… pour nous,les civilisés, qui nous sommes éloignés de la nature. Alors, àson contact, nombre d’entre-nous retrouvent leur regard d'en-fant, naïf et émerveillé.

Car le Delta réserve des moments d'une beauté simple etpure. La vie y explose… des oiseaux, des fleurs, des plantes,de l'eau, des étangs, des marais, des lagunes et ces longscanaux ombragés de saules où, se frayant un chemin parmi lesroseaux, on se laisse glisser en barque pour s'inviter à un spec-tacle unique : l'Opéra sauvage. Ici, rien n'est silence : bruisse-ments d'ailes, caquètements, trilles, ricanements, cris ou plon-geons… le concert est ininterrompu.

Escadrilles de pélicans qui décollent lourdement tels desbombardiers de l'autre guerre, aigles pêcheurs surveillant leursproies, ibis aux vols épurés, aigrettes perchées sur leurslongues pattes, colonies de cygnes chanteurs : on reste muetdevant cette œuvre de nature divine.

Mais le Delta, c'est aussi une aventure humaine. Celles desLipovènes, ces vieux croyants russes reconnaissables à leurlongue barbe blanche, fuyant les persécutions religieuses dePierre le Grand, venus du Don et réfugiés voici trois siècles

dans ces terres difficilement accessibles où ils ont apportéleurs talents de pêcheurs. Celle de Sulina, à la fin du continent,port cosmopolite du début du XXème siècle, devenu villefantôme, vivant du souvenir de son opéra et de son théâtre,dont la richesse était due à son canal, ce boulevard du soleilque l'homme et la Commission Européenne du Danube avaientcreusé rectiligne d'Est en Ouest pour permettre aux bateaux dela mer Noire de remonter jusqu'à Tulcea. Celle aussi du petitport de Sfântu Gheorghe, capitale du caviar jusqu'à ce que lesesturgeons se raréfient ainsi que les harengs du Danube.

Aujourd'hui, les temps sont devenus durs pour toutes cesfamilles de pêcheurs qui ont vécu jusqu'ici en harmonie avecleur milieu. Le poisson s'est fait rare, les réglementations poin-tilleuses et les habitants se sentent dépossédés de leur terre parune administration qui l’a confié à des privilégiés du régime.Les jeunes ont pris le chemin de la capitale, voire de l'étranger.Mais l'espoir renaît. Il a pour nom, agro-tourisme et attire deplus en plus de visiteurs curieux de connaître ce monumentnaturel du Vieux Continent.

Traversant ou longeant dix pays et quatre capitales, leDanube n'est-il pas le meilleur symbole de la vocation del'Europe à se retrouver et à s'unir ? Au fil de ces pages, nousvous invitons à vous joindre à ce voyage là où la dimensionsauvage du continent est encore préservée.

Dolores Sîrbu-Ghiran

Delta du Danube : au bout du continent l'Europe sauvage encore préservée

A la découverte du DeltaSupplément

TourismeDécouverte

Delta du Danube

L'opéra sauvage Ils reviennent ! Le retour des "agro-touristes" Des clés pour entrer dans le royaume lacustre Une dizaine de jours au coeur du Delta La promesse de pêches miraculeuses Dieu aurait-il abandonné son peuple de pêcheurs ? Crisan, capitale sur le boulevard du soleil Sulina, fascinant port devenu fantôme Sfântu Gheorghe rêve d'Hollywood Un canal pour du blé… Une route pour perdre son âme Classé au patrimoine de l'Humanité mais accaparé par les nouveaux boyards Le corsaire et les amants de Sulina

Supplément au numéro 28 (mars - avril 2005)

de ROUMANIe

Dans “Europolis”, roman qui connût un énorme succès en Roumanie,

l’écrivain Jean Bart évoque l’étrange attirance du fascinant port de Sulina.

SOMMAIRE2 et 34 et 56 à 8

910 et 1112 et 1314 et 1516 et 1718 et 1920 et 21

22 et 2324

Quand la réalité devient presque aussi forte que la légende ou bien l'inspire... il ne faut pas s'étonner de voir surgir des destins hors du commun.

Sulina a ainsi donné naissance à Jean Bart, écrivain qui se cachait derrière le nom du corsaire de Louis XIV, et à une version plus moderne de Roméo et Juliette.

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Sur ces 5800 km2, le Delta abrite 3846 espèces ani-males et 1668 de fleurs et de plantes. C'est donc àune explosion de la nature qu'est conviée le visiteur.

Passant silencieusement, il se sentira presque de trop danscette grande communion des éléments, de la faune et de laflore. Bruissements d'ailes, caquètements, trilles, ricanements,cris ou plongeons… un concert ininterrompu l'accompagne,prenant une ampleur étonnante le soir ou le matin, lorsque lesbatraciens se joignent à la fête.

Venus de Sibérie, de Chine, de Mongolie de Méditerranée, d'Afrique, de l'Arctique

Les oiseaux sont les principauxacteurs de cette symphonie. On endénombre 325 espèces, dont 70 nesont pas d'origine européenne. DesSibériens, des Mongols, desChinois, des Méditerranéens… ilsse sont donnés rendez-vous dumonde entier. Cette concentrations'explique par la conjonction de lasituation géographique, de la diver-sité des milieux naturels et de lafaible pénétration humaine.

L'hémisphère Nord est parcou-ru de couloirs qu'empruntent lesgrandes migrations d'oiseaux. Cinq d'entre eux se croisent enDobroudja, venant d'Europe Centrale, du nord de la mer Noire,du Caucase et d'Iran, des régions arctiques d'Europe et ded'Asie. Escale idéale à mi-chemin entre le pôle Nord et l'équa-

teur, situé sur le 45ème parallèle, le Delta du Danube revêt uneimportance majeure pour la reproduction, l'hivernage et lamigration. Certains oiseaux y passent l'hiver, tandis qued'autres prennent ou poursuivent la route vers la Méditerranée,le Moyen-Orient ou l'Afrique.

Escadrilles de pélicans aigles pêcheurs, ibis et cygnes chanteurs

Après avoir hiverné sous des cieux plus cléments, péli-cans, ibis ou aigrettes reviennent dès le printemps pour nicher.La position géographique n'explique pas tout : si des millions

de volatiles affluent dans la région,c'est qu'ils y trouvent des condi-tions de vie optimales. Steppes,forêts, marécages, roselières, lacs,lagunes et cours d'eau offrent d'infi-nies possibilités de refuge, unenourriture abondante et la tran-quillité.

Environ 20 000 bernaches àcou roux - la moitié de la popula-tion mondiale - apparentées auxoies, y prennent leur quartier d'hi-ver avant de rejoindre la toundrasibérienne, non loin des côtes arc-tiques. Au mois de mars, ce sont les

pélicans blancs qui quittent les rives de la mer Rouge et duDelta du Nil pour venir y nicher. Leur envol ressemble à celled'un bombardier et leurs escadrilles réunissent 50 % de leurpopulation eurasienne.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

Occupant un immeuble moderne à Tulcea, au bord mêmedu Danube, son siège est facilement reconnaissable et soulignedéjà l'importance de sa présence. Pour mieux marquer savolonté d'agir, le pouvoir a doté l'ARBDD d'un gouverneur,Virgil Munteanu, le seul que compte le pays avec celui de laBanque Nationale.

L'ARBDD règne sur un territoire de5800 km2 (2,5 % de la superficie de laRoumanie), supérieur à celui du simpleDelta car elle a également autorité surson voisinage, comme l'immense lacRazim, sorte de mer intérieure, leDanube maritime, la côte de la merNoire jusqu'à 20 mètres de profondeur.

Des zones qui ne sont pas toutes accessibles aux touristes

Son périmètre abrite une des plus grandes zones humidesdu monde, de nidification et de migration des oiseaux aqua-tiques, ainsi que la plus grande aire de roseau compact de laplanète. Il constitue un musée vivant de la biodiversité avec 30types d'écosystèmes naturels et un patrimoine naturel univer-sel inestimable de 1668 espèces de plantes, fleurs et arbres, et

3846 d'animaux, dont 160 de poissons et 325 d'oiseaux.La réserve a été partagée en trois zones :- les aires entièrement protégées, où pratiquement seuls

l'administration et les scientifiques ont accès, munis d'autori-sations spéciales. Elles sont au nombre de 18 et couvrent une

superficie totale de 500 km2 (8,7 % dela superficie de la réserve). Elles abri-tent des milieux complètement sau-vages présentant d'importants exemplesd'écosystèmes et d'espèces.

- les aires tampon, qui entourentles aires entièrement protégées. D'unesuperficie de 2230 km2 (38,5 %), ellessont destinées à surveiller l'influencedes activités humaines (pêche, récoltedu roseau) sur les écosystèmes. Les tou-ristes y ont accès sous certaines condi-tions (permis et accompagnateur

agréés).- Les aires économiques qui couvrent une superficie de

3000 km2 (53 %). Elles comprennent des aires inondables, deshabitats humains, des terrains agricoles et d'autres destinés à lareconstruction écologique. Elles sont libres d'accès sous réser-ve d'avoir un permis délivré par des agents ou pensions agréés.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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L'Opéra

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

patrimoine de l'Humanité

Bien que deuxième par sa lon-gueur, après la Volga (3690km), le Danube est de très

loin le fleuve le plus européen. Depuis sasource dans la Forêt Noire, à moins de 50km de la France, il traverse ou longe dix

pays tout au long de ses 2860 km(Allemagne, Autriche, Slovaquie,Hongrie, Croatie, Serbie, Roumanie,Bulgarie, République de Moldavie,Ukraine), ainsi que quatre capitales(Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade).Son bassin, avec une dimension de800 000 km2 - 8 % de la superficie ducontinent - regroupe une population d'en-viron 80 millions d'habitants. Par son rôlede liaison, le Danube est le symbole de lavocation du Vieux Continent à s'unir.

En Roumanie, il entre dans le paysun peu avant les Portes de Fer (notrephoto), y parcourt ses 1075 dernierskilomètres (38 % de sa longueur totale)

avant de se jeter dans la mer Noire, douzejudets en étant riverains (Caras-Severin,Mehedinti, Dolj, Olt,Teleorman, Giurgiu,Calarasi, Constantsa, Ialomita, Braïla,Galati, Tulcea). Il y est frontalier avecquatre pays, la Serbie, la Bulgarie, laMoldavie, l'Ukraine.

Le Delta à 82 % en Roumanie

Son delta de 4200 km2 - 82 % enRoumanie (3500 km2), 20 % en Ukraine(700 km2) - est le 3ème d'Europe, aprèsceux de la Volga et de la Kuban, et le22ème du monde. Plus jeune terred'Europe, il s'accroît de 40 km2 par an.

Le fleuve symbole de l'Europe gagne

La situation est quasiment identiqueà Sfântu Gheorghe, où un milliardaireachève la construction d'un impression-nant village avec des maisons en bois ettoits de chaume - respectant ainsi le cadre- comprenant des petits hôtels, salles deréception, villas, bungalows, etc. Cecomplexe doit être terminé à la rentréepour accueillir le festival de cinémade Bucarest, décentralisé pour l'occa-sion, et on y annonce la venue de l'ac-teur Robert Redford.

Des concessionnaires qui font la pluie et le beau temps

Autant dire que les habitants duDelta se sentent dépossédés de leurrégion. Mais plus encore, ils consta-tent que leurs conditions de vie bais-sent. Les concessions ont tué laconcurrence dans le domaine de la pêche.Les pêcheurs dépendent maintenant d'unseul acheteur qui fixe les prix.

Le kilogramme de maquereaux estainsi passé en deux ans de un euro à undemi euro. Ils constatent aussi que le kgde caviar, conditionné, leur est payé

100 € - ils n'ont droit qu'à un très faiblequota annuel - pour se retrouver à 800-1000 € dans les magasins Metro deBrasov ou Bucarest.

Le système des concessions a étécréé en 2002, après une tentative en 1995.L'administration entend par ce biais disci-pliner les activités de pêche.

Depuis 1990, plus personne ne payaitde taxes à l'Etat, alors que le domaine flu-vial lui appartient. Elle déclare vouloirmettre fin au braconnage et au déclin dela population piscicole, développer etmoderniser les activités de tourisme, decommerce, d'élevage des animaux, d'uti-

lisation du roseau et de son exportation.

Pour la première fois, les pêcheurs en grève

Avec les concessionnaires, de nou-veaux boyards sont ainsi apparus dans leDelta, ne reculant pas devant l'intimida-

tion, les pressions économiques, pourasseoir leur domination et faire taireles revendications. Nombre depêcheurs ont conscience que leur sta-tut a régressé et ont le sentiment de seretrouver un siècle en arrière, lors dela Rascoala ("La Révolte"), décritepar Rebreanu, qui avait conduit lespaysans à se soulever contre les grospropriétaires terriens qui les affa-maient.

L'an passé, pour la première fois,les pêcheurs du Delta se sont mis en

grève, demandant en vain la fin desconcessions. Finalement, beaucoup parcrainte, et après avoir obtenu quelquesaménagements, le mouvement s'estcalmé. Mais la colère est toujours là.

(Les Nouvelles de Roumanie juillet-août 2004)

de leurs domaines est revenu

Même l’exploitation des roseaux dépend des nouveauxboyards auxquels ont été attribuées les concessions.

Des oiseaux, des fleurs, des plantes… Dans le Delta, la vie explose et le silence n'existe pas. Le visiteur se laisse glisser en barque le long

des canaux ombragés de saules pour s'inviter à un spectacle unique en Europe : l'Opéra sauvage ou la grande communion de la nature.

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Déployant une envergure impressionnante, atteignant 3,20m pour le pélican frisé, on peut les observer entre 7 h et 9 h lematin, volant en formation, frappant l'eau de leurs ailes pourrabattre les poissons vers des zones moins profondes, plon-geant à l'unisson et ramenant dans la poche qu'ils ont sous lebec des carpes qui constituent l'essentiel de leur régime…environ un kilo par jour, et ilssont plus de 8000 !

Le pygargue ou aiglepécheur utilise une autre tech-nique. Tôt le matin, ce rapacerase la surface de l'eau à larecherche de gros poissons qu'ilsaisit dans ses serres et emporteaprès une lutte acharnée, captu-rant aussi à l'occasion descanards, des oies, des passe-reaux. Repus, il se repose lereste de la journée, perché surun arbre, le long des canaux oudes bras du fleuve.

Un tiers de la populationeuropéenne des ibis, reconnais-sables à leur long bec arqué, trouve également un abri dans leDelta, comme d'autres échassiers, aigrettes, hérons ou les colo-nies de cormorans pygmées (60 % de la population mondiale)ou de cygnes chanteurs de Sibérie. Parmi toutes ces espèces,l'amateur d'ornithologie tentera d'en reconnaître certaines quiont été déclarées "monument mondial de la nature": pélicanscommuns et frisés, grandes et petites aigrettes, cygnes muetset chanteurs, avocettes, canards rouges, vautours à queueblanche.

Ce paradis semble pourtant bien fragile. Au début duXXème siècle, des naturalistes avaient recensé 12 millionsd'oiseaux ; au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cechiffre n'était plus que de 7 millions. Aujourd'hui il se situeraitaux environs de 500 000.

On reste muet devant cette œuvre de nature divine

Toutefois, il serait déplacé d'imaginer que la magie duDelta tient à la seule présence des oiseaux. Ce serait oublier lecharme envoûtant de ce dédale de bras et canaux, grouillant de

vie, regorgeant de plus de 160espèces de poissons, dont 70d'eau douce, allant du brochet,de la carpe, du sandre au sau-mon, au hareng, à l'esturgeon.Déjà près d'un demi millénaireavant Jésus Christ, le père del'Histoire, Hérodote, décrivaitses activités de pêche.

Sur la multitude d'îlots, setrouvent également des loutres,des visons, des renards, dessangliers, des putois, des chatssauvages, et même des loups etdes ours. Les sables abritent destortues, des reptiles. Toute cettefaune concourt à la féerie des

lieux auxquels une végétation impressionnante donne un cadrenaturel incomparable. En dehors des roseaux, omniprésents,on y recense d'innombrables espèces de plantes, fleurs etarbres : peupliers, cerisiers sauvages, frênes, nénuphars, iris,menthe aquatique, oseille, fougères, ainsi que des lianes quidonnent un aspect tropical aux forêts de Letea et Caraorman.

Comment ne pas comprendre que l'homme reste muet,saisi d'émotion et plein d'humilité devant un spectacle de natu-re divine dont la grandeur le dépasse? Même doté de ses indis-pensables jumelles, d'ouvrages spécialisés, guidé par lesmeilleurs connaisseurs de la région que sont les pêcheurs, ilsait qu'il n'arrivera pas à en percer les secrets. Alors, il secontente d'ouvrir bien grand ses yeux et ses oreilles pour nepas perdre une miette de cet Opéra sauvage.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Dès le lendemain de la "Révolution", la Roumaniedemandait l'inscription du delta du Danubecomme réserve

biosphère dans le cadre du pro-gramme de l'Unesco. Dix huitmois plus tard, en décembre1991, l'organisation internatio-nale le classait au patrimoinemondial de la nature et de laculture. Le Delta l'avaitéchappé belle… Ceausescuprévoyait d'en faire des terresagricoles.

Les réserves de laBiosphère constituent un réseaumondial. Elles doivent remplirtrois fonctions complémen-taires: contribuer à la préserva-tion des paysages, des éco-systèmes, des espèces et des gènes; favoriser un développe-ment économique et humain respectueux des particularités

socioculturelles et environnementales, encourager larecherche, la surveillance, l'éducation et l'échange d'informa-

tions. Toutefois, elles conti-nuent à relever de la seule auto-rité de l'Etat sur lequel ellessont situées.

Réserve biosphère et gouverneur

Ainsi est née l'ARBDD(Administration de la Réservede la Biosphère du Delta duDanube), initiales que personnene peut ignorer sur place, tantcet organisme de tutelle a lamain haute sur le présent etl'avenir du Delta, de son envi-ronnement, de sa préservation,

de son économie, et donc de ses 15 000 habitants, répartis en25 villages et une ville, Sulina (4000 habitants).

Le fleuve, au débit à l'entrée du Deltade 6350 m3/seconde, se jette par troisbras, tous roumains, dans la mer Noire :

- au nord, le bras de Chilia, fronta-lier avec l'Ukraine, d'une longueur de 120km, forme à son embouchure un autremicro delta, situé en majeure partie sur leterritoire de l'Ukraine. Il transporte 58 %des eaux du fleuve, sa largeur et sa pro-fondeur maxima sont respectivement de1000 m et 39 m. Il est surtout empruntépour une navigation d'intérêt local.

- au centre, le bras de Sulina ; avecses 67 km, il est le plus droit et le pluscourt et le mieux aménagé. Il représenteun canal de navigation fluviale et mariti-

me sur lesquels peuvent circuler desbateaux de grande dimension. Il transpor-te 19 % des eaux du fleuve. Largeur etprofondeur maxima : 250 m et 18 m.

- au sud, le bras de SfântuGheorghe,10 km. C’est le plus ancienbras, le plus sinueux et le plus beau. Sesméandres ont été coupés pour raccourcirla distance. Il transporte 23 % des eauxdu fleuve. Largeur et profondeur maxi-ma: 550 m et 26 m.

Outre ses bras actuels, le Delta com-prend un réseau hydrographique secon-daire avec quatre grandes composantes:les anciens bras, les ruisseaux, les canauxet les brèches dans le littoral marin.

Les vasières fluviales ou maritimes,composées par des alluvions déposés à lalongue par les eaux du fleuve et de la merNoire, constituent sa forme principale derelief marquée par des formations com-plexes, comme les lacs dépressionnaires,ou simples, comme les étangs, d'une pro-fondeur de 0,5 m à 3 m, les lagunes àl'embouchure des petites rivières ouanciens golfes marins, les marécages, trèspeu profonds, les petites mares.

L'hydrographie du Delta comprendaussi un cordon littoral, zone maritime de10-15 km de large, d'une profondeur demoins de 25 m, influencé par les eauxdouces qui s'y déversent.

chaque année 40 km2 sur la mer Noire

Le temps des boyards et

Député PSD (Parti SocialDémocrate) du judet deTulcea depuis 2000 et ancien

maire de Crisan, au cœur du Delta duDanube, Dan Verbina, la quarantaine,s'est taillé un royaume jusqu'à la MerNoire et le port de Sulina, dans cette par-tie isolée de la Roumanie. Il a profité dela mise en concessions du Delta, voicideux ans, devenant le principal conces-sionnaire des eaux de la région et y obte-nant le monopole du commerce des poi-sons. Les pêcheurs doivent désormais luiverser une redevance annuelle, modestepour l'instant, afin d'exercer leurs acti-vités, libres auparavant. L'élu a égale-ment décroché d'autres concessions, déli-vrées par activité, et contrôle pratique-ment tout le commerce du village, possé-dant les deux épiceries, la boulangerie, lacriée, construite avec des fonds del'Union Européenne, faisant construire unrestaurant, un disco.

Mais Dan Verbina ne se contente pasde régner sur la nature, les hommes aussi

l'intéressent, et l'on chuchote dans le vil-lage qu'aucune nomination à des postesclés ne peut se faire sans son aval. Il neferait pas bon aussi de se mettre sur sonchemin.

Ainsi, il n'a pas trouvé de candidatsérieux pour lui disputer sa mairie deCrisan, en juin 2000, ses deux principauxadversaires s'étant découragés.

L'un redoutait de se voir muté àl'autre bout du pays, l'autre de perdre sonemploi. Quelques mois plus tard, ilremettait sa fonction de maire à un de sesco-listiers, devenant député et représen-tant des Lipovènes (minorité d'originerusse dont il est issu) au Parlement.

Offres publiques opaquesfaites à la dernière minute

A Crisan, on se tait donc, même si larancœur est grande. Aucun habitant n'aréussi à obtenir une concession, lors desadjudications, faites en l'absence detransparence, qui ont profité uniquement

à la nomenklatura, souvent des gensvenus de Bucarest, et qui y font des pro-jets commerciaux ou touristiques, les-quels n'aboutissent pas toujours, maisrecevant cependant des subventions.

Les offres publiques étaient souventfaites à la dernière minute, parfois uneheure avant… personne n'ayant le temps,ni les moyens de s'aligner.

Mais Dan Verbina n’est pas seul àprofiter de cette manne que constituentles concessions. D’autres élus ou person-nalités en vue se sont également taillés unfief dans le Delta, parfois plus grand.

Ainsi, Sorin Ovidiu Vântu, considérépar la presse comme le plus célèbreescroc du pays, a-t-il acquis un complexehôtelier d'Etat, le "Lebada" ("Le Cygne")qu'il entreprend de rénover. Le leader desjeunes du PNL (Parti National Libéral) deTulcea a fait construire sur un terrainappartenant à sa famille un hôtel de luxe,le "Sunrise", recevant même l'aide del'Union Européenne à hauteur de 10 %par le biais de fonds Sapard.

Classé désormais au sauvageEnfin protégé, le Delta l’a échappé belle...

Ceausescu prévoyait d’en faire des terres agricoles.

Un système de concessions a réduit la condition des pêcheurs à celle des paysans du siècle dernier.

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Le Delta du Danube n'a jamais été une grande terrede tourisme, du moins si on se réfère aux normes dece qu'on appelle "l'industrie touristique": coeffi-

cient de fréquentation, de remplissage, nombre de nuitées…mais il a toujours été considéré comme un immense potentiel,faisant rêver les statistiques des bureaucrates des ministères.

Sous Ceausescu, il était organisé, perdant ainsi une gran-de partie de son attrait pour un espace sauvage et de liberté.Puis, le début de la "transition"a amené confusion, désorgani-sation. Les touristes ont fuil'une des régions les plus excep-tionnelles du Vieux Continent,dont l'image se réduisait auxcimetières de bateaux rouillés,aux épaves obstruant la naviga-tion, entrevus dans de raresreportages télévisés. Avec euxs'en allaient aussi les jeunes desvillages, découragés par l'ab-sence de perspective et la situa-tion maussade de la principaleactivité, la pêche.

Un étrange individu empruntant le sens inverse des silures

Se sont passées ainsi sept-huit année noires. Puis une nou-velle espèce est apparue, à la fin des années 90, venue duMaramures où elle s'était acclimatée, avant de commencer à serépandre en Bucovine, dans les Apuseni, empruntant le sensinverse des silures, remontés au cours des décennies et desconnexions entres canaux, de la mer Noire à la Loire… l'agro-touriste. Cet étrange individu qui échappe aux tour-opérateurscar il a horreur des foules agglutinées sur les plages, d'être par-qué à la chaîne dans des hôtels immenses et froids, d'être prispour un objet de consommation. Ce curieux personnage, pleinde curiosité, qui aspire à la tranquillité, à l'authenticité, aucontact humain, aime prendre son temps…

Ce phénomène migratoire s'est concrétisé au début desannées 2000. Non sans mal, car encore à l'époque, dans lesagences de tourisme, on était incapable de répondre aux ques-tions demandant si les pensions étaient équipées du téléphone,de l'électricité et de l'eau courante.

Mais vite, les habitants du Delta ont compris qu'ilstenaient là une chance unique, la dernière sans-doute leur per-mettant de continuer à vivre au pays. Ils ont retapé leurs mai-sons, les ont agrandies pour recevoir les visiteurs. Aujourd'hui,pratiquement une sur quatre fait office de pension, dûmentagréée ou non, et l'agro-tourisme, une activité beaucoup moins

rude que la pêche, représente 50 % des revenus des famillesqui le pratique.

Les hôtels ont du mal à trouver du personnel

Tout s'y prête ; les repas des hôtes sont faits à partir desproduits du jardin, fruits et légumes, le poisson ramené par lepère et délicieusement accommodé par sa femme, trône en roi

sur chaque table. Le fils, revenuau pays, à moins qu'il ait toutsimplement renoncé à partir,emmène les touristes pour despromenades en barque ou desparties de pêche. Avec des hautset des bas, l'activité touristiquepeut ainsi durer de mars àoctobre. L'hiver, on s'affaire àréaménager la maison. Lesjeunes de 20 à 30 ans, peu nom-breux, partent dans le payschercher du travail.

Les femmes, qui ont lacharge de veiller au confort de leurs hôtes, d'assurer leuraccueil, de préparer les repas, ont rapidement saisi l'importan-ce de cette manne. Pour répondre à leur curiosité insatiableportant aussi bien sur la manière de préparer un rôti de carpeaux épinards frais que sur l'éducation des enfants, elles se sontmises à l'anglais et au français. L'an passé, une vingtained'entre-elles abandonnaient leurs fourneaux plusieurs soiréespar semaine pour suivre les cours de conversation de deux pro-fesseurs retraités et bénévoles du Midi de la France.

Parallèlement, des commerces s'ouvrent ou envisagent dele faire. L'ouverture d'une alimentation centrale est prévue àCrisan. Voilà toujours quelques emplois grappillés. La com-mune s'apprête aussi à inaugurer une salle omnisports polyva-lente, un disco, ce qui prouve bien que l'espoir est revenu.

D'ailleurs les quelques hôtels qui poussent dans le secteuront du mal à recruter sur place et sont obligés d'aller chercherdu personnel à Tulcea. Ici, les jeunes ne sont pas formés, maissurtout se consacrent désormais à leur propre affaire.

Bouteilles en plastique et hors-bords à grande vitesse

L'agro-tourisme a apporté aussi une autre révolution. Parles échanges, les brassages, elle a amené la population à évo-luer, à s'ouvrir, également à faire connaître et partager ses tra-ditions, ses valeurs. Internet devrait faire exploser ce change-ment de mentalité. Depuis 2000, le nombre d'élèves fréquen-tant les lycées de Tulcea a augmenté.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

naturel du fleuve sur la mer, devenu premier port franc dupays, où les bateaux devaient s'arrêter pour payer une taxe.

Outre l'édification d'un phare, achevé en 1870 et aujour-d'hui transformé en musée, et de digues, la première grande décision de la CED fût de mettre à l'étude la construction d'uncanal rectiligne, coupant les méandres du vieux bras duDanube et raccourcissant ainsi de 21 km la relation entreTulcea et la mer Noire.

Troisième au monde, derrière le canal de Suez et celui de Panama

Appelé canal de Sulina, lancé à l'époque où fleurissent lesréalisations et projets du même genre (Suez, Panama), il serainauguré en 1897 et totalement achevé en 1902, les travaux,dirigés par des ingénieurs français, ayant commencé en 1880.Son coût, financé par l'Angleterre, la France et l'Allemagne,

sera de 50 MF Or, soit 50 milliards de francs actuels (7,6 mil-liards d'euros), l'équivalent du tunnel sous la Manche.

L'ouvrage, mi-artificiel, mi-naturel, puisqu'une bonne par-tie n'est en fait que la canalisation d'un bras existant, est tou-jours, par sa longueur et sa capacité, le troisième au monde(101 km de long, 130 à 250 m de large, 11,25 m de profondeur,tonnage autorisé porté de 5000 t, en 1902, à 12 500 t aujour-d'hui), derrière le canal de Suez (1859-1869, 161 km de long,largeur : 70-125 m, profondeur :11 m, tonnage porté de 5000 à15 000 t), et celui de Panama (1881-1914, 82 km de long, lar-geur: 90-100 m, profondeur : 12,5 m, tonnage porté de 5000 à25 000 t). Mais il devance le canal Volga-Don et son rival rou-main, le canal du Danube à la mer Noire, reliant Cernavoda àConstantsa, (1949-1953, 1975-1984, 64 km de long, largeur:110-140 m, profondeur: 7,5 m, tonnage : 5000 t), de sinistremémoire, que les communistes ont fait creuser, dans un pre-mier temps, par des prisonniers politiques.

Ils reviennent !... Le retour pour du blé

Il est certes pompeux d'appeler ceschemins des routes. Il s'agit de chausséesempierrées, la mouvance du Delta ne per-mettant pas de les stabiliser par de l'as-phalte. Il n'empêche qu'ils sontdéjà davantage "circulables" quecertaines mauvaises routes de laRoumanie profonde. Et commeils prennent la forme d'une digue,il faut creuser pour dégager leremblai nécessaire. Quelquesponts pour traverser des brasmineurs du Delta vont voir aussile jour et on envisage d'utiliser latechnique de route sur pieux pourles endroits trop difficiles.

"C'est grand le Delta... les oiseaux ont de la place"

Les maires, les élus, les parlemen-taires et l'administration se montrent trèsfavorables à ce désenclavement du Delta,y voyant aussi une chance pour le déve-loppement du tourisme. "C'est grand leDelta, les oiseaux ont de la place" répon-dent-ils quand on leur fait part des inquié-tudes pesant sur l'environnement.

"On est isolé complètement, surtoutl'hiver, quand les blocs de glace empê-chent la navigation sur le canal" plaide lemaire de Crisan, ajoutant "cela nous per-mettra de gagner du temps pour aller àTulcea et d'avoir une plus grande auto-nomie par rapport au bateau qui ne passe

qu'une ou deux fois par jour". C'est sanscompter, qu'en cas d'urgence médicale,les vedettes vont beaucoup plus vite queles voitures et mettent moins d'une heure

pour rejoindre Tulcea. Dans les casgraves, c'est même l'hélicoptère deConstantsa qui se déplace.

L'élu ne redoute pas trop l'apparitiondes voitures: "La route passera centmètres derrière le village et les touristesse gareront dans un parking à son entrée;d'autre part, on mettra des restrictions àla circulation, les gabarits des véhiculesseront réglementés".

"Est-ce qu'ils viendront encore les touristes ?"

Les pêcheurs, eux, sont perplexes.Beaucoup ignorent que les travaux, com-mencés discrètement, sont aussi avancés.

Entre le "non" du Gouverneur et le "oui"par derrière des élus et de l'administra-tion, ils ne savent quoi penser, se deman-dant s'il ne s'agit pas d'un double jeu,

visant à paralyser les réactions età rendre irréversible la construc-tion de la route. Et ici, le pouvoirest craint et la population préfèresouvent se taire.

Pourtant, dans leur fond inté-rieur, nombreux sont ceux quihochent la tête devant la dispari-tion programmée de leur cadre devie qui repose sur le bateau etleurs barques. Depuis des siècles,ils rythment leurs journées. Acinq heures, on attend l'arrivée duferry avec une charrette pour

ramener chez elle la grand-mère partievoir ses petits-enfants à Tulcea et les pro-visions pour la semaine. Le boulangercharge ses sacs de farine dans son embar-cation, direction son four. En fin desemaine, ce sont les jeunes qui reviennentdu lycée. Ici, on s'est toujours bienaccommodé de ne pas avoir de voitures.On n'en a pas besoin. Tout est réglé enfonction du fleuve.

Et les plus lucides, qui misent sur letourisme pour pouvoir rester chez eux, seposent avec angoisse cette question: "Sile Delta n'est plus le Delta, est-ce qu'ilsviendront encore les touristes ?".

(Les Nouvelles de Roumaniejuillet-août 2004)

plus le Delta...

Un bac assure la traversée du bras Saint-Gheorghe à une trentaine de voitures, camions, tracteurs et charrettes par jourqui empruntent ensuite le chemin longeant le canal de Sulina.

Avec la confusion et la désorganisation des années suivant la "Révolution" le nombre des visiteurs a chuté brutalement. Mais depuis le début des années 2000

une nouvelle espèce est apparue dans le Delta, remplaçant le poisson devenu plus rare… l'agro-touriste. Les ménagères se sont même mises

au français et à l'anglais pour mieux l'attirer.

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L'apprentissage des langues est devenu une priorité car cesjeunes devinent que là est leur avenir, s'ils veulent rester parmiles leurs. Ils voient la considération apportée aux trop raresadultes encore qui maîtrisent l'anglais et le français, se trans-forment en guides ou accompagnateurs, et s'échinent à acqué-rir des éléments d'allemand, d'italien.

Pour autant, tous ces changementsne risquent-ils pas de bouleverser lecadre de vie des habitants ? Le nombrede touristes n'est pas encore un problè-me. En outre les étrangers respectentl'environnement. Mieux même, ils sensi-bilisent les promeneurs roumains qui jet-tent volontiers les bouteilles de plastiquedans les bras du fleuve ou cueillent lesnénuphars plutôt que de se contenter deles prendre en photo, Moldaves etOltènes étant beaucoup plus négligents que les Transylvains.

Demeurent les problèmes du stockage des ordures quin'est pas résolu, des hors-bords des nouveaux riches qui circu-lent à grande vitesse, effrayant poissons et riverains, abîmantles berges, et de l'apparition de maisons ne respectant pas lesnormes ni le caractère régional avec ses toits de chaume,constituant autant d'incongruités dans le paysage.

Beaucoup de choses changent au paradis des oiseaux

Tous les Roumains s'installant dans le Delta ne se com-portent pas pour autant ainsi. Les personnes âgées venues deBucarest, fortes de leur éducation, s'attachent à conserver soncaractère rustique. Même le milliardaire Sorin Ovidiu Vântu,accusé d'avoir escroqué et ruiné des dizaines de milliers de sescompatriotes, devenu propriétaire du célèbre et typique com-plexe hôtelier Lebada ("Le cygne") montre l'exemple. A bord

de son hors-bord, il réduit les gaz dans les petits bras et circu-le lentement, veillant à ne pas faire de vagues. Quand sonyacht traînant sa piscine flottante sur laquelle se fait bronzerson cortège de starlettes, croise un pêcheur, il s'arrête, luirachète un bon prix ses poissons… et les remet à l'eau.

Pour les habitants les plus avertisdu Delta, la véritable menace estailleurs. Elle a pris la forme de cetteroute, déjà à moitié réalisée que lesautorités font construire en catimini etqui longe le canal pour rejoindre Sulina,sur la mer Noire. Officiellement, poursimplifier la vie de la population et larendre moins dépendante des aléas dufleuve.

Cependant beaucoup estiment qu'ils'agit là encore d'une histoire de gros

sous, visant à faire venir plus facilement les touristes et ainsi àfaire fructifier les infrastructures que la nomenklatura, qui nes'était jamais préoccupée de la région auparavant, commence àinstaller. Le Delta et ses habitants y perdraient leur âme, lesvisiteurs leurs repères et le principal motif de leur séjour dansce lieu exceptionnel. Se laisseront-ils faire pour autant ?

Une association, "Vox Deltae" ("La voix du Delta") a vu lejour en 1997 à Crisan - une première dans la région - sousl'impulsion de cinq-six jeunes intellectuels utilisant des motsjusque là inconnus : développement durable de la région, pro-motion de l'éco-tourisme, de la technologie moderne etInternet, préservation de la nature, éducation de la jeune géné-ration, développement de la citoyenneté. Ses membres sontaujourd'hui 35 - ceux qui ont compris qu'il ne s'agissait pas detirer un profit personnel - et une section a ouvert à Sulina.Leurs questions se font de plus en plus pressantes sur l'avenirdu Delta. Décidément, avec l'avènement de l'agro-tourisme,beaucoup de choses changent au paradis des oiseaux.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Un canal

Au sortir d'une terrible famine en Irlande, en 1848-1849, la dernière qu'elle ait connue, due à lasécheresse, la Grande-Bretagne voulait assurer et

sécuriser son approvisionnement en céréales. Les immensesplaines à blé de la Dobroudja n'avaient pas échappé à sonattention.

Au sortir de la guerre de Crimée (1854-1855), elleconvainquit ses alliés et adversaires de la veille de la nécessitéde créer un organisme international indépendant qui garantiraitle bon acheminement de ces richesses et la libre circulation desbateaux chargés de les expédier en Europe Occidentale, danscette région où Russes et Turcs étaient sans arrêt aux prises.

Ainsi naquit à la table du traité de paix de Paris, en 1856,

la CED - Commission Européenne du Danube - parrainée parles vainqueurs d'hier, la France, la Grande Bretagne, lePiémont et l'Empire ottoman, auxquels se joindront l'Autriche-Hongrie et la Prusse ainsi que, contrainte, la grande vaincue, laRussie. La Roumanie ne faisait pas partie de cet aréopage, carson existence formelle n'était toujours pas reconnue. Il faudraattendre 1859 avec l'Union des deux Provinces et surtout 1878,proclamation de son indépendance, pour qu'elle accède aurang de puissance européenne.

Véritable état dans l'état, se gardant cependant d'intervenirdans la politique intérieure roumaine, la CED fera pendant 80ans, jusqu'à sa disparition en 1939 avec le déclenchement de laSeconde Guerre mondiale, la fortune de Sulina, débouché

La formule de le pension chezl'habitant est celle quiconvient le mieux à la décou-

verte du Delta. Elle permet de s'impré-gner de la vie locale, de se familiariseraux réalités. C'est une chance, car lesrégions d'Europe qui conservent leurcaractère authentique se font rares. C'estaussi le grand atout de la Roumanie.

Voici un exemple de prix relevés en2004, par personne, dans une pension 3marguerites à Crisan, en sachant qu'ilssont inférieurs dans les chambres d'hôtesplus modestes, mais plus familiales :

Nuit: 10 €Petit-déjeuner: 3 €Déjeuner et dîner: 6 € chacunPension complète: 21 € (138 F)

Canoë-kayak (2 pers.):20 €/jour Barque pour 2 h: 3 € ou 9 €

accompagné par un rameurBarque à moteur (4-5 per-

sonnes), accompagné: 14 € par per-sonne pour une promenade de 4-5 h

Guide: 30 €/jourmatériel de pêche: 3 €/jourPermis de pêche : 5 €/jourPermis d'entrée dans le Delta: 0,5

€ par pers. pour toute la durée du séjour.Si vous souhaitez indépendance et

confort moderne, ou tout simplementrécupérer un peu des fatigues du voyageet paresser au soleil en toute tranquillité,en regardant le Danube et les roselières,l'Hôtel Sunrise, 3 étoiles, appelé aussi parles habitants de Crisan, l'hôtel rose, réunit

l'ensemble de ces conditions. Ouvertl'année dernière, il se situe à un kilomètredes dernières maisons du village et offrede belles et spacieuses chambres clima-tisées pour 50 €, sur la base de deux per-sonnes. On y trouve piscine, solarium,terrasse, fitness, salle de conférence, baret restaurant, tout cela dans le calme. Unebonne adresse pour faire une coupure...

Pensions pour partager la vie des habitants

des agro-touristes

Qu'en est-il du vieux projet deCeausescu qui rêvait d'assé-cher les marais du Delta du

Danube pour en faire des terres agricoleset de relier par une route Tulcea, où seséparent les bras du fleuve, au port deSulina, sur la Mer Noire, traversant unimmense espace vierge de toutes voituresoù coexistent dans un environnementunique au monde, des millions d'oiseauxet quelques millier de pêcheurs ?

Il n'est certes plus question des pro-jets monstrueux de systématisation duConducator, qui avait commencé ici aussià regrouper dans des blocs une popula-tion habituée à vivre dans ses petiteschaumières.

Quand à l'idée d'une route, leGouverneur de la région Delta, chargé desa protection, Virgil Munteanu déclaresans ambages sont hostilité totale, affir-mant qu'elle ne se fera jamais, le conseild'administration gérant cette réservebiosphère reconnue par l'Unesco y étantégalement opposé.

Mauvais exemples à l'appui, à traversle monde mais aussi en Camargue, leGouverneur soutient que "mettre le petitdoigt dans ce processus, c'est y plonger lebras". "Construisez une route et viennentensuite toutes les infrastructures touris-tique " prophètise-t-il, les hôtels, les par-

kings, les centres de loisirs, les mar-chands de mici, de frites et de barbes àpapa… sans parler des gros intérêtsfinanciers qui ne manqueront pas de pro-fiter de l'aubaine.

Malgré l'hostilité duGouverneur, la route se fait

Pourtant non seulement le projet esttoujours d'actualité, mais cette route quifera 68 km est déjà réalisée en partie. Sestravaux ont commencé dès 1992. DeTulcea, on peut gagner le village deNufarul par une route goudronnée. De là,un bac assure la traversée du bras Saint-Gheorghe à une trentaine de voitures,camions, tracteurs et charrettes par jour.

Une digue empierrée conduit jusqu'àPartizani sur le canal de Sulina, à hauteurde l'épave du Rostock, ce bateau qui asombré voici une dizaine d'années, handi-capant sérieusement la navigation et vienttout juste d’être renfloué, bien que desfonds aient été dégagés depuis longtempspour cette opération. Dans le village,quelques voitures ont déjà fait leur appa-rition et quelques rares touristes se ris-quent jusqu'ici.

Toujours en longeant le canal, letronçon continue jusqu'à Gorgovia, vingtkilomètres plus loin, mais il n'est pas pra-

ticable par temps de pluie et est en coursde finition et d'amélioration.

Déjà pratiquement la moitié de laliaison Tulcea-Sulina est devenue ainsiune réalité. Cet automne, commencerontles travaux la prolongeant jusqu'à Crisan,au coeur du Delta et distante de 12 km. Ilssont prévus pour une durée de quatre ans,l'opération est conduite par la mairie duvillage et financée à hauteur de 4 M€

(26 MF) par le ministère des Travauxpublics. Plus des deux tiers de la routeseront alors en service.

Pour achever l'opération, il ne resteraplus qu'à boucler le dernier tronçon,menant à Sulina, environ 20 km. Les tra-vaux pourraient débuter dans 3-4 ans,mais aucun calendrier n'est fixé.

Un réseau de chausséesempierrées se met en place

Parallèlement, d'autres routes voientle jour, destinées justement à relier lesvillages isolés à l'axe Tulcea-Sulina.Ainsi la village de pêcheurs de Carai-aman sera définitivement réuni à Crisancet automne par une voie de 12 km.

Puis, par un chemin de 6 km menantau canal de Sulina, viendra le tour du vil-lage de Lipovènes, Mila 23. Un bac per-mettra de rejoindre la "grande route".

Si le Delta n’est

Venant de subir une terrible famine, la Grande-Bretagne lorgnait sur le blé de la Dobroudja pour assurer son approvisionnement en céréales.

Ainsi, à l'issue de la guerre de Crimée, nacquit la Commission Européenne du Danube...

De projet devenue réalité, une route avance inexorablement dans le Delta, menaçant son intégrité et le cadre de vie des habitants

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A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Des clés pour entrer Ainsi Sfântu Gheorghe et Sulina paraissent étrangers l'un

à l'autre, appartenant à des univers différents, n'entretenantpresque pas de relations. Alors, le voyageur doit se débrouiller,trouver un particulier, demander aux employés deRomTélécom qui vont faire l'inspection de la ligne télépho-nique dans leur Aro, s'adresser à l'é-picerie de Sfântu Gheorghe qui four-nira un tracteur avec un plateau ouau propriétaire de l'hôtel Jean Bart, àSulina, qui proposera son 4x4 avecchauffeur. Au total, on vous deman-dera 1,5 millions de lei (37 €,240 F) pour l'équipée, laquelle pren-dra une heure et demie.

Une autre possibilité existe :louer les services d'un pêcheur quiassurera la même liaison avec sabarque, pour un prix identique, en empruntant le canal quilonge la route. Dans les deux cas, l'itinéraire est sans intérêt.Par contre, une solution permet de joindre l'utile à l'agréable :décider de faire de cette liaison difficile un temps fort de votrevoyage dans le Delta, en y consacrant la journée. Le pêcheurprendra alors le chemin des écoliers, s'enfonçant dans les rose-lières, passant de petits bras en immense étendues d'eau (lacsRosu, Puiu, Lumina), s'approchant de la forêt tropicale de

Caraorman… pour vous emmener à bon port en fin d'après-midi. Ce sera plus cher, 100 € pour la barque et la journée,mais inoubliable.

Festival du cinéma délocalisé

Sfântu Gheorghe possède tousles ingrédients pour renaître, sousune autre forme bien sûr, celle del'agro-tourisme. Quelques habitantsy croient et s'y sont déjà engagés.Mais on n'y dénombre encore quesept à huit pensions officiellementdéclarées et une vingtaine dechambres d'hôtes qui permettent devraiment partager la vie des habi-tants. C'est encore loin derrière

Crisan qui en compte environ soixante quinze. La population s'en remet-elle aux rêves de grandeur d'un

milliardaire qui achève la construction d'un impressionnantvillage avec des maisons en bois et toits de chaume -respectantainsi le cadre - comprenant des petits hôtels, salles de récep-tion, villas, bungalows ? Soutenu par les autorités, il projetted'en faire un petit Hollywood, et le festival de cinéma deBucarest y a été délocalisé l'été dernier.

L'histoire est véridique. Fin2002, à l'époque de la saisonqui dure de septembre à la mi-

mars, un hôtel flottant plein d'Italiensrevenait d'une fabuleuse partie de chasse,où ceux-ci s'étaient livrés à leur massacrehabituel d'oiseaux, pris par une ivresse detuerie que rien ne pouvait arrêter. Lescabines, le pont, les soutes regorgeaientdes trophées de ces Nemrods triom-phants. Ils vinrent à croiser le yatch quiemmenait Adrian Nastase, égalementgrand chasseur devant l'Eternel, pours'adonner à sa passion. Mais les Italiensavaient fait un tel carnage qu'il ne restaitplus rien à tirer. Déconfit, le Premierministre décidait alors, à son retour, deprendre des mesures draconiennes pourmettre un terme à ces hécatombes.

La chasse dans le Delta fût pratique-ment rendue interdite aux étrangers enavril 2003, et continue à l'être, les

Allemands, amateurs également de cetteactivité, mais beaucoup plus disciplinés,payant les débordements des Transalpins.Dorénavant, les chasseurs étrangers nepeuvent pas venir avec leur fusil, doiventposséder un permis de leur pays, êtreinvités et accompagnés par un Roumainayant un permis de chasse roumain.Autant dire que la mesure a été radicale,entraînant leur quasi-disparition.

Le sanglier… pour oublier le poisson

Désormais, la chasse dans le Deltaest réservée aux Roumains. "Non commeun sport, mais parce que le gibier estimportant pour les habitants et leur ali-mentation", assurent les officiels…"Parce que ces messieurs de la nomenk-latura veulent se réserver sa pratique",murmure-t-on dans la région. Il est vrai

qu'avec ses canards, ses gibiers d'eau, sesoiseaux, ses lapins, l'endroit est un para-dis pour les chasseurs.

Les paysans et les pêcheurs, eux, setournent davantage vers la chasse auxsangliers, mélange de cochons domes-tiques et sauvages, qui pullulent dans lesmarais, se nourrissant de roseaux, maisaussi saccagent les cultures. Des battuessont organisées régulièrement, car ils fonttrop de dégâts.

On part à leur poursuite, la nuit enbarque ou l'hiver sur la glace. Chacun sesouvient ici du terrible hiver ‘82-’83, oùil faisait si froid qu'on n'avait même plusbesoin de les chasser. Il suffisait deramasser leurs carcasses gelées. La chairappréciée de ces animaux en fait un metsassez fréquemment servi, ce qui permetaux cuisinières d'apporter un peu devariétés aux plats de poissons qu'elles ontl'habitude de préparer.

Plus de permis de massacre pour les étrangers

Accès : Tout passe par Tulcea. Pour rejoindre cetteporte d'entrée du Delta depuis laquelle on prendensuite les bateaux pour en pénétrer au cœur, il

n'existe que trois moyens :- en voiture. C'est un long chemin depuis la frontière hon-

groise (800 km). Les routes nationales sont correctes, maisencombrées et la circulation de-mande la plus grande vigilan-ce et prudence. Ne pas tabler sur une moyenne horaire supé-rieure à 65 km/h. Il faudra donc compter une bonne journée detrajet au minimumen Rouma-nie et ilest préférable defaire une étape, laconduite de nuitdevant être proscri-te. A Tulcea, prèsdes embarcadères,des parkings gardéset payants permet-tent de laisser sonvéhicule en toutesécurité pendant ladurée du périplequ'on prévoit.

- en minibus,depuis Bucarest (4-5 heures, départde calea Plevnei236, compagnie SCAugustina) ouConstantsa (2 h 30-3 h, départ toutesles demi-heures).Moyen pratique direct et peu coûteux, très utilisé aujourd'huipar les Roumains qui pallient ainsi la suppression des lignesd'autobus existant autrefois. Départs fréquents.

- en train, depuis Bucarest et Constantsa. Long, comptercinq heures, un peu plus cher que le mini-bus mais très abor-dable pour les bourses occidentales. Le train a l'avantage duconfort, surtout si on prend la première classe.

Circuler à l'intérieur du Delta

- Routes : elles n'existent pas encore, bien qu'un cheminempierré préfigure une liaison de Nufaru (une dizaine dekilomètres au sud de Tulcea) à Sulina, en longeant la rive suddu canal de Sulina. Pour l'instant, il n'est empruntable que surune vingtaine de kilomètres.

Il est possible également de relier Sulina à SfântuGheorghe par un chemin longeant la côte, mais il n'est pas

facile de trouver un véhicule (voir article sur SfântuGheorghe). A noter que depuis Tulcea, avec son propre véhi-cule, on peut longer en partie le bras de Sfântu Gheorghe. C'estune promenade très intéressante mais la route est pleine detrous.

- Autobus: Ils desservent uniquement le pourtour sud duDelta ainsi que les communes de Nufaru Partizani, Mahmudia,Aghigiol, Murhigiol, Dunavatul de Sus et de Jos.

Une douzaine de départs échelonnés entre 6 h et 18 h 30depuis la gare rou-tièrede Tulcea.

P o s s i b i l i t éégalement de louerun micro-busMercedes-Benz de16 places à l'hôtelEuropolis.

- Liaisons flu-viales : la compa-gnie Navrom assu-re des liaisons surles trois bras toutau long de l'année,mais la fréquenceest plus réduitel'hiver.

L ' h y d r o g l i -sseur, beaucoupplus rapide, maisplus cher, moinspittoresque et nepermettant pas deprofiter du paysage

ainsi que de sa profondeur, ne circule qu'à partir du 1er mai,jusqu'à la fin de la saison touristique, et uniquement sur le brasde Sulina. Le prix de l'aller simple varie de 5 € au double pourl'hydroglisseur. Le billet peut être pris à quai ou à bord. ATulcea, l'embarquement se fait à la gare fluviale (parking clô-turé et gardé, 1,2 € par jour).

Voici les horaires d'été (1er mai - 30 septembre):- Bateaux Tulcea-Sulina et inverse: tous les jours sauf le

samedi, départ à 13 h de Tulcea, à 6 h de Sulina. Durée du tra-jet : 4 h à l'aller, 4 h 30 au retour. Escales à Partizani, Maliuc,Gorgova, Crisan. A Crisan, des navettes attendent les passa-gers pour Mila 23 et Caraorman (elles les ramènent égalementpour prendre le bateau). Attention, le transbordement se fait enmoins de 5 minutes.

- Hydroglisseurs Tulcea-Sulina et inverse: tous les joursy compris le samedi, départ de Tulcea à 14 h, de Sulina à 6 h30. Durée du trajet : 1 h 30. Escale à Crisan.

rêve d'HollywoodArrivé à Tulcea, porte d'entrée incontournable du Delta, il faut totalement oublier la voiture car on pénètre dans un univers différent. Ici, c'est un royaume lacustre

et tout est organisé en fonction des bras du fleuve, de ses marais, ses étangs. Désormais, vous ne vous déplacerez plus qu'en barque.

En 2003, devant la répétition des carnages perpétrés par les Italiens, le gouvernement a réservé la chasse dans le Delta aux seuls Roumains. Une mesure de sauvegarde

indispensable pour les espèces, censée également protéger les intérêts des habitants… sans oublier ceux de la nomenklatura, grande amatrice de ce loisir.

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- Bateaux Tulcea-Sfântu Gheorghe et inverse: lundi,mercredi, jeudi, vendredi dans le sens de Tulcea-SfântuGheorghe, départ à 13 h 30, et le lendemain (mardi, jeudi, ven-dredi, dimanche) en sens inverse, départ de Sfântu Gheorghe à6 h. Durée du trajet: 4 h 30 à l'aller, 5 h au retour.

Escales pré-vues à Balteni,Mahmudia ainsiqu’à Murighiolà l'aller et auretour.

- BateauxTu l c e a - P e r i -prava (bras deChilia Veche) etinverse: lundi,mardi, mercredi,vendredi dans lesens Tulcea-P e r i p r a v a ,départ à 13 h 30,et le lendemain (mardi, mercredi, jeudi, mais dimanche et nonsamedi) en sens inverse, départ de Periprava à 5 h. Durée dutrajet : 5 h 30 à l'aller, 6 h au retour. Escales à Patlangeanga,Ceatalchioi, Plaur, Pardina, Tatanir, Chilia Veche.

Il faut noter qu'un autre bateau, le Colanda, assure la liai-son Tulcea-Mila 23 et inverse, les lundi, mercredi, vendredi,samedi dans les deux sens. Départ de Tulcea à 13 h (embar-cadère de la compagnie AZL), de Mila 23 à 6 h.

Renseignements sur place et cartes

- ARBDD (Administration de la Réserve de la Biosphèredu Delta du Danube), strada Portului, 34 A (immeuble de laBiosphère, sur le quai du Danube, trèsfacilement localisable entre l'hôtel Deltaet la gare maritime), ouvert du lundi auvendredi de 9 h à 17 h (Tel: 00 40 - 24051 89 45, fax : 00 40 - 240 51 89 75, e-mail: [email protected], site Internet:www.ddbra.ro). Renseignements sur lanature dans le Delta, expositions, paie-ment de la taxe de visite, cartes depêche, vente de cartes détaillées.Antennes à Crisan et Sulina

- ANTREC (Association Nationalede Tourisme Rural, Ecologique etCulturel), situé à l'intérieur et au rez-de-chaussée de l'immeuble de l'ARBDD,ouvert tous les jours de 7 h 30 à 19 h (tel:00 40 - 240 519 214, e-mail: [email protected], sites Internet:www.deltaturism.ro ou www.antrec.ro). On parle français eton y trouve toutes les informations sur le Delta ainsi que denombreux services : horaires de bateaux, acquittement de lataxe de visite, réservation de chambres, location d'embarca-tions, organisation de séjours (pêche, observation des oiseaux,

randonnées en canoë-kayak, tourisme scientifique, visite desmonastères de Dobroudja et des caves du vignoble deMurfatlar et de Niculitsel), vente de cartes détaillées.

- Bureau d'information touristique de Tulcea, situéentre l'ARBDD et l'hôtel Delta. Intéressant, notamment pour

découvrir le patrimoine de la ville portuaire deTulcea. Renseignements et organisation desséjours également dans les nombreuses agencesde voyage locales.

Permis d'entrée, de pêche et de chasse

Permis d'entrée dans le Delta: il peut s'acqué-rir à l'ARBDD ou à l'ANTREC à Tulcea ou êtredélivré par les pensions agréées. Coût: 0,5 € parpersonne et par séjour.

Permis de pêche : à prendre de préférenceavant le départ à l'ARBDD ou à l'ANTREC àTulcea (2,5 à 4 € par jour ou 12 à 40 € pourl'année… pas la peine de s'embêter à le fairerenouveler) ou auprès des gardes-pêche. Il est éga-

lement délivré dans les pensions, mais le tarif peut être double. Permis de chasse : à la suite d'abus, la chasse est quasi-

ment proscrite pour les étrangers (voir article sur la chasse).Loisirs, randonnées, excursions : du canoë à l'hôtel flot-

tant, ils passent tous par des embarcations. Commençons parles plus simples qui sont celles aussi qui permettent la meilleu-re communion avec la nature :

- Canoë-kayak : on peut en louer dans certaines pensions.Le prix n'est pas donné, jusqu'à 20 € par jour. Ils permettentde se balader seul ou en groupe, mais attention de ne pas seperdre car le Delta est un véritable labyrinthe (il est prudentdans ce cas d'emmener un téléphone portable). Cette activitése pratique également en randonnée organisée (voir auprès de

l'ANTREC).- Barques : les

barques à rames selouent égalementdans les pensions(3 € pour 2 h).Mêmes consignesde prudence. Il estbeaucoup plussécurisant maisaussi profitable dese faire accompa-gner (9 € pour 2h) en barques àrames; en barque àmoteur compter

une dizaine d'euros par personne pour une balade de 4-5heures. Possibilité de louer à la journée ou plus pour la pêcheou l'observation des oiseaux; compter de 20 à 50 € pour l'em-barcation, suivant la grandeur et la motorisation, avec unpêcheur.

(Lire page suivante)

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Sfântu Gheorghe

Sfântu Gheorghe était considéré autrefois comme lacapitale du caviar. C'était dans les années 60-80, etla Roumanie était alors la deuxième exportatrice

mondiale de cette denrée. A l'époque, on pêchait des quantitésénormes d'esturgeons mais aussi de maquereaux - lecélèbre hareng du Danube - et d'anchois. Cesespèces se sont raréfiées ou ont même quasimentdisparu et les pêcheurs prennent le même chemin.Le port fluvio-maritime de Sfântu-Gheorghe, àl'embouchure du bras du Danube portant le mêmenom, n'en compte plus qu'une quarantaine. Lesautres, ainsi que les vieux, traînent leur désœuvre-ment dans les bistrots. Son existence est mentionnéedepuis 1318 et il a servi de base maritime auxOttomans aux XVIème et XVIIème siècle. Mais laseule évocation de l'histoire ne suffit pas à retenirles jeunes, qui s'en vont.

Pourtant le petit port et son village paraissentrenfermer une vitalité qui ne demande qu'à ressurgir.Pour s'en persuader, il faut se rendre au débarcadère et assisterà l'arrivée du ferry venant de Tulcea, tous les deux jours, vers17 h. Tout à coup, les visages s'animent; voisins, parents, amis,se saluent, entament des conversations, guettent le débarque-ment de leurs proches. Les passagers se pressent vers la pas-serelle puis tentent de se frayer un chemin entre charrettes,tracteurs etbrou-ettes quiattendent leurcargaison.

S f â n t u -Gheorghe revitalors, jusqu'aupetit matin,quand, sur lescoups de sixheures, le bateaureprend le che-min inverse,laissant derrièrelui le soleil quise lève sur la MerNoire. Encoremal réveillés, les voyageurs demeurent silencieux, l'aube nais-sante n'étant troublée que par les vols et les cris des oiseauxque le bruit régulier des machines n'arrive pas à couvrir.

Sacaline et ses colonies d'oiseaux

On arrive où on part de Sfântu Gheorghe par le plus ancienmais aussi le plus beau des bras du Danube. D'une longueur de

109 km, il absorbe 23 % des eaux du fleuve et est le plussinueux. Six méandres ont été pourtant coupés pour réduire ladistance. Les rues ensablées du village mènent à l'une des pluslongues plages de la côte. Au loin, on devine l'île de Sacaline

(ne pas con-fondre avec leSakhaline de lacélèbre chanson"Kalinka", situéentre la Sibérie etle Japon), bancde sable apparu àpartir de 1897,devenu réserve,où se concentrentd ' i m p o r t a n t e scolonies d'oi-seaux, dont cellesdes pélicans que

l'on peut approcher et observer par centaines. Il ne faut surtout pas hésiter à demander à un pêcheur de

vous y emmener. Empruntant un dédale de petits canaux pourdéboucher sur la lagune, cette promenade de trois-quatreheures est l'une des plus marquantes que l'on puisse faire. Ilvous en coûtera un million de lei (25 €, 160 F) pour une

barque contenant 3 ou 4 personnes.Cette découverte encore inorganisée fait le

charme des lieux. Sfântu Gheorghe apparaîtcomme il est, authentique. On frémit rétrospec-tivement en voyant ses trois-quatre blocshabités, que Ceausescu avait fait construirepour y regrouper la population de pêcheurs etde paysans. Heureusement, la "Révolution"avait mis un terme à cette "systématisation"avant qu'elle ne dégénère trop.

En 4x4, tracteur ou barque… rejoindre Sulina se mérite

Venir ici, se mérite. Si l'on veut éviter defaire deux fois le même trajet, il n'y a qu'unepossibilité: se rendre à Sulina, distante de 40

km, où l'on peut reprendre le bateau vers Tulcea en empruntantle canal. Une route existe bien, longeant la côte, mais si leniveau des eaux est trop élevé, elle risque de ne pas être prati-cable car, sur une cinquantaine de mètres, elle est submergéepar un déversoir se jetant dans la mer Noire qui peut se révé-ler infranchissable. Mais également, dans l'une comme l'autrecommune, on compte très peu de voitures et aucun transport encommun n'assure la liaison.

Il ne faut pas manquer l’arrivée du ferry-boat, sur les coupsde 17 heures, qui vient tous les deux jours de Tulcea.

Du petit port de Sfântu Gheorghe, des pêcheurs désoeuvrésoffrent de vous embarquer pour une promenade paradisiaque.

dans le royaume lacustre

Le port de Tulcea, vu de l’hôtel Delta.

Les hôtels flottants, appelés aussi "hotel plutitor", permettent une approche des lieux les plus sauvages du Delta.

L'ancienne capitale du caviar n'arrive plus à nourrir ses pêcheurs qui traînent leur désœuvrement dans les bistrots. Le petit port et ses environs, l'un des joyaux

du Delta, réservent des émotions intenses au visiteur et le village séduit par son authenticité. Il suffirait d'un déclic… Un milliardaire pense l'avoir trouvé

en y organisant un festival de cinéma, l'été dernier.

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Les amoureux de Sulina se souviennent que voici unevingtaine d'années, aux beaux jours, quatre navettes de bateaurapide et le ferry-boat débarquaient quotidiennement 1500passagers, venus de Tulcea. Aujourd'hui, les premières n'ef-fectuent qu'une liaison, et uniquement pendant la saison, lesecond ne vient qu'un jour sur deux. Les enfants construisaientdes châteaux sur une belle plage au sable fin. On trouvait faci-lement à se loger chez l'habitant et le plus grand hôtel comp-tait 150 chambres.

Ici, on gagnait quatre fois plus qu’en Europe

La ville semble ne plus croireen elle. L'usine de conserverie quiemployait près de 300 personnesa fermé. Le dernier chantier navalvivote et il n'existe aucune autreentreprise d'importance. Lesjeunes s'en vont. Le trafic du porta baissé, concurrencé par la miseen service voici une quinzained'années, au sud de Constantsa,du canal du Danube à la merNoire, lequel raccourcit de prèsde 400 km cette liaison. On nevoit plus guère qu'un ou deuxbateaux par jour y faire halte et une dizaine remonter ou des-cendre la canal. Autrefois, ici, les salaires étaient quatre foissupérieurs à ce que l'on gagnait dans les autres ports d'europe.

Les longs jours d'hiver, quand elle est désertée et que sonport est bloqué une quinzaine de jours par les glaces - 40 joursen 1992 et 63 jours, le record, en 1928-1929 - Sulina se réfu-gie dans sa mémoire. Elle se souvient de ses heures sombres,comme cette terrible tempête des 6 et 7 septembre 1855, quiavait jeté 24 bateaux à la côte, en faisant couler 60 autres, 300marins étant portés disparus. Mais la ville avait du ressort et latragédie l'avait poussée à mettre sur pied un service de sauve-tage avec des barques à rames, le premier sur la Mer Noire. Ilsauvera 144 émigrants turcs en 1860 et les 17 matelots dunavire français le Trevelinor, en 1894.

Pirates et bandits ont laissé place à un opéra et un théâtre qui faisaient salle comble

Sulina, dont l'origine remonte à 950, se remémore aussiles heures de gloire, quand son opéra et son théâtre faisaientsalle comble, au début du XXème siècle. L'endroit n'avait pastoujours été aussi civilisé, fréquenté par des pirates et des ban-dits qui avaient capturé et tué le fils de l'amiral anglais Parkerpendant la guerre de Crimée, en 1854. C'est de cette époqueque date d'ailleurs son essor, due à la création de laCommission Européenne du Danube, dont elle deviendra lesiège international et au creusement du canal portant son nom.

Sulina se modernise, est dotée d'un hôpital. La France etl'Angleterre y ouvrent chacune un consulat - la ville en comp-

tera neuf, dont celui de Belgique - ainsi qu'à Galati, Tulcea.Devenu port franc, elle s'internationalise. Ici 24 nationalités secôtoient et les Roumains sont la minorité, car ils ne sont que800 en 1900,quand la ville compte 5000 habitants, alors queles Grecs sont 2000, formant la partie de la population la plusriche, les Russes, 600, les Arméniens 400, les Turcs 270, lesAustro-Hongrois, 211, les Juifs 173, les Kosovars etMonténégrins, 140. On y recense aussi une poignée ou

quelques dizaines d'Anglais, deFrançais, d'Italiens, de Belges,de Bulgares, d'Allemands, deDanois, d'Indiens, de Polonais,de Lipovènes, de Gagaouzes…

La langue officielle, celleemployée dans les documents,est le français, mais, dans la rue,c'est le grec qui est le plus prati-qué. Les habitants deviennentpolyglottes. Des journaux locauxen langue étrangère sont édités.Des église grecques voisinentavec des églises romaines catho-liques, lipo-vènes, la mosquée etune cathédrale orthodoxe. Aucimetière, Juifs, Turcs, Anglais,Allemands, Grecs, Bulgares,Roumains, Lipovènes, ont leur

carré à eux.

Brûler la vie par les deux bouts

Officiellement, la ville culminera à 7000 habitants en1910. Mais elle grossira souvent jusqu'à 20 000 personnes,voire plus quand la récolte de céréales se révèlera bonne, atti-rant paysans pauvres et marins à la recherche de travail et debons salaires. Toutefois, les années de sécheresse quand le blébrûle sous le soleil et que les bateaux restent à quai, faute decargaison, chacun repartira vers sa campagne ou d'autres hori-zons et Sulina retombera dans sa torpeur.

Au fil des ans, la population se côtoie, sans se mélanger;d'un côté les paysans analphabètes, les miséreux touchés parles maladies, les matelots fréquentant les tavernes et sombrantdans l'alcool; de l'autre, des riches négociants ou com-merçants, des armateurs, les cadres cultivés de la CommissionEuropéenne du Danube, des officiers de marine, qui se retrou-vent le soir au spectacle.

Sulina brûle la vie par les deux bouts. Il faut vivre l'ins-tant. Les naissances sont rares et on n'y vieillit pas beaucoup.Les décès précoces sont nombreux: santé, accidents et noyadescar, à l'époque, beaucoup de marins ne savent pas nager. Est-ce déjà un signe du destin ?...

C'est l'hiver quand, balayée par le vent glacial et coupéedu reste du monde, Sulina semble abandonnée même de Dieu,qu'elle apparaît telle qu'elle est, pathétique. Grandeur et déca-dence d'une ville fascinante hantée par ses fantômes et au pou-voir étrange…

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Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Une vingtaine d’hôtels flottants de 2 à 4 étoiles

- Excursions : à la journée ou pour plusieurs jours, elle sefont essentiellement depuis Tulcea. Les départs ont lieu à par-tir de 8 h. Compter entre 10 à 30 € pour la journée. Possibilitéde louer des bateaux avec pilote de 6 à 30, voire 80 personnes,pour 10 € par personne, avec lunch servi à bord (5 à 10 €).

- Hôtels flottants : appelés "hotel plutitor", ils permettentune approche des lieux les plus sauvages du Delta, où ils peu-vent s'amarrer pour la nuit. Ce sont des barges aménagées,tirées par un remorqueur, comprenant au premier niveau descabines à deux lits avec douche et toilettes, climatisation etchauffage ; au niveau supérieur, une salle de restaurant avecbar, prolongée par une terrasse extérieure. Leur capacité est de4-5 à 10-12 cabines. ils remorquent des barques pour lesbalades, parties de pêche. Compter entre 50 et 100 € tout com-pris, la journée par personne. Il existe une vingtaine d'hôtelsflottants de 2 à 4 étoiles dans le Delta. Une formule idéale pourfaire une découverte entre amis mais, revers de la médaille,elle coupe des réalités humaines locales. Renseignements etréservations auprès d'ANTREC ou des agences.

-Hébergement, cuisine, accueil : le Delta compte 2500lits ou places, dont 742 à Tulcea (402 dans les hôtels, 340 aucamping Bididia) et 1724 à l'intérieur de la Réserve (222 dansles hôtels, 322 dans les hôtels flottants, 250 dans les pensionsagro-touristiques, 200 chez l'habitant, 420 dans les bungalowsdes campings, 300 dans les campings de Sulina). Le confortdes hôtels varie de une à quatre étoiles, celui des pensions deune à trois marguerites. Attention, hôtels et pensions se rem-plissent vite les week-ends et aux beaux jours.

- Hôtels : à recommander l'hôtel Delta à Tulcea, pour sonemplacement donnant directement sur le Danube.Relativement cher (45 €, 300 F la chambre), d'un confort cor-rect mais vieillot, il offre une vue dominante inoubliable sur lefleuve et l'activité du port de Tulcea. De la terrasse de sachambre (bien demander à la réception une chambre avec vuesur le Danube), ou bien de celle du restaurant, on ne se lassepas de regarder les bateaux de croisières, les ferry-boats, alleret venir, débarquant leurs passagers, et, le soir, d'assister aucoucher du soleil, quand les promeneurs flânent en famille lelong du quai. Le voyageur regrettera moins cette modesteentorse à ses prévisions budgétaires quand à travers lesimmenses baies vitrées de la piscine, il se découvrira nageantaux côtés du Danube, le surplombant de quelques mètres.

Cuisine: tout tourne autour du poisson

- Pensions : elles font le charme du Delta, s'efforcent d’être coquettes, se conforment de plus en plus aux critères duconfort, et permettent surtout de vivre au sein des familles depêcheurs. Leur classement de 1 à 3 marguerites, pour celleshomologuées, ne garantit pas la qualité de l'accueil. Demodestes chaumières peuvent réserver de très belles surpriseset révéler les talents de cuisinière exceptionnels de la maîtres-se de maison alors que son mari vous emmènera en barquedans les recoins les plus sauvages. Se procurer la liste des pen-sions auprès d'ANTREC, qui peut également faire les réserva-tions et faire qu'on vienne vous chercher au débarcadère.

- Cuisine : dans le Delta, il faut mieux parler de cuisineque de restaurants, lesquels n'existent pratiquement que dansles rares hôtels. C'est à la cuisine de votre pension que vousaurez en effet à faire et, souvent, elle est délicieuse. Bien sûrtout tourne autour du poisson qui sera servi, midi et soir, sousforme de soupe ou de borsch (soupe aigrelette), de rôti, de fri-cassée ou de grillades de carpe, de sandre ou de brochet,accompagnées de légumes du jardin. La multitude de recettesfait oublier la caractère répétitif du plat et donne des idées depréparation pour plus tard… quand on aura dépasser sa satura-tion. Parfois un plat de volaille, ou même de sanglier, vientapporter une note de fantaisie.

- Accueil : les habitants du Delta savent se montrer atten-tifs aux souhaits de leurs visiteurs et vos hôtes se mettront enquatre pour vous donner satisfaction. Ouverts, ils n'en gardentpas moins cette distance sans-doute propre aux communautésque les conditions géographiques et historiques ont contraint àvivre repliées sur elles-mêmes et à se débrouiller seules.

Le sens de l'accueil, bien que réel, y paraît donc moindreque celui proverbial du reste de la Roumanie. Cela se retrouvedans les prix pratiqués, bien au-dessus de la moyenne du pays,même par les simples pêcheurs, ce qui induit une relation où levisiteur se sentira plus client qu'invité.

L’idéal : fin du printemps et début de l’automne

- Saisons : la saison touristique dure de mars à octobre.Les meilleures périodes sont mai et juin, ainsi que septembreet octobre. Il y fait bon, il ne pleut pas trop, le soleil se montregénéreux, les visiteurs sont peu nombreux et on n'en apprécieque davantage le charme sauvage du Delta.

Mai et juin permettent d'assister à l'explosion de la nature,mais il faut attendre fin juin-début juillet pour voir les nénu-phars dans leur splendeur. Juin est le meilleur mois pour l'ob-servation des oiseaux ; en mai, époque de la couvaison, ils onttendance à rester dans les arbres.

Septembre et octobre sont les mois les plus propices à lapêche, notamment des carnassiers ; la nature est très belle,mais beaucoup d'oiseaux sont déjà partis.

En juillet-août, il peut faire très chaud. On a noté desmaxima à 37-38 °. Les moustiques font leur apparition, à lami-juin , et séviront jusqu'à la mi-septembre. Les touristes sontbeaucoup plus nombreux, bien que tout au long de la saisontouristique, on n'en enregistre encore pas plus de 20 000.

L'hiver est réservé à celui qui n'a pas peur d'affronter lesentiment d'une immense solitude, des horizons glacés balayéspar le vent. Les lumières sont souvent magiques, composantune ambiance étrange. Le thermomètre peut descendre à - 15°et le Danube être pris par les glaces pendant plusieurs jours.

Equipement : prévoir des vêtements adaptées aux ran-données nautiques (coupe-vents, ciré, casquette, tennis,lunettes de soleil). On peut se procurer des bottes dans les pen-sions. Indispensable : ne pas oublier d'amener des jumelles(sinon, vous serez venus pour rien !), un guide sur les oiseauxet sur les poissons, si vous êtes pêcheurs. Le matériel de pêchepeut être fourni par les pensions ; sinon, si vous venez enavion, vous pouvez l'emporter dans les bagages, avec deux outrois moulinets, et acheter des cannes à Tulcea (3 à 4 €).

Grandeur et décadence d'une ville fascinante, hantée par ses fantômes, comme cet hôtel fermé depuis des décennies qu’un Américain originaire de Satu Mare a décidé de restaurer...

port devenu fantôme

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A la découverte du Delta

Le Delta offre une multitude de possibilités de ledécouvrir, en randonnée canoë-kayak, en grouped'amis sur un hôtel flottant, en séjours pêche ou

observation des oiseaux… et autant de circuits à la carte. Maissi on veut le connaître de façon classique et en avoir une idéesérieuse, il faut tabler sur unséjour d'une dizaine de jourspour prendre la mesure del'immensité, de la diversité etde la complexité des lieux.Voici un exemple d'itinérairequi en permet une bonneapproche et évite de revenirsur ses pas, en empruntant àl'aller le bras de Sulina et, auretour, celui de SfântuGheorghe :

1er jour: arrivée à Tulceadans l'après-midi. Installationà l'hôtel Delta (voir les infor-mations pratiques), flâneriesur le quai.

2ème jour : préparatif du séjour dans la matinée, bateaupour Crisan à 13 h 30, arrivée à 16 h. Découverte du village.

3ème jour: promenade en barque jusqu'à Caraorman (forêttropicale et village). Nuit à Crisan.

4ème jour: promenade en barque dans les roselières.Bateau pour Mila 23 à 16 h. Découverte du village lipovène deMila 23 et nuit sur place.

5ème jour: promenade en barque autour de Mila 23.Retour à Crisan afin de prendre le bateau pour Sulina à 16 h.Installation à Sulina et découverte de la ville.

6ème jour: promenade à Sulina, son cimetière marin, laplage sur la mer Noire, réservation d'une barque pour le len-demain.

7ème jour: journée en barque de Sulina à SfântuGheorghe, découverte des lacs Rosu, Puiu, Lumina et de leurscolonies d'oiseaux. Installation à Sfântu Gheorghe.

8ème jour: journée au village de Sfântu Gheorghe ; décou-verte en barque des réserves d'oiseaux de la lagune de

Sacaline. A 18 h, assister àl'arrivée du bateau de Tulcea.

9ème jour: Retour àTulcea par le bateau de 6 h dumatin. Flânerie l'après-midiet nuit à Tulcea.

10ème jour: balade envoiture vers Mahmudia,Murighiol, Dunavatu de Jos,le long du bras SfântuGheorghe, puis tour du lacRazim jusqu'à Jurilovca,commune lipovène. Ensuite,retour et nuit à Tulcea ouprendre la direction deMamaia et Constantsa, dis-

tantes d'une centaine de kilomètres. Cet itinéraire peut être prolongé d'une journée, en fonction

des jours de départ et d'arrivée des bateaux sur le bras deSfântu Gheorghe. Dans ce cas, la journée supplémentaire peut-être utilisée pour une excursion en barque à la forêt tropicalede Letea, depuis Sulina.

Les personnes qui souhaitent avoir une vue plus complètedu Delta pourront emprunter le bras frontalier avec l'Ukrainede Chilia, jusqu'à Periprava, avec une halte à Chilia Veche.Compter quatre jours, aller-retour.

Dans ce séjour peuvent s'insérer des journées supplémen-taires consacrées à la pêche où à l'observation des oiseaux,depuis Crisan, Mila 23 ou Caraorman, Sulina, SfântuGheorghe, Chilia Veche et Periprava.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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Une dizaine de jours pour prendre la mesure de l'immensité et de la diversité des lieux

Première question qui vient àl'esprit: "Et les moustiques?".Le Delta passe pour en être

envahi et il faut bien constater qu'il nes'agit pas d'une légende. Leur nombre etleur voracité dépendra de la chaleur,et duniveau des eaux; si celles-ci sont basses,comme en 2003, ils se font plus rares.

En général, les moustiques apparais-sent vers la mi-juin et peuvent durer jus-qu'à la fin septembre, s'il fait vraimentchaud. Ils sont précédés en juin par despetites mouches noires qui, si elles nepiquent pas, arrachent des morceaux depeau, ce qui est désagréable.

Malheureusement, malgré leur petit

taille, les moustiques piquent dur. Ilsn'envahissent pas les lieux comme enLaponie ou dans les forêts québécoises, yrendant la vie intenable, mais quatre oucinq suffisent pour vous gâcher la nuit.

Une attaque prévisible

Toutefois, leur attaque est prévisible.Sans être continuelle, elle se déroule aulever et au coucher du soleil et dure envi-ron trois heures : de 4 à 5 h le matin jus-qu'à 8 h, de 20 h à 23 h le soir.

On dit que lorsque l'on se déplace, ilslaissent tranquilles… mais 6-7 heures dejogging ou de marche par jour, c'est peut-

être beaucoup demander aux vacanciers.Le mieux est alors de se calfeutrer danssa tente de camping ou, surtout, dans lespensions dont les fenêtres sont pratique-ment toutes grillagées.

Bien sûr, il ne faudra pas oublierd'emporter avec soi tous les artificesnécessaires pour s'en protéger : citron-nelles, insecticides, pommades et mousti-quaire. Les autorités ont procédé à descampagnes de démoustication par héli-coptère sur certains secteurs, mais c'estune arme à double tranchant car ces com-pagnons dont on se passerait bien consti-tuent la pitance des poissons, batracienset de certains oiseaux.

Les moustiques, compagnons dont on se passerait bien

Chaque matin, le soleil se lève sur la Roumanie àSulina, point le plus oriental du pays. Mais il n'estpas assez fort pour que ce port de la mer Noire, à

l'embouchure du Delta, langue de terre totalement isolée,léchée par les eaux douces, saumâtres ou salées, où on arriveet d'où on ne part qu'en bateau, sorte de la torpeur dans laquel-le il s'est peu à peu enfoncé depuis la Seconde Guerre mon-diale, aggravée par le com-munisme qui a mis fin à savocation internationale, latransition lui donnant lecoup de grâce.

Sulina la cosmopoliten'est guère plus qu'uneville fantôme rêvant de sonfaste passé d'il y a unsiècle et au prince char-mant qui viendra un jour laréveiller. "La belle endor-mie" ressemble étrange-ment à un autre port de laMéditerranée voisine,accidenté lui aussi parl'histoire, Famagouste,plongé dans la léthargiedepuis plus de trois décen-nies par les déchirements des communautés grecques etturques de l'île de Chypre.

Soudain, avec l'été, la ville revit

Pourtant, l'espace d'un été, Sulina fait oublier sa dure réa-lité de ville sinistrée où 40 % de ses 4000 habitants sont auchômage. Par enchantement, elle redevient alors cette petitestation vivante et gaie, envahie par les touristes. Elle prend unair de vacances. Il fait si bon flâner sur la grande promenadeombragée qui longe le canal, avant que celui-ci ne gagne laMer Noire, à moins de deux kilomètres. On s'y balade enfamille, au retour de la baignade, croisant des personnages pit-toresques comme en recèlent les ports, étranges aussi, parfoissortis du passé.

L'endroit s'anime encore plus dans la soirée, quand les élé-gants lampadaires s'allument. Les terrasses de la trentaine debistrots que compte la bourgade se remplissent. Les enfantspassent en revue les marchands de glace. Quelques barques ouvedettes viennent s'amarrer. Ce sont pratiquement les seulsengins motorisés que l'on rencontre. Sulina ne compte qu'unesoixantaine de voitures, toutes antiques, rongées par la salinité.

A quoi bon posséder un véhicule quand, au mieux, on nepeut faire que quatre ou cinq kilomètres en dehors dupérimètre de la commune ?

Pour la même raison, il n'existe pas de transports en com-mun, tous les services mais aussi les habitations étant concen-trés sur quelques centaines de mètres et autour des cinq ave-nues parallèles, numérotées comme à Manhattan, de un à cinq.

La nostalgie des année trente tient lieu de raison de vivre

Il est difficile de seloger à Sulina l'été, nonpas tellement à cause del'affluence, mais de l'insuf-fisance de l'hébergement.La station, connue pourson micro-climat, nesemble pas trop croire autourisme. Elle ne compteplus que sept ou huit pen-sions, trois hôtels, dont unseul moderne, et un cam-ping. Les infra-structuresn'existent pas ou sontvieillottes.

Cela ne manque pasde charme parfois, commeà l'hôtel Jean-Bart, don-

nant directement sur le canal et sa promenade. On y est replongé dans l'ambiance typique des ports, telle

que les films noir et blanc de l'Entre-Deux Guerres la montrait.Une nostalgie qui fait accepter son confort des années trente,d'ailleurs correct. A deux pas de là, ce qui était le plus vieilhôtel de la ville est devenu une bâtisse à l'abandon, vitresbrisées, prête à s'écrouler. Un Roumain de Satu-Mare, exiléaux USA, l'a racheté voici deux ans pour le réhabiliter. Sulinases complait dans les souvenirs qui, faute de mieux, lui tien-nent lieu de raison de vivre.

Finalement, l'afflux de vacanciers, essentiellementRoumains - en dehors de Florin Papadatu (demander ses coor-données à l'Hôtel Jean Bart), aucun guide local ne parlefrançais - ne fait pas vivre grand monde. Six ou sept proprié-taires de voitures se transforment en chauffeurs de taxi pen-dant les deux mois de la saison. Pour 20 000 lei (0,5 €, 3,3 F),ils conduisent les familles sur l'immense plage, pas très bienentretenue, distante de deux-trois kilomètres ou, pour 200 000lei, restent à leur disposition, jusqu'à ce qu'elles aient bien pro-fité de leur après-midi au soleil.

Deux ou trois terrasses permettent de s'y rafraîchir, mais ilfaut apporter son parasol car il n'y a aucun coin d'ombre, et sonmatelas de sol, le sable étant dur, et on ne peut louer ni l'un nil'autre. Des désagréments vite oubliés, enfants et adultes sebaignant en toute sécurité dans une eau délicieuse.

Sulina, fascinant

Sulina doit sa fortune passée au canal portant son nom, reliant la Mer Noire à Tulcea, et dont le creusement avait été effectué à la fin du XIXème siècle.

Au bout du continent, la ville, autrefois cosmopolite, vit dans la nostalgie de sa splendeur.Elle s'est peu à peu enfoncée dans la torpeur. La transition l'a fait sombrer

dans la désespérance et la vide de ses habitants. Pourtant, la "belle endormie" exerce un étrange pouvoir d'attirance et retient le visiteur.

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A la découverte du Delta

Son arrivée constitue chaque jour un évènement renouveléet une animation. La silhouette débonnaire et ventripotente ducapitaine est familière. Des décennies de navigation sur "leboulevard du soleil", comme on appelle le canal de Sulina,avec son bateau qui file invariablement d'est en ouest, et vice-versa, lui ont fait affronter toutes sortes de conditions :tempêtes, crues, basses eaux, épaves qui obstruent le passage.

Seule, l'une d'entre-elle le fait rester à terre, lorsque lefleuve gèle. Encore faut-il que l'épaisseur de cette "banquise"empêche le brise-glace de faire son œuvre. Cela est arrivévoici trois ans et l'on a été obligé d'appeler lesRusses à la rescousse pour ouvrir un chenal.Crisan a été isolé pendant une semaine, ce quin'a pas perturbé la vie locale remarquablementorganisée en fonction des aléas du fleuve.

L'été, si la sécheresse sévit et que les eauxdu canal baissent, le flot de la mer Noire peutremonter jusqu'à cent kilomètres en amont, ren-dant inconsommable l'eau douce. Il faut alorsfaire venir des bateaux-pompes, comme cela aété le cas pour la ville de Sulina, en 2003.

Par précaution, les femmes sur le pointd'accoucher partent à l'avance à Tulcea. Le dis-pensaire, qui compte trois infirmières, n'ouvreguère ses portes qu'une fois par semaine et on y voit très rare-ment le médecin qui y est attaché. En cas d'urgence, on appel-le le bateau-ambulance express, qui vient de Tulcea en moinsd'une heure et, s'il le faut, un hélicoptère militaire se déplacedepuis Constantsa.

Pêche et ferme ne suffisent plus à nourrir les familles

Ici, de tous temps, les hommes ont appris à se débrouillerpar eux-mêmes. Les fonctionnaires sont peu nombreux, unequarantaine. Le plus gros employeur est l'école qui, avec sadirectrice, la femme du prêtre, venue de Bucarest, professeurd'anglais, de françaiset de religion, comp-te une dizaine d'en-seignants, mais n'apas de section dematernelle.

Depuis la fer-meture du centretéléphonique et l'ar-rivée du téléphoneautomatique,la postese réduit à la postiè-re et à deux facteurs.La mairie emploiesix personnes, dont le maire ; le centre culturel se borne à sondirecteur. Le transformateur électrique mobilise troisemployés, comme le traitement de l'eau et aussi la boulange-rie. Deux inspecteurs écologiques, qui opèrent en tenuecamouflée, contrôlent la chasse et observent les oiseaux; s'y

ajoutent quatre garde-pêche.En dehors de ces emplois, il n'y a guère de possibilités,

sinon travailler à la coopérative de pêche et dans les deuxmagasins qui appartiennent au député ou sur le bateau quiamène le poisson à Tulcea, propriété du maire. Quelques chan-tiers de construction d'hôtels ou de maisons offrent aussi detrop rares opportunités.

Les habitants se replient donc vers leurs activités tradi-tionnelles, la pêche en premier lieu ; mais les prises sont en netrecul et le système de concessions attribuant récemment des

lots à degros pro-priétaires ,devenus devér i t ab lesb o y a r d slocaux, arendu lesp ê c h e u r sdépendants,les premiersp r o f i t a n tnotammentde l'absence

de concurrence pour diviser le prix du poisson par deux. Le jardin, l'élevage - chaque maison a une vache - per-

mettent de nourrir la famille. Les vieux s'occupent en faisantparfois des travaux de vannerie ou en fabriquant des barques.On s'entraide entre voisins, parents et amis, pour construireson habitation.

Toutes ces activités ont donné ce sentiment de liberté et defierté qui caractérise le Delta, mais elles ne permettent plus desubsister à elles seules. La vie devient particulièrement diffici-le pour les familles pauvres pendant la fermeture de la pêche,ce qui explique la persistance du braconnage.

"Ici, quand on travaille, on n'est pas pauvre!"

La démographie s'en ressent. En 2003,pour les 1400 habitants des trois communesrattachées à Crisan - environ 450 chacune - ona enregistré quatorze naissances, mais dix-neufdécès. Le prêtre qui se partage entre Crisan etCaraorman n'a célébré que trois mariages,deux autres l'étant à Mila 23, qui a son propreprêtre lipovène, de rite ancien orthodoxe.

Pourtant, depuis trois-quatre ans l'espoirest revenu. Il a pour nom, l'agro-tourisme. Surles 300 maisons que compte le village, environ75 se sont transformées en pensions. PourCatalin, 28 ans, parti s'exiler à Bucarest voici

près de dix ans et revenu au pays en 2002, malheureux del'image souvent faite de son Delta accolée à celle d'habitantsqui se laissent aller, notamment à boire, et ne font pas trop d'ef-forts, la réalité peut être toute autre: "Ici, quand on travaille,on n'est pas pauvre!".

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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Les Roumains l'appellent la pêche sportive… ce quine manque pas de flatter les touristes qui la prati-quent, plutôt habitués à être présentés chez eux

sous les traits… de sportifs en fauteuil ou de pêcheurs dudimanche. Quoiqu'il en soit, la pêche de loisir est un des prin-cipaux attraits du Delta, avec l'observation des oiseaux et ladécouverte du milieu. A elle seule, elle a attiré environ troismille étrangers l'an dernier, et leur nombre augmente réguliè-rement. Des Italiens, des Français, des Belges, des Suisses, desAllemands et quelques Américains. Les photographies desfilets remplis qu'ils montrent avec fierté à leur retour y sontpour beaucoup. A la fin de la journée, certains pèseront 20,voire 30 kg. Carpes, brochets, sandres, silures peuvent s'ycôtoyer. On a même vu un vacancier, pêchant avec deuxgaules, sortir 100 kg de carpes !

Cinq kilos autorisés par jour

Heureusement pour les réserves piscicoles du Delta cen'est pas tous les jours fête, la meilleure époque de l'année sesituant au début de l'automne ouen novembre pour le brochet etle sandre, quand le poisson nes'est pas tapi au fond de l'eau àcause du froid. Les jours d'étépeuvent réserver de bonnes sur-prises bien que juillet et aoûtsoient trop chauds pour le pois-son. Il faut faire une croix sur lereste de l'année. L'hiver, lesprises se font rares, les condi-tions sont difficiles, et la pêcheest fermée une grande partie duprintemps, de début-mai à lami-juin, avec parfois des dérogations comme pour le brochet.

Tulcea, base de départ

Le pêcheur doit savoir que son permis ne l'autorise qu'à cinqkilos par jour, et des contrôles ont lieu, sur place comme audébarcadère à Tulcea, passage obligé vers le Delta. Ce n'estpas un problème pour les étrangers, qui remettent le plus sou-vent leur poisson à l'eau, ne conservant que la belle pièce qu'ilsconfieront à la cuisinière de leur pension. Elle leur mijotera unragoût de sandre ou préparera des filets de carpe poêlés ou aufour, le plus souvent accompagnés de petits oignons, d'unesauce aux tomates et au basilic. Ces plats prennent toute leursaveur quand on les sert avec un Aligoté de Niculitsel bienfrais, bon petit vin blanc sec du terroir de la Dobroudja… qui

ne cède en rien à un muscadet, l'acidité en moins. A son arrivée, la première chose que le pêcheur devra

faire, avant de se rendre dans le Delta même, sera de prendreson permis de pêche à l'ARBDD de Tulcea, plus communé-ment appelée la Biosphère, et dont l'immeuble, très reconnais-sable, se trouve sur le quai du Danube, près des embarcadères.Il lui en coûtera 500 000 lei (12 €, 80 F) pour l'année ou100 000 lei (2,5 €, 16 F) pour 24 h et il pourra pêcher sur toutel'étendue de la Réserve du Delta. Cette précaution lui éviterad'avoir à courir après les garde-pêches, qui peuvent égalementle délivrer… et surtout de prendre les cartes à la journée pro-posées par certaines pensions au tarif prohibitif de 200 000 lei.

S'il vient sans son matériel, il pourra toujours en acheter àTulcea à un prix modique. Il existe trois magasins spécialisés,strada Isacei, tout près du port, dont l'un s'appelle AGVPS.Egalement sièges de clubs de pêche, ils organisent des sortiesen groupes. Une autre solution est de le louer dans les pen-sions, ce qui ne pose pas de problème. Ce sont d'ailleurs ellesqui fourniront les appâts, vers de terre pour les silures, maïscuit et boulettes de mamaliga pour les carpes, le pêcheur

n'ayant aucun mal à s'approvi-sionner en petits gardons ouautres vifs pour aller taquiner lebrochet et le sandre.

Ne pas s'aventurer seul

Le Delta étant un véritablelabyrinthe, celui qui ne leconnaît pas ne devra en aucunefaçon s'y aventurer seul.Chaque année, les pêcheursprofessionnels partis relevésleurs filets trouvent au petit

matin des barques qui ont tourné en rond toute la nuit, leursoccupants étant perdus.

La présence d'un "guide-rameur" et connaisseur des lieux,dont la topographie change sans arrêt avec la présence d'îlesflottantes qui se déplacent, est indispensable. Car même pourles habitants le Delta n'est pas sans dangers. Déséquilibrés lanuit par les roseaux, des pêcheurs sont tombés à l'eau et se sontnoyés, n'arrivant pas à se dépêtrer de leurs filets.

Pour éviter les conséquences fâcheuses d'un bain forcé, letouriste prendra soin de mettre ses papiers et son argent dansun sac étanche ou, mieux, de les laisser à la pension. En outre,un guide fera davantage apprécier la nature, connaîtra les bonscoins, permettra de faire la distinction entre les couleuvres quel'on voit nager près de Crisan et les vipères que l'on trouveplutôt à Caraorman et Sfântu Gheorghe, enfouies dans le sable.

La promesse de le boulevard du soleilLe pêcheur "sportif" doit bien choisir sa saison. L'automne est idéal.

Brochets et sandres y foisonnent et la taille des carpes impressionne toujours. A midi, parmi les roseaux, le guide préparera une soupe de poisson

bouillie dans l’eau du Danube, et au goût incomparable.Le soir, à la pension, c'est le four de la cuisinière qui fera honneur à la pêche du jour…

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A la découverte du Delta

Les agences peuvent fournir les services de ces accompa-gnateurs, mais ce sera plus cher. Il est tout aussi indiqué des'adresser à sa pension ou aux pêcheurs locaux.

Vingt euros la journée complète pour deux, guide, barque et matériel compris

Dans ce cas, une journéecomplète en barque à moteur,qui permet de s'enfoncer dansles petits bras du Danube, lesplus poissonneux, reviendra à800 000 lei (20 €, 130 F),guide et matériel de pêchecompris, pour deux personnes.A midi, le guide préparera unesoupe avec vos poissons, lesfaisant bouillir dans une grandegamelle d'eau du Delta qui luidonnera un goût d'autant plusincomparable que vous ladégusterez parmi les roseaux.

Des programmes de plu-

sieurs jours sont également combinables, avec abri dans descabanes de pêcheurs, quelqu'un s'occupant des repas et de l'in-tendance. Popina, au sud du bras de Chilia Veche (bras nord duDanube, frontalier avec l'Ukraine) est l'une de ces adressesfavorites des connaisseurs. Cette réserve qui abritait autrefoisdes bassins de reproduction foisonne de brochets. Lespêcheurs peuvent dormir dans les bungalows du camping, sur

la rive, louer des barques maisdoivent apporter leur matériel.

L'accès se fait depuis leport de Sulina, sur la merNoire, en une heure en bateauordinaire, en une demi-heureen vedette rapide. Il faut comp-ter un million de lei l'aller(25 €, 160 F) pour une ou plu-sieurs personnes, et 1,5 mil-lion, l'aller-retour dans lajournée. Un prix finalementconvenable pour la promessed'une pêche miraculeuse donton ne trouve guère d'équiva-lent... sinon dans l'Evangile.

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pêches miraculeuses

Les Roumains sont dubitatifsdevant ces étrangers qui vien-nent de si loin, prennent du

poisson pour le rejeter sitôt la photo faite.Pour eux, la pêche, c'est une autre histoi-re: faire des provisions pour l'hiver etremplir un maximum de glacières ou desacs Tati qu'ils rameneront discrètement,afin d'échapper aux contrôles.

Il ne faut pas chercher là les raisonsprincipales de la baisse importante desressources piscicoles du Delta, depuis laRévolution. Ni, non plus, dans le bracon-nage "familial", forme de débrouillardisepratiquée pour survivre, qui se caractéri-se plutôt par l'absence de permis, l'utilisa-tion d'engins en surnombre, le non res-pect des périodes d'interdiction.

Le braconnage industriel est autre-ment plus ravageur. Il est l'œuvre debandes, opérant avec des filets auxmailles invisibles, ou en pleine nuit, àl'arc électrique, provoquant des mas-sacres, jusqu'à une tonne de poissons parvirée nocturne, et traumatisant les survi-vants qui ne se reproduisent plus. Ce bra-connage a menacé l'existence même del'esturgeon, les Turcs s'étant mis aussi de

la partie, à l'entrée du Delta… au pointque la chair blanche, à la fois fine etferme, comparable à celle de l'espadon,de ce seigneur du Danube, a pratiquementdisparu des assiettes.

Les années suivant la "Révolution"ont été propices à tous les débordements.Aucune réglementation n'était plus res-pectée, personne ne payait de droits àl'Etat. Selon les habitants, la disparitiondu Commandant Cousteau, qui avaittourné des documentaires sur le Delta etse montrait très attentif à sa préservationa fait disparaître les derniers garde-fous.Les autorités ont bien tenté de réagir, dès1995, pour discipliner les activités depêche… en vain, à l'époque.

Puis, sous la pression européenne, laRoumanie a instauré un contrôle draco-nien. Les vieilles habitudes ont dû êtreabandonnées. Les quotas doivent êtrerigoureusement respectés, faute de quoion risque de perdre son permis. Lesendroits destinés à la pêche sont sur-veillés jour et nuit tandis que les zonesprotégées sont complètement interdites.

Mais le message de l'Etat est malreçu. Les habitants ont eu le sentiment

d'être dépossédés de leur terre, par lesconcessions accordées à la nomenklaturade Bucarest ou de Tulcea, voici trois ans,qui leur permettent d'avoir la main hautesur l'exploitation des zones de pêche, duroseau, du tourisme, de l'élevage.

Des pêcheurs qui enragent

Aujourd'hui, ils regardent, rageurs,ces nouveaux riches qui se sont faitsconstruire d'imposantes villas et les toi-sent du haut de leurs centaines devedettes rapides et autres embarcationsmodernes que compte le Delta, fendantles flots à toute vitesse, sans ralentir aupassage des simples barques, effrayantles poissons, faisant fuir les oiseaux, éro-dant les berges.

Même les grenouilles et les écre-visses ne sont plus tranquilles. Cesespèces sont très nombreuses, leur pêchepourrait constituer une activité tournéevers l'exportation, à défaut d'êtreconsommées sur le plan local, au moinspour les touristes qui en sont friands,mais elle ne cadre pas avec les habitudesculinaires locales et est négligée.

Les débordements de “l’après-Révolution”: même les grenouilles et les écrevisses ne sont plus tranquilles

Crisan sortirait-il de sa torpeur ? A l'écart du reste dupays depuis toujours, le village de 485 habitants,que d'aucuns considèrent comme la capitale du

Delta du Danube puisqu'il est situé en son coeur même, aumilieu du canal de Sulina, voit se multiplier les signes dumodernisme. Le téléphone automatique est arrivé voici troisans, ce qui a permis à près d'une dizaine de personnes de s'é-quiper en ordinateur et Internet. Maintenant, comme dans lereste de la Roumanie, chacun est doté de son portable.

Et puis, les touristes arrivent. Le mouvement a commencévoici cinq-six ans, mais n'est vraiment franc que depuis ledébut des années 2000. Alors, avec les promesses que faitnaître ce flux, Crisan a vu revenir quelques uns de ses enfants.Ils étaient partis en nombre carla vie était devenue trop dure ;la pêche, seule activité possiblene rapportait plus. Mêmeaujourd'hui encore dans le vil-lage de nombreuses maisonssont à vendre, deux sur troissont vides une bonne partie del'année. Leurs occupants ne lesretrouvent qu'à l'occasion descongés et, maintenant, de la sai-son touristique devenue uneactivité complémentaire au tra-vail que l'on a trouvé à Bucarestou ailleurs pour l'hiver.

Des rameurs aux carrures de champion

La vie est monotone dans le Delta. Seuls la télévision et letéléphone permettent de s'en évader. Ici, il n'y a pas de voi-tures. Les barques les remplacent. Elles sont pratiquementtoutes dotées de moteur aujourd'hui, ce qui n'empêche pasd'avoir recours à la rame lorsqu'on s'enfonce dans les marais…et donne des générations de jeunes gens à la carrure impres-sionnante. Le plus grand champion de l'histoire mondiale ducanoë, Ivan Patsaïchin, quatre titres olympiques, dont l'unremporté avec une rame cassée, n'est-il pas originaire du villa-ge voisin de Mila 23, tout comme son cousin, champion dumonde ?

Quelques bicyclettes permettent de raccourcir le long che-min qui longe le fleuve où s'alignent, espacées sur septkilomètres, des maisons vertes, bleues, blanches, aux toits dechaume et aux terrasses recouvertes de vignes. Leurs jardins,qui donnent sur les marais, derrière, régulièrement inondés,fournissent les légumes dont chacun a besoin. Pruniers etquelques abricotiers permettent de fabriquer la tsuica, alorsque "corcoduse" et "agude", mirabelles et mûres, servent à

faire de délicieuses confitures. Quelques vaches donnent lelait, des chevaux se promènent en liberté - ils aident aux tra-vaux de la ferme - poules et oies s'ébattent dans la cour, lesmoutons sont rares et on ne voit guère de cochons.

Crisan vit en autarcie. Deux ou trois petites épiceries quiappartiennent au député permettent de s'approvisionner enproduits de première nécessité. Mais l'essentiel des courses, lesfemmes iront les faire à Tulcea, une fois par semaine. Partiesdès l'aube par le bateau, elles auront tout juste deux heurespour accomplir leurs emplettes, avant de prendre le chemin duretour.

La navette, véritable cordon ombilical

La navette est le seul liendes habitants avec le reste dupays. Avec une précision demétronome, si les conditionsde navigation sont ordinaires,elle passe une fois par jourdans chaque sens, mettantCrisan à quatre heures de lacapitale du judet, Tulcea, et àdeux du terminus, Sulina, surla mer Noire. Elle est doubléepar un service privé d'hydro-jet, à la fois plus rapide et pluscoûteux. Le lundi matin et levendredi soir, elle se remplit de

lycéens, pensionnaires dans la grande ville. Ils ont quitté le vil-lage après la classe de huitième, à quatorze ans, et rejoignentleurs familles pour le week-end. Plus tard, ils iront étudier àl'université de Galati, de Tulcea, ou feront le grand saut jusqu'àBucarest. La vie leur paraîtra plus trépidante : seule distrac-tion, le bar-disco du village a fermé, la maison de la culture leremplaçant à l'occasion, tout en permettant de s'initier àInternet, et il n'existe qu'un seul café.

Bateau-ambulance express et hélicoptère pour les cas d'urgence

Le rythme de la vie est donc réglé par la navette. C'est ellequi apporte les journaux, que l'on ne peut se procurer que parabonnement. C'est elle qui fournit le boulanger en farine oulivre directement le pain quand sa fabrication locale n'est pasappréciée, comme c'est, paraît-il, le cas à Sfântu Gheorghe.C'est elle qui conditionne les liaisons, possibles uniquement enbateau, vers les villages voisins de Mila 23 et Caraorman. Lapostière ouvre ses bureaux en fonction de son passage. C'estl'heure du courrier et celle où elle aura le plus de clients.

Crisan, capitale sur A Crisan, au cœur du Delta, les bateaux remplacent les voitures. Le soleil

accompagne d'est en ouest le canal rectiligne qui borde les sept kilomètres du village.Bien que les revenus de la pêche aient sérieusement fondu, les habitants reprennent

espoir, les jeunes commencent à revenir. De nombreuses maisons sont encore à vendre,mais autant se sont transformées en pensions de famille.

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A la découverte du Delta

Ils se livrèrent eux-mêmes à des actes d'hystérie,desimmolations collectives par le feu. L’'Apocalypse était procheet la venue de l'Antéchrist imminente. Quelques années plustard, ils le reconnurent en la personne de Pierre Le Grand(1672-1725) qui intensifia la terreur. Fasciné par le mode devie occidentale, celui-ci voulut l' imposer en Russie. Ses"oukase" obligèrent ainsi les hommes à se couper la barbe et àtroquer l'habit traditionnelcontre le costume occidental.

Une majeure partie des"Raskolniks" fuit vers le nord,vers l'Oural et les profondeursde la Sibérie, en Alaska, auCanada, en Australie, où leursdescendants vivent encore.D'autres gagnèrent l'Occident,s'établissant surtout enMoldavie, autour de Iasi,Suceava et Radauti.

Une seconde vague defugitifs arriva au milieu duXVIIIème siècle. Pêcheurs surle Don, ils avaient participé au soulèvement des paysans russessous la conduite de leur chef, l'atamn Nekrassov. Ecrasés parl'armée de la tsarine Catherine II (1729-1796), ils se réfugiè-rent en Turquie et en Dobroudja.

"Ils nous ont retiré l'eau de sous les rames"

Telle est la double origine des Lipovènes. Aujourd'huiconcentrés en Moldavie et en Dobroudja, la plupart se sontintégrés dans la société roumaine, tout en cultivant une forteconscience communautaire. C'est dans le Delta que leurs tra-

ditions sont les mieux conservées, mais c'est aussi là que leurâme est la plus menacée. La période de transition l'a fait plussûrement disparaître que les persécutions tsaristes en leur enle-vant le droit de pêcher comme ils l'avaient toujours fait.

Alors que leurs techniques traditionnelles avaient unimpact extrêmement réduit sur le potentiel pisicole et qu'ilsétaient parfaitement intégrés dans le vaste éco-système du

Delta depuis trois siècles, lesnouvelles réglementations lesaccablent de contraintes. Lesystème de concessions attri-buant l'exploitation des eauxet de la pêche à quelquesnomenklaturistes de Bucarestou Tulcea a limité l'accès àleur activité ancestrale,rendantces hommes libres dépendantsde "barons" locaux. Sur les150 familles lipovènes quecompte Mila 23, seulement 40pêcheurs ont obtenu un permiset ont été engagés par la firme

qui a le monopole de l'exploitation du poisson. Les autres sontréduits à la condition de "braconniers", comme les appellentmaintenant les policiers, les autorités ou les écologistes.

"Ne au luat apa sub vasle", "Ils nous ont retiré l'eau desous les rames" entend-on souvent dans le Delta, le doigt poin-tant ces nouvelles fortunes qui s'étalent sans vergogne, alorsque les jeunes sont contraints de partir et les vieux de mourir àpetits feux. Ces anciens aux longues barbes, qui continuent àcracher par terre lorsque sont prononcés les noms maudits deNikon et de Pierre le Grand pourront bientôt allonger leurrépertoire de malédictions.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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Dieu aurait-il abandonné

Le Delta, monde étrange et difficile à pénétrer, a tou-jours attiré proscrits et réfugiés, comme lesCosaques zaporogues ou les Tatars. C'est même une

vieille tradition, rappelle le Guide Bleu Evasion Roumanieparu chez Hachette l'année dernière, car, d'après la mythologiegrecque, Jason et ses Argonautes, fuyant la Colchide (proba-blement la Georgie) où ils venaient de s'emparer de la Toisond'Or, auraient cherché refuge sur les rives de l'Ister (anciennom du Danube).

En naviguant dans l'enchevêtrement des bras du fleuve etdes canaux, notamment sur le vieux bras, près du village deMila 23, sur celui de Chilia Veche,plus au nord, à Periprava, Sfistofca,ou sur le lac Razim, à Jurilovca, on ycroise des hommes à la longue barbeet aux yeux bleus dans leurs barquesnoires, se signant ostensiblement s'ilsviennent à passer devant une église.

Ce sont les "Vieux croyantsrusses" qui avaient fui leur terre nata-le et les persécutions religieusesvisant les tenants de l'ancien rite, à lafin du XVIIème siècle, et que seule laRoumanie appelle les Lipovènes.Une étymologie incertaine qui contri-bue au mystère entourant ce peuple.Leur nom viendrait de "lipa", tilleulen russe, à moins qu'il ne soitemprunté à un certain Filipov, lequels'était immolé par le feu pour s'élevercontre l'oppression dont étaient vic-times les fidèles.

Bien accueillis par les Turcs en Dobroudja, puis dispersés

Les Lipovènes sont 30 000 dans le pays, répartis égale-ment dans les judets de Constantsa, Braila, Iasi et Suceava.Ces hommes et ces femmes ont conservé l'usage du vieuxrusse comme langue, enrichi de mots ukrainiens et roumains.Ils pratiquent leur culte orthodoxe en slavon, leurs prêtres nesuivent pas d'études théologiques mais sont élus par leur com-munauté; ils utilisent le calendrier Julien dans la vie quoti-dienne, lequel a treize jours de retard sur le calendrier grégo-rien, et leurs traditions, pleines de mystères, sont vivaces.

Ce peuple de pêcheurs, venu en partie des bords du Don,s'est fondu dans l'univers du Delta. A l'époque, la Dobroudjaappartenait à l'Empire Ottoman qui le considéra comme uninvité, reconnut son église et ne tenta pas de mener une poli-

tique d'islamisation. En 1828, la Porte sublime essaya cepen-dant de l'enrôler dans ses guerres contre le Tsar et de créer unearmée régulière de Lipovènes, proposant en échange une largeautonomie, des concessions de pêche sur de vastes étendues.Se heurtant à un refus, les Turcs entreprirent de déplacer unepartie de la communauté vers d'autres endroits du fleuve ainsique dans la région asiatique de leur empire, à Bursa.

Une langue reconnue seulement après la "Révolution"

Après l'indépendance de laRoumanie, arrachée aux Ottomans en1878, les nouvelles autorités encou-ragèrent les populations deDobroudja à rester sur place, parcrainte de la désertification de larégion et pour éviter d'approfondir levide démographique causé par ledépart des Turcs. Au fil des décen-nies les Lipovènes avaient appris à necompter que sur eux-mêmes, serepliant sur leur communauté lorsquel'époque se faisait menaçante.

Ce fut le cas lors de la SecondeGuerre mondiale opposant leur terred'origine, où ils étaient considéréscomme des renégats, à leur paysd'adoption, où on les suspectait d'êtredes traîtres en puissance. D'ailleurs, ilfaudra attendre 1990 et la chute deCeausescu pour que leur langue soitreconnue officiellement.

Fuyant les persécutions de Pierre le Grand et de Catherine II

Leur allure pacifique et distante ne laisse pas deviner queles Lipovènes portent l'héritage d'une des plus terriblespériodes de l'histoire russe. Au XVIIème siècle, le tsar AlexisMikhaïlovitch avait chargé le patriarche de Moscou, Nikon, deremédier aux dérives accumulées au cours des siècles dans lequotidien de l'église russe. En 1652, un synode engageait uneréforme. Des millions de fidèles conduits par le prêtreAvvakoum refusèrent de toucher à leurs traditions. Le schisme("raskol" en russe) devint inévitable. L'église et la sociétérusse se déchirèrent. Excommuniés, les "Vieux croyants", ou"Raskolniks" subirent une féroce répression, soldée par desdizaines de milliers de morts au cours des décennies suivantes.

son peuple de pêcheurs ?

Les images montrant les bateaux échoués, les épaves rouilléespourrissant dans les bras du Delta du Danube sont présentes dansla mémoire des téléspectateurs. Elles sont le témoin de cette

époque de chaos, de négligence, d'incompétence et de corruption qu'a tra-versé le pays à la faveur de la transition, transformant le paradis qu'était leDelta en cimetière.

L'exemple du “Rostock” (notre photo) en est l'illustration. Ce navireukrainien, chargé d'une cargaison de 5000 tonnes d'acier, a sombré dans lecanal de Sulina le 2 septembre 1991, alors que l'URSS vivait ses derniersjours, à l'endroit intitulé "Mila 31". La navigation sur cet axe vital pour lesrelations entre la Mer Noire et les ports du Danube a été interrompue plu-

sieurs mois. En 1992, finalement, un chenal provisoire faisant une courbe de 500 mètres autour de l'épave était dégagé. La firmede Galati qui l'a creusé n'a jamais été payée. Depuis, malgré des financements fournis par l'Etat et par l'UE, la situation n'a pas évo-lué. Les sommes dévolues au désenchouage du “Rostock” se sont volatilisées. Leresponsable de cette malversation a bien étécondamné à 12 ans de prison, mais il a été blanchi par la cour d'Appel de Constantsa

Pendant ce temps, depuis treize ans, la navigation est entravée, des dizaines de bateaux s'étant échoués, causant des dommagesconsidérables aux armateurs, aux structures portuaires. Des millions d'euros ont été perdus ou dépensés en vain. La BEI (BanqueEuropéenne d'Investissement) et l'Etat roumain avaient décidé de consacrer à égalité 76 M€ (500 MF) pour réhabiliter le canal,renforcer ses berges, maintenir son tirant d'eau, dont 4 M€ pour se débarrasser du “Rostock”. Mais l'épave était toujours là et lestravaux ne pouvaient pas démarrer, jusqu'à l'automne dernier où, enfin, son désenchouage a commencé.

Le paradis transformé en cimetière

Dès l’arrivée du ferry-boat à Crisan, une navette emmène les habitants de Mila 23 vers leur village.

Les "Vieux croyants russes" ont fui en deux vagues leur terre natale et les persécutionsdues à leur foi pour devenir Lipovènes en Roumanie. En barque, dans les bras du Delta,

ou dans les villages de Mila 23, Periprava, Jurilovca, on croise encore ces hommes à la longue barbe. Mais ces pêcheurs, fiers et libres, sont devenus subitement des

"braconniers" aux yeux des autorités. Les jeunes partent, les anciens meurent à petit feu.

Page 13: Les de N R · "Valurile Dunarii", "Les flots du Danube". Sulina a été célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve... Dans le cimetière marin, les morts des

A la découverte du Delta

Ils se livrèrent eux-mêmes à des actes d'hystérie,desimmolations collectives par le feu. L’'Apocalypse était procheet la venue de l'Antéchrist imminente. Quelques années plustard, ils le reconnurent en la personne de Pierre Le Grand(1672-1725) qui intensifia la terreur. Fasciné par le mode devie occidentale, celui-ci voulut l' imposer en Russie. Ses"oukase" obligèrent ainsi les hommes à se couper la barbe et àtroquer l'habit traditionnelcontre le costume occidental.

Une majeure partie des"Raskolniks" fuit vers le nord,vers l'Oural et les profondeursde la Sibérie, en Alaska, auCanada, en Australie, où leursdescendants vivent encore.D'autres gagnèrent l'Occident,s'établissant surtout enMoldavie, autour de Iasi,Suceava et Radauti.

Une seconde vague defugitifs arriva au milieu duXVIIIème siècle. Pêcheurs surle Don, ils avaient participé au soulèvement des paysans russessous la conduite de leur chef, l'atamn Nekrassov. Ecrasés parl'armée de la tsarine Catherine II (1729-1796), ils se réfugiè-rent en Turquie et en Dobroudja.

"Ils nous ont retiré l'eau de sous les rames"

Telle est la double origine des Lipovènes. Aujourd'huiconcentrés en Moldavie et en Dobroudja, la plupart se sontintégrés dans la société roumaine, tout en cultivant une forteconscience communautaire. C'est dans le Delta que leurs tra-

ditions sont les mieux conservées, mais c'est aussi là que leurâme est la plus menacée. La période de transition l'a fait plussûrement disparaître que les persécutions tsaristes en leur enle-vant le droit de pêcher comme ils l'avaient toujours fait.

Alors que leurs techniques traditionnelles avaient unimpact extrêmement réduit sur le potentiel pisicole et qu'ilsétaient parfaitement intégrés dans le vaste éco-système du

Delta depuis trois siècles, lesnouvelles réglementations lesaccablent de contraintes. Lesystème de concessions attri-buant l'exploitation des eauxet de la pêche à quelquesnomenklaturistes de Bucarestou Tulcea a limité l'accès àleur activité ancestrale,rendantces hommes libres dépendantsde "barons" locaux. Sur les150 familles lipovènes quecompte Mila 23, seulement 40pêcheurs ont obtenu un permiset ont été engagés par la firme

qui a le monopole de l'exploitation du poisson. Les autres sontréduits à la condition de "braconniers", comme les appellentmaintenant les policiers, les autorités ou les écologistes.

"Ne au luat apa sub vasle", "Ils nous ont retiré l'eau desous les rames" entend-on souvent dans le Delta, le doigt poin-tant ces nouvelles fortunes qui s'étalent sans vergogne, alorsque les jeunes sont contraints de partir et les vieux de mourir àpetits feux. Ces anciens aux longues barbes, qui continuent àcracher par terre lorsque sont prononcés les noms maudits deNikon et de Pierre le Grand pourront bientôt allonger leurrépertoire de malédictions.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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Dieu aurait-il abandonné

Le Delta, monde étrange et difficile à pénétrer, a tou-jours attiré proscrits et réfugiés, comme lesCosaques zaporogues ou les Tatars. C'est même une

vieille tradition, rappelle le Guide Bleu Evasion Roumanieparu chez Hachette l'année dernière, car, d'après la mythologiegrecque, Jason et ses Argonautes, fuyant la Colchide (proba-blement la Georgie) où ils venaient de s'emparer de la Toisond'Or, auraient cherché refuge sur les rives de l'Ister (anciennom du Danube).

En naviguant dans l'enchevêtrement des bras du fleuve etdes canaux, notamment sur le vieux bras, près du village deMila 23, sur celui de Chilia Veche,plus au nord, à Periprava, Sfistofca,ou sur le lac Razim, à Jurilovca, on ycroise des hommes à la longue barbeet aux yeux bleus dans leurs barquesnoires, se signant ostensiblement s'ilsviennent à passer devant une église.

Ce sont les "Vieux croyantsrusses" qui avaient fui leur terre nata-le et les persécutions religieusesvisant les tenants de l'ancien rite, à lafin du XVIIème siècle, et que seule laRoumanie appelle les Lipovènes.Une étymologie incertaine qui contri-bue au mystère entourant ce peuple.Leur nom viendrait de "lipa", tilleulen russe, à moins qu'il ne soitemprunté à un certain Filipov, lequels'était immolé par le feu pour s'élevercontre l'oppression dont étaient vic-times les fidèles.

Bien accueillis par les Turcs en Dobroudja, puis dispersés

Les Lipovènes sont 30 000 dans le pays, répartis égale-ment dans les judets de Constantsa, Braila, Iasi et Suceava.Ces hommes et ces femmes ont conservé l'usage du vieuxrusse comme langue, enrichi de mots ukrainiens et roumains.Ils pratiquent leur culte orthodoxe en slavon, leurs prêtres nesuivent pas d'études théologiques mais sont élus par leur com-munauté; ils utilisent le calendrier Julien dans la vie quoti-dienne, lequel a treize jours de retard sur le calendrier grégo-rien, et leurs traditions, pleines de mystères, sont vivaces.

Ce peuple de pêcheurs, venu en partie des bords du Don,s'est fondu dans l'univers du Delta. A l'époque, la Dobroudjaappartenait à l'Empire Ottoman qui le considéra comme uninvité, reconnut son église et ne tenta pas de mener une poli-

tique d'islamisation. En 1828, la Porte sublime essaya cepen-dant de l'enrôler dans ses guerres contre le Tsar et de créer unearmée régulière de Lipovènes, proposant en échange une largeautonomie, des concessions de pêche sur de vastes étendues.Se heurtant à un refus, les Turcs entreprirent de déplacer unepartie de la communauté vers d'autres endroits du fleuve ainsique dans la région asiatique de leur empire, à Bursa.

Une langue reconnue seulement après la "Révolution"

Après l'indépendance de laRoumanie, arrachée aux Ottomans en1878, les nouvelles autorités encou-ragèrent les populations deDobroudja à rester sur place, parcrainte de la désertification de larégion et pour éviter d'approfondir levide démographique causé par ledépart des Turcs. Au fil des décen-nies les Lipovènes avaient appris à necompter que sur eux-mêmes, serepliant sur leur communauté lorsquel'époque se faisait menaçante.

Ce fut le cas lors de la SecondeGuerre mondiale opposant leur terred'origine, où ils étaient considéréscomme des renégats, à leur paysd'adoption, où on les suspectait d'êtredes traîtres en puissance. D'ailleurs, ilfaudra attendre 1990 et la chute deCeausescu pour que leur langue soitreconnue officiellement.

Fuyant les persécutions de Pierre le Grand et de Catherine II

Leur allure pacifique et distante ne laisse pas deviner queles Lipovènes portent l'héritage d'une des plus terriblespériodes de l'histoire russe. Au XVIIème siècle, le tsar AlexisMikhaïlovitch avait chargé le patriarche de Moscou, Nikon, deremédier aux dérives accumulées au cours des siècles dans lequotidien de l'église russe. En 1652, un synode engageait uneréforme. Des millions de fidèles conduits par le prêtreAvvakoum refusèrent de toucher à leurs traditions. Le schisme("raskol" en russe) devint inévitable. L'église et la sociétérusse se déchirèrent. Excommuniés, les "Vieux croyants", ou"Raskolniks" subirent une féroce répression, soldée par desdizaines de milliers de morts au cours des décennies suivantes.

son peuple de pêcheurs ?

Les images montrant les bateaux échoués, les épaves rouilléespourrissant dans les bras du Delta du Danube sont présentes dansla mémoire des téléspectateurs. Elles sont le témoin de cette

époque de chaos, de négligence, d'incompétence et de corruption qu'a tra-versé le pays à la faveur de la transition, transformant le paradis qu'était leDelta en cimetière.

L'exemple du “Rostock” (notre photo) en est l'illustration. Ce navireukrainien, chargé d'une cargaison de 5000 tonnes d'acier, a sombré dans lecanal de Sulina le 2 septembre 1991, alors que l'URSS vivait ses derniersjours, à l'endroit intitulé "Mila 31". La navigation sur cet axe vital pour lesrelations entre la Mer Noire et les ports du Danube a été interrompue plu-

sieurs mois. En 1992, finalement, un chenal provisoire faisant une courbe de 500 mètres autour de l'épave était dégagé. La firmede Galati qui l'a creusé n'a jamais été payée. Depuis, malgré des financements fournis par l'Etat et par l'UE, la situation n'a pas évo-lué. Les sommes dévolues au désenchouage du “Rostock” se sont volatilisées. Leresponsable de cette malversation a bien étécondamné à 12 ans de prison, mais il a été blanchi par la cour d'Appel de Constantsa

Pendant ce temps, depuis treize ans, la navigation est entravée, des dizaines de bateaux s'étant échoués, causant des dommagesconsidérables aux armateurs, aux structures portuaires. Des millions d'euros ont été perdus ou dépensés en vain. La BEI (BanqueEuropéenne d'Investissement) et l'Etat roumain avaient décidé de consacrer à égalité 76 M€ (500 MF) pour réhabiliter le canal,renforcer ses berges, maintenir son tirant d'eau, dont 4 M€ pour se débarrasser du “Rostock”. Mais l'épave était toujours là et lestravaux ne pouvaient pas démarrer, jusqu'à l'automne dernier où, enfin, son désenchouage a commencé.

Le paradis transformé en cimetière

Dès l’arrivée du ferry-boat à Crisan, une navette emmène les habitants de Mila 23 vers leur village.

Les "Vieux croyants russes" ont fui en deux vagues leur terre natale et les persécutionsdues à leur foi pour devenir Lipovènes en Roumanie. En barque, dans les bras du Delta,

ou dans les villages de Mila 23, Periprava, Jurilovca, on croise encore ces hommes à la longue barbe. Mais ces pêcheurs, fiers et libres, sont devenus subitement des

"braconniers" aux yeux des autorités. Les jeunes partent, les anciens meurent à petit feu.

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du Delta

Les agences peuvent fournir les services de ces accompa-gnateurs, mais ce sera plus cher. Il est tout aussi indiqué des'adresser à sa pension ou aux pêcheurs locaux.

Vingt euros la journée complète pour deux, guide, barque et matériel compris

Dans ce cas, une journéecomplète en barque à moteur,qui permet de s'enfoncer dansles petits bras du Danube, lesplus poissonneux, reviendra à800 000 lei (20 €, 130 F),guide et matériel de pêchecompris, pour deux personnes.A midi, le guide préparera unesoupe avec vos poissons, lesfaisant bouillir dans une grandegamelle d'eau du Delta qui luidonnera un goût d'autant plusincomparable que vous ladégusterez parmi les roseaux.

Des programmes de plu-

sieurs jours sont également combinables, avec abri dans descabanes de pêcheurs, quelqu'un s'occupant des repas et de l'in-tendance. Popina, au sud du bras de Chilia Veche (bras nord duDanube, frontalier avec l'Ukraine) est l'une de ces adressesfavorites des connaisseurs. Cette réserve qui abritait autrefoisdes bassins de reproduction foisonne de brochets. Lespêcheurs peuvent dormir dans les bungalows du camping, sur

la rive, louer des barques maisdoivent apporter leur matériel.

L'accès se fait depuis leport de Sulina, sur la merNoire, en une heure en bateauordinaire, en une demi-heureen vedette rapide. Il faut comp-ter un million de lei l'aller(25 €, 160 F) pour une ou plu-sieurs personnes, et 1,5 mil-lion, l'aller-retour dans lajournée. Un prix finalementconvenable pour la promessed'une pêche miraculeuse donton ne trouve guère d'équiva-lent... sinon dans l'Evangile.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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pêches miraculeuses

Les Roumains sont dubitatifsdevant ces étrangers qui vien-nent de si loin, prennent du

poisson pour le rejeter sitôt la photo faite.Pour eux, la pêche, c'est une autre histoi-re: faire des provisions pour l'hiver etremplir un maximum de glacières ou desacs Tati qu'ils rameneront discrètement,afin d'échapper aux contrôles.

Il ne faut pas chercher là les raisonsprincipales de la baisse importante desressources piscicoles du Delta, depuis laRévolution. Ni, non plus, dans le bracon-nage "familial", forme de débrouillardisepratiquée pour survivre, qui se caractéri-se plutôt par l'absence de permis, l'utilisa-tion d'engins en surnombre, le non res-pect des périodes d'interdiction.

Le braconnage industriel est autre-ment plus ravageur. Il est l'œuvre debandes, opérant avec des filets auxmailles invisibles, ou en pleine nuit, àl'arc électrique, provoquant des mas-sacres, jusqu'à une tonne de poissons parvirée nocturne, et traumatisant les survi-vants qui ne se reproduisent plus. Ce bra-connage a menacé l'existence même del'esturgeon, les Turcs s'étant mis aussi de

la partie, à l'entrée du Delta… au pointque la chair blanche, à la fois fine etferme, comparable à celle de l'espadon,de ce seigneur du Danube, a pratiquementdisparu des assiettes.

Les années suivant la "Révolution"ont été propices à tous les débordements.Aucune réglementation n'était plus res-pectée, personne ne payait de droits àl'Etat. Selon les habitants, la disparitiondu Commandant Cousteau, qui avaittourné des documentaires sur le Delta etse montrait très attentif à sa préservationa fait disparaître les derniers garde-fous.Les autorités ont bien tenté de réagir, dès1995, pour discipliner les activités depêche… en vain, à l'époque.

Puis, sous la pression européenne, laRoumanie a instauré un contrôle draco-nien. Les vieilles habitudes ont dû êtreabandonnées. Les quotas doivent êtrerigoureusement respectés, faute de quoion risque de perdre son permis. Lesendroits destinés à la pêche sont sur-veillés jour et nuit tandis que les zonesprotégées sont complètement interdites.

Mais le message de l'Etat est malreçu. Les habitants ont eu le sentiment

d'être dépossédés de leur terre, par lesconcessions accordées à la nomenklaturade Bucarest ou de Tulcea, voici trois ans,qui leur permettent d'avoir la main hautesur l'exploitation des zones de pêche, duroseau, du tourisme, de l'élevage.

Des pêcheurs qui enragent

Aujourd'hui, ils regardent, rageurs,ces nouveaux riches qui se sont faitsconstruire d'imposantes villas et les toi-sent du haut de leurs centaines devedettes rapides et autres embarcationsmodernes que compte le Delta, fendantles flots à toute vitesse, sans ralentir aupassage des simples barques, effrayantles poissons, faisant fuir les oiseaux, éro-dant les berges.

Même les grenouilles et les écre-visses ne sont plus tranquilles. Cesespèces sont très nombreuses, leur pêchepourrait constituer une activité tournéevers l'exportation, à défaut d'êtreconsommées sur le plan local, au moinspour les touristes qui en sont friands,mais elle ne cadre pas avec les habitudesculinaires locales et est négligée.

Les débordements de “l’après-Révolution”: même les grenouilles et les écrevisses ne sont plus tranquilles

Crisan sortirait-il de sa torpeur ? A l'écart du reste dupays depuis toujours, le village de 485 habitants,que d'aucuns considèrent comme la capitale du

Delta du Danube puisqu'il est situé en son coeur même, aumilieu du canal de Sulina, voit se multiplier les signes dumodernisme. Le téléphone automatique est arrivé voici troisans, ce qui a permis à près d'une dizaine de personnes de s'é-quiper en ordinateur et Internet. Maintenant, comme dans lereste de la Roumanie, chacun est doté de son portable.

Et puis, les touristes arrivent. Le mouvement a commencévoici cinq-six ans, mais n'est vraiment franc que depuis ledébut des années 2000. Alors, avec les promesses que faitnaître ce flux, Crisan a vu revenir quelques uns de ses enfants.Ils étaient partis en nombre carla vie était devenue trop dure ;la pêche, seule activité possiblene rapportait plus. Mêmeaujourd'hui encore dans le vil-lage de nombreuses maisonssont à vendre, deux sur troissont vides une bonne partie del'année. Leurs occupants ne lesretrouvent qu'à l'occasion descongés et, maintenant, de la sai-son touristique devenue uneactivité complémentaire au tra-vail que l'on a trouvé à Bucarestou ailleurs pour l'hiver.

Des rameurs aux carrures de champion

La vie est monotone dans le Delta. Seuls la télévision et letéléphone permettent de s'en évader. Ici, il n'y a pas de voi-tures. Les barques les remplacent. Elles sont pratiquementtoutes dotées de moteur aujourd'hui, ce qui n'empêche pasd'avoir recours à la rame lorsqu'on s'enfonce dans les marais…et donne des générations de jeunes gens à la carrure impres-sionnante. Le plus grand champion de l'histoire mondiale ducanoë, Ivan Patsaïchin, quatre titres olympiques, dont l'unremporté avec une rame cassée, n'est-il pas originaire du villa-ge voisin de Mila 23, tout comme son cousin, champion dumonde ?

Quelques bicyclettes permettent de raccourcir le long che-min qui longe le fleuve où s'alignent, espacées sur septkilomètres, des maisons vertes, bleues, blanches, aux toits dechaume et aux terrasses recouvertes de vignes. Leurs jardins,qui donnent sur les marais, derrière, régulièrement inondés,fournissent les légumes dont chacun a besoin. Pruniers etquelques abricotiers permettent de fabriquer la tsuica, alorsque "corcoduse" et "agude", mirabelles et mûres, servent à

faire de délicieuses confitures. Quelques vaches donnent lelait, des chevaux se promènent en liberté - ils aident aux tra-vaux de la ferme - poules et oies s'ébattent dans la cour, lesmoutons sont rares et on ne voit guère de cochons.

Crisan vit en autarcie. Deux ou trois petites épiceries quiappartiennent au député permettent de s'approvisionner enproduits de première nécessité. Mais l'essentiel des courses, lesfemmes iront les faire à Tulcea, une fois par semaine. Partiesdès l'aube par le bateau, elles auront tout juste deux heurespour accomplir leurs emplettes, avant de prendre le chemin duretour.

La navette, véritable cordon ombilical

La navette est le seul liendes habitants avec le reste dupays. Avec une précision demétronome, si les conditionsde navigation sont ordinaires,elle passe une fois par jourdans chaque sens, mettantCrisan à quatre heures de lacapitale du judet, Tulcea, et àdeux du terminus, Sulina, surla mer Noire. Elle est doubléepar un service privé d'hydro-jet, à la fois plus rapide et pluscoûteux. Le lundi matin et levendredi soir, elle se remplit de

lycéens, pensionnaires dans la grande ville. Ils ont quitté le vil-lage après la classe de huitième, à quatorze ans, et rejoignentleurs familles pour le week-end. Plus tard, ils iront étudier àl'université de Galati, de Tulcea, ou feront le grand saut jusqu'àBucarest. La vie leur paraîtra plus trépidante : seule distrac-tion, le bar-disco du village a fermé, la maison de la culture leremplaçant à l'occasion, tout en permettant de s'initier àInternet, et il n'existe qu'un seul café.

Bateau-ambulance express et hélicoptère pour les cas d'urgence

Le rythme de la vie est donc réglé par la navette. C'est ellequi apporte les journaux, que l'on ne peut se procurer que parabonnement. C'est elle qui fournit le boulanger en farine oulivre directement le pain quand sa fabrication locale n'est pasappréciée, comme c'est, paraît-il, le cas à Sfântu Gheorghe.C'est elle qui conditionne les liaisons, possibles uniquement enbateau, vers les villages voisins de Mila 23 et Caraorman. Lapostière ouvre ses bureaux en fonction de son passage. C'estl'heure du courrier et celle où elle aura le plus de clients.

Crisan, capitale sur A Crisan, au cœur du Delta, les bateaux remplacent les voitures. Le soleil

accompagne d'est en ouest le canal rectiligne qui borde les sept kilomètres du village.Bien que les revenus de la pêche aient sérieusement fondu, les habitants reprennent

espoir, les jeunes commencent à revenir. De nombreuses maisons sont encore à vendre,mais autant se sont transformées en pensions de famille.

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A la découverte du Delta

Son arrivée constitue chaque jour un évènement renouveléet une animation. La silhouette débonnaire et ventripotente ducapitaine est familière. Des décennies de navigation sur "leboulevard du soleil", comme on appelle le canal de Sulina,avec son bateau qui file invariablement d'est en ouest, et vice-versa, lui ont fait affronter toutes sortes de conditions :tempêtes, crues, basses eaux, épaves qui obstruent le passage.

Seule, l'une d'entre-elle le fait rester à terre, lorsque lefleuve gèle. Encore faut-il que l'épaisseur de cette "banquise"empêche le brise-glace de faire son œuvre. Cela est arrivévoici trois ans et l'on a été obligé d'appeler lesRusses à la rescousse pour ouvrir un chenal.Crisan a été isolé pendant une semaine, ce quin'a pas perturbé la vie locale remarquablementorganisée en fonction des aléas du fleuve.

L'été, si la sécheresse sévit et que les eauxdu canal baissent, le flot de la mer Noire peutremonter jusqu'à cent kilomètres en amont, ren-dant inconsommable l'eau douce. Il faut alorsfaire venir des bateaux-pompes, comme cela aété le cas pour la ville de Sulina, en 2003.

Par précaution, les femmes sur le pointd'accoucher partent à l'avance à Tulcea. Le dis-pensaire, qui compte trois infirmières, n'ouvreguère ses portes qu'une fois par semaine et on y voit très rare-ment le médecin qui y est attaché. En cas d'urgence, on appel-le le bateau-ambulance express, qui vient de Tulcea en moinsd'une heure et, s'il le faut, un hélicoptère militaire se déplacedepuis Constantsa.

Pêche et ferme ne suffisent plus à nourrir les familles

Ici, de tous temps, les hommes ont appris à se débrouillerpar eux-mêmes. Les fonctionnaires sont peu nombreux, unequarantaine. Le plus gros employeur est l'école qui, avec sadirectrice, la femme du prêtre, venue de Bucarest, professeurd'anglais, de françaiset de religion, comp-te une dizaine d'en-seignants, mais n'apas de section dematernelle.

Depuis la fer-meture du centretéléphonique et l'ar-rivée du téléphoneautomatique,la postese réduit à la postiè-re et à deux facteurs.La mairie emploiesix personnes, dont le maire ; le centre culturel se borne à sondirecteur. Le transformateur électrique mobilise troisemployés, comme le traitement de l'eau et aussi la boulange-rie. Deux inspecteurs écologiques, qui opèrent en tenuecamouflée, contrôlent la chasse et observent les oiseaux; s'y

ajoutent quatre garde-pêche.En dehors de ces emplois, il n'y a guère de possibilités,

sinon travailler à la coopérative de pêche et dans les deuxmagasins qui appartiennent au député ou sur le bateau quiamène le poisson à Tulcea, propriété du maire. Quelques chan-tiers de construction d'hôtels ou de maisons offrent aussi detrop rares opportunités.

Les habitants se replient donc vers leurs activités tradi-tionnelles, la pêche en premier lieu ; mais les prises sont en netrecul et le système de concessions attribuant récemment des

lots à degros pro-priétaires ,devenus devér i t ab lesb o y a r d slocaux, arendu lesp ê c h e u r sdépendants,les premiersp r o f i t a n tnotammentde l'absence

de concurrence pour diviser le prix du poisson par deux. Le jardin, l'élevage - chaque maison a une vache - per-

mettent de nourrir la famille. Les vieux s'occupent en faisantparfois des travaux de vannerie ou en fabriquant des barques.On s'entraide entre voisins, parents et amis, pour construireson habitation.

Toutes ces activités ont donné ce sentiment de liberté et defierté qui caractérise le Delta, mais elles ne permettent plus desubsister à elles seules. La vie devient particulièrement diffici-le pour les familles pauvres pendant la fermeture de la pêche,ce qui explique la persistance du braconnage.

"Ici, quand on travaille, on n'est pas pauvre!"

La démographie s'en ressent. En 2003,pour les 1400 habitants des trois communesrattachées à Crisan - environ 450 chacune - ona enregistré quatorze naissances, mais dix-neufdécès. Le prêtre qui se partage entre Crisan etCaraorman n'a célébré que trois mariages,deux autres l'étant à Mila 23, qui a son propreprêtre lipovène, de rite ancien orthodoxe.

Pourtant, depuis trois-quatre ans l'espoirest revenu. Il a pour nom, l'agro-tourisme. Surles 300 maisons que compte le village, environ75 se sont transformées en pensions. PourCatalin, 28 ans, parti s'exiler à Bucarest voici

près de dix ans et revenu au pays en 2002, malheureux del'image souvent faite de son Delta accolée à celle d'habitantsqui se laissent aller, notamment à boire, et ne font pas trop d'ef-forts, la réalité peut être toute autre: "Ici, quand on travaille,on n'est pas pauvre!".

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A la découverte du DeltaLes NOUVeLLes de ROUMANIe

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Les Roumains l'appellent la pêche sportive… ce quine manque pas de flatter les touristes qui la prati-quent, plutôt habitués à être présentés chez eux

sous les traits… de sportifs en fauteuil ou de pêcheurs dudimanche. Quoiqu'il en soit, la pêche de loisir est un des prin-cipaux attraits du Delta, avec l'observation des oiseaux et ladécouverte du milieu. A elle seule, elle a attiré environ troismille étrangers l'an dernier, et leur nombre augmente réguliè-rement. Des Italiens, des Français, des Belges, des Suisses, desAllemands et quelques Américains. Les photographies desfilets remplis qu'ils montrent avec fierté à leur retour y sontpour beaucoup. A la fin de la journée, certains pèseront 20,voire 30 kg. Carpes, brochets, sandres, silures peuvent s'ycôtoyer. On a même vu un vacancier, pêchant avec deuxgaules, sortir 100 kg de carpes !

Cinq kilos autorisés par jour

Heureusement pour les réserves piscicoles du Delta cen'est pas tous les jours fête, la meilleure époque de l'année sesituant au début de l'automne ouen novembre pour le brochet etle sandre, quand le poisson nes'est pas tapi au fond de l'eau àcause du froid. Les jours d'étépeuvent réserver de bonnes sur-prises bien que juillet et aoûtsoient trop chauds pour le pois-son. Il faut faire une croix sur lereste de l'année. L'hiver, lesprises se font rares, les condi-tions sont difficiles, et la pêcheest fermée une grande partie duprintemps, de début-mai à lami-juin, avec parfois des dérogations comme pour le brochet.

Tulcea, base de départ

Le pêcheur doit savoir que son permis ne l'autorise qu'à cinqkilos par jour, et des contrôles ont lieu, sur place comme audébarcadère à Tulcea, passage obligé vers le Delta. Ce n'estpas un problème pour les étrangers, qui remettent le plus sou-vent leur poisson à l'eau, ne conservant que la belle pièce qu'ilsconfieront à la cuisinière de leur pension. Elle leur mijotera unragoût de sandre ou préparera des filets de carpe poêlés ou aufour, le plus souvent accompagnés de petits oignons, d'unesauce aux tomates et au basilic. Ces plats prennent toute leursaveur quand on les sert avec un Aligoté de Niculitsel bienfrais, bon petit vin blanc sec du terroir de la Dobroudja… qui

ne cède en rien à un muscadet, l'acidité en moins. A son arrivée, la première chose que le pêcheur devra

faire, avant de se rendre dans le Delta même, sera de prendreson permis de pêche à l'ARBDD de Tulcea, plus communé-ment appelée la Biosphère, et dont l'immeuble, très reconnais-sable, se trouve sur le quai du Danube, près des embarcadères.Il lui en coûtera 500 000 lei (12 €, 80 F) pour l'année ou100 000 lei (2,5 €, 16 F) pour 24 h et il pourra pêcher sur toutel'étendue de la Réserve du Delta. Cette précaution lui éviterad'avoir à courir après les garde-pêches, qui peuvent égalementle délivrer… et surtout de prendre les cartes à la journée pro-posées par certaines pensions au tarif prohibitif de 200 000 lei.

S'il vient sans son matériel, il pourra toujours en acheter àTulcea à un prix modique. Il existe trois magasins spécialisés,strada Isacei, tout près du port, dont l'un s'appelle AGVPS.Egalement sièges de clubs de pêche, ils organisent des sortiesen groupes. Une autre solution est de le louer dans les pen-sions, ce qui ne pose pas de problème. Ce sont d'ailleurs ellesqui fourniront les appâts, vers de terre pour les silures, maïscuit et boulettes de mamaliga pour les carpes, le pêcheur

n'ayant aucun mal à s'approvi-sionner en petits gardons ouautres vifs pour aller taquiner lebrochet et le sandre.

Ne pas s'aventurer seul

Le Delta étant un véritablelabyrinthe, celui qui ne leconnaît pas ne devra en aucunefaçon s'y aventurer seul.Chaque année, les pêcheursprofessionnels partis relevésleurs filets trouvent au petit

matin des barques qui ont tourné en rond toute la nuit, leursoccupants étant perdus.

La présence d'un "guide-rameur" et connaisseur des lieux,dont la topographie change sans arrêt avec la présence d'îlesflottantes qui se déplacent, est indispensable. Car même pourles habitants le Delta n'est pas sans dangers. Déséquilibrés lanuit par les roseaux, des pêcheurs sont tombés à l'eau et se sontnoyés, n'arrivant pas à se dépêtrer de leurs filets.

Pour éviter les conséquences fâcheuses d'un bain forcé, letouriste prendra soin de mettre ses papiers et son argent dansun sac étanche ou, mieux, de les laisser à la pension. En outre,un guide fera davantage apprécier la nature, connaîtra les bonscoins, permettra de faire la distinction entre les couleuvres quel'on voit nager près de Crisan et les vipères que l'on trouveplutôt à Caraorman et Sfântu Gheorghe, enfouies dans le sable.

La promesse de le boulevard du soleilLe pêcheur "sportif" doit bien choisir sa saison. L'automne est idéal.

Brochets et sandres y foisonnent et la taille des carpes impressionne toujours. A midi, parmi les roseaux, le guide préparera une soupe de poisson

bouillie dans l’eau du Danube, et au goût incomparable.Le soir, à la pension, c'est le four de la cuisinière qui fera honneur à la pêche du jour…

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A la découverte du Delta

Le Delta offre une multitude de possibilités de ledécouvrir, en randonnée canoë-kayak, en grouped'amis sur un hôtel flottant, en séjours pêche ou

observation des oiseaux… et autant de circuits à la carte. Maissi on veut le connaître de façon classique et en avoir une idéesérieuse, il faut tabler sur unséjour d'une dizaine de jourspour prendre la mesure del'immensité, de la diversité etde la complexité des lieux.Voici un exemple d'itinérairequi en permet une bonneapproche et évite de revenirsur ses pas, en empruntant àl'aller le bras de Sulina et, auretour, celui de SfântuGheorghe :

1er jour: arrivée à Tulceadans l'après-midi. Installationà l'hôtel Delta (voir les infor-mations pratiques), flâneriesur le quai.

2ème jour : préparatif du séjour dans la matinée, bateaupour Crisan à 13 h 30, arrivée à 16 h. Découverte du village.

3ème jour: promenade en barque jusqu'à Caraorman (forêttropicale et village). Nuit à Crisan.

4ème jour: promenade en barque dans les roselières.Bateau pour Mila 23 à 16 h. Découverte du village lipovène deMila 23 et nuit sur place.

5ème jour: promenade en barque autour de Mila 23.Retour à Crisan afin de prendre le bateau pour Sulina à 16 h.Installation à Sulina et découverte de la ville.

6ème jour: promenade à Sulina, son cimetière marin, laplage sur la mer Noire, réservation d'une barque pour le len-demain.

7ème jour: journée en barque de Sulina à SfântuGheorghe, découverte des lacs Rosu, Puiu, Lumina et de leurscolonies d'oiseaux. Installation à Sfântu Gheorghe.

8ème jour: journée au village de Sfântu Gheorghe ; décou-verte en barque des réserves d'oiseaux de la lagune de

Sacaline. A 18 h, assister àl'arrivée du bateau de Tulcea.

9ème jour: Retour àTulcea par le bateau de 6 h dumatin. Flânerie l'après-midiet nuit à Tulcea.

10ème jour: balade envoiture vers Mahmudia,Murighiol, Dunavatu de Jos,le long du bras SfântuGheorghe, puis tour du lacRazim jusqu'à Jurilovca,commune lipovène. Ensuite,retour et nuit à Tulcea ouprendre la direction deMamaia et Constantsa, dis-

tantes d'une centaine de kilomètres. Cet itinéraire peut être prolongé d'une journée, en fonction

des jours de départ et d'arrivée des bateaux sur le bras deSfântu Gheorghe. Dans ce cas, la journée supplémentaire peut-être utilisée pour une excursion en barque à la forêt tropicalede Letea, depuis Sulina.

Les personnes qui souhaitent avoir une vue plus complètedu Delta pourront emprunter le bras frontalier avec l'Ukrainede Chilia, jusqu'à Periprava, avec une halte à Chilia Veche.Compter quatre jours, aller-retour.

Dans ce séjour peuvent s'insérer des journées supplémen-taires consacrées à la pêche où à l'observation des oiseaux,depuis Crisan, Mila 23 ou Caraorman, Sulina, SfântuGheorghe, Chilia Veche et Periprava.

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Une dizaine de jours pour prendre la mesure de l'immensité et de la diversité des lieux

Première question qui vient àl'esprit: "Et les moustiques?".Le Delta passe pour en être

envahi et il faut bien constater qu'il nes'agit pas d'une légende. Leur nombre etleur voracité dépendra de la chaleur,et duniveau des eaux; si celles-ci sont basses,comme en 2003, ils se font plus rares.

En général, les moustiques apparais-sent vers la mi-juin et peuvent durer jus-qu'à la fin septembre, s'il fait vraimentchaud. Ils sont précédés en juin par despetites mouches noires qui, si elles nepiquent pas, arrachent des morceaux depeau, ce qui est désagréable.

Malheureusement, malgré leur petit

taille, les moustiques piquent dur. Ilsn'envahissent pas les lieux comme enLaponie ou dans les forêts québécoises, yrendant la vie intenable, mais quatre oucinq suffisent pour vous gâcher la nuit.

Une attaque prévisible

Toutefois, leur attaque est prévisible.Sans être continuelle, elle se déroule aulever et au coucher du soleil et dure envi-ron trois heures : de 4 à 5 h le matin jus-qu'à 8 h, de 20 h à 23 h le soir.

On dit que lorsque l'on se déplace, ilslaissent tranquilles… mais 6-7 heures dejogging ou de marche par jour, c'est peut-

être beaucoup demander aux vacanciers.Le mieux est alors de se calfeutrer danssa tente de camping ou, surtout, dans lespensions dont les fenêtres sont pratique-ment toutes grillagées.

Bien sûr, il ne faudra pas oublierd'emporter avec soi tous les artificesnécessaires pour s'en protéger : citron-nelles, insecticides, pommades et mousti-quaire. Les autorités ont procédé à descampagnes de démoustication par héli-coptère sur certains secteurs, mais c'estune arme à double tranchant car ces com-pagnons dont on se passerait bien consti-tuent la pitance des poissons, batracienset de certains oiseaux.

Les moustiques, compagnons dont on se passerait bien

Chaque matin, le soleil se lève sur la Roumanie àSulina, point le plus oriental du pays. Mais il n'estpas assez fort pour que ce port de la mer Noire, à

l'embouchure du Delta, langue de terre totalement isolée,léchée par les eaux douces, saumâtres ou salées, où on arriveet d'où on ne part qu'en bateau, sorte de la torpeur dans laquel-le il s'est peu à peu enfoncé depuis la Seconde Guerre mon-diale, aggravée par le com-munisme qui a mis fin à savocation internationale, latransition lui donnant lecoup de grâce.

Sulina la cosmopoliten'est guère plus qu'uneville fantôme rêvant de sonfaste passé d'il y a unsiècle et au prince char-mant qui viendra un jour laréveiller. "La belle endor-mie" ressemble étrange-ment à un autre port de laMéditerranée voisine,accidenté lui aussi parl'histoire, Famagouste,plongé dans la léthargiedepuis plus de trois décen-nies par les déchirements des communautés grecques etturques de l'île de Chypre.

Soudain, avec l'été, la ville revit

Pourtant, l'espace d'un été, Sulina fait oublier sa dure réa-lité de ville sinistrée où 40 % de ses 4000 habitants sont auchômage. Par enchantement, elle redevient alors cette petitestation vivante et gaie, envahie par les touristes. Elle prend unair de vacances. Il fait si bon flâner sur la grande promenadeombragée qui longe le canal, avant que celui-ci ne gagne laMer Noire, à moins de deux kilomètres. On s'y balade enfamille, au retour de la baignade, croisant des personnages pit-toresques comme en recèlent les ports, étranges aussi, parfoissortis du passé.

L'endroit s'anime encore plus dans la soirée, quand les élé-gants lampadaires s'allument. Les terrasses de la trentaine debistrots que compte la bourgade se remplissent. Les enfantspassent en revue les marchands de glace. Quelques barques ouvedettes viennent s'amarrer. Ce sont pratiquement les seulsengins motorisés que l'on rencontre. Sulina ne compte qu'unesoixantaine de voitures, toutes antiques, rongées par la salinité.

A quoi bon posséder un véhicule quand, au mieux, on nepeut faire que quatre ou cinq kilomètres en dehors dupérimètre de la commune ?

Pour la même raison, il n'existe pas de transports en com-mun, tous les services mais aussi les habitations étant concen-trés sur quelques centaines de mètres et autour des cinq ave-nues parallèles, numérotées comme à Manhattan, de un à cinq.

La nostalgie des année trente tient lieu de raison de vivre

Il est difficile de seloger à Sulina l'été, nonpas tellement à cause del'affluence, mais de l'insuf-fisance de l'hébergement.La station, connue pourson micro-climat, nesemble pas trop croire autourisme. Elle ne compteplus que sept ou huit pen-sions, trois hôtels, dont unseul moderne, et un cam-ping. Les infra-structuresn'existent pas ou sontvieillottes.

Cela ne manque pasde charme parfois, commeà l'hôtel Jean-Bart, don-

nant directement sur le canal et sa promenade. On y est replongé dans l'ambiance typique des ports, telle

que les films noir et blanc de l'Entre-Deux Guerres la montrait.Une nostalgie qui fait accepter son confort des années trente,d'ailleurs correct. A deux pas de là, ce qui était le plus vieilhôtel de la ville est devenu une bâtisse à l'abandon, vitresbrisées, prête à s'écrouler. Un Roumain de Satu-Mare, exiléaux USA, l'a racheté voici deux ans pour le réhabiliter. Sulinases complait dans les souvenirs qui, faute de mieux, lui tien-nent lieu de raison de vivre.

Finalement, l'afflux de vacanciers, essentiellementRoumains - en dehors de Florin Papadatu (demander ses coor-données à l'Hôtel Jean Bart), aucun guide local ne parlefrançais - ne fait pas vivre grand monde. Six ou sept proprié-taires de voitures se transforment en chauffeurs de taxi pen-dant les deux mois de la saison. Pour 20 000 lei (0,5 €, 3,3 F),ils conduisent les familles sur l'immense plage, pas très bienentretenue, distante de deux-trois kilomètres ou, pour 200 000lei, restent à leur disposition, jusqu'à ce qu'elles aient bien pro-fité de leur après-midi au soleil.

Deux ou trois terrasses permettent de s'y rafraîchir, mais ilfaut apporter son parasol car il n'y a aucun coin d'ombre, et sonmatelas de sol, le sable étant dur, et on ne peut louer ni l'un nil'autre. Des désagréments vite oubliés, enfants et adultes sebaignant en toute sécurité dans une eau délicieuse.

Sulina, fascinant

Sulina doit sa fortune passée au canal portant son nom, reliant la Mer Noire à Tulcea, et dont le creusement avait été effectué à la fin du XIXème siècle.

Au bout du continent, la ville, autrefois cosmopolite, vit dans la nostalgie de sa splendeur.Elle s'est peu à peu enfoncée dans la torpeur. La transition l'a fait sombrer

dans la désespérance et la vide de ses habitants. Pourtant, la "belle endormie" exerce un étrange pouvoir d'attirance et retient le visiteur.

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Les amoureux de Sulina se souviennent que voici unevingtaine d'années, aux beaux jours, quatre navettes de bateaurapide et le ferry-boat débarquaient quotidiennement 1500passagers, venus de Tulcea. Aujourd'hui, les premières n'ef-fectuent qu'une liaison, et uniquement pendant la saison, lesecond ne vient qu'un jour sur deux. Les enfants construisaientdes châteaux sur une belle plage au sable fin. On trouvait faci-lement à se loger chez l'habitant et le plus grand hôtel comp-tait 150 chambres.

Ici, on gagnait quatre fois plus qu’en Europe

La ville semble ne plus croireen elle. L'usine de conserverie quiemployait près de 300 personnesa fermé. Le dernier chantier navalvivote et il n'existe aucune autreentreprise d'importance. Lesjeunes s'en vont. Le trafic du porta baissé, concurrencé par la miseen service voici une quinzained'années, au sud de Constantsa,du canal du Danube à la merNoire, lequel raccourcit de prèsde 400 km cette liaison. On nevoit plus guère qu'un ou deuxbateaux par jour y faire halte et une dizaine remonter ou des-cendre la canal. Autrefois, ici, les salaires étaient quatre foissupérieurs à ce que l'on gagnait dans les autres ports d'europe.

Les longs jours d'hiver, quand elle est désertée et que sonport est bloqué une quinzaine de jours par les glaces - 40 joursen 1992 et 63 jours, le record, en 1928-1929 - Sulina se réfu-gie dans sa mémoire. Elle se souvient de ses heures sombres,comme cette terrible tempête des 6 et 7 septembre 1855, quiavait jeté 24 bateaux à la côte, en faisant couler 60 autres, 300marins étant portés disparus. Mais la ville avait du ressort et latragédie l'avait poussée à mettre sur pied un service de sauve-tage avec des barques à rames, le premier sur la Mer Noire. Ilsauvera 144 émigrants turcs en 1860 et les 17 matelots dunavire français le Trevelinor, en 1894.

Pirates et bandits ont laissé place à un opéra et un théâtre qui faisaient salle comble

Sulina, dont l'origine remonte à 950, se remémore aussiles heures de gloire, quand son opéra et son théâtre faisaientsalle comble, au début du XXème siècle. L'endroit n'avait pastoujours été aussi civilisé, fréquenté par des pirates et des ban-dits qui avaient capturé et tué le fils de l'amiral anglais Parkerpendant la guerre de Crimée, en 1854. C'est de cette époqueque date d'ailleurs son essor, due à la création de laCommission Européenne du Danube, dont elle deviendra lesiège international et au creusement du canal portant son nom.

Sulina se modernise, est dotée d'un hôpital. La France etl'Angleterre y ouvrent chacune un consulat - la ville en comp-

tera neuf, dont celui de Belgique - ainsi qu'à Galati, Tulcea.Devenu port franc, elle s'internationalise. Ici 24 nationalités secôtoient et les Roumains sont la minorité, car ils ne sont que800 en 1900,quand la ville compte 5000 habitants, alors queles Grecs sont 2000, formant la partie de la population la plusriche, les Russes, 600, les Arméniens 400, les Turcs 270, lesAustro-Hongrois, 211, les Juifs 173, les Kosovars etMonténégrins, 140. On y recense aussi une poignée ou

quelques dizaines d'Anglais, deFrançais, d'Italiens, de Belges,de Bulgares, d'Allemands, deDanois, d'Indiens, de Polonais,de Lipovènes, de Gagaouzes…

La langue officielle, celleemployée dans les documents,est le français, mais, dans la rue,c'est le grec qui est le plus prati-qué. Les habitants deviennentpolyglottes. Des journaux locauxen langue étrangère sont édités.Des église grecques voisinentavec des églises romaines catho-liques, lipo-vènes, la mosquée etune cathédrale orthodoxe. Aucimetière, Juifs, Turcs, Anglais,Allemands, Grecs, Bulgares,Roumains, Lipovènes, ont leur

carré à eux.

Brûler la vie par les deux bouts

Officiellement, la ville culminera à 7000 habitants en1910. Mais elle grossira souvent jusqu'à 20 000 personnes,voire plus quand la récolte de céréales se révèlera bonne, atti-rant paysans pauvres et marins à la recherche de travail et debons salaires. Toutefois, les années de sécheresse quand le blébrûle sous le soleil et que les bateaux restent à quai, faute decargaison, chacun repartira vers sa campagne ou d'autres hori-zons et Sulina retombera dans sa torpeur.

Au fil des ans, la population se côtoie, sans se mélanger;d'un côté les paysans analphabètes, les miséreux touchés parles maladies, les matelots fréquentant les tavernes et sombrantdans l'alcool; de l'autre, des riches négociants ou com-merçants, des armateurs, les cadres cultivés de la CommissionEuropéenne du Danube, des officiers de marine, qui se retrou-vent le soir au spectacle.

Sulina brûle la vie par les deux bouts. Il faut vivre l'ins-tant. Les naissances sont rares et on n'y vieillit pas beaucoup.Les décès précoces sont nombreux: santé, accidents et noyadescar, à l'époque, beaucoup de marins ne savent pas nager. Est-ce déjà un signe du destin ?...

C'est l'hiver quand, balayée par le vent glacial et coupéedu reste du monde, Sulina semble abandonnée même de Dieu,qu'elle apparaît telle qu'elle est, pathétique. Grandeur et déca-dence d'une ville fascinante hantée par ses fantômes et au pou-voir étrange…

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Une vingtaine d’hôtels flottants de 2 à 4 étoiles

- Excursions : à la journée ou pour plusieurs jours, elle sefont essentiellement depuis Tulcea. Les départs ont lieu à par-tir de 8 h. Compter entre 10 à 30 € pour la journée. Possibilitéde louer des bateaux avec pilote de 6 à 30, voire 80 personnes,pour 10 € par personne, avec lunch servi à bord (5 à 10 €).

- Hôtels flottants : appelés "hotel plutitor", ils permettentune approche des lieux les plus sauvages du Delta, où ils peu-vent s'amarrer pour la nuit. Ce sont des barges aménagées,tirées par un remorqueur, comprenant au premier niveau descabines à deux lits avec douche et toilettes, climatisation etchauffage ; au niveau supérieur, une salle de restaurant avecbar, prolongée par une terrasse extérieure. Leur capacité est de4-5 à 10-12 cabines. ils remorquent des barques pour lesbalades, parties de pêche. Compter entre 50 et 100 € tout com-pris, la journée par personne. Il existe une vingtaine d'hôtelsflottants de 2 à 4 étoiles dans le Delta. Une formule idéale pourfaire une découverte entre amis mais, revers de la médaille,elle coupe des réalités humaines locales. Renseignements etréservations auprès d'ANTREC ou des agences.

-Hébergement, cuisine, accueil : le Delta compte 2500lits ou places, dont 742 à Tulcea (402 dans les hôtels, 340 aucamping Bididia) et 1724 à l'intérieur de la Réserve (222 dansles hôtels, 322 dans les hôtels flottants, 250 dans les pensionsagro-touristiques, 200 chez l'habitant, 420 dans les bungalowsdes campings, 300 dans les campings de Sulina). Le confortdes hôtels varie de une à quatre étoiles, celui des pensions deune à trois marguerites. Attention, hôtels et pensions se rem-plissent vite les week-ends et aux beaux jours.

- Hôtels : à recommander l'hôtel Delta à Tulcea, pour sonemplacement donnant directement sur le Danube.Relativement cher (45 €, 300 F la chambre), d'un confort cor-rect mais vieillot, il offre une vue dominante inoubliable sur lefleuve et l'activité du port de Tulcea. De la terrasse de sachambre (bien demander à la réception une chambre avec vuesur le Danube), ou bien de celle du restaurant, on ne se lassepas de regarder les bateaux de croisières, les ferry-boats, alleret venir, débarquant leurs passagers, et, le soir, d'assister aucoucher du soleil, quand les promeneurs flânent en famille lelong du quai. Le voyageur regrettera moins cette modesteentorse à ses prévisions budgétaires quand à travers lesimmenses baies vitrées de la piscine, il se découvrira nageantaux côtés du Danube, le surplombant de quelques mètres.

Cuisine: tout tourne autour du poisson

- Pensions : elles font le charme du Delta, s'efforcent d’être coquettes, se conforment de plus en plus aux critères duconfort, et permettent surtout de vivre au sein des familles depêcheurs. Leur classement de 1 à 3 marguerites, pour celleshomologuées, ne garantit pas la qualité de l'accueil. Demodestes chaumières peuvent réserver de très belles surpriseset révéler les talents de cuisinière exceptionnels de la maîtres-se de maison alors que son mari vous emmènera en barquedans les recoins les plus sauvages. Se procurer la liste des pen-sions auprès d'ANTREC, qui peut également faire les réserva-tions et faire qu'on vienne vous chercher au débarcadère.

- Cuisine : dans le Delta, il faut mieux parler de cuisineque de restaurants, lesquels n'existent pratiquement que dansles rares hôtels. C'est à la cuisine de votre pension que vousaurez en effet à faire et, souvent, elle est délicieuse. Bien sûrtout tourne autour du poisson qui sera servi, midi et soir, sousforme de soupe ou de borsch (soupe aigrelette), de rôti, de fri-cassée ou de grillades de carpe, de sandre ou de brochet,accompagnées de légumes du jardin. La multitude de recettesfait oublier la caractère répétitif du plat et donne des idées depréparation pour plus tard… quand on aura dépasser sa satura-tion. Parfois un plat de volaille, ou même de sanglier, vientapporter une note de fantaisie.

- Accueil : les habitants du Delta savent se montrer atten-tifs aux souhaits de leurs visiteurs et vos hôtes se mettront enquatre pour vous donner satisfaction. Ouverts, ils n'en gardentpas moins cette distance sans-doute propre aux communautésque les conditions géographiques et historiques ont contraint àvivre repliées sur elles-mêmes et à se débrouiller seules.

Le sens de l'accueil, bien que réel, y paraît donc moindreque celui proverbial du reste de la Roumanie. Cela se retrouvedans les prix pratiqués, bien au-dessus de la moyenne du pays,même par les simples pêcheurs, ce qui induit une relation où levisiteur se sentira plus client qu'invité.

L’idéal : fin du printemps et début de l’automne

- Saisons : la saison touristique dure de mars à octobre.Les meilleures périodes sont mai et juin, ainsi que septembreet octobre. Il y fait bon, il ne pleut pas trop, le soleil se montregénéreux, les visiteurs sont peu nombreux et on n'en apprécieque davantage le charme sauvage du Delta.

Mai et juin permettent d'assister à l'explosion de la nature,mais il faut attendre fin juin-début juillet pour voir les nénu-phars dans leur splendeur. Juin est le meilleur mois pour l'ob-servation des oiseaux ; en mai, époque de la couvaison, ils onttendance à rester dans les arbres.

Septembre et octobre sont les mois les plus propices à lapêche, notamment des carnassiers ; la nature est très belle,mais beaucoup d'oiseaux sont déjà partis.

En juillet-août, il peut faire très chaud. On a noté desmaxima à 37-38 °. Les moustiques font leur apparition, à lami-juin , et séviront jusqu'à la mi-septembre. Les touristes sontbeaucoup plus nombreux, bien que tout au long de la saisontouristique, on n'en enregistre encore pas plus de 20 000.

L'hiver est réservé à celui qui n'a pas peur d'affronter lesentiment d'une immense solitude, des horizons glacés balayéspar le vent. Les lumières sont souvent magiques, composantune ambiance étrange. Le thermomètre peut descendre à - 15°et le Danube être pris par les glaces pendant plusieurs jours.

Equipement : prévoir des vêtements adaptées aux ran-données nautiques (coupe-vents, ciré, casquette, tennis,lunettes de soleil). On peut se procurer des bottes dans les pen-sions. Indispensable : ne pas oublier d'amener des jumelles(sinon, vous serez venus pour rien !), un guide sur les oiseauxet sur les poissons, si vous êtes pêcheurs. Le matériel de pêchepeut être fourni par les pensions ; sinon, si vous venez enavion, vous pouvez l'emporter dans les bagages, avec deux outrois moulinets, et acheter des cannes à Tulcea (3 à 4 €).

Grandeur et décadence d'une ville fascinante, hantée par ses fantômes, comme cet hôtel fermé depuis des décennies qu’un Américain originaire de Satu Mare a décidé de restaurer...

port devenu fantôme

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- Bateaux Tulcea-Sfântu Gheorghe et inverse: lundi,mercredi, jeudi, vendredi dans le sens de Tulcea-SfântuGheorghe, départ à 13 h 30, et le lendemain (mardi, jeudi, ven-dredi, dimanche) en sens inverse, départ de Sfântu Gheorghe à6 h. Durée du trajet: 4 h 30 à l'aller, 5 h au retour.

Escales pré-vues à Balteni,Mahmudia ainsiqu’à Murighiolà l'aller et auretour.

- BateauxTu l c e a - P e r i -prava (bras deChilia Veche) etinverse: lundi,mardi, mercredi,vendredi dans lesens Tulcea-P e r i p r a v a ,départ à 13 h 30,et le lendemain (mardi, mercredi, jeudi, mais dimanche et nonsamedi) en sens inverse, départ de Periprava à 5 h. Durée dutrajet : 5 h 30 à l'aller, 6 h au retour. Escales à Patlangeanga,Ceatalchioi, Plaur, Pardina, Tatanir, Chilia Veche.

Il faut noter qu'un autre bateau, le Colanda, assure la liai-son Tulcea-Mila 23 et inverse, les lundi, mercredi, vendredi,samedi dans les deux sens. Départ de Tulcea à 13 h (embar-cadère de la compagnie AZL), de Mila 23 à 6 h.

Renseignements sur place et cartes

- ARBDD (Administration de la Réserve de la Biosphèredu Delta du Danube), strada Portului, 34 A (immeuble de laBiosphère, sur le quai du Danube, trèsfacilement localisable entre l'hôtel Deltaet la gare maritime), ouvert du lundi auvendredi de 9 h à 17 h (Tel: 00 40 - 24051 89 45, fax : 00 40 - 240 51 89 75, e-mail: [email protected], site Internet:www.ddbra.ro). Renseignements sur lanature dans le Delta, expositions, paie-ment de la taxe de visite, cartes depêche, vente de cartes détaillées.Antennes à Crisan et Sulina

- ANTREC (Association Nationalede Tourisme Rural, Ecologique etCulturel), situé à l'intérieur et au rez-de-chaussée de l'immeuble de l'ARBDD,ouvert tous les jours de 7 h 30 à 19 h (tel:00 40 - 240 519 214, e-mail: [email protected], sites Internet:www.deltaturism.ro ou www.antrec.ro). On parle français eton y trouve toutes les informations sur le Delta ainsi que denombreux services : horaires de bateaux, acquittement de lataxe de visite, réservation de chambres, location d'embarca-tions, organisation de séjours (pêche, observation des oiseaux,

randonnées en canoë-kayak, tourisme scientifique, visite desmonastères de Dobroudja et des caves du vignoble deMurfatlar et de Niculitsel), vente de cartes détaillées.

- Bureau d'information touristique de Tulcea, situéentre l'ARBDD et l'hôtel Delta. Intéressant, notamment pour

découvrir le patrimoine de la ville portuaire deTulcea. Renseignements et organisation desséjours également dans les nombreuses agencesde voyage locales.

Permis d'entrée, de pêche et de chasse

Permis d'entrée dans le Delta: il peut s'acqué-rir à l'ARBDD ou à l'ANTREC à Tulcea ou êtredélivré par les pensions agréées. Coût: 0,5 € parpersonne et par séjour.

Permis de pêche : à prendre de préférenceavant le départ à l'ARBDD ou à l'ANTREC àTulcea (2,5 à 4 € par jour ou 12 à 40 € pourl'année… pas la peine de s'embêter à le fairerenouveler) ou auprès des gardes-pêche. Il est éga-

lement délivré dans les pensions, mais le tarif peut être double. Permis de chasse : à la suite d'abus, la chasse est quasi-

ment proscrite pour les étrangers (voir article sur la chasse).Loisirs, randonnées, excursions : du canoë à l'hôtel flot-

tant, ils passent tous par des embarcations. Commençons parles plus simples qui sont celles aussi qui permettent la meilleu-re communion avec la nature :

- Canoë-kayak : on peut en louer dans certaines pensions.Le prix n'est pas donné, jusqu'à 20 € par jour. Ils permettentde se balader seul ou en groupe, mais attention de ne pas seperdre car le Delta est un véritable labyrinthe (il est prudentdans ce cas d'emmener un téléphone portable). Cette activitése pratique également en randonnée organisée (voir auprès de

l'ANTREC).- Barques : les

barques à rames selouent égalementdans les pensions(3 € pour 2 h).Mêmes consignesde prudence. Il estbeaucoup plussécurisant maisaussi profitable dese faire accompa-gner (9 € pour 2h) en barques àrames; en barque àmoteur compter

une dizaine d'euros par personne pour une balade de 4-5heures. Possibilité de louer à la journée ou plus pour la pêcheou l'observation des oiseaux; compter de 20 à 50 € pour l'em-barcation, suivant la grandeur et la motorisation, avec unpêcheur.

(Lire page suivante)

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Sfântu Gheorghe

Sfântu Gheorghe était considéré autrefois comme lacapitale du caviar. C'était dans les années 60-80, etla Roumanie était alors la deuxième exportatrice

mondiale de cette denrée. A l'époque, on pêchait des quantitésénormes d'esturgeons mais aussi de maquereaux - lecélèbre hareng du Danube - et d'anchois. Cesespèces se sont raréfiées ou ont même quasimentdisparu et les pêcheurs prennent le même chemin.Le port fluvio-maritime de Sfântu-Gheorghe, àl'embouchure du bras du Danube portant le mêmenom, n'en compte plus qu'une quarantaine. Lesautres, ainsi que les vieux, traînent leur désœuvre-ment dans les bistrots. Son existence est mentionnéedepuis 1318 et il a servi de base maritime auxOttomans aux XVIème et XVIIème siècle. Mais laseule évocation de l'histoire ne suffit pas à retenirles jeunes, qui s'en vont.

Pourtant le petit port et son village paraissentrenfermer une vitalité qui ne demande qu'à ressurgir.Pour s'en persuader, il faut se rendre au débarcadère et assisterà l'arrivée du ferry venant de Tulcea, tous les deux jours, vers17 h. Tout à coup, les visages s'animent; voisins, parents, amis,se saluent, entament des conversations, guettent le débarque-ment de leurs proches. Les passagers se pressent vers la pas-serelle puis tentent de se frayer un chemin entre charrettes,tracteurs etbrou-ettes quiattendent leurcargaison.

S f â n t u -Gheorghe revitalors, jusqu'aupetit matin,quand, sur lescoups de sixheures, le bateaureprend le che-min inverse,laissant derrièrelui le soleil quise lève sur la MerNoire. Encoremal réveillés, les voyageurs demeurent silencieux, l'aube nais-sante n'étant troublée que par les vols et les cris des oiseauxque le bruit régulier des machines n'arrive pas à couvrir.

Sacaline et ses colonies d'oiseaux

On arrive où on part de Sfântu Gheorghe par le plus ancienmais aussi le plus beau des bras du Danube. D'une longueur de

109 km, il absorbe 23 % des eaux du fleuve et est le plussinueux. Six méandres ont été pourtant coupés pour réduire ladistance. Les rues ensablées du village mènent à l'une des pluslongues plages de la côte. Au loin, on devine l'île de Sacaline

(ne pas con-fondre avec leSakhaline de lacélèbre chanson"Kalinka", situéentre la Sibérie etle Japon), bancde sable apparu àpartir de 1897,devenu réserve,où se concentrentd ' i m p o r t a n t e scolonies d'oi-seaux, dont cellesdes pélicans que

l'on peut approcher et observer par centaines. Il ne faut surtout pas hésiter à demander à un pêcheur de

vous y emmener. Empruntant un dédale de petits canaux pourdéboucher sur la lagune, cette promenade de trois-quatreheures est l'une des plus marquantes que l'on puisse faire. Ilvous en coûtera un million de lei (25 €, 160 F) pour une

barque contenant 3 ou 4 personnes.Cette découverte encore inorganisée fait le

charme des lieux. Sfântu Gheorghe apparaîtcomme il est, authentique. On frémit rétrospec-tivement en voyant ses trois-quatre blocshabités, que Ceausescu avait fait construirepour y regrouper la population de pêcheurs etde paysans. Heureusement, la "Révolution"avait mis un terme à cette "systématisation"avant qu'elle ne dégénère trop.

En 4x4, tracteur ou barque… rejoindre Sulina se mérite

Venir ici, se mérite. Si l'on veut éviter defaire deux fois le même trajet, il n'y a qu'unepossibilité: se rendre à Sulina, distante de 40

km, où l'on peut reprendre le bateau vers Tulcea en empruntantle canal. Une route existe bien, longeant la côte, mais si leniveau des eaux est trop élevé, elle risque de ne pas être prati-cable car, sur une cinquantaine de mètres, elle est submergéepar un déversoir se jetant dans la mer Noire qui peut se révé-ler infranchissable. Mais également, dans l'une comme l'autrecommune, on compte très peu de voitures et aucun transport encommun n'assure la liaison.

Il ne faut pas manquer l’arrivée du ferry-boat, sur les coupsde 17 heures, qui vient tous les deux jours de Tulcea.

Du petit port de Sfântu Gheorghe, des pêcheurs désoeuvrésoffrent de vous embarquer pour une promenade paradisiaque.

dans le royaume lacustre

Le port de Tulcea, vu de l’hôtel Delta.

Les hôtels flottants, appelés aussi "hotel plutitor", permettent une approche des lieux les plus sauvages du Delta.

L'ancienne capitale du caviar n'arrive plus à nourrir ses pêcheurs qui traînent leur désœuvrement dans les bistrots. Le petit port et ses environs, l'un des joyaux

du Delta, réservent des émotions intenses au visiteur et le village séduit par son authenticité. Il suffirait d'un déclic… Un milliardaire pense l'avoir trouvé

en y organisant un festival de cinéma, l'été dernier.

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A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Des clés pour entrer Ainsi Sfântu Gheorghe et Sulina paraissent étrangers l'un

à l'autre, appartenant à des univers différents, n'entretenantpresque pas de relations. Alors, le voyageur doit se débrouiller,trouver un particulier, demander aux employés deRomTélécom qui vont faire l'inspection de la ligne télépho-nique dans leur Aro, s'adresser à l'é-picerie de Sfântu Gheorghe qui four-nira un tracteur avec un plateau ouau propriétaire de l'hôtel Jean Bart, àSulina, qui proposera son 4x4 avecchauffeur. Au total, on vous deman-dera 1,5 millions de lei (37 €,240 F) pour l'équipée, laquelle pren-dra une heure et demie.

Une autre possibilité existe :louer les services d'un pêcheur quiassurera la même liaison avec sabarque, pour un prix identique, en empruntant le canal quilonge la route. Dans les deux cas, l'itinéraire est sans intérêt.Par contre, une solution permet de joindre l'utile à l'agréable :décider de faire de cette liaison difficile un temps fort de votrevoyage dans le Delta, en y consacrant la journée. Le pêcheurprendra alors le chemin des écoliers, s'enfonçant dans les rose-lières, passant de petits bras en immense étendues d'eau (lacsRosu, Puiu, Lumina), s'approchant de la forêt tropicale de

Caraorman… pour vous emmener à bon port en fin d'après-midi. Ce sera plus cher, 100 € pour la barque et la journée,mais inoubliable.

Festival du cinéma délocalisé

Sfântu Gheorghe possède tousles ingrédients pour renaître, sousune autre forme bien sûr, celle del'agro-tourisme. Quelques habitantsy croient et s'y sont déjà engagés.Mais on n'y dénombre encore quesept à huit pensions officiellementdéclarées et une vingtaine dechambres d'hôtes qui permettent devraiment partager la vie des habi-tants. C'est encore loin derrière

Crisan qui en compte environ soixante quinze. La population s'en remet-elle aux rêves de grandeur d'un

milliardaire qui achève la construction d'un impressionnantvillage avec des maisons en bois et toits de chaume -respectantainsi le cadre - comprenant des petits hôtels, salles de récep-tion, villas, bungalows ? Soutenu par les autorités, il projetted'en faire un petit Hollywood, et le festival de cinéma deBucarest y a été délocalisé l'été dernier.

L'histoire est véridique. Fin2002, à l'époque de la saisonqui dure de septembre à la mi-

mars, un hôtel flottant plein d'Italiensrevenait d'une fabuleuse partie de chasse,où ceux-ci s'étaient livrés à leur massacrehabituel d'oiseaux, pris par une ivresse detuerie que rien ne pouvait arrêter. Lescabines, le pont, les soutes regorgeaientdes trophées de ces Nemrods triom-phants. Ils vinrent à croiser le yatch quiemmenait Adrian Nastase, égalementgrand chasseur devant l'Eternel, pours'adonner à sa passion. Mais les Italiensavaient fait un tel carnage qu'il ne restaitplus rien à tirer. Déconfit, le Premierministre décidait alors, à son retour, deprendre des mesures draconiennes pourmettre un terme à ces hécatombes.

La chasse dans le Delta fût pratique-ment rendue interdite aux étrangers enavril 2003, et continue à l'être, les

Allemands, amateurs également de cetteactivité, mais beaucoup plus disciplinés,payant les débordements des Transalpins.Dorénavant, les chasseurs étrangers nepeuvent pas venir avec leur fusil, doiventposséder un permis de leur pays, êtreinvités et accompagnés par un Roumainayant un permis de chasse roumain.Autant dire que la mesure a été radicale,entraînant leur quasi-disparition.

Le sanglier… pour oublier le poisson

Désormais, la chasse dans le Deltaest réservée aux Roumains. "Non commeun sport, mais parce que le gibier estimportant pour les habitants et leur ali-mentation", assurent les officiels…"Parce que ces messieurs de la nomenk-latura veulent se réserver sa pratique",murmure-t-on dans la région. Il est vrai

qu'avec ses canards, ses gibiers d'eau, sesoiseaux, ses lapins, l'endroit est un para-dis pour les chasseurs.

Les paysans et les pêcheurs, eux, setournent davantage vers la chasse auxsangliers, mélange de cochons domes-tiques et sauvages, qui pullulent dans lesmarais, se nourrissant de roseaux, maisaussi saccagent les cultures. Des battuessont organisées régulièrement, car ils fonttrop de dégâts.

On part à leur poursuite, la nuit enbarque ou l'hiver sur la glace. Chacun sesouvient ici du terrible hiver ‘82-’83, oùil faisait si froid qu'on n'avait même plusbesoin de les chasser. Il suffisait deramasser leurs carcasses gelées. La chairappréciée de ces animaux en fait un metsassez fréquemment servi, ce qui permetaux cuisinières d'apporter un peu devariétés aux plats de poissons qu'elles ontl'habitude de préparer.

Plus de permis de massacre pour les étrangers

Accès : Tout passe par Tulcea. Pour rejoindre cetteporte d'entrée du Delta depuis laquelle on prendensuite les bateaux pour en pénétrer au cœur, il

n'existe que trois moyens :- en voiture. C'est un long chemin depuis la frontière hon-

groise (800 km). Les routes nationales sont correctes, maisencombrées et la circulation de-mande la plus grande vigilan-ce et prudence. Ne pas tabler sur une moyenne horaire supé-rieure à 65 km/h. Il faudra donc compter une bonne journée detrajet au minimumen Rouma-nie et ilest préférable defaire une étape, laconduite de nuitdevant être proscri-te. A Tulcea, prèsdes embarcadères,des parkings gardéset payants permet-tent de laisser sonvéhicule en toutesécurité pendant ladurée du périplequ'on prévoit.

- en minibus,depuis Bucarest (4-5 heures, départde calea Plevnei236, compagnie SCAugustina) ouConstantsa (2 h 30-3 h, départ toutesles demi-heures).Moyen pratique direct et peu coûteux, très utilisé aujourd'huipar les Roumains qui pallient ainsi la suppression des lignesd'autobus existant autrefois. Départs fréquents.

- en train, depuis Bucarest et Constantsa. Long, comptercinq heures, un peu plus cher que le mini-bus mais très abor-dable pour les bourses occidentales. Le train a l'avantage duconfort, surtout si on prend la première classe.

Circuler à l'intérieur du Delta

- Routes : elles n'existent pas encore, bien qu'un cheminempierré préfigure une liaison de Nufaru (une dizaine dekilomètres au sud de Tulcea) à Sulina, en longeant la rive suddu canal de Sulina. Pour l'instant, il n'est empruntable que surune vingtaine de kilomètres.

Il est possible également de relier Sulina à SfântuGheorghe par un chemin longeant la côte, mais il n'est pas

facile de trouver un véhicule (voir article sur SfântuGheorghe). A noter que depuis Tulcea, avec son propre véhi-cule, on peut longer en partie le bras de Sfântu Gheorghe. C'estune promenade très intéressante mais la route est pleine detrous.

- Autobus: Ils desservent uniquement le pourtour sud duDelta ainsi que les communes de Nufaru Partizani, Mahmudia,Aghigiol, Murhigiol, Dunavatul de Sus et de Jos.

Une douzaine de départs échelonnés entre 6 h et 18 h 30depuis la gare rou-tièrede Tulcea.

P o s s i b i l i t éégalement de louerun micro-busMercedes-Benz de16 places à l'hôtelEuropolis.

- Liaisons flu-viales : la compa-gnie Navrom assu-re des liaisons surles trois bras toutau long de l'année,mais la fréquenceest plus réduitel'hiver.

L ' h y d r o g l i -sseur, beaucoupplus rapide, maisplus cher, moinspittoresque et nepermettant pas deprofiter du paysage

ainsi que de sa profondeur, ne circule qu'à partir du 1er mai,jusqu'à la fin de la saison touristique, et uniquement sur le brasde Sulina. Le prix de l'aller simple varie de 5 € au double pourl'hydroglisseur. Le billet peut être pris à quai ou à bord. ATulcea, l'embarquement se fait à la gare fluviale (parking clô-turé et gardé, 1,2 € par jour).

Voici les horaires d'été (1er mai - 30 septembre):- Bateaux Tulcea-Sulina et inverse: tous les jours sauf le

samedi, départ à 13 h de Tulcea, à 6 h de Sulina. Durée du tra-jet : 4 h à l'aller, 4 h 30 au retour. Escales à Partizani, Maliuc,Gorgova, Crisan. A Crisan, des navettes attendent les passa-gers pour Mila 23 et Caraorman (elles les ramènent égalementpour prendre le bateau). Attention, le transbordement se fait enmoins de 5 minutes.

- Hydroglisseurs Tulcea-Sulina et inverse: tous les joursy compris le samedi, départ de Tulcea à 14 h, de Sulina à 6 h30. Durée du trajet : 1 h 30. Escale à Crisan.

rêve d'HollywoodArrivé à Tulcea, porte d'entrée incontournable du Delta, il faut totalement oublier la voiture car on pénètre dans un univers différent. Ici, c'est un royaume lacustre

et tout est organisé en fonction des bras du fleuve, de ses marais, ses étangs. Désormais, vous ne vous déplacerez plus qu'en barque.

En 2003, devant la répétition des carnages perpétrés par les Italiens, le gouvernement a réservé la chasse dans le Delta aux seuls Roumains. Une mesure de sauvegarde

indispensable pour les espèces, censée également protéger les intérêts des habitants… sans oublier ceux de la nomenklatura, grande amatrice de ce loisir.

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L'apprentissage des langues est devenu une priorité car cesjeunes devinent que là est leur avenir, s'ils veulent rester parmiles leurs. Ils voient la considération apportée aux trop raresadultes encore qui maîtrisent l'anglais et le français, se trans-forment en guides ou accompagnateurs, et s'échinent à acqué-rir des éléments d'allemand, d'italien.

Pour autant, tous ces changementsne risquent-ils pas de bouleverser lecadre de vie des habitants ? Le nombrede touristes n'est pas encore un problè-me. En outre les étrangers respectentl'environnement. Mieux même, ils sensi-bilisent les promeneurs roumains qui jet-tent volontiers les bouteilles de plastiquedans les bras du fleuve ou cueillent lesnénuphars plutôt que de se contenter deles prendre en photo, Moldaves etOltènes étant beaucoup plus négligents que les Transylvains.

Demeurent les problèmes du stockage des ordures quin'est pas résolu, des hors-bords des nouveaux riches qui circu-lent à grande vitesse, effrayant poissons et riverains, abîmantles berges, et de l'apparition de maisons ne respectant pas lesnormes ni le caractère régional avec ses toits de chaume,constituant autant d'incongruités dans le paysage.

Beaucoup de choses changent au paradis des oiseaux

Tous les Roumains s'installant dans le Delta ne se com-portent pas pour autant ainsi. Les personnes âgées venues deBucarest, fortes de leur éducation, s'attachent à conserver soncaractère rustique. Même le milliardaire Sorin Ovidiu Vântu,accusé d'avoir escroqué et ruiné des dizaines de milliers de sescompatriotes, devenu propriétaire du célèbre et typique com-plexe hôtelier Lebada ("Le cygne") montre l'exemple. A bord

de son hors-bord, il réduit les gaz dans les petits bras et circu-le lentement, veillant à ne pas faire de vagues. Quand sonyacht traînant sa piscine flottante sur laquelle se fait bronzerson cortège de starlettes, croise un pêcheur, il s'arrête, luirachète un bon prix ses poissons… et les remet à l'eau.

Pour les habitants les plus avertisdu Delta, la véritable menace estailleurs. Elle a pris la forme de cetteroute, déjà à moitié réalisée que lesautorités font construire en catimini etqui longe le canal pour rejoindre Sulina,sur la mer Noire. Officiellement, poursimplifier la vie de la population et larendre moins dépendante des aléas dufleuve.

Cependant beaucoup estiment qu'ils'agit là encore d'une histoire de gros

sous, visant à faire venir plus facilement les touristes et ainsi àfaire fructifier les infrastructures que la nomenklatura, qui nes'était jamais préoccupée de la région auparavant, commence àinstaller. Le Delta et ses habitants y perdraient leur âme, lesvisiteurs leurs repères et le principal motif de leur séjour dansce lieu exceptionnel. Se laisseront-ils faire pour autant ?

Une association, "Vox Deltae" ("La voix du Delta") a vu lejour en 1997 à Crisan - une première dans la région - sousl'impulsion de cinq-six jeunes intellectuels utilisant des motsjusque là inconnus : développement durable de la région, pro-motion de l'éco-tourisme, de la technologie moderne etInternet, préservation de la nature, éducation de la jeune géné-ration, développement de la citoyenneté. Ses membres sontaujourd'hui 35 - ceux qui ont compris qu'il ne s'agissait pas detirer un profit personnel - et une section a ouvert à Sulina.Leurs questions se font de plus en plus pressantes sur l'avenirdu Delta. Décidément, avec l'avènement de l'agro-tourisme,beaucoup de choses changent au paradis des oiseaux.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Un canal

Au sortir d'une terrible famine en Irlande, en 1848-1849, la dernière qu'elle ait connue, due à lasécheresse, la Grande-Bretagne voulait assurer et

sécuriser son approvisionnement en céréales. Les immensesplaines à blé de la Dobroudja n'avaient pas échappé à sonattention.

Au sortir de la guerre de Crimée (1854-1855), elleconvainquit ses alliés et adversaires de la veille de la nécessitéde créer un organisme international indépendant qui garantiraitle bon acheminement de ces richesses et la libre circulation desbateaux chargés de les expédier en Europe Occidentale, danscette région où Russes et Turcs étaient sans arrêt aux prises.

Ainsi naquit à la table du traité de paix de Paris, en 1856,

la CED - Commission Européenne du Danube - parrainée parles vainqueurs d'hier, la France, la Grande Bretagne, lePiémont et l'Empire ottoman, auxquels se joindront l'Autriche-Hongrie et la Prusse ainsi que, contrainte, la grande vaincue, laRussie. La Roumanie ne faisait pas partie de cet aréopage, carson existence formelle n'était toujours pas reconnue. Il faudraattendre 1859 avec l'Union des deux Provinces et surtout 1878,proclamation de son indépendance, pour qu'elle accède aurang de puissance européenne.

Véritable état dans l'état, se gardant cependant d'intervenirdans la politique intérieure roumaine, la CED fera pendant 80ans, jusqu'à sa disparition en 1939 avec le déclenchement de laSeconde Guerre mondiale, la fortune de Sulina, débouché

La formule de le pension chezl'habitant est celle quiconvient le mieux à la décou-

verte du Delta. Elle permet de s'impré-gner de la vie locale, de se familiariseraux réalités. C'est une chance, car lesrégions d'Europe qui conservent leurcaractère authentique se font rares. C'estaussi le grand atout de la Roumanie.

Voici un exemple de prix relevés en2004, par personne, dans une pension 3marguerites à Crisan, en sachant qu'ilssont inférieurs dans les chambres d'hôtesplus modestes, mais plus familiales :

Nuit: 10 €Petit-déjeuner: 3 €Déjeuner et dîner: 6 € chacunPension complète: 21 € (138 F)

Canoë-kayak (2 pers.):20 €/jour Barque pour 2 h: 3 € ou 9 €

accompagné par un rameurBarque à moteur (4-5 per-

sonnes), accompagné: 14 € par per-sonne pour une promenade de 4-5 h

Guide: 30 €/jourmatériel de pêche: 3 €/jourPermis de pêche : 5 €/jourPermis d'entrée dans le Delta: 0,5

€ par pers. pour toute la durée du séjour.Si vous souhaitez indépendance et

confort moderne, ou tout simplementrécupérer un peu des fatigues du voyageet paresser au soleil en toute tranquillité,en regardant le Danube et les roselières,l'Hôtel Sunrise, 3 étoiles, appelé aussi parles habitants de Crisan, l'hôtel rose, réunit

l'ensemble de ces conditions. Ouvertl'année dernière, il se situe à un kilomètredes dernières maisons du village et offrede belles et spacieuses chambres clima-tisées pour 50 €, sur la base de deux per-sonnes. On y trouve piscine, solarium,terrasse, fitness, salle de conférence, baret restaurant, tout cela dans le calme. Unebonne adresse pour faire une coupure...

Pensions pour partager la vie des habitants

des agro-touristes

Qu'en est-il du vieux projet deCeausescu qui rêvait d'assé-cher les marais du Delta du

Danube pour en faire des terres agricoleset de relier par une route Tulcea, où seséparent les bras du fleuve, au port deSulina, sur la Mer Noire, traversant unimmense espace vierge de toutes voituresoù coexistent dans un environnementunique au monde, des millions d'oiseauxet quelques millier de pêcheurs ?

Il n'est certes plus question des pro-jets monstrueux de systématisation duConducator, qui avait commencé ici aussià regrouper dans des blocs une popula-tion habituée à vivre dans ses petiteschaumières.

Quand à l'idée d'une route, leGouverneur de la région Delta, chargé desa protection, Virgil Munteanu déclaresans ambages sont hostilité totale, affir-mant qu'elle ne se fera jamais, le conseild'administration gérant cette réservebiosphère reconnue par l'Unesco y étantégalement opposé.

Mauvais exemples à l'appui, à traversle monde mais aussi en Camargue, leGouverneur soutient que "mettre le petitdoigt dans ce processus, c'est y plonger lebras". "Construisez une route et viennentensuite toutes les infrastructures touris-tique " prophètise-t-il, les hôtels, les par-

kings, les centres de loisirs, les mar-chands de mici, de frites et de barbes àpapa… sans parler des gros intérêtsfinanciers qui ne manqueront pas de pro-fiter de l'aubaine.

Malgré l'hostilité duGouverneur, la route se fait

Pourtant non seulement le projet esttoujours d'actualité, mais cette route quifera 68 km est déjà réalisée en partie. Sestravaux ont commencé dès 1992. DeTulcea, on peut gagner le village deNufarul par une route goudronnée. De là,un bac assure la traversée du bras Saint-Gheorghe à une trentaine de voitures,camions, tracteurs et charrettes par jour.

Une digue empierrée conduit jusqu'àPartizani sur le canal de Sulina, à hauteurde l'épave du Rostock, ce bateau qui asombré voici une dizaine d'années, handi-capant sérieusement la navigation et vienttout juste d’être renfloué, bien que desfonds aient été dégagés depuis longtempspour cette opération. Dans le village,quelques voitures ont déjà fait leur appa-rition et quelques rares touristes se ris-quent jusqu'ici.

Toujours en longeant le canal, letronçon continue jusqu'à Gorgovia, vingtkilomètres plus loin, mais il n'est pas pra-

ticable par temps de pluie et est en coursde finition et d'amélioration.

Déjà pratiquement la moitié de laliaison Tulcea-Sulina est devenue ainsiune réalité. Cet automne, commencerontles travaux la prolongeant jusqu'à Crisan,au coeur du Delta et distante de 12 km. Ilssont prévus pour une durée de quatre ans,l'opération est conduite par la mairie duvillage et financée à hauteur de 4 M€

(26 MF) par le ministère des Travauxpublics. Plus des deux tiers de la routeseront alors en service.

Pour achever l'opération, il ne resteraplus qu'à boucler le dernier tronçon,menant à Sulina, environ 20 km. Les tra-vaux pourraient débuter dans 3-4 ans,mais aucun calendrier n'est fixé.

Un réseau de chausséesempierrées se met en place

Parallèlement, d'autres routes voientle jour, destinées justement à relier lesvillages isolés à l'axe Tulcea-Sulina.Ainsi la village de pêcheurs de Carai-aman sera définitivement réuni à Crisancet automne par une voie de 12 km.

Puis, par un chemin de 6 km menantau canal de Sulina, viendra le tour du vil-lage de Lipovènes, Mila 23. Un bac per-mettra de rejoindre la "grande route".

Si le Delta n’est

Venant de subir une terrible famine, la Grande-Bretagne lorgnait sur le blé de la Dobroudja pour assurer son approvisionnement en céréales.

Ainsi, à l'issue de la guerre de Crimée, nacquit la Commission Européenne du Danube...

De projet devenue réalité, une route avance inexorablement dans le Delta, menaçant son intégrité et le cadre de vie des habitants

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Le Delta du Danube n'a jamais été une grande terrede tourisme, du moins si on se réfère aux normes dece qu'on appelle "l'industrie touristique": coeffi-

cient de fréquentation, de remplissage, nombre de nuitées…mais il a toujours été considéré comme un immense potentiel,faisant rêver les statistiques des bureaucrates des ministères.

Sous Ceausescu, il était organisé, perdant ainsi une gran-de partie de son attrait pour un espace sauvage et de liberté.Puis, le début de la "transition"a amené confusion, désorgani-sation. Les touristes ont fuil'une des régions les plus excep-tionnelles du Vieux Continent,dont l'image se réduisait auxcimetières de bateaux rouillés,aux épaves obstruant la naviga-tion, entrevus dans de raresreportages télévisés. Avec euxs'en allaient aussi les jeunes desvillages, découragés par l'ab-sence de perspective et la situa-tion maussade de la principaleactivité, la pêche.

Un étrange individu empruntant le sens inverse des silures

Se sont passées ainsi sept-huit année noires. Puis une nou-velle espèce est apparue, à la fin des années 90, venue duMaramures où elle s'était acclimatée, avant de commencer à serépandre en Bucovine, dans les Apuseni, empruntant le sensinverse des silures, remontés au cours des décennies et desconnexions entres canaux, de la mer Noire à la Loire… l'agro-touriste. Cet étrange individu qui échappe aux tour-opérateurscar il a horreur des foules agglutinées sur les plages, d'être par-qué à la chaîne dans des hôtels immenses et froids, d'être prispour un objet de consommation. Ce curieux personnage, pleinde curiosité, qui aspire à la tranquillité, à l'authenticité, aucontact humain, aime prendre son temps…

Ce phénomène migratoire s'est concrétisé au début desannées 2000. Non sans mal, car encore à l'époque, dans lesagences de tourisme, on était incapable de répondre aux ques-tions demandant si les pensions étaient équipées du téléphone,de l'électricité et de l'eau courante.

Mais vite, les habitants du Delta ont compris qu'ilstenaient là une chance unique, la dernière sans-doute leur per-mettant de continuer à vivre au pays. Ils ont retapé leurs mai-sons, les ont agrandies pour recevoir les visiteurs. Aujourd'hui,pratiquement une sur quatre fait office de pension, dûmentagréée ou non, et l'agro-tourisme, une activité beaucoup moins

rude que la pêche, représente 50 % des revenus des famillesqui le pratique.

Les hôtels ont du mal à trouver du personnel

Tout s'y prête ; les repas des hôtes sont faits à partir desproduits du jardin, fruits et légumes, le poisson ramené par lepère et délicieusement accommodé par sa femme, trône en roi

sur chaque table. Le fils, revenuau pays, à moins qu'il ait toutsimplement renoncé à partir,emmène les touristes pour despromenades en barque ou desparties de pêche. Avec des hautset des bas, l'activité touristiquepeut ainsi durer de mars àoctobre. L'hiver, on s'affaire àréaménager la maison. Lesjeunes de 20 à 30 ans, peu nom-breux, partent dans le payschercher du travail.

Les femmes, qui ont lacharge de veiller au confort de leurs hôtes, d'assurer leuraccueil, de préparer les repas, ont rapidement saisi l'importan-ce de cette manne. Pour répondre à leur curiosité insatiableportant aussi bien sur la manière de préparer un rôti de carpeaux épinards frais que sur l'éducation des enfants, elles se sontmises à l'anglais et au français. L'an passé, une vingtained'entre-elles abandonnaient leurs fourneaux plusieurs soiréespar semaine pour suivre les cours de conversation de deux pro-fesseurs retraités et bénévoles du Midi de la France.

Parallèlement, des commerces s'ouvrent ou envisagent dele faire. L'ouverture d'une alimentation centrale est prévue àCrisan. Voilà toujours quelques emplois grappillés. La com-mune s'apprête aussi à inaugurer une salle omnisports polyva-lente, un disco, ce qui prouve bien que l'espoir est revenu.

D'ailleurs les quelques hôtels qui poussent dans le secteuront du mal à recruter sur place et sont obligés d'aller chercherdu personnel à Tulcea. Ici, les jeunes ne sont pas formés, maissurtout se consacrent désormais à leur propre affaire.

Bouteilles en plastique et hors-bords à grande vitesse

L'agro-tourisme a apporté aussi une autre révolution. Parles échanges, les brassages, elle a amené la population à évo-luer, à s'ouvrir, également à faire connaître et partager ses tra-ditions, ses valeurs. Internet devrait faire exploser ce change-ment de mentalité. Depuis 2000, le nombre d'élèves fréquen-tant les lycées de Tulcea a augmenté.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

naturel du fleuve sur la mer, devenu premier port franc dupays, où les bateaux devaient s'arrêter pour payer une taxe.

Outre l'édification d'un phare, achevé en 1870 et aujour-d'hui transformé en musée, et de digues, la première grande décision de la CED fût de mettre à l'étude la construction d'uncanal rectiligne, coupant les méandres du vieux bras duDanube et raccourcissant ainsi de 21 km la relation entreTulcea et la mer Noire.

Troisième au monde, derrière le canal de Suez et celui de Panama

Appelé canal de Sulina, lancé à l'époque où fleurissent lesréalisations et projets du même genre (Suez, Panama), il serainauguré en 1897 et totalement achevé en 1902, les travaux,dirigés par des ingénieurs français, ayant commencé en 1880.Son coût, financé par l'Angleterre, la France et l'Allemagne,

sera de 50 MF Or, soit 50 milliards de francs actuels (7,6 mil-liards d'euros), l'équivalent du tunnel sous la Manche.

L'ouvrage, mi-artificiel, mi-naturel, puisqu'une bonne par-tie n'est en fait que la canalisation d'un bras existant, est tou-jours, par sa longueur et sa capacité, le troisième au monde(101 km de long, 130 à 250 m de large, 11,25 m de profondeur,tonnage autorisé porté de 5000 t, en 1902, à 12 500 t aujour-d'hui), derrière le canal de Suez (1859-1869, 161 km de long,largeur : 70-125 m, profondeur :11 m, tonnage porté de 5000 à15 000 t), et celui de Panama (1881-1914, 82 km de long, lar-geur: 90-100 m, profondeur : 12,5 m, tonnage porté de 5000 à25 000 t). Mais il devance le canal Volga-Don et son rival rou-main, le canal du Danube à la mer Noire, reliant Cernavoda àConstantsa, (1949-1953, 1975-1984, 64 km de long, largeur:110-140 m, profondeur: 7,5 m, tonnage : 5000 t), de sinistremémoire, que les communistes ont fait creuser, dans un pre-mier temps, par des prisonniers politiques.

Ils reviennent !... Le retour pour du blé

Il est certes pompeux d'appeler ceschemins des routes. Il s'agit de chausséesempierrées, la mouvance du Delta ne per-mettant pas de les stabiliser par de l'as-phalte. Il n'empêche qu'ils sontdéjà davantage "circulables" quecertaines mauvaises routes de laRoumanie profonde. Et commeils prennent la forme d'une digue,il faut creuser pour dégager leremblai nécessaire. Quelquesponts pour traverser des brasmineurs du Delta vont voir aussile jour et on envisage d'utiliser latechnique de route sur pieux pourles endroits trop difficiles.

"C'est grand le Delta... les oiseaux ont de la place"

Les maires, les élus, les parlemen-taires et l'administration se montrent trèsfavorables à ce désenclavement du Delta,y voyant aussi une chance pour le déve-loppement du tourisme. "C'est grand leDelta, les oiseaux ont de la place" répon-dent-ils quand on leur fait part des inquié-tudes pesant sur l'environnement.

"On est isolé complètement, surtoutl'hiver, quand les blocs de glace empê-chent la navigation sur le canal" plaide lemaire de Crisan, ajoutant "cela nous per-mettra de gagner du temps pour aller àTulcea et d'avoir une plus grande auto-nomie par rapport au bateau qui ne passe

qu'une ou deux fois par jour". C'est sanscompter, qu'en cas d'urgence médicale,les vedettes vont beaucoup plus vite queles voitures et mettent moins d'une heure

pour rejoindre Tulcea. Dans les casgraves, c'est même l'hélicoptère deConstantsa qui se déplace.

L'élu ne redoute pas trop l'apparitiondes voitures: "La route passera centmètres derrière le village et les touristesse gareront dans un parking à son entrée;d'autre part, on mettra des restrictions àla circulation, les gabarits des véhiculesseront réglementés".

"Est-ce qu'ils viendront encore les touristes ?"

Les pêcheurs, eux, sont perplexes.Beaucoup ignorent que les travaux, com-mencés discrètement, sont aussi avancés.

Entre le "non" du Gouverneur et le "oui"par derrière des élus et de l'administra-tion, ils ne savent quoi penser, se deman-dant s'il ne s'agit pas d'un double jeu,

visant à paralyser les réactions età rendre irréversible la construc-tion de la route. Et ici, le pouvoirest craint et la population préfèresouvent se taire.

Pourtant, dans leur fond inté-rieur, nombreux sont ceux quihochent la tête devant la dispari-tion programmée de leur cadre devie qui repose sur le bateau etleurs barques. Depuis des siècles,ils rythment leurs journées. Acinq heures, on attend l'arrivée duferry avec une charrette pour

ramener chez elle la grand-mère partievoir ses petits-enfants à Tulcea et les pro-visions pour la semaine. Le boulangercharge ses sacs de farine dans son embar-cation, direction son four. En fin desemaine, ce sont les jeunes qui reviennentdu lycée. Ici, on s'est toujours bienaccommodé de ne pas avoir de voitures.On n'en a pas besoin. Tout est réglé enfonction du fleuve.

Et les plus lucides, qui misent sur letourisme pour pouvoir rester chez eux, seposent avec angoisse cette question: "Sile Delta n'est plus le Delta, est-ce qu'ilsviendront encore les touristes ?".

(Les Nouvelles de Roumaniejuillet-août 2004)

plus le Delta...

Un bac assure la traversée du bras Saint-Gheorghe à une trentaine de voitures, camions, tracteurs et charrettes par jourqui empruntent ensuite le chemin longeant le canal de Sulina.

Avec la confusion et la désorganisation des années suivant la "Révolution" le nombre des visiteurs a chuté brutalement. Mais depuis le début des années 2000

une nouvelle espèce est apparue dans le Delta, remplaçant le poisson devenu plus rare… l'agro-touriste. Les ménagères se sont même mises

au français et à l'anglais pour mieux l'attirer.

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Déployant une envergure impressionnante, atteignant 3,20m pour le pélican frisé, on peut les observer entre 7 h et 9 h lematin, volant en formation, frappant l'eau de leurs ailes pourrabattre les poissons vers des zones moins profondes, plon-geant à l'unisson et ramenant dans la poche qu'ils ont sous lebec des carpes qui constituent l'essentiel de leur régime…environ un kilo par jour, et ilssont plus de 8000 !

Le pygargue ou aiglepécheur utilise une autre tech-nique. Tôt le matin, ce rapacerase la surface de l'eau à larecherche de gros poissons qu'ilsaisit dans ses serres et emporteaprès une lutte acharnée, captu-rant aussi à l'occasion descanards, des oies, des passe-reaux. Repus, il se repose lereste de la journée, perché surun arbre, le long des canaux oudes bras du fleuve.

Un tiers de la populationeuropéenne des ibis, reconnais-sables à leur long bec arqué, trouve également un abri dans leDelta, comme d'autres échassiers, aigrettes, hérons ou les colo-nies de cormorans pygmées (60 % de la population mondiale)ou de cygnes chanteurs de Sibérie. Parmi toutes ces espèces,l'amateur d'ornithologie tentera d'en reconnaître certaines quiont été déclarées "monument mondial de la nature": pélicanscommuns et frisés, grandes et petites aigrettes, cygnes muetset chanteurs, avocettes, canards rouges, vautours à queueblanche.

Ce paradis semble pourtant bien fragile. Au début duXXème siècle, des naturalistes avaient recensé 12 millionsd'oiseaux ; au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cechiffre n'était plus que de 7 millions. Aujourd'hui il se situeraitaux environs de 500 000.

On reste muet devant cette œuvre de nature divine

Toutefois, il serait déplacé d'imaginer que la magie duDelta tient à la seule présence des oiseaux. Ce serait oublier lecharme envoûtant de ce dédale de bras et canaux, grouillant de

vie, regorgeant de plus de 160espèces de poissons, dont 70d'eau douce, allant du brochet,de la carpe, du sandre au sau-mon, au hareng, à l'esturgeon.Déjà près d'un demi millénaireavant Jésus Christ, le père del'Histoire, Hérodote, décrivaitses activités de pêche.

Sur la multitude d'îlots, setrouvent également des loutres,des visons, des renards, dessangliers, des putois, des chatssauvages, et même des loups etdes ours. Les sables abritent destortues, des reptiles. Toute cettefaune concourt à la féerie des

lieux auxquels une végétation impressionnante donne un cadrenaturel incomparable. En dehors des roseaux, omniprésents,on y recense d'innombrables espèces de plantes, fleurs etarbres : peupliers, cerisiers sauvages, frênes, nénuphars, iris,menthe aquatique, oseille, fougères, ainsi que des lianes quidonnent un aspect tropical aux forêts de Letea et Caraorman.

Comment ne pas comprendre que l'homme reste muet,saisi d'émotion et plein d'humilité devant un spectacle de natu-re divine dont la grandeur le dépasse? Même doté de ses indis-pensables jumelles, d'ouvrages spécialisés, guidé par lesmeilleurs connaisseurs de la région que sont les pêcheurs, ilsait qu'il n'arrivera pas à en percer les secrets. Alors, il secontente d'ouvrir bien grand ses yeux et ses oreilles pour nepas perdre une miette de cet Opéra sauvage.

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

Dès le lendemain de la "Révolution", la Roumaniedemandait l'inscription du delta du Danubecomme réserve

biosphère dans le cadre du pro-gramme de l'Unesco. Dix huitmois plus tard, en décembre1991, l'organisation internatio-nale le classait au patrimoinemondial de la nature et de laculture. Le Delta l'avaitéchappé belle… Ceausescuprévoyait d'en faire des terresagricoles.

Les réserves de laBiosphère constituent un réseaumondial. Elles doivent remplirtrois fonctions complémen-taires: contribuer à la préserva-tion des paysages, des éco-systèmes, des espèces et des gènes; favoriser un développe-ment économique et humain respectueux des particularités

socioculturelles et environnementales, encourager larecherche, la surveillance, l'éducation et l'échange d'informa-

tions. Toutefois, elles conti-nuent à relever de la seule auto-rité de l'Etat sur lequel ellessont situées.

Réserve biosphère et gouverneur

Ainsi est née l'ARBDD(Administration de la Réservede la Biosphère du Delta duDanube), initiales que personnene peut ignorer sur place, tantcet organisme de tutelle a lamain haute sur le présent etl'avenir du Delta, de son envi-ronnement, de sa préservation,

de son économie, et donc de ses 15 000 habitants, répartis en25 villages et une ville, Sulina (4000 habitants).

Le fleuve, au débit à l'entrée du Deltade 6350 m3/seconde, se jette par troisbras, tous roumains, dans la mer Noire :

- au nord, le bras de Chilia, fronta-lier avec l'Ukraine, d'une longueur de 120km, forme à son embouchure un autremicro delta, situé en majeure partie sur leterritoire de l'Ukraine. Il transporte 58 %des eaux du fleuve, sa largeur et sa pro-fondeur maxima sont respectivement de1000 m et 39 m. Il est surtout empruntépour une navigation d'intérêt local.

- au centre, le bras de Sulina ; avecses 67 km, il est le plus droit et le pluscourt et le mieux aménagé. Il représenteun canal de navigation fluviale et mariti-

me sur lesquels peuvent circuler desbateaux de grande dimension. Il transpor-te 19 % des eaux du fleuve. Largeur etprofondeur maxima : 250 m et 18 m.

- au sud, le bras de SfântuGheorghe,10 km. C’est le plus ancienbras, le plus sinueux et le plus beau. Sesméandres ont été coupés pour raccourcirla distance. Il transporte 23 % des eauxdu fleuve. Largeur et profondeur maxi-ma: 550 m et 26 m.

Outre ses bras actuels, le Delta com-prend un réseau hydrographique secon-daire avec quatre grandes composantes:les anciens bras, les ruisseaux, les canauxet les brèches dans le littoral marin.

Les vasières fluviales ou maritimes,composées par des alluvions déposés à lalongue par les eaux du fleuve et de la merNoire, constituent sa forme principale derelief marquée par des formations com-plexes, comme les lacs dépressionnaires,ou simples, comme les étangs, d'une pro-fondeur de 0,5 m à 3 m, les lagunes àl'embouchure des petites rivières ouanciens golfes marins, les marécages, trèspeu profonds, les petites mares.

L'hydrographie du Delta comprendaussi un cordon littoral, zone maritime de10-15 km de large, d'une profondeur demoins de 25 m, influencé par les eauxdouces qui s'y déversent.

chaque année 40 km2 sur la mer Noire

Le temps des boyards et

Député PSD (Parti SocialDémocrate) du judet deTulcea depuis 2000 et ancien

maire de Crisan, au cœur du Delta duDanube, Dan Verbina, la quarantaine,s'est taillé un royaume jusqu'à la MerNoire et le port de Sulina, dans cette par-tie isolée de la Roumanie. Il a profité dela mise en concessions du Delta, voicideux ans, devenant le principal conces-sionnaire des eaux de la région et y obte-nant le monopole du commerce des poi-sons. Les pêcheurs doivent désormais luiverser une redevance annuelle, modestepour l'instant, afin d'exercer leurs acti-vités, libres auparavant. L'élu a égale-ment décroché d'autres concessions, déli-vrées par activité, et contrôle pratique-ment tout le commerce du village, possé-dant les deux épiceries, la boulangerie, lacriée, construite avec des fonds del'Union Européenne, faisant construire unrestaurant, un disco.

Mais Dan Verbina ne se contente pasde régner sur la nature, les hommes aussi

l'intéressent, et l'on chuchote dans le vil-lage qu'aucune nomination à des postesclés ne peut se faire sans son aval. Il neferait pas bon aussi de se mettre sur sonchemin.

Ainsi, il n'a pas trouvé de candidatsérieux pour lui disputer sa mairie deCrisan, en juin 2000, ses deux principauxadversaires s'étant découragés.

L'un redoutait de se voir muté àl'autre bout du pays, l'autre de perdre sonemploi. Quelques mois plus tard, ilremettait sa fonction de maire à un de sesco-listiers, devenant député et représen-tant des Lipovènes (minorité d'originerusse dont il est issu) au Parlement.

Offres publiques opaquesfaites à la dernière minute

A Crisan, on se tait donc, même si larancœur est grande. Aucun habitant n'aréussi à obtenir une concession, lors desadjudications, faites en l'absence detransparence, qui ont profité uniquement

à la nomenklatura, souvent des gensvenus de Bucarest, et qui y font des pro-jets commerciaux ou touristiques, les-quels n'aboutissent pas toujours, maisrecevant cependant des subventions.

Les offres publiques étaient souventfaites à la dernière minute, parfois uneheure avant… personne n'ayant le temps,ni les moyens de s'aligner.

Mais Dan Verbina n’est pas seul àprofiter de cette manne que constituentles concessions. D’autres élus ou person-nalités en vue se sont également taillés unfief dans le Delta, parfois plus grand.

Ainsi, Sorin Ovidiu Vântu, considérépar la presse comme le plus célèbreescroc du pays, a-t-il acquis un complexehôtelier d'Etat, le "Lebada" ("Le Cygne")qu'il entreprend de rénover. Le leader desjeunes du PNL (Parti National Libéral) deTulcea a fait construire sur un terrainappartenant à sa famille un hôtel de luxe,le "Sunrise", recevant même l'aide del'Union Européenne à hauteur de 10 %par le biais de fonds Sapard.

Classé désormais au sauvageEnfin protégé, le Delta l’a échappé belle...

Ceausescu prévoyait d’en faire des terres agricoles.

Un système de concessions a réduit la condition des pêcheurs à celle des paysans du siècle dernier.

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Sur ces 5800 km2, le Delta abrite 3846 espèces ani-males et 1668 de fleurs et de plantes. C'est donc àune explosion de la nature qu'est conviée le visiteur.

Passant silencieusement, il se sentira presque de trop danscette grande communion des éléments, de la faune et de laflore. Bruissements d'ailes, caquètements, trilles, ricanements,cris ou plongeons… un concert ininterrompu l'accompagne,prenant une ampleur étonnante le soir ou le matin, lorsque lesbatraciens se joignent à la fête.

Venus de Sibérie, de Chine, de Mongolie de Méditerranée, d'Afrique, de l'Arctique

Les oiseaux sont les principauxacteurs de cette symphonie. On endénombre 325 espèces, dont 70 nesont pas d'origine européenne. DesSibériens, des Mongols, desChinois, des Méditerranéens… ilsse sont donnés rendez-vous dumonde entier. Cette concentrations'explique par la conjonction de lasituation géographique, de la diver-sité des milieux naturels et de lafaible pénétration humaine.

L'hémisphère Nord est parcou-ru de couloirs qu'empruntent lesgrandes migrations d'oiseaux. Cinq d'entre eux se croisent enDobroudja, venant d'Europe Centrale, du nord de la mer Noire,du Caucase et d'Iran, des régions arctiques d'Europe et ded'Asie. Escale idéale à mi-chemin entre le pôle Nord et l'équa-

teur, situé sur le 45ème parallèle, le Delta du Danube revêt uneimportance majeure pour la reproduction, l'hivernage et lamigration. Certains oiseaux y passent l'hiver, tandis qued'autres prennent ou poursuivent la route vers la Méditerranée,le Moyen-Orient ou l'Afrique.

Escadrilles de pélicans aigles pêcheurs, ibis et cygnes chanteurs

Après avoir hiverné sous des cieux plus cléments, péli-cans, ibis ou aigrettes reviennent dès le printemps pour nicher.La position géographique n'explique pas tout : si des millions

de volatiles affluent dans la région,c'est qu'ils y trouvent des condi-tions de vie optimales. Steppes,forêts, marécages, roselières, lacs,lagunes et cours d'eau offrent d'infi-nies possibilités de refuge, unenourriture abondante et la tran-quillité.

Environ 20 000 bernaches àcou roux - la moitié de la popula-tion mondiale - apparentées auxoies, y prennent leur quartier d'hi-ver avant de rejoindre la toundrasibérienne, non loin des côtes arc-tiques. Au mois de mars, ce sont les

pélicans blancs qui quittent les rives de la mer Rouge et duDelta du Nil pour venir y nicher. Leur envol ressemble à celled'un bombardier et leurs escadrilles réunissent 50 % de leurpopulation eurasienne.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

Occupant un immeuble moderne à Tulcea, au bord mêmedu Danube, son siège est facilement reconnaissable et soulignedéjà l'importance de sa présence. Pour mieux marquer savolonté d'agir, le pouvoir a doté l'ARBDD d'un gouverneur,Virgil Munteanu, le seul que compte le pays avec celui de laBanque Nationale.

L'ARBDD règne sur un territoire de5800 km2 (2,5 % de la superficie de laRoumanie), supérieur à celui du simpleDelta car elle a également autorité surson voisinage, comme l'immense lacRazim, sorte de mer intérieure, leDanube maritime, la côte de la merNoire jusqu'à 20 mètres de profondeur.

Des zones qui ne sont pas toutes accessibles aux touristes

Son périmètre abrite une des plus grandes zones humidesdu monde, de nidification et de migration des oiseaux aqua-tiques, ainsi que la plus grande aire de roseau compact de laplanète. Il constitue un musée vivant de la biodiversité avec 30types d'écosystèmes naturels et un patrimoine naturel univer-sel inestimable de 1668 espèces de plantes, fleurs et arbres, et

3846 d'animaux, dont 160 de poissons et 325 d'oiseaux.La réserve a été partagée en trois zones :- les aires entièrement protégées, où pratiquement seuls

l'administration et les scientifiques ont accès, munis d'autori-sations spéciales. Elles sont au nombre de 18 et couvrent une

superficie totale de 500 km2 (8,7 % dela superficie de la réserve). Elles abri-tent des milieux complètement sau-vages présentant d'importants exemplesd'écosystèmes et d'espèces.

- les aires tampon, qui entourentles aires entièrement protégées. D'unesuperficie de 2230 km2 (38,5 %), ellessont destinées à surveiller l'influencedes activités humaines (pêche, récoltedu roseau) sur les écosystèmes. Les tou-ristes y ont accès sous certaines condi-tions (permis et accompagnateur

agréés).- Les aires économiques qui couvrent une superficie de

3000 km2 (53 %). Elles comprennent des aires inondables, deshabitats humains, des terrains agricoles et d'autres destinés à lareconstruction écologique. Elles sont libres d'accès sous réser-ve d'avoir un permis délivré par des agents ou pensions agréés.

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

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L'Opéra

A la découverte du Delta A la découverte du Delta

patrimoine de l'Humanité

Bien que deuxième par sa lon-gueur, après la Volga (3690km), le Danube est de très

loin le fleuve le plus européen. Depuis sasource dans la Forêt Noire, à moins de 50km de la France, il traverse ou longe dix

pays tout au long de ses 2860 km(Allemagne, Autriche, Slovaquie,Hongrie, Croatie, Serbie, Roumanie,Bulgarie, République de Moldavie,Ukraine), ainsi que quatre capitales(Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade).Son bassin, avec une dimension de800 000 km2 - 8 % de la superficie ducontinent - regroupe une population d'en-viron 80 millions d'habitants. Par son rôlede liaison, le Danube est le symbole de lavocation du Vieux Continent à s'unir.

En Roumanie, il entre dans le paysun peu avant les Portes de Fer (notrephoto), y parcourt ses 1075 dernierskilomètres (38 % de sa longueur totale)

avant de se jeter dans la mer Noire, douzejudets en étant riverains (Caras-Severin,Mehedinti, Dolj, Olt,Teleorman, Giurgiu,Calarasi, Constantsa, Ialomita, Braïla,Galati, Tulcea). Il y est frontalier avecquatre pays, la Serbie, la Bulgarie, laMoldavie, l'Ukraine.

Le Delta à 82 % en Roumanie

Son delta de 4200 km2 - 82 % enRoumanie (3500 km2), 20 % en Ukraine(700 km2) - est le 3ème d'Europe, aprèsceux de la Volga et de la Kuban, et le22ème du monde. Plus jeune terred'Europe, il s'accroît de 40 km2 par an.

Le fleuve symbole de l'Europe gagne

La situation est quasiment identiqueà Sfântu Gheorghe, où un milliardaireachève la construction d'un impression-nant village avec des maisons en bois ettoits de chaume - respectant ainsi le cadre- comprenant des petits hôtels, salles deréception, villas, bungalows, etc. Cecomplexe doit être terminé à la rentréepour accueillir le festival de cinémade Bucarest, décentralisé pour l'occa-sion, et on y annonce la venue de l'ac-teur Robert Redford.

Des concessionnaires qui font la pluie et le beau temps

Autant dire que les habitants duDelta se sentent dépossédés de leurrégion. Mais plus encore, ils consta-tent que leurs conditions de vie bais-sent. Les concessions ont tué laconcurrence dans le domaine de la pêche.Les pêcheurs dépendent maintenant d'unseul acheteur qui fixe les prix.

Le kilogramme de maquereaux estainsi passé en deux ans de un euro à undemi euro. Ils constatent aussi que le kgde caviar, conditionné, leur est payé

100 € - ils n'ont droit qu'à un très faiblequota annuel - pour se retrouver à 800-1000 € dans les magasins Metro deBrasov ou Bucarest.

Le système des concessions a étécréé en 2002, après une tentative en 1995.L'administration entend par ce biais disci-pliner les activités de pêche.

Depuis 1990, plus personne ne payaitde taxes à l'Etat, alors que le domaine flu-vial lui appartient. Elle déclare vouloirmettre fin au braconnage et au déclin dela population piscicole, développer etmoderniser les activités de tourisme, decommerce, d'élevage des animaux, d'uti-

lisation du roseau et de son exportation.

Pour la première fois, les pêcheurs en grève

Avec les concessionnaires, de nou-veaux boyards sont ainsi apparus dans leDelta, ne reculant pas devant l'intimida-

tion, les pressions économiques, pourasseoir leur domination et faire taireles revendications. Nombre depêcheurs ont conscience que leur sta-tut a régressé et ont le sentiment de seretrouver un siècle en arrière, lors dela Rascoala ("La Révolte"), décritepar Rebreanu, qui avait conduit lespaysans à se soulever contre les grospropriétaires terriens qui les affa-maient.

L'an passé, pour la première fois,les pêcheurs du Delta se sont mis en

grève, demandant en vain la fin desconcessions. Finalement, beaucoup parcrainte, et après avoir obtenu quelquesaménagements, le mouvement s'estcalmé. Mais la colère est toujours là.

(Les Nouvelles de Roumanie juillet-août 2004)

de leurs domaines est revenu

Même l’exploitation des roseaux dépend des nouveauxboyards auxquels ont été attribuées les concessions.

Des oiseaux, des fleurs, des plantes… Dans le Delta, la vie explose et le silence n'existe pas. Le visiteur se laisse glisser en barque le long

des canaux ombragés de saules pour s'inviter à un spectacle unique en Europe : l'Opéra sauvage ou la grande communion de la nature.

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Une terre du bout du monde ne peut être qu'une terre de légendes. Sulina en est l'illustration mêlant les destins peu ordi-naires de certains de ses enfants, aux vies tumultueuses des marins de passage. Dans les tavernes enfumées du port,drames, amours, rêves ont enflammé des imaginations souvent déjà embrumées par le vin de la Dobroudja, pour don-

ner naissance à de fabuleux récits, authentiques ou non. Ainsi en est-il pour Evantia, superbe princesse noire, devenue danseusedans un cabaret et dont tombera follement amoureux un officier de marine, Neagu, envoyé en mission à Sulina. Le coup de foudredurera un été, jusqu'à ce que la belle jeune femme apprenne la mort de son amant et se tue.

Cette histoire inspirera un autre héros, celui-ci bien en chair et en os, devenu en son temps légende vivante de Sulina et qui enreste encore son plus célèbre personnage, Eugeniu Botez (1877-1933). La carrière dumarin s'est confondue avec les heures de gloire du port. Capitaine de bateau, il passeraune longue partie de sa vie à bourlinguer sur les mers, en rapportant le surnom, quideviendra aussi son pseudonyme, de Jean Bart, en hommage au glorieux corsaire deDunkerque (1650-1702), pourfendeur des vaisseaux anglais et hollandais pour le comp-te de Louis XIV.

Célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve

Revenu au pays, Jean Bart deviendra commissaire du port de Sulina mais s'illus-trera surtout en lui consacrant un ouvrage, Europolis, devenu le plus grand succès delibrairie de l'Entre-Deux-Guerres dans le pays, traduit en plusieurs langues, réédité dixfois et chaque fois épuisé, et considéré comme le plus sentimental des romans d'amourroumains. Ce livre présente beaucoup de similitudes avec Aziyade, fille de harem, dePierre Loti, écrivain très à la mode au début du XXème siècle, notamment enRoumanie.

Jean Bart y décrit la tristesse et la mélancolie de ces marins qui se désespèrent derevoir leur bien-aimée, noyant leur chagrin dans l'alcool. Reprenant la légended'Evantia, il la popularisera. Dans Europolis, la princesse noire se transforme en filled'un aventurier de Sulina qui l'emmène à travers le monde. S'échappant des geôlesfrançaises, il reviendra dans sa ville natale pour devenir contrebandier et sera tué, ce quiconduira sa fille à se faire danseuse de cabaret et rejoindre ainsi la destinée d'Evantia.

Aujourd'hui, à Sulina, Jean Bart a supplanté définitivement le souvenir du capitaine Eugeniu Botez. Le lycée porte son nom,ainsi qu'une rue, un hôtel. La petite ville compte pourtant une autre célébrité, le compositeur de musique classique et chef d'or-chestre George Georgescu (1887-1964), fils d'un tambourin et porte-drapeau de la fanfare municipale, et surtout auteur du célèbremorceau "Valurile Dunarii", "Les flots du Danube". Sulina a été célébrée par un écrivain de la mer et un musicien du fleuve...

Dans le cimetière marin, les morts des trois grandes religions reposent ensemble

D'autres souvenirs s'accrochent au port et montrent la vie intense qu'a connue ce lieu de brassage. Dans le cimetière marin quilonge la mer Noire, reposent, chacun dans leurs carrés, des Roumains, des Lipovènes, des Anglais, des Allemands, des Italiens,des Turcs. Tombes de capitaines, d'officiers, de simples matelots, de soldats de la guerre de Crimée se côtoient ainsi que celles desjuifs, musulmans, chrétiens. Monument national, renfermant une mémoire de cent cinquante ans, mais malheureusement laissé àl'abandon ces cinquante dernières années, il est le seul endroit du pays où se trouvent réunies les trois grandes religions du monde.

Là aussi, légendes et réalité empruntées aux drames qu'a connus Sulina se mêlent. Il suffit de marcher un peu entre stèles ettombeaux pour s'en convaincre. Ici, une sculpture saisissante montre deux fillettes enlacées. Elles étaient tombées d'un bateau pen-dant la nuit et s'étaient noyées dans le Delta. Leurs parents ont voulu qu'elles restent liées pour l'éternité dans la position où onavait retrouvé leurs corps, quelques jours plus tard.

Là, deux jeunes gens reposent l'un à côté de l'autre. William Webster, 25 ans, fils unique d'un évêque anglican, et MargaretPringle, 23 ans, elle aussi anglaise, s'aimaient d'un amour fou, rendu impossible, dit-on, par leurs familles, ennemies et ne voulantpas entendre parler d'un mariage. Les deux amants choisirent de mourir ensemble. Du moins, c'est la version qu'on en rapporte surplace. D'autres pensent qu'ils se sont noyés, après que William ait plongé pour sauver sa belle, qui était passée par dessus bord…Mais après tout, Sulina n'a-t-elle pas eu un destin assez étrange pour donner naissance à une nouvelle légende de Roméo et Juliette?

Les NOUVeLLes de ROUMANIe

Le corsaire et les amants de Sulina

Les NOUVeLLes

Le delta du Danube est un autre univers. Il faitprendre conscience aux Européens de la dimensionsauvage que recèle encore leur continent et aussi de

son immensité. Là, on est au bout d'un monde, comme on leressent en Laponie, un monde plein de mystères… pour nous,les civilisés, qui nous sommes éloignés de la nature. Alors, àson contact, nombre d’entre-nous retrouvent leur regard d'en-fant, naïf et émerveillé.

Car le Delta réserve des moments d'une beauté simple etpure. La vie y explose… des oiseaux, des fleurs, des plantes,de l'eau, des étangs, des marais, des lagunes et ces longscanaux ombragés de saules où, se frayant un chemin parmi lesroseaux, on se laisse glisser en barque pour s'inviter à un spec-tacle unique : l'Opéra sauvage. Ici, rien n'est silence : bruisse-ments d'ailes, caquètements, trilles, ricanements, cris ou plon-geons… le concert est ininterrompu.

Escadrilles de pélicans qui décollent lourdement tels desbombardiers de l'autre guerre, aigles pêcheurs surveillant leursproies, ibis aux vols épurés, aigrettes perchées sur leurslongues pattes, colonies de cygnes chanteurs : on reste muetdevant cette œuvre de nature divine.

Mais le Delta, c'est aussi une aventure humaine. Celles desLipovènes, ces vieux croyants russes reconnaissables à leurlongue barbe blanche, fuyant les persécutions religieuses dePierre le Grand, venus du Don et réfugiés voici trois siècles

dans ces terres difficilement accessibles où ils ont apportéleurs talents de pêcheurs. Celle de Sulina, à la fin du continent,port cosmopolite du début du XXème siècle, devenu villefantôme, vivant du souvenir de son opéra et de son théâtre,dont la richesse était due à son canal, ce boulevard du soleilque l'homme et la Commission Européenne du Danube avaientcreusé rectiligne d'Est en Ouest pour permettre aux bateaux dela mer Noire de remonter jusqu'à Tulcea. Celle aussi du petitport de Sfântu Gheorghe, capitale du caviar jusqu'à ce que lesesturgeons se raréfient ainsi que les harengs du Danube.

Aujourd'hui, les temps sont devenus durs pour toutes cesfamilles de pêcheurs qui ont vécu jusqu'ici en harmonie avecleur milieu. Le poisson s'est fait rare, les réglementations poin-tilleuses et les habitants se sentent dépossédés de leur terre parune administration qui l’a confié à des privilégiés du régime.Les jeunes ont pris le chemin de la capitale, voire de l'étranger.Mais l'espoir renaît. Il a pour nom, agro-tourisme et attire deplus en plus de visiteurs curieux de connaître ce monumentnaturel du Vieux Continent.

Traversant ou longeant dix pays et quatre capitales, leDanube n'est-il pas le meilleur symbole de la vocation del'Europe à se retrouver et à s'unir ? Au fil de ces pages, nousvous invitons à vous joindre à ce voyage là où la dimensionsauvage du continent est encore préservée.

Dolores Sîrbu-Ghiran

Delta du Danube : au bout du continent l'Europe sauvage encore préservée

A la découverte du DeltaSupplément

TourismeDécouverte

Delta du Danube

L'opéra sauvage Ils reviennent ! Le retour des "agro-touristes" Des clés pour entrer dans le royaume lacustre Une dizaine de jours au coeur du Delta La promesse de pêches miraculeuses Dieu aurait-il abandonné son peuple de pêcheurs ? Crisan, capitale sur le boulevard du soleil Sulina, fascinant port devenu fantôme Sfântu Gheorghe rêve d'Hollywood Un canal pour du blé… Une route pour perdre son âme Classé au patrimoine de l'Humanité mais accaparé par les nouveaux boyards Le corsaire et les amants de Sulina

Supplément au numéro 28 (mars - avril 2005)

de ROUMANIe

Dans “Europolis”, roman qui connût un énorme succès en Roumanie,

l’écrivain Jean Bart évoque l’étrange attirance du fascinant port de Sulina.

SOMMAIRE2 et 34 et 56 à 8

910 et 1112 et 1314 et 1516 et 1718 et 1920 et 21

22 et 2324

Quand la réalité devient presque aussi forte que la légende ou bien l'inspire... il ne faut pas s'étonner de voir surgir des destins hors du commun.

Sulina a ainsi donné naissance à Jean Bart, écrivain qui se cachait derrière le nom du corsaire de Louis XIV, et à une version plus moderne de Roméo et Juliette.