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1 LES DEFIS DU MANAGEMENT : RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE Luc BOYER, Mars 2012 Ce texte est en partie tirée des ouvrages suivants: Boyer L., Management des hommes,Editions d’Organisation, Paris 2006 ; Boyer L., 50 ans de Management des organisations, Editions d’Organisation, Paris 2005 ; Boyer L. et Scouarnec A., Les nouveaux Marchands , EMS, Caen, 1999

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LES DEFIS DU MANAGEMENT :

RETROSPECTIVE ET PROSPECTIVE

Luc BOYER,

Mars 2012

Ce texte est en partie tirée des ouvrages suivants: Boyer L., Management des

hommes,Editions d’Organisation, Paris 2006 ; Boyer L., 50 ans de Management des

organisations, Editions d’Organisation, Paris 2005 ; Boyer L. et Scouarnec A., Les

nouveaux Marchands , EMS, Caen, 1999

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INTRODUCTION

Toutes les fois que les hommes – on pourrait dire d’une façon plus générale les êtres vivants – se

trouvent réunis, ils commencent à « s’organiser », c’est à dire à mettre en place un certain ordre, une

structure, des procédures, des règles de vie en commun.

Chaque groupe d’hommes, et cela est plus particulièrement vrai dans le monde du travail, va ainsi

caractériser de façon spécifique son fonctionnement social.

L’histoire de l’Organisation –celle du Management*-se confond ainsi avec celle de l’homme.

Nous allons rapidement la parcourir ensemble en l’éclairant de diverses façons, au gré des inventions

ou innovations, découvrant que nous avons agi plus par sédimentation, ajouts d’expérience que par

véritables ruptures (celles là sont très rares) L’avenir s’est toujours construit à partir du passé avec son

lot de hasard, de nécessité et de volonté.

Des hommes de tout profil et de toute origine ont façonné les grands courants de la pensée

organisationnelle et les modèles qui se sont imposés dans la gestion des Institutions. Aux philosophes,

militaires, religieux, scientifiques, se sont ajoutés les entrepreneurs ou managers, les ingénieurs ou

consultants, les enseignants ou chercheurs, les politiques ou syndicalistes.

Tous ont, plus ou moins, été confrontés de façon caricaturale au dilemme classique :

- mettre en place une organisation pour atteindre les objectifs de l’entreprise

- définir une stratégie en fonction de ce que l’organisation peut réellement apporter.

*Nous utiliserons, par la suite, indifféremment le terme d’Organisation et de Management

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RETROSPECTIVE

L’organisation et le management pendant l’antiquité

Pendant la longue période de l’Antiquité, l’agriculture resta

prédominante : si l’industrie existe, elle est limitée à trois produits

principaux : les outils, les vêtements et la poterie. Il n’existe aucune

force motrice hors celle de l’homme employée en abondance et à bas

prix. Les mines et les grands chantiers relèvent d’entreprises d’Etat

L’exemple de l’Egypte est éclairant : en Egypte, l’influence des crues du

Nil a favorisé très tôt l’émergence des terres cultivables et l’allocation de

l’eau nécessaire. L’un des traits fondamentaux de cette civilisation était

l’absolutisme étatique : le pharaon (et son administration) était le

fondement du système, avec une légitimité à la fois religieuse, politique

et économique.

L’administration gérait le territoire et les gouverneurs des nômes (les

districts), fonctionnaires à la fois judiciaires et administratifs,

défendaient les intérêts du pouvoir central. Depuis l’époque la plus

ancienne, l’administration a toujours été fortement centralisée et

hiérarchisée.

Ce schéma sera bouleversé pendant le Nouvel Empire qui remplacera les

gouverneurs et la vieille noblesse par un corps de fonctionnaires royaux.

Une importante armée royale est mise sur pied et son développement est

à l’origine d’une ingérence de plus en plus vive dans les affaires de

l’Etat. Le clergé suivit la même évolution.

Une des toutes premières écoles d’administration pour les fonctionnaires

sera créée avec, comme programme, l’apprentissage de l’écriture, des

principes et des lois régissant la nation. Tout fonctionnaire devait avoir

été élève de cette école dans laquelle il apprenait notamment, qu’en

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Egypte, tout devait être justifié par un écrit pour avoir une valeur légale

ou officielle.

.

L’ensemble des moyens de production était la propriété de l’Etat : si la

propriété individuelle n’était pas inconnue, la terre était au pharaon. A

certaines époques, le roi était, de plus, propriétaire de tous les métiers :

chacune des administrations possédait ses propres artisans et ses propres

ouvriers, répartis en équipes à la tête desquelles se trouvait un chef. Ce

principe de forte hiérarchisation se traduisait par la production

périodique d’inventaires, de cadastres, de déclarations et de

recensements mettant en évidence une gestion financière élaborée

(comme on peut en juger en lisant les tablettes funéraires retrouvées) Il

en allait de même de la gestion des terres du clergé.

L’Egypte antique a eu un rôle majeur dans l’élaboration de la pensée

managériale dans la mesure où elle a illustré, pour la première fois (dès

3000 ans avant Jésus-Christ), la trilogie « planification-organisation-

contrôle) dans une définition de fonction qui a fait la preuve de son

efficacité dans les grands travaux.

On a pu observer, par ailleurs, que, deux mille ans avant Jésus-Christ, le

roi Hammourabi(Babylone) a fait mention de la notion de salaire

minimum. Le concept de responsabilité-culpabilité était la règle (ainsi,

par exemple, on coupait la main du chirurgien maladroit)

Sous le règne de Nabuchodonosor, on utilisait des techniques de contrôle

de la production en échange de salaires variables et stimulants.

L’organisation et le management sous l’ère romaine.

La première royauté romaine fut construite sur les restes de l’Etrurie qui

avait développé une économie pastorale où les entreprises domestiques

regroupaient, autour du père de famille, sa femme, ses enfants et

quelques esclaves.

L’expansion économique et militaire de Rome a totalement modifié le

schéma ancien de répartition des terres. Au départ, les nouvelles terres

conquises étaient distribuées aux vétérans, sous forme de colonies (du

latin colere, cultiver), ce qui répondait à la fois à des objectifs

stratégiques et à des intérêts alimentaires. Mais, rapidement, la

concentration des propriétés (en raison d’une distribution non équitable),

leur mode d’exploitation par une main d’oeuvre servile obtenue à bas

prix et la ruine des petits propriétaires ont favorisé le développement de

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latifundia (vastes propriétés) qui deviendront l’un des traits

caractéristiques de la civilisation romaine.

Souvent, les Romains vainqueurs se livrèrent à une exploitation brutale

des vaincus. L’immense patrimoine immobilier pris sur l’ennemi

devenait ager publicus, propriété de l’Etat. Celui-ci conservait

généralement les entreprises à valeur stratégique (les mines par exemple)

et les faisait exploiter en régie directe par des esclaves. Les terres de

culture étaient divisées selon deux modes de production :

les unes, les moins nombreuses, étaient données, en pleine propriété, à

titre individuel ou à titre de colonie à des Romains,

les autres, étaient donné en bail (contre redevances) à ceux qui

étaient, le plus souvent, les anciens propriétaires du sol.

La conquête militaire a ainsi totalement transformé leur condition

juridique de liberté en dépendance. Bien plus, Rome imposait parfois

aux pays conquis une réglementation économique à son profit exclusif :

par exemple, en Gaule narbonnaise, elle a longtemps interdit la culture

de la vigne et de l’olivier pour protéger la production romaine.

Ces schémas furent rompus quand l’empereur concentra tous les pouvoirs

entre ses mains, avec pour souci principal de trouver les moyens de gérer

efficacement l’immense empire qu’il cherchait à constituer. Sa puissance

militaire était renforcée par une puissante organisation administrative.

En raison de l’importance des communications, des corps spéciaux tels

que le service de la poste impériale furent créés. L’essor industriel reste

le fait le moins remarquable de cette civilisation. Même s’ils furent réels,

les progrès techniques restèrent faibles, préférant souvent employer des

esclaves plutôt que d’avoir recours à des innovations. Quand une

exploitation industrielle existe, elle est surtout de type artisanal et

fabrique des produits de bas de gamme destinés à l’exportation.

Deux siècles de pax romana en Gaule n’eurent pas pour conséquence de

créer la concentration agricole qu’on aurait pu imaginer : le nombre des

hameaux se développent plus que celui des villas-villages, un prolétariat

intérieur se constitue avec les paysans à la campagne et les esclaves dans

les villes. Un système de type féodal se met déjà en place, dissolvant

politique pour certains, usurpation de pouvoir pour d’autres.

On dispose pour suivre l’évolution de cette époque de nombreux

témoignages d’auteurs qui, parfois entrent dans le détail de la gestion :

ainsi Caton (200 ans avant Jésus-Christ) qui décrit avec précision les

fonctions d’agent de maîtrise.

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En Grèce, Xénophon, l’un des élèves préférés de Socrate,

écrit l’Anabase qui, en racontant la campagne de Cyrus

contre Artaxerxés et la « retraite des 10 000 » (400 ans

avant Jésus-Christ) donne de précieuses indications sur

l’organisation d’une armée en campagne et sur les

différents modes de commandement -parfois

démocratiques- appliqués dans l’armée grecque.. Dans sa

« République », Platon trace les premières esquisses

d’une science économique et pose la spécialisation comme

source du rendement.

L’organisation et le management au Moyen-Age

On peut considérer que la notion d’Etat est absente pendant la période

allant du Vè au X

è siècle. L’ordre romain étant détruit, un nouvel ordre

parvint à s’établir en cinq siècles : l’un spirituel, la foi chrétienne, l’autre

temporel, la féodalité fondée sur la puissance de l’homme de guerre.

Le système mis en place consacrait l’importance des relations humaines.

L’exploitation du sol -le modèle domanial- a marqué toute la première

partie du Moyen-Age. Il semble être le résultat de problèmes

d’exploitation posés au maître par un esclavage en déroute et des

possessions dispersées et l’on observera plusieurs solutions, notamment

en Gaule du Nord.

Stabilisé, le système durera quatre siècles : l’idée, assez répandue,

d’anarchie féodale est sans doute fort exagérée : l’autorité, dans ces

espèces de principautés, était d’autant plus réelle et efficace qu’elle

correspondait aux structures sociales, techniques et mentales de l’époque.

Bien qu’on puisse se représenter cette période comme un ensemble

d’entités socio-économiques produisant, avant tout, les denrées

nécessaires à leurs propres besoins, le féodalisme n’a pas empêché les

échanges commerciaux : l’époque en a connu de très importants.

Dès le XIIè siècle, l’Europe Occidentale était parvenue au stade de la

consommation indirecte et ce, pour deux raisons :

d’une part, grâce à l’amélioration des conditions de production

agricole et à l’extension des zones cultivées qui créaient des surplus

en nature qui, pour être rentables, devaient être vendus,

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d’autre part, du fait du développement concomitant des villes qui

abritaient les artisans prêts à acheter ces denrées.

Une nouvelle classe de marchands se formait ainsi ayant principalement

deux origines : ce pouvaient être des agents du seigneur (ou ses paysans)

qui représentaient ses intérêts ou qui s’installaient à leur propre compte

et les agents des commerçants spécialisés.

Au fur et à mesure que les villes grandissaient, elles offraient aux

paysans une possibilité nouvelle d’emploi, même précaire, tout en

contribuant à une modification importante des rapports au sein des

domaines seigneuriaux : les villes, fortes de leur importance et de leur

nouveau rôle économique, eurent vite assez de puissance pour se doter

d’une organisation particulière : les Communes ou les Franchises.

L’organisation comme les rapports entre les différentes parties

prenantes du régime féodal ont, paradoxalement, des résonances très

modernes, à une époque où des formes très variées de maillage,

d’artisanat plus ou moins intégré à l’entreprise se développent.

L’organisation et le management à la période moderne

Le XV° siècle est marqué par l’arrivée au pouvoir de Louis XI en

France, d’Isabelle de Castille en Espagne et de Henri VII en Angleterre

qui, tous, rétabliront l’ordre intérieur. Cette convergence de l’arrivée

d’un pouvoir central fort n’est pas du au hasard : des innovations de la

plus haute importance modifient profondément les rapports entre

individus et pouvoir central, donnant à celui-ci la possibilité, la nécessité

d’agir comme entrepreneur, régulateur, médiateur…Il en fut ainsi pour la

généralisation de l’imprimerie(dont on ne dira jamais assez

l’importance), les modifications de la forme des bateaux(les caravelles)

et les instruments de navigation(astrolabe…), les armes à feu bien utiles

pour favoriser le commerce…

L’Etat, c’est désormais un roi dont la légitimité est de nouveau forte, une

bureaucratie chargée de la gestion du royaume et, enfin, divers corps

consultatifs que le pouvoir met en place pour être assisté dans

l’établissement et l’application de la législation fiscale.

Le nouveau système est fondé sur un mécanisme de marché international

fonctionnant avec l’aide de l’Etat sans que ce dernier en ait

véritablement le contrôle.

Trois conditions ont été nécessaires à cette évolution :

un agrandissement du monde géographique concerné,

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la mise au point de méthodes de travail et de contrôle de ce travail,

différentes selon les types de production et les régions,

la mise en place d’appareils étatiques puissants.

Le Portugal a joué un rôle pionnier dans cette évolution.

C’est le développement urbain qui permettra les premières

manifestations du capitalisme, en premier lieu sous une forme

commerciale. On les voit apparaître essentiellement dans deux régions

économiquement favorisées : les Flandres et l’Italie du Nord. Le

commerce maritime avec l’Orient a doté les républiques italiennes d’une

grande masse de capitaux et les Pays-Bas ont été l’un des principaux

entrepôts entre l’orient et l’Europe du Nord.

L’organisation nouvelle, qui annoncera plus tard la grande industrie, est de

type « industrie domestique » caractérisée par l’importance des corps de

métier et la parcellisation des unités de production.

Les artisans, surtout dans les métiers de l’alimentation, du bâtiment et du

vêtement disposent eux-mêmes de leurs moyens de production. Ils

travaillent seuls ou avec un ou deux compagnons et vendent directement

leur production. Le régime corporatif -l’organisation des communautés

de métier- tend à maintenir l’artisan dans une situation assez humble, en

s’opposant à la concurrence, en limitant le nombre d’apprentis et en

assurant à tous la main d’oeuvre mais en quantité limitée.

Dans l’immense majorité des villes, les corporations ont maintenu le

régime de la petite industrie. C’est en tout cas dans ce contexte de

structuration des métiers que vont, petit à petit, se développer les

premières industries.

Pourtant, s’il existe quelques entreprises que l’on puisse qualifier de

privée, elles sont largement soumises au contrôle et à la réglementation

étatique.

Le plus curieux est que, pendant cette période d’initialisation, l’idéologie

dominante n’était pas celle de la libre entreprise ou de l’individualité.

L’idéologie est celle de l’étatisme ou de la Raison d’Etat. Sauf peut-être

aux Pays-Bas (les Provinces Unies), cette omniprésence de l’Etat

intervient selon deux schémas tout à fait différents :

soit, il s’agit de protéger les commerçants et les producteurs et de

créer des conditions favorables à leur développement,

soit, il s’agit, de façon résolue et autoritaire de créer une industrie.

Ces deux schémas simplifiés peuvent être ceux qu’ont connu

respectivement les villes italiennes et la France de Colbert.

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Cependant, au-delà de ces différences, l’exigence croissante d’une

production de masse, le recours à un salariat important mais varié quant

à son statut, nécessitent pour l’Italie comme pour la France la mise en

place d’une organisation et d’une gestion des hommes complexes.

Le modèle vénitien

Venise avait bâti sa renommée sur son commerce avec

l’Orient dont elle avait le quasi-monopole. Ce commerce

s’effectuait par voie maritime. Très rapidement les

marchands décidèrent de construire leurs propres navires,

en plus d’être armateurs.

Pendant quelques 150 ans, la construction navale fut

l’apanage des maîtres-artisans aidés de leurs compagnons

: cette forme plutôt inefficace (manque de capitaux,

incapacité à suivre le rythme de la demande,...) n’a

rapidement plus répondu aux exigences des marchands.

Après être intervenu en donnant des aides aux

constructeurs, l’Etat est devenu lui-même producteur en

créant l’Arsenal qui compta rapidement 2000 ouvriers.

L’organisation était assez souple mais semblait suffisante.

Des agents de l’Etat avaient pour tâche de transmettre les

ordres du Sénat à l’Arsenal. Le Sénat avait même créé des

commissions consultatives pour résoudre certains

problèmes d’importance : elles avaient une mission de

type stratégique. La gestion était assurée par des

conseillers politiques.

Le processus de production était divisé en trois

départements :

le premier avait la charge de la construction de

l’infrastructure du navire,

le second, la mise en place des planches sur

cette infrastructure,

le troisième, la finition.

Dans les deux premiers travaillaient des maîtres-artisans,

encadrés dans une forte organisation corporative. La

puissance de cette dernière faisait que, d’une part, le

Sénat leur avait maintenu certains privilèges liés à leur

métier (par exemple, le droit de garder les retailles de

bois pour leur usage personnel), et, d’autre part, que ces

artisans profitaient de leur corporation pour tenter de

travailler moins durement. Il en résultait une discipline

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assez relâchée. Les contremaîtres et les superviseurs que

le Sénat avait essayé de mettre en place étaient mal

acceptés, les artisans ne reconnaissant que la compétence

technique.

Les essais de standardisation des tâches furent peu

nombreux. Il est intéressant de constater que c’est dans le

troisième département, celui où les artisans étaient les

moins nombreux, que l’organisation était la plus

structurée.

Le problème de la gestion comptable s’est très vite posé.

Curieusement, pour ce concerne les stocks de bois, si

essentiels pour une telle industrie, le laisser-aller était la

règle. En revanche, le système comptable, au sens strict,

était très développé : un italien du nom de Pacioli an avait

établi les grands principes.

Pendant la même période, dès le XV° siècle, en Italie du Nord, les

familles marchandes avaient recours à des manufactures disséminées

dans les provinces (F. Braudel, 1984), tout comme Benetton cinq siècles

plus tard.

Au XVI° siècle, lorsque les coûts de la main d’oeuvre locale devinrent

trop élevés, les familles firent appel à de la main d’oeuvre étrangère

venant de Grèce, de Chypre et de Dalmatie, voire des Flandres et

d’Angleterre où la main d’oeuvre était meilleur marché et la

réglementation plus souple.

Les chantiers navals de Venise représentaient le plus grand ensemble

industriel du monde à cette époque. Ils savaient distinguer les coûts

(fixes, variables, extraordinaires), tenir une comptabilité matières et

financière et des inventaires. La productivité reposait sur la

spécialisation.

A peu près à la même époque, lors d’une guerre contre l’Angleterre, les

chantiers navals hollandais pouvaient produire un vaisseau par jour, si on

leur donnait trois mois pour s’organiser, ce qui n’est pas sans rappeler la

performance des chantiers Kaiser qui lançaient un liberty ship en cinq

jour pendant la seconde guerre mondiale.

Le modèle français

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Sous Colbert (entre 1660 et 1690), l’intervention de l’Etat dans les

affaires économiques était justifiée par la volonté de créer une industrie

en France. Colbert était persuadé que seul l’Etat était capable de rétablir

la grande industrie. Les particuliers n’étant pas en mesure d’avancer les

capitaux nécessaires à la création des manufactures, l’état devait s’en

charger.

Par le jeu des concessions de monopoles de fabrication, l’Etat se donnait

les raisons d’intervenir, en particulier par voie réglementaire, pour lever

toute incertitude quant aux approvisionnements et aux débouchés.

De leur côté, les ouvriers devaient se soumettre à des codes de conduite

précis : Colbert avait mis au point un système de contrôle de leur

application. Au sommet de la pyramide se trouvait le superintendant-

général, c’est-à-dire le ministre même.

Il nommait les inspecteurs qui avaient pour mission de veiller au travail

dans les manufactures et de surveiller les gardes et jurés chargés de faire

appliquer les règlements par les Municipalités où étaient situées les

fabriques. Les intendants devaient régler les conflits entre inspecteurs et

gardes et renseigner le pouvoir sur l’état des manufactures.

Tout était prévu et planifié par des règlements trop nombreux pour

permettre une quelconque initiative personnelle en cas de problème. Il

fallait dans ce cas remonter au niveau le plus haut de la hiérarchie (celui

de Colbert) qui récrivait le règlement pour tenir compte de la nouvelle

situation. Ce système, très lourd, freinait toute évolution.

L’objectif du producteur n’était pas la production à faible coût mais celui

d’une production de très haute qualité. Les ouvriers étaient surtout des

artisans, payés cher et à qui l’emploi était presque garanti à vie.

Ce nouveau mode de production, mal admis par les maîtres-artisans

travaillant en usine -lieu clos auquel ils n’étaient pas habitués et soumis à

un contrôle strict- n’a pas facilité les relations sociales de sorte que de

nombreuses grèves éclatèrent.

Le système s’effondra assez rapidement sans que l’on sache trop si la

cause de la chute était la surprotection de l’Etat, le manque de dynamisme

des producteurs ou l’indiscipline des ouvriers.

A la même époque, l’organisation de « La Ferme » générale par Sully et

Colbert pour collecter les impôts avec efficacité peut être considérée

comme un exemple dont on peut noter la modernité.

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Très centralisées, strictement stratifiée, les administrations des impôts

indirects de l’Ancien Régime correspondent tout à fait à ce que M.

Crozier appellera le modèle bureaucratique français.

Dans un autre domaine, celui des fortifications et des grands travaux, il

est intéressant de rappeler, qu’au XVIII° siècle, Vauban recommande de

clarifier la raison d’être d’un projet, de procéder à un diagnostic de la

situation, d’élaborer des plans d’actions, de budgéter à partir des crédits

alloués, d’exécuter et de contrôler : avant l’heure, c’était déjà Fayol.

Il conseille de « rémunérer les ouvriers non au temps mais d’après le

volume de terre enlevée et la nature du terrain.

En France toujours, Jacques Savary publie en 1675 « le parfait

négociant » qui indique à celui qui investit dans les usines de production

trois stratégies possibles :

soit, se lancer dans une production courante,

soit inviter une fabrication étrangère,

soit créer un produit nouveau.

Il décrit les emplois et identifie les compétences associées en notant que

l’évolution des moeurs crée beaucoup de soucis au manager : « Les

apprentis devraient aussi suivre la bonne et ancienne coutume d’aller les

dimanches à la messe de paroisse avec leurs maîtres. Cela se pratiquait

par tous les négociants il n’y a pas encore 30 ans; mais la plupart des

maîtres d’aujourd’hui se sont relâchés, parce que la plupart sont aussi

libertins que leurs apprentis, aussi ne faut-il pas s’étonner des désordres

qui arrivent journellement dans le commerce.

Colbert s’inspira de la visite de Henri III aux arsenaux de Venise en

1574 pour monter une formidable opération de propagande : l’arsenal de

Toulon devait construire un vaisseau en 7 heures, d’où une très

remarquable organisation avec des notes de management, une mesure

des temps, des modes opératoires et une description de postes.

Les leçons de l’histoire en matière d’organisation

L’analyse historique des méthodes d’organisation et de management

permet de prendre conscience du fait que les rapports d’autorité et la

forme des structures mises en place diffèrent selon le contexte plus ou

moins complexe dans lequel ils s’établissent.

Toutes choses égales par ailleurs, ce contexte permet souvent

d’expliquer pourquoi et comment les différents systèmes ont pu résister

ou ont échoué.

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Une organisation se maintient quand un système de valeurs et

d’identification des relations sociales est clairement identifié. Le chef se

donne des titres et sa nomination, ou son investiture, sont entourées d’un

cérémonial qui permet de l’identifier comme tel : Napoléon se fit

nommer empereur en mémoire de César et de Charlemagne.

La période féodale a pris fin, en tant que principe social, quand les

nécessités de la guerre ont imposé une réforme de la tactique et de

l’armement. Les paysans furent regroupés en milices et encadrés par des

généraux que le roi ou l’empereur nommait en personne : c’est cette

centralisation de la force armée qui a permis l’affirmation de la notion

d’Etat.

L’élément moteur du développement économique qu’a représenté la

bourgeoise en Occident était, en Chine, presque entièrement consacrée à

la défense et au maintien de traditions et de valeurs ancestrales.

L’évolution de la science de l’organisation et du management montre

combien les méthodes de gestion, pour élaborées qu’elles soient,

deviennent peu satisfaisantes lorsqu’elles n’intègrent pas le nouveau

contexte. Déjà, Sun Tzu insistait sur la nécessité, pour le guerrier, de

s’adapter aux facteurs déterminants de l’environnement.

A NOTRE AVIS

L’approche historique de l’organisation met en évidence

quelques caractéristiques communes aux différentes époques et

aux groupes évoqués, comme par exemple :

la spécialisation qui procure l’efficacité,

l’existence d’un chef, d’un leader organisant le groupe,

la nécessité d’avoir une vision ou une mission pour sceller le groupe,

le rôle, ou la nécessité, d’un Etat pour engager de grands

travaux, avec des modalités d’intervention fort différentes

selon le contexte, avec souvent des dérives bureaucratiques ;

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l’état se prenant en quelque sorte au jeu, diminuant de ce fait

l’initiative individuelle.

Les changements organisationnels et politiques forts ont

toujours été provoqués par les ruptures entraînées par des

innovations qui nécessite généralement la mise en place et

l’intervention d’un pouvoir fort.

Ce pouvoir central a très vite pris deux formes différentes :

-soit l’état prenait directement en compte l’application des

innovations (les grandes fabriques de Colbert)

-soit l’état considérait que son rôle devait de limiter à faciliter

la dynamique des entrepreneurs privés(globalement,

l’approche anglo-saxonne)

Beaucoup ont vu derrière ces orientations fort différentes et

qui allaient marquer pour longtemps les politiques

économiques et sociales des états une différence d’origine

religieuse(Max Weber) entre les catholiques et les tenants de

la réforme.

De la révolution industrielle à nos jours, il est d’un grand intérêt

de constater combien ces caractéristiques conservent, au-delà

des chocs technologiques, leur permanence.

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LA REVOLUTION INDUSTRIELLE :

L’ORGANISATION SCIENTIFIQUE DU

TRAVAIL, L’ECOLE CLASSIQUE.

L'école dite classique 1 désigne l’ensemble des approches qui, à la suite

des théories de Taylor ou Fayol, ont étudié l'organisation des entreprises

en se référant à un certain nombre de principes.

Le principe hiérarchique qui décrit l'entreprise comme une succession

d'échelons, dont le niveau supérieur détient l'autorité qui se décline dans

les échelons subordonnés par délégation : « l'autorité descend par une

ligne continue et nette, une échelle bien définie de postes » (B. Lussato,

1977)

Le principe de l'unité de commandement, énoncé par FAYOL, qui

subordonne l'autorité fonctionnelle à l'autorité hiérarchique,

contrairement à TAYLOR qui soutient la seule autorité de compétence.

Le principe d'exception, très proche du principe de subsidiarité, selon

lequel les tâches habituelles ou routinières (programmées) doivent

être.confiées au niveau le plus bas, seules remontant au supérieur

hiérarchique les tâches exceptionnelles.

L'optimisation de l'éventail de subordination, c'est-à-dire la recherche du

nombre optimum de subordonnés qui délimite le pouvoir hiérarchique et

l'importance de la délégation: un éventail étroit conduit à des structures

bien coordonnées et étroitement contrôlées, réputées efficaces mais peu

propices à l'initiative alors que des structures dites plates demandent des

hiérarchiques de qualité et stimulent la créativité.

Le principe de la spécialisation organisationnelle appliqué par

TAYLOR à l'organisation des postes de travail et sujet de nombreuses

discussions par la suite.

L’application d'une méthode scientifique qui s’inspire de la méthode

expérimentale de Claude Bernard.

Comme on le voit, il ne s'agit pas simplement d'une théorie sur

l'organisation du travail - vision réductrice fréquente du Taylorisme-

mais une approche globale de l’organisation de la firme.

1 Ainsi nommée par de nombreux auteurs anglo-saxons

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Certes, il y eut de nombreux précurseurs qui ont constaté l’efficacité

d'une organisation scientifique du travail. Sans aller chercher des

exemples dans l'antiquité, nous mentionnerons les travaux de Ricardo et

surtout d‘Adam Smith. Celui-ci, dès 1776 décrit l'exemple devenu

célèbre de la manufacture d’épingles où des ouvrières, par une

spécialisation des tâches (concept de postes successifs le long du

processus de production) produisent relativement beaucoup plus qu’avec

une production effectuée par des individus travaillant de façon

autonome.

La révolution industrielle, en environ un siècle ( XIXe et début du XXe

siècle ) a intégré 3 grandes innovations majeures que furent la machine à

vapeur, l'électricité ainsi que les télécommunications.

Ces innovations allaient permettre la création et le développement des

grandes entreprises fondées d'une part sur une forte concentration de

capital fixe entraînant une intégration sociale poussée, et d'autre part sur

l'écoulement de produits sur des marchés importants et souvent lointains,

permettant ainsi la naissance de la grande entreprise.

La rentabilité du capital investi, tributaire du profit d'exploitation,

exigeait une organisation efficace dont une des caractéristiques devait

être l'accroissement de la productivité (et pas seulement de la

production) La rentabilité supplémentaire devait servir non seulement à

rémunérer le capital mais aussi à accroître les rémunérations donc le

pouvoir d'achat du personnel, déclenchant ainsi le cercle vertueux du

développement.

Observant et étudiant le travail et l'organisation, les chercheurs,

consultants, entrepreneurs qui ont mis en oeuvre cette révolution

industrielle avaient une démarche "scientifique", assimilant le

management à une science comparable à celle de l'ingénieur. La

dimension privilégiée pour l’étude du travail était le temps, la réduction

du temps passé à une fabrication étant créateur de productivité.

Par l'étude et le chronométrage des gestes (l‘œuvre des techniciens), on

doit arriver à mettre en évidence la meilleure façon d'agir (the one best

way)

Celle-ci consiste à simplifier, spécialiser le plus possible le travail des

opérateurs (l'origine des O.S.), créant pour chaque mini transformation

un "poste", unité élémentaire organisationnelle, dont la description

permettra d'exprimer les compétences nécessaires à sa maîtrise. Il suffira

alors de faire coïncider caractéristiques du poste et des hommes pour

obtenir, avec un minimum de formation, l'efficacité souhaitée. Tout

homme peut ainsi trouver une place, sa place dans l’entreprise (quel que

soit éventuellement son handicap) La socialisation de la Société était

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lancée.

Certes "la paresse naturelle des ouvriers à produire", c'est-à-dire, "la

tendance de tous les hommes à la paresse et à une flânerie systématique

due au non-intérêt des ouvriers à produire"2 va nécessiter la mise

remplace de système de motivation, essentiellement des primes ou des

salaires élevés (alors même que les employeurs ne cherchent que les bas

coûts de production)

En France, Henri Fayol, ingénieur, Directeur général de la grande

entreprise Commentry-Fourchambault-Decazeville, fort d'une vie

d'expérience, écrivait à 75 ans, sans doute un des plus importants

ouvrages de la littérature du management jamais produit

« Administration industrielle et générale » (1916) Si à première vue,

l’approche globale est fondée sur les mêmes constatations que l'Ecole

américaine, la réflexion organisationnelle, manageriale va beaucoup plus

loin.

Au-delà de la dimension technique, il s'efforce de démontrer que

l'administration des entreprises, le management passe par la maîtrise de

quelques activités clés comme :

Commerciales (achat, vente, échange)

Financières (recherche et gestion des capitaux)

Sécurité (protection des biens et des personnes)

Comptables (inventaire, bilan, prix de revient...)

Administrative ou de direction (prévoyance, organisation,

commandement, coordination, contrôle)

Et bien sûr, technique.

Chaque poste est appelé à mettre en oeuvre une combinaison de

plusieurs fonctions ; les postes étant très chargés en fonctions

administratives(managériales)

On imagine facilement le succès qu’à pu connaître ce type d'apport, en

particulier aux Etats-Unis où l'enseignement de la gestion s'est inspiré

plus ou moins totalement des concepts développés par Fayol (en France,

les IAE - Institut d’Administration des Entreprises- ont repris presque

littéralement dans leur intitulé le titre de l'ouvrage de Fayol)

Ces concepteurs de l'organisation industrielle ont eu de très nombreux

disciples. Quelques-uns uns ont surtout retenu ou développé l'aspect

productiviste allant jusqu'à négliger la dimension morale des fondateurs.

2 Taylor: Principles of Scientific Management, 1911

18

Certains nous accompagnent encore tous les jours comme Gantt

qu’aucun logiciel de gestion de projet ne peut ignorer. Parmi les

nombreux développeurs ou disciples, on peut retenir Gilbreth, Bedeaux,

Koonts, O’Donnel, Rimailho, Gulick, Urwick, Mooney, Brech…

L'organisation décrite par Max Weber est un des développements

intéressants de cette époque. La dimension rationnelle, fondée sur des

normes, des procédures, des compétences, sans préférence personnelle

apporte à chacun efficacité et liberté (en dehors du travail) Remarquons

que dans ce type d'organisation, défend Weber, il est utile que se

développe une attitude morale particulière, comme celle apportée par la

religion protestante, avec sa croyance en une rédemption fondée sur une

activité créatrice sur terre.

On connaît les très vives critiques que les sociologues, psychologues,

chercheurs (en particulier l‘Ecole des Relations Humaines) feront à cette

école classique ; en particulier, l’approche toujours sommaire de la

physiologie du travail (on ne s'intéresse qu'à la fatigue), l'absence des

composantes psychologiques et sociologiques du travail ; en résumé, le

peu de cas attaché à la dimension humaine de l'entreprise et à

l'épanouissement des individus.

La réaction des syndicats, un peu curieusement, fut contrastée entre les

syndicats américains fortement opposés (crainte du chômage dû à

l'amélioration de la productivité, détournement du profit au seul bénéfice

des patrons) et les syndicalistes européens, du moins pendant la première

moitié du XXe siècle, beaucoup plus nuancée( les salariés allaient

pouvoir, en s’appuyant sur des données objectives, demander leur part

de l’augmentation des richesses produites)

L'adoption par Alexei Stakhanov, en Union soviétique d'une méthode

hautement productiviste (au grand mécontentement des syndicalistes

soviétiques férocement réprimés), apporta, en partie, un prolongement.

Les points de vue de Léon Jouhaux (fondateur de la CGT), de Jaurès ou

Clemenceau voyaient dans le principe de productivité mesurée

rationnellement - pour peu qu'on contrôle l’application - un moyen

d'obtenir une diminution du temps de travail et/ou un salaire accru.

Toutes les fois que le travail ou la "production" est directement lié au

temps passé sur un poste et à l'organisation de celui-ci (importance des

gestes), l'organisation scientifique du travail a tendance à subsister sur

une forme ou sous une autre. Mais avec le développement du savoir, de

l'innovation, du travail en équipe (groupe projet), avec l’exigence d’une

équité sociale, de la RSE, l'Ecole classique perd beaucoup voire

19

totalement de sa pertinence ; de nouveaux modèles d'organisation sont

nécessaires pour venir, en complément ou en substitution, assurer la

performance de l'entreprise.

A NOTRE AVIS

Les théories et pratiques de l’offre classique sont liées au développement

de l’ère industrielle qu’elles ont largement favorisée. Elles ont

longtemps rencontré l’adhésion des entrepreneurs et, paradoxalement,

du moins en France, celle des syndicalistes.

L’efficacité de ces méthodes pour la maîtrise et l’amélioration de la

productivité ont été telles qu’elles ont été adoptées dans pratiquement

tous les pays du monde, lors de la mise en place de l’industrie moderne.

Plus, lorsque, sensible aux critiques, les entreprises ont partiellement

abandonné ces approches, elles se sont empressées-souvent sous la

pression des états – de les reprendre lors des conflits du 20° siècle.

Enfin, dans les pays émergents rares sont ceux qui ont pu court-circuiter

cette phase taylorienne, comme s’il s’agissait d’une espèce

d’apprentissage, de période transition dont on ne savait faire

l’économie.

Elles expliquent aussi pour beaucoup la naissance et le succès du

concept de classes sociales à la même époque

Encore en vigueur dans divers pays en plein développement

économiques, ou co-existant avec d’autres approches, elles sont,

malheureusement, à l’origine de nombreuses dérives désastreuses sur le

plan social qui ont amené, par contrecoup l’apparition des courants de

pensée tenant davantage compte des individus au travail.

20

L’ECOLE EMPIRIQUE OU NEO-

CLASSIQUE

De façon pragmatique, au moment les grands fondateurs-

propriétaires des empires industriels du 19°siècle cédaient

progressivement la place aux dirigeants salariés, ceux-ci, de façon

pragmatique plus qu’idéologique créent l’Ecole néo-classique, dite

aussi empirique, en s’efforçant de réaliser une synthèse des écoles

précédentes :

de l’Ecole classique, ils retiennent la valeur d’une approche

scientifique,

de l’Ecole des Relations Humaines, la place donnée à l’homme et

l’intérêt de sa motivation.

Le management est la fonction sociale

la plus importante de l’entreprise (P.

Drucker)

Beaucoup de fondateurs de la grande

industrie moderne peuvent être

considérés comme exemplaires au

regard de l’histoire des organisations.

Il en est ainsi, parmi bien d’autres, de

Cordivier (General Electric), de

Watson (IBM) et de Sloan(General

Motors)

L’Ecole néoclassique recouvre deux

grandes périodes :

celle des théories managériales visant à la

coordination des activités dans une

démarche essentiellement pratique,

derrière A. Sloan,

l’Ecole néoclassique proprement dite dont

les propositions les plus connues sont la

Direction par objectifs (P. Drucker et O.

Gélinier) et l’excellence (T. Peters et R.

Waterman)

La base de cette Ecole empirique est le concept de

« décentralisation coordonnée »

D’une part, on ne saurait rejeter le concept de postes (unité

élémentaire de transformation), base de toute organisation,

21

définissant pour chacun ce que la structure attend de lui en terme

d’activités et de résultats.

Mais d’autre part, pour obtenir une motivation et implication

fructueuses, il vite apparu nécessaire de donner du pouvoir, des

degrés de liberté aux travailleurs et à l’encadrement. D’où

l’apparition des centres de profit, de la décentralisation des

activités, de la divisions(produits, marchés, géographie…), le tout

étroitement coordonné, contrôlé par le contrôle de gestion mais

aussi par un corps externe d’auditeurs rendant compte directement

à la direction générale.

Ce qui donne l’unité à cet ensemble, c’est d’abord le budget,

somme de toutes les prévisions de chacun des sous-ensembles ; ce

sont ensuite les objectifs individuels et collectifs, source du

système de récompense mais également garant du respect du

budget.

La Direction générale progressivement mettra en place une

animation matricielle (par exemple, fonctions/ produits ou

produits/marchés) animant directement las fonctions qu’elle

considère comme stratégique comme les achats, la finance, la

recherche…( le fameux « think globally, act locally »reste encore

aujourd’hui un des piliers de cette animation de la firme)

A NOTRE AVIS

Les tenants des courants néo-classiques se signalent par

l’empirisme de leur démarche qui leur a permis de s’approprier

les éléments méthodologiques et les outils à la base des « success

22

stories » de leurs devanciers et d’obtenir ainsi des résultats

remarquables.

Le profit, dans une telle firme devient à la fois l’objectif principal

et la conséquence d’une structure, sorte de compromis entre une

décentralisation et une forte coordination.

Ce modèle empirique va progressivement devenir la règle de

fonctionnement des firmes internationales et celui qui est

enseigné dans les business schools du monde entier : ces Ecoles

qui continuent de former les étudiants et cadres à la maîtrise des

fonctions(Fayol) tout en utilisant des techniques

« décloisonnantes », comme l’étude des cas, le travail en groupe.

Toutefois, sous la pression de l’internationalisation non

seulement des marchés mais des capitaux, la cohésion sociale

voire la socialisation chère à Taylor a tendance à s’effacer pour

privilégier une gouvernance fondée sur une norme de profit qui

conduit les dirigeants à un management de court terme ou tout

au moins à privilégier le maximum de flexibilité, pas toujours

compatible avec le respect de la dimension humaine et plus

généralement avec un discours fondé sur la responsabilité

sociale et environnementale.

PROSPECTIVE : REALITES ET TENDANCES

Depuis la mise en place du plan Marshall, le développement des

multinationales et des Business Schools…, un certain nombre de

concepts, méthodes ou outils ont été progressivement adoptés par la

grande majorité des firmes ou des Organisations. Mais la nouvelle

révolution technologique (les NTIC), les changements

environnementaux(la mondialisation) avec l’apparition de

nouvelles exigences sociales…permet d’imaginer des dimensions

managériales nouvelles. Ce sont ces éclairages sur le management

actuel ou futur que nous allons décrire sommairement.

23

LA REMUNERATION

Au-delà des obligations légales et conventionnelles, la politique de

rémunération illustre le système de valeurs de l’entreprise en raison

des choix effectués quant aux critères utilisés pour la mettre en

place. Ces critères sont nombreux et parfois antinomiques :

la contribution du salarié à la performance de la firme. Cette

contribution peut être immédiate, différée (selon son

potentiel), indirecte (selon ses comportements) ; elle est

sujette à l’impact des phénomènes de rareté, aux éléments

sociaux comme l’âge, la carrière, à la sécurisation (famille,

retraite, prévoyance), aux indemnités en fonction des

conditions de travail ;

l’équité interne nécessaire fondée sur le vieux principe « à

travail égal salaire égal » souvent transformé en « à résultat

égal salaire égal » auquel s’ajoute la volonté de parité

homme/femme ;

la compétitivité externe de l’entreprise pour attirer et

fidéliser les meilleurs éléments ;

la stratégie générale de l’entreprise.

Comme tout outil de gestion des ressources humaines, la

rémunération s’efforce de concilier deux objectifs apparemment

contradictoires eux aussi : la différentiation des salariés (selon les

métiers, les responsabilités, l’implication ou la performance

individuelle) et l’intégration dans l’entreprise qui implique une

certaine unité du traitement des individus.

Elle peut revêtir plusieurs aspects et être directe (le salaire

proprement dit), indirecte (la participation, l’intéressement, les

avantages en nature), variable ou conditionnelle, selon les résultats

de l’entreprise. De plus en plus se répand la notion de rémunération

globale. Les augmentations peuvent être individualisées ou

générales : une tendance lourde semble être une individualisation

des rémunérations.

24

Des formules, souvent assez complexes, permettent de tenir compte

des résultats du groupe ou de la firme, en même temps que ceux de

l’unité de travail et de l’intéressé.

La contrainte commerciale, c’est-à-dire la maîtrise et le

développement du chiffre d’affaires, est une des préoccupations

constantes de ces dernières années quand bien même d’autres

impératifs (analyse, gestion de projet, responsabilité des chefs de

projet dans la performance de l’entreprise) doivent se voir

reconnus.

La rémunération globale dépasse le seul aspect du salaire et des

primes diverses (dont les commerciales) pour tenir compte d’autres

éléments importants comme la volonté de minimiser l’impact fiscal

et celle de maximiser les « benefits » : pour de nombreux salariés,

le « comment » est souvent aussi important que le « combien. C’est

ainsi que l’entreprise pourra rémunérer :

le lieu et les frais d’habitation pris en compte avec ou sans

forfait ;

des éléments de protection sociale (retraite et mutuelle

complémentaire, prévoyances diverses, …)

les congés, vacances, etc. ;

la voiture, le téléphone et l’ordinateur portables ;

la mise à disposition de cartes de crédit,…

Le développement de la rémunération globale repose sur une

approche financière et fiscale évidente : pour une somme donnée

dépensée par l’entreprise, le salarié pourra jusqu’à percevoir le

double de ce qu’il bénéficierait sous la forme salariale. Par ailleurs

se met en place-certes timidement- des politiques de cafeteria plan

c.a.d. de rémunération à la carte.

On comprend que la maîtrise des pratiques de rémunération globale

suppose un grand professionnalisme des responsables de la

rémunération en matière de fiscalité personnelle : de ce fait elle

concerne de prime abord les cadres dirigeants pour s’étendre

progressivement au reste de l’encadrement.

25

La rémunération des compétences(voir ci-dessous la gestion des

compétences)reste un problème récurrent qui ne trouve pas,

actuellement, de réponses réellement satisfaisantes. La nécessité de

les rémunérer est maintenant clairement admise et ce pour de

nombreuses raisons :

la plasticité actuelle des structures et des organisations a un

impact sur la nature des emplois, la variété et la complexité

des missions et les modifications des contenus des postes.

Les pratiques de rémunération fondées sur des

classifications trop précises comme le sont celles des

conventions collectives des années 1970 souvent encore en

cours ne sont plus compatibles avec ces mutations ;

la pression exercée par les souhaits de carrière des salariés

entraîne souvent un développement des compétences qu’ils

détiennent : ils entendent bien tirer avantage de leur

recherche d’une progression de leur maîtrise dans leur

métier ;

les évolutions technologiques débouchent fréquemment sur

la création de postes de spécialistes non identifiés dans les

classifications ;

la seule rémunération de l’emploi pilotée en termes de

contrôle de gestion, est très rigide : elle ne tient pas compte

des potentiels des individus et, de ce fait, peut être

stérilisante même à court terme.

Les modalités de rémunération des compétences doivent apporter

une réponse aux nombreuses questions qu’elle pose et faire l’objet

de communication et de formation pour accompagner une mise en

place qui heurte encore beaucoup. Plusieurs questions doivent en

effet être résolues :

quelles sont les compétences visées (ce qui suppose

l’existence d’un référentiel précis, accepté et à jour) ?

quels sont les liens à valoriser entre les éléments de

rémunération (fixe ou variable) et la détention de

compétences ?

quel niveau d’intégration dans l’espace (compétences

individuelles ou d’équipe) et dans le temps (lié au métier,

au poste) doit être pris en compte ?

26

quels outils de mesure et modalités d’appréciation doivent

être développés et acceptés par tous les intéressés ?

LA GESTION DES COMPETENCES

Selon l’OCDE, la France consacre moins de 8 000 dollars par an à chacun de ses étudiants, contre 9 500 pour un étudiant anglais, un peu plus de 10 000 pour un étudiant japonais ou allemand, 18 000 pour un étudiant suisse et 19 000 pour un étudiant américain.

La pertinence d’une approche par les postes –approche encore très

utilisée et pas seulement dans les activités de transformation-est de

plus en plus inadaptée aux knowledge workers et plus

généralement aux nouvelles formes d’organisation : d’où le

développement rapide de la prise en compte des compétences

comme outil de gestion ou d’organisation. L’activité de travail est

le moyen le plus sûr pour parvenir à identifier les compétences

requises par tel ou tel poste de travail : les compétences se voient

dans l’action. Toutefois, le risque de masquer les compétences

cognitives mobilisées (les savoirs) rend nécessaire de décomposer

les activités en capacités, savoirs, conditions de réalisation, etc. Il

faut donc distinguer les savoirs ou compétences cognitives

transférables et mesurables, les savoir-faire, les comportements

appréciables et prédictifs de potentiels et les traits de caractère

perceptibles s’ils sont stables et porteurs de développement des

compétences.

Les compétences sont appréhendées par niveau. Il en existe au

minimum trois (de base, détaillé et approfondi) Mais en général

elles le sont sur 4 à 5 niveaux. Elles évoquent la notion d’aptitude :

les aptitudes sont constituées par un ensemble de qualités et de

capacités attachées à un individu pour remplir des tâches spécifiées.

Il s’agit d’un stock déterminé de capacités intellectuelles et de

caractéristiques de comportement. Les aptitudes individuelles sont

un élément de l’analyse et du repérage des potentiels.

Notion plus dynamique que celle d’aptitude, les potentiels

s’apprécient en termes collectifs et individuels. En termes

27

collectifs, il s’agit des possibilités d’évolution d’un ensemble de

salariés confrontés à une situation de changement. En termes

individuels, c’est l’ensemble des compétences et aptitudes de

chacun non encore utilisées ou mises en œuvre du fait de

l’organisation du travail du moment et susceptibles d’être

exploitées dans le cadre d’un projet individuel. Pour certains

managers c’est aussi la capacité à occuper un poste d’un niveau de

responsabilité immédiatement supérieur ou plus.

Les modalités de gestion des compétences dépendent des choix

politiques et méthodologiques opérés. Elles peuvent en effet être

identifiées selon leur contenu et selon l’objectif poursuivi par la

démarche entreprise.

Selon leur contenu, elles décrivent le potentiel estimé : c’est

l’ensemble des caractéristiques (motivation, traits de caractère,

connaissances, comportements) qui permettent de prévoir le

comportement professionnel d’une personne dans un certain

nombre de situations de travail. Utilisées pour le recrutement, la

sélection des cadres ou spécialistes et la gestion des carrières et

parcours professionnels. Elles peuvent porter sur les connaissances

professionnelles (les savoirs) en se rapprochant des diplômes

souhaités dans les référentiels d’emploi, sur les savoir-faire

opérationnels ou sur la maîtrise des démarches intellectuelles ou

capacités à résoudre des problèmes dans le contexte d’une

organisation donnée.

Selon l’objectif poursuivi, l’approche peut porter sur les

compétences nécessaires (requises) telles que définies par les

référentiels des métiers ou des emplois ou sur les compétences

détenues par les personnes qui permettent d’évaluer leur capacité à

tenir un poste. Entrent dans le domaine des compétences, les pré

requis ou conditions indispensables pour l’accès à un métier

(diplôme d’État, permis, etc.), hors conditions statutaires.

.

28

LA GESTION DU TEMPS, LE TEMPS DE TRAVAIL

La durée du temps de travail, sa répartition, sa gestion constituent

un ensemble de préoccupations des plus sensibles pour les

gouvernements, les employeurs et les salariés. Elles sont à l’origine

d’une forte production législative et réglementaire et ont donné

lieu, et donnent encore, à la signature de très nombreux accords

d’entreprise.

Du point de vue légal, le temps de travail est celui pendant lequel le

salarié est à la disposition de son employeur, dans l’exercice de son

activité ou de ses fonctions. Le volume d’heures de travail peut être

calculé par semaine ou par année : la loi de 1999 sur les 35 heures

lui fixe une base annuelle de 1 600 heures.

Facilité répondant aux nécessités de plusieurs modes d’activité,

notamment saisonnière, l’annualisation de la durée du travail

prévoit des alternances de durées hebdomadaires variables et de

périodes travaillées ou non. Parallèlement au développement de la

réduction du temps de travail( lois de Robien et Aubry sur la

réduction du temps de travail) qui constitue une revendication

récurrente des syndicats, la répartition de ce temps demande une

attention particulière. En effet, à la demande des entreprises comme

à celle des salariés, le temps de travail peut n’être que partiel : on

parlera alors de temps partiel subi et de temps partiel choisi. Ce

temps partiel peut être annualisé (inférieur à la durée légale qui a

été fixée conventionnellement)

Il existe également des horaires individualisés (ou horaires flexibles

ou à la carte) qui prévoient des plages d’heures de travail variables,

pendant lesquelles le salarié choisit ses heures d’arrivée et de

départ, encadrant des plages fixes pendant lesquelles la présence est

obligatoire.

Les « lois Aubry », dites aussi des « 35 heures », ont mis en

lumière l’importance sociale, politique et économique du temps de

travail et de sa gestion. Elles étaient fondées sur deux idées force :

d’une part, l’accroissement de la productivité permettrait de

diminuer la durée des temps de travail et, du coup, d’augmenter les

temps libres des salariés, donc la qualité de la vie et, d’autre part,

29

cette même réduction du temps de travail des uns permettrait de

donner du travail aux autres et, de la sorte, de lutter contre le

chômage grâce au « partage du travail. Pour de multiples raisons,

elles ont déclenché des polémiques présentes pour longtemps dans

le paysage socio-économique français.

Leur mise en œuvre s’est avérée complexe, leurs fondements

théoriques controversés et leurs implications souvent pénalisantes

pour les firmes françaises. Ne concernant que les entreprises de

plus de 20 salariés, les « 35 heures » ont introduit des distorsions

importantes dans la population des salariés : c’est ainsi que pendant

de nombreux mois ont cohabité plusieurs SMIC différents. Alors

que le coût du travail augmentait de 11 % dans les organisations

concernées, les gains de productivité n’ont que faiblement

compensé ce surcoût tout en engendrant, de l’avis général, un stress

supplémentaire et justifiant, au moins dans le discours patronal, de

nombreuses délocalisations d’activité.

L’espoir placé dans le partage du travail pour diminuer

sensiblement le chômage a été déçu et suspecté de malthusianisme.

Enfin, interprétées par de nombreux salariés comme une possibilité

de « travailler moins en gagnant autant », les « 35 heures » ont

suscité de profondes incompréhensions et contribué, pour une part,

à éloigner les employés de leur entreprise.

D’une façon plus globale, la dimension Temps a pris dans

l’entreprise et plus généralement dans notre Société une place

considérable –certains diraient démesurée- : ce qui est urgent est

forcément important (pas l’inverse, bien sûr) le temps cyclique ou

relatif a disparu au profit du seul temps capable de mobiliser le

responsable : le temps linéaire.

Le facteur temps voit également sa place augmentée par la

financiarisation accrue de la gouvernance d’entreprise : celle-là

fonctionne couramment sous la pression des résultats du quarter,

sous la volatilité des capitaux aptes à se déplacer rapidement où la

rentabilité à court terme semble la plus profitable.

30

POSTE , EMPLOI, METIER, COMPETENCE

La description de poste peut être considérée comme l’outil de

gestion des ressources humaines – et aussi l’outil d’organisation –

par excellence. Elle peut recouvrir plusieurs réalités qui

correspondent aux finalités et utilisations que le management

souhaite développer.

Si les évolutions actuelles ont pour conséquence de diminuer la

pertinence même du concept de poste au sens où il est entendu

généralement, il n’en reste pas moins que son caractère

opérationnel le rend indispensable à toute GRH.

Il convient tout d’abord de préciser les termes utilisés :

si le mot « métier » est noble dans la langue française, il

recouvre des réalités méthodologiques très différentes.

C’est avant tout un ensemble théorique de postes de travail

aux activités et compétences identiques ou proches,

permettant de passer de l’un à l’autre de manière réciproque

dans un délai de plusieurs mois.

l’emploi, et notamment l’emploi type ou emploi repère, est

un découpage plus fin du métier donnant des informations

plus précises. À chaque métier peuvent être associés

plusieurs emplois repères.

le poste correspond à une position de travail, à un moment

donné, dans une structure donnée de l’entreprise. À chaque

emploi repère peuvent correspondre plusieurs postes. Il

correspond à une unité élémentaire, physiquement

identifiable, de l’organisation adoptée. Un ou plusieurs

individus sont identifiés comme titulaires d’un poste.

Chaque poste met en œuvre une ou plusieurs fonctions.

la fonction est une composante du poste. Elle regroupe un

certain nombre d’activités tendant vers le même but

comme, par exemple, la fonction commerciale.

Avant même de penser à la gestion des compétences, il est

nécessaire d’identifier, pour chaque poste, les critères d’exigence

31

qui en permettent une maîtrise normale mais, surtout, d’identifier et

de définir les emplois clés qui correspondent à des postes

stratégiques en termes de contribution aux résultats de l’entreprise

et les emplois sensibles dont les caractéristiques peuvent être :

le niveau de formation initiale demandé ainsi que

l’importance (coût, durée) des formations d’intégration ;

la pénurie ou la rareté, sur le marché du travail ;

les difficultés de recrutement ou de remplacement des

titulaires en tenant compte de l’éventuelle pénibilité du

travail et du niveau de rémunération qui peut paraître peu

attractif ou peu motivant.

Il va sans dire que la gestion de ces types de poste fait l’objet d’une

attention particulière et d’une gestion personnalisée. L’existence

des emplois clés et des emplois sensibles dans l’entreprise oblige à

élaborer des plans spécifiques afin que cette dernière ne soit pas

pénalisée par l’absence ou le départ des titulaires des postes

correspondants. On distinguera à ce propos :

les plans de relève qui anticipent le départ prévisible (départ

en retraite ou promotion) de ces titulaires en identifiant les

personnes ayant le potentiel requis et en développant les

plans de formation éventuels nécessaires. Dans certains cas,

une anticipation de plusieurs années (2 ou 3, voire 5) doit

être envisagée ;

les plans de remplacement qui permettent à l’entreprise de

ne pas être prise de court lors de l’absence ou du départ

imprévus (car souvent imprévisibles) du titulaire d’un poste

« stratégique.

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)a

suscité de grandes espérances tant pour les salariés et leurs

représentants syndicaux que pour nombre de dirigeants patronaux.

Il s’agissait ni plus ni moins par une planification appropriée de

« garantir » l’emploi en adaptant en permanence

emplois/compétences avec des variables d’ajustement comme la

formation, le recrutement, la flexibilité… Malheureusement, la

gestion court termiste, les fréquentes et brutales orientations

32

(fusion, acquisition, restructuration…) des firmes ont rapidement

décrédibilisé la gestion prévisionnelle des emplois et des

compétences tant celle-ci, pour être efficace, a besoin d’un

minimum de temps et de durée. Par ailleurs, les diverses évolutions

de l’entreprise que nous avons décrites ont entraîné une espèce de

désocialisation de l’entreprise(une espèce désengagement de fait de

celle-là vis à vis du devenir à long terme de ses salariés), un

moindre sentiment d’appartenance du personnel à sa société et

finalement une autonomie subie ou choisie de ce salarié. Dans la

pratique, elle peut provoquer la mise en œuvre d’un système

néfaste pour l’entreprise et son corps social.

Pour l’employeur, la valorisation, au sens propre, des compétences

peut entraîner une compétition non seulement interne mais aussi

externe invitant chacun des salariés à un comportement permanent

de vente de ses propres compétences (le market yourself) de nature

à participer à la destruction de l’identité ou de la culture

d’entreprise. Pour les salariés et leurs représentants syndicaux, le

risque de marginalisation, non seulement à l’embauche mais en

cours de carrière, peut être considérable : ceux qui ne sont pas en

état de « vendre » des compétences insuffisamment valorisables

peuvent être marginalisées ou rejetées par le système qui ne trouve

plus de justification au maintien ou à l’embauche, d’une personne

qui peut être parfaitement dévouée et fidèle.

Chacun des membres d’une organisation retrouve ainsi

l’importance de ce qui avait été plus ou moins mis entre

parenthèses pendant des années : le concept de métier individuel

qui valorise le salarié non seulement dans l’entreprise mais aussi et

surtout sur le marché de l’emploi. Ce retour au métier individuel est

sûrement un des moyens dans le futur de redonner à chaque homme

au travail une certaine forme de sécurité (employabilité) ; faut-il

encore être capable d’appréhender à moyen et long terme les

principaux scénarios décrivant les évolutions qualitatives et

quantitatives des principaux métiers et leurs exigences

correspondantes en matière de compétences !

La prospective des métiers –vision de l’avenir afin d’essayer en

partie de le construire-devrait être une aide précieuse pour

33

permettre à l’entreprise, la région, le secteur et le salarié de

construire des scénarios (ce qui peut arriver) qui aideront à orienter

les choix des diverses parties prenantes.

LE MANAGEMENT PAR PROJET ET PAR LA QUALITE

Le développement de l’action par projet s’est généralisé au point

d’envahir le vocabulaire de la vie politique comme du

management. Le projet est devenu une méthode qui donne l’espoir

de ne plus seulement subir les événements mais de pouvoir

maîtriser le cours de l’histoire et façonner le futur à sa façon.

Succédant au concept de « projet d’entreprise » des années 1970

qui s’était développé dans de nombreuses grandes firmes

internationales européennes, apparut celui de gestion de ou par

projet, plus modeste. Le projet d’entreprise visait à assurer la

mobilisation de tous les salariés autour d’une vision prospective du

développement à long terme.

On qualifie de projet, des chantiers ou des missions qui n’ont rien

de commun : ce peut aussi bien être l’implantation d’une usine, le

lancement d’un nouveau produit, un changement d’organisation ou

la mise au point d’un nouveau logiciel. Quel qu’il soit, un projet est

toujours une aventure, difficile à piloter et soumise à des pressions

qui peuvent être très fortes.

Les principales conditions de succès du développement des projets

ont trait à la fois aux outils requis face à la complexité des enjeux

normatifs et technologiques, notamment en matière d’aide à la

décision, et aux ressources humaines mises en œuvre : ce sont bien

souvent elles qui font la différence avec, en premier lieu, le chef de

projet (le projet implique des acteurs issus de fonctions ou de

responsabilités différentes selon les compétences qu’ils pensent

pouvoir apporter à court ou moyen terme, dans le cadre d’une

réalisation à venir dans laquelle ils s’impliquent.)

La composition d’équipe, à durée déterminée, très orientée vers les

résultats, pose à l’évidence des problèmes sérieux de management.

Le choix du personnel, le système de reconnaissance, l’animation

d’une équipe dont les membres ont des rattachements hiérarchiques

34

multiples et différents, la réinsertion une fois le projet terminé, sont

autant de préoccupations qui s’ajoutent à celles liées à la recherche

de la cohésion du groupe et de la motivation collective comme de

la combinaison d’intérêts particuliers à court terme et collectifs à

long terme.

Dans ces conditions, les chefs de projets doivent être autant des

leaders que des managers. Ils doivent être capables de conjuguer

leur spécialité technique avec la connaissance des métiers auxquels

ils sont confrontés pour remplir leur mission. Et, surtout, ils doivent

mettre en œuvre un système d’informations claires et lisibles

(tableaux de bord, statistiques, systèmes d’alerte, …)

Le management par la qualité qui renouvelle la gestion par la

qualité s’attache à développer la capacité à gérer l’ensemble des

processus présents dans l’entreprise. Les exigences de la

certification ISO obligent à penser ces processus en termes de

normalisation au risque de mettre en place un certain conservatisme

difficilement compatible avec la maîtrise du changement souhaitée

par ailleurs.

Management par projet ou management par la qualité, du

compromis toujours difficile à déterminer entre les trois

caractéristiques « Coût, Qualité, Délai »dépendra en grande partie

le succès du management.

LA FLEXIBILITE

La capacité d’une entreprise à s’adapter aux évolutions de la

conjoncture et de son environnement ou, d’une façon générale, aux

circonstances, est désignée sous le terme de flexibilité. En matière

de management, la notion de flexibilité recouvre plusieurs réalités.

Ce peut être une flexibilité fonctionnelle (dite aussi qualitative

interne) obtenue par la polyvalence des salariés ou la capacité de

répartir les personnels rendus disponibles en fonction des besoins

de l’organisation. Elle peut être quantitative externe dans la mesure

où l’entreprise peut moduler ses effectifs selon les besoins de

35

l’activité, en recourant aux différentes formes d’emplois précaires

autorisés (CDD, intérimaires, stagiaires)Une certaine flexibilité

quantitative et interne peut être obtenue par le recours aux

modulations du nombre d’heures travaillées avec l’annualisation

des horaires, les heures supplémentaires, le travail à temps partiel.

L’appel à la sous-traitance, voire à l’externalisation de partie de la

production, la finition retardée des produits, une approche

multifonctionnelle des produits dont le do-it-yourself est la

caricature sont des aides souvent efficaces-et contestées- pour une

politique de flexibilité.

On parlera aussi de flexibilité salariale en essayant d’adapter la

rémunération au niveau d’activité de l’organisation grâce à la mise

en place d’une rémunération variable et, notamment, à la pratique

de l’intéressement et de la participation.

LA MONDIALISATION

Phénomène de la fin des années 90, la mondialisation est en fait un

concept ancien : pendant la Renaissance comme lors de l’expansion

industrielle du XIXe siècle, les frontières étaient ouvertes à la libre

circulation des personnes, des biens et des capitaux et ce, jusqu’à

l’aube de la Première Guerre mondiale. Cette situation a retrouvé

tardivement son actualité avec l’effondrement du bloc communiste

Depuis, elle se développe principalement selon trois volets :

l’intégration économique et ses conséquences sur les États, la

contagion mondiale de son impact et les aspects culturels.

En matière de prospective, les enjeux sont très marqués et

apparemment contradictoires. La mondialisation transforme de

fond en comble le milieu dans lequel vit l’entreprise :

pour les uns, la mondialisation se traduira par une sorte de

raz de marée qui balaiera toutes les différences culturelles

au profit d’un comportement de consommateur unique et

mondialisé : c’est le syndrome Coca-Ccola, Nike, avec sa

version française Abribus.

pour les autres, elle donnera naissance à un clivage de

l’activité des entreprises : à côté des grandes firmes

36

mondialisées se développera un monde de PME, voire de

très petites entreprises (TPE)

Elle pourrait favoriser, d’une part le développement des

« hyperfirmes » mondiales et, d’autre part, celui des micro-

entreprises «hypofirmes » de proximité.

Les hyperfirmes présentes sur le marché mondial se caractérisent,

entre autres, par leur dimension managériale et financière. Pour

compenser les charges administratives de leur organisation, elles

recherchent en permanence la diminution de leurs coûts de

production (en donnant la priorité à la productivité ou en

délocalisant) et/ou une différenciation spectaculaire (par une

politique de marque, de publicité ou de distribution) Plus qu’à une

concurrence classique, elles sont soumises à une véritable

« hypercompétition » dans laquelle tous les coups sont permis ainsi

qu’aux oukases de leurs actionnaires, souvent des gestionnaires de

portefeuilles du type fonds de pension, qui exercent une pression

très forte valorisant les résultats à court terme.

Les hypofirmes répondent aux attentes de sociétés qui se recentrent

et s’orientent dans trois directions :

le développement d’activités spécifiques dans des créneaux

répondant à des besoins particuliers demandant la maîtrise

de savoirs et de compétences singulières. Cette stratégie de

singularisation concerne aussi bien des activités d’expertise

(axées sur les savoirs) que des activités artisanales (fondées

sur les métiers)

le développement d’activités nouvelles pas seulement liées

aux NTIC mais aussi à la santé ou à la biologie, aux

activités de loisirs ou de divertissement qui constituent un

marché encore en expansion.

le développement d’initiatives d’origine associative qui

poussent des organisations du monde de l’économie sociale

à se pérenniser en adoptant un nouveau positionnement sur

le marché (à l’exemple du changement de statut d’Emmaüs)

Le management, particulièrement celui des hommes, se focalise

alors sur la capacité à trouver et à combiner des ressources pour en

37

tirer des compétences adaptées aux spécificités des activités

développées.

La proximité avec les partenaires (clients, fournisseurs, confrères,

…) réduit les coûts de transaction : elle repose sur la confiance

réciproque et une connaissance presque intime du marché. Du fait

des NTIC, Internet notamment, elle se définit davantage en termes

de réponse aux besoins des clients et des partenaires qu’en termes

géographiques.

Dans de nombreuses entreprises et selon le cas, le rôle de la DRH

va être de recruter les collaborateurs étrangers des filiales, de gérer

les carrières des experts, d’organiser la mobilité du personnel au

sein du groupe, de suivre l’évolution des métiers et de l’anticiper

par la formation, enfin de connaître les différents droits sociaux

nationaux pour harmoniser la politique RH.

Jusqu’à ces dernières années, le rapport existant entre l’économie

dite libérale, le management et un système de valeurs fortement

présentes en milieu anglo-saxon apparaissait comme très clair.

Sous l’effet conjugué du succès de grands auteurs de théories

managériales, de la diffusion d’exemples de success stories, surtout

américaines, et des enseignements dispensés à travers le monde, un

consensus général finit par donner à la corrélation existante entre

les idées philosophiques libérales et les modes de management une

véritable dimension universelle.

Ce sentiment, conforté par la disparition des idéologies

concurrentes, laisse croire à une sorte de civilisation mondiale à

vocation universaliste, comparable à ce que furent, en leur temps,

les civilisations grecques et romaines.

Et pourtant en même temps s’est développé une résistance de plus

en plus fortes vis à vis des approches « modernes » du 18°et 19°

siècle : le mythe du progrès sans fin, permanent et libérateur pour

chaque individu, d’une morale universelle(la même pour tous,

comme l’illustre la déclaration universelle des droits de l’homme)

De nombreux sociologues ont lancé l’idée que nous entrions dans

une période qualifiée de « postmodernité » qui se caractérise,

notamment, par le développement de nouveaux modes

38

d’organisation du travail et l’apparition d’une nébuleuse de classes

moyennes importantes. Elle se traduit par une série de

transformations : « dé-construction » du capital et du travail, « dé-

composition » des classes sociales, « dé-centralisation » de

l’autorité étatique et « dé-différenciation » des cultures savantes et

populaires.

C’est le temps des « tribus » et de la fragmentation sociale. Les

individus n’appartiennent plus à un groupe monolithique mais se

répartissent en tribus, en réseaux virtuels où ils partagent des goûts

et émotions et tissent des liens quasi contractuels. C’est la fin de

l’individualisme qui s’accompagne du développement du

communautarisme et l’explosion ou la disparition, des valeurs

établies, de la supériorité des cultures occidentales, de la foi dans

les bienfaits de la croissance économique, voire même, de

l’adhésion à la raison, la science, du vécu commun.

Passée quelque temps inaperçue, la philosophie de la

« déconstruction » a connu un grand essor aux États-Unis mais

également en France(Jacques Derrida) prônant par exemple, que

chacun doit s’accommoder des différences culturelles de l’autre

sans attendre qu’elles se fondent sur un idéal de civilisation

unique(l’émergence de phénomènes planétaires comme l’écologie,

les droits de l’homme, l’éloge de la diversité, les phénomènes

identitaires, les conflits religieux ou ethniques, le développement

des NTIC provoquant une forte diffusion des cultures et se

traduisant par l’hybridation, la créolisation des cultures)

Parallèlement, depuis les années 80 nous avons vu disparaître un

grand nombre de « maîtres à penser » des décennies précédentes

(Jean-Paul Sartre, Lacan, Braudel, Althusser, etc.) alors que dans le

même temps, le nombre d’étudiants et d’enseignants doublait. Le

contexte intellectuel et philosophique s’en trouve transformé dans

la mesure où aucun modèle ne semble plus pouvoir à lui seul

expliquer le réel : la prudence est de rigueur pour tenir compte de la

diversité des approches dans les méthodes, d’autant qu’il n’y a plus

de pensée unique. Le relativisme(et le constructivisme) semble

s’imposer de façon rampante, faisant fi de l’héritage de Platon,

Aristote, Thomas d’Aquin, Averroès, Kant, Descartes, Smith,

39

Weber, Durkheim, Tocqueville (et jusqu’à un certain point

Auguste Comte ou Marx)… et ramenant l’existence de valeurs

universelles à une particularité occidentale.

LES NOUVELLES TECHNOLOGIES D’INFORMATIION

ET DE COMMUNICATION

On regroupe sous le vocable générique de NTIC l’ensemble des

différents systèmes informatiques avec les logiciels et progiciels

qui les accompagnent, les réseaux de télécommunications et de

téléinformatique (réseaux à haut débit, téléphoniques à fibres

optiques ou satellitaires, …), les systèmes et outils multimédias

(télévision, vidéo, CD-ROM, etc.) ainsi que les systèmes et outils

du type Internet ou Intranet.

Cette longue énumération donne la mesure des évolutions

fondamentales que leur développement entraîne dans de nombreux

domaines essentiels pour le management des hommes parmi

lesquels il faut souligner :

la stratégie de la firme en matière de métier de l’entreprise,

de positionnement sur le marché, de politique commerciale

(avec le développement du one-to-one ou du Customer

Relationship Management), voire quant aux modalités de

prise de décision.

L’organisation avec la remise en cause ou la transformation

des activités (du fait des éclatements et externalisations

possibles), des structures (avec l’intégration des partenaires

dans les processus et la constitution de réseaux avec les

clients et les fournisseurs, etc.) et des modes de

fonctionnement (formalisations diverses de nouvelles

procédures, reporting.)

Le management avec de nouveaux modes transversaux à

mettre en place du fait de l’intégration des partenaires, le

développement de la gestion par projet, l’aplatissement des

hiérarchies (Lean management) et de la nécessaire maîtrise

de la communication.

40

les métiers en raison de nouvelles façons de travailler (les

outils informatiques), l’exigence de partage de

l’information (échanges internes et externes), la gestion des

connaissances et la formalisation des savoir-faire.

L’impact des NTIC-cette nouvelle révolution technique, la plus

importante depuis plus de 100 ans- se fait déjà sentir sur le

comportement de chacun d’entre nous. Mais il commence à

remettre en cause non seulement les compétences exigées dans

l’exercice de nombreux métiers mais l’existence même de

certains d’entre eux. Heureusement, une approche prospective

permet de déceler sans trop de difficultés ceux qui risquent

d’être les plus vulnérables. Il en est ainsi, à simple titre

d’exemple, des liquidateurs de retraite ou de gestion de contrat,

d’afficheurs, de concepteurs, de caissiers, de gestion manuelle

de données, commerce …

Créateur d’emploi comme toute nouvelle technologie, les NTIC

vont en même temps remodeler un grand nombre et en détruire

certains.

.

LE FACTEUR RISQUE

La judiciarisation de la Société est sera de plus en plus une des

caractéristiques que devra prendre en compte le management.

Cette nouvelle dimension de la gestion (privée ou collective) est

due en grande partie à une prise de conscience de plus en plus forte

du concept de risque : l’homme contemporain rejette la notion de

risque dans ses activités courantes et en tout état de cause veut

pouvoir mettre un responsable devant tout incident anormal, surtout

si celui-ci représente un risque pour sa santé ou sa sécurité.

Dans l’entreprise la gestion juridique des hommes, sur tous ses

plans, sera un des nouveaux volets de la responsabilité de la DRH.

Il en est de même en matière de communication, de publicité ou de

produits nouveaux par exemple.

Il s’agit là d’un véritable défi qui est lancé au processus

d’innovation ou de développement qui ne peut valablement être

efficace qu’en acceptant un certain degré de risque.

41

LE CHOC DEMOGRAPHIQUE

Environ 70% des DRH* considèrent que le choc démographique

aurait, à court terme, un impact sur la gestion des firmes et le papy

boom serait toujours pour ces mêmes DRH plus un danger qu’une

opportunité.

Depuis de nombreuses années diverses études ou réflexions,

particulièrement en France, prévoient qu’avec le ralentissement de

la natalité (un taux de fécondité de 1,8 a été régulièrement avancé)

et le vieillissement de la population (en 2030, le tiers de la

population aurait plus de 60 ans) un choc démographique

perturbera fortement tant la Société que les Entreprises.

Pendant longtemps, nous avons vécu avec l’idée que la

démographie était pour une très large part du domaine de la

prévision ou de l’extrapolation des tendances (très forte natalité

dans les PVD, diminution constante de la natalité dans les pays

développés..) , comme si notre degré de liberté était très faible vis à

vis de ces phénomènes.

Dans cet esprit, une crise grave nous est maintenant annoncée :

2005 devait être marquée par ce fameux retournement où le nombre

d’actifs diminuerait (en France) Il n’en a rien été, pas plus qu’en

2006 ou un solde positif a été constaté.

A vrai dire, l’Etat et les Entreprises seraient, nous semble-t-il,

avisés de considérer que l’équilibre démographique et l’emploi

relèvent plus de la prospective que de la prévision ou de la fatalité.

Des scénarios existent, plus nombreux qu’on ne le croit souvent,

avec des choix possibles : l’avenir reste, une fois encore, en grande

partie, à construire. Un certain nombre d’éléments échappent à

l’action de la firme et sont beaucoup plus du ressort des pouvoirs

publics ou du comportement des citoyens.

Ainsi, l’INSEE jusqu’à un passé récent a établi ses prévisions

démographiques sur un taux de natalité de 1,8 (en Europe,

aujourd’hui ce taux est d’environ 1, 5 ) Or ce taux est passé

progressivement en quelques années de 1, 8 à 2, ce qui change

profondément les prévisions.

*Enquête CEGOS

42

L’analyse d’un certain nombre de documents enrichie

d’observations de terrain nous fournit des éléments de réponse**.

Peut-on anticiper ou amoindrire l’effet de ce choc annoncé ?

On peut avancer deux principales causes à ce redressement : d’une

part, même si le niveau de vie des familles avec enfants reste

sensiblement inférieur à celui des couples sans enfant, une politique

relativement favorable à la natalité a été régulièrement suivie

(crèches, écoles maternelles, congés parentales, primes ou

avantages fiscaux…) et a eu des conséquences que d’aucuns nous

envient(n’oublions pas la part des immigrés-difficilement chiffrable

–dans ce redressement)

L’age de la retraite (actuellement, il est effectivement de 58 ans) ou

le travail des seniors, le temps de travail réellement effectué (en

France, environ 15% inférieur à la moyenne européenne et 40 %

par rapport à celui des E.U.), le travail des jeunes (inférieur à celui

des autres pays, compte tenu en particulier de la faible part de

l’apprentissage ou de celle des « petits boulots » officiellement

rémunérés) … sont autant de caractéristiques qui échappent (en

grande partie ) à la gestion de la firme. On réplique parfois que la

productivité du travailleur français est performante : c’est vrai en

première analyse mais on oublie un peu vite que si on réintégrait

partie des sans emplois (en revenant par exemple à 5 à 6% de

chômage), la productivité aurait de grandes chances de se retrouver

à un niveau proche de celle des autres pays.

**On pourra consulter avec profit : les rapports de l’INED (y

compris celui de février 2007, paru dans Population et sociétés,

N°431) ; A.Sauvy, Vieillesse des Nations, Gallimard, 2001, Paris ;

les études de l’OCDE et de l’INSEE ; le rapport de Jean-Michel

Charpin de 1999 ; le livre blanc de Michel Rocard de 1991 ; les

rapports de l’Académie des Sciences morales et politiques ;

M.Godet, le Choc de 2006, Odile Jacob, 2006, Paris….

43

En prenant en compte les divers scénarios et en s’efforçant d’agir

en conséquence( durée du travail, travail des jeunes et des seniors,

travail partiel ou féminin, taux de chômage ramené à la moyenne

européenne, insertion des immigrés, politique nataliste …) on peut

avancer que le choc démographique annoncé n’arriverait que dans

10 à 30 ans.

Mais les firmes, malgré ces contraintes exogènes, ne sont pas

désarmées. Elles ne peuvent attendre, sans agir, l’effet possible-

mais incertain- d’une politique nationale volontaire. Certes, nous ne

rejetons pas ce que nous disait Gaston Berger « la vieillesse, c’est

le rétrécissement des possibles », mais nous sommes persuadés

qu’il reste un degré de liberté, des scénarios (éventualités qu’il

nous appartient de transformer en probabilités) que l’entreprise

peut utiliser.

La focalisation sur l’emploi ou l’insertion des jeunes est normale et

souhaitable. C’est un des aspects où sans doute les progrès –grâce à

l’initiative de chaque entreprise – pourraient être les plus

spectaculaires : le développement de l’alternance, les stages

d’adaptation, un comportement plus ouvert sur les attentes des

jeunes en recherche d’emploi, un accompagnement (tutorat,

formation appliquée…) dans les premières semaines réduiraient

sensiblement le choc démographique par une diminution du

chômage jeune.

L’argument souvent avancé par l’employeur « vous n’avez pas

d’expérience… » peut, à court terme, s’inverser en utilisant l’envie

de s’impliquer que montre une très grande majorité des jeunes que

nous côtoyons.

Le problème des anciens (plus de 50 ans !) est beaucoup plus

complexe. Les solutions existent mais elles sont plus difficiles à

mettre en œuvre.

En premier lieu, progressivement, une espèce de consensus social

s’est développée impliquant seniors, employeurs, pouvoirs publics

et même syndicats. L’idée s’est répandue (même si les faits la

contredisent dans la quasi-totalité des situations )qu’un emploi

libéré par un senior était un emploi ouvert à un jeune. Cette

justification « morale » s’accompagne généralement de

considérations techniques ou pratiques moins valorisantes ou

avouables ; par exemple, l’effet « noria » qui caractérise le fait

qu’un départ d’un ancien puisse être remplacé par le recrutement

44

d’un jeune payé moins cher pour le même poste. La pré-retraite,

alors même que les discours officiels sont tous à contre–courant de

cette méthode de gestion, est devenue un moyen de régulation

sociale de la gestion quantitative de l’emploi. Chacun y retrouve

son compte : le « plus de 50 ans » qui a intégré progressivement

l’idée que la retraite est, sur un plan économique et sur un plan

relationnel(son environnement de travail), sûrement préférable au

maintien de son activité ; l’employeur qui utilise la variable

d’ajustement « age » pour son exigence de flexibilité ; les pouvoirs

publics qui pensent avoir ainsi un moyen de gestion de la tension

sociale sans licenciement « sec » Ce contexte est loin de favoriser

ce qui devrait être une priorité : la (re) valorisation du statut social,

identitaire du senior. Les moyens existent pourtant (comme pour

d’autres catégories de personnel) de donner aux plus de 50 ans

l’envie de continuer à travailler dans l’entreprise. L’organisation du

travail, par exemple, peut ou doit être repensée en fonction de l’age

(il me souvient d’avoir conduit une étude sur les 100 000 facteurs

de la poste dont l’age moyen était d’environ 44 ans et pour lesquels

se posait à terme le problème du vieillissement : pouvait-on

repenser l’organisation et les conditions de travail, l’évolution des

carrières… ? ) Le transfert des connaissances ou des compétences,

des seniors vers les plus jeunes, demande la mise en place d’un

véritable processus qui doit valoriser non seulement le senior lui-

même mais aussi mieux identifier ses compétences par rapport aux

métiers de l’entreprise. La formation continue de ces seniors reste

un des éléments laissés pudiquement dans l’ombre: les plus de 50

ans sont en moyenne 5 fois moins formés que les plus jeunes ( il est

vrai que parfois les intéressés, eux-mêmes, ne le souhaitent pas) La

formation continue est non seulement une mise à niveau

permanente des connaissances mais une espèce de projection ou

d’espoir dans l’avenir. Il y a lieu d’être imaginatif pour trouver les

moyens de motiver les seniors si possible par d’autres voies que la

traditionnelle prime d’ancienneté, par ailleurs parfois supprimée un

peu rapidement. Les horaires ou plus généralement les conditions

de travail pourraient être réétudiés toujours dans l’esprit non

seulement de donner ou maintenir l’envie au senior de continuer à

travailler mais aussi pour conserver dans l’entreprise le plus

longtemps possible un précieux savoir-faire.

Dans un domaine très différent la possibilité de diminuer le nombre

de contrats à temps partiel et à durée indéterminée(une partie des

45

working poors) débouche sur un réservoir d’emploi loin d’être

négligeable.

Le développement de l’apprentissage ou de l’alternance –reconnue

comme un des facteurs puissants d’insertion- ressort souvent de la

volonté des responsables d’entreprises.

La formation tout au long de la vie est une façon de donner de la

flexibilité et de la créativité à la structure sociale.

Depuis quelques années, la gestion de la diversité(parité, ethnie,

handicap…) s‘est invitée à la table de la gestion des RH. Au-delà

de la dimension morale, cette orientation permet à l’entreprise de

mieux utiliser un personnel, hier encore marginalisé.

Les conditions de travail, les avantages sociaux, la prise en charge

des contraintes personnelles (crèches, services à la personne, lieux

de convivialité ou d’activités communes, cafeteria plan …) sont

maintenant des éléments discriminants du recrutement et de la

fidélisation des salariés. Certes, certaines de ces mesures peuvent

apparaître comme une espèce de neo-paternalisme : ce qui était

considéré hier comme une sorte de subordination supplémentaire

non souhaitée devient parfois de nos jours une réponse satisfaisante

à des contraintes externes subies par le personnel.

Nous ne pouvons pas passer sous silence les progrès de la

productivité qui peuvent en partie amortir les effets d’une

insuffisance de main d’œuvre.

En résumé, par rapport à des discours à notre avis un peu trop

convenus, nous pensons que des pistes de recherche existent pour

en partie prévenir ou fortement atténuer l’impact d’un choc

démographique, pour peu que se combinent la volonté des pouvoirs

publics et du corps social des entreprises. Ce serait une application

concrète d’une prospective bien maîtrisée.

CONCLUSION

Les évolutions en cours transforment comme jamais le

management des entreprises et des hommes. Le fait nouveau est

que les intéressés sont devenus très différents de ceux des

décennies précédentes pour lesquels tant de théories ont été

échafaudées et d’études réalisées.

46

La mondialisation et les NTIC ont entraîné une ouverture des

esprits, une façon de travailler et de se conduire socialement

suffisamment nouvelle pour que l’on puisse parler de rupture

radicale. Cette rupture se manifeste par un « individualisme de

réseau », par un nomadisme aussi bien dans l’« affect » (cynisme,

mais aussi sensibilité aux valeurs éthiques), l’« effect »

(pragmatisme et distance par rapport au travail) et l’intellect (refus

des idéologies, zapping intellectuel : « tout se vaut.

Parallèlement, en raison du développement des « machines », on va

demander au salarié des qualités d’initiative, une empathie qui

relève de l’esprit d’entreprise. Si le diplôme reste souvent une

condition nécessaire et n’est plus une condition suffisante d’accès à

l’emploi, il conserve l’intérêt de donner une idée de la culture

technico-professionnelle et/ou de la culture générale détenue : elles

offrent une ouverture et un regard distancié sur le monde et la

nature du travail.

Le cadre de travail du management s’est modifié en raison de

l’apparition de nombreux paramètres comme, par exemple, le poids

du juridique, les préoccupations liées au cadre de vie au travail, la

gestion des temps de travail, les nouveaux comportements des

salariés et le déplacement des valeurs fondatrices de la culture de

l’entreprise.

Dans un contexte de plus en plus global et instable où les plans

sociaux se multiplient et les formes nouvelles d’emplois, bien

souvent précaires, prolifèrent, la prise en compte des compétences

et des métiers semble être un axe de recherche et d’action

privilégié. Développer la valeur ajoutée des prestations, accroître

l’efficacité de manière observable, clarifier le lien avec la

performance de la firme sont pour les dirigeants-en particulier RH-

des objectifs et des contraintes de premier ordre.

Dans cet esprit, certains responsables, qui se situent dans une

logique de pilotage plus que de soutien, ont développé de véritables

« business plans RH » par unité précisant les évolutions nécessaires

en matière de politiques, modes de gestion, processus à mettre en

œuvre et détaillant les mesures à prendre. Cette démarche implique

une bonne compréhension mutuelle des enjeux stratégiques des

47

unités opérationnelles pour prioriser les actions, en prenant le soin

de définir des indicateurs simples de mesures des résultats attendus.

Ces indicateurs sont conçus en termes de résultats pour le « client

final » Ainsi, l’acquisition de nouvelles compétences s’évalue en

analysant les modifications de comportements mesurées lors des

évaluations annuelles, par enquêtes sur la qualité des prestations

fournies– et non sur le nombre d’heures de formation –et enquêtes

sur la qualité perçue en fin d’exercice dans la population cible.

Si les pouvoirs publics ont pris conscience de la trop grande rigidité

des modalités de gestion des effectifs dans les entreprises et

cherchent à donner une plus grande flexibilité au marché du travail,

ils doivent faire face à une certaine hostilité des syndicats et d’une

partie de l’opinion publique qui craignent de voir se développer la

précarité déjà forte des emplois.

Il ne peut, enfin, exister de plans d’entreprise de management du

changement ou de plans d’action gouvernementaux qui ne

prévoiraient pas des mesures destinées à promouvoir davantage

l’égalité professionnelle, la prise en compte de la diversité en terme

de recrutement, formation, promotion, maintien dans l’emploi,

gestion des carrières.